LA PLACE DE L`ECONOMIE NEOLIBERALE

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AIX-MARSEILLE UNIVERSITE
INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES
MEMOIRE
pour l’obtention du Diplôme
LA PLACE DE L’ECONOMIE NEOLIBERALE DANS LE
BOULEVERSEMENT DES STRUCTURES DE L’HABITAT
URBAIN A ISTANBUL
Etude du phénomène gecekondu
Par Melle Marie FONTENEAU
[email protected]
Mémoire réalisé sous la direction de
M. André CARTAPANIS
L’IEP n’entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises
dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
Mots-clés :
Urbanisation - Istanbul – Néolibéralisation – Démographie - Pauvreté - Bidonville –
Spéculation - Gentrification – Gouvernance
Résumé :
Les mutations économiques en cours en Turquie depuis les années 1950 ont un fort
impact sur les structures urbaines stambouliotes. La mise en conformité internationale, que
poursuivent ardemment les autorités publiques locales et nationales, implique une remise en
cause des fonctions principales de la ville. La modernisation est au centre de toutes les
préoccupations, reléguant l’habitat social au second plan. Les populations de gecekondu principale forme d’habitat populaire illégal en Turquie - figurent parmi les victimes les plus
touchées par la transformation urbaine. Menacées à chaque instant d’expropriation, elles
sont contraintes de voir leurs logements peu à peu remplacés par de luxueux projets, mis en
œuvre par un secteur privé dominé par d’imposants holdings et d’influentes entreprises
internationales. En résulte une marginalisation progressive des populations pauvres. L’avenir
des gecekondu se retrouve menacé par les logiques d’optimisation de la rente urbaine.
[email protected]
Sommaire
REMERCIEMENTS
TABLE DES SIGLES ET ACRONYMES
INTRODUCTION
PARTIE 1
L'INFLUENCE DE L'ECONOMIE NEOLIBERALE SUR LES STRUCTURES DE
L'HABITAT URBAIN A ISTANBUL
CHAPITRE 1 : NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT DU NEOLIBERALISME EN TURQUIE
CHAPITRE 2 : LA TRANSFORMATION DES STRUCTURES URBAINES
CHAPITRE 3 : LE DEVELOPPEMENT DE L’HABITAT ILLEGAL
PARTIE 2
LE GECEKONDU STAMBOULIOTE COMME LIMITE DU NEOLIBERALISME
CHAPITRE 4 : DEFINIR LE GECEKONDU
CHAPITRE 5 : LE DECLIN DES SOLIDARITES ET L’AVENIR DES GECEKONDU MENACE
CHAPITRE 6 : LES PRINCIPAUX ENJEUX DERIVES DU PHENOMENE GECEKONDU
CONCLUSION GENERALE
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES FIGURES
TABLE DES ANNEXES
TABLE DES MATIERES
Remerciements
Ce mémoire est le résultat d’une année de recherche, mais également de rencontres et
de discussions aussi diverses qu’enrichissantes. Je tiens à adresser mes remerciements les plus
sincères…
À M. Cartapanis, qui m’a fait l’honneur de diriger ce mémoire, et de me prodiguer ses
conseils et ses appréciations tout au long de la rédaction.
À Mme Eliçin, professeur à l’Université Galatasaray, pour ses précieuses
recommandations bibliographiques, sa disponibilité, son savoir, et ses encouragements, ainsi
qu’à M. Pérouse, chercheur et responsable de l’Observatoire Urbain d’Istanbul, pour avoir
partagé son avis éclairé sur mon sujet et répondu à toutes mes interrogations.
À M. Ballargeau, pour ses relectures attentives et ses remarques stimulantes, de même
qu’à Mme Ballargeau, ma mère, qui m’a inculqué la persévérance et la sérénité, qualités
indispensables à la réalisation de ce travail.
À ceux qui partagent ma vie stambouliote, Barış Sinsi pour son expérience d’Istanbul
et son éternelle bienveillance, Suha Yilmaz pour son aide précieuse dans le domaine du droit
turc, et Erdem Tezbaşaran pour ses conseils cinématographiques.
À Elodie Hut et Roxane Tran-Van, qui en plus de leur inestimable amitié, ont rendu
ces nombreuses heures de travail paisibles et agréables. À mes amis Jérémy Benages, Jérôme
Besse, Nordine Aoufi, et Sylvain Borde enfin, qui de par leur expérience du mémoire, m’ont
rassurée dans les moments difficiles.
Table des sigles et acronymes
AITEC Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs, réseau de
chercheurs et de citoyens engagés dans le mouvement social.
AKP Adalet ve Kalkınma Partisi, Parti de la Justice et du Développement : parti issu de
la mouvance islamique qui dirige actuellement la Turquie
ANAP Anavatan Partisi, Parti de la Mère Patrie (centre droit)
CEMOTI Cahiers d’Etudes sur la Méditerranée Orientale et le Monde Turco-Iranien,
revue de sciences sociales et politiques
CNRS Centre national de la recherche scientifique
DA Dayanışmacı Atölye, « Atelier Solidaire » : collectif d’activistes qui soutiennent les
populations mobilisées localement contre des projets de rénovation urbaine à Istanbul
DIE Devlet İstatistik Enstitüsü, Institut national de la statistique (Turquie)
EJTS European Journal of Turkish Studies, revue en ligne de publications scientifiques
sur la Turquie contemporaine
FSE Forum social européen
FMI Fonds Monétaire International
İBB İstanbul Büyükşehir Belediyesi, « Municipalité du Grand Istanbul » ou « Municipalité
Métropolitaine d’Istanbul »
IDE, investissements directs étrangers
IFEA Institut Français d’Etudes Anatoliennes (Istanbul)
İMECE « Mouvement d’urbanisme social » : association civile qui lutte contre les
opérations de rénovation urbaine et plus largement contre la politique urbaine de l’İBB et de
l’AKP.
IPC indice des prix à la consommation
OCDE Organisation de coopération et de développement économiques
OUI Observatoire Urbain d’Istanbul (IFEA)
PED Pays en développement
PIB Produit intérieur brut
PME Petites et moyennes entreprises
PTU Projet de transformation urbaine
TMMOB, Türk Muhendis ve Mimar Odaları Birliği, Union des Chambres des Ingénieurs
et Architectes turcs
TOKİ Toplu Konut İdaresi, Administration du logement de masse (société publique
nationale)
TÜİK Türkiye İstatistik Kurumu, Institut des statistiques de la Turquie
TÜSIAD Türk Sanayicileri ve İşadamları Derneği, Association turque pour l’industrie et le
business
UNESCO United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization, Organisation
des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
YTL Yeni Türk Lirası, « Nouvelle Livre Turque », monnaie en circulation en Turquie
depuis le 1er janvier 2005
Introduction
« Ce n’est semble-t-il pas à cause de la pauvreté urbaine que les bidonvilles existent,
mais à cause de la richesse urbaine »1. Par ce constat se rapportant aux quartiers précaires
indiens, la sociologue Gita Verma remet en cause un lieu commun aussi tenace qu’erroné.
Les bidonvilles ne résulteraient pas d’une pauvreté accrue dans les quartiers périphériques
des grandes villes du Tiers Monde. A l’inverse, la mise en œuvre dans les villes d’un mode de
production et de redistribution inégalitaire du capital, donnerait lieu à une concentration des
richesses par une élite urbaine. Ce phénomène serait à l’origine de la prolifération des
bidonvilles. Cette forme d’habitat urbain constituerait subséquemment la seule voie de
recours offerte à une population défavorisée en vue de se maintenir dans la ville.
L’habitat peut être défini comme le cadre et les conditions de vie d’une population.
En milieu urbain, ce terme renvoie à la part des constructions affectée au logement des
habitants. L’habitat représente généralement la fonction principale des villes 2. Dans ce
contexte, l’existence même du bidonville met en exergue un manquement au rôle traditionnel
et essentiel de la ville.
Le pluralisme et l’éclectisme de l’architecture stambouliote3 reflète la pluralité des
modes d’habitat urbain à Istanbul. Stéphane Yerasimos, enseignant-chercheur en urbanisme
et en géopolitique et spécialiste de la Turquie, qualifie cette ville de « monstre
incompréhensible »4. Souvent considéré comme l’équivalent turc du bidonville, le gecekondu
représente un aspect fondamental de l’habitat urbain, dans le cadre du développement de
politiques économiques néolibérales.
 Istanbul, ville-monde
Cité millénaire, ville « méga » et métropole « multi », la singularité d’Istanbul est
l’œuvre de divers facteurs historiques, économiques et sociaux. Cité grecque née au VIIème
G. Verma, citée par M. Davis, in Le pire des mondes possibles – De l’explosion urbaine au bidonville global, 2007,
p. 101
2 P. Merlin et F. Choay (dir.), Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, 2005, p. 435
3 A. Köksal, « Petite histoire de l’architecture stambouliote », Revue Urbanisme, n°374, sept-oct. 2010, pp. 56-59
4 S. Yerasimos, « Istanbul, Métropole inconnue », CEMOTI, n°24, 1997, §1
1
1
siècle av. J.-C., Byzance s’imposait déjà comme capitale de la Thrace 5. En l’an 324, l’empereur
romain Constantin Ier la reconstruit. Elle devient Constantinople en l’an 330, capitale de
l’Empire romain, puis de l’Empire romain d’Orient6. Après la chute de Constantinople le 29
mai 1453, elle est incorporée à l’Empire ottoman par Mehmed II et en devient la nouvelle
capitale pendant cinq siècles. Constantinople perd cette fonction le 1er octobre 1923, en
faveur d’Ankara, capitale de la République de Turquie. Ce n’est que le 28 mars 1930 que le
nom d’Istanbul devient officiel. De cette histoire millénaire, l’ancienne cité byzantine a gardé
un patrimoine incomparable et un fort dynamisme.
Carrefour des religions chrétienne et musulmane, centre politique pendant des siècles,
le rayonnement d’Istanbul n’a que très peu souffert de son déclassement administratif au
profit d’Ankara. Elle est restée la ville majeure de la Turquie sur le plan économique,
industriel, éducatif et culturel. Ville la plus riche du pays, elle abrite le plus grand port de
commerce turc, et s’impose de fait comme le centre principal d’import-export. Istanbul est
ainsi devenue une métropole, à savoir « une ville majeure, qui domine par son poids et
l’étendue de son rayonnement […]. La métropole est ainsi une ville-capitale, dont l’offre de
services diversifiés suffit habituellement à toute une région »7. Elle tient son statut de
métropole de sa capacité à s’adapter aux cycles d’innovation successifs. Istanbul peut
également être qualifiée de mégapole, car elle regroupe plus de dix millions d’habitants 8.
Enfin Istanbul est une ville « multi », du fait de sa diversité. A la fois unique et
multiple, la « ville polychrome » a toujours hébergé des populations aux origines diverses, de
même qu’elle a vu se côtoyer une pluralité de cultures. Entre chrétienté et terre d’Islam, entre
Europe et Asie, certains clichés touristiques semblent toujours constituer une certaine réalité.
Cependant, à l’heure de l’internationalisation de la ville et de son intégration dans le réseau
des villes mondiales, la diversité se retrouve tantôt exaltée, tantôt camouflée. Ainsi Sibel
Yardımcı affirme : « la présentation de la ville « sous un joug flatteur » implique toujours la
La Thrace est une région de la péninsule balkanique partagée entre la Bulgarie (Thrace du nord), la Grèce
(Thrace occidentale ou Thrace égéenne) et la Turquie (Thrace orientale).
6 À la fin du IIIème siècle, l'Empire romain est séparé en deux par Dioclétien. Il est définitivement divisé à la
mort de Théodose Ier en 395. L'Empire romain d'Occident disparaît en 476, mais l'Empire romain
d'Orient subsiste jusqu'à la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453.
7 D. Pumain et T. Paquot, Dictionnaire la ville et l’urbain, 2006, p. 183
8 D. Pumain et T. Paquot, 2006, p. 181
5
2
suppression d’un côté « sombre », à l’exception des cas où celui-ci est lui-même une
attraction et une source de profit »9.
Dans le cadre de son intégration à l’échelle mondiale, Istanbul a opéré un virage
néolibéral, commun à toutes les métropoles à vocation internationale.
 Ville néolibérale et néolibéralisme urbain
Le développement et l’expansion du capitalisme occidental s’est effectué en direction
des villes du monde entier. La ville est devenue une matière achetable et vendable, qui
concentre les lieux de réalisation des flux de capitaux. Selon Pierre Merlin et Françoise
Choay, la ville est un « terreau de modes et d’innovations »10.
Le concept de « néolibéralisation de l’espace » apparaît dans les travaux de Jamie Peck
et Adam Tickell en 200211, utilisé pour décrire l’évolution des villes contemporaines. Selon
Vincent Béal et Max Rousseau, la ville néolibérale remplace à partir des années 1970 le
« keynésianisme urbain »12. La crise industrielle des années 1960-1970 a remis en cause le
« compromis keynésiano-fordiste », à l’œuvre depuis la fin de Seconde Guerre mondiale.
Les pratiques politiques, les croyances économiques et les usages culturels ont évolué.
De 1945 à 1975, les politiques keynésiennes visent à limiter le « développement inégal ». Les
villes ne disposent pas d’un rôle économique déterminant. Peu autonomes, elles dépendent
de l’Etat central. Les institutions locales sont organisées selon le modèle bureaucratique de
l’entreprise fordiste, basé sur la centralisation, la hiérarchisation et la segmentation. Leur rôle
consiste essentiellement à fournir les biens et services collectifs, à maintenir un certain
niveau de demande et à mettre en œuvre les politiques vitales pour l’accumulation du capital,
à travers la fourniture de biens publics13. Puis les politiques urbaines changent. Le régime
d’accumulation flexible, global, remplace l’ancien régime d’accumulation fordiste14. Les
S. Yardımcı, « La face cachée de la métropole », Revue Urbanisme, n°374, sept-oct. 2010, p. 71
P. Merlin et F. Choay, 2005, p. 939
11 J. Peck et A. Tickell, “Neoliberalizing Space”, Antipode, n°34, 2002
12 V. Béal et M. Rousseau, « néolibéraliser la ville fordiste », Métropoles, n°4, 2008
13 Un bien public est, en science économique, et selon Paul Samuelson, un bien ou un service dont l’utilisation
est non-rivale et non-exclusive.
14 Tandis que le régime d’accumulation fordiste est marqué par une production et une consommation de
masse, le régime d’accumulation flexible est quant à lui global. Le système de production de ce régime se
9
10
3
années 1980 voient naître les politiques de l’offre. Il s’agit d’attirer les entreprises et les
ménages solvables dans un contexte de compétition interurbaine accrue. En matière de
gouvernance urbaine, on constate une implication croissante des acteurs privés et un
effritement des relations verticales (centralisées, hiérarchiques et segmentées) au profit de
relations horizontales.
En résumé, le “Shumpeterian Workfare State”15 a remplacé le “Welfare State”. En
d’autres termes, la priorité n’est plus la redistribution spatiale dans la logique de l’EtatProvidence, mais bien l’accroissement de la compétitivité des territoires. Au niveau local, la
ville devenue « entrepreneuriale » est désormais tournée vers l’attraction des ressources, des
emplois et du capital.
« Ces changements dans les pratiques politiques doivent être plus généralement reliés
à la montée en puissance, au sein de la sphère politique, des thèses économiques néoclassiques »16. L’application des recettes néolibérales prônées par des économistes tels que
Milton Friedman et Friedrich Hayek se retrouve en premier lieu dans les pratiques politiques
de Margaret Thatcher et Ronald Reagan17.
Pour F. Hayek, le libre jeu du marché doit permettre de libérer les forces
économiques et sociales face à l’ingérence de l’Etat, présenté comme liberticide18. Pourtant,
la réalité montre que la mise en œuvre du néolibéralisme n’empêche pas le maintien de
l’ingérence des pouvoirs publics. M. Friedman estime quant à lui qu’un marché dérégulé
génère des allocations de ressources et d’investissements optimaux19. Mais dans la pratique le
développement urbain reste inégal et inégalitaire, comme en témoignent la polarisation
spatiale de la richesse et la création de villes duales.
L’histoire économique de la Turquie de 1950 à nos jours permet de mettre en avant
les principaux facteurs à l’origine d’un éventuel bouleversement des idées et des pratiques,
précédemment évoqué à l’échelle mondiale. Cette étude consistera donc à déterminer dans
caractérise par sa capacité à générer des innovations, à épouser la segmentation des marchés et les attentes
spécifiques des consommateurs, et à répondre au caractère plus éphémère des modes.
15 B. Jessop, cité par V. Béal et M. Rousseau, 2008, §3
16 V. Béal et M. Rousseau, 2008, §4
17 Margaret Thatcher est le Premier ministre du Royaume-Uni de 1979 à 1990. Ronald Reagan est le président
des Etats-Unis de 1981 à 1989.
18 F. Hayek, La route de la servitude, 1944
19 M. Friedman, Capitalisme et liberté, 1962
4
quelles mesures Istanbul a vu l’application des théories néolibérales sur son territoire, ainsi
que les limites qu’elles impliquent. L’évolution du phénomène gecekondu pourrait être
considérée comme l’un des effets néfastes du néolibéralisme urbain.
 Le gecekondu : déclinaison turque du bidonville ?
En urbanisme, le bidonville est défini par des modalités particulières de construction
d’une part. Il désigne un ensemble d’habitations précaires et sans hygiène, construites à partir
de matériaux de récupération. D’autre part, le bidonville renvoie à des critères liés à l’illégalité
juridique – il résulte d’une occupation illégale du sol-, à l’exclusion sociale des habitants et à
une localisation en périphérie des grandes villes20.
L’urbanisation offre un certain nombre de possibilités d’illégalité. Cette « fabrication
de la ville », souvent rapide, donne naissance à des comportements et des situations hors-laloi. D. Pumain et T. Paquot distinguent l’ « illégalité-par-ceux-d’en-bas », issue de l’exode
rural massif non accompagné d’offres d’espaces d’accueil pour les populations migrantes, de
l’ « illégalité-par-ceux-d’en-haut », qui résulte d’un mépris de la loi que confère l’argent et le
pouvoir21. L’illégalité désigne plus généralement ce qui est non conforme à la législation.
Ensuite, le critère de la marginalité urbaine, qui semble inhérent à la définition du
bidonville, est fortement critiqué par le sociologue Bernard Granotier, dans son œuvre La
Planète des bidonvilles – Perspectives de l’explosion urbaine dans le Tiers monde (1980). Pour cet auteur,
le bidonville n’est pas un phénomène marginal. En effet, l’habitat précaire concerne au
moins 30% des populations urbaines et augmente de 15% par an. Le bidonville découle
donc de la logique interne du système urbain.
20
21
P. Merlin et F. Choay, 2005, p. 125
D. Pumain et T. Paquot, 2006
5
Figure 1 : Les bidonvilles dans le monde
En outre, la marginalité implique le plus souvent la ségrégation de groupes sociaux, c’est-àdire leur mise à l’écart par la discrimination et par un traitement inégalitaire par rapport aux
autres groupes. Pour B. Granotier, la ségrégation résidentielle, qui opère une dichotomie
traditionnelle entre riches et pauvres, est devenue banale. On la retrouve dans toutes les
villes. Elle se traduit par la concentration de la majorité des équipements urbanistiques
(transports, services, logements…) dans les quartiers riches, qui constituent des zones
autosuffisantes, même en matière de commerce. Enfin B. Granotier dénonce la
responsabilité des forces économiques spontanées dans ce processus de ségrégation urbaine.
Les bidonvillois se retrouvent en situation de dépendance économique vis-à-vis du centre
urbain, qui contrôle le marché du travail. En sus l’inflation a des effets particulièrement
néfastes pour les familles à bas revenus.
Il convient donc d’examiner les différentes caractéristiques des gecekondu en Turquie,
afin de déterminer s’ils correspondent aux critères de définition des bidonvilles, notamment
en termes d’illégalité et de marginalité. A Istanbul, les premiers gecekondu sont apparus à la
fin des années 1940. Ils ont dès lors durablement marqué le panorama économique, politique
et social de la ville.
6
Cette étude a pour objet la mise en confrontation d’Istanbul dans sa complexité, sa
diversité et son immensité, face au phénomène que constitue le gecekondu, dans un contexte
économique néolibéral appliqué à la ville. Il s’agit de déterminer si le constat de Gita Verma
précédemment cité peut s’appliquer au cas stambouliote.
Dans un premier temps, le lien entre l’apparition et le développement des gecekondu
en Turquie et les bouleversements économiques de la seconde moitié du XXème siècle est
introduit sans être approfondi dans la plupart des études menées sur les gecekondu.
L’apparition de cette forme d’habitat urbain est systématiquement considérée comme la
conséquence directe de l’exode rural, issu de l’industrialisation et du recul de l’agriculture. Ce
paradigme semble quelque peu réducteur dans le cas de la Turquie, où l’agriculture a gardé
une place non négligeable dans la répartition sectorielle de l’emploi. De plus, le contexte
politique et économique du pays des années 1960 à 1980, particulièrement mouvementé, ne
peut se résumer à l’industrialisation puis la tertiarisation de l’économie comme facteur
principal de l’ensemble des évolutions de la société. Enfin, l’exode rural massif des années
1950 est nécessairement limité dans le temps. Il ne saurait donc à lui seul expliquer la
formation et surtout l’évolution des quartiers illégaux. Ces derniers constituent toujours un
sujet de débat majeur au niveau politique, qui se traduit par la place importante que leur
accordent les médias turcs et étrangers. Le gecekondu est l’objet de confrontations entre les
acteurs sociaux, économiques et politiques, mais également entre les experts de l’urbanisme à
Istanbul.
Dans un second temps, le gecekondu reflète la complexité de l’étude des structures
urbaines de la ville d’Istanbul. Toute analyse de cette métropole se doit de prendre en
compte un certain nombre de facteurs qui lui sont propres. L’historicité et l’immensité font
partie intégrante des caractères d’Istanbul, qui en font une ville d’exception en termes de
recherche. Ainsi l’étude du gecekondu stambouliote ne peut être calquée sur celle des
bidonvilles de Lima, de Bombay, ou même d’Ankara. La volonté des pouvoirs publics de
promouvoir le rayonnement d’Istanbul à l’échelle mondiale notamment, a pour conséquence
une différenciation des logiques et des pratiques urbaines. De plus, la gouvernance urbaine
dans cette ville en proie à un étalement constant vient complexifier les grilles de lecture.
7
Ainsi s’entremêlent de nombreux éléments fondamentaux, qu’il convient d’analyser
afin de déterminer la place effective de l’économie dans le bouleversement des structures de
l’habitat urbain à Istanbul. L’étude du phénomène gecekondu en serait à la fois la
démonstration physique, la limite idéologique, ainsi que la preuve d’une « exception
stambouliote ».
L’application des théories néolibérales à l’échelle de l’urbain a-t-elle influencé les
structures de l’habitat à Istanbul ? Cette question suppose au préalable le passage de la
Turquie dans son ensemble à l’économie néolibérale. Ensuite, l’existence d’un
« néolibéralisme urbain » a été théorisée par des économistes américains tels que J. Peck, A.
Tickell ou encore Robert Brenne et David Hackworth dans les années 2000. Leurs études
portent essentiellement sur les mégalopoles américaines. Reste donc à déterminer s’il est
possible de les transposer aux structures urbaines stambouliotes. Enfin, l’habitat urbain, qui
résulte de pratiques sociétales anciennes et d’une certaine tradition architecturale, peut-il être
influencé par les logiques économiques ?
De même le gecekondu, en tant que type spécifique d’habitat urbain, est-il dépendant
du mouvement de néolibéralisation des structures urbaines stambouliotes ? Ceci impliquerait
une évolution des formes et des pratiques, parallèlement à l’imposition d’un mode de
production néolibéral. Cette thèse est défendue par les collectifs de professionnels urbains
qui viennent en aide aux populations de gecekondu menacées d’expulsion dans le cadre des
projets de transformation urbaine. Elle rejoint l’idée de Gita Verma selon laquelle les
bidonvilles ne naissent pas de la pauvreté urbaine en elle-même, mais bien de
l’enrichissement massif d’une élite, vecteur de ségrégation et de paupérisation d’une classe
sociale constituée en majorité de migrants.
Enfin, dans le prolongement de ces interrogations, le gecekondu constitue-t-il un type
d’habitat d’exception ? Cela reviendrait à se demander s’il est possible de le considérer
comme un bidonville semblable à tant d’autres dans le monde, ou si le gecekondu est l’objet
de pratiques architecturales, urbanistiques, sociales, économiques et politiques particulières.
8
En résumé, dans quelles mesures peut-on parler d’une néolibéralisation des structures
urbaines à Istanbul, compte tenu de l’évolution du gecekondu en tant que mode d’habitat
spécifique ?
En vue de répondre à cette problématique, la réflexion sera divisée en deux parties.
La première aura pour but de mesurer l’influence de l’économie néolibérale sur les structures
de l’habitat urbain à Istanbul. La seconde partie se focalisera sur le gecekondu stambouliote
comme limite du néolibéralisme.
D’une part, comprendre l’influence des logiques néolibérales à l’échelle de la ville
d’Istanbul nécessite une mise en perspective de l’histoire économique de la Turquie par
rapport aux bouleversements des structures urbaines. Ainsi, il convient de revenir sur la
naissance et le développement du néolibéralisme en Turquie (chapitre 1), avant de
s’intéresser à la transformation de l’ensemble des structures urbaines stambouliotes (chapitre
2). Enfin, un recentrage de l’étude sur le développement de l’habitat illégal (chapitre 3)
permettra de livrer une grille de lecture essentielle à la compréhension du phénomène
gecekondu.
D’autre part, le gecekondu stambouliote témoigne des limites du néolibéralisme
urbain. Tout d’abord, définir ce type d’habitat spécifique (chapitre 4) permettra d’en déceler
la complexité. Ensuite, le gecekondu subit un déclin des solidarités, au point de voir son
avenir menacé (chapitre 5). Enfin, un certain nombre d’enjeux actuels sont dérivés du
phénomène gecekondu (chapitre 6).
9
PARTIE 1
L'influence de l'économie néolibérale sur les structures
de l'habitat urbain à Istanbul
Dans la lignée des économistes américains sus-cités, Annik Osmont, socioanthropologue, affirme l’existence de « la ville du néolibéralisme »22. La démonstration de
l’auteur s’articule autour de trois axes principaux.
Tout d’abord, la ville néolibérale se traduit par l’émergence de « villes utiles », issues
de la mondialisation. Ces dernières se donnent pour mission d’offrir des infrastructures
urbaines - voies rapides, aéroports, services urbains de haute qualité - susceptibles d’attirer
les investisseurs potentiels.
Ensuite, la ville néolibérale existe comme idéologie, qui a pour maître-mot une forte
compétitivité entre les villes. Découle de cette idée la théorie selon laquelle la régulation par
le marché légitimerait la mise en concurrence de la fourniture et de la gestion des services
urbains et du logement. Cela se traduit par la privatisation, le concept de « bonne
gouvernance », le développement durable…, dans la lignée du « Consensus de
Washington »23.
Enfin, la ville néolibérale est le produit d’un système prescriptif. Ce dernier axe
découle des deux premiers, c’est-à-dire de la mondialisation et de l’idéologie néolibérale. La
Banque mondiale aurait pour objectif de transformer les villes en « modèles opérationnels à
vocation universelle »24. En effet, elle instrumentaliserait les politiques urbaines selon une
A. Osmont, « La ville du néolibéralisme », Cahier Voltaire de l’AITEC, 2006
Le consensus de Washington est un corpus de mesures standard appliquées par les institutions financières
internationales siégeant à Washington (Banque mondiale et FMI) aux économies en difficulté face à leur
dette. Il reprend les idées présentées en 1989 par l’économiste John Williamson, fortement inspirées de
l’Ecole de Chicago (économistes libéraux associés à la théorie néoclassique des prix, au libre marché
libertarien et au monétarisme).
24 A. Osmont, 2006, p.2
22
23
10
logique néolibérale, en conditionnant son aide par des critères de sélection des villes liés à
leur compétitivité et leur bonne gouvernance.
Cette première partie vise à déterminer les dimensions de l’application des théories
néolibérales à la ville d’Istanbul, selon les axes évoqués par A. Osmont. Comment
l’économie a-t-elle bouleversé les structures urbaines et l’habitat en particulier ?
Dans un premier temps, l’histoire économique de la Turquie au XXème siècle illustre
la naissance et le développement du néolibéralisme dans cet Etat. Le contexte économique et
politique des années 1960-1970 introduit le tournant des années 1980, qui marque
l’avènement du néolibéralisme en Turquie. Dans un second temps, les structures urbaines
d’Istanbul s’en sont vues bouleversées. La métropole a subi une transformation urbaine,
dominée par une logique concurrentielle. Enfin, l’habitat illégal s’est développé.
11
Chapitre 1 : Naissance et développement du néolibéralisme
en Turquie
Najib Hourani s’intéresse à la néolibéralisation des villes du Moyen-Orient25. Elle
constate que ces villes ont expérimenté la prédominance du marché libre, autrement dit de
l’urbanisme néolibéral, depuis les années 1980. Le passage à l’économie néolibérale en
Turquie entre donc dans le cadre d’une tendance économique globale. Mais le contexte
politique et social de cette période aboutit à une application singulière des théories
néolibérales en Turquie, en particulier à Istanbul.
Tout d’abord, il convient de revenir sur le contexte économique et politique des
années 1960-1970 en Turquie. Ceci permettra de comprendre le tournant opéré dans les
années 1980 avec l’avènement du néolibéralisme dans ce pays. Enfin, s’est imposée en
Turquie une certaine idée des théories néolibérales, qui se retrouve dans la pratique turque du
néolibéralisme.
I.
Le contexte économique et politique des années 1960-1970
De 1960 à 1980, le panorama économique et politique de la Turquie semble
chaotique. Malgré les difficultés à surmonter, les progrès économiques des précédentes
décennies sont palpables. Cette période contient en substance les bases d’un changement en
profondeur à venir.
Préalablement, l’économie turque s’est profondément développée et modernisée.
Cependant, elle est victime d’un certain nombre de maux qui lui sont propres. Enfin
25
N. Hourani, “What is New about “Neo-Liberal” Urbanism? Middle Eastern Cities in Comparative
Perspective”, introduction à l’atelier n°13 du « Programme Méditerranéen 2011 » de l’Université
Européenne de Florence
12
l’instabilité politique chronique marque l’échec du modèle de développement étatique et
protectionniste mis en place.
A. Développement, modernisation et tertiarisation de l’économie
Les mutations de l’économie turque proviennent de l’essor de ses principaux secteurs
sous Mustafa Kemal, puis du recul de l’agriculture et de l’ancrage de l’industrie, enfin de la
tertiarisation de l’économie.
1. L'essor de l'agriculture et de l'industrie sous Mustafa Kemal Atatürk (1923-1938)
L’historien Ibrahim Tabet26 revient sur le développement économique de la Turquie
de 1923 à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Il relève les progrès réalisés par les
différents secteurs. Dans le domaine de l’agriculture, la production s’est développée en
quantité et en qualité. L’amélioration du réseau routier et ferroviaire a permis d’accroître
sensiblement les surfaces cultivées. Des progrès ont été accomplis dans les méthodes de
culture et la Banque agricole a étendu ses crédits. Ainsi l’agriculture, socle de la vie
anatolienne, s’est considérablement modernisée.
L’accroissement des moyens de transport a également eu un effet bénéfique sur le
développement de l’industrie. Le gouvernement de Mustafa Kemal a mis en place un modèle
basé sur les plans quinquennaux soviétiques. L'année 1931 marque le début de la politique
d' « étatisation », à travers la nationalisation des grandes entreprises et la construction
d'infrastructures financées par des investissements publics. En quelques années seulement, la
Turquie s’est transformée et a trouvé les moyens de rattraper son retard par rapport aux
nations modernes. Reste le problème du financement. En effet, par souci d’indépendance, le
Père des Turcs27 refuse l'entrée des capitaux étrangers. Le pays se retrouve donc en situation
d'autarcie financière, qu'un système de crédits nationaux trop peu développé est incapable de
contrebalancer.
26
27
I. Tabet, Histoire de la Turquie – De l'Altaï à l'Europe, 2007, pp. 302-305
Mustafa Kemal Atatürk est surnommé ainsi.
13
2. Le relatif recul de l'agriculture et l'ancrage de l'industrie
La Turquie a suivi un schéma basique de développement, progressant constamment
vers la tertiarisation de l'économie.
Si la part du secteur primaire dans la valeur ajoutée et l'emploi turc n'a eu de cesse de
reculer, la Turquie n'en reste pas moins un pays agricole. Ce secteur représentait 54% des
emplois en 1979 et toujours 34,5% en 200328. Pourtant, l'agriculture semble être un poids
pour l'économie du pays. La croissance annuelle de la production stagne et la balance
commerciale agricole est négative. La contribution de l'agriculture aux exportations turques
ne dépassait pas les 6% pour l'année 200029. Ainsi la vitalité économique du pays se trouve
ailleurs.
Quant au secteur industriel, il représentait 29,8% du produit national brut pour
l'année 200630. Selon les données de TUIK, l'Institut Statistique de la Turquie, la part des
industries dans la répartition sectorielle de l'emploi est passée de 6,4% pour la période 19401949 à 14,7% pour 1970-1979. Elle est ensuite restée stable, entre 15,6% pour 1980-1989 et
18,2% pour 2003. La place de l'industrie dans le PIB suit le même schéma. Après une forte
augmentation de 14,9% pour 1940-1949 à 27,1% pour 1980-1989, elle est restée autour de
25% du PIB jusqu'à 200331.
3. La tertiarisation de l'économie
Enfin, le secteur tertiaire a connu le plus fort développement depuis les années 1950.
Ce dernier contribue aujourd'hui à un peu moins des deux tiers du PIB32. De 1950 à 1959, la
part du secteur des services dans le PIB était déjà de 44,6%. Depuis, elle n'a cessé
d'augmenter. Elle était de 63,6% en 2003. En contrepartie, les services n'occupaient que
47,3% des emplois nationaux en 2003, contre 34,5% pour l'agriculture (qui a contribué cette
même année à 11,7% seulement du PIB). Il s'agit donc d'un secteur particulièrement rentable
en termes de productivité.
S.Vaner, La Turquie, 2005, p. 462
TUIK 2006.
30 Mission Économique d'Istanbul, Septembre 2007.
31 S. Vaner, 2005, p. 462
32 Le Moniteur du Commerce International (Lemoci)
28
29
14
L'économie turque s'est ainsi profondément développée et modernisée. De réels
progrès ont été accomplis, même si, comme le souligne Ibrahim Tabet 33, les performances
restent en deçà du potentiel de ce pays. Le secteur agricole continue de causer un certain
ralentissement de l'économie. L'auteur conclut à une « contre-performance » relative dans le
cas de la Turquie.
B. Les maux propres à l’économie turque
L’économie turque est victime d’un cercle infernal d’inflation, de dévaluation et de
pénurie. De plus, le populisme est à l’origine de la persistance de déficits publics élevés.
Enfin l’économie informelle représente une limite importante.
1. Le cercle infernal inflation – dévaluation – pénurie
Durant la décennie 1970-1980, les crises économiques se succèdent selon un schéma
unique. L'économiste turc Sinan Ülgen34 évoque un « cercle infernal » répétitif ayant pour
point de départ l'inflation, menant à la dévaluation de la livre turque, puis à la pénurie.
Comme le constate François Georgeon, chercheur au CNRS, les mesures de stabilisation
mises en place en 1960 et en 1970 n'ont pas été à même de rétablir la stabilité économique :
« […] à chaque fois, le cycle spéculatif s'était rétabli dès l'adoucissement des mesures de
stabilisation »35.
Certes le PNB de la Turquie indique une forte croissance, de + 6% entre 1960 et
198036. Cependant, les comptes extérieurs sont déficitaires et l'épargne reste faible. Depuis
1950, la moyenne du solde commercial extérieur est négative, à hauteur de -2,2% du PNB de
1960 à 1969 et -4,2% de 1970 à 197937.
I. Tabet, 2007
Erturgul et al., « Fonction de réaction et politique monétaire en changes fixes : une nouvelle formulation
appliquée à la Turquie ». Economie internationale, n°103, pp. 97-119, 2005
35 F. Georgeon, La Turquie au seuil de l'Europe, 1991, p. 89
36 R.-G. Maury, « La Turquie mieux connue », Annales de Géographie, t. 94, n°521. pp. 89-93, 1985
37 Institut national des statistiques
33
34 A.
15
2. Le populisme à l'origine de la persistance de déficits publics élevés
Les potentiels efforts de stabilisation sont freinés par un haut degré de populisme.
Les dynamiques socio-économiques constituent d'importantes contraintes dans l'arbitrage
entre le court et le long terme. L'électorat est de fait plus sensible aux performances de
croissance immédiate et à la réduction du chômage qu'aux objectifs de stabilité des prix et
d'équilibre extérieur. Les gouvernements sont donc incités à mettre en place des politiques
de relance par la demande, jusqu'à ce que le problème de contrainte extérieure intervienne.
Électoraliste et clientéliste, ce populisme est né de l'institution du pluralisme politique en
Turquie en 1945.
I. Tabet évoque « un secteur public hypertrophié, inefficace et très coûteux »38. Le
populisme et le clientélisme en Turquie, ajoutés à une mauvaise gestion des entreprises
publiques, ont contribué à alourdir la dette publique turque de manière considérable. A partir
de 1950, les finances publiques sont devenues déficitaires39. Durant la période 1950-1959, les
recettes du secteur public représentaient 17% du PNB, contre 17,2% pour les dépenses.
Cette tendance s'est accentuée par la suite. De 1970 à 1979, les recettes concernaient 16,2%
du PNB, et les dépenses 18,1%. Les déficits étant financés par des emprunts intérieurs, la
capacité des banques à consentir des crédits au secteur privé s'est alors réduite. Une forte
dette contribue également à faire pression sur les taux d'intérêt. Les conséquences de la dette
sur la croissance économique sont donc bien réelles dans le cas de la Turquie.
3. Le poids de l'économie informelle
Enfin, l'économie grise en Turquie échappe aux législations fiscales et fausse les
statistiques officielles. Elle s'impose comme un élément important de l'analyse économique
du pays, dans la mesure où elle représentait 30% de la force de travail au début des années
1980. Les secteurs les plus touchés sont l'agriculture et le tertiaire.
Cette dernière a une profonde incidence sur la croissance. En effet, si les entreprises
informelles bénéficient de faibles coûts de production et d'une plus grande souplesse que les
entreprises formelles, leur accès au marché des capitaux, leurs capacités d'investissement et
38 I.
Tabet, 2007, p. 332
national des statistiques
39 Institut
16
leur aptitude à coopérer avec des partenaires internationaux sont limités. En résulte une
réduction du potentiel global de croissance de l'économie turque.
Au-delà des difficultés conjoncturelles qui ont touché la plupart des économies dans
le monde dans les années 1970 (contexte de guerre froide et chocs pétroliers de 1973 et 1979
notamment), l'économie turque connaît des problèmes structurels majeurs. Après plusieurs
tentatives de stabilisation, l’État, à la fin des années 1970, se trouve dans l'impasse.
C. L’instabilité politique chronique : l’échec du modèle de
développement étatique et protectionniste
L’instabilité politique chronique en Turquie est à même de déstabiliser et de remettre
en cause le modèle économique du pays. Une fois le lien entre l’instabilité politique et
l’instabilité économique établi, nous verrons que la société turque s’est vue profondément
bouleversée par l’échec du précédent modèle économique. Cela a mené à l’ingouvernabilité.
1. Le lien entre l'instabilité politique et l'instabilité économique
Si le débat sur les conséquences de l'instabilité politique sur le plan économique reste
ouvert, le géopolitologue Semih Vaner40 évoque l'existence d'un cercle vicieux entre
l'instabilité politique et l'instabilité économique en Turquie. De la première alternance
gouvernementale, en 1950, à 2002, le pays a connu 39 gouvernements, dont 22,5 ans de
gouvernements stables (aux rythmes de croissance plus élevés que ceux des gouvernements
de coalition), 21,5 ans de gouvernements de coalition et 8,5 ans de régimes militaires. Il
existe donc une relation négative entre l'instabilité politique d'une part et la stabilité macroéconomique et la croissance d'autre part.
En revanche, les études menées entre 1950 et 2002 montrent que s'il existe un lien
significatif entre la stabilité gouvernementale et la croissance, aucun lien avec la stabilité
macro-économique41 n'est vérifié. L'instabilité macro-économique est le lot commun de tous
40 S.
41
Vaner, 2005, p.452
La définition de la stabilité macro-économique fait débat entre les différentes écoles de pensée. Mais une
synthèse des différentes positions permet de définir la stabilité macro-économique par une faible et stable
inflation à moyen et à long terme, et des écarts de production de faible ampleur.
17
les gouvernements turcs. La stabilité politique permet de réduire l'instabilité économique,
mais elle dépend fortement de l'accélération de la croissance à court terme, qui menace la
stabilité macro-économique. Seules les interruptions du régime démocratique par
l'instauration de régimes militaires (1960-1961, 1971-1973, 1980-1983) ont permis à la
Turquie de sortir de ce cercle vicieux, jusqu'au début des années 1980.
Stabilité politique
Instabilité politique
croissance
Relation positive
Relation négative
Stabilité macro-économique
Pas de relation
Relation négative
Réalisation : Marie Fonteneau
Figure 2 : tableau récapitulatif des relations entre la stabilité économique et la stabilité politique
2. Une société profondément modifiée
Les années 1960 portent en elles les germes de la crise. Il s'agit d'une période de
remise en cause des rapports de domination, ainsi que du fonctionnement de la société et du
pouvoir. Pour expliquer cela, l’économiste Sinan Ülgen met en avant la perte de prérogatives
de l'armée, l'éclatement des pôles traditionnels du système politique, les différenciations
socio-économiques et la naissance de nouveaux groupes d'intérêts.
Au début des années 1970, de nouveaux acteurs apparaissent aux marges de la société.
La classe ouvrière, la population des bidonvilles et la jeunesse estudiantine revendiquent leur
intégration dans le système politique. Ces nouvelles populations ont déboulonné les
anciennes dynasties de notables. Apparaissent de nouveaux conflits autour des ressources.
Enfin, l'expérience du pluralisme politique a rendu obsolète l'ancienne structure politique
bipolaire. Les nouvelles forces politiques sont elles-mêmes très faibles.
18
3. L'ingouvernabilité
L'ensemble de ces difficultés a rapidement mené à l'ingouvernabilité du pays. La
Turquie des années 1970 se résume à une succession de crises. Au niveau politique, les
coalitions parlementaires sont faibles et contre-nature. Concernant l'économie, sortir du
cercle infernal inflation-dévaluation-pénuries impliquerait une refonte du système en
supprimant les pratiques illégales et en appliquant une grande rigueur aux finances publiques.
La deuxième moitié de la décennie 1970 donne l'image de la « terreur ». De 1975 à
1980, le pays est proche de la guerre civile. 6000 personnes sont mortes du fait des
affrontements entre les groupes radicaux. Au niveau local et dans certains quartiers des
grandes villes comme Istanbul, la présence étatique est condamnée à disparaître. L'annonce
de la récession économique à venir mène à la grève générale de centaines de milliers
d'ouvriers. Le conflit prend fin le 12 septembre 1980, avec l'intervention brutale de l'armée.
Un nouveau régime politique se met en place. L'armée restera au pouvoir pendant trois ans.
Durant cette période, la violence est réduite par une répression féroce. Il faudra attendre
l'élection de l'ANAP42 et du gouvernement Turgut Özal en 1983 pour qu'un changement en
profondeur soit opéré.
A la fin des années 1970, la Turquie subit un important blocage institutionnel. Le
modèle de développement étatique et protectionniste mis en place par Mustafa Kemal et
perpétué par ses successeurs, a permis de jeter les bases de l'industrialisation. Cependant, ce
modèle est désormais obsolète, compte tenu des progrès accomplis et des changements
économiques, politiques et sociaux qui ont eu lieu. Les années 1980 seront donc l'objet d'un
tournant fondamental, particulièrement dans le domaine économique, avec l'avènement du
néolibéralisme en Turquie.
42 ANAP
: Anavatan Partisi (« Parti de la Mère Patrie »). Parti politique de centre-droit, de tendance libérale,
fondé en 1983 par Turgut Özal.
19
II.
Le tournant des années 1980 : l'avènement du néolibéralisme en
Turquie
Après les années de « terreur » qu'a connues le pays de 1975 à 1980, la nécessité d'un
changement radical est avérée. C'est avec le soutien du Fond Monétaire International (FMI)
et de la Banque mondiale, et dans un contexte international globalisé, que la Turquie va se
tourner vers une économie libérale, résolument ouverte sur l'extérieur.
La méthode de la « substitution aux importations » a laissé place à l’ouverture
commerciale. Cette ouverture vers l’extérieur s’est opérée dans un contexte économique
mondialisé. En résulte le recul de l’interventionnisme étatique au profit du développement
du secteur privé.
A. La fin de la « substitution aux importations » et l’ouverture
commerciale
La fin de la « substitution aux importations » provient d’une prise de conscience de
l’ouverture nécessaire de l’économie, qui se réalise concrètement à partir des décisions du 24
janvier 1980.
1. La fin de la « substitution aux importations »
Comme nous l'avons vu précédemment, pour des raisons historiques, la Turquie est
très attachée à son indépendance vis-à-vis de l'extérieur. En ce sens, elle n'a pas respecté
l'engagement qu'elle avait pris lors de son adhésion au plan Marshall 43 en 1948. Il s'agissait de
respecter le principe de spécialisation des avantages comparatifs. La Turquie devait devenir
un pays exportateur de matières premières et de produits agroalimentaires et importateur de
produits manufacturés.
43
La plan Marshall est un plan américain destiné à aider la reconstruction européenne après la Seconde
Guerre mondiale.
20
Les gouvernements successifs ont choisi le principe de substitution aux importations,
à savoir une économie close et protectionniste, dans un souci d'autosuffisance. Cette
stratégie a mené l'économie dans une impasse. En effet, le développement de l'industrie
nécessitait l'importation massive d'inputs à destination des industries locales. La croissance
rapide des importations cumulée à la faiblesse des exportations a très vite mené à la
dégradation du déficit commercial (non compensé par un afflux de capitaux extérieurs
limité). En découle une situation de pénuries, devenue insupportable en 1979.
A la fin des années 1970, l'économie turque connaît une sévère crise de sa dette
extérieure.
2. La nécessaire ouverture de l'économie
Dans ces conditions, l'ouverture de l'économie était devenue une nécessité. La
Turquie était dans l'incapacité d'assurer le financement des importations de première
nécessité. Qualifiée de « vache maigre » par les milieux financiers internationaux, sa
crédibilité était très faible. De plus, au début des années 1980, l'économie turque connaît une
hyperinflation de plus de 100%. Elle a été l'une des économies les plus frappées par les deux
chocs pétroliers des années 1970.
Aucune solution ne pouvait être trouvée à l'échelle exclusivement nationale. Il
s'agissait non seulement de trouver de nouveaux crédits pour le financement des
importations de biens d'équipement et de matières premières, mais également de
rééchelonner le paiement de la dette extérieure. Le FMI donna son accord pour ce dernier
point. Pour le reste, des réformes en profondeur ont été appliquées.
3. Les décisions du 24 janvier 1980
Préparées en collaboration avec le FMI et la Banque mondiale, les « précautions de
stabilité du 24 janvier 1980 » ont pour but de restaurer les mécanismes du marché, d'intégrer
l'économie turque à l'économie mondiale et d'assurer la paix sociale. La politique de
promotion des exportations repose alors sur trois piliers :
-
le passage des taux de changes fixes aux taux de changes flexibles ;
-
la libéralisation des importations par l'abaissement des droits de douane ;
21
-
des mesures d'encouragement des exportations, par l'octroi de crédits et de
subventions notamment.
Ahmet Şahinöz résume les résultats de ces réformes de façon très positive dans un
premier temps : « Les exportations turques en valeur ont augmenté de plus de 60% de 1980 à
1981, pour dépasser 2,9 milliards de dollars. Cette expansion a été réalisée dans un contexte
de stagnation du commerce mondial, ce qui accroît encore l'importance de cet effort »44.
L'ouverture commerciale de l'économie turque a été accompagnée du développement du
secteur privé.
B. L’ouverture vers l’extérieur dans un contexte économique
mondialisé
La Turquie entre dans le processus de mondialisation par son rapprochement
préalable avec l’Occident. Cette ouverture vers l’extérieur est influencée par le contexte
international.
1. Le préalable rapprochement de la Turquie avec l'Occident
L’ouverture économique et politique de la Turquie est antérieure au bouleversement
idéologique et structurel que nous avons évoqué jusqu’ici. En effet, comme le souligne
l’historien et politologue Hamit Bozarslan45, le rapprochement de la Turquie avec l’Occident
date de la fin des années 1950, avec son intégration au plan Marshall en 1948 et son adhésion
au Conseil de l’Europe en 1949 notamment. Le gouvernement démocrate de l’époque est
admirateur du « modèle américain » et la Turquie représente une pièce maîtresse des
dispositifs occidentaux et américains au Moyen-Orient.
Dans le domaine économique, la Turquie est devenue membre de la Banque
Mondiale, du FMI et de l’OCDE dès leur création. Des crédits directs ou indirects lui sont
généreusement accordés par ces différents organismes. Ceci, ajouté aux capitaux étrangers en
direction de la Turquie, est à l’origine de la vitalité économique du pays.
44 A.
45
Şahinöz, « D'une crise à l'autre en Turquie », Revue tiers monde, vol.32, n°125, 1991
H. Bozarslan, Histoire de la Turquie contemporaine, 2007
22
2. L'influence du contexte international
Pour l’économiste Deniz Akagül46, la Turquie dispose d'une marge de manœuvre
limitée en termes de politique économique. En effet, elle doit avant tout s'adapter au
contexte international. La stratégie de repli choisie à partir des années 1930 n'était pas
seulement le reflet d'une volonté d'indépendance et d'enjeux nationalistes suite à la guerre
d'indépendance contre la Grèce de 1919 à 1922.
La crise économique de 1929, puis la seconde guerre mondiale, ont largement amputé
la demande des pays industrialisés. Ainsi le protectionnisme était de rigueur pour la Turquie,
comme pour la majorité des pays en développement. Ensuite, l'aide du FMI et de la Banque
mondiale étant conditionnée par l'adoption de réformes libérales, le tournant des années
1980 vers le néolibéralisme était avant tout une chance à saisir pour la Turquie. L'ouverture
commerciale de l'économie turque s’est accompagnée du développement du secteur privé.
C. Le recul du l’interventionnisme étatique au profit du
développement du secteur privé
Le recul de l’interventionnisme étatique est amorcé par le gouvernement de Turgut
Özal, qui ouvre une période de privatisations. Les petites et moyennes entreprises (PME)
s’imposent comme le piller du développement du secteur privé. Cependant, l’Etat reste très
présent dans l’économie.
1. Le gouvernement de Turgut Özal et les privatisations
En 1983, le parti ANAP prend le pouvoir. Son fondateur, Turgut Özal, devient
Premier ministre et lance un programme économique libéral. Il opère une transformation
structurelle de l'économie turque, qui marque la fin du modèle structuraliste, auquel se
substitue un modèle d'inspiration néo-classique s'appuyant sur les forces du marché47.
46 D.
Akagül, « Du syndrome des capitulations à la conquête des marchés extérieurs – évolution de la politique
commerciale de la Turquie depuis le XIX° siècle », Colloque international – Enjeux économiques, sociaux
et environnementaux de la libéralisation commerciale des pays du Maghreb et de Proche-Orient, 19-20
octobre 2007, Rabat-Maroc.
47 S. Vaner, D. Akagül, B. Kaleagasi, La Turquie en mouvement, 1995
23
En arrivant au pouvoir, T. Özal lance le débat sur les privatisations. La loi no. 298348
du 29 février 1984 est la première législation turque à inclure des dispositions sur la
privatisation. Le démarrage effectif du programme a lieu en 1985. Les objectifs et les
principes sont définis en 14 points et répondent à trois objectifs :
-
l'amélioration de l'efficacité économique ;
-
l'augmentation des revenus budgétaires ;
-
le développement du marché des capitaux.
Les résultats sont d'abord très modestes, malgré les propos de T. Özal en 1988 :
« Nous avons rendu possible l'action du secteur privé et des hommes entreprenants. Nous
avons entamé une politique de privatisation »49. Pour Ufuk Söylemez, directeur de l'Office
pour la Privatisation, « la privatisation n'a pas avancé d'un pouce »50 en 1995.
2. Les PME comme pilier du développement du secteur privé
Selon I. Tabet, le principal atout du secteur privé turc réside dans la vitalité de ses
petites et moyennes entreprises. Certes, de grandes entreprises et de puissants holdings
privés (Koç, Sabanci...) sont présents dans des secteurs d'activité diversifiés. Mais les
entreprises de moins de 250 salariés représentent 30% de la production industrielle et 60%
de l'emploi du secteur industriel dans les années 198051. La Turquie dispose donc d'une
économie de production diversifiée. Le secteur privé apporte 80% de la valeur ajoutée.
3. Le poids persistant de l’État dans l'économie
Malgré le développement du secteur privé et la libéralisation opérée par le
gouvernement Özal, le poids de l’État se fait toujours sentir dans les industries de base et
dans le secteur bancaire. Les finances publiques restent déficitaires entre 1980 et 2003 et la
dette publique ne cesse d'augmenter. A cela s'ajoute le poids économique de l'armée dans
divers secteurs tels que la banque, le tourisme, l'alimentation...
48 JO
du 17 mars 1984 no. 18344
Géopolitique, « La vocation européenne de la Turquie », Geopolitique, n°24, hiver 1988-89, pp. 6-10
50 M. Bazin, S. Kançal, R. Perez, J.Thobie, La Turquie entre trois mondes, 1998.
51 I. Tabet, 2007
49
24
L’État refuse d'engager des réformes fiscales pour l'assainissement des finances
publiques. Il semble être dans l'incapacité d'arbitrer entre le clientélisme et les demandes
concurrentes de fonds publics. De plus, les banques publiques sont utilisées comme
substituts au budget de l’Etat. Cette instrumentalisation des banques dans le cadre des
politiques populistes sera l'une des causes de la crise du système financier de 2001.
Les années 1980 constituent un réel bouleversement dans l'histoire économique de la
Turquie, à travers le passage d'une économie protectionniste et étatisée à une conception
profondément libérale. De 1980 à 1989, la principale évolution concerne l'ouverture
commerciale et la promotion de l'économie de l'offre. A partir de 1989, la Turquie passe au
néolibéralisme avec l'ouverture financière de l'économie.
III.
La pratique turque du néolibéralisme
Si la mise en place de politiques économiques néolibérales entre dans une logique
globale d'ouverture financière à l'échelle mondiale, elle correspond surtout, dans le cas de la
Turquie, à une solution nécessaire à l'endiguement de crises à répétition qui ont frappé
l'économie du pays de 1985 à 2001.
Malgré les mesures libérales prises au début des années 1980, qui ont permis un
certain redressement du système économique turc, ce dernier reste fragile. Ainsi s'explique le
tournant néolibéral définitif de 2001, qui a posé les bases de l'économie turque telle que
nous la connaissons aujourd'hui.
25
A. Un système économique fragile
La fragilité du système économique se retrouve dans sa volatilité. L’Etat a sa part de
responsabilité dans ce phénomène. De nombreuses crises se succèdent.
1. Une économie volatile
De 1990 à 2005, l'économie turque connaît une croissance en dents de scie (figure 3),
avec des taux de croissance records et de profondes crises, comme le montrent les
graphiques suivants. Semih Vaner52 énumère les maux chroniques qui freinent l'essor de
l'économie turque. Ces difficultés sont constantes depuis les années 1960. Tout d'abord, des
taux d'inflation élevés et chroniques sont à l'origine de l'instabilité macro-économique (figure
4). De 1982 à 2002, on observe une hausse annuelle moyenne des prix de 63%, avec un
plafond en 1994 à 125% d'inflation53. De plus, le chômage tourne autour de 15% depuis le
début des années 1990. Ensuite l'économie grise perturbe toujours le fonctionnement du
marché du travail et contribue à la précarisation des emplois. Enfin, la dette publique reste
insoutenable.
Figure 3 : Croissance du PIB par habitant (2000 USD-PPA)
52 S.
53 A.
Vaner, 2005
Artugrul et al., Economie internationale, 2005
26
Figure 4 : Inflation (variation en % de l'IPC moyenne annuelle)
Les politiques monétaires restrictives mises en œuvre depuis 1994 sont un échec, car
la politique budgétaire n'est pas crédible. Les dérapages budgétaires sont à l'origine
d'anticipations inflationnistes, qui ont causé la fuite devant la livre turque ainsi qu'une
dépréciation brutale. Le marché des changes s'est alors retrouvé dans une situation d'extrême
fragilité. Les périodes de surévaluation de la livre sont interrompues par de brutales
dépréciations. Le système d'ancrage nominal du taux de change, clé de voûte du programme
de stabilisation de 1999 mis en place sous l'égide du FMI, n'a pas résisté aux anticipations
inflationnistes
2. La responsabilité de l’État
En sus du manque de crédibilité des politiques budgétaires, la dette publique reste
insoutenable. Les intérêts sont exorbitants. Ainsi les finances publiques sont entrées dans un
cercle vicieux d'endettement. A partir de la crise de 1994, un effet « boule de neige » apparaît.
La dette s'accroît par les seuls paiements d'intérêts. De 1990 à 2001, la charge d'intérêt est
passée de 3,6% à 23,3% du PNB. Le montant du paiement des intérêts est devenu supérieur
aux dépenses courantes ajoutées à l'investissement public. Les intérêts représentent
l'intégralité des recettes fiscales en 2001. Ceci s'explique d'une part par les déficits primaires
liés aux politiques populistes de la fin des années 1980 et du début des années 1990. D'autre
part, l'action des pouvoirs publics manque de cohérence, particulièrement vis-à-vis de la
gestion macroéconomique. Les marchés financiers, qui ont vu leur rôle augmenter sous
l'effet des politiques néolibérales, sont entrés en concurrence avec les politiques budgétaires.
27
Les réformes fiscales mises en place afin d'assainir les finances publiques n'ont, de ce fait,
pas eu les effets escomptés.
L’État est donc le principal agent de l'instabilité croissante de l'économie turque
depuis les années 1980. Certes, dans les années 1990, le système politique, pointé du doigt du
fait des précédentes difficultés économiques rencontrées par la Turquie, a réalisé de réels
progrès. Ce dernier a acquis une certaine maturité qui lui permet désormais de résister aux
crises économiques profondes. Mais il faudra attendre les réformes de 2001 pour qu'un réel
changement soit opéré dans la gestion publique.
3. Des crises à répétitions
L'objectif économique est au cœur du problème. Au lieu de rechercher une croissance
stable et permanente, les différents gouvernements privilégient la maximisation des
distributions des rentes dans un contexte clientéliste et de corruption. Ce système s'est
maintenu très longtemps en Turquie. S. Ülgen avance l'argument du dynamisme inhérent au
pays pour expliquer l'absence de mécontentement sur le long terme.
Pourtant, de 1983 à 2001, la Turquie connaît un très grand nombre de crises
économiques. Celle de 1994, la plus largement citée dans les études sur le sujet, est due à
l'incertitude accrue suite au changement de stratégie d'endettement.
Le FMI est intervenu de nombreuses fois, à travers des accords de Stand-by (1994,
1995) notamment, en échange de promesses de l’État de garantir les dépôts bancaires afin de
calmer les paniques bancaires. En 1998, est signé le Staff Monitored Program entre le FMI et la
Turquie. Il ne connaîtra pas les performances attendues, du fait des incertitudes politiques et
des crises asiatique et russe. Enfin en 1999, le FMI met en place le Programme de
Stabilisation pour le Change (PSC) et une Agence de Régulation et de Supervision Bancaire
est créée. Mais seul le programme de rigueur de 2001 sera à même de réaliser de réelles
avancées dans les domaines économique et financier.
28
B. Le tournant néolibéral de 2001
Un nécessaire changement économique a mené à un programme de réformes, dont
nous verrons les résultats.
1. Des réformes nécessaires
En février 2001, un désaccord entre le Président Ahmet Necdet Sezer et le Premier
ministre Bülent Ecevit met à jour les difficultés économiques rencontrées par le pays (figure
5). Une crise financière et une profonde récession ont précédé une crise économique de
grande ampleur, avec une contraction de l'économie de 9,4% en un an. L'opinion publique
prend conscience de la crise de gouvernance. De violentes manifestations politiques et
sociales ont lieu.
Figure 5 : Principaux indicateurs macroéconomiques
29
« La banqueroute de l'État semblait inévitable. Puis survinrent les événements du 11
septembre et le démarrage de la campagne "justice immuable" 54 contre le "terrorisme
international". Le monde occidental se précipita au chevet d'Ankara 55. Sur l'impulsion des
États-Unis, le Fonds monétaire international a octroyé à la Turquie un total de 25 milliards
de dollars de prêts (...) »56
Le prêt du FMI ne représente qu'une partie du programme mis en place pour le
redressement économique et financier de la Turquie. Sous l'égide de cette même Institution
ainsi que de la Banque mondiale, le pays s'est tourné vers un système néolibéral.
2. Le programme de réformes
Le FMI et la Banque mondiale conditionnent l'octroi de leurs prêts à la mise en place
par les États demandeurs de politiques inspirées des principes néolibéraux. Les plans
d'Ajustement structurel négociés consistent en la promotion des mécanismes du marché. Les
pays doivent s'accorder au « consensus de Washington ». Il s'agit notamment de l'ouverture
aux capitaux étrangers et au commerce international, à la libéralisation du marché du travail
et à la réduction du poids de l’État.
En ce qui concerne la Turquie, les principaux objectifs du programme consistaient à
réinstaurer la confiance sur les marchés afin de limiter les dégâts immédiats, à mettre en place
un nouveau cadre de gouvernance économique, à opérer la dérégulation et la libéralisation de
plusieurs secteurs de l'activité économique, et à instituer une réelle discipline fiscale.
En juin 2001, le nouveau programme de réformes économiques et institutionnelles,
préparé en collaboration avec le FMI, entre en vigueur. L'économiste et homme politique
turc Kemal Derviş (Ministre de l'économie en 2001) en est le principal instigateur, après
avoir démissionné de son poste à la Banque mondiale pour venir au secours de l'économie
turque. Afin de retrouver la confiance des marchés, des organes indépendants de régulation
des marchés et de surveillance de la concurrence sont créés. De plus, une loi consacre
La campagne « Justice immuable » renvoie à l’opération Enduring Freedom (liberté immuable), c’est-à-dire
l’opération officielle du gouvernement américain pendant la guerre d’Afghanistan en 2001. Le nom
d’origine de l’opération était « Operation Infinite Justice » (« Justice sans limites ») mais cette dénomination
a été abandonnée pour éviter d’offenser les Musulmans.
55 La Turquie occupe une position stratégique dans le cadre de la guerre en Afghanistan
56 Amnistia, « Enquête interdite n°9 », décembre 2001
54
30
l'indépendance de la banque centrale turque. En vue d'affaiblir le rôle de l’État et de laisser
plus de place aux marchés, le système de prix de soutien au secteur agricole est supprimé, le
secteur de l'énergie déréglementé et le cadre juridique des opérations de privatisation
amélioré. Enfin, parmi les mesures les plus importantes, on peut noter la mise en place d'un
plan de réforme du secteur public.
3. Les résultats
Les premiers résultats de ces réformes sont encourageants. S. Ülgen affirmait en
2005 : « La Turquie était passée en l'espace de trois ans d'une économie fragile et volatile au
statut d'élève « star » du FMI »57. Selon lui, la Turquie serait devenue un point de référence
pour les institutions de Bretton Woods58.
De 2001 à 2004, la croissance cumulative est de 24%, avec une croissance à 8% en
2002, 6% en 2003 et 10% en 2004. La discipline budgétaire s'est améliorée et les pressions
inflationnistes ont diminué. La Banque centrale a fortement gagné en indépendance. Enfin
l’État a changé de rôle. Il est devenu le garant des conditions indispensables à une économie
de marché.
Ces réformes sont accompagnées en 2002 d'un accord de Stand-by avec le FMI pour
trois ans, consistant en l'abandon des subventions au profit des mécanismes du marché, et en
la poursuite des privatisations. L'Union européenne a quant à elle eu un rôle d'ancrage pour
l'économie turque, afin de consolider les réformes de 2001 et d'ouvrir la voie à un
développement soutenu et durable de l'économie. L'Union européenne est un point de
repère à moyen et long terme, qui doit remplacer le FMI.
L'économie turque a donc opéré un important virage néolibéral à travers les réformes
de 2001. Ces dernières ont conditionné l'économie turque telle que nous la connaissons
aujourd'hui.
S. Ülgen, « La transformation économique de la Turquie : une nouvelle ère de gouvernance ? », Pouvoirs,
n°115, 2005, p.91
58 Les institutions de Bretton Woods sont créées lors de la signature des accords de Bretton Woods en 1944. Il
s’agit de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI). L’Organisation mondiale du
commerce (OMC) s’y ajoute en 1995.
57
31
C. L'économie turque aujourd'hui
L’économie turque aujourd’hui voit coexister le moderne et le traditionnel. Il faut
néanmoins faire le constat des forces dont dispose le système bancaire. Finalement, l’Etat
patrimonial est enterré, au profit d’une société plus individualiste.
1. La coexistence du moderne et du traditionnel
Comme nous l’avons démontré, l’économie turque a subi un certain nombre de
bouleversements majeurs durant la seconde moitié du vingtième siècle. Elle s’est adaptée aux
changements globaux, et s’est considérablement modernisée. Cependant, à l’heure actuelle,
on constate toujours la coexistence d’éléments modernes et de formes traditionnelles. Tout
d’abord, le pays connaît de fortes disparités. Le développement régional est inégal, entre
l’ouest très développé et l’est stagnant. Les différences de développement entre les secteurs
économiques sont toujours une réalité, avec la prépondérance en termes d’emploi d’un
secteur agricole qui contribue peu au revenu national. Tandis que le reste de l’économie
(l’industrie et les services) offre de bons résultats comparativement.
Sans parler de blocage, un certain nombre de défis s’imposent à la Turquie afin qu’elle
entre totalement dans la modernité. Dans le domaine de l’éducation, l’investissement en
ressources humaines reste insuffisant. De plus, le stock et les flux d’investissements directs
étrangers (IDE) s’avèrent disproportionnés par rapport à la taille de l’économie. Ceci
explique les différences de développement est-ouest. Dans les années 1980 et 1990, la
Turquie a perdu la course aux IDE. De meilleures performances sont donc attendues à ce
niveau.
2. Les forces du système bancaire turc
Les réformes de 2001-2002 ont contribué à remodeler le système bancaire. Une
vingtaine de banques non viables ont été placées sous la tutelle du fonds de garantie de
l’épargne. De plus, la réglementation du secteur s’est alignée sur les normes internationales.
Selon le rapport de l’Agence turque de régulation et de supervision des banques de juin
2009, « Le secteur bancaire turc s'avère très fructueux : son bénéfice a augmenté de 33 pour
32
cent pour atteindre 11 milliards de livres turques au deuxième trimestre de cette année. Le
bénéfice net du secteur a atteint 11 milliards de livres turques »59. Si ces chiffres sont très
acceptables, ils restent tout de même inférieurs à ceux d'autres pays émergents tel que le
Brésil. Les plus grandes banques turques pèsent l'équivalent de 17 milliards d'euros, contre
environ 54,4 milliards pour la banque brésilienne Banco Badesco. Ce même rapport indique
que les banques ont accru leurs placements en titre en 2009, conformément à la tendance
observée depuis 2002. Le secteur bancaire dispose d'une solide structure de capitaux
propres, à hauteur de 98 milliards de livres turques.
Selon Astrick Fredericksen, « Le système bancaire turc est sain » et semble s'imposer
comme un pilier de la stabilité économique. La croissance en volume du PIB était de 6,16%
en 2005, 5,27% en 2006, 9,36% en 2007 et 8,40% en 2008 60. La tendance semble se
confirmer, puisque la croissance du pays était de 11% au premier trimestre de 2011, bien
que, comme le précise l'économiste Ahmet Insel, la crise économique européenne risque
d'avoir un impact négatif sur l'économie turque.
3. L'Etat patrimonial enterré, une société plus individualiste
Au-delà des données purement économiques, le bouleversement économique et social
se traduit par une transformation radicale des réseaux d'appartenance (hemşerlik). La
concordance de la démocratisation et de l'émergence de la représentativité avec l'économie
de marché et la mondialisation, a eu pour effet, en Turquie comme dans de nombreux pays
occidentaux puis orientaux, de mener à l'individuation de la société. Ali Kazancığıl explique
qu’un lien social contractuel61 a remplacé le traditionnel lien communautaire.
Les structures et valeurs communautaires sont en recul, du fait notamment de la
moindre force du nationalisme et du populisme aujourd'hui, par rapport à l'ère Atatürk. Les
réseaux d'appartenance s'adaptent. Mais certains acteurs sont marginalisés, au premier rang
desquels la classe ouvrière et la population des bidonvilles. A l'opposé se trouve une nouvelle
élite, une couche moderne qui porte l'économie. Elle connaît les codes de la concurrence et
59Selon
60
61
le rapport trimestriel des marchés financiers « juin 2009 », publié par l'Agence turque de régulation et
de supervision des banques (BDDK)
Le Nouvel Observateur, « Atlas économique », mis à jour au 01/01/2011
Ali Kazanciğil, « Processus d'individuation en Turquie », synthèse de l’introduction de A. Kazancığıl au
CEMOTI, n°26, 1998
33
du mérite, et méprise les traditions communautaires, tout en resserrant ses liens autour de
l'institution familiale, qui reste un facteur de stabilité.
En somme, la fin de l’Etat patrimonial fait échos à la mise en place du modèle de
l’Etat optimal, théorisé sous la forme de propositions pour la restructuration et la
minimisation de l’économie publique par Coşkun Can Aktan62 (annexe 1).
En l'espace d'une cinquantaine d'années, la Turquie a opéré un virage néolibéral
incontestable, qui lui a permis de sortir des crises à répétition et de mettre en place un
système soutenable et ayant un certain poids à l'échelle mondiale. « La Turquie s'impose
désormais sur la scène internationale comme une économie émergente d'une grande vitalité,
membre du G20 et classée 15ème économie mondiale »63
Ce passage de l'économie turque à un modèle résolument néolibéral, tant en idées
qu'en pratique, a eu de fortes répercussions sur la société turque dans son ensemble, ainsi
que sur le domaine de l'urbain. Les conséquences de l'économie néolibérale sont
particulièrement visibles à travers la transformation des structures urbaines.
C. C. Aktan, 21.Yüzyıl İçin Yeni Bir Devlet Modeline Doğru Optimal Devlet, Kamu Ekonomisinin ve Yönetiminin
Yeniden Yapılanması ve Küçültülmesine Yönelik Öneriler, 1995, p.149
63 L.-M. Bureau, L. Değer, S. Rumel, « Turquie – Afrique du Sud : reflet de la nouvelle coopération SudSud ? » IRIS, 2011
62
34
Chapitre 2 : La transformation des structures urbaines
La question de l’économie urbaine désigne les interactions entre territoire urbain et
économie. Selon certaines modalités, le territoire urbain, en tant qu’espace physique et objet
de représentations, détermine l’économie urbaine. A l’inverse, et dans la perspective
développée ici, l’économie urbaine, comprenant les activités dans toute leur diversité,
contribue à (re)produire et façonner le territoire.
Le lien entre économie néolibérale et territoire urbain réside dans le dynamisme d’un
espace sujet au renouvellement, de ce fait favorisé par le capitalisme. Les villes ont acquis un
rôle économique important, en tant que pôle d’accumulation de richesse, pôle de
transformation des biens de toutes sortes, pôle d’échange et d’innovation. Dans ce contexte,
l’urbain est devenu l’un des principaux terrains de jeu de l’économie néolibérale. Cette
dernière est en partie responsable de l’accélération de l’urbanisation, puis de la
« transformation urbaine », également appelée « régénération ». Par exemple, les capitaux
internationaux influencent le développement et la croissance des métropoles.
L’urbanisation en Turquie a toujours été l’objet d’un conflit entre l’espace et le capital.
Elle se divise en quatre périodes. La première renvoie à l’époque du parti unique (19231945), dominée par une forte volonté d’occidentalisation de la Turquie. Il s’agit de
moderniser et d’urbaniser le pays de façon forcée. Dans un second temps, de 1945 au début
des années 1980, apparaissent les habitations auto-construites, appelées gecekondu64,
parallèlement à la mécanisation de l’agriculture et à une migration intensive vers les villes.
Ensuite vient la période de la hausse des taux des habitations informelles et de
l’ « immeublisation » des gecekondu, dans les années 1980 et 1990. Enfin la quatrième
période, toujours en cours, sera l’objet de ce chapitre. C’est le temps de la transformation
urbaine.
L’économie néolibérale a eu un impact notable sur la transformation urbaine à
Istanbul. Cette influence s’incarne principalement dans le développement d’une logique
concurrentielle. La suburbanisation et l’exclusion en sont les conséquences directes.
64
La deuxième partie de cette étude sera l’objet d’une définition précise du gecekondu.
35
I.
La transformation urbaine à Istanbul
La transformation urbaine désigne un processus englobant toutes sortes
d’interventions mises en œuvre par l’autorité publique, ou encore l’ensemble des
changements réalisés spontanément dans les zones urbaines. Cette transformation comprend
les changements économiques, sociaux et spatiaux des zones urbanisées. La plupart des
grandes villes du monde sont touchées, de la régénération des Docklands de Londres à la
création d’Al-Abdali (un nouveau centre urbain à Amman), en passant par la transformation
du quartier de la Goutte d’ Or à Paris. Les métropoles qui n’opèrent pas de transformation
urbaine semblent connaître certaines difficultés à s’intégrer dans le système global des villes.
Depuis le début des années 2000, la transformation urbaine a été utilisée en Turquie
comme une nouvelle stratégie d’urbanisation. Istanbul est la ville la plus touchée par ce
processus. Dans le contexte stambouliote, la transformation urbaine répond à un certain
nombre de causes. Elle s’articule autour de plusieurs axes. Enfin l’autorité publique joue un
rôle dans cette transformation.
A. L’origine et les causes de la transformation urbaine
La transformation urbaine est issue d’un désir d’attractivité lié à la ville d’Istanbul.
L’origine de cette transformation se trouve également dans les dangers que représente un
haut risque sismique. Il s’agit en outre de préserver un héritage historique.
1. Un désir d’attractivité
Istanbul s’impose sans aucun doute comme le pôle majeur d’attraction
démographique et économique de la Turquie.
En 1997, Stéphane Yerasimos montrait déjà l’incapacité des pouvoirs publics comme
des milieux universitaires à définir le nombre d’habitants que comptait Istanbul65. Ceci
s’explique par la difficulté à déterminer les limites géographiques de cette métropole d’une
65
S. Yerasimos, « Istanbul, Métropole Inconnue », CEMOTI, n°24, 1997
36
part. D’autre part, elle est traversée par un nombre croissant de flux, qui empêchent tout
calcul exact de sa population. Selon l’Institut des Statistiques de la Turquie, en 2008, 17,8%
de la population du pays vivait à Istanbul66. Ceci représentait 12.697.164 personnes, soit
environ six fois le volume de la population parisienne. Ainsi Istanbul se place au 17ème rang
des villes les plus peuplées du monde67. L’OCDE évoque quant à elle le chiffre de 15
millions d’habitants en 200868 à Istanbul, qui prend ainsi le 8ème rang en termes de
population parmi les 78 régions métropolitaines de l’OCDE, et la première place pour ce qui
est de l’accroissement démographique depuis le milieu des années 1990.
La métropole stambouliote s’impose comme le centre névralgique du commerce
intérieur et extérieur de la Turquie. Le commerce y est le secteur le plus important après celui
de l’industrie. Istanbul fournit 27% de la valeur ajoutée du secteur du commerce sur
l’ensemble de la Turquie69. L’importation en direction d’Istanbul représente 40% des
importations du pays. Le chiffre s’élève à 46% pour les exportations.
De plus, le tourisme de congrès s’ajoute au fort potentiel touristique de la ville. Outre
les innombrables monuments historiques à renommée mondiale (la basilique Sainte Sophie,
la mosquée de Sultanahmet, la tour de Galata…), 34% des 2.400.000 œuvres présentes dans
les 153 musées que compte la Turquie sont exposées à Istanbul. Enfin depuis l’ouverture des
négociations en 2006, la transformation urbaine n’a cessé de s’accélérer en vue de la
nomination d’Istanbul en tant que « Capitale européenne de la culture en 2010 ». Ce
processus a perduré par la suite.
Le désir d’attractivité est donc l’une des principales causes de la transformation
urbaine à Istanbul.
2. Une zone à haut risque sismique
Le tremblement de terre de 1999, qui a fait 17.480 morts, 23.781 blessés et des
centaines de milliers de sans-abris, a accéléré le processus de transformation urbaine. Ce fût
l’occasion d’une prise de conscience à la fois des dangers et du potentiel financier d’une telle
Turkstat (TÜİK), Turkish Statistical Institute, Prime Ministry, Republic of Turkey, n°14, 26.01.2009.
Classement effectué par le site www.populationdata.net.
68 OCDE, « Examens territoriaux de l’OCDE : Istanbul, Turquie », Synthèses, mai 2008.
69 Site internet de la municipalité du Grand Istanbul, www.ibb.gov.tr.
66
67
37
transformation. Le marché immobilier recherche des terrains au sol stable pour la
construction d’ensembles résidentiels.
La Grande Municipalité d’Istanbul a obtenu le droit de reconstruire toutes les
habitations informelles. Cependant, seuls les quartiers à forte valeur ajoutée ont été
réhabilités, au premier rang desquels se situent ceux disposant d’une vue sur la mer ou sur le
Bosphore, ou à proximité des forêts et des espaces verts. Dans le même temps, les
conditions de vie des gecekondu sont restées précaires. Le procédé de gentrification 70
(phénomène urbain d’embourgeoisement) se met alors en marche.
3. La préservation de l’héritage historique
Comme l’explique la chercheuse Nicole Girard71, la sauvegarde de l’héritage
historique d’Istanbul répond à des enjeux essentiels en termes « d’identité ». Tandis qu’à
Naples, la stratégie consiste à construire de nouvelles centralités dans le cadre d’une
réinterprétation d’espaces publics historiques, à Istanbul, la protection des monuments et des
vestiges emblématiques est l’axe privilégié par les pouvoirs publics. En effet, de nombreuses
opérations de restauration sont mises en chantier dans différents quartiers de la ville. Ainsi,
un projet en coopération avec l’UNESCO a permis la rénovation des murailles byzantines de
la ville.
Cette mobilisation patrimoniale a un caractère éminemment politique. Dans le cas
d’Istanbul, l’idée poursuivie vise à l’exaltation d’un « modèle » national. En amont, une
certaine lecture de l’histoire est à l’origine d’une réinterprétation du passé. Dans cette
perspective, les risques liés à la réécriture ne sont pas toujours pris en compte. Les
conséquences sur le domaine de l’urbain peuvent être considérables, en particulier sur le
secteur de l’habitat.
70
71
Le terme sera défini ultérieurement
Nicole Girard, « Patrimoine et politiques urbaines en Méditerranée », Rives méditerranéennes, n°16, 2003
38
B. Les grands axes de la transformation urbaine à Istanbul depuis
les années 1990
Hatice Kurtuluş72 divise le processus de transformation urbaine à Istanbul en trois
phases. Tout d’abord, le XIXème siècle marque l’apparition de l’Etat-nation et du processus
de modernisation du pays. Ensuite, la fin de la Seconde Guerre mondiale a vu l’avènement
de l’urbanisation spéciale et spontanée. Enfin, des changements socio-économiques et
spatiaux très rapides débutent à partir des années 1980.
Les orientations de la planification municipale depuis les années 1990, à travers les
projets et les tendances d’aménagement urbain à Istanbul, sont autant de preuves de la
transformation urbaine toujours en cours. En outre un certain nombre de centres
secondaires se sont constitués. Les opérateurs immobiliers sont devenus les artisans de la
reconstruction des zones urbaines.
1. Les grands projets
La ville d’Istanbul est depuis une vingtaine d’années le théâtre de projets parfois
qualifiés de pharaoniques.
Marmaray est un projet de voie ferrée reliant les parties européenne et asiatique
d’Istanbul à travers le Bosphore. Cela implique la construction d’un tunnel, immergé par 60
mètres de fond. Ce serait le métro le plus profond du monde construit selon cette méthode.
La mise en service est prévue pour 2013. Mais le projet a actuellement deux ans de retard, dû
en grande partie aux découvertes archéologiques sur le site du terminal européen en 2005. Le
coût total de la réalisation devrait être de 2,5 milliards d’euros.
L’aéroport international Sabiah Gökçen est le deuxième aéroport d’Istanbul après
l’aéroport Atatürk. Situé sur la rive asiatique, il a été construit et inauguré en 2003. En 2007,
le trafic s’y élevait à quatre millions de passagers. En 2008, l’aéroport a été l’objet de travaux,
visant à porter sa capacité à 25 millions de voyageurs par an. Cet aéroport est en
développement le plus rapide d’Europe.
72
H.Kurtulus, Istanbul’da Kentsel Ayrışma, 2005.
39
En sus de ces deux réalisations, Istanbul a vu la construction du circuit de Formule 1
Istanbul Park, ainsi que d’immenses centres commerciaux, dont le plus grand d’Europe
(Cevahir Istanbul). Plus récemment, en avril 2011, Le Premier ministre Recep Tayyip
Erdoğan a annoncé ce qu’il qualifie lui-même de « projet fou », à savoir la construction d’un
canal, en plus du Bosphore.
2. La formation des centres secondaires
Gülçin Erdi Lelandais73, docteure en sociologie, met en exergue la création de centres
secondaires, dans le but de remédier aux forts embouteillages qui engorgent la ville. L’un se
situerait à l’est de la ville (Kartal), et l’autre à l’ouest. La conséquence majeure d’un tel projet
réside dans le risque d’un étalement urbain exacerbé. Le centre historique a vocation à
devenir une véritable ville-musée, destinée au tourisme. Aujourd’hui encore, le quartier de
Taksim, certes très touristique, abrite un grand nombre d’immeubles de bureaux.
Dans les années à venir, un second centre financier devrait voir le jour sur la partie
asiatique de la ville. Ce projet répond à un double objectif de désengorger l’actuel quartier
des finances de Levent-Maslak et de faire d’Istanbul un centre financier à l’échelle
internationale.
3. La reconstruction des zones urbaines par les promoteurs immobiliers
G. E. Lelandais évoque également le rôle des promoteurs immobiliers dans la
transformation des zones urbaines. De nombreuses gated communities, quartiers résidentiels
fermés et sécurisés, voient le jour à Istanbul (figure 6). Ils accueillent des couches sociales
aisées et nouvellement enrichies.
Les constructions des promoteurs immobiliers répondent en priorité aux nouveaux
critères de sélection des ménages à hauts revenus. Ces derniers sont intéressés en premier
lieu par la vue de la maison, l’éloignement de la complexité du centre-ville, ou encore la
proximité des zones naturelles. Les zones les plus touchées sont celles qui bénéficient d’une
vue sur le Bosphore (Beykoz, Sarıyer…), et celles qui sont proches des forêts et des lacs, tel
que Küçükçekmece. Les bidonvilles sont alors détruits pour laisser place aux cités
73
G. E. Lelandais, « Quartiers de contestation... quartiers d’exclusion », Cultures & Conflits, n°76, 2009
40
d’immeubles de haut standing, construites notamment par TOKI 74, l’un des principaux
promoteurs immobiliers à Istanbul.
Source : http://www.beykozkonaklari.org/
Figure 6 : Beykoz konakları - Un exemple de cité privée à Istanbul
C. Le rôle de l’autorité publique dans la transformation urbaine
L’autorité publique s’est attribuée les missions de favoriser l’urbanisation et de
rationnaliser la transformation urbaine.
1. Favoriser l’urbanisation
Istanbul s’est imposée comme le centre industriel, financier et logistique du pays. Les
pouvoirs publics poursuivent l’idée de faire de la métropole stambouliote un véritable hub de
la finance, de la logistique, de la culture et du tourisme. Il s’agit d’étendre son rayonnement,
non plus à l’échelle nationale, mais bien au niveau de la région eurasiatique.
L’urbanisation est l’un des principaux fers de lance de cette stratégie. Comme
l’explique G. E. Lelandais, la ville a longtemps été considérée comme le moteur de la
transition des sociétés vers la modernité. La ville est le lieu central des enjeux et des
problèmes publics, à travers ce que l’on appelle la « question urbaine ». Le sentiment
74
TOKI (Toplu Konut Idaresi Başkanlığı) : Département d’administration du logement collectif
41
d’insécurité et la volonté de constituer des espaces protégés sont au centre des politiques
urbaines. Ces dernières ont pour but de restructurer la ville, en éloignant vers les périphéries
les populations défavorisées et démunies.
2. Rationaliser la transformation urbaine
A l’échelle d’Istanbul, les pouvoir publics se sont retrouvés face à des problèmes
majeurs, suite à l’urbanisation anarchique des années 1950 à 1980. Les conditions de vie
précaires des gecekondu, le risque de tremblement de terre et le processus de
désindustrialisation de la ville doivent figurer parmi les priorités des autorités publiques
d’Istanbul.
Dans le même temps, faire face à la concurrence internationale et devenir un pôle
d’innovation national implique pour Istanbul d’accélérer sa restructuration, axée sur le
développement des secteurs complémentaires.
Les enjeux sont donc divers, à la fois sociaux, économiques, environnementaux et
sécuritaires. Les pouvoirs publics ont la mission de rationaliser la transformation urbaine,
afin de permettre à ces différents enjeux de coexister.
Istanbul est depuis les années 2000 l’objet d’une transformation urbaine rapide,
radicale et financièrement intéressée. Cette ville s’impose plus que jamais comme le centre
d’impulsion du pays, et, sous certains aspects, de la région eurasiatique. La municipalité
d’Istanbul poursuit un certain nombre d’objectifs. Elle souhaite changer l’image des quartiers
à mauvaise réputation, constituer une vitrine pour le reste du monde, et attirer les capitaux
par le faste et les paillettes. L’aspect social des politiques semble actuellement absent.
L’urbain à Istanbul est entré dans une logique purement concurrentielle.
42
II.
La logique concurrentielle
A Istanbul comme ailleurs, la classe dominante, majoritairement bourgeoise, domine
l’espace. Les politiques spatiales se développent sous la surveillance du système capitaliste.
Les urbains s’efforcent de répondre aux critères imposés par le capitalisme. La naissance
d’une nouvelle bourgeoisie dominante à Istanbul a accentué le phénomène de spéculation
foncière, qui a des conséquences sur la planification urbaine.
A. La nouvelle bourgeoisie dominante
La nouvelle bourgeoisie dominante correspond à une origine, des secteurs d’activité
et une installation géographique déterminés.
1. Son origine
A partir du début des années 1990, l’ensemble de la Turquie connaît une période
d’évolution économique, culturelle et politique. L’intégration au marché économique
mondial et à l’économie néolibérale ont créé des changements économiques et sociaux à
grande échelle. Le développement du secteur privé et la volonté de faire d’Istanbul une
métropole mondiale ont entraîné une mutation de l’économie de la ville, ainsi que du profil
socio-économique de ses habitants. Les secteurs financier et tertiaire se sont substitués au
secteur de l’industrie. L’activité industrielle a été déplacée vers les périphéries afin de dégager
les centres villes. Par conséquent, les structures de l’emploi évoluent et la répartition des
revenus change. Cela conduit à l’émergence de « nouveaux consommateurs ».
Les revenus de cette nouvelle classe, issus principalement du secteur tertiaire, sont
supérieurs à ceux de la classe ouvrière. Ainsi émerge une forme de consommation inédite,
influencée par le style de vie de ces nouvelles populations. Ces consommateurs sont qualifiés
de différentes manières selon les auteurs. Tolga İslam parle de « classe moyenne » au capital
culturel élevé, au détriment d’un fort capital économique 75. Ülke Evrim Uysal les appelle les
yuppies, ou encore « les bobos » (bourgeois-bohème) et indique que ces groupes sociaux ont
75
T. İslam, “Tartışmalar”, İstanbul’da Soylulaştırma Eski Kentin Yeni Sahipleri içinde, 2006, p.169.
43
leur propre style de vie76. Comme l’explique T. İslam, cette nouvelle classe bourgeoise va se
resserrer au début des années 2000. Elle est désormais limitée à des individus aux revenus
économiques largement supérieurs et à l’éducation d’élite.
2. Les secteurs d’activités concernés
Les activités financières et de services dans leur ensemble se situent au centre de la
ville d’Istanbul, dans les quartiers à forte valeur ajoutée. Le secteur de la création (art,
publicité, production audiovisuelle et cinématographique…) s’est en grande partie installé
dans les quartiers huppés, aux immeubles de bureaux datant de la Renaissance turque
(Taksim, Nişantaşı). Les activités bancaires sont quant à elles intégrées au centre financier de
Levent-Maslak, avec ses tours aussi modernes que vertigineuses.
Les universités font également partie des lieux privilégiés de cette nouvelle
bourgeoisie dominante. Après les années 1980, l’émergence des universités et des institutions
culturelles privées a entrainé la transformation et la reconversion des anciennes zones
industrielles. Sur les rives européennes du Bosphore, sont installées des universités de renom,
telles que l’Université du Bosphore, L’Université francophone de Galatasaray, ou encore
l’Université des Beaux-Arts Mimar Sinan.
3. Son installation géographique
La haute bourgeoisie stambouliote ne recherche pas en priorité la proximité du lieu de
travail. Le confort et la sécurité semblent être les principales préoccupations de cette
population. Il s’agit de trouver un lieu calme, en opposition au bruit incessant de « la ville qui
ne dort jamais »77. La vue sur le Bosphore ou sur la mer et la proximité des espaces verts
sont autant d’atouts privilégiés.
De plus, la sécurité est au cœur des préoccupations de la classe bourgeoise
stambouliote. En effet, la multiplication des cités privées, les gated communities, figure parmi les
marqueurs essentiels de la prépondérance de la classe bourgeoise. Jean-François Pérouse a
Ü. E. Uysal, “Soylulaștırma Kuramlarının İstanbul’da Uygulanabilirliği: Cihangir Örneği”, Planlama Dergisi,
n°2, 2006
77 A. Kazancığıl, La Turquie, 2008, p.111.
76
44
étudié ce phénomène78. 60.000 personnes vivraient actuellement dans ces « cités dorées »,
fermées, surveillées et sécurisées. Les deux plus grandes sont Alkent-2000 à Büyükçekmece
et Acarkent dans l’arrondissement de Beykoz. Les prix de ces logements varient entre
300.000 et 2 millions de dollars. Le critère ultime d’admission dans ces cités est le niveau de
revenus. Loin des centres-villes, les gated communities se situent aux marges de l’aire urbaine.
B. La spéculation foncière
Dans une logique purement capitaliste, la naissance et le développement d’une
nouvelle bourgeoisie dominante issue du néolibéralisme a fait naître une pression sur les prix
du foncier. Le terrain devient alors une simple marchandise. Puis la spéculation foncière et
immobilière augmente. Enfin aucune mesure fiscale palliative n’est mise en place.
1. Le terrain : une simple marchandise
Déjà en 1980, le sociologue Bernard Granotier constatait qu’à Istanbul, le terrain était
considéré comme une simple marchandise79. Le foncier répond uniquement aux mécanismes
du marché. Les prix du sol augmentent plus vite que les prix à la consommation. Les
spéculateurs professionnels et les ménages aux revenus élevés influencent les prix. En effet,
le logement est un objet de commerce courant. Cet état de fait trouve son origine dans les
mœurs de la Turquie. Le désir d’être propriétaire est commun aux ménages turcs. Bien que la
location soit en progression, elle reste largement dénigrée.
Parallèlement, les sociétés transnationales adoptent le même comportement
économique vis-à-vis des propriétés commerciales. Elles proposent des prix élevés, ce qui a
tendance à augmenter la valeur foncière aux alentours. Les ménages qui ne disposent pas des
moyens suffisants pour supporter cette augmentation des prix sont contraints de partir.
2. Le développement de la spéculation foncière et immobilière
La spéculation est une mise en miroir. C’est l’activité qui consiste à imaginer, à
anticiper les réactions et les activités d’un autre acteur économique que soi-même, et à se
78
79
J.-F. Pérouse, « Istanbul cernée par les cités privées », Revue Urbanisme, n°324, 2002
B. Granotier, La planète des bidonvilles, perspective de l’explosion urbaine dans le tiers-monde, 1980
45
mettre à sa place. Ensuite, toute une stratégie est définie en fonction de cette anticipation. La
spéculation peut se résumer à un pari sur l’avenir qui repose sur la capacité à s’identifier à un
autre acteur économique.
La spéculation foncière consiste à anticiper sur de fortes variations positives du prix
du foncier. Une étude de l’Observatoire Urbain d’Istanbul montre que la spéculation
foncière et immobilière est très développée à Istanbul80. La coexistence de trois facteurs, à
savoir l’arrivée annuelle et massive de migrants en recherche de logement, la forte inflation
forçant à investir dans la pierre, et le marché immobilier peu contrôlé, ont mené à
l’accélération de la spéculation. Le déménagement du consulat américain du quartier de
Beyoğlu à Istinye en 2001 illustre ce propos. Une bulle de spéculation immobilière s’est alors
enclenchée. Les logements situés dans ce quartier ont vu leurs prix doubler depuis
l’ouverture du consulat.
En outre, la spéculation atteint son paroxysme à l’intérieur du marché du logement
parallèle. 90% du marché immobilier échappe au contrôle administratif des collectivités
locales. De nombreuses transactions sont effectuées en dehors de tout cadre juridique, et de
manière irrégulière. Cela concerne particulièrement les quartiers de gecekondu. En toile de
fond, une mafia contrôle et profite de cette spéculation autour du marché de la terre.
3. L’absence de mesures fiscales palliatives
B. Granotier dénonce le fait que trop peu de gouvernements turcs aient pris les
mesures fiscales recommandées par la Conférence mondiale de l’habitat de 1976 à
Vancouver. L’idée consistait à taxer les plus-values foncières dues à l’initiative privée. En
1998, un projet réunissant l’UNESCO, la CEE et TOKI visait à la construction de
logements sociaux dans les quartiers de Fener et Balat. L’étude de faisabilité réalisée en
amont du projet estimait que : « toute mesure réglementaire et coercitive visant à juguler la
spéculation est vouée à l’échec en raison du caractère chaotique du marché foncier dans
l’agglomération d’Istanbul et l’importance de la rente foncière dans une économie fondée sur
80
M. Tixeire, « Bilan critique des politiques de logement social à Istanbul », Observatoire Urbain d’Istanbul, 2003.
46
une inflation de 100% par an. Par conséquent, la limitation de la spéculation dépendra
fortement de la politique d’intervention du projet sur le quartier »81.
Or aujourd’hui encore, les planifications urbaines ont du mal à être appliquées. Le
processus est notamment freiné par une présence mafieuse dans le marché de l’immobilier et
par l’irrégularité des méthodes. De plus, les politiciens tardent à prendre les mesures
nécessaires pour remédier à cet échec urbanistique. Au contraire, la spéculation foncière
pousse les acteurs politiques à se réapproprier des terrains publics illégalement construits
pour renflouer leurs caisses par la revente de ces terrains.
C. Les conséquences de la spéculation sur la planification urbaine
La spéculation foncière cause d’importants dommages. En résulte notamment un
nombre élevé de logements vacants. La demande devient dépendante de l’offre.
1. Les ravages de la spéculation foncière
B. Granotier énumère les effets néfastes de la spéculation foncière 82. Celle-ci mène
tout d’abord à l’escalade des loyers, par le dépassement des plafonds légaux des taux
d’intérêts autorisés. Les prix des terrains, surtout au centre-ville, augmentent
considérablement. Ces terrains sont laissés aux promoteurs, dans une logique de profit
résolument libérale, peu importe le remplacement des populations et les conséquences
humaines. En définitive, la valeur du terrain n’est pas basée sur le coût économique (le prix
de la terre agricole ajouté au coût de l’infrastructure), mais bien sur le niveau des prix
pratiqué dans le centre-ville. De plus, la spéculation au centre-ville a des répercussions sur les
périphéries : « La spéculation au centre-ville contaminait le reste du tissu urbain »83. Enfin la
part des prix des terrains dans le coût total du logement explose pour devenir exorbitante.
M. Tixeire, 2003
B. Granotier, 1980
83 B. Granotier, 1980, p.82
81
82
47
2. Un nombre élevé de terrains vacants
A Istanbul de manière générale, et plus spécifiquement dans les arrondissements
centraux, de nombreux logements restent vacants. Ce vide laissé dans certains quartiers
semble illogique, compte tenu de la demande croissante de logements. Selon l’Observatoire
Urbain d’Istanbul, cette évolution s’explique par le départ des populations les plus aisées et
par une forte dégradation du bâti ancien d’une part. D’autre part, ce vide est le produit de
pratiques spéculatives. Le quartier de Beyoğlu, situé au cœur de l’activité culturelle, artistique
et touristique de la ville, est un exemple criant de zone désertée.
En effet, le bénéfice à réaliser à travers une hausse spéculative des loyers est plus
important que la pénalité due à la vacation du terrain, explique B. Granotier. Subsiste alors
une limitation volontaire de l’offre sur le marché foncier.
3. La demande dépendante de l’offre
La très forte demande de logements à Istanbul a contribué à la hausse de la
spéculation financière, et ce de manière excessive en centre-ville. Ceci a une influence
négative sur la spéculation urbaine dans son ensemble. En résulte une croissance urbaine
intensive, sans plan ni contrôle de la part des autorités. Ainsi la demande est devenue
totalement dépendante de l’offre. Les propriétaires et les promoteurs immobiliers
déterminent les prix.
L’habitat urbain à Istanbul est réglé selon une logique concurrentielle, inspirée du
capitalisme et mise en œuvre dans le cadre d’un programme économique néolibéral. L’Etat et
les collectivités locales n’interviennent ni pour réguler les prix, ni pour contribuer à la
réhabilitation de quartiers de logements sociaux. La compétence de détermination des prix
est laissée aux marchés, et exercée en grande partie par les promoteurs, qui règnent sur le
foncier et l’immobilier à travers des pratiques fortement spéculatives. Les principes du
marché libre ont été privilégiés, ne laissant aucune place aux fondements sociaux de
l’urbanisme. La nouvelle urbanisation qu’a connue Istanbul a mené à de fortes inégalités
48
économiques, sociales et spatiales. Cette logique concurrentielle est à l’origine de problèmes
urbains récurrents, tels que la suburbanisation et l’exclusion.
III.
La suburbanisation et l’exclusion
L’adjectif suburbain désigne « ce qui est à la périphérie immédiate d’une ville »84. La
suburbanisation est « un processus d’extension des phénomènes de banlieue au détriment
des espaces ruraux périurbains »85. En urbanisme, ce phénomène précède et accompagne
l’exclusion. La suburbanisation et l’exclusion sont le fait de la transformation urbaine et des
grands projets mis en place par la municipalité d’Istanbul et l’Etat turc. Ces maux sont
également le résultat d’un processus économique en œuvre en Turquie depuis les années
1950, qui a mené au développement d’une économie néolibérale.
Les flux migratoires sont à l’origine d’une explosion démographique permanente à
Istanbul. Cet accroissement de population est la cause principale de l’étalement urbain. Ce
dernier est générateur de fragmentation urbaine.
A. L’expansion démographique permanente
L’expansion démographique de la ville d’Istanbul provient des flux migratoires.
Stéphane Yerasimos, ancien enseignant-chercheur et spécialiste entre autres de la Turquie, a
étudié ces différents flux. Tout d’abord, l’immigration interne prend deux dimensions.
Ensuite interviennent les flux régionaux et internationaux. Enfin S. Yerasimos livre ses
prévisions sur l’expansion démographique stambouliote.
84
85
Le Petit Larousse illustré 2012
P. Georges, Géopolitique des minorités, 1984.
49
1. Les deux dimensions de l’immigration interne en Turquie
D’une part, l’exode rural des années 1950 à 1984 est un fait économique. Sous l’effet
du développement économique évoqué précédemment, la population agricole diminue, au
profit des activités situées en ville. A cette période, Istanbul devient sans conteste le centre
économique du pays. En effet, les stratégies d’urbanisation du début de la République,
centrées sur la nouvelle capitale Ankara, n’ont pas été à même de freiner la progression
d’Istanbul. Dans les années 1970, les crises pétrolières modifient la conjoncture. La
libéralisation de l’économie va rendre les capitaux plus mobiles et encourager les
investisseurs à chercher les endroits les plus avantageux et la main d’œuvre la moins chère.
Apparaît alors une compétition entre les villes, qui n’aura de cesse de s’intensifier. Istanbul
gagne la partie et devient le cœur économique du pays. En résulte une immigration accrue
vers la métropole. J.-F. Pérouse dénombre quatre vagues migratoires à destination d’Istanbul
depuis la Seconde Guerre mondiale86 : celle en provenance des Balkans, puis celle en
provenance de l’Anatolie centre-orientale, ensuite celle en provenance de la mer Noire, enfin
celle en provenance du sud-est du pays depuis les années 1990.
D’autre part, G. E. Lelandais87 évoque une seconde dimension de l’immigration
interne en Turquie, à travers les déplacements forcés. Ils sont provoqués par les
affrontements qui opposent l’armée et le PKK88 dans le sud-est de la Turquie. A partir de la
décennie 1990, le pouvoir militaire turc décide l’évacuation d’une partie des zones rurales,
dans le but de constituer une « zone interdite », afin d’empêcher les villages de la région
d’aider les engagés du PKK. L’Institut national des statistiques de la Turquie89 avance le
nombre officiel de 380.000 individus déplacés du Sud-est de la Turquie.
J. F. Pérouse, « Phénomène migratoire, formation et différenciation des associations de hemşehri à
Istanbul : chronologies et géographies croisées », EJTS, 2005b
87 G. E. Lelandais, 2009
88 Le PKK (Partiya Karkerên Kurdistan) est le Parti des travailleurs du Kurdistan. Il est en opposition armée
avec la Turquie depuis 1984
89 L’Institut National des Statistiques (Devlet İstatistik Enstitüsü) ne doit pas être confondu avec l’Agence des
Statistiques de la Turquie (Türkiye İstatistik Kurumu).
86
50
2. Les flux migratoires régionaux et internationaux
Il est souvent difficile d’étudier les données de l’immigration à destination d’Istanbul.
En effet, il faudrait pour cela séparer les calculs globaux relatifs à la Turquie, des chiffres
concernant uniquement la ville d’Istanbul.
Cependant, J.-F. Pérouse évoque les flux migratoires régionaux à destination
d’Istanbul90. Selon lui, le lieu commun selon lequel Istanbul serait l’archétype d’une
métropole méditerranéenne91 doit être remis en cause. Dans le cadre de notre étude, les trois
flux migratoires mis en exergue par J.-F. Pérouse sont intéressants. Tout d’abord, il est juste
de parler d’un « retour des Maghrébins à Istanbul ». Un rapprochement avec les Grecs est
également à noter. Enfin, si les flux israéliens vers Istanbul n’ont pas la même ampleur que
les flux maghrébins, les migrations d’hommes d’affaires et de techniciens, ainsi que les flux
touristiques en provenance d’Israël restent importants.
3. Les prévisions de Stéphane Yerasimos92
Istanbul est une ville gigantesque. La population de la métropole a été multipliée par
dix depuis 1950. Le nombre d’habitants est mal évalué, souvent surévalué et dramatisé par
les habitants eux-mêmes et par les observateurs. Deux convictions persistent dans les esprits.
Istanbul supporterait tout le poids de l’exode rural de la Turquie. Et cet exode proviendrait
des régions kurdes du sud-est du pays. En réalité, entre 1985 et 1990, Istanbul n’avait que le
quatrième taux de croissance des villes turques. De plus, la population immigrée à Istanbul
provient principalement de la mer Noire (figure 7).
Pourtant, poursuit S. Yerasimos, l’avenir de la métropole stambouliote reste la
croissance urbaine. L’exode rural continuera car la population agricole ne cessera de
diminuer. En outre, les problèmes économiques contribueront à poursuivre le repli sur
l’immobilier déjà en cours, de même que la spéculation. L’expansion urbaine ne s’arrêtera pas
tant qu’il n’y aura pas de volonté du corps politique et social d’y remédier. « Dans ces
J.-F. Pérouse, « Istanbul, une métropole méditerranéenne ? Critique d’un lieu commun tenace », Cahiers de la
Méditerranée, n°64, 2002
91 J.-F. Troin, dans Les métropoles de la Méditerranée (1997), énumère les principales caractéristiques communes
aux métropoles méditerranéennes : la proximité de la mer, un mode de vie, un type particulier
d’organisation urbaine et de l’habitat, et des caractéristiques climatiques spécifiques.
92 S. Yerasimos, 1997
90
51
conditions, l’agglomération peut s’étirer à l’infini, du moment que sa centralité disparaît et
que son unité devient une fiction », explique S. Yerasimos.
Figure 7 : principaux départements ayant alimenté l'immigration à Istanbul (d'après DIE, 2000)
B. L’étalement urbain
L’étalement urbain désigne ici le développement des zones périphériques. Sous
l’Empire ottoman, Istanbul s’étendait dans les limites de ce que l’on appelle aujourd’hui la
« ville turque », autrement dit le côté européen situé au sud de la Corne d’Or. Les quartiers
actuels de Galata, Eyüp, Üsküdar et Kadiköy formaient des villes à part entière. Depuis,
Istanbul est devenue une véritable métropole, qui n’a cessé de s’étendre (figure 8). Des
chiffres significatifs viennent attester de l’étalement urbain, duquel découle une pluralité de
centres urbains, ainsi que d’autres conséquences.
52
Figure 8 : les étapes de la croissance urbaine d'Istanbul
1. Des chiffres significatifs
La base documentaire de l’Observatoire Urbain nous donne des données chiffrées de
l’étalement urbain à Istanbul. Tout d’abord, l’hyper-centre historique, que constituent les
arrondissements d’Eminönü, de Fatih et de Beyoğlu, représente aujourd’hui seulement 5%
de la superficie urbanisée de la ville, et concentre moins de 10% de la population totale.
Depuis 1990, on observe un dépeuplement des arrondissements centraux, en particulier de
Fatih et d’Eminönü, mais également de Beşiktaş, de Şişli et de Beyoğlu. Dans le même
temps, la population des arrondissements périphériques tel que Büyükçekmece ne cesse
d’augmenter. Onze nouveaux arrondissements ont été créés depuis 1990.
2. Une pluralité de centres urbains
Istanbul compte 32 communes et plusieurs centres-villes. La superficie de la ville est
de 5.512 km²93. Il est donc difficile de parler de centralité. Le développement de la ville se
fait selon un modèle polycentrique, avec l’apparition de « sous-centres » autour des grandes
avenues telles que Büyükdere ou encore Bakırköy. De véritables « sous-villes » voient
finalement le jour.
93
Site de la municipalité du Grand Istanbul, www.ibb.gov.tr
53
3. Les conséquences de l’étalement urbain
Parmi les nombreuses conséquences de l’étalement urbain, trois thèmes se dégagent
et intéressent prioritairement la ville d’Istanbul, compte tenu de ses spécificités et des enjeux
majeurs qu’elle doit relever.
Dans un premier temps, l’étalement urbain est un facteur d’augmentation de la
circulation automobile. En effet, la proximité du lieu de travail n’étant plus ni une priorité, ni
un choix possible laissé aux ménages (l’offre de logement conditionne la demande), les
trajets en voiture sont à la fois plus
longs et plus nombreux. Par ailleurs, les
Stambouliotes
peuvent
difficilement
compter sur les transports en commun.
Bien que les bus couvrent une grande
part du réseau urbain, ceux-ci restent
dépendants du trafic routier et de ses
embouteillages qui paralysent la ville. Il
n’existe pas de couloirs dédiés aux bus
de ville à Istanbul. En outre, le métro, le
tramway et le funiculaire sont certes en
très bon état de fonctionnement, mais
ils ne desservent qu’une portion réduite
du
réseau
urbain.
Ainsi
les
Stambouliotes semblent préférer se
déplacer à l’aide de leurs propres
véhicules. L’Agence des Statistiques de
la Turquie estimait qu’en 2005, Istanbul
représentait le département le plus
motorisé de l’Etat, avec 27% des
Figure 9 : dynamisme de l'extension urbaine à
Istanbul
automobiles du pays. La voiture représentait ainsi 31,94% des transports motorisés de
l’espace urbain.
Ensuite, l’étalement urbain déplace les emplois en périphérie. Les emplois concernés
sont en majorité issus de l’industrie. Les ouvriers, plus dépendants de la nécessité de
54
proximité du lieu de travail que les catégories socio-professionnelles issues du tertiaire, sont
donc contraints de déménager à la périphérie en même temps que leurs emplois.
Parallèlement, l’épanouissement du secteur tertiaire ayant eu lieu en centre-ville, les ouvriers
n’ont pas toujours les moyens économiques de supporter la hausse des loyers induite.
Enfin, l’étalement de la ville a pour conséquence générale le fractionnement social,
voire politique, du fait de la multiplication des centres.
C. Les processus de fragmentation urbaine
En plus de la transformation urbaine dominée par une logique concurrentielle,
l’expansion en termes de nombre d’habitants et l’étalement géographique de la ville
d’Istanbul ont été à l’origine des processus de fragmentation géographique, économique,
politique et sociale. La gentrification à Istanbul a fait naître un certain nombre de frontières
dans la ville.
1. La gentrification à Istanbul
Le terme « gentrification », inventé par la sociologue allemande Ruth Adele Glass en
1964, désigne un phénomène urbain d’embourgeoisement. Il consiste en une revalorisation
de l’environnement résidentiel, couplé à un changement de population aspirant à vivre au
cœur de la ville. Il n’existe pas d’équivalent adapté en français. Le terme
« embourgeoisement » tronque certains aspects essentiels de la gentrification.
Concrètement, la gentrification commence lorsque des groupes sociaux relativement
aisés découvrent ou redécouvrent un quartier situé en centre-ville qui offre de nombreux
avantages, et décident d’y migrer. Ceci contribue à augmenter les valeurs immobilières de la
zone en question. Par conséquent, les catégories sociales économiquement inférieures à la
nouvelle bourgeoisie fraîchement installée sont contraintes de migrer vers des quartiers à
moindres coûts. Dans le même temps, le quartier en proie à la gentrification subit de
profonds changements. L’embourgeoisement se traduit par une pression plus forte des
nouveaux habitants sur les pouvoirs publics, afin que ces derniers améliorent le quartier. La
gentrification comprend alors plusieurs dimensions, en termes d’éducation, de commerce et
de développement d’infrastructures.
55
A la fin des années 1980, démarre une période de forte évolution économique,
politique et culturelle dans l’ensemble de la Turquie. Cela a conduit à l’émergence de zones
« gentrifiées » à Istanbul. L’intégration au marché économique mondial et à l’économie
néolibérale a causé des changements non seulement économiques, mais également sociaux et
spatiaux.
Nilgün Ergün évoque quatre catégories de lieux en proie à la gentrification 94. Tout
d’abord, sont touchées les zones de centres d’affaires et leurs environs. Ce type
d’investissement est alors plutôt résidentiel. Ensuite vient le tour des quartiers centraux, puis
des zones éloignées de la ville (les anciennes zones des gecekondu). Enfin, les murs de la
ville95 connaissent la gentrification après un renforcement des infrastructures et des
transports. Ces dernières années, se développe à Istanbul un mouvement de gentrification au
nom de la transformation urbaine. Nihal Coşkun et Selcen Yalçın ont réalisé une étude de
cas concernant la gentrification à Istanbul96. Y sont entre autres décrits comme « gentrifiés »
les quartiers d’Arnavutköy, d’Ortaköy et de Galata (figure 10). Les quartiers de Tarlabaşı,
Sulukule et Süleymaniye sont actuellement en cours de transformation.
Crédit : Marie Fonteneau
Crédit : Marie Fonteneau
Figure 10 : le quartier gentrifié de Galata
N. Ergün, « Gentrification in Istanbul », Cities, Vol.21, n°5, 2004
L’expression « les murs de la ville » renvoie aux murailles de l’ancienne Constantinople, à savoir les
fortifications qui entouraient la cité.
96 N. Coşkun et Yalçın, “Gentrification in a Globalising World, case study : Istanbul”, ENHR, 2007
94
95
56
2. Les frontières dans la ville
Les processus de transformation urbaine à Istanbul, en premier lieu la gentrification,
ont contribué à établir des frontières dans la ville.
D’une part, des espaces urbains sont devenus inaccessibles à certains groupes sociaux.
Comme l’indique G. E. Lelandais, les populations les plus touchées sont « les nonpropriétaires, les exclus, les discriminés du fait de leur origine ou de leur culture »97. Par
exemple, dans les cités aux logements luxueux construites par le promoteur TOKI, l’accès
est formellement interdit aux non-résidents. Un système de surveillance est mis en place,
avec des barrières et un poste de contrôle d’identité.
D’autre part, la ghettoïsation et la relégation vers les périphéries représentent une
forme de frontière. Depuis 2003, la majorité des projets de TOKI est destinée aux classes
sociales aisées (figure 11). Ces constructions sont réalisées sur les terrains des bidonvilles
(gecekondu), forçant les habitants à quitter les lieux. Aucun projet de logement réalisé sur les
terrains des gecekondu du centre-ville d’Istanbul ne prévoit de relogement sur place.
Figure 11 : Les projets en cours ou terminés, financés par TOKI à Istanbul
97
G. E. Lelandais, « Quartiers de contestation... quartiers d'exclusion », 2009
57
En définitive, la ville d’Istanbul est dominée par des logiques de séparations, à la fois
sociales et spatiales. Le concept de frontière dans la ville, entre les quartiers et entre les
habitants eux-mêmes, prend alors tout son sens. Il renvoie à la nécessité de réexaminer la
réalité urbaine et les politiques de la ville.
En conclusion, la transformation urbaine en cours à Istanbul depuis les années 1990,
dominée par une logique concurrentielle - la nouvelle bourgeoisie dominante fait pression
sur les loyers et la spéculation s’amplifie – a mené à la suburbanisation et à l’exclusion. La
croissance démographique constante et l’étalement urbain sont autant de conséquences
néfastes de la transformation d’Istanbul. En résulte une indéniable fragmentation urbaine. La
gentrification en est le symptôme. Finalement, des frontières s’élèvent à l’intérieur même de
la ville.
Le développement du secteur privé et la volonté de faire d’Istanbul une métropole
mondiale a entraîné une mutation de l’économie de la ville. La métropole stambouliote a
changé de visage. Elle s’est considérablement modernisée et développée. De nombreux
arguments à dominante économique viennent attester des bénéfices considérables de la
transformation urbaine. Néanmoins, d’importantes limites sont également apparues. Les
stratégies d’évolution de l’urbain mises en place depuis les années 1950 ont dans le même
temps favorisé le développement de l’habitat illégal.
58
Chapitre 3 : Le développement de l’habitat illégal
L’économie néolibérale a eu une forte influence sur les structures urbaines
stambouliotes. S’il est difficile de le démontrer de manière concrète, il paraît toutefois
évident que les pratiques et les lignes de conduite adoptées à l’échelle de la ville
correspondent à l’idéologie libérale, à travers un laisser-faire généralisé. Les forces du marché
se sont imposées. Le pouvoir en matière de transformation urbaine est partagé entre les
promoteurs immobiliers et les investisseurs étrangers d’une part, l’Etat et les collectivités
locales d’autre part. Cependant, loin d’exercer un rôle d’arbitre et d’imposer des règles
d’intérêt général, les pouvoirs publics suivent la logique libérale adoptée par les acteurs
privés. Cette tendance est en cours depuis les années 1950. Elle s’est accentuée à partir des
années 1990 et se poursuit encore actuellement.
Stéphane Yerasimos dénombre quatre catégories concomitantes de production de
l’espace urbain à Istanbul98. Tout d’abord, les opérations ponctuelles, menées par des
coopératives, concernent la création de grands équipements, de centres d’affaires et d’autres
lieux de concentration d’activités. Dans ce cadre, le logement social fait figure d’exception et
les opérations s’accompagnent de pratiques immobilières spéculatives. La seconde catégorie
est une reproduction de l’espace urbain légal, géré par des documents d’urbanisme. Les
opérations d’ensemble restent rares et ce mode de production n’empêche pas les
transgressions à la loi. Les deux dernières catégories sont la production de l’espace urbain
illégal et sa légalisation. Elles recouvrent une très grande partie de l’espace urbain
stambouliote.
La prépondérance du néolibéralisme en matière d’urbanisme à Istanbul est démontrée
par le développement de l’habitat illégal. Il s’agit d’un modèle d’implantation urbaine qui
ignore les permissions administratives (permis de construire), les standards de sécurité et les
restrictions d’occupation des terres.
Après avoir défini l’habitat illégal, la compréhension des causes de son apparition
amènera la question de sa gestion en Turquie.
98
S. Yerasimos, 1997.
59
I.
Définir l’habitat illégal
Les définitions de l’habitat illégal, qu’elles soient données par Bernard Granotier99 ou
par Mike Davis100, mettent systématiquement en avant le phénomène d’invasion urbaine.
L’habitat illégal peut ensuite revêtir différentes formes. Enfin, la large place de ce type de
construction dans le paysage urbain est un critère commun aux villes méditerranéennes.
A. Les invasions urbaines
Ces « invasions » ont débuté, dans la plupart des pays, à la fin des années 1940 et au
début des années 1950. Elles se caractérisent par une importante préparation au préalable,
nécessitant la solidarité des acteurs internes et externes. Enfin il existe plusieurs formes
d’invasions urbaines.
1. Une installation rigoureusement organisée
Les invasions sont rarement le fait d’actes imprévus. Elles sont préparées en amont et
minutieusement planifiées. Parfois, des étudiants architectes ou des ingénieurs prennent part
à cette préparation. Les futurs « envahisseurs » étudient le plan du quartier et déterminent le
moment le plus approprié pour s’y installer. A Istanbul, cela a lieu la nuit. Ainsi le terme
gecekondu signifie littéralement « construit en une nuit ». De plus, le nombre d’envahisseurs
doit être relativement conséquent. Les gecekondu stambouliotes accueillent entre cinquante
et cent familles en une nuit.
Ces modalités d’action limitent considérablement l’action des autorités. En effet,
lorsque la police constate l’installation illégale de ces populations le matin, l’organisation et le
nombre important de personnes rendent toute évacuation impossible sans bain de sang. Les
autorités n’ont d’autre choix que de s’incliner devant le fait accompli.
99
B. Granotier, La planète des bidonvilles, 1980.
M. Davis, Le pire des mondes possible – De l’explosion urbaine au bidonville global, 2007
100
60
2. Une nécessaire solidarité
L’architecte franco-grec Candilis (disciple de Le Corbusier) a assisté par hasard à une
invasion. Les Nations Unies avaient chargé Candilis d’étudier l’évolution des bidonvilles de
Lima (Pérou). Ce dernier a donc pu témoigner de la planification minutieuse élaborée pour le
futur quartier et de la discipline des habitants à suivre le plan101. A l’intérieur même du
quartier auto-construit, dès les premières heures, la solidarité se met en place. Rien ne laisse
penser à une somme d’individus se déchirant pour gagner quelques centimètres de terrain ou
un meilleur emplacement. Dans les semaines et les mois qui suivent l’installation, un
véritable réseau se met alors en place. Celui-ci peut être fondé sur le village d’appartenance,
l’origine religieuse ou encore le critère familial.
En outre, des éléments extérieurs apportent leur aide lors de l’invasion. C’est le cas
des étudiants en architecture, des ingénieurs, mais également des associations de solidarité.
Ces individus, ces groupes pourront par la suite défendre la cause des populations des
quartiers illégaux face aux autorités qui chercheront à les expulser.
3. Typologie des invasions urbaines
B. Granotier précise qu’il existe différents modes d’invasion, comprenant différentes
caractéristiques selon les villes. Colette Vallat élabore une typologie des invasions urbaines 102.
Tout d’abord, l’ « abus de zone » comprend des entorses aux lois urbanistiques en
vigueur. Les espaces colonisés étaient à l’origine réservés à l’agriculture, aux espaces verts et
aux équipements. Ce type d’illégalité correspond à la définition de « l’habitat non structuré ».
Ensuite, lorsque les bâtiments élevés sur des zones constructibles sont trop
nombreux ou trop élevés, on parle alors d’ « abus de norme ». L’Antiparokhi d’Athènes
illustre parfaitement ce type d’invasion. Cette situation est également caractéristique
d’Istanbul. En effet, le parking Park-Otel est trop élevé. De même le rapport entre la surface
au sol et la surface plancher autorisé n’a pas été respecté lors de la construction du centre
commercial et culturel de Şişli.
101
102
J.-M. Rodriguo, Le sentier de l’audace : les organisations populaires à la conquête du Pérou, p.53
C. Vallat, « Ville illégale, ville vivante : l’exception méditerranéenne », Réalités industrielles, 2008.
61
Enfin la squattérisation103 désigne une situation dans laquelle les occupants ne disposent
d’aucun document foncier. La classification se fait alors par rapport au statut foncier. Ces
habitants connaissent une grande précarité. Ils peuvent être chassés des terrains qu’ils
occupent sans droit, particulièrement s’il s’agit de propriétés appartenant à des fondations
pieuses. C’est notamment le cas des waqfs au Nord de l’Afrique, ou encore des terres de
l’Eglise orthodoxe à Athènes.
L’habitat illégal débute donc par une invasion rapide, rendue possible par une
planification minutieuse et une certaine solidarité. Une typologie des différents modes
d’invasions urbaines permet de mettre en lumière la diversité des situations. Il existe
également plusieurs formes d’habitat illégal.
B. Les différentes formes d’habitat illégal
La notion d’habitat illégal n’est pas linéaire. Elle se traduit de différentes manières en
fonction du temps et du lieu (une région, un pays, une ville). Selon la classification opérée
par B. Granotier104, il existerait trois formes principales d’habitat illégal, à savoir les quartiers
populaires, les quartiers populaires planifiés, et les bidonvilles.
1. Les quartiers populaires
Les quartiers populaires sont des lieux dans lesquels le mode de vie et l’identité
culturelle sont en opposition avec l’Occident. Ce sont souvent des quartiers porteurs
d’histoire, objets d’opérations de sauvetage de la part de l’UNESCO. L’auteur donne
l’exemple de la Médina de Fès (Maroc), qui, du fait de son importance historique et culturelle
et de par la vulnérabilité de ses constructions, est placée sous la protection de l’UNESCO.
Les quartiers populaires résultent d’une croissance spontanée. Ils sont alors construits
sans plan régulier. Les infrastructures et les services y sont insuffisants.
Squattérisation : néologisme issu de l’anglais squat, signifiant « s’accroupir », qui trouve ses racines dans
l’ancien français. En découle le verbe squatter, couramment utilisé en français, équivalent d’ « habiter, être
installé de façon illégale dans un bâtiment ou sur un terrain ». La squattérisation désigne donc l’action de
s’installer illégalement dans un endroit inoccupé.
104 B. Granotier, 1980, p.59-62
103
62
2. Les quartiers populaires planifiés
L’auteur part de l’exemple de la société d’hydrocarbures Pemex105, au Mexique, pour
définir les quartiers populaires planifiés. Cette entreprise construit des logements destinés
aux ouvriers de ses usines. En outre, les travailleurs sont privilégiés par leurs revenus et la
sécurité de l’emploi. Dans ces quartiers, une hausse du niveau de vie et un changement de
comportement sont à constater. Le nombre d’enfants par famille s’élève à seulement deux ou
trois. Dans le même temps, les préoccupations en termes de réussite scolaire pour ces
enfants sont devenues prégnantes.
Cependant, dans le cadre de cette étude, les quartiers populaires planifiés entrent
difficilement dans la notion d’habitat illégal. Bien que les pratiques n’y soient pas toujours
conventionnelles, les habitants profitent d’une certaine qualité de construction et de services.
3. Les bidonvilles
Les bidonvilles sont construits sur des terrains vacants intra-muros et dans les zones
péri-urbaines. En règle générale, ils sont implantés dans les endroits où les bâtiments
classiques ne peuvent s’installer. Cette interdiction peut être liée à la pollution, à un terrain
accidenté, à des pentes raides, des sols inondables, ou encore la présence de voies ferrées. Le
bidonville représente de fait l’habitat marginal le plus vulnérable aux catastrophes naturelles.
Une large part de l’habitat illégal est constituée de bidonvilles. Cependant, il est
difficile de le vérifier car la comptabilité n’est pas tenue. Ceci s’explique pour des raisons
pratiques mais également parce que les gouvernements n’ont pas intérêt à donner les chiffres
réels concernant les bidonvilles.
Les constructions de bidonvilles sont le fait de l’initiative des résidents eux-mêmes.
Aucune aide technique ni financière n’est fournie par les pouvoirs publics. Comme l’indique
l’urbaniste John Turner, raser les bidonvilles s’avère inefficace. En effet, la création
spontanée de capital fixe y étant très importante, il serait irrationnel de supprimer
l’investissement des habitants, en particulier dans un pays où les ressources se font rares.
105
Pemex, ou Petróleos Mexicanos est une entreprise publique mexicaine, créée en 1938 suite à la
nationalisation par décret de toutes les entreprises pétrolières travaillant sur le sol mexicain.
63
De plus, la notion de bidonville intègre un capital social. « Lieu d’entraide », « nid de
chaleur humaine », « espoir » sont les termes utilisés par B. Granotier pour définir le
bidonville. Un caractère émotif entre alors en jeu. Les bidonvillois revendiquent la
légalisation de l’occupation de leurs terrains par les autorités. La légalisation est non
seulement un gage de sérénité pour les occupants, mais également une motivation pour
investir dans l’amélioration du logis ou du quartier.
L’habitat illégal peut donc revêtir différentes formes, qui impliquent divers enjeux. Le
modèle du bidonville est à la fois le plus répandu, et celui qui correspond le mieux à la
définition de l’habitat illégal précédemment évoquée. Cependant, au sein même de la notion
de bidonvilles, les usages diffèrent. L’habitat illégal à Istanbul, majoritairement illustré par les
gecekondu, est un trait commun que cette métropole partage avec les autres villes
méditerranéennes.
C. Un trait commun aux villes méditerranéennes
L’urbanisme en Méditerranée est d’emblée l’objet d’une différenciation entre l’Orient
et l’Occident. En Occident, de nombreux plans et règlements viennent presque
systématiquement encadrer les initiatives individuelles. En revanche, dans le bassin
méditerranéen, les processus d’urbanisation échappent à toutes règles. La plupart des villes
ne sont pas planifiées. D’après l’étude de Colette Vallat106, l’habitat illégal à Istanbul répond
aux caractéristiques des villes méditerranéennes. La richesse du lexique utilisé pour désigner
l’habitat illégal dans le bassin méditerranéen renvoie finalement à une image générale de
paysages urbains de travaux et de chaos.
1. Différentes appellations pour un même phénomène
D’une part, au Sud de la Méditerranée, l’habitat illégal est désigné par le terme
Ashaw’yyah, qui signifie « aléatoire, spontané ». On l’utilise autant pour les douars (villages) ou
pour les Asabiyas (banlieues) du Maghreb, que pour les dhawâhî (banlieues) de l’Est du bassin.
106
C. Vallat, 2008
64
D’autre part, sur la rive Nord méditerranéenne, l’habitat illégal devient bairros di
latas (quartiers de planches) au Portugal, borgate (bourgades) en Italie, chabolas (baraques) en
Espagne, Antiparokhi (contre-échange) en Grèce, ou encore gecekondular107 en Turquie.
C. Vallat estime que « la variété du vocabulaire désignant cette anomalie urbaine
témoigne de son ampleur et de sa banalité »108. L’auteur précise que même si le vocabulaire
renvoie souvent à l’idée de spontanéité, il est préférable de parler d’habitat illégal, de
constructions illicites, ou de quartiers « abusifs ». Parler d’habitat « spontané » reviendrait à
souligner un choix délibéré des habitants, alors qu’il s’agit plutôt d’une nécessité.
2. Des paysages urbains de chaos et de travaux
Les périphéries informelles des rives méditerranéennes donnent l’image d’un
immense chantier vaste et mouvant. Il y a toujours des constructions en cours et beaucoup
de maisons semblent en chantier permanent, voire en friches. En effet, il n’est pas rare que
les travaux soient mis en attente pendant des mois ou même des années, dans l’attente des
moyens financiers nécessaires pour continuer. En Italie, 40% des borgate sont habitées alors
même que la toiture reste incomplète109. A Athènes, Alger et Damas, les structures porteuses
sont parfois laissées en suspens et les fers bondissent des terrasses.
Sur les rives de la Méditerranée, les quartiers illégaux sont en rapide expansion. En
quelques semaines seulement, des arrondissements entiers peuvent voir le jour. Ce fût le cas
pour 500.000 constructions illégales en Algérie, ainsi que pour le quartier d’Izbat Khaïrallah
en Egypte.
En revanche, les rénovations essentielles à la survie de ces quartiers n’ont pas lieu.
Nombre d’entre eux ont gardé la même physionomie que dans les années 1970, lors de leur
construction. La situation est d’autant plus préoccupante que ces habitations sont bâties à
Le suffixe –lar, ajouté au mot gecekondu, désigne, en turc, le pluriel. Le terme de gecekondu n’ayant pas de
juste équivalence en français, il n’est pas possible d’y ajouter un pluriel en –s. Cependant, le suffixe pluriel
est utilisé de manière variable dans la langue turque. Ainsi de nombreux auteurs francophones choisissent
de ne pas l’employer, et d’utiliser le mot gecekondu, au singulier comme au pluriel. Ici, C. Vallat a préféré
utiliser le pluriel en –lar, qui sans être une erreur, ne constitue pas une généralité.
108 C. Vallat, 2008, p.37
109 C. Vallat, 2008, p.38
107
65
l’aide de matériaux de mauvaise qualité. Ceci représente un danger important pour leurs
occupants. Georges Candilis tient à ce sujet des propos très alarmistes110.
Enfin, l’aspect déstructuré des paysages péri-urbains des rives de la Méditerranée
provient de la grande disparité architecturale qui caractérise les constructions illégales.
La définition de l’habitat illégal débute donc avec les invasions urbaines, rapides et
empreintes d’une forte solidarité dans l’action. Ces invasions sont aussi fréquentes que
multiples, car elles peuvent être le fait d’un « abus de zone », d’un « abus de norme » ou de la
squattérisation. De plus, l’habitat illégal s’illustre de différentes manières, des quartiers
populaires aux bidonvilles, en passant par les quartiers populaires planifiés. Enfin, l’habitat
illégal à Istanbul n’est que le reflet d’usages courants sur les rives de la Méditerranée.
Il semble maintenant essentiel de comprendre l’origine et les causes d’apparition de
l’habitat illégal, en recentrant l’analyse sur la ville d’Istanbul.
II.
Origine et causes d’apparition de l’habitat illégal à Istanbul
L’habitat illégal à Istanbul est le fait de causes globales, que partagent de nombreuses
villes dans le monde. Est le plus souvent pointé du doigt l’exode rural, qui a causé un afflux
de ruraux en milieu urbain. Mais dans le cas d’Istanbul, plusieurs causes spécifiques à la
métropole et à la Turquie sont à l’origine de l’émergence et de l’expansion de l’habitat illégal.
L’habitat illégal provient de l’explosion urbaine. Il peut être perçu comme une
réponse aux défaillances des institutions publiques. Il est enfin dû à l’incomplétude du
système.
110
J.-M. Rodriguo, 1990, p.53
66
A. L’explosion urbaine
Le bouleversement économique de la Turquie à partir des années 1950, développé en
détail dans le premier chapitre, est à l’origine d’un fort exode rural. Ce dernier a contraint les
structures urbaines stambouliotes à faire face au problème du nombre d’habitants. Suite à
cela, le sol disponible pour l’accueil des populations s’est fait de plus en plus rare. Enfin le
nombre de constructions n’a pas été à même de juguler l’explosion urbaine.
1. Faire face au nombre
La mécanisation de l’agriculture et le passage à la société industrielle sont les
principales causes de l’exode rural en Turquie. A cela, il convient d’ajouter les progrès en
termes d’éducation, qui ont vu un plus grand nombre de lycéens turcs s’installer dans les
grandes villes du pays (principalement Ankara, Istanbul, Izmir et Antalya) afin d’y poursuivre
leurs études supérieures.
L’offre d’emploi en ville étant insuffisante par rapport à une demande en constante
augmentation, s’est alors formé et développé un secteur informel. Egalement appelé
« économie grise », ou encore « économie souterraine », le secteur informel « regroupe un
large éventail d'activités allant des activités légales réalisées illégalement aux activités
illégales »111. De cette économie grise découle une urbanisation informelle, que représentent
les gecekondu.
2. La rareté du sol à Istanbul
Les terrains disponibles à l’arrivée des migrants vers Istanbul étaient de fait
insuffisants. Ainsi ces nouveaux arrivants, qui pour la majorité d’entre eux n’avaient pas les
moyens financiers de supporter les prix pratiqués dans les domaines foncier et immobilier,
n’ont eu d’autre choix que de s’installer illégalement.
La succession de plans quinquennaux de développement économique et social à
partir de 1963 n’a pas permis de diminuer la proportion de la population en quartiers sous111
Source : Encyclopédie Universalis
67
intégrés. Elle était de 13,5% en 1960, et déjà de 21,8% en 1965 112. A partir de 1965, le taux
de croissance des quartiers irréguliers passe à 9,5% par an.
3. Un nombre de constructions insuffisant
B. Granotier chiffre le besoin en construction à 90.000 unités par an dans les années
1950. A cette époque, les réalisations manquent déjà. Seulement 52.000 unités sont
construites chaque année. La spéculation foncière vient détourner le capital. Celui-ci n’est
plus tourné vers l’investissement productif. Il se dirige progressivement vers l’immobilier, qui
permet certes d’attirer l’argent grâce à la spéculation foncière, mais aggrave le manque de
constructions.
La problématique du nombre, la rareté du sol et le manque de constructions à
Istanbul ont contribué à l’explosion urbaine qui se poursuit encore actuellement. Ces
caractères sont communs à de nombreuses grandes villes dans le monde, qui tout en s’étalant
continuellement, ne peuvent supporter une incontrôlable augmentation du nombre
d’habitants. Ainsi se développe l’habitat illégal. Cependant à Istanbul, la propagation de ce
type d’habitat est également due aux déficiences des institutions publiques.
B. La réponse aux défaillances des institutions publiques
Si l’origine de l’habitat illégal peut être imputée aux bouleversements socioéconomiques de la seconde moitié du XXème siècle, il apparait également que les institutions
publiques n’ont pas été à la hauteur des mutations urbaines. La résolution du problème que
constitue l’habitat illégal s’est avérée inadaptée. De plus, elle n’a pas été accompagnée d’une
politique de logement social. Enfin, les calculs électoraux des responsables politiques n’ont
fait qu’amplifier le phénomène.
1. Une résolution linéaire du problème inadaptée
B. Granotier113 estime que le développement de l’habitat illégal est en partie causé par
ce qu’il nomme « le dualisme de la structure urbaine »114. Ceci renvoie à un système dans
112
B. Granotier, 1980
68
lequel un aspect négatif d’un problème global est considéré isolément. En d’autres termes,
les autorités répriment un symptôme, de manière souvent artificielle, sans chercher à
comprendre le problème dans sa globalité. Les conséquences peuvent être encore plus
dommageables que les difficultés posées par le problème en lui-même.
A Istanbul comme ailleurs, le raisonnement est le suivant. L’installation illégale de
bidonvilles enlaidit le paysage urbain. La solution rapide et efficace consiste donc à raser les
bidonvilles, afin de les faire disparaître. Cependant les populations qui vivaient dans ces
habitations illégales se retrouvent donc sans abris, ramenées au point de départ. La situation
urbaine de base, qu’ils ont trouvée en arrivant dans la ville, n’a pas changé. La surpopulation,
la rareté du sol et les prix trop élevés des loyers sont toujours des réalités auxquelles ces
populations à bas revenus ne peuvent faire face. Très vite, ces sans-abris vont chercher à se
reloger, de la seule manière qui leur soit accessible. Les taudis ressurgissent alors dans des
sites encore moins adaptés, où apparaît une plus grande densité de pauvreté.
Résoudre le problème de l’habitat illégal de façon linéaire est inefficient et contreproductif. Il est impératif de prendre en compte toutes les variables de ce système complexe
afin d’aboutir à des solutions durables. En outre, l’expulsion d’habitants à faibles revenus de
leur lieu de vie perd tout son sens si aucune solution de relogement n’est proposée.
2. L’absence de politique de logement social
L’absence de politique publique de logement social est également à l'origine de la
multiplication des constructions illégales à Istanbul.
Après la Seconde guerre mondiale, le modèle libéral de croissance accélérée
préconisait la maximisation du PNB afin de financer le développement et les aides sociales.
Cependant, les différentes couches de la société n’ont pas profité équitablement de cette
distribution. Comme l’indique B. Granotier : « Le bâtiment et les travaux publics – sauf
incitations correctrices de l’Etat, bien rares dans le Tiers monde capitaliste – n’ont aucun
intérêt à se consacrer à une amélioration de la pauvreté urbaine »115. Majoritairement, les
Etats ont choisi le laisser-faire, à savoir le ciblage d’autres populations pour l’investissement.
B. Granotier, 1980
B. Granotier, 1980, p.55
115 B. Granotier, 1980, p.106
113
114
69
La tendance était à l’ignorance délibérée de l’habitat précaire, tandis que celui-ci ne cessait de
se précariser. Finalement, on bâtit du logement « social » pour les couches supérieures.
A Istanbul, la politique du logement s’avère inadéquate et insuffisante. TOKI,
l’organisme gouvernemental dédié à l’origine au logement social de masse, finance
prioritairement des projets de logement de luxe (figure 12). J.-F. Pérouse confirme ce constat
par l’étude de l’ensemble des projets de TOKI. Sur sept projets recensés, cinq concernent la
construction de logements de luxe, un seul est réservé à de l’habitat social, le septième étant
destiné aux victimes du séisme116.
Figure 12 : Une cité de luxe financée par TOKI ( Ağaoğlu My World)
3. Les calculs électoraux des responsables politiques
L’habitat est un sujet politique central à Istanbul. Les hommes politiques, pour être
élus, doivent savoir le manipuler. Les calculs électoraux ont d’importantes conséquences sur
le domaine de l’urbain.
D’une part, les questions de sécurité et d’image d’un quartier, essentiellement liées à la
présence de l’habitat illégal et des gecekondu en particulier, n’échappent pas aux élus. Ces
116
Figure 11 p. 57
70
derniers, quelques temps avant les élections, vont avoir tendance à diaboliser les occupants
en situation irrégulière et à mettre en place des politiques de transformation urbaine
impliquant le rasement d’habitations précaires.
D’autre part, de nombreuses amnisties ont été pratiquées à la veille d’élections. Les
bidonvillois sont devenus des acteurs politiques à part entière, comme le souligne Hamit
Bozarslan, à propos des nouvelles forces politiques turques apparues dans les années 1970 :
« Ces forces sont nées, en deuxième lieu, de l'exode rural à destination des grandes
métropoles du pays, notamment Istanbul, Ankara et Izmir. Cet immigration donne
inévitablement naissance à des nouveaux acteurs : classe ouvrière, groupes estudiantins,
populations des quartiers de bidonvilles (gecekondu) »117. Les amnisties figurent parmi les
facteurs de développement de l’habitat illégal. Sans être directement encouragée, l’illégalité
s’accompagne, par le biais de l’amnistie, d’une perspective de légalisation a posteriori.
Enfin, les terrains publics sont mis à disposition des politiques pour leurs calculs
électoraux. J.-F. Pérouse note une forte extension des terrains publics à Istanbul, en
particulier dans les arrondissements périphériques. A titre d’exemple, à Beykoz, l’un des
grands terrains forestiers d’Istanbul, 86% de la superficie de l’arrondissement étaient
constitués de terrains publics en 2003 118. Le foncier est donc un formidable pouvoir aux
mains de la puissance publique.
L’habitat illégal figure comme une réponse aux défaillances des institutions publiques,
incarnées dans la résolution linéaire et inadaptée du problème, l’absence d’une politique de
logement social, et les calculs électoraux des responsables politiques. En outre,
l’incomplétude du système légal urbain d’Istanbul est une porte ouverte à l’expansion de
l’habitat illégal.
H. Bozarslan, « Le chaos après le déluge : notes sur la crise turque des annèes 70 », Cultures & Conflits,
n°24-25, 2007
118 J.-F. Pérouse, « « Mülk Allah’indir » (Ce bien est la propriété de Dieu) : stratégies de légitimation de la
propriété foncière aux marges d’Istanbul », EUI Working Papers, Mediterranean Programme Series, n°21,
2008
117
71
C. L’incomplétude du système légal urbain
J.-F. Pérouse pointe du doigt les différentes failles dans la législation urbaine à
Istanbul, ainsi que les pratiques particulières qui sont autant de causes du développement de
l’habitat illégal119. La « cadastralisation » imparfaite laisse place à des pratiques mafieuses. De
même les changements rapides de statut des terrains mènent à des comportements illégaux.
1. Une « cadastralisation » imparfaite
Le fait que certaines parties du territoire stambouliote ne soient pas couvertes par le
cadastre120 suppose l’existence de flous, de zones de non-droit. Les pratiques illégales
deviennent alors possibles. A Istanbul, ces flous s’avèrent nombreux et parfois de grande
ampleur. A Azayama (arrondissement de Küçükçekmece), 46% du territoire n’était pas
régulièrement inscrit au cadastre en 2004. Depuis 2007, une opération publique de reprise en
main du territoire du quartier consiste à la destruction de l’habitat spontané qui avait été
intensif dans les années 1980.
En sus de ces vides juridiques, le statut foncier reste très incertain. Il est rare de
trouver des zones totalement « occupées » par des populations illégalement. Le légal côtoie
l’illégal. Les copropriétés sont ultra fractionnées et des doutes pèsent sur l’identité des
copropriétaires. Ainsi il devient difficile d’opérer des généralisations en vue de légaliser les
zones.
2. Des pratiques mafieuses
Le contexte de l’incertitude permet les occupations abusives et les transactions à
caractère mafieux. Ces pratiques étaient répandues dans les années 1960 et 1970 lorsque
l’exode rural était très fort. Les ruraux aux faibles moyens financiers recherchaient alors des
terrains pour construire leurs gecekondu. Ils représentaient des proies faciles pour les
119
120
J.-F. Pérouse, EUI Working Papers, 2008
Le cadastre est un document dressant l’état de la propriété foncière d’un territoire. Il s’agit d’un document
administratif, qui définit les limites des propriétés et leurs cotations, garantit les surfaces des parcelles, et
contient des informations concernant l’identité des propriétaires des terrains. Dans le cadre d’une étude de
l’habitat illégal, le cadastre est important d’un point de vue juridique.
72
escrocs, notamment les faux propriétaires qui construisaient des habitations sommaires sur
des terrains qui ne leur appartenaient pas, dans le but de les revendre.
De plus, l’administration locale, la police et la gendarmerie sont parfois complices de
ces escroqueries. L’administration du cadastre étant loin d’être transparente, de nombreuses
irrégularités naissent sans être découvertes. Les pots de vin, la production de faux
documents, les abus de biens publics et autres pratiques illégales existent bel et bien. Du côté
de la mafia, les pratiques sont radicales. Le chantage, les menaces, l’intimidation, les
meurtres… ne font pas exception.
3. Des changements rapides de statut des terrains
Le flou entourant le cadastre d’Istanbul est amplifié par différents modes de
changement de statut des terrains. Ces pratiques servent les intérêts des autorités publiques
autant que des entreprises privées, qui coopèrent. Les terrains publics, constructibles ou non,
sont vendus au privé, toujours selon d’obscures conditions. Au niveau du foncier, des statuts
intermédiaires apparaissent. Ceci permet à l’habitat illégal de se développer dans des
conditions précaires et sans assurance de statut pour l’avenir.
Tout d’abord, l’administration exerce l’annulation de statut de terrains forestiers. A
Beykoz, 3597 hectares ont ainsi changé de statut. Autrefois non-constructibles, ces espaces le
deviennent, en vue d’être vendus à des prix élevés. En effet, il s’agit de terrains à forte valeur
ajoutée. Leur habilitation à la construction répond donc à une logique de rentabilité de la
part de l’administration. En Turquie, la vente de terrains publics dans un objectif
économique est encouragée par le FMI depuis 2001. Depuis lors, de nombreuses lois (dont
la loi 4916 de juillet 2003121), mesures, règlements et décrets sont autant de preuves de
l’accélération de ce phénomène.
Ensuite, dans les années 1960-1970, les autorités publiques vendaient des terrains à
des migrants récents afin de canaliser l’urbanisation. Il s’agissait alors de résoudre l’impasse
née de l’addition de l’urbanisation et de la rareté du sol. Des zones précises destinées aux
121
L’article 1 de la loi 4916 stipule que « le but de cette loi est de mettre en place les fondements et les
principes qui permettront de faire rapporter à notre économie, en un temps plus court, les biens
immobiliers propriété du Trésor ainsi que de définir les procédures de vente des biens du Trésor désignés
comme devant être vendus par décision du Conseil des Ministres ».
73
nouveaux arrivants ont été délimitées. Cependant, les titres de propriété n’étaient pas fournis.
Par la suite, les mairies d’arrondissements ont pu échanger ces terrains avec la Direction des
Fondations, sans prévenir les occupants au préalable.
Enfin, l’administration a recours aux baux emphytéotiques. Le bail emphytéotique, de
très longue durée, donne au locataire, l’emphytéote, la quasi-propriété du terrain. A Istanbul,
la durée du bail dépasse rarement 49 ans. Ces baux sont signés au nom du « bien public ».
Mais J.-F. Pérouse dénonce le fait que les terrains concernés finissent le plus souvent aux
mains du privé. Ainsi depuis 2003, le bail emphytéotique à destination du privé est devenu
une pratique institutionnalisée et systématisée par la Direction des Fondations.
Les modifications incessantes des documents d’urbanisme sont source d’insécurité
foncière et ouvrent la voie à l’illégalité. Les pouvoirs publics semblent préférer la recherche
effrénée de la rente urbaine à la résolution du problème de l’habitat illégal. Pire, l’intérêt
général est parfois mis à mal par la logique du profit. En effet, les terrains publics de bien
commun tels que les lycées ou les hôpitaux deviennent des zones de développement
touristique et commercial. De même les zones protégées se transforment en zones
d’urbanisation légales, au détriment des impératifs environnementaux et de santé publique.
Le quartier de Sarıyer, ancienne zone protégée, est maintenant à la merci du développement
urbain.
L’habitat illégal trouve donc les moyens de se développer à Istanbul dans
l’incomplétude du système légal, qui reste flou. La « cadastralisation » est imparfaite, ce qui
permet à la mafia de dominer le foncier dans certains quartiers. A ce flou législatif s’ajoute
des changements rapides de statut des terrains. En définitive, un manque de clarté généralisé
laisse place à l’illégalité. En amont, l’habitat illégal trouve son origine dans le développement
économique qui a bouleversé les structures urbaines. Les institutions publiques
stambouliotes et turques n’ont pas su prendre les mesures nécessaires pour faire face à ces
changements. Il convient maintenant de comprendre comment l’habitat illégal est géré à
Istanbul.
74
III.
La gestion de l’habitat illégal : les amnisties
En Turquie, la gestion de l’habitat illégal passe par les amnisties. Cette pratique vise à
mettre fin à une situation d’illégalité par une intervention corrective. Les occupants
obtiennent a posteriori les droits attenants au sol qu’ils occupent de facto depuis plusieurs
années. L’historique des amnisties à Istanbul sera traité dans les chapitres suivants.
Si différentes approches du phénomène de l’habitat illégal sont possibles, la Turquie a
choisi celle des amnisties. Cependant, les autorités publiques tendent à restreindre ce type de
pratique.
A. Différentes approches possibles
B. Granotier liste les possibilités offertes aux politiques pour la gestion de l’habitat
illégal122. Elles peuvent être divisées en quatre catégories, en commençant par le laisser-faire,
puis les politiques restrictives, les politiques positives, enfin les solutions alternatives.
1. Le laisser-faire
La solution du laisser-faire consiste pour les responsables politiques à délibérément
ignorer les situations illégales, ainsi que les conséquences qu’elles impliquent : conditions de
vie précaires, marginalisation, dégradation de l’environnement… L’argument avancé est celui
du manque de ressources.
Dans le même temps, des logements « sociaux » sont construits pour les couches
supérieures de la population. Et lorsque que l’habitat précaire se propage jusqu’aux beaux
quartiers, la Police est envoyée pour faire le nettoyage. Istanbul est un exemple typique de
politique de laisser-faire.
122
B. Granotier, 1980
75
2. Les politiques restrictives
Celles-ci donnent une image de violence et d’intolérance. Les populations sont
rapatriées et les taudis détruits. Les autorités exercent une répression variable sur les
bidonvillois et les colonies de squatters. Ces habitants de l’illégalité sont (r)envoyés vers les
zones rurales ou vers la lointaine banlieue. Ces politiques restrictives ont été utilisées en
Chine lors de la désurbanisation des années 1960. L’ancien régime prochinois du Cambodge
a évacué 90% de la population de la capitale. A Istanbul en 1977 et 1978, l’armée a tiré sur
les occupants lors d’une expulsion.
Lorsque ces pratiques ont lieu dans les pays où la liberté de déplacement est garantie,
elles sont logiquement vouées à l’échec. En effet, les personnes rapatriées ont la possibilité
de revenir en ville. L’expansion des bidonvilles en est une conséquence directe. Les taudis du
centre de la ville détruits, on reconstruit des immeubles de standing. Ainsi les habitants
doivent migrer vers les bidonvilles.
3. Les politiques positives
Elles consistent en l’amélioration du bidonville et la création de lotissements neufs
pour les familles à très faibles revenus123. Deux méthodes existent alors.
D’une part, légaliser la colonie de squatteurs crée une incitation à l’auto-amélioration
du logement et du quartier. C’est la solution « barriada »124 apportée par l’urbaniste Turner au
Président du Pérou, Manuel Prado. Turner constate que les bidonvillois savent parfaitement
se débrouiller seuls et sont capables de restructurer eux-mêmes leur habitat. De ce fait, l’Etat
doit leur venir en aide pour la rénovation, plutôt que de mettre en place des programmes
coûteux et rarement fonctionnels de logements sociaux. Une baisse de la valeur potentielle
de certains quartiers et un préjudice au paysage urbain sont à craindre. Cependant, les
avantages sociaux, économiques et administratifs du maintien sur place se font très vite
sentir.
Ces lotissements neufs ne doivent pas être confondus avec les « logements sociaux ». Ils ne sont pas le fait
d’une politique sociale, mais bien de l’initiative privée. On ne peut donc pas parler d’aide sociale
concernant ces constructions.
124 J.-M. Rodrigo, 1990, p.52
123
76
D’autre part, l’obsolescence prématurée du stock de logements à bon marché peut
être évitée. Une politique positive consisterait à un entretien régulier et une bonne gestion de
ces habitations. Le maintien en état d’un parc immobilier existant s’avère moins coûteux que
la construction de toutes pièces de nouveaux logements.
4. Les solutions alternatives
La Banque mondiale s’est constituée son propre modèle d’intervention dans le
secteur urbain. Deux brochures publiées en 1972125 et en 1975126 exposent les propositions
de l’institution. Il s’agit pour l’Etat de réaliser des « trames d’accueil », le plus souvent
destinées à recaser des populations qui ont été délogées lors d’une opération de
transformation urbaine, de réhabilitation d’un quartier, ou encore de dédensification du tissu
urbain127.
Ces « trames d’accueil » désignent concrètement des parcelles assainies sur des sites
équipés. Selon cette proposition, l’utilisation des ressources publiques est rationalisée, et le
temps et le travail des habitants optimisés. Selon les ressources, cela peut aller de la
délimitation de lots de terrains complétés par quelques services, à la planification
sophistiquée en vue de réaliser ce qui ressemblerait à une ville nouvelle. Dans tous les cas, les
habitants doivent être associés au projet.
Malgré les points positifs de cette solution alternative apportée par la Banque
mondiale, de tels projets restent très coûteux. Les coûts étant répartis sur les populations
aidées, cette alternative ne profite donc qu’aux classes moyennes inférieures. Cependant
B. Granotier reste optimiste : « La troisième décennie de l’ONU pour le développement
verra la généralisation des expériences de participation populaire à l’habitat, seule à même de
relever le défi »128.
Les autorités publiques disposent donc d’une large palette de moyens de gestion de
l’habitat illégal. Les solutions apportées dépendent de tout un contexte historique,
Banque mondiale, Urbanisation. Etude sectorielle, Washhington DC, Banque mondiale, 1972
Banque mondiale, Habitat. Politique sectorielle, Washington DC, Banque mondiale, 1975
127 A. Osmont, La Banque mondiale et les villes: du développement à l'ajustement, 2005, p.34
128 B. Granotier, 1980, p.113
125
126
77
économique, social et idéologique. En Turquie, le choix des dirigeants s’est tourné vers les
amnisties, qui entrent dans la catégorie des politiques positives.
B. Les amnisties
Les premières amnisties concernaient les occupations illégales d’Ankara. Elles ont
débuté en 1948. Depuis, pas moins de quinze amnisties ont été édictées. J.-F. Pérouse opère
une typologie des légalisations129. Au-delà des amnisties directes, d’autres cas de légalisation
ont été dénombrés, ainsi que des amnisties indirectes.
1. Les amnisties directes
Le cadre général des amnisties renvoie à la légalisation par la distribution de tapu
(titres de propriété). Cette légalisation a posteriori est souvent le résultat d’un long rapport
de force entre la population locale et les pouvoirs locaux. Les terrains occupés sont
finalement vendus aux habitants à des prix avantageux.
Cependant, dans les années 1990, la logique a changé. Avant 1996, les prix de vente
restaient symboliques. L’objectif était bien la légalisation. Par la suite, les prix ont augmenté
selon un principe de réalité. En 1997 à Mehmet Akif (arrondissement de Küçükçekmece),
sur les 420 familles concernées par les ventes de terrains, seules dix d’entre elles en avaient
les moyens financiers. De plus, un arrêt de la Cour de cassation de 1989 nie toute validité du
tapu distribué. A partir de là, la transformation du statut de l’illégalité en droit de propriété
n’est plus assurée. Les pratiques deviennent floues.
2. D’autres cas de légalisation par la vente ou la location de terrains
La loi n°5084 de février 2006 offre à l’Etat la possibilité de céder des terrains publics
à des investisseurs. Désormais les familles occupant illégalement les terrains ne sont plus
prioritaires pour l’achat de ces terrains. La pratique montre que les grands groupes de
construction, parfois liés au pouvoir politique, sont favorisés par rapport aux familles qui
occupaient déjà les lieux. Ces dernières se trouvent alors dans l’obligation de partir.
129
J.-F. Pérouse, EUI Working Papers, 2008
78
La vente et la location de terrains publics représentent une importante source de
revenus pour les collectivités locales. Le quotidien Milliyet publie en 2007 un article indiquant
que le total des ventes en 2006 se chiffrait à 954 millions de livres turques, c’est-à-dire 600
millions d’euros130.
3. Les amnisties indirectes
Un certain nombre de pratiques ont eu pour effet indirect de légaliser des situations
auparavant illégales. L’équipement de terrains en infrastructures permettant la distribution
d’eau et d’électricité, ou encore le raccordement aux transports publics, peuvent être
considérés comme un début de reconnaissance pour ces quartiers auparavant marginalisés.
En outre, des lois, des directives et des règlements ont pour conséquence indirecte
d’entériner les abus et les entorses au droit. J.-F. Pérouse prend l’exemple du règlement sur la
construction édicté en avril 2000. De même des amnisties ad hoc
sont accordées aux
établissements industriels qui ne menacent pas les équilibres naturels.
Les amnisties représentent le fer de lance de la politique de gestion de l’habitat illégal
en Turquie. Paradoxalement, elles contribuent à l’accélération de l’habitat illégal. En effet, les
individus et les entreprises prennent plus facilement le risque de s’installer illégalement, du
fait de cette perspective d’obtention d’un titre de propriété par l’achat a posteriori. Les
amnisties sont désormais accordées prioritairement aux entreprises, dans une logique de
profit et de développement économique. Pour les acteurs publics, cette logique est plus
rentable. Les entreprises ont les moyens d’acheter à des prix plus élevés que les familles
installées illégalement, qui ont, par définition, de modestes revenus.
Les ventes symboliques renvoient à une période révolue. La stratégie du fait accompli
profite seulement aux groupes de construction, voire aux individus qui disposent de relations
sures dans l’appareil administratif. Car l’Administration se montre de plus en plus intolérante
envers ces pratiques de légalisation.
130
Hürriyet, “Hazine taşınmazlarından 1 milyar YTL'lik gelir”, Milliyet, 14.06.2007
79
C. Vers une plus grande intolérance
Si les amnisties constituaient la norme jusqu’à la fin des années 1990, on observe
désormais un changement d’attitude de la part des autorités publiques, vers moins de
tolérance vis-à-vis de l’habitat illégal. J.-F. Pérouse évoque « le temps révolu de la tolérance
politicienne »131. Dans cette perspective, le Code pénal turc a été modifié, avec la volonté
sous-jacente de créer de l’illégalité foncière.
1. « Le temps révolu de la tolérance politicienne »
Depuis le début des années 2000, les pouvoirs publics stambouliotes ont opéré un
changement d’attitude vis-à-vis de l’habitat illégal. La tolérance n’est plus de rigueur. Les
amnisties se font rares et sont accordées moins directement. Les groupes de revendications
citoyens en faveur de la légalisation semblent avoir perdu une part de leur pouvoir
d’influence.
Cette évolution se vérifie par l’augmentation du prix de vente des terrains publics en
vue de la légalisation. Les habitants se retrouvent en concurrence directe avec les entreprises
commerciales et industrielles, qui bénéficient d’une priorité d’achat du fait de leur proximité
avec les pouvoirs publics. En tout état de cause, les modes de légitimation restent toujours
très flous.
2. Des changements dans le Code pénal turc
Ces modifications vont dans le sens d’une criminalisation de l’installation et de la
construction illégales. L’illégalité foncière est sévèrement pénalisée. Les modifications les
plus marquantes datent de 2004.
L’article 184 alinéa 1 a été modifié par la loi 5237 du 26 septembre 2004. Le
législateur consacre alors la criminalité de l’acte en lui-même, ainsi que de la situation
d’occupation. Les occupants, mais également ceux qui ont toléré ou favorisé ces délits
encourent de sévères peines de prison, allant de un an à quatre ans d’enfermement.
131
J.-F. Pérouse, 2008
80
3. La volonté de créer de l’illégalité foncière
Néanmoins, cette évolution autant dans l’état d’esprit des autorités que dans la
législation ne reflète pas une volonté de favoriser la légalité et de faire appliquer le droit. En
substance, le but est de créer de l’illégalité foncière afin de justifier les opérations de
rénovation urbaine sur des terrains « occupés ».
La connotation très péjorative du statut d’ « occupant » révèle cet objectif sous-jacent
de faire passer les habitants en situation irrégulière pour des criminels. Les pouvoirs publics
gagnent ainsi la bataille de l’image. De destructeurs de lieux de vie d’une population
défavorisée, ils deviennent les personnes publiques de bonne volonté souhaitant réaliser des
travaux dans un but d’intérêt collectif, sans en avoir la possibilité. Parallèlement, les
« occupants » seraient des opportunistes profitant du système tout en empêchant le
développement urbain.
Cependant, ce manichéisme est invalidé par la pratique. A titre d’exemple, le quartier
d’Ayazma est présenté comme une zone occupée. Pourtant, plus du tiers des terrains est
possédé « légalement ». De plus, moins de 25% des terrains concernés par l’opération de
transformation urbaine appartiennent au Trésor et sont inscrits au cadastre comme terrains
publics. Enfin le reste des terrains concernés par la transformation n’est pas clairement
enregistré au cadastre. Les pouvoirs publics semblent donc « profiter » des statuts
intermédiaires et de l’illégalité.
En Turquie, la gestion de l’habitat illégal a longtemps pris la forme d’amnisties,
directes ou indirectes. Les prix de vente des terrains occupés illégalement restaient
symboliques. II s’agissait avant tout de prendre en compte les risques liés à cet habitat
précaire. Puis, le principe de réalité et la logique de profit ont pris le dessus. La récente
évolution vers l’intolérance des autorités publiques ne doit pas être entendue comme une
volonté de mettre fin à des pratiques illégales, dans un objectif d’imposition d’un droit
universel. Cette intolérance sert les objectifs financiers de l’Etat et des collectivités locales. Il
s’agit de renflouer les caisses publiques et de permettre en priorité le développement de
l’initiative privée, très souvent au détriment des familles qui se voient délogées.
81
En conclusion de ce chapitre, l’habitat illégal n’est pas une particularité d’Istanbul. Il
correspond au modèle des villes méditerranéennes et, plus largement, existe partout dans le
monde. A cet égard, l’œuvre de Mike Davis, Le pire des mondes possibles, nous éclaire sur le
caractère global de l’habitat illégal. Déjà en 1980, B. Granotier expliquait que la loi des
doublements s’était vérifiée dans les années 1970. Dans les PED, si le taux de croissance
démographique est de 2,5% à 3% par an, ces chiffres doivent être multipliés par deux pour
obtenir le taux de croissance urbaine. Quant au taux annuel d’extension des taudis, des
bidonvilles et des colonies de squatteurs, il se situe entre 10% et 12%. Les autorités
municipales et gouvernementales ne parviennent pas à juguler cette expansion de misère.
En sus de ces paradigmes globaux, à Istanbul, le rôle de l’administration publique est
central. Ses défaillances ont contribué au développement de l’habitat illégal. Le système
stambouliote est incomplet. Il donne l’image d’une administration qui n’a pas la main sur la
totalité de son territoire et qui a voulu retrouver ses prérogatives en comprenant les
possibilités financières offertes par la rente foncière. La gestion de l’habitat illégal est
incarnée par les amnisties. Si à l’origine la pratique de l’amnistie était générale et peu ciblée,
les relations de pouvoir semblent avoir pris le dessus, vers une plus grande intolérance et un
favoritisme envers les grands constructeurs proches du pouvoir.
J.-F. Pérouse conclut à la labilité et la relativité de la légalité foncière. Il convient
cependant de distinguer l’illégalité de l’illégitimité, pour ne pas succomber au lieu commun
consistant à considérer Istanbul comme une ville massivement illégale. Subsistent plusieurs
formes d’illégalité. Certaines sont relatives au sol, d’autres à la construction en elle-même.
On assiste actuellement à un conflit des légitimités, à l’origine de contradictions au sein du
dispositif légal existant. L’auteur estime que le terme gecekondu est l’objet d’un usage abusif.
Il semble donc opportun de sortir de la généralisation qu’implique la notion d’habitat illégal,
afin de revenir sur le concept de gecekondu, qui répond à un certain nombre d’enjeux qui lui
sont propres.
82
PARTIE 2
LE GECEKONDU STAMBOULIOTE COMME
LIMITE DU NEOLIBERALISME
Le gecekondu, forme d’habitat précaire illégal parmi tant d’autres dans le monde, est
la conséquence de divers procédés économiques, politiques et sociaux. Aucune forme
d’habitat ne peut s’imposer dans une ville, même globale, sans le consentement de ses
dirigeants. L’urbanisation fulgurante de ces cinquante dernières années n’a certes pas laissé
aux autorités le temps nécessaire à l’élaboration de stratégies permettant la mise en place de
structures d’accueil pour les migrants de l’exode rural. Mais l’évolution de l’habitat illégal qui
a suivi est issue de logiques économiques et politiques, qui lui ont permis de survivre, dans
des conditions toujours plus précaires.
A Istanbul, le gecekondu s’impose comme une limite du néolibéralisme. En effet, les
résultats des politiques néolibérales à l’échelle de la ville sont contestables. Pour le
démontrer, une définition préalable du gecekondu s’impose. Ensuite, le déclin des solidarités
et la menace qui pèse sur l’avenir des gecekondu doivent être évoqués. Enfin, les différents
enjeux dérivés de ce phénomène illustrent plus précisément les carences du néolibéralisme
urbain à Istanbul.
83
Chapitre 4 : Définir le gecekondu
Littéralement, le terme gecekondu désigne un bâtiment posé en une nuit1. Selon les
auteurs et les critères qu’ils privilégient, les définitions diffèrent. Mahir Gençay offre un
premier éclaircissement en 1962. Le critère de l’illégalité de l’occupation est choisi :
« Hébergement construit rapidement sur un lieu n’appartenant pas à celui qui construit, en
violation des règlements sur la construction, sans aucun souci des normes hygiéniques et
techniques »2 Puis, pour Ruşen Keleş, le gecekondu désigne une « forme d’habitat construit
par les familles pauvres ou à faibles revenus dont le besoin de logement n'est pas satisfait par
l'autorité publique, en dehors des normes de construction et d'urbanisme et sur les
propriétés foncières appartenant aux entités publiques ou privées sans le consentement ni la
connaissance du propriétaire »3.En 2004, Jean-François Pérouse conclut à « une forme
d’auto-construction illégale (sans autorisation), sur des terrains au départ non-possédés par
les constructeurs »4.
De prime abord, trois critères viennent définir le gecekondu, à savoir la propriété,
l’auto-construction
certains
et
habitants
la
pauvreté.
Cependant,
sont
propriétaires de leur
gecekondu. De plus, l’auto-
construction peut être
accompagnée d’une aide
technique
autorisation légale. Enfin
les
gecekondu ne sont pas
nécessairement les plus
pauvres de la ville. Ce type
d’habitat
essentiellement
solution à la demande
à
une
et
d’une
quartiers
de
renvoie
de logement des migrants,
trouvée
mêmes. J.-F. Pérouse insiste
sur le fait que le terme
gecekondu s’est à la fois
Figure 13 : un quartier de gecekondu
par
eux-
élargi et banalisé, pour
Le terme gecekondu est formé des mots gece : la nuit et kondu : arrivé, atterri.
M, Günçay, cité par J.-F. Pérouse dans l’article « Les tribulations du terme gecekondu (1947-2004) : une lente
perte de substance. Pour une clarification terminologique. » EJTS, 2004
1
2
3
R. Keleş, Kentleşme Politikası (Les Politiques de l’Urbanisation), 2008
4
J.-F. Pérouse, 2004
84
devenir scientifiquement contre-productif. Le gecekondu est systématiquement considéré
comme un problème.
Il ne s’agit pas ici de revenir à une définition stricte, mais de comprendre ce qui a
mené à son élargissement. Après une clarification des différents sens du mot gecekondu, les
implications de l’économie néolibérale dans le processus seront mises en avant, sans pour
autant laisser de côté les logiques externes à l’économie.
I.
Un élargissement de la définition, lié à l’évolution des pratiques
Le terme gecekondu est apparu pour la première fois dans la presse stambouliote le 5
juin 1947. Le législateur l’a adopté très rapidement. La première utilisation publique par les
députés a eu lieu à la fin de l’année 1947, durant le vote du budget pour l’année 1948.
Si le premier critère à s’imposer est d’origine juridique, une définition architecturale a
ensuite été privilégiée. Une lente perte de sens a définitivement porté l’accent sur les
modalités de la construction.
A. Le gecekondu juridique : le statut du sol
On parle ici de « gecekondu foncier », en tant que relation entre le sol et son statut. La
définition se rapporte dans un premier temps à l’illégalité. Puis la légalisation du sol par les
amnisties implique finalement une redéfinition du terme.
85
1. Une définition se rapportant à l'illégalité
C’est en 1947, à la Grande assemblée nationale de Turquie5, qu’apparaît le terme
gecekondu. En 1953, Fehmi Yavuz explique que « les gecekondu sont des bâtiments édifiés
précipitamment, la plupart du temps dépourvus des conditions de confort les plus
élémentaires, et qui contreviennent aux lois sur la construction, sans tenir compte des droits
du propriétaire du terrain où ils s'installent »6. Cela témoigne d’une double illégalité, relative à
la fois au sol et à la construction.
La configuration initiale et invariable du « gecekondu foncier » renvoie donc à une
opération d’auto-construction illégale, sur des terrains non-possédés par les constructeurs.
Les terrains appartiennent, la plupart du temps, au domaine public ou aux fondations
pieuses. En effet, il s’agit d’espaces de non-droit par définition, de fait d’avantage
susceptibles d’être envahis illégalement.
2. La légalisation du sol par les amnisties
La gestion de l’habitat illégal en Turquie s’est traduite par les amnisties. La loi du 11
juin 19487 en est le texte fondateur. Cette loi s’applique uniquement à Ankara et vise à
l’amélioration des gecekondu par l’intermédiaire de services rendus aux habitants. La même
année, une seconde loi8 confère aux habitants de gecekondu de l’ensemble du pays le droit
de contracter un crédit bancaire. La municipalité peut alors reprendre le contrôle sur ces
zones et orienter le développement futur de la capitale. En effet, cette permission donnée
aux « revenus limités » de sortir de l’illégalité et de la précarité ne se fait pas sans
contrepartie. Les habitants ont l’obligation d’améliorer leur habitat en respectant des normes
minimales de qualité de construction. Concrètement, la loi de juin 1948 autorise la
délimitation de zones « autorisées ». En 1948, 70.000 personnes sont concernées à Ankara.
La loi répond donc à une nécessité.
Türkiye Büyük Millet Meclisi (TBMM) : Grande assemblée nationale de Turquie. Ce Parlement
monocamériste compte 550 membres, élus pour un mandat de quatre ans, et détient le Pouvoir législatif.
6 F. Yavuz, cité par Hakan Yücel, dans le cadre de son cours à l’Université Galatasaray d’Istanbul
7 Loi n°5218 du 11.06.1948
8 Loi n°5228 du 06.07.1948
5
86
Le texte le plus significatif est voté en 19539. Cette loi consacre la légalisation
généralisée de tous les gecekondu, par le droit offert aux municipalités d’allouer ou de céder
une partie du terrain et du sol aux habitants qui y ont construit leur logement. Cette loi
s’inscrit dans la volonté de légaliser l’habitat spontané, celui-ci ne pouvant être
raisonnablement détruit.
Ensuite, les années 1960 marquent un tournant dans l’histoire des gecekondu. Le
gouvernement reconnaît leur importance dans le processus d’urbanisation à travers le
gecekondu kanunu de 196610. Cette loi met en place un mécanisme permettant aux
établissements non planifiés d’obtenir un statut légal. Cette codification représente une réelle
avancée pour la vie des quartiers marginaux. Elle s’est faite en trois temps. A l’origine, le
gecekondu avait une existence de facto seulement, restant sous la menace permanente d’une
démolition (ruhatsız inşaat). Ensuite, le statut ıslah représentait une acceptation, qui n’était pas
pour autant une légalisation. Avec le gecekondu kanunu de 1966, des tapu, ces titres de
propriété légalisant l’occupation du terrain, peuvent désormais être distribués.
A partir du début des années 1980, on constate une systématisation des amnisties,
avec les lois de 198311 et de 198512. La loi de 1966 est à l’origine de cette politique
pragmatique. Les gecekondu sont juridiquement consolidés. Un premier pas est fait vers une
intégration sociale et politique, grâce aux plans d’amélioration compris dans les différentes
lois.
3. Une nécessaire redéfinition du terme gecekondu
Ces lois, ajoutées à une pratique politicienne résolument permissive, ont consacré la
légalisation et la pérennisation au sens juridique des gecekondu. La définition relative au
statut du sol, le « gecekondu foncier », semble alors obsolète. Actuellement, peu de
gecekondu répondent aux critères de définition énoncés en 1948. Un autre aspect doit donc
être mis en avant pour remplacer cette définition juridique.
Loi n°6188 du 29.07.1953
Gecekondu Kanunu (loi sur les gecekondu) n°775 du 20.07.1966
11 Loi n°2805 du 16.03. 1983 remplacée par la loi n°2981 du 24.02.1984
12 Imar Kanunu (loi sur la construction) n°3194 du 03.05.1985
9
10
87
B. Le gecekondu architectural : la forme de la construction
L’attention se déplace de l’illégalité, donnée purement abstraite, à une acceptation
visuelle et physique. Une forme de construction particulière caractérise le gecekondu. Cette
image mène parfois à une sorte de fétichisation. Les premiers gecekondu de masse sont
apparus à Istanbul à la fin des années 1940, dans le district de Kazliçesme-Zeytinburnu.
1. Une description visuelle du gecekondu
Deux ensembles de propriétés caractérisent le gecekondu (figure 14). C’est d’une part
un habitat sommaire, précaire et bas, dépourvu d’équipements de base. En effet, le temps de
la construction (une nuit) ne permet pas de mettre en place les installations élémentaires de
confort. Rares sont les maisons qui disposent de l’eau courante ou encore d’une installation
électrique de qualité. L’ameublement et l’immobilier y sont sommaires.
D’autre part, le gecekondu est une construction intrinsèquement évolutive. On
retrouve l’image d’un chantier permanent. Au fil des mois et des années, les habitants
trouvent les moyens d’améliorer leur habitat. En ce sens, il serait incorrect d’assimiler le
gecekondu aux classiques bidonvilles. Il se compose de bâtiments « en dur », pour citer
Collette Vallat13. Les gecekondu sont identifiables à leur architecture, à savoir de petites
maisons basses, aux matériaux relativement homogènes et solides.
2. L’image d’un gecekondu proche de l’habitat rural
Cette définition architecturale rapproche le gecekondu de l’habitat rural (figure 14).
La confusion entre gecekondu des villes et gecekondu de la campagne est relayée par le
cinéma, la littérature et la télévision. Les différents médias offrent une vision pittoresque de
cet habitat. C’est le cas du documentaire germano-turc de Anja Hansmann et Ebru Karaca,
intitulé Gecekondu – über Nacht gebaut14. Sur une photographie du film (annexe 5), des vaches
sont utilisées comme allégorie des gecekondu, en plein milieu de tours d’immeubles
13
14
C. Vallat, 2008
A. Hansmann et E. Karaca, Gecekondu – über Nacht gebaut, 2003
88
modernes. Pourtant, les matériaux de construction et les modes de vie sont très différents de
ceux de la campagne.
Crédit : Marie Fonteneau
Figure 14 : Un habitat d'apparence rurale
Les écrits d’Ulrich Planck illustrent cette idée de ville à la campagne, et de campagne à
la ville : « Lorsque j’arrivai un doute m’assaillit. Etais-je bien dans la capitale de la Turquie ou
dans l’un de ses villages ? En effet, dans ce quartier de gecekondu, j’avais l’impression d’être
dans un village urbain. Tout d’abord, par l’architecture : des maisons basses à un ou deux
étages, solides mais dénotant un art certain du bricolage chez leurs constructeurs, jouxtaient
quelques apartkondu de trois à cinq étages. Bien souvent, on trouvait des jardins avec une
partie réservée à un poulailler. […] »15.
3. Une vision marginale et idéalisée du gecekondu
Au-delà même d’une vision pittoresque de la campagne s’installant à la ville, le
gecekondu est parfois exalté comme un milieu de vie préférable au développement urbain.
Ces petites maisons restent à taille humaine, en opposition aux gigantesques barres
d’immeubles dans lesquelles d’innombrables familles vivent en promiscuité. « Ce qui rend la
pauvreté si dure, ce ne sont pas les privations, c’est la promiscuité »16, écrivait Marguerite
U. Planck, cité par Benoît Fiche dans « La modernité est en bas : ruralité et urbanité chez les habitants d’un
gecekondu d’Ankara », European Journal of Turkish studies, 2009
16 M. Yourcenar, Alexis ou le traité du vain combat, 1976, p.67
15
89
Yourcenar. En somme, selon cette vision, les familles à bas revenus seraient plus heureuses à
vivre dans les gecekondu, où l’entraide et la solidarité sont de mises.
Certains habitants de gecekondu préfèrent rester dans leur logement qu'aller dans
appartements des grandes tours. D’après J.-F. Pérouse, le tremblement terre de 1999 aurait
causé un retour au gecekondu architectural. Cependant, il convient de se garder de toute
vision idyllique de la vie au sein d’un gecekondu, et de rappeler qu’il ne s’agit pas d’un choix
pour ces populations, mais bien d’un dernier recours.
Après avoir invalidé la définition juridique du gecekondu, il semble que le critère
architectural trouve également son obsolescence dans l’évolution des formes de construction
du gecekondu.
C. La forme non réglementaire de la construction
La verticalisation des constructions plonge le critère architectural en désuétude.
L’apartkondu a progressivement remplacé le gecekondu. La définition s’est alors élargie à la
forme non-réglementaire de l’habitat illégal.
1. Le processus de verticalisation
Au début des années 1980, sous l’impact de la
généralisation des amnisties, les constructions de type
gecekondu
se
sont
multipliées
et
banalisées.
Progressivement, les immeubles en béton ont remplacé
les gecekondu. A Zeytinburnu et à Bayrampaşa, qui
étaient des exemples significatifs de gecekondu des
années 1950 à 1970, on observe désormais des
ensembles d’immeubles jointifs, à peu près alignés.
Ces immeubles, appelés apartkondu (figure 15),
sont apparus de deux manières. Ils sont soit conçus de
Figure 15 : un quartier d'apartkondu
toute pièce par des entrepreneurs, soit le résultat de l’ajout d’un ou plusieurs étages aux
90
maisons basses qui existaient préalablement. Cela a pour conséquence d’amplifier les risques
liés aux défauts de construction.
2. L’invalidation de la définition architecturale
Depuis ce processus de verticalisation, qui s’est généralisé, le gecekondu architectural
n’existe plus. Les maisons basses construites à l’aide de matériaux de récupération tendent à
se raréfier (figure 16). En outre, la terminologie ne correspond plus à la définition d’origine.
Le concept de construction en une nuit a disparu17. Il est évidemment impossible de bâtir un
immeuble en une nuit. L’apartkondu est un « immeuble posé ». On s’éloigne également du
bidonville, car le bâti gagne en qualité et en solidité.
Figure 16 : le gecekondu architectural - une maison basse construite à l’aide de matériaux de
récupération
“L’apartkondu, immeuble non réglementaire dans ses modalités de construction, mais
édifié sur un terrain appartenant au constructeur, témoigne d'une tendance à la densification
immédiate du bâti illégal de bas de gamme. Le mode de construction dominant, actuel, est
en effet devenu l'auto-construction d'un immeuble -avec recours éventuel à un contremaître
(kalfa) pour certaines opérations délicates nécessitant un savoir-faire technique spécial- sur
un terrain légalement acquis et avec un permis de construction délivré par les autorités
compétentes »18. Selon cette définition de J.-F. Pérouse, « auto-construction » n’est pas
Le terme apartkondu renvoie au mot apartman, qui signifie « immeuble ». Il remplace le mot gece, « la nuit » de
gecekondu.
18 J.-F. Pérouse, 2004, §28
17
91
nécessairement synonyme d’illégalité. Le critère juridique lié à la légalité foncière est
également évincé.
3. L’extension du sens : la forme non-réglementaire de la construction
Le terrain appartient au constructeur et le bâtiment compte plusieurs étages. Le
dernier critère effectivement observable reste donc celui de la forme non-réglementaire de la
construction. Le bâti est en lui-même illégal.
Les secteurs de l’immobilier et du foncier à Istanbul sont l’objet d’une forte tendance
au bâti illégal bas de gamme. Les propriétaires ont recours à l’auto-construction d’un
immeuble, avec l’expertise éventuelle d’un contremaître.
En conclusion, l’apartkondu est assimilé au gecekondu alors qu’il ne correspond pas
aux définitions foncière et architecturale traditionnelles. Ceci n’est pas le fruit d’une erreur
méthodologique, mais bien d’une évolution dans les pratiques liées au gecekondu. Si J.-F.
Pérouse évoque une perte de sens, il n’en reste pas moins que les problématiques liées à
l’habitat illégal à Istanbul sont toujours d’actualité. D’abord juridique, puis matérielle, il
semble que la définition du gecekondu soit devenue en grande partie symbolique.
II.
Une définition désormais symbolique
L’extension du sens donné au gecekondu a mené à une définition surtout symbolique.
Cette forme d’habitat représente l’illégalité. Le gecekondu s’est politisé. Il est l’objet d’une
stigmatisation sociale et économique.
92
A. La métaphore de l'habitat illégal
Bien que les pratiques entourant le gecekondu aient considérablement évolué, aucun
autre terme ne s’est imposé. Les chiffres officiels s’appuient tous sur le critère de l’illégalité.
1. L’immuabilité du terme gecekondu
Compte tenu de l’obsolescence des définitions données au gecekondu, un terme
différent aurait dû le remplacer. Pourtant, le mot gecekondu est resté. L’apartkondu ne s’est
pas imposé dans les discours universitaires et politiques. Les pratiques ont évolué mais le
terme est resté.
Non seulement l’usage du mot ne correspond plus à sa définition d’origine, mais cette
utilisation semble s’être généralisée, pour finalement désigner toutes formes d’illégalité. Si au
départ, l’illégalité est venue définir le gecekondu, le gecekondu représente désormais
l’illégalité.
2. Des chiffres officiels basés sur l’illégalité
J.-F. Pérouse note que pour certains auteurs, 60% des habitations stambouliotes sont
des gecekondu. La Préfecture d’Istanbul, quant à elle, comprend le gecekondu comme une
construction illégale. Ainsi en 1984, elle comptait 208.248 gecekondu, 350.000 en 1991, et
400.000 en 1995 (soit 65% de la population de l’aire urbaine). De même une enquête de
l’Institut des dynamiques urbaines d’Istanbul estime que la métropole compterait 200
gecekondu supplémentaires chaque jour19. En réalité, ces chiffres dépassent la forme
architecturale du gecekondu. Tous les statuts juridiques et les formes architecturales sont
confondus.
19
J.-F. Pérouse, 2004
93
B. Le gecekondu politisé
Le gecekondu a été l’objet d’une abstraction, d’une idéalisation, enfin d’une
politisation.
1. L'abstraction
Dans les années 1970, s’opère un nouveau glissement terminologique. Le gecekondu
ne désigne plus seulement une maison. Les universitaires, comme les pouvoirs publics,
utilisent ce terme pour désigner un ensemble de constructions, voire même un quartier
entier. Le gecekondu n’est plus considéré dans sa singularité. Cette abstraction est le résultat
de la disparition progressive du gecekondu architectural.
Ainsi se développe chez les observateurs un imaginaire fondé sur l’illégalité des
constructions. Le mot gecekondu est désormais utilisé au pluriel et sert plus à désigner un
mode de vie et des pratiques sociales qu’un type d’habitat spécifique. Cette évolution mène à
l’idéalisation et à la politisation du gecekondu en tant que lieu d’échanges et de naissance
d’un groupe social à part entière.
2. L'idéalisation
Les discours extérieurs, qu’ils soient politiques, journalistiques ou scientifiques,
traitent le gecekondu comme un espace d’entraide et de solidarité. Une figure urbaine
alternative se serait mise en place. Sur la base d’une vision marginale et idéalisée du
gecekondu architectural, la perception restrictive de l’environnement en immeuble est
opposée à une conception plus permissive des gecekondu.
Une enquête sur Ankara, réalisée par Erman en 199820, a montré que les habitants de
gecekondu s’estimaient libres de leurs actions. Ils vivent en paix, dans une logique de partage,
d’entraide et de solidarité. Les problèmes de bruit qui apparaissent dans les immeubles
n’existent pas dans les gecekondu. En revanche, la vie est plus oppressive pour les femmes
dans les gecekondu. Nalan Türkeli illustre ce propos dans son œuvre Une femme des
20
J.-F. Pérouse, 2004
94
gecekondu21. De manière générale, une grande partie des habitants de ces quartiers sont des
migrants forcés, aux conditions de vie très précaires.
3. La politisation
Sur le plan politique, le gecekondu est systématiquement associé à l’extrême gauche,
comme un symbole de résistance à l’ordre dominant et le refus d’un individualisme
consommateur et atomisant. Cet imaginaire est décrit dans la presse d’extrême-gauche, tel
que dans le magazine Ekmek ve Adalet22. Les habitants de gecekondu sont considérés comme
des acteurs politiques à part entière, dotés d’une identité de classe.
En 2005, J.-F. Pérouse estimait que les mouvements de résistance des habitants
restaient localisés, spontanés, ponctuels et apolitiques23. En 2011, Clémence Petit constate
leur multiplication et leur structuration autour d’organisations locales stables 24. Leur
mobilisation dépasse l’échelle locale, à travers les associations de quartiers. Les habitants sont
rejoints dans leur action par des acteurs extérieurs, qui sont souvent de jeunes
« professionnels urbains » : étudiants, jeunes diplômés et enseignants en architecture,
urbanisme et sciences sociales de l’urbain. Des mouvements d’opposition aux plans de
transformation urbaine et de soutien aux victimes sont créés.
Dès lors, les quartiers de gecekondu deviennent des « réservoirs de voix » pour les
partis populistes. Les pouvoirs publics cherchent à réduire leur « potentiel révolutionnaire »,
par l’intégration et la normalisation juridique et physique. Cependant la corrélation entre
forme urbaine et morphologie sociale reste discutable. Elle suppose une homogénéisation
des habitants en un groupe social défini.
N. Türkeli, Une femme des gecekondu, 2000. N. Türkeli écrit son journal intime la nuit. Elle y décrit la violence
et la misère des gecekondu, un milieu hostile au changement et à l’affirmation des femmes.
22A traduire par « Pain et Justice »
23 J.-F. Pérouse, « Les compétences des acteurs dans les micro-mobilisations habitantes à Istanbul », in G.
Dorronsoro, La Turquie conteste. Mobilisations sociales et régime sécuritaire, 2005, p. 127-146
24 C. Petit, « Engagement militant et politisation des mobilisations au sein des oppositions urbaines à
Istanbul », EchoGéo, n°16, 2011
21
95
C. Un élément de stigmatisation sociale et économique
Les gecekondulu, littéralement « habitants de gecekondu », sont l’objet d’une
stigmatisation sociale et économique. Ils sont considérés comme des ruraux connaissant des
difficultés à s’intégrer au système urbain. De plus, le gecekondu est souvent assimilé au varoş,
donc à la pauvreté.
1. Un habitat de migrants ?
Le gecekondu est, à l’origine, la solution trouvée par les migrants issus des villages
turcs pour s’implanter en ville. L’imaginaire populaire ou académique les réduisait à des
paysans dans la ville, provoquant un certain exotisme, ou encore à des marginaux qui
devaient être assimilés. Cette nouvelle « société » montrait une fragilité pareille à leurs
habitations qui restaient en grande partie précaires et non légalisées.
Le lien de causalité entre migration et gecekondu est devenu quasi-automatique. Pour
J.-F. Pérouse, cette vision est trop fixiste et mécanique. Le discours universitaire connaît un
certain retard. Si les migrants vivaient essentiellement dans les gecekondu entre 1960 et 1985,
ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il convient de reconsidérer le rapport entre migration et
gecekondu.
2. La stigmatisation : gecekondu, pauvreté et zone (varoş)
La définition socio-économique du gecekondu renvoie systématiquement à la
marginalité. La périphrase « La population des gecekondu » est utilisée pour parler des
pauvres en général. Le gecekondu devient alors la métaphore et le symbole de la différence,
de l’altérité sociale. Ces quartiers seraient le lieu de concentration de la « nouvelle pauvreté
urbaine ». « Cette « nouvelle pauvreté », se traduisant par la précarisation d’une partie de la
population urbaine, du fait de l’internationalisation de l’économie turque sur un mode libéral
et du relâchement des solidarités familiales et primordiales longtemps efficaces, aurait pour
lieu d’élection le gecekondu »25.
25
J.-F. Pérouse, 2004, §35
96
Depuis le milieu des années 1990, les médias turcs assimilent le terme varoş au
gecekondu. Varoş est un mot emprunté à la langue hongroise, qui désigne la périphérie des
métropoles. Ce premier sens ne fait aucune allusion à une connotation négative et reste un
terme conçu dans le cadre de la géographie urbaine. Mais, dans son utilisation actuelle par les
médias turcs, varoş décrit la périphérie urbaine auto-construite, ainsi que les quartiers habités
par les urbains pauvres au centre-ville. En résulte une multiple territorialité, bien que le
terme définisse essentiellement les quartiers auto-construits en périphérie. « La varoş, c'est
donc le gecekondu des exclus, sans avenir, désespéré, enfermé dans une altérité sociale quasi
irréductible, menaçante même pour ceux qui recourent à ce terme, sur fonds de crise
économique et de désaffiliation sociale »26.
Ainsi le gecekondu, qui était à l’origine une forme architecturale d’habitat spécifique,
reconnaissable à son statut juridique, est devenu un élément de définition socio-économique
d’une partie de la population urbaine. Le terme est utilisé pour désigner les migrants issus de
l’exode rural. La pauvreté et les problèmes d’intégration à la ville sont généralisés à
l’ensemble des quartiers et des habitants de gecekondu.
Le terme gecekondu est donc l’objet d’une perte de sens. Il désigne désormais la
pauvreté urbaine, l’illégalité au sens large, ainsi qu’une organisation de mobilisation politique.
C’est donc un concept global, d’importance majeure dans les problématiques qui entourent
l’urbain à Istanbul. Il s’agit maintenant de s’interroger sur la place occupée par les gecekondu
dans la métropole stambouliote. Cette prédominance dans les débats est-elle significative de
la présence réelle des gecekondu à l’échelle de la ville ?
26
J.-F. Pérouse, 2004, §35
97
III.
La place des gecekondu à Istanbul
Le phénomène gecekondu occupe une place de choix dans les débats autour de la
gouvernance, des problématiques environnementales et du développement urbain à Istanbul.
Pourtant, comme le montrent les différentes études précédemment évoquées, ce type
d’habitat, dans sa forme architecturale et légale, tend à disparaître. A l’origine de ce paradoxe,
la progressive perte de sens que subit le terme gecekondu lui permet de subsister. Il convient
donc de s’interroger sur la place réellement occupée par les gecekondu à Istanbul.
D’une part, le lien établi entre gecekondu et périphérie doit être reconsidéré. D’autre
part, il convient de s’interroger sur la pérennité du gecekondu en tant que type d’habitat
urbain.
A. La remise en cause du lien gecekondu – périphérie
A l’origine de ce lien se trouve un impératif d’accessibilité des gecekondu aux zones
industrielles. Le déplacement de l’industrie remet en cause le rapport gecekondu –
périphérie. Enfin les gecekondu se retrouvent dispersés dans la ville.
1. Un impératif d’accessibilité aux zones industrielles
A partir des années 1950, l’industrie stambouliote représente un poids relativement
important pesant sur les structures urbaines. Comme le souligne Marcel Bazin, les activités
industrielles ont leur propre utilisation du sol urbain, qui s’entremêle avec les autres
pratiques27. Cette présence physique de l’industrie s’accompagne nécessairement d’une
présence sociale.
Ainsi Kemal Karpat montre que les gecekondu de la première génération étaient
localisés en fonction de l’accessibilité aux zones industrielles 28. En effet, les migrants qui
construisent les gecekondu constituent une réserve de main d’œuvre pour l’industrie
27
28
M. Bazin, « D’athènes à Tachkent, métropoles et espaces métropolisés », CEMOTI, n°24, 1997
K. Karpat, « The Genesis of the Gecekondu: Rural Migration and Urbanization (1976) », EJTS, n°1, 2004
98
grandissante. Une étude29 réalisée par Eric Huybrechts explique que de nombreux réfugiés
yougoslaves se sont installés à l’extrémité de la Corne d’Or, à proximité des industries, entre
1948 et 1950.
2. Le déplacement de l’industrie
Dès 1955, des zones industrielles sont clairement délimitées par les pouvoirs publics
et les dispositions réglementaires de 1930, consistant en l’interdiction d’implanter en ville
certaines industries polluantes et bruyantes, sont appliquées. Depuis 1969, Istanbul compte
dix zones industrielles délimitées, où s’installent les entreprises30.
De plus, les activités industrielles sont sources de dégradation de l’environnement.
Ainsi, la Corne d’Or était devenue une sorte d’égout industriel. Afin de remédier à cette
situation, l’activité portuaire est délocalisée vers Haydarpaşa et Izmit. Puis, dans les années
1980, de vastes travaux sont entrepris par la municipalité du Grand Istanbul. En somme, le
déplacement de l’industrie en périphérie résulte de la volonté des autorités publiques, mais
également des acteurs privés qui ne trouvent plus la place de se développer dans le centre.
3. La dispersion des gecekondu
Si le lien d’emblée établi entre gecekondu et périphérie ne peut être complètement
remis en cause, les stratégies de localisation des acteurs s’avèrent en réalité plus complexes.
Comme le prouve la carte suivante (figure 17), les gecekondu n’ont pas systématiquement été
construits à proximité des industries.
Le lien fort qui associait à l’origine industries, exode rural et urbanisation spontanée
doit alors être remis en cause. Les débats autour de la régénération urbaine démontrent
l’installation géographique des gecekondu au cœur de la ville. Les quartiers les plus connus et
médiatisés ne se situent pas en périphérie, mais bien dans le centre historique et les nouveaux
centres attractifs. On peut notamment évoquer le cas de Tarlabaşı, de Sulukule, de Küçuk
Armutlu et d’Okmeydanı. Il est important de noter enfin que l’expansion urbaine a contribué
E. Huybrechts, L'urbanisation et la gestion des villes dans les pays méditerranéens - Etude sub-régionale :
Liban, Syrie, Turquie », Commission Méditerranéenne du développement durable, 2001
30 D. Balland, « Matériaux pour une géographie de l'industrie à Istanbul : Prof. Dr. Erol Tumertekin », Annales
de géographie, vol. 83, n°458 ; pp. 474-475, 1974
29
99
à la centralité des gecekondu. En effet, un quartier tel que Sarıyer, qui se trouvait avant 1987
à la périphérie de la ville, est depuis totalement intégré au tissu urbain central.
Figure 17 : Plan évoquant les emplacements des gecekondu dans les années 1960-70.
En rouge : les constructions réalisées la nuit sans autorisation.
En orange : les gecekondu des zones d’activité industrielle.
B. Un type d’habitat ?
Il devient légitime de se poser la question de l’existence même du gecekondu en tant
que type d’habitat à part entière. S’il existe toujours des exemples frappants de gecekondu
architecturaux, le paysage urbain stambouliote s’est en grande partie renouvelé.
1. Des exemples frappants de gecekondu architecturaux
En 2004, J.-F. Pérouse constate l’existence de véritables gecekondu architecturaux à
Istanbul31. Ceux-ci se situent au nord de l’arrondissement Gaziosmanpaşa, dans le quartier
de Zübeyde Hanım, ou encore à Kağıthane. On observe également de jeunes gecekondu
fragiles et exposés aux dégâts causés par les pluies violentes. En octobre 1991, treize
31
J.-F. Pérouse, 2004, §20
100
gecekondu ont été détruits par les inondations. Les gecekondu architecturaux se trouvent de
manière générale sur les pentes fortes et dans les endroits non-urbanisables, sur les versants
abrupts des collines notamment.
L’auteur les qualifie de « conservatoires de formes urbaines passées, qui persistent par
endroits à la manière de reliquats et de témoins »32. Les constructions restantes subsistent du
fait de l’imperfection de la couverture cadastrale d’Istanbul, restant inachevée. Au-delà de ces
exceptions, le paysage urbain stambouliote s’est renouvelé, faisant disparaitre le gecekondu
architectural.
2. Un nouveau paysage urbain
Les gecekondu ont pour la plupart été détruits ou réhabilités. Un nouvel élément-clef
du bâti urbain les a remplacés. Il s’agit des groupements d’immeubles datant des années
1980-1990. La politique de résorption massive des gecekondu mise en place au début des
années 1990 a considérablement diminué le nombre de zones témoins. Par exemple, les
gecekondu d’Içerenköy, construits dans les années 1960, ont été détruits en 2000 et
remplacés en 2002 par des logements collectifs construits par la société Kiptaş.
Le gecekondu architectural se retrouve donc en voie de disparition. Il ne constitue
plus un véritable type d’habitat urbain à Istanbul. Bien que le mouvement de construction de
cabanes continue, il renvoie à un habitat extrêmement précaire, qui se développe dans les
décharges, mais qui reste très marginal.
Pour conclure, la définition du gecekondu s’est progressivement complexifiée. D’une
simple forme d’habitat urbain, proche du bidonville, il s’est érigé en véritable phénomène, à
forte portée idéologique, sociale et politique. L’évolution des pratiques a mené à
l’élargissement d’une définition qui n’est plus que symbolique. En effet, aujourd’hui le
gecekondu n’existe plus, ou presque. Le déclin des solidarités a, au fil du temps, constitué
une menace pour l’avenir du gecekondu.
32
J.-F. Pérouse, 2004, §18
101
Chapitre 5 : Le déclin des solidarités et l’avenir des
gecekondu menacé
Les gecekondu, en tant que forme particulière d’habitat urbain, restent un sujet
central des études sur Istanbul, notamment d’un point de vue social. Si leur disparition
semble révélatrice des mutations architecturales passées et en cours dans la métropole, elle
pose surtout la question de l’avenir des populations marginalisées de ces quartiers, qui
peinent à s’intégrer à la ville.
Les politiques néolibérales ont modifié les comportements des nouveaux urbains. Les
notions d’entraide et de solidarité sont mises à mal par les perspectives d’enrichissement et
de réussite. Les liens qui unissaient les habitants de ces quartiers défavorisés se sont resserrés
autour la famille et des réseaux professionnels. On observe un déclin des solidarités, qui dans
le passé, assuraient un mode de vie acceptable au sein des quartiers illégaux, et leur
permettaient une intégration à la complexité de la ville. Dans ce contexte de désolidarisation
du groupe au profit de l’individu, l’avenir du gecekondu apparaît menacé.
Dans quelles circonstances la logique néolibérale s’est-elle imposée dans ces quartiers,
autrefois considérés comme les bastions de l’extrême-gauche à Istanbul ?
Dès leur apparition, les gecekondu se sont organisés, à tel point qu’un véritable
mouvement social est né. Ce dernier se trouve menacé par les politiques néolibérales.
L’avenir même des gecekondu est alors en danger.
102
I.
L’organisation au sein du gecekondu
Dans son mémoire sur la lutte contre la transformation urbaine des quartiers de
gecekondu d’Istanbul, Gizem Aksümer résume le phénomène gecekondu comme un
« mécanisme informel qui permet aux classes défavorisées de se tenir dans la ville »33.
Cependant, le maintien de ces quartiers ne pourrait être assuré sans organisation et sans un
certain nombre de mouvements revendiquant les droits des habitants.
Le gecekondu est un espace de proximité et de solidarité. Les quartiers se sont
institutionnalisés. Ils ont également été l’objet d’une politisation et de l’intervention d’une
aide extérieure.
A. Un espace de proximité et de solidarité
La proximité se traduit par la forte densité de commerces et de cafés, tandis que la
solidarité se lit dans la constitution d’associations et de réseaux militants.
1. La densité des commerces et des cafés
En 2000, le territoire d’Istanbul comptait 28.500 cafés34. Mustafa Poyraz analyse cette
forte densité comme le lien entre les différents espaces urbains, à même d’atténuer la
ségrégation liée à la pauvreté. En ce sens, une certaine continuité est assurée dans la ville,
liant le centre et la périphérie, ainsi que les individus eux-mêmes. L’auteur insiste sur les
avantages de telles pratiques en termes d’emplois. Le café est également un espace de
protection et de contrôle pour les enfants et les jeunes des quartiers.
La vision idéalisée du « narguilé café », toujours très fréquenté, qui donnerait à la fois
une âme et une dynamique au quartier, ne doit pas être ignorée. Les commerces et les cafés
s’imposent comme autant d’éléments d’équilibre et de stabilité face à un environnement
G. Aksümer, « luttes contre la transformation urbaine des quartiers de gecekondu d’Istanbul : Etude de cas
du quartier kazimkarabekir », Thèse de master recherche, 2010, p.21-22
34 M. Poyraz, « Les lieux et les liens de proximité : les Varoş d'Istanbul et les banlieues parisiennes », Pensée
plurielle, n° 15, 2007
33
103
désordonné et informel. Lieu de passage quotidien pour beaucoup et surtout lieu d’échanges,
le café permet la formation d’un réseau informel, dans un contexte de liberté. On y boit du
çay ou du kahve35. La clientèle est diversifiée, bien que les hommes de plus de quarante ans
semblent constituer la majorité des habitués. On y partage un narguilé36 autour d’un jeu de
société traditionnel comme le Okey ou le Tavla37. On s’y réunit également pour regarder des
séries turques populaires et des matchs de football.
L’auteur réalise une étude comparative entre les quartiers populaires d’Istanbul et
ceux de la région parisienne. Pour lui, les grands ensembles de la région parisienne se
démarquent par la rupture et l’absence de lieux de contacts et de rencontres informels, ce à
quoi les cafés stambouliotes sont à même de remédier.
2. Les associations de hemşehri et les associations de quartier
Dans la langue turque, le terme hemşehrlik désigne la solidarité entre les groupes de
personnes issues de la même tradition. L’origine rurale des habitants de gecekondu se
retrouve alors à travers des associations réunissant et défendant les intérêts d’individus
originaires d’un même village. Le ministère de l’Intérieur turc dénombre 2332 associations de
ce type à Istanbul en 200138.
En outre, les associations de quartier, dont les plus répandues et les plus populaires se
nomment « association pour l’embellissement du quartier », disposent d’une forte légitimité
historique. En effet, comme le souligne G. E. Lelandais39, ces associations se sont efforcées
de défendre les quartiers dès leur création. De plus, toute autre association concurrente serait
vue comme une manœuvre de l’Etat pour diviser les solidarités.
Les associations de hemşehri et les associations de quartiers organisent la demande en
services publics, ainsi que les réclamations des occupants. Au quotidien, elles permettent de
réguler les activités des habitants. Certaines mettent par exemple en place des campagnes de
prévention contre la drogue. Leurs champs d’activités sont aussi larges que divers.
La Turquie est réputée pour ses recettes traditionnelles de thé (çay) et de café (kahve).
Le narguilé est une pipe orientale dont la fumée, qui traverse un flacon rempli d'eau, est aromatisée.
37 Okey : équivalent du Rummikub. Tavla : équivalent du Backgammon.
38 M. Poyraz, 2007, p. 144
39 G. E. Lelandais, 2009
35
36
104
3. Les réseaux militants
M. Poyraz estime que les réseaux militants sont également un élément central de
cohésion pour les quartiers de gecekondu. Les militants politiques et syndicaux, proches des
habitants, assurent les relations entre le quartier et le centre-ville. De plus, ces liens politiques
et citoyens peuvent compenser la perte des liens familiaux et communautaires traditionnels.
Une évolution des formes et des pratiques de la solidarité est notable. A l’origine, les
liens étaient formés autour de la famille et des réseaux de hemşehri. Puis les usines ont
constitué un pôle d’attractivité pour l’installation des nouveaux quartiers de gecekondu.
Enfin les militants de gauche et les syndicats ont contribué à la formation d’un univers
politique dans ces quartiers.
Finalement coexistent une attitude communautaire traditionnelle et une autre plus
moderne d’ouverture sur l’extérieur. Les liens de voisinage restent importants, provoqués par
une proximité accrue. Dans le même temps, les quartiers s’institutionnalisent.
B. L’institutionnalisation des quartiers
Afin de permettre la cohabitation de tous les occupants dans un espace
particulièrement réduit et précaire, les quartiers de gecekondu s’institutionnalisent peu à peu.
L’élection est à la base de cette organisation. Le muhtar s’impose alors comme chef de
quartier. Enfin, un certain nombre de règles sont définies.
1. L’élection comme base d’organisation
Dès 1980, B. Granotier fait le constat de l’institutionnalisation des quartiers de
gecekondu à travers l’élection de délégués40. Ces derniers forment un conseil
d’administration, appelé Gecekonduyu Güzelleştirme Derneği, autrement dit l’association
d’embellissement du quartier, évoquée précédemment. Le chef de cette association formée
de membres élus devient le porte-parole du gecekondu. Il coordonne les travaux, obtient des
40
B. Granotier, 1980, p. 126
105
titres de propriété pour les parcelles occupées, et négocie les revendications des habitants
ainsi que leurs voix avec les principaux partis politiques.
2. Le muhtar
Le muhtar est une autre figure importante du gecekondu. Cet administrateur est en
charge d’un muhtarlik, c’est-à-dire une partie d’un district. A ce titre, il s’impose comme
l’intermédiaire entre l’administration urbaine d’Istanbul et les résidents. Il est élu pour une
durée de quatre ans par les habitants du muhtarlik.
Cependant, le rôle du muhtar est plus administratif que politique ou social. Il ne porte
pas les revendications des gecekondu. Sa circonscription s’étend au-delà de ces quartiers.
Inséré dans la bureaucratie locale, il remplit des tâches officielles. Il n’en reste pas moins
sollicité, et parfois corrompu.
3. La définition de règles
Ces règles, qui conditionnent la vie quotidienne, peuvent être édictées par le muhtar,
les élus, les associations, ou encore les mouvements politiques. Elles sont respectées du fait
d’une certaine conscience citoyenne chez les habitants, ou imposées par les groupes les plus
influents.
A titre d’exemple, jusqu’au milieu des années 1970, le quartier de gecekondu Mustafa
Kemal était sous le joug d’une mafia, qui s’était illégalement arrogée le monopole de la vente
illégale de terrains. La municipalité d’Ümraniye, dont dépend le quartier Mustafa Kemal, était
informée de ce commerce illégal mais ne l’empêchait pas. A partir de 1977, des groupes
socialistes sont arrivés dans le quartier, en ont pris le contrôle, et y ont établi des règles. Il
s’agissait notamment de permettre la construction de maisons pour ceux qui n’en avaient
pas, ou encore de limiter le nombre de constructions à une maison par famille (afin qu’elles
n’acquièrent aucune valeur d’échange).
Ainsi les habitants s’organisent et les quartiers s’institutionnalisent. Dans nombre
d’entre eux, on peut constater une forte influence d’une pensée politique ancrée à gauche.
106
Les règles sont clairement définies et une forte surveillance du quartier est mise en place. Les
autorités publiques et gouvernementales sont de moins en moins tolérées dans ces zones.
C. La politisation des gecekondu et l’aide extérieure
Clémence Petit définit la politisation comme « un processus dynamique de
construction permanente des frontières entre politique et apolitique, d’étiquetage et de mise
en scène de la différenciation ou de l’interpénétration entre différents univers » 41. Cela pose
le problème des moyens donnés aux individus, devenus citoyens, pour agir au niveau
politique, en vue de la prise en compte de leurs revendications citoyennes.
Les habitants de gecekondu ont une forte tendance à l’activité politique. Cette
politisation dépasse le cadre national. Mais elle reste ambigüe.
1. La forte activité politique des habitants de gecekondu
B. Granotier constate que dans les grandes villes turques, les résidents de gecekondu
représentent entre 40% et 60% de l'électorat global 42. Ils votent 10 à 15% de plus que la
moyenne des citoyens. Une conscience politique forte perdure dans ces quartiers.
Selon M. Poyraz, la forte concentration de personnes pauvres dans les gecekondu est
à l’origine d’une nouvelle forme de réaction politique radicale 43. Les mouvements syndicaux
et politiques, au premier rang desquels les mouvements de gauche et d’extrême-gauche, sont
un important facteur d’intégration. De plus, le contrôle politique exercé dans les quartiers
populaires permet de canaliser les « éléments déviants » et de les mener à une contestation
politique plus pacifique. De cette manière, la délinquance et la violence urbaines sont en
partie maîtrisées.
C. Petit, «Engagement militant et politisation des mobilisations au sein des oppositions urbaines à Istanbul»,
EchoGéo, n° 16, 2011, §8
42 B. Granotier, 1980, p.127
43 P. Poyraz, 2007, p.141
41
107
2. Une politisation qui dépasse le cadre national
G. E. Lelandais analyse la mobilisation populaire du quartier de Sulukule 44. Elle
constate que le mouvement a dépassé le cadre local. D’une part, des contacts ont été établis
avec des artistes étrangers tels que le réalisateur français Tony Gatlif45, le chanteur espagnol
Manu Chao et le groupe musical new-yorkais Gogol Bordello.
D’autre part, le quartier de Sulukule bénéficie de l’intérêt que lui porte le groupe des
Verts au Parlement européen, qui a organisé une conférence sur Sulukule à Strasbourg en
200746. En outre, l’Union des Chambres des Ingénieurs et Architectes turcs d’Istanbul 47, les
enseignants de la faculté d’architecture de l’Université des Beaux-Arts Mimar Sinan et des
associations comme « Human Settlement » soutiennent les habitants de Sulukule en
proposant un projet alternatif et en mettant en valeur certains lieux. Enfin, émerge une
coopération transnationale, du fait de la candidature de la Turquie à l’adhésion à l’Union
européenne et de l’engagement du pays dans de nombreux accords internationaux.
3. Une politisation ambigüe
Dans les années 1970, les militants de gauche et les groupes socialistes ont influencé
les mouvements de gecekondu, qui sont de fait devenus de plus en plus politisés. C. Petit
démontre le caractère ambigu de cette politisation48.
En effet, la majorité des habitants actifs sont des hommes âgés de 40 à 60 ans. En
tant que membres d’organisations politiques de gauche, ils ont connu et pris part aux
combats politiques armés des années 197049. Ils ont parfois été emprisonnés pendant
plusieurs années. Contre toute attente, ces hommes engagés adoptent une posture politique
mesurée. Ils ne sont pas dans l’opposition constante et prennent en compte les contextes et
G. E. Lelandais, 2009
Tony Gatlif (1948 -) est un réalisateur français d’origine algérienne. Il est également acteur, scénariste,
compositeur et producteur de films. Il a notamment réalisé Gadjo Dilo (1997), Vengo (2000), ou encore
Exils (2005).
46 Cette conférence, intitulée « Istanbul face aux projets de renouvellement urbain. Le cas du quartier de
Sulukule dans la péninsule historique », s’est tenue le 8 novembre 2007 à Strasbourg, à l’initiative des Verts
européens.
47 En turc : Türk Mühendis ve Mimar Odarları Birliği (TMMOB)
48 C. Petit, 2011
49 L’image de la « terreur » politique et sociale des années 1970 en Turquie est développée dans le premier
chapitre de cette étude.
44
45
108
les acteurs auxquels ils font face. Leur priorité est d’obtenir gain de cause à leurs
revendications. Il convient donc de dépasser le lieu commun qui tend à exagérer l’opposition
entre habitants de gecekondu et pouvoirs publics.
Dans son mémoire50, Claire Codet réaffirme l’ambigüité de la politisation des
gecekondu introduite par C. Petit. Le quartier de gecekondu Mustafa Kemal est considéré
comme un espace rebelle et violent. Cet amalgame ne désigne pas directement des acteurs,
mais le lieu dans sa globalité. Des dispositifs de contrôle très contraignants ont été mis en
place. Les résistances deviennent donc problématiques, à tel point que les acteurs locaux
doivent s’autocensurer et adopter un « profil-bas » politique, en se soumettant aux règles.
Mais cette attitude n’a rien d’apolitique. Elle permet au contraire une réappropriation
physique et symbolique de l’espace. Les habitants, en démontrant leur capacité à s’intégrer au
territoire en respectant les règles très restrictives établies, se garantissent de tout reproche
quant à un extrémisme politique exacerbé.
Les quartiers de gecekondu, espaces de proximité et de solidarité, se sont à la fois
institutionnalisés et politisés. Mais ces liens, qu’ils soient familiaux, identitaires, sociaux ou
politiques, commencent à se transformer à partir des années 1980. Les politiques
néolibérales sont à l’origine des mutations subies par l’ensemble des mouvements sociaux
des gecekondu.
50
C. Codet, « Les acteurs de la construction du risque à Istanbul », Observatoire Urbain d’Istanbul
(Mémoire/Rapport de stage), 2006
109
II.
Le mouvement social des gecekondu sous l’impact des
politiques néolibérales
Lors de la construction des gecekondu, les différents observateurs (experts et
politiques) et dans une certaine mesure les habitants eux-mêmes, pensaient qu’ils
disparaîtraient une fois le fort afflux de ruraux passé. Ce mode d’habitat était considéré
comme une transition entre société rurale et moderne, le temps que les migrants deviennent
des citadins. Mais les politiques d’annulation du phénomène ont échoué. Le gecekondu est
en fait passé d’une réponse à l’urgence du logement, à une approche opportuniste.
Les politiques néolibérales ont eu divers effets sur les quartiers de gecekondu. S’est
constituée une opposition aux démolitions. Ensuite les gecekondu, nouveaux objets de la
spéculation foncière, ont été commercialisés. Enfin, la montée de l’individualisme dans une
logique capitaliste a contribué à la décomposition des relations de solidarité.
A. La demande de droits nouveaux et l’opposition aux démolitions
C. Petit dénombre deux principales formes de mobilisation contre les projets de
transformation urbaine (PTU) à Istanbul. Les mouvements de résistance locaux sont
soutenus par les collectifs de professionnels urbains. Ces derniers, loin d’être homogènes,
entrent en concurrence du fait de leurs contradictions.
1. Les mouvements de résistance locaux
Au sein des gecekondu, il existe une certaine homogénéité de peuplement. Ajoutée à
une forte identification au quartier, à la densité des relations et à l’efficacité des réseaux
d’entraide, cette homogénéité est à l’origine d’une réelle capacité de mobilisation. Dans un
premier temps, les revendications des habitants, relayées par les associations de quartier et les
mouvements politiques locaux, concernent l’obtention de droits sociaux nouveaux. Sous
l’influence des bouleversements urbains opérés par une logique économique néolibérale, des
protestations s’élèvent contre les démolitions et le relogement qu’impliquent les PTU.
110
Le premier mouvement de gecekondu apparaît en 1947 dans le quartier de
Zeytinburnu. A sa création, il a pour objectif de forcer les autorités publiques à améliorer les
conditions de vie des habitants (infrastructures urbaines, services sociaux…) et d’obtenir un
statut légal. Lorsque ces demandes sont refusées, des techniques informelles pallient à
l’inactivité des pouvoirs publics. Certains quartiers se dotent par exemple de systèmes
électriques illégaux. Les associations demandent donc de nouveaux services publics et
organisent une forme de solidarité économique.
Puis les revendications se sont tournées vers l’opposition aux démolitions. C. Petit
note que les organisations de quartiers se sont remobilisées à l’occasion de l’annonce des
PTU. L’auteur appuie son analyse sur l’association locale de Gülensu-Gülsuyu. Créée dans les
années 1950 par les premiers migrants, elle organise, depuis sa renaissance dans les années
2000, des activités sociales et culturelles locales. Puis de nouveaux enjeux sont venus élargir
son champ d’action, avec l’annonce du PTU concernant le quartier en 2004. Les modes
d’action sont divers :
-
Récolte d’informations sur le projet et les recours possibles ;
-
Réunions d’information ;
-
Mobilisation de réseaux politiques et médiatiques et rencontres avec les élus locaux ;
-
Mise en circulation de pétitions ;
-
Démarches juridiques pour faire annuler les plans d’urbanisme.
Cependant, ces associations de mobilisation sont souvent accusées d’être manipulées
par des groupes politiques, le plus souvent d’extrême-gauche, qui les dépassent. Ce doute
introduit par l’accent politique des revendications se retrouve dans les objectifs prônés par
les collectifs de professionnels urbains.
2. Les collectifs de professionnels urbains
Il s’agit d’acteurs extérieurs, qui, depuis le milieu des années 2000, soutiennent et
accompagnent les mouvements de résistance locaux, en développant des alternatives aux
PTU. Idéologiquement, ces professionnels urbains dénoncent les conséquences sociales et
économiques des projets d’inspiration « néolibérale ». Ces jeunes de 20 à 35 ans, issus de la
classe moyenne pour la plupart, disposent d’un savoir et d’un savoir-faire relatifs aux
questions urbaines.
111
A Istanbul, les collectifs de professionnels urbains sont structurés autour de deux
grands mouvements d’opposition aux PTU et de soutien aux victimes : DA et IMECE51. DA
est apparu en 2004, sous l’impulsion d’un étudiant du département de Planification Urbaine
et Régionale de l’Université Mimar Sinan. Contacté par une association de quartier suite à la
diffusion d’un PTU par la municipalité de Maltepe, cet étudiant a rassemblé ses camarades
de classe et ses professeurs, en vue d’apporter un soutien aux habitants du quartier de
gecekondu Gülensu-Gülsuyu, menacé de démolition par ledit PTU. Le mode d’action de DA
consiste en un travail de conseil « volontaire, indépendant et civil »52 auprès des habitants.
Concrètement, ces experts proposent des PTU alternatifs à ceux de la municipalité, qui
permettraient aux habitants de rester vivre dans leur quartier. Le collectif compte 238
inscrits en 2011.
IMECE, né en 2006, est plus marqué politiquement et idéologiquement que DA.
L’objectif affiché est très différent. Il s’agit de « lutter contre le néolibéralisme dans la ville »
et de « défendre les droits sociaux fondamentaux des populations urbaines les plus démunies
socialement et culturellement, en particulier le droit au logement et au travail, contre les
politiques néolibérales qui servent les « intérêts capitalistes » en mettant en place un système
de « rente urbaine » »53. De fait, IMECE revendique un projet « contre-hégémonique » et
révolutionnaire, résolument politique. Le collectif compte 650 inscrits en 2011.
Ces deux principaux collectifs de professionnels urbains stambouliotes s’inscrivent
donc dans un cadre idéologique anti-libéral commun. Pourtant, une profonde diversité dans
les conditions et les modes d’action les oppose.
3. Contradictions et concurrence entre les acteurs extérieurs
Les oppositions urbaines à Istanbul sont divisées, en termes de répertoire et de
stratégie d’action. D’une part, la stratégie experte de DA promeut la participation des
habitants à l’élaboration et la mise en œuvre de PTU. D’autre part, la stratégie politique
d’IMECE vise à politiser les mouvements locaux en vue de transformer l’ordre urbain et
politique (annexe 2).
DA, Dayanışmacı Atölye, peut être traduit par « Atelier solidaire ». IMECE, Toplumun Şehircilik Hareketi, peut
être traduit par « Mouvement d’urbanisme de la société ».
52 Site internet du collectif DA : http://dayanismaciatolye.org/
53 C. Petit, 2011, §23
51
112
Les fortes tensions entre DA et IMECE sont à l’origine d’un clivage idéologique, qui
structure les comportements et les actions. Malgré les tentatives d’apaisement, les clivages
persistent. En 2010, un « Forum des mouvements urbains » a été organisé une semaine avant
le Forum social européen54, afin d’aboutir à une position commune des professionnels de
l’urbain sur la transformation urbaine et ses conséquences. Ce fût un échec.
Cette querelle entre experts et militants semble éloignée des préoccupations des
habitants de gecekondu. Ces derniers sont prêts à renoncer à leurs idéologies politiques en
vue de faire entendre leurs revendications. Sans être nécessairement manipulés par des
mouvements politiques, les habitants deviennent critiques envers l’action des experts.
En tout état de cause, le mouvement social des gecekondu tend à perdre de sa
ferveur. Les pratiques ont évolué. La logique capitaliste a mené à la commercialisation des
gecekondu.
B. La commercialisation des gecekondu et la spéculation foncière
Les gecekondu apparaissent dans les années 1950. Jusqu’au milieu des années 1960,
ces quartiers sont négligés par les pouvoirs publics. Par la suite, leur développement, leur
institutionnalisation et leur politisation permettent aux revendications d’être entendues.
Cependant, à partir des années 1980, ces quartiers sont intégrés au marché libre capitaliste.
La légalisation est le point de départ de la commercialisation. Puis les terrains entrent
dans une logique de rente urbaine. Mais le lien entre gecekondu et spéculation reste
complexe.
1. La légalisation comme point de départ de la commercialisation
Lorsque les habitants de gecekondu accèdent à la propriété, ils acquièrent de fait le
droit de vendre leurs maisons, tout comme leurs terrains. La systématisation des amnisties,
par les lois de 1983 et 1985, permet également d’ajouter des étages aux habitations. En outre,
54
Le Forum social européen est une déclinaison régionale du Forum social mondial. Il s’agit d’un espace de
rencontres et d’échanges entre les différents acteurs de la société civile se disant « engagés dans la
construction d'un autre monde possible centré autour de la personne humaine, et non sur le profit
économique ».
113
certains quartiers de gecekondu se situent au cœur d’espaces à forte valeur ajoutée (vue sur la
mer ou sur le Bosphore, proximité des forêts…). Le voisinage change. L’explosion urbaine a
pour conséquence de faire cohabiter différentes classes sociales. Les quartiers voient leur
valeur augmenter. Puis une différenciation s’opère entre les quartiers, selon leur
emplacement dans la ville.
La commercialisation s’opère entre les anciens habitants et les nouveaux arrivants
principalement. C’est en somme un transfert de la pauvreté des anciens aux nouveaux. Cette
« pauvreté à tour de rôle » aurait pû continuer. Mais cela fonctionne seulement si
l’accroissement du phénomène gecekondu perdure. Or, la rareté du sol a causé l’épuisement
des terrains libres à occuper. S’est alors formée une masse de gens victimes d’une pauvreté
absolue.
Pour citer Marx, « c’est la propriété foncière, elle-même, qui a produit la rente »55.
2. La logique de la rente urbaine
La rente foncière est définie par ce que rapporte le sol à son propriétaire, à la plusvalue dégagée par la revente du sol56. Ce terme est issu d’une longue tradition dans la pensée
économique. Selon la théorie classique, la rente est un surplus de revenus sans coût. Limitée
au départ à la fertilité du sol pour l’agriculture, la théorie de la rente peut s’appliquer à
l’ensemble des agents naturels donnés et disponibles pour n’importe quelle activité. Par
exemple, la situation géographique est un agent naturel. La rente revient au propriétaire
foncier, car il dispose du monopole du sol.
La rente est liée à la spéculation foncière, dans la mesure où, dans un contexte de
croissance urbaine, les propriétaires anticipent sur les besoins des consommateurs. Ainsi, les
propriétaires de terrains de gecekondu cherchent à revendre leurs propriétés aux nouveaux
arrivants. Les rentes urbaines à Istanbul, du fait de la rareté du sol couplée à l’explosion
urbaine, sont très élevées.
K. Marx, cité par J.-F. Pérouse dans le cadre de son cours de « Economie et territoire urbain », à l’Université
Galatasaray, 2011
56 Cours de J.-F. Pérouse, 2011.
55
114
3. Le gecekondu objet de spéculation : une systématisation toute relative
A la fin des années 1980, le gecekondu devient une marchandise, un objet de
spéculation. Il constitue une source de revenus pour les premiers migrants, car il n’y a plus de
terrain en ville pour la construction de nouveaux gecekondu. Reste donc le choix de la
location ou de l’achat. Un lieu commun associe la spéculation foncière et le gecekondu. Cette
forme d’habitat serait alors l’expression la plus frappante et la plus réussie de la spéculation
foncière débridée. Le discours dominant stigmatise le gecekondu comme un symbole
d’enrichissement massif et indu au détriment de la collectivité nationale. L’enrichissement se
fait par l’accaparement de terrains publics et leur transfert dans la sphère privée (par l’octroi
de titres de propriété).
Cependant, J.-F. Pérouse estime que cette stigmatisation ne tient pas compte de
certains facteurs. Tout d’abord, ce sont les revendeurs-lotisseurs qui profitent de la
spéculation foncière à Istanbul. Ces intermédiaires, qui lotissent partiellement les terrains,
sont les véritables accapareurs. De plus, il existe une médiation politique complice du
processus d’occupation et de son prolongement. En échange des titres de propriété parfois
illégaux, les habitants doivent payer les mêmes taxes que les propriétaires légaux. Dans le
même temps, les pouvoirs publics profitent des légalisations à travers des bénéfices matériels
(taxe d’habitation et taxes et impôts locaux) et immatériels (électorat).
Le mythe de la rente foncière capitalisée par les propriétaires de gecekondu doit donc
être remis en cause. La commercialisation des gecekondu et des apartkondu semble plus
vraisemblablement être le résultat d’un processus indirect et inconscient, lié à la montée de
l’individualisme et à la décomposition des relations de solidarité.
C. La montée de l’individualisme et la décomposition des relations
de solidarité
Les forts liens de solidarité qui unissaient auparavant les habitants de gecekondu se
sont peu à peu érodés. Ce processus ne touche pas seulement les populations de ces
quartiers. La société turque dans son ensemble a connu cette évolution. Mais les personnes
115
en situation précaire sont plus touchées que les autres par cette montée de l’individualisme,
facteur d’exclusion.
M. Poyraz énumère les principales causes de ce phénomène57. En Turquie, les
événements politiques sont à l’origine d’un bouleversement des solidarités. Les nouvelles
politiques économiques ont contribué à la croissance de l’individualisme. Enfin l’esprit de
solidarité s’est peu à peu dissout.
1. Les mutations politiques à l’origine d’un bouleversement des solidarités
Tout d’abord, le coup d’Etat militaire du 12 septembre 1980 élimine par la force les
réseaux militants de solidarité. L’armée turque, avec à sa tête le général Kenan Evren, est
bien décidée à mettre un terme au climat de guerre civile qui règne dans le pays. Pour cela, le
régime militaire organise une sévère répression, qui touche en premier lieu les organisations
politiques extrêmes, de droite comme de gauche. Or au sein des gecekondu, les mouvements
militants locaux représentent un important facteur de cohésion sociale.
Ensuite, les autorités publiques ont mis fin à la politique de tolérance vis-à-vis de
l’habitat illégal. Les implications financières sont trop importantes pour laisser ce type
d’habitat perdurer. Depuis les années 1990, il est impossible de s’intégrer à la ville par le biais
de l’occupation et de la construction illégales.
Enfin, il convient de différencier les habitants de gecekondu issus de l’exode rural de
ceux issus de l’exode forcé. Pour les familles kurdes déplacées, la précarité est totale. Elles
sont à la fois déracinées et désespérées face à l’avenir. Cet exil collectif a déséquilibré les
tissus urbains et créé un phénomène de pauvreté non maîtrisée, selon M. Poyraz. Ces faits
sociaux ont causé délinquance et violences urbaines.
Ainsi les mutations politiques ont remis en cause les traditionnels liens de solidarité
urbaine. La montée de l’individualisme est quant à elle l’un des effets d’une nouvelle
politique économique.
57
M. Poyraz, 2007
116
2. Les conséquences d’une nouvelle politique économique sur la cohésion sociale
La nouvelle politique économique, démarrée au début des années 1980 et basée sur
l’ouverture au marché mondial, a deux types de conséquences sur les solidarités au sein des
gecekondu.
D’une part, le développement des villes augmente le nombre d’habitants. Les flux
migratoires s’intensifient. Le sol devient une ressource rare. Auparavant, les nouveaux
migrants trouvaient un espace d’accueil, même temporaire, auprès de leurs proches. Depuis
la fin des années 1980 et surtout depuis les années 1990, de telles pratiques sont plus rares.
Cette évolution est accentuée par l’intolérance croissante des pouvoirs publics envers
l’habitat illégal.
D’autre part, les bouleversements économiques ont directement marqué la société,
par un mouvement général en Turquie de montée de l’individualisme. M. Poyraz met en
exergue ce phénomène : « Ce changement radical va marquer à jamais le rapport entre la
solidarité collective et l’intérêt individuel dans la société turque. On voit apparaître un lien
complexe entre l’honneur traditionnel et le pouvoir de l’argent. Ce qui est évident, c’est le
fait que la société turque découvre le monde de l’entreprise et rentre dans une logique de
conquête économique »58
3. La dissolution de l’esprit de solidarité
Les décisions du 24 janvier 1980 et le coup d’Etat du 12 septembre 1980 ont
engendré un processus de dépolitisation et consacré le passage à la protection des intérêts
individuels. L’écrasement des forces de gauche par le pouvoir militaire a vidé les rapports de
proximité. Par conséquent, cela a laissé le champ libre aux mouvements islamistes et à un
discours marqué par la tradition et la religion. Cette tendance se traduit notamment par le
retour de la mosquée comme espace de solidarité privilégié.
En outre, la victoire de la logique capitaliste a forcé les gecekondu à s’intégrer au
marché libre. S’enrichir devient plus important que de s’intégrer à la ville de manière
collective. Ce désir d’enrichissement par le commerce crée un excès d’individualisme, par
58
M. Poyraz, 2007, p.142
117
lequel les plus faibles se retrouvent écartés, ne pouvant plus profiter des anciennes solidarités
informelles.
Enfin, la jeunesse est particulièrement touchée par l’isolement. Hakan Yücel explique
que les jeunes ne se retrouvent pas dans les associations de hemşehri créées par leurs parents
et grands-parents59. Ils montrent des signes significatifs d’éloignement des réseaux.
L’identification au village et à la région d’origine ne constitue plus une norme. Les jeunes se
sentent avant tout liés à leurs quartiers. Bien que d’autres associations existent au sein des
gecekondu, l’individualisme reste très fort.
Dans ce contexte, se pose la question de l’avenir même des gecekondu.
III.
Quel avenir pour les gecekondu ?
En 1980, B. Granotier estime que les gecekondu ne constituent pas le problème
principal de la Turquie. En effet, dans une période d’anarchie et de terrorisme (2000
assassinats politiques ont été perpétrés en deux ans), les fortes inégalités de fortune, la
corruption et l’insolvabilité économique semblent prioritaires. L’auteur démontre même que
« dans un secteur aussi incertain, il est intéressant de noter que les anciennes colonies de
squatteurs, les gecekondus, en institutionnalisant la participation populaire, sont devenues des
secteurs de relative stabilité dans les grandes villes turques »60.
Cependant, l’évolution des pratiques urbaines de ces vingt dernières années mène au
constat alarmant de l’importante précarité dans laquelle se trouvent les populations de
gecekondu. Les quartiers et leurs habitants, sont, comme nous l’avons démontré, fortement
menacés par une logique néolibérale qui tend à les exclure des processus de développement
urbain. L’avenir de ces populations est plus qu’incertain.
H. Yücel, « Les jeunes alévis du quartier de Gazi (Istanbul) et les associations de hemşehri : identifications
croisées », European Journal of Turkish Studies, No. 2, 2005
60 B. Granotier, 1980, p.128
59
118
Les quartiers de gecekondu sont sous la menace des nouveaux plans de
transformation urbaine. Dans le même temps, les besoins en projets socialement équitables
semblent ignorés par les acteurs publics. Enfin une analyse de deux quartiers en proie à la
transformation urbaine vient confirmer la perspective d’un avenir incertain.
A. La menace représentée par la « transformation urbaine »
Les nouveaux projets de transformation urbaine (PTU) répondent à trois logiques
majeures. Tout d’abord, depuis 1999, le risque sismique a servi de prétexte à la redistribution
de l’espace. Ensuite, Istanbul a suivi le mouvement global d’internationalisation des villes.
Enfin, l’image et le rayonnement de la métropole sont devenus une priorité pour les autorités
publiques.
1. Le risque sismique comme prétexte
Le tremblement de terre de 1999 en Turquie a marqué un tournant dans les pratiques
urbaines stambouliotes. Une prise de conscience s’est opérée vis-à-vis des dangers que
représente l’habitat illégal et informel, particulièrement vulnérable aux risques sismiques.
Mais les leçons tirées de cette catastrophe n’ont pas mené à la protection des populations
défavorisées.
A l’inverse, les classes sociales privilégiées se sont mises à la recherche d’endroits
résistants où s’installer. Elles se sont approprié les terrains de gecekondu construits sur de
tels espaces. En effet, les propriétaires de gecekondu sont des proies faciles pour les
investisseurs immobiliers. Leurs titres de propriété sont incertains, au moins dans les esprits.
De plus, la précarité de leurs ressources permet aux investisseurs d’acheter les terrains à des
prix inférieurs à ceux du marché.
119
2. L’internationalisation de la ville
Murat Güvenç établit une chronologie de l’histoire urbaine d’Istanbul de 1910 à nos
jours61. Il intitule la quatrième période, qui commence en 1980 et se poursuit jusqu’à nos
jours, « Istanbul ville mondiale ». Selon lui, « le développement urbain d’Istanbul peut être
appréhendé dans le cadre de problématiques et de concepts forgés pour appréhender les
villes mondiales »62.L’internationalisation des villes est un phénomène global. Elle s’effectue
dans un contexte de compétition territoriale, stimulée par l’accroissement de la mobilité
géographique et la médiatisation des activités urbaines63. M. Güvenç ajoute que dans le cas
de la Turquie, cette transition vers l’international s’est faite de manière brutale, sous
l’influence du régime militaire.
J.-F. Pérouse énumère ce qu’il appelle « des indices d’internationalité » à l’échelle de la
ville d’Istanbul64. L’économie stambouliote est résolument tournée vers l’extérieur. De plus,
les opérateurs étrangers investissent largement dans le marché immobilier. Enfin les pouvoirs
locaux apparaissent décidés à promouvoir leur ville à l’international. L’auteur évoque les
différentes formes de « l’indispensable mise aux normes » de la métropole, à savoir la
production de technopôles, le développement du tourisme d’affaires et de congrès, une
obsession pour les grands événements internationaux, ainsi que l’inflation des projets dans le
cadre de la nouvelle politique de « transformation urbaine ».
Les gecekondu sont directement touchés par l’internationalisation de la ville.
Apparaissent de nouvelles modalités de rentabilisation du foncier, qui visent les secteurs
stratégiques dont font partie les quartiers de gecekondu. Cette thèse est développée tout au
long du film Ekümenopolis, du réalisateur İmre Azem65.
M. Güvenç, « Istanbul 1910-2010, une approche historique et socio-spatiale », Revue Urbanisme, n°374, septoct 2010, pp. 47-51
62 M. Güvenç, 2010, p. 51
63 G. Pinson et A. Vion, « L’internationalisation des villes comme objet d’expertise », Pôle Sud, n°13, 2000, pp.
85-102
64 J.-F. Pérouse, « Istanbul, entre Paris et Dubaï : mise en conformité « internationale », nettoyage et
résistances », in I. Berry-Chikhaoui et A. Deboulet (dir.) Villes internationales – Entre tensions et réactions des
habitants, 2007, pp. 31-32
65 İmre Azem, Ekümenopolis, 2011
61
120
3. La priorité donnée à l’image de la ville
Poursuivant la logique d’internationalisation de la ville, la municipalité s’efforce de
donner une image positive d’Istanbul. Or les règles du « marketing international » prohibent
tous les « sombres » aspects de l’urbain. Les gecekondu en font indéniablement partie.
Comme le démontre la chercheuse Sibel Yardımcı, Istanbul 2010, « Capitale
européenne de la culture », est un excellent exemple de la volonté des dirigeants de faire
rayonner « la ville aux mille Lumières » depuis une trentaine d’années66. La Direction des
projets urbains a été le principal bénéficiaire du budget alloué par l’Union européenne, les
administrations publiques turques et plusieurs investisseurs privés. Le projet de rénovation
urbaine alors mis en place consiste en la transformation du tissu urbain et social de quartiers
entiers, qui sont détruits pour construire des équipements et des logements « modernes ».
Les activités industrielles sont délocalisées. C. Petit indique que les quartiers visés par cette
politique de transformation urbaine sont les zones « à risque sismique », les quartiers
« dégradés » du centre historique, les zones industrielles rendues désuètes et les anciens
quartiers d’habitat informel67.
Les quartiers de gecekondu se retrouvent donc fortement menacés par la
transformation urbaine qui a débuté dans les années 1980 et qui se poursuit actuellement
(figure 18). Cette volonté affirmée de maximiser la valeur de la ville ne serait pas une
dangereuse illusion si les besoins sociaux des populations défavorisées étaient compris et pris
en considération.
66
67
S. Yardımcı, « La face cachée de la métropole », Revue Urbanisme, n°374, sept-oct 2010, pp. 71-73
C. Petit, 2011, §2
121
Figure 18 : les quartiers touchés (orange foncé) et les quartiers menacés (orange clair) dans le
cadre de la transformation urbaine d'Istanbul
B. L'ignorance générale des besoins en projets socialement
équitables
Les PTU prévoient rarement le relogement des populations de gecekondu. Les
nouveaux logements sont construits en priorité pour une minorité disposant de hauts
revenus. Dans le même temps, l’argumentaire justifiant le départ des habitants des quartiers
de gecekondu est instable. Enfin, l’ignorance générale des besoins en logements sociaux est
démontrée par une offre très limitée.
1. La priorité donnée aux logements d’une minorité à hauts revenus
G. E. Lelandais démontre que les institutions publiques turques réservent
d’importantes ressources à l’aménagement d’espaces réservés à une minorité 68. Outre les
problèmes importants que cela pose en termes de justice sociale et de « justice spatiale », les
68
G. E. Lelandais, 2009, p.148
122
populations pauvres obligées de quitter leur quartier se retrouvent dans l’impasse. Deux
solutions s’offrent alors à elles, à savoir s’endetter sur quinze ans en vue d’acheter un
logement construit par TOKI, ou construire un bidonville ailleurs, sur d’autres terrains
publics.
La stratégie de la Municipalité d’Istanbul, en se mettant au service des classes aisées,
se résume donc à un « embellissement de façade », qui ne peut être ni durable, ni socialement
équitable. Les grands projets d’aménagement urbain représentent des sujets de contestation
quotidiens. L’argument de l’intérêt général, utilisé par les pouvoirs publics, devient ambigu.
Certes l’intérêt général est irréductible aux intérêts particuliers d’une minorité que
constituent les habitants de gecekondu. Mais peut-il à l’inverse servir les intérêts particuliers
d’une minorité aisée ?
2. Un argumentaire instable pour légitimer la démolition des gecekondu
Le président de TOKI, lors d’une conférence en 2007, s’exprime en ces termes :
« Aujourd’hui, la transformation urbaine figure parmi les deux-trois problèmes les plus
importants de la Turquie. Mais la Turquie ne peut pas parler du développement sans
résoudre le problème des bidonvilles. On sait que la source des problèmes de santé,
d’illettrisme, de drogue, de terrorisme et de défiance envers l’Etat se trouve dans les zones de
bidonvilles. La Turquie doit se débarrasser à tout prix des bâtiments illégaux et peu résistants
contre les séismes »69.
Cette prise de position du président de l’administration nationale du logement de
masse met en exergue l’amalgame opéré entre gecekondu et misère sociale, et, plus étonnant,
entre risque sismique et terrorisme. Ses paroles montrent l’urgence à donner à la
problématique des gecekondu, sans en donner les solutions. La dernière phrase contient en
substance la stratégie avancée, c’est-à-dire la démolition pure et simple d’un type d’habitat
considéré comme source de dangers et de violence. Pourtant, tout en niant la mémoire et
l’histoire des habitants, les démolitions ne font qu’aggraver la pénurie en logement social.
69
Ce discours a été prononcé par le président de TOKI à l’occasion de l’ouverture d’une conférence coorganisée avec Urban Land Institute sur « Les projets de transformation urbaine et les investissements
immobiliers », le 13 novembre 2007.
123
3. Bref état des lieux de l’offre réelle de logements sociaux à Istanbul
Il a été précédemment établi que les logements construits par TOKI étaient
principalement destinés aux classes moyennes et aisées70. Cet organisme ne semble pas se
préoccuper de l’habitat des plus démunis. En revanche, la loi n°775 de 1966 a fait naître la
Direction des Travaux liés aux logements et aux gecekondu. Cet établissement public
poursuit trois objectifs :
-
La réhabilitation de gecekondu déjà existants ;
-
La destruction des gecekondu en trop mauvais état ;
-
Le frein à la création de nouveaux gecekondu.
La Direction réalise des plans d’aménagement des quartiers de gecekondu et prévoit
les infrastructures nécessaires. Un stock de logements est également prévu pour reloger les
expropriés des gecekondu détruits par les PTU. Ces logements sont effectivement destinés
aux plus pauvres, selon des critères strictement définis. On peut donc parler d’une véritable
politique de logement social. Les habitations sont proposées à la location, pour l’équivalent
de vingt euros par mois71, ou à la vente. Après cinq ans de loyer, le locataire peut devenir
propriétaire.
Cependant, l’action de la Direction des Travaux liés aux logements et aux gecekondu
reste limitée. En effet, seules 6000 familles ont bénéficié des logements proposés par la
Direction depuis 1966. 3000 à 5000 autres sont sur liste d’attente. Et depuis août 2002, le
service n’accepte plus de demande72. Les ressources de l’établissement proviennent
uniquement de l’autofinancement. Aucune aide de l’Etat ou des collectivités locales n’est
apportée. La Direction doit se contenter de réutiliser les fonds issus de la vente et de la
location de son stock de logements. Ainsi, une partie des logements qu’elle réhabilite n’est
pas destinée aux plus pauvres mais revendue aux prix du marché, afin de dégager des
bénéfices.
Les acteurs publics semblent donc ignorer les besoins en projets équitables d’une
partie de la population stambouliote, qui reste certes minoritaire, mais n’en est pas moins
Chapitre 3 de ce mémoire
Un mois de loyer coûte 30 millions d’anciennes livres turques, ce qui correspond à vingt euros actuels. A
titre indicatif, en 1967 en Turquie, le salaire moyen s’élevait à environ 339 euros.
72 Mémoire de M. Tixeire, « Bilan critique des politiques de logement social à Istanbul », OUI-IFEA, 2003
70
71
124
conséquente, et vulnérable de surcroit. La stratégie consistant à éliminer à tout prix les
quartiers de gecekondu sans proposer de solution de relogement apparaît paradoxale. Elle se
vérifie pourtant dans la pratique, à travers l’expérience de plusieurs quartiers d’Istanbul.
C. Deux exemples de quartiers touchés par la transformation
urbaine
Les quartiers « Bir Mayıs » et Sulukule, objets d’un véritable matraquage médiatique
ces dernières années, ont été touchés par la transformation urbaine.
1. La destruction et la parcellisation des gecekondu du quartier « Bir Mayıs »
« Bir Mayıs » est un quartier de gecekondu apparu à la fin des années 1970 dans le
district d’Ümraniye. Il s’agit d’une période de polarisation politique extrême en Turquie. A
Istanbul, des affrontements quotidiens opposent les militants d’extrême droite et d’extrême
gauche. Les groupes d’extrême gauche prennent alors le contrôle du quartier « Bir Mayıs »,
qui s’appelait à l’époque « Mustafa Kemal ». Ces groupes avaient pour objectif de mettre en
place une organisation sociale et politique basée sur l’idéologie socialiste dans le quartier.
Une politique de distribution foncière, des institutions et des services (comité populaire,
maison du peuple, espace santé, école, coopératives…) ont été créés. Le 2 septembre 1977,
après un troisième succès de résistance aux forces de police et à l’armée qui menaçaient de
détruire le quartier, les habitants le rebaptisent « Bir Mayıs »73 et le déclarent kurtarılmış bölge,
« zone libérée ». Ce statut empêche tout instrument social, politique ou répressif de pénétrer
dans le quartier. Une intervention militaire en 1980 vise à reprendre le contrôle du quartier.
Les militants sont poursuivis, tués ou emprisonnés. Les familles sont victimes de rafles
nocturnes, d’emprisonnements et de tortures. Une station de Police est installée et le quartier
retrouve son ancien nom : « Mustafa Kemal ». Mais « Bir Mayıs » s’est imposé dans les
esprits. Ce quartier a toujours été considéré comme le bastion de l’extrême gauche
révolutionnaire, faisant l’objet d’une surveillance militaire et policière particulière.
73
En hommage aux 35 militants d’extrême-gauche tués lors d’une manifestation, le 1er mai (en turc, bir mayıs)
1977
125
L’un des projets urbains prioritaires de la mairie d’Istanbul concerne l’arrondissement
d’Ümraniye, constitué majoritairement de gecekondu. Les raisons évoquées mettent en avant
l’instabilité du sol face au risque sismique. Le projet est présenté comme un vecteur
d’amélioration des conditions de vie des habitants, sous l’égide de l’UNESCO. Aujourd’hui,
on peut constater que le parc immobilier local s’est développé et les services urbains
améliorés. Au milieu des années 1980, le quartier Mustafa Kemal a été divisé en deux par la
construction d’un axe autoroutier. 1500 habitations ont alors été détruites. La population
s’est quant à elle largement renouvelée. En somme, après 25 ans, le visage du quartier « Bir
Mayıs » n’a plus rien de semblable au kurtarılmış bölge de 1977.
2. Projet de transformation et de rénovation du quartier Sulukule
Le quartier Sulukule se situe dans l’arrondissement de Fatih, cœur historique et
touristique de la ville d’Istanbul. La raréfaction des terrains urbanisables proches du centreville a fait naître un nouvel intérêt pour les zones du centre historique telles que Fatih. En
avril 2006, une décision du Conseil des ministres d’assainir les quartiers insalubres a mené au
projet de rénovation de Sulukule. Il s’agissait de détruire les maisons en ruine, de rénover les
maisons stambouliotes traditionnelles, et d’opérer un rééquilibrage démographique. Un
documentaire réalisé par Naomi Steuer, intitulé Die letzten Tage von Sulukule, met en image la
destruction du quartier de Sulukule, occupé par une population rom depuis plusieurs
siècles74.
571 familles sont alors sommées de quitter le quartier pour s’installer dans des
logements situés à 40 km du centre-ville, construits par TOKI. Des scientifiques, des
universitaires, ou encore l’UNESCO et le Parlement européen s’opposent tout de suite au
projet. La mobilisation s’organise avec le soutien d’ONG. Des alternatives permettant de
réhabiliter le bâti et de développer l’économie locale tout en maintenant les populations dans
le quartier sont proposées.
Finalement, en 2010, seules sept familles sont restées dans le quartier. Les prix de
location des logements proposés par TOKI se sont avérés trop élevés par rapport aux
revenus des familles qui ont quitté le gecekondu. Toutes charges comprises, ces habitations
coûtent 1000 TL par mois aux locataires, soit environ 480 euros. Rappelons que le salaire
74
N. Steuer, Die letzten Tage von Sulukule, 2011
126
minimum légal, que la plupart des habitants de gecekondu n’atteignent pas, est de 305 euros
par mois en Turquie75.
Les projets de transformation urbaine à Istanbul ne prennent pas en considération les
enjeux sociaux qui s’y rattachent. Les besoins en logements sociaux ne sont que très
partiellement couverts. A l’inverse, la priorité est donnée à l’habitat destiné aux hauts
revenus. La logique poursuivie par les pouvoirs publics consiste à masquer les « zones
d’ombres » de la ville et à mettre en avant les atouts d’Istanbul. En effet, l’image de la ville
est un paramètre essentiel de son internationalisation. En somme, les projets de
transformation urbaine sont autant d’épées de Damoclès placées au-dessus des habitants des
gecekondu.
En conclusion, les politiques urbaines d’inspiration néolibérale se sont imposées à
l’échelle du gecekondu. A l’origine, ces quartiers constituaient des espaces de proximité et de
solidarité. Les processus d’institutionnalisation et de politisation ont permis aux réseaux
locaux de perdurer. Puis les politiques néolibérales sont venues remettre en cause leur
organisation. Dans un premier temps, l’opposition aux démolitions dans le cadre des projets
de transformation urbaine a constitué un motif de renaissance pour les mouvements sociaux
des gecekondu. Mais rapidement, les propriétaires sont entrés dans une logique capitaliste
menant à la commercialisation des habitations, empreinte de spéculation foncière. Puis la
montée de l’individualisme a causé la décomposition des relations de solidarité. Enfin,
l’avenir même des gecekondu, mais surtout de leurs habitants, est menacé par les tendances
urbaines néolibérales. Les nouveaux projets de transformation, ciblés sur les gecekondu, ne
sont pas accompagnés de mesures propres à couvrir les besoins en logements sociaux.
Ce chapitre a également mis en exergue la complexité des rapports politiques,
économiques et sociaux qu’entretiennent les différents agents au sein de la métropole
75
Le moniteur du commerce international (lemoci)
127
stambouliote. Le contrôle du territoire est l’objet d’affrontements et de profondes tensions.
En témoignent les conflits et controverses liés aux projets d’aménagement et de
transformation urbaine. Le débat sur le sens de l’intérêt général dans un contexte de fortes
disparités économiques et sociales représente la limite posée à une éventuelle sortie de crise
négociée et acceptable pour toutes les parties.
Le phénomène gecekondu est un marqueur durable des problématiques et des enjeux
majeurs qui entourent la gouvernance urbaine à Istanbul.
128
Chapitre 6 : les principaux enjeux dérivés du phénomène
gecekondu
L’étude des gecekondu a permis de montrer les caractères de l’implantation de
l’économie néolibérale dans les pratiques urbaines stambouliotes. L’évolution de ce mode
d’habitat illégal est déterminée par des logiques économiques concurrentielles, visant à la
promotion de la ville à l’échelle mondiale et à la réalisation de profits.
Idéologiquement, la néolibéralisation de la ville vise à la libération des forces
économiques et sociales et à une allocation optimale des ressources et des investissements.
L’accumulation de richesses est source d’externalités positives, censées profiter à tous. En
pratique, le développement urbain reste très inégalitaire. On constate une polarisation
spatiale de la richesse et la création de villes duales. Les besoins des habitants sont relégués
au second plan, derrière un objectif central de compétitivité de la ville au niveau régional et
international.
Le programme d’ « Istanbul Capitale Européenne de la Culture 2010 » illustre ce
dilemme. A l’origine, le projet de candidature émanait d’une initiative conjointe entre des
acteurs privés et la société civile. La transformation urbaine en était l’un des thèmes
centraux. L’art et la culture devaient permettre de responsabiliser les citoyens sur la
préservation de leur environnement et de leur patrimoine. L’année 2010 était en outre vue
comme une opportunité de réhabilitation urbaine des quartiers, en tenant compte en priorité
des besoins et des attentes des habitants, tout en respectant l’esprit de la ville. A l’inverse, les
projets de 2010 ont été instrumentalisés et exploités dans l’intérêt du marketing de la ville, du
tourisme et de la gentrification. Le masterplan de la municipalité du Grand Istanbul a de fait
misé sur l’image contemporaine de la ville. Les municipalités d’arrondissement ont mis en
place une stratégie commerciale afin d’attirer les investisseurs culturels. Loin des intérêts des
citoyens, le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan affirmait : « le but principal est d’attirer
10 millions de touristes à Istanbul en 2010 »76.
76
M. Debard, Istanbul 2010, Capitale Européenne de la Culture : un challenge pour la Turquie, Université d’AixMarseille, 2009-2010, p. 64
129
Cet événement marque la faiblesse de la culture civique en milieu urbain. La volonté
d’internationalisation de la ville justifie tous les projets et semble sans limite. Pourtant, les
logiques néolibérales appliquées à l’urbain rencontrent des limites. L’étude des gecekondu a
mis en exergue les enjeux représentés par ce type d’habitat, ainsi que par la transformation
urbaine dans son ensemble.
La population à faibles revenus se retrouve marginalisée. La gestion urbanistique des
risques est entravée. La gouvernance d’Istanbul doit de ce fait être questionnée.
I.
La marginalisation d’une population à faibles revenus
Les populations défavorisées se retrouvent marginalisées. Le gecekondu est toujours
synonyme d’altérité. De plus, les ménages à faibles revenus sont exclus du marché du
logement. Enfin l’habitat illégal des plus pauvres est l’espace d’une économie parallèle.
A. Le gecekondu toujours synonyme d’altérité
L’altérité, dans le sens de distance et de différence, se retrouve dans la précarité des
conditions de vie dans les gecekondu, dans le rejet des populations pauvres à la périphérie,
ainsi que dans un déficit d’intégration au tissu urbain.
1. La précarité des conditions de vie
B. Granotier77 énumère les principales caractéristiques de l’habitat précaire. Tout
d’abord, la précarité est physique. Les quartiers irréguliers sont peu raccordés aux réseaux
urbains fondamentaux (eau, tout-à-l’égout…). Ensuite apparaissent des problèmes sociaux.
Il convient à ce propos d’éviter toute généralisation d’une vision romantique du bidonville,
77
B. Granotier, 1980
130
telle que l’image rurale du gecekondu précédemment évoquée 78. L’habitat illégal et précaire
est un marqueur de l’inadaptation du système industriel et urbain dans ces quartiers. Le
surpeuplement et la pauvreté sont souvent à l’origine de violences et de criminalité.
2. Le rejet des populations défavorisées à la périphérie
Ces quartiers sont mal reliés au tissu urbain. La médiocrité des transports en commun
limite les possibilités d’emploi et aggrave les inégalités. A Istanbul, les lacunes en autobus
sont en partie comblées par les transports semi-collectifs, appelés dolmuş. Pour relier les
arrondissements périphériques au centre, existe le système de metrobüs. Ce moyen de
transport, qui utilise une voie routière réservée, est particulièrement rapide. Les quatre lignes
(figure 19), mises en place à partir de 2007, sont utilisées par environ 600.000 personnes par
jour79. Aux heures de pointe, ces bus sont littéralement pris d’assaut par les habitants. Les
capacités d’accueil des metrobüs restent très insuffisantes.
Figure 19 : les quatre lignes de metrobüs relient le centre aux périphéries les plus
éloignées
78
79
Chapitre 4, I, B, 2
www.iett.gov.tr
131
B. Granotier conclut : « le désenclavement des bidonvilles et colonies de squatteurs
dépendra donc […] d'une desserte améliorée et d'une réhabilitation des moyens de
locomotion consommant peu d'énergie »80.
3. Un déficit d’intégration au tissu urbain
Le manque d’intégration urbaine des quartiers défavorisés à Istanbul peut s’expliquer
par le traitement politique, médiatique et éducatif qui en est fait. La violence y est généralisée
à l’extrême. Ces quartiers sont compris dans leur globalité. Ainsi les investisseurs potentiels
sont tenus à distance, les habitants subissent une discrimination à l’emploi et les relations
avec les autorités administratives sont tendues. En sus, certains textes destinés à l’éducation
populaire stigmatisent les gecekondu. Le « parti révolutionnaire pour la libération du peupleFront » (DHKP-C) présente le gecekondu comme « la tête de l’opposition sociale »81.
L’objectif consiste à forger un imaginaire du gecekondu en tant que symbole de la résistance
à l’ordre dominant. De même, dans le film Keşanlı Ali Destanı, le réalisateur Atıf Yılmaz offre
une vision caricaturale des habitants de gecekondu, qu’il tourne en ridicule82.
Cette marginalisation comporte un risque de communautarisation du malaise social, à
même d’accentuer la dualité de la ville, déjà réalisée par l’exclusion des populations pauvres
du marché du logement.
B. L’exclusion du marché du logement
Les populations pauvres de la métropole stambouliote se retrouvent exclues du
marché du logement. En effet, la demande est très forte et l’offre est destinée en priorité aux
classes moyennes et privilégiées. En résulte une dualité du marché du logement à Istanbul.
1. Une demande importante sur le marché du logement
La demande est très difficile à quantifier. La croissance démographique est restée
extrêmement forte ces dix dernières années. Entre 2002 et 2009, 2,5 millions de personnes
B. Granotier, 1980, p.110
www.ozgurluk.org
82 A. Yılmaz, Keşanlı Ali Destanı, 1964
80
81
132
ont migré vers Istanbul83. La croissance démographique de la ville est toujours extrêmement
forte. Dans ce contexte, le logement social est devenu une nécessité. Selon une enquête
réalisée en 2002, le Fonds d’Aide Social estime à 10% la part de la population totale de la
ville qui aurait besoin d’un logement social84.
En outre, selon un rapport de la Chambre des Urbanistes d’Istanbul, l’ensemble des
habitations illégales représentaient 75% des 1,7 millions de logements recensés à Istanbul fin
200285. L’habitat illégal constitue une alternative au manque de logement social. En effet,
l’offre de logement est réservée aux classes moyennes et supérieures.
2. Une offre de logements réservée aux classes moyennes et supérieures
Istanbul ne connaît pas de pénurie de logement, bien au contraire. Le rapport de la
Chambre des Urbanistes précité affirme que le parc de logement à Istanbul permet de loger
24 millions de personnes, soit l’équivalent du double de la population de la ville. Les
nouvelles constructions sont de plus en plus nombreuses, supérieures au nombre de
nouveaux arrivants. Ceci s’explique par la forte augmentation de la valeur du foncier et de
l’immobilier à Istanbul. Entre 2004 et 2006, les prix du foncier ont augmenté de 60%86. Le
marché du logement s’avère particulièrement lucratif. Les Turcs préfèrent l’investissement
immobilier à l’épargne bancaire.
Cependant la construction de logements neufs est destinée en priorité aux classes
sociales les plus aisées, facilement solvables. Les acteurs du secteur de l’habitat à Istanbul ont
changé. Les grandes sociétés et multinationales ont remplacé les entrepreneurs indépendants
de petite taille. Ainsi la rentabilité est au cœur des logiques de construction, ce à quoi
correspondent les projets de cités privées à grande échelle. Par conséquent, le marché du
logement s’est dualisé.
www.ibb.gov.tr
Electroui n°1, Observatoire Urbain d’Istanbul
85 Electroui n°11, Observatoire Urbain d’Istanbul
86 L. Marchand, « Istanbul est à son tour gagnée par la fièvre immobilière », Le Figaro, 21.10.2006
83
84
133
3. La dualité du marché du logement
Dans le secteur de l’habitat, deux mondes se superposent sans se confronter. Le
premier se caractérise par la légalité et le luxe, et concerne les classes aisées qui s’installent en
périphérie. Le second marché est irrégulier et non-contrôlé. Il concerne des logements
souvent insalubres, dispersés dans la ville et destinés aux nécessiteux. Un grand nombre de
transactions ont lieu hors de tout cadre juridique. Ce système parallèle reste flou et laisse peu
de choix aux demandeurs. Les plus pauvres louent des logements illégaux. Ils ne disposent
alors d’aucun droit à l’indemnisation ou au relogement en cas d’expropriation, suite à un
PTU par exemple.
Il existe un véritable réseau de loueurs informels à Istanbul. Aucune rigueur politique
ne s’impose. A l’inverse, les pratiques de corruption entre les décideurs et les mafieux locaux
font rage. Ce marché parallèle manque d’un acteur social fort. Enfin la dualité du marché du
logement à Istanbul fait écho à l’existence d’une économie parallèle.
C. L’espace d’une économie parallèle
L’économie néolibérale tolère des formes de travail spéciales, illégales. Le marché du
travail, comme celui du logement, est dual. Les populations défavorisées trouvent du travail
au sein de l’économie parallèle. La typologie primaire – secondaire – tertiaire est devenue
obsolète, remplacée par une dichotomie entre secteur informel et secteur moderne. Istanbul
est alors confrontée à des défis économiques majeurs.
1. L’obsolescence de la distinction entre secteurs primaire, secondaire et tertiaire
Le marché du travail stambouliote ne peut plus être décrit selon les types d’activités
exercées. On distingue désormais le secteur formel ou moderne et le secteur informel ou
non structuré. Les activités du primaire, du secondaire et du tertiaire se retrouvent dans les
secteurs formel et informel.
134
B. Granotier87 opère une distinction entre ces deux marchés. D’une part, le marché
formel est protégé. Il emploie les fonctionnaires, les salariés des entreprises importantes, et
les professions libérales. Les métiers y sont sûrs, les salaires élevés et les profits abondants.
Le secteur moderne se considère comme la locomotive du développement économique du
pays. D’autre part, sur le marché informel, une multitude de petites unités de production et
de commercialisation absorbent une bonne partie du surplus de main d'œuvre que le secteur
moderne ne parvient pas à contenter. Les travailleurs sont le plus souvent non-qualifiés. On
y trouve les personnes travaillant à leur compte, les employés à temps partiel, les
domestiques et les travailleurs ayant des occupations plus ou moins légales.
Le géographe brésilien Milton Santos oppose circuit inférieur et circuit supérieur dans
l’économie urbaine88, dont les caractéristiques principales sont résumées dans le tableau
suivant (figure 20).
Circuit supérieur
Circuit inférieur
Stocks
Grande quantité et/ou haute
qualité
Petites quantités et qualité
inférieure
Capitaux
Importants
Minces ou négatifs
Technologie
De pointe
Périmée ou traditionnelle
Emploi
Réduit et inélastique
Multiple et élastique
Salariat
Dominant
Pas obligatoire
Crédit
Bancaire, institutionnel
Personnel, non institutionnel
Rapports avec la clientèle
Indirects et/ou avec papiers
Directs, personnalisés
Marges bénéficiaires
Réduites à l'unité,
importantes par le volume
des affaires
Elevées à l'unité
Dépendance directe de
l'extérieur
Grande activité extravertie
Réduites ou nulles
Source : B. Granotier, 1980, p.74
Figure 20 : Principales caractéristiques des deux circuits de l'économie urbaine
Selon une étude de l’OCDE en 200889, l’économie informelle emploie environ 30%
de la main d’œuvre d’Istanbul. Il existe en outre une économie souterraine, qui représente
B. Granotier, 1980
M. Santos, Les villes du Tiers Monde, 1971, p.396
89 OCDE, « Examens territoriaux de l’OCDE : Istanbul, Turquie », Synthèse, mai 2008, p.3
87
88
135
près de la moitié du PIB et concentre 40% des forces de travail90. Le secteur informel est
composé de plusieurs dizaines de milliers d’entreprises, souvent des sous-traitants
d’entreprises légales. Les métiers concernés sont divers : vendeurs de rue, artisans de la
construction, mais également des métiers du secteur tertiaire (publicité, tourisme…). Au sein
même d’entreprises établies, une partie du personnel est employée sans être déclarée. Les
secteurs informel et moderne entretiennent donc des liens.
2. Les liens entre le secteur informel et le secteur moderne
Ces deux secteurs communiquent. Ils sont interdépendants, entretenant une relation
plus complémentaire que compétitive, notamment lorsque les unités artisanales produisent
mieux et moins cher que le secteur moderne. Cependant, ce dernier établit lui-même les
frontières qui le séparent de l’économie informelle, qu’il domine et exploite.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que l’existence même du secteur informel
prouve les limites de l’accès des actifs à la formation et des moyens de valorisation du capital
humain. Il s’agit pourtant d’éléments nécessaires au renforcement de la capacité d’innovation
et de la productivité des entreprises : « Les contraintes qui s’exercent sur le développement
du capital humain et la place du secteur informel freinent les niveaux de productivité et
creusent les écarts de revenus »91. En d’autres termes, ces formes de travail illégales tolérées
par l’économie néolibérales en constituent également les limites.
3. Les défis économiques pour Istanbul
L’objectif principal consiste à faire face à la concurrence internationale et à devenir
un pôle d’innovation national. En ce sens, l’économie parallèle est nuisible car elle ne permet
pas d’augmenter les capacités d’innovation et de rayonnement économique. Elle contribue
également à la marginalisation des personnes qui y sont employées. La réalisation des
objectifs économiques devrait donc avoir des répercussions sociales favorables.
90
91
« L’économie turque : forces et faiblesses », La documentation Française (en ligne), 2005
OCDE, 2008, p.1
136
Parmi les défis92, l’Etat turc doit favoriser l’officialisation des entreprises informelles,
afin qu’elles entrent dans l’économie moderne. Ceci se traduit par la création d’un cadre
juridique pour les micro-entreprises. De plus, les activités de la ville doivent être
modernisées, et leur contenu technologique renforcé. « Il est essentiel de mieux intégrer le
souci du développement social aux politiques économiques et urbaines actuelles, non
seulement pour faire face aux éventuels chocs macroéconomiques – et les amortir – mais
aussi pour s’assurer du capital social nécessaire à une stratégie de compétitivité à long
terme »93.
La marginalisation des populations défavorisées, habitant ou non dans les gecekondu,
passe par une mise à distance aussi bien théorique que pratique. Reléguées à la périphérie de
la ville, ces personnes sont de fait isolées, stigmatisées et mal intégrées au tissu urbain. Cette
marginalisation
prend
évidemment une coloration
sociale, mais pas seulement.
Le
marché
moderne
du
logement et les emplois du
secteur formel ne leur sont
pas accessibles. Istanbul est
de fait l’objet de fortes
divisions
socio-spatiales
(figure 21). La métropole
doit également faire face à
des risques conséquents, liés
à l’urbanisation.
92
93
Figure 21 : Les divisions socio-spatiales à Istanbul
OCDE, 2008, p. 4-6
OCDE, 2008, p.6
137
II.
La gestion des risques liés à l’urbanisation
D’un point de vue urbanistique, Istanbul doit être considérée comme un territoire de
richesse, de diversité et de mouvement. L’historicité de la ville et la multiplicité des
monuments forment un formidable patrimoine historique, culturel et architectural.
Cependant, construite comme son homologue italien sur sept collines, la métropole
stambouliote paie aujourd’hui le prix de l’urbanisation tous azimuts de ces cinquante
dernières années.
Tout d’abord, le patrimoine de la ville est en danger. Ensuite, d’autres risques sont liés
aux constructions et à la protection de l’environnement. Enfin le droit de l’urbanisme est
constamment contourné.
A. Un patrimoine en danger
Le patrimoine de la ville est en danger. En effet, le centre historique est déserté. La
transformation urbaine représente également une menace. Finalement, l’UNESCO pourrait
retirer Istanbul de son patrimoine mondial.
1. Le centre historique déserté
La stratégie des grandes sociétés de construction et des multinationales se concentre
sur les périphéries d’Istanbul, conduisant au départ des populations aisées du centre
historique. La gentrification, qui dirige l’action des autorités publiques sur les quartiers où
vivent ces populations, ne s’applique plus dans le centre. Ainsi le bâti ancien a tendance à se
dégrader.
L’UNESCO indique à ce propos que « le tissu urbain est menacé par un manque
d'entretien et par la pression qu'exerce son évolution »94. Les quatre zones historiques
suivantes
94
sont
inscrites
sur
la
Liste
du
Patrimoine
mondial
(figure
Site Internet de l’UNESCO, rubrique « Zones historiques d’Istanbul » whc.unesco.org/fr/list/356
138
22) :
1. Le Parc archéologique, à
l’extrémité de la Péninsule
historique ;
2.
Le
quartier
de
Süleymanye ;
3. La zone d’habitations de
Zeyrek ;
4. La zone le long des deux
côtés
de
la
muraille
terrestre de Théodose II.
Figure 22 : Les 4 zones historiques d’Istanbul inscrites à la Liste du
Patrimoine mondial de l’UNESCO
La muraille de Théodose II était un espace occupé par l’habitat illégal et les activités
économiques clandestines. Depuis 1985, des opérations d’évacuation et de rénovation
rapides visent à réhabiliter ce monument. Ces dernières sont l’objet de conflits entre les
acteurs concernés car elles ne respecteraient pas les enjeux historiques et sociaux essentiels
liés à ce lieu.
2. La menace représentée par la transformation urbaine
Istanbul est une ville en pleine expansion et recomposition depuis les années 1980,
particulièrement depuis le début des années 2000.
D’une part, les programmes européens et internationaux financent les restaurations.
Cependant leur mise en œuvre n’est pas cohérente et les bâtiments restaurés ne sont pas
entretenus. En découle une juxtaposition de zones rénovées de haut standing et de poches
d’habitat populaire dégradées, comme à Beyoğlu. Pour J.-F. Pérouse, l’une des stratégies de
transformation urbaine des autorités publiques stambouliotes consiste à « laisser pourrir » la
139
situation des habitants en situation précaire, afin de procéder par la suite à une « rénovation
autoritaire » en expulsant les populations pauvres95.
D’autre part, pour la municipalité d’Istanbul comme pour l’Etat turc, la culture est un
business. En tout état de cause, c’est l’idée qui ressort des PTU des quartiers historiques.
L’histoire, la culture et l’art doivent servir l’image de la ville. Kadir Topbaş, maire de la
Municipalité du Grand Istanbul, affirme : « dans une capitale des finances et des services,
l’image c’est tout »96. La politique poursuivie par les autorités centrales et locales est
préjudiciable à l’intégrité historique et culturelle de la ville. C’est pourquoi l’UNESCO
menace de déclasser les sites stambouliotes de la liste du Patrimoine mondial.
3. Le risque de déclassement de l’UNESCO
Cette menace plane sur la ville depuis la réunion de l’UNESCO à Vilnius en 2006. Un
délai de deux ans avait alors été accordé à la Turquie afin qu’elle remplisse ses engagements
concernant la protection de ses sites historiques. En 2011, un nouveau projet inquiète
l’UNESCO. Il s’agit de la construction d’un pont aérien de métro au-dessus de la Corne
d’Or. La ville d’Istanbul pourrait être placée sur la liste des sites « en danger », car
l’Organisation internationale estime que les monuments historiques ne sont pas
suffisamment protégés.
Ce projet n’est pas le seul à alarmer l’UNESCO. La construction d’un bâtiment
supplémentaire pour l’hôtel de luxe « Four Season » sur des vestiges archéologiques, le métro
Marmaray ou encore le « renouvellement urbain » du quartier de Sulukule en font partie.
Outre le patrimoine, les constructions et l’environnement sont également en danger.
C. Girardot, « Urbanisme : Istanbul l'anarchique hésite « entre Paris et Dubaï » », blog de Mediapart,
14.12.2008
96 M. Debard, Istanbul 2010, Capitale Européenne de la Culture : un challenge pour la Turquie, 2009-2010, p. 62
95
140
B. Les risques liés aux constructions et à la protection de
l’environnement
La sismicité et les inondations sont devenues des risques majeurs dans le cadre du
développement de l’habitat illégal et de la transformation urbaine. La protection de
l’environnement figure également parmi les enjeux essentiels liés à l’urbanisation.
1. Le risque sismique : l’ambivalence des enjeux
La métropole se situe à proximité de la faille nord-anatolienne. L’histoire sismique
d’Istanbul a été particulièrement mouvementée, de la « Petite Apocalypse » de 1509 qui a tué
entre 5000 et 6000 personnes, au séisme du 17 août 1999. Ce dernier a eu des conséquences
exceptionnellement lourdes sur le plan économique et sociopolitique. En sus des milliers de
morts et de blessés, des centaines de milliers de logements et de lieux de travail ont été
détruits ou endommagés. Cet événement est à l’origine d’une nouvelle perception du risque
en Turquie. Une équipe de chercheurs franco-turque pilotée par le CNRS est depuis lors
chargée d’évaluer le risque sismique dans la région. Les études ont démontré qu’un séisme de
très grande ampleur surviendra dans les trente années à venir97.
Le tremblement de terre de 1999 a montré les failles de la gestion du risque sismique
à Istanbul. Le problème réside principalement dans la fragilité des constructions et la
vulnérabilité de fait des habitations illégales, en particulier des gecekondu. Ceux qui n’ont pas
été détruits par la transformation urbaine sont construits sur des sols non-urbanisables et sur
les pentes raides, à l’aide de matériaux peu résistants. La brique et la pierre sont lourdes, peu
élastiques et peu flexibles. La Municipalité du Grand Istanbul a exigé l’élaboration d’un
masterplan (figure 23) prévoyant la restructuration des quartiers les plus menacés par les
risques sismiques. Zeytinburnu a servi de zone pilote.
97
Y. Koc, Les stratégies de réponses des acteurs d’Istanbul au tremblement de terre : étude de cas, Rapport de stage à
l’OUI, p.20
141
Figure 23 : masterplan du quartier de Zeytinburnu, réalisé pour la
protection contre le risque sismique
Mais rapidement, le risque sismique a permis à la Municipalité de justifier les projets
de transformation urbaine. « La menace sismique sert d’alibi technique aux élus pour justifier
les démolitions des quartiers […] »98, estime Derya Özel.
2. Les inondations
En septembre 2009, une grave inondation à Istanbul a fait 31 morts et des dégâts
considérables. Les médias ont dénoncé à cette occasion l’urbanisation anarchique d’Istanbul.
Le ministre de l’environnement Veysel Eroğlu reconnaît les erreurs majeures d’aménagement
commises, parmi lesquels les constructions dans les lits des rivières. Le chef du
gouvernement Recep Tayyip Erdoğan parle quant à lui « (d)’urbanisation mal contrôlée »99.
Les urbanistes donnent des illustrations de ces erreurs : bétonnage massif, ignorance
du relief naturel, multiplication des ouvrages routiers… Depuis une quarantaine d’années,
ces phénomènes se sont accrus de manière spectaculaire. Le risque d’inondation est l’objet
D. Özel, « Rénovation urbaine dans les quartiers populaires d’Istanbul - La lutte des habitants contre la
démolition de leurs lieux de vie », Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale (site
internet), juin 2008
99 Cité par A. Wurtz dans son article « Inondations en Turquie : Istanbul, une cité engloutie ! »,
www.developpementdurable.com
98
142
de polémiques politiques. Deniz Baykal (député CHP) a mis en cause le gouvernement et la
Municipalité Métropolitaine d’Istanbul (tendance AKP) pour les errements de la
planification urbaine et de la gestion municipales. Elle dénonce le fait que 24.000 immeubles
aient été construits sur des zones à risques.
3. La protection de l’environnement
L’urbanisation, la transformation urbaine et les pratiques illégales représentent un
frein à la protection de l’environnement, car elles sont facteurs de pollution et menacent les
ressources naturelles.
D’une part, la pollution de l’air est causée par la croissance rapide de la population, la
place inappropriée accordée à l’industrie, l’utilisation d’une mauvaise qualité de carburant, ou
encore d’insuffisants efforts réalisés pour la réduction du trafic. En somme, la protection
climatique ne représente pas une priorité pour les autorités publiques, les entrepreneurs
privés et les citoyens stambouliotes. Des efforts sont à constater depuis 1995, à travers la
mise en place de onze stations de calcul du niveau de pollution de l’air et la baisse des taux
de dioxyde de souffre dans l’air. Cependant, la pollution de l’air est encore très élevée à
Istanbul, de même que la pollution de l’eau. Le Bosphore et les mers entourant la ville sont
très pollués. Si la Municipalité du Grand Istanbul démontre constamment sa volonté de
limiter les dégâts, ses intentions sont rarement suivies d’effets. Le système de transports
publics reste trop limité. Les ponts au-dessus du Bosphore sont constamment surchargés.
Les Stambouliotes semblent avoir une véritable culture du véhicule particulier. Près de trois
millions de véhicules sont enregistrés à Istanbul, qui en compte 600 supplémentaires chaque
jour. La politique de prévention et d’encouragement à l’utilisation de véhicules propres mise
en place par la Mairie Métropolitaine est insuffisante.
D’autre part, le dynamisme de l’extension actuelle de l’agglomération met en péril la
durabilité des réserves forestières et hydrauliques périurbaines. La grande industrie s’étend à
l’ouest vers Edirne et à l’est en direction d’Ankara. De nombreuses opérations de logement
collectif ont lieu aux marges de l’agglomération. Les pratiques spéculatives se transforment
en une course effrénée aux réserves foncières périphériques. Enfin les cités privées, en plein
essor, sont construites à proximité des ressources naturelles des marges de l’agglomération
stambouliote (Bosphore, mer Noire, mer de Marmara, grandes forêts périurbaines, lacs…).
143
L’extension urbaine fait donc peser une lourde menace sur les ressources naturelles de la ville
(figure 24).
Figure 24 : La croissance urbaine périphérique menace les réserves naturelles
Le risque sismique, les inondations comme les menaces sur l’environnement font
l’objet d’une gestion limitée, entravée par les contournements du droit.
C. Le droit et le contournement de la loi
Le droit de l’urbanisme turc tente de limiter les risques. Mais la législation est
constamment contournée, par la corruption et le clientélisme d’une part, à travers la nonapplication des règles de planification urbaine d’autre part.
1. Un droit contourné par la corruption et le clientélisme
La corruption rend les réglementations inefficaces. Le séisme de 1999 a mis en
lumière l’étendue de cette pratique en Turquie. Les autorités ferment les yeux face au nonrespect des règles de construction, et accordent facilement des permis de construire contre
des pots-de-vin. Par exemple, certains bétons utilisés pour la construction des immeubles
étaient mélangés avec du sable de mer, qui n'avait pas subi de traitement de désalinisation au
préalable, rendant ainsi le béton friable.
144
De plus, la pratique politicienne des amnisties, aujourd’hui plus limitée, a eu des effets
incitateurs sur les constructions illégales. Les autorités publiques s’assurent une clientèle de
redevables.
2. La non-application des règles de planification urbaine
De nombreux plans d’aménagement sont conçus depuis les années 1930. Plus
récemment, a été créé l’Atelier d’Urbanisme et de Planification (IMP), chargé de définir les
enjeux stratégiques du développement métropolitain et de concevoir les plans
d’aménagement. Les plans et les rapports de l’IMP délimitent les zones historiques et
naturelles à protéger.
Mais les habitations informelles et les grandes opérations immobilières continuent
leur progression sans prendre en compte les plans, devenus inefficaces et contournés dans
les faits. L’urbanisation semble donc commandée par les intérêts privés. Les décisions
concernant les grands travaux d’infrastructures de transport sont guidées par des
perspectives de spéculation foncière et immobilière100. Martine Candelier-Cabon et Benoît
Montabone concluent : « Ainsi, la juxtaposition de grands projets déterritorialisés ne fait pas
un projet urbain cohérent »101.
L’urbanisation, l’habitat illégal et la transformation urbaine représentent donc une
menace pour le patrimoine et l’environnement. Les pratiques illégales augmentent la
vulnérabilité de nombreuses constructions aux différents risques. La législation reste
impuissante face à ces dangers, car elle se trouve le plus souvent contournée. Dans ce
contexte, la gouvernance d’Istanbul doit être questionnée.
100
101
J. F. Pérouse, « Gouverner Istanbul aujourd’hui », Rives méditerranéennes, n°2, 1999
M. Candelier-Cabon et B. Montabone, « Istanbul, une internationalisation forcée ? », EchoGéo, 2009, §22
145
III.
La gouvernance urbaine en question
Qu’il s’agisse des gecekondu, de l’habitat illégal en général ou de la transformation
urbaine, la majorité des études sur l’urbanisme à Istanbul pointe du doigt les errements des
autorités publiques. Il convient donc de faire le point sur l’actuelle gouvernance d’Istanbul.
Celle-ci revêt une importance capitale lorsque les dangers qui planent sur la ville mettent en
jeu la vie des Stambouliotes (risque sismique, inondations…).
La question de la gouvernance renvoie à la définition des acteurs et des échelons d’un
système de gestion, afin de déterminer leurs compétences et de juger de la mise en œuvre ou
non d’une « bonne gouvernance ». Le modèle de « bonne gouvernance » a été théorisé dans
les années 1980 et devait être instauré dans les PED, en vue d’une redéfinition du
fonctionnement et des échelles de l’administration publique, vers la décentralisation et la
démocratisation. Quelle gouvernance pour Istanbul ?
Tout d’abord, la gouvernance est exercée par différents acteurs. Elle s’avère ensuite
particulièrement complexe. Enfin de nombreux acteurs essentiels ne peuvent y prendre part.
A. Les acteurs de la gouvernance à Istanbul
On dénombre trois catégories d’acteurs de la gouvernance à Istanbul, à savoir l’Etat
et les collectivités locales, la TMMOB, et l’AKP.
1. L’Etat et les collectivités locales
D’une part, les aires de représentation de l’Etat central à Istanbul sont le département
(il), les arrondissements (ilçe) et les quartiers. Le préfet (vali) est le représentant principal de
l’Etat. Il est responsable d’une série de services départementaux, tels que la police, l’état civil
et le contrôle des constructions. Ensuite les 38 arrondissements d’Istanbul comportent des
sous-préfectures (kaymakamlık), simples relais du pouvoir central et de ses services. Enfin à
l’échelle du quartier se trouve le muhtar, qui, même s’il est élu, peut être considéré comme
l’ultime représentant du pouvoir central.
146
D’autre part, les pouvoirs locaux, décentralisés, sont concentrés entre les mains de la
Municipalité Métropolitaine (MM), nommée Istanbul Büyükşehir Belediyesi (IBB), la
Municipalité du Grand Istanbul. Bien qu’en voie d’élargissement, ses pouvoirs ne
s’appliquent que sur une partie de l’espace réellement urbanisé, limitée aux 38
arrondissements centraux (figure 25).
Figure 25 : Carte des arrondissements de la Municipalité
Métropolitaine d'Istanbul
L’IBB est dirigée par un « maire métropolitain » élu. Kadir Topbaş assure cette
fonction depuis 2004. Sa mission consiste à assurer la coordination des différents niveaux
d’administration et la cohérence des politiques urbaines mises en œuvre par les municipalités
d’arrondissement. En effet, l’IBB dispose d’un pouvoir de contrôle et de ratification des
décisions des municipalités d’arrondissement (figure 26).
Municipalité Métropolitaine (MM) :
Istanbul Büyükşehir Belediyesi (IBB)
Municipalités d’arrondissement :
İlçe Belediyesi
Fixe les objectifs stratégiques et les
conditions de planification
Attribue les permis de construire
Elabore le plan d’aménagement du territoire
métropolitain
Le maire métropolitain ratifie les plans
d’application
Elabore les plans d’application en fonction
du plan d’aménagement du territoire
métropolitain
Définit les principales politiques urbaines
Réalisation : Marie Fonteneau
Figure 26 : Les compétences de l'IBB et des municipalités d'arrondissement
147
Les compétences de l’IBB ont récemment été redéfinies, en matière de construction
de logement social et de gestion du patrimoine foncier public. Mais la loi de 2004 a été
l’objet d’une déconcentration plus que d’une décentralisation des pouvoirs. L’Etat
central garde un rôle décisif dans la gestion locale. Il coordonne les institutions municipales.
Il possède en outre pas moins de 65% des sols turcs102 et contrôle les zones dites
« spéciales » par le biais de lois extraordinaires. Les trois quarts du budget des municipalités
turques sont alloués par l’Etat. Enfin le Ministère de l’Aménagement et du Logement jouit
d’un droit d’intervention sur les plans d’aménagement et d’urbanisme. Finalement, la
répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités locales est à l’origine d’un système
territorial très complexe.
2. L’Union des Chambres des Ingénieurs et Architectes turcs d’Istanbul (TMMOB)
Cette organisation rassemble et connecte les chambres professionnelles dans les
domaines de l’architecture et de l’ingénierie. Sans fonds particuliers, elle régule et organise les
actions communes. La TMMOB s’impose comme une instance d’action contre les risques
environnementaux à Istanbul. Elle dispose d’un rôle officiel en tant qu’institution publique.
Le statut des chambres professionnelles est défini par la Constitution turque et par la loi. Son
premier rôle consiste à réguler la profession. Il est obligatoire d’être membre d’une chambre
professionnelle pour exercer les professions concernées, y compris pour le secteur privé.
Le statut de la TMMOB est réglé par l’Etat. Mais cela ne l’empêche pas de dépasser
son cadre professionnel pour entrer dans le champ du politique. Les Chambres estiment
intervenir au nom de l’intérêt général. Des valeurs à portée universelle, telles que la
démocratie, les droits de l’Homme et la défense de l’environnement, sont au cœur de l’action
de la TMMOB. Cette dernière utilise les institutions internationales favorables à
l’environnement (UNESCO, Forum sur l’eau…) pour justifier son action.
Les relations entre la TMMOB et l’IBB sont souvent conflictuelles. La TMMOB est
également très critique envers le pouvoir central. Pour elle, la Municipalité Métropolitaine
d’Istanbul réfléchit uniquement à court terme et l’Etat ne porte aucun intérêt à la défense de
l’environnement. Cependant, les instances professionnelles se retrouvent constamment
102
C. Codet, 2006, p. 31
148
court-circuitées par les autorités. Par exemple, le projet du troisième pont routier sur le
Bosphore, fortement critiqué par ces instances, se poursuit.
3. L’AKP, un acteur central
Peu après son accession au pouvoir en 2002, la suprématie politique de l’AKP lui a
permis de contrôler de manière très stricte les effets politiques et économiques des réformes
décentralisatrices. A l’inverse des pratiques de « bonne gouvernance » prônées par les
institutions internationales et européennes, l’AKP a favorisé la consolidation des pratiques
autoritaires, clientélistes et spéculatives.
Le nouveau modèle de gestion urbaine mis en place par le parti de la Justice et du
Développement sert en priorité les intérêts politiques et économiques du parti lui-même. Les
stratégies de communication, loin de rendre l’action publique plus transparente, révèlent un
refus de concertation avec les acteurs locaux.
Compte tenu de la multiplicité des acteurs et du caractère contradictoire des intérêts
qu’ils défendent, la gouvernance urbaine à Istanbul est devenue très complexe.
B. La complexité de la gouvernance
Cette complexité se retrouve dans les conflits de compétence, les difficultés de la
planification et l’incohérence de la transformation urbaine.
1. Les conflits de compétence
Ils apparaissent au niveau local d’une part. Ils opposent le maire métropolitain et son
conseil municipal, ainsi que la mairie métropolitaine et les mairies d’arrondissement autour
de l’affectation des ressources principalement. En outre, les municipalités d’arrondissement
sont en lutte permanente pour l’application des projets de la Municipalité Métropolitaine.
D’autre part, apparaissent de profonds désaccords entre le pouvoir central et le
pouvoir local. Les municipalités d’arrondissement et l’administration préfectorale se
disputent l’attribution des marchés publics et l’usage des terrains publics. De plus, des
149
conflits opposent le « Conseil des monuments », le « Conseil pour la protection » et la Cour
constitutionnelle à certains ministères, dont celui du tourisme.
2. Les difficultés de la planification urbaine
Toute planification urbaine semble jusqu’ici vouée à l’échec. En effet, la carte
administrative est régulièrement modifiée. Les pressions spéculatives et les ambitions
politiques des acteurs de la gouvernance urbaine mènent à une redéfinition constante des
limites des quartiers, des arrondissements et des municipalités.
En outre différents acteurs traditionnel et modernes viennent entraver la
planification. Les confréries et fondations religieuses sont influentes aux marges de l’aire
urbaine. Les grands holdings et les sociétés de construction internationales ont également un
poids important. C’est nommément le cas de la société de travaux publics Albayrak. Enfin
les conseillers du FMI présents dans les instances de planification tendent à faire entendre
leur voix.
3. Le mode de transformation urbaine
Pour G. E. Lelandais, le circuit de Formule 1 « Istanbul Park » est le symbole du
modèle de développement urbain stambouliote103. Construit à quarante kilomètres du
centre-ville, il a tout de même causé une multiplication par dix du prix des logements
alentours. A proximité de la piste, les logements coûtent entre 250.000 et 400.000 dollars. En
dépit de l’urgence sociale, de tels projets sont source de gentrification. Il devient de plus en
plus difficile pour les populations pauvres de se loger.
Ainsi les pouvoirs publics ne cherchent pas à répondre aux besoins des différentes
tranches de la population, mais bien de construire une nouvelle image moderne, propre et
attractive. La complexité du système territoriale, qui se retrouve dans la diversité des
échelons administratifs, des territoires de compétence et des attributions financières,
foncières et politiques, est à l’origine de conflits. Ceci ajouté à la logique de transformation
urbaine privilégiant les intérêts privés et financiers et l’image internationale de la ville, la mise
103
G. E. Lelandais, 2009, p.148
150
en œuvre d’une stratégie efficace de développement urbain et de maîtrise de l’urbanisation à
Istanbul apparaît utopique.
C. Le manque de prise en compte des acteurs
La politique de transformation urbaine par les acteurs publics est poursuivie sans
mesure des effets ni prise en compte des acteurs concernés ou des experts. Le droit au
logement n’est pas appliqué. Les attentes des habitants ne sont pas réalisées. En somme, la
transformation urbaine s’avère autoritaire.
1. Un droit au logement bafoué
La transformation urbaine d’Istanbul, qui touche en premier lieu les quartiers de
gecekondu, comprend l’expulsion forcée de familles à faibles revenus. Ces pratiques sont
fortement critiquées par Amnesty International. « De telles évictions forcées sont interdites par
la loi internationale »104, rappelle Andrew Gardner, chercheur sur la Turquie de l’équipe
d’Amnesty International.
Le quartier de Tarlabaşı, situé au centre d’Istanbul, est menacé par un ambitieux
projet de construction d’hôtels de luxe, d’un centre commercial et de bureaux. Amnesty
International a exigé l’arrêt des expulsions au nom du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, signé par la Turquie en 2003. Mais les expulsions n’ont pas
cessé pour autant. Plus de la moitié des personnes vivant dans la zone du projet ont déjà
quitté leur logement. Ces populations sont relogées à deux heures de bus de Tarlabaşı.
2. Des ambitions urbaines en décalage avec les attentes des habitants
Un malentendu constant oppose les résidents des quartiers illégaux populaires et les
pouvoirs publics. Les premiers commencent par occuper un terrain, y édifient eux-mêmes
leurs abris, puis se préoccupent des équipements communautaires. A l’inverse, la municipalité
crée des infrastructures, y construit des logements, puis cherche des habitants qui
représentent une demande solvable.
104
Cité par N. Sobecki, « L’économie croissante de la Turquie opprime les populations urbaines pauvres »,
JOL Press, 28.07.2011
151
De plus, les autorités publiques cherchent constamment à développer le potentiel
touristique de la ville. Pour ce faire, l’histoire des lieux historiques peut être réécrite et
magnifiée. C’est le cas de la Muraille de Théodose II. Elle a été peu à peu colonisée par
l’habitat précaire des franges les plus pauvres de la population - issues de l’exode rural –, par
les minorités nationales (Kurdes, Roms, Syriens), et par les catégories marginales de la
population. Niant les traditions et les différentes formes sociales qui se sont développées au
fil du temps autour de la muraille, la municipalité a débuté en 1985 l’expulsion des occupants.
Une réinterprétation linéaire de l’histoire de la Muraille s’est alors imposée, se résumant à la
conquête de Constantinople par le Sultan Mehmet le Conquérant le 24 mai 1453.
3. Une transformation urbaine autoritaire
Les grandes ambitions des autorités publiques, illustrées par le « projet fou » du
« Canal d’Istanbul » du Premier ministre Erdoğan, ne constituent pas un projet de ville, mais
un développement par projet et par arrondissement. Plutôt que de réhabiliter ou d’apporter
des améliorations au tissu urbain, on préfère détruire des quartiers entiers et les reconstruire.
Les habitants ne sont ni informés, ni pris en compte dans les processus de décision.
Pourtant, les citoyens se mobilisent. En novembre 2006, à l’occasion du symposium
sur la rénovation urbaine à Ankara, une plateforme d’habitants contre la démolition des
quartiers est née. C’est l’IMDP, Istanbul mahalle dernekleri platformu, ou plateforme des
associations de quartiers d’Istanbul. A Gülsuyu, l’association a réussi à retarder le PTU de la
municipalité. Mais de manière générale, les associations n’ont qu’un poids très faible. Les
mobilisations locales sont décrédibilisées. De plus, les recours des citoyens sont
systématiquement entravés. Enfin les collectifs de professionnels urbains sont manipulés par
les autorités, qui parviennent ainsi à leur faire perdre leur légitimité auprès de la population.
La gouvernance urbaine à Istanbul voit donc l’interaction de multiples acteurs,
étatiques et locaux, aux intérêts aussi variés que contradictoires. Ce rapport de force s’inscrit
dans une logique de transformation urbaine qui privilégie l’image de la ville aux besoins et
aux droits des habitants, loin des théories de le « bonne gouvernance ».
152
Pour conclure, les principaux enjeux dérivés du phénomène gecekondu renvoient à la
complexité du système urbain d’Istanbul et mettent en lumière les défis majeurs auxquels
devront faire face les responsables politiques dans les années à venir. La marginalisation
d’une population à faibles revenus, à travers l’exclusion du marché du logement et de
l’économie modernes, atteint ses limites. D’un point de vue social et économique, la situation
devient insoutenable. La gestion des risques liés à l’urbanisation est entravée par le
contournement de la loi. Le patrimoine, fer de lance de la promotion de la ville au niveau
national, régional et international, se retrouve menacé. Ainsi la gouvernance urbaine à
Istanbul doit être remise en cause. Les conflits de compétence sont préjudiciables à tous les
acteurs, en premier lieu la population stambouliote, dont la parole reste muselée.
153
Conclusion générale
Cette étude contribue dans un premier temps à développer le lien entre les mutations
de l’économie turque depuis les années 1950 et l’évolution du phénomène gecekondu. Très
souvent traité sous son aspect social, ce type d’habitat représente pourtant un marqueur
essentiel du bouleversement économique qu’a subit le pays, en particulier la métropole
d’Istanbul qui a vu ses structures urbaines durablement modifiées. Il est couramment admis
que l’exode rural massif des années 1950, lié à l’industrialisation et le recul progressif de
l’agriculture dans le pays, s’impose comme la cause essentielle d’apparition des gecekondu.
Sans remettre en cause ce prérequis, il est intéressant de poursuivre l’étude économique du
phénomène gecekondu. En effet, le passage à l’économie néolibérale a considérablement
influencé l’évolution du gecekondu, jusqu’à le faire disparaître. Celui-ci ne trouve plus sa
place dans une métropole devenue internationale, où la concurrence et le désir d’attractivité
sont au premier plan des préoccupations.
Apparait dans un second temps un paradoxe frappant, celui du poids considérable
qu’occupe l’Etat turc dans une économie pourtant résolument tournée vers le néolibéralisme.
Alors que la théorie néolibérale privilégie le recul de l’Etat et que le concept de « bonne
gouvernance » implique la croissance du rôle des autorités locales, les responsables politiques
centraux imposent leurs lignes directrices quant à la transformation urbaine d’Istanbul.
D’une part, la modernisation a effectivement permis d’attirer de nombreux investisseurs
internationaux. D’importants holdings se sont constitués, tels que Sabanci, Eczacıbaşı, Koç,
ou encore Berggruen. Mais cela n’aurait pas été possible sans le cadre économique et
juridique favorable offert par l’Etat au secteur privé. Pour ce faire, l’Etat a autorisé, ou au
moins ignoré, des pratiques illégales préjudiciables à l’équilibre social, à l’environnement, au
patrimoine, de même qu’à l’histoire de la ville. D’autre part, la force décisionnelle de l’Etat
sur les politiques urbaines stambouliotes reste importante, malgré la décentralisation de
2004, qui s’est avérée être un leurre.
A l’issue de cette étude, certaines questions restent donc en suspens. L’avenir de la
métropole tout d’abord, dépendra de la gestion des défis environnementaux et patrimoniaux.
Un éventuel déclassement de l’UNESCO menace la vitrine touristique de la ville. De même,
154
l’étalement urbain remet en cause le système de gouvernance mis en place. La superposition
des territoires de compétence ne permet pas actuellement de faire émerger un
développement d’ensemble cohérent.
Quant au devenir des populations de gecekondu, tout laisse à penser qu’elles
continueront d’être tour à tour reléguées à la périphérie. Ceci contribuerait aux divisons
socio-spatiales que connaît déjà Istanbul. Cependant la sociologue Saskia Sassen offre de
nouvelles perspectives en termes de revendications et de résistance urbaines. Dans son
œuvre La Globalisation. Une sociologie de 2009, l’auteur évoque de nouvelles possibilités
d’action politique des acteurs locaux dans le cadre des villes globales. Les habitants
défavorisés et invisibles aux yeux des politiques ont désormais la possibilité de se faire
entendre, principalement via le medium que constitue internet, en tant que tremplin de
participation aux luttes globales. A l’échelle mondiale, cette possibilité s’est affirmée dans les
réseaux activistes et dans les luttes spécifiques, au premier rang desquelles figurent
l’altermondialisme, l’écologie, la protection des enfants… Si ces revendications semblent
considérablement éloignées des problématiques des habitants de gecekondu, on peut tout à
fait imaginer qu’un rassemblement autour du problème du droit au logement puisse avoir un
impact notable sur les politiques publiques. Le développement récent du « Tourisme-réalité »,
en anglais slum tourism, pourrait également permettre une mise en lumière de la précarité des
conditions dans lesquelles survivent les habitants de gecekondu.
Pourtant, aussi longtemps que le parti AKP restera au pouvoir, tant à la tête de la
Municipalité Métropolitaine d’Istanbul que de l’Etat turc, il semble difficile d’imaginer un
tournant à venir dans la gestion urbaine de la métropole stambouliote. Les divers « projets
fous », en cours et à venir, ne laissent pas présager l’émergence d’une quelconque limite
institutionnelle à l’extension urbaine. Recep Tayyip Erdoğan présentait en 2011 son idée de
construction de deux grandes villes autour d’Istanbul, dans des zones sans risque au niveau
sismique. En outre, l’officialisation de la candidature d’Istanbul pour l’organisation des Jeux
Olympiques de 2020 le 15 février 2012 démontre une fois encore la volonté
d’internationalisation de la ville émanant des autorités publiques.
155
Annexes
Annexe 1 : Comparaison entre la conception traditionnelle et la conception optimale de
l’Etat
Conception traditionnelle de l’Etat
Etat centraliste, centralisateur, tutélaire
Etat social interventionniste, Etat providence
Etat qui assure lui-même les services
Etat qui commande, qui donne des ordres
Etat monopoliste
Etat renfermé sur lui-même/Etat prohibitif
Etat despote, tyran
Etat conservateur, statuquoïste
Etat distribuant des rentes
Etat sacré
Etat dépensier
Etat paternaliste
Conception optimale de l’Etat
Etat décentralisé
Etat limité et responsable
Etat qui fait en sorte que les services soient
assurés, proposés
Etat qui régule
Etat qui encourage la concurrence
Etat libéral, libertaire
Etat de droit, Etat démocratique
Etat réformiste
Etat encourageant la production
Etat valorisant l’individu
Etat économe
Etat responsable
Source : TÜSİAD, 1995, p.149
156
Annexe 2 : Illustration des différences de modes d’action entre IMECE et DA
A gauche : affiche réalisée par IMECE pour faire connaître ses activités
A droite : exemple de plan réalisé par DA pour Gülensu-Gülsuyu.
157
Annexe 3 : Entretien avec Mme Yeseren Eliçin
Note : les questions ont été envoyées par e-mail le 7 février 2012. Lors de l’entretien du 24
février, Mme Eliçin a remis une version écrite de ses réponses (transcrites ci-dessous).
L’entretien a donc fait l’objet d’un approfondissement des points abordés, ainsi que d’une
discussion autour des logiques de gestion de l’urbain à Istanbul.
M. F. : Selon vous, quelles sont les principales conséquences de l’économie
néolibérale sur les structures de l’habitat urbain à Istanbul ? En d’autres termes,
en quoi le passage à une économie néolibérale a-t-il modifié les pratiques
urbaines concernant l’habitat ?
Y. E. : Selon François Ascher, les manières de concevoir, de réaliser et de gérer les
villes se développent conformément aux modes de pensée dominants. Il est vrai que le
néolibéralisme a également créé ses formes et ses outils d’intervention. Dans le passé, en
Turquie, la demande en logement des groupes à revenus moyens et supérieurs était
comblée par des entrepreneurs indépendants de petite taille qui étaient faibles en capital.
Aujourd’hui, ce sont de grandes sociétés et des multinationales (Trump towers à Istanbul)
qui investissent dans le secteur du logement, qui s’avère toujours le secteur le plus
rentable en termes d’investissement. De plus, selon Feyzan Erkip, ces entreprises
« envahissent » des terrains publics avec le consentement des autorités publiques de la
même manière que le faisaient autrefois les gecekondu. D’une part, les autorités publiques
vendent des terrains publics aux grandes entreprises multinationales. D’autre part, elles
préparent les bases légales ou juridiques de la transformation des terrains urbains
dégradés ou occupés par des gecekondu (Sulukule, Ayazma, Başıbüyük…)
Un autre changement intéressant dans le secteur du logement concerne le rôle joué
par l’Etat lui-même. En effet, TOKI, qui est devenu l’un des géants du secteur du
logement aujourd’hui, avait été créé dans les années 1980 pour soutenir les habitants à
travers des coopératives pour le logement.
158
Aujourd’hui, TOKI est devenu l’acteur le plus important sur le marché du logement
et dans le secteur de la construction, avec des droits considérables en matière de
planification urbaine. En somme, les compétences en matière de planification urbaine
avaient été décentralisées au milieu des années 1980. Par le biais de TOKI, le pouvoir
central intervient sur le marché urbain sans se préoccuper des collectivités locales, ni des
habitants de la ville. Le Premier ministre lui-même a ses projets pour Istanbul. Sauf que le
projet, appelé par lui-même « projet-fou », contredit les politiques urbaines majeures,
élaborées et poursuivies depuis les années 1960. Nommément, sont concernées les
politiques urbaines qui visent à réduire les inégalités régionales et à soutenir les régions
sous-développées qui se trouvent essentiellement à l’est et à l’ouest, à arrêter l’immigration
vers les villes métropolitaines du pays, ainsi que le schéma directeur de la ville, qui vise à
établir un équilibre entre les côtes asiatique et européenne de la ville.
Donc les pratiques de planification urbaine ont été complètement modifiées. Une
frénésie de grands projets semble envahir les autorités publiques. Faire d’Istanbul « une
ville de marque » est présenté comme un objectif qui légitime tout : l’éloignement des
catégories défavorisées du centre-ville, la destruction des biens culturels et naturels de la
ville, la destruction des forêts et des bassins d’eau de la ville. Peu importe désormais le
schéma directeur établi et approuvé par l’administration de la ville, ainsi que la volonté ou
l’avis des citoyens. Ce qui est intéressant, c’est que le maire métropolitain accueille ce
projet avec enthousiasme et admiration, sans poser de question sur cette intervention
brutale dans son champ de compétences.
159
M. F. : Peut-on affirmer que le développement de l’habitat illégal à
Istanbul soit une réponse nécessaire aux difficultés posées par l’économie
néolibérale ?
Y. E. : L’habitat illégal (je présume que vous entendez par « habitat illégal », non
pas les gecekondu mais les bâtiments construits sans permis et en infraction aux règles
d’urbanisme) est une pratique ancienne. Selon une recherche réalisée par le soussecrétaire d’Etat à l’habitat collectif en 2002, en Turquie le taux d’habitats construits
sans permis et en infraction aux règles d’urbanisme atteint 38% du stock national.
Selon certains auteurs, à Istanbul, le taux de gecekondu et d’habitat illégal est de 75%.
Le développement de l’habitat illégal à Istanbul comme dans d’autres villes turques est
engendré surtout par la rente urbaine. Car bien qu’illégal ou sans permis de
construction, ce secteur est très lucratif.
M. F. : Quelles sont les causes du développement de l’habitat illégal à
Istanbul, autres qu’économiques ? Je pense notamment à des causes ayant trait
au système urbain stambouliote, telles que des pratiques politiques
particulières, un système légal spécifique…
Y. E. : Lorsqu’il s’agit de terrains qui ne sont pas encore planifiés - donc pas
ouverts à l’urbanisation - ou bien lorsque les prescriptions du plan urbain existant sont
contraignantes, il est plus commode de construire sans autorisation. Les propriétaires
peuvent toujours espérer arriver à un accord avec les autorités. Dans certains cas, c’est
une modification du plan qui règle le problème. Dans d’autres cas, ces dernières
ferment les yeux, pour des raisons clientélistes, ou bien on achète simplement le silence
de celles-ci. Cependant, il faut souligner qu’il y a eu un changement significatif dans les
politiques publiques depuis les années 2000. Les autorités publiques sont beaucoup
moins tolérantes vis-à-vis de l’habitat illégal. Mais pour les grands investisseurs, ces
mécanismes marchent toujours, comme dans l’exemple de Demirören Plaza à Beyoğlu.
160
M. F. : Mon étude porte sur les gecekondu à Istanbul. Ce sujet a été – et est
toujours – l’objet de nombreuses études, prouvant l’attrait des milieux
universitaire et scientifique pour cette forme d’habitat. Pensez-vous que le
gecekondu, en voie de disparition (sous sa forme initiale : architecturale et
illégale), soit encore aujourd’hui un marqueur des structures urbaines
stambouliotes ? A-t-il été remplacé par d’autres pratiques, plus significatives ?
Y. E. : Actuellement, les zones de gecekondu sont sujettes à des projets de
gentrification. Le marché foncier est beaucoup plus compétitif, les joueurs sont plus
grands et les sols urbanisables sont beaucoup plus rares. Quant aux autorités publiques,
obstinées par l’idée de faire de la ville une « ville de marque », elles ne négocient qu’avec
le grand capital. Donc pour les catégories urbaines défavorisées, il n’existe pratiquement
pas de moyens d’accéder au marché du logement.
161
Annexe 4 : entretien avec M. Jean-François Pérouse
Note : les questions ont été envoyées par e-mail le 7 février 2012. Un entretien a eu
lieu le 24 février 2012. Le fait qu’il se soit déroulé sous la forme d’une discussion informelle
ne permet pas d’en transcrire les réponses exactes. Les questions n’ont pas toutes été traitées
de manière approfondie et d’autres se sont ajoutées au fil de la discussion.
Question 1 : En 2004, dans votre article publié dans European Journal of Turkish
Studies, intitulé « Les tribulations du terme gecekondu (1947-2004) : une lente perte de
substance. Pour une clarification terminologique », vous concluez à une disparition
progressive du gecekondu sous sa forme architecturale et selon sa définition basée sur
l’illégalité. Selon vous, quelle est la place du gecekondu « original » actuellement à Istanbul ?
Où les situez-vous de manière géographique ?
Question 2 : Pourquoi continue-t-on encore de parler de « gecekondu », dans la
mesure où ceux-ci se font de plus en plus rares ?
Question 3 : Les mobilisations autour des quartiers de gecekondu de Sulukule,
Mustafa Kemal, Küçük Armutlu, ou encore Okmeydanı ont été relayées dans la presse et
dans les différentes études sur le phénomène gecekondu. Ces quartiers se situent au
« centre » d’Istanbul. Pensez-vous que les problématiques politiques, sociales et urbaines
soient injustement focalisées sur les quartiers du « centre », au détriment des gecekondu
périphériques ?
Question 4 : Existe-t-il encore des quartiers de gecekondu dans le centre d’Istanbul ?
Si oui, quel avenir pouvez-vous imaginer pour ces quartiers ?
Question 5 : Quels sont les enjeux actuels concernant les gecekondu et l’habitat
illégal à Istanbul ?
Question 6 : Pensez-vous que le gecekondu constitue une forme d’habitat urbain
d’exception dans le monde ? Dans l’espace méditerranéen ?
162
Annexe 5 : Photographie du film Gecekondu – über Nacht gebaut
http://www.anjahansmann.com/documentary/gecekondu/
163
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OUI, Observatoire Urbain d’Istanbul (IFEA) http://oui.hypotheses.org
OVIPOT, Observatoire de la Vie Politique Turque (IFEA) www.ifea-istanbul.net
http://ovipot.blogspot.com (le blog tenus par les chercheurs et stagiaires l’OVIPOT)
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Archinect, site anglophone de diffusion de savoirs et de nouveaux concepts en architecture
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Article : GONCUKLIYAN, Alexandre, « Istanbul, le “Projet fou” d’une ville
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Hukuki, site spécialisé dans le droit turc, comprenant un moteur de recherche des textes
législatifs et des forums de discussion http://www.hukuki.net/
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JOL Press, site d’information générale http://www.jolpress.com
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thématiques
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Le Figaro, quotidien français d’information générale http://www.lefigaro.fr/
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Populationdata, informations, cartes et statistiques sur les populations et les pays du
Monde http://www.populationdata.net
ENTRETIENS
Entretien avec Mme Yeseren ELIÇIN, le 24 février 2012 (annexe 3)
Entretien avec M. Jean-François PEROUSE, le 24 février 2012 (annexe 4)
FILMOGRAPHIE
STEUER, Naomi (2011), Die letzten Tage von Sulukule (Les derniers jours de Sulukule),
Allemagne/Turquie, documentaire, 42 minutes
AZEM, Imre, Ekümenopolis, Allemagne/Turquie, 2011, documentaire, 88 minutes
HANSMANN, Anja, KARACA, Ebru (2003), Gecekondu – über Nacht gebaut (Gecekondu –
construit dans la nuit), Allemagne/Turquie, documentaire, 41 minutes
YILMAZ, Atıf (1964), Keşanlı Ali Destanı (Le destin de Ali Keşanlı), Turquie, comédie, 93
minutes
Table des figures
FIGURE 1 : LES BIDONVILLES DANS LE MONDE ............................................................................................ 6
FIGURE 2 : TABLEAU RECAPITULATIF DES RELATIONS ENTRE LA STABILITE ECONOMIQUE ET LA
STABILITE POLITIQUE ............................................................................................................................. 18
FIGURE 3 : CROISSANCE DU PIB PAR HABITANT ....................................................................................... 26
FIGURE 4 : INFLATION ................................................................................................................................... 27
FIGURE 5 : PRINCIPAUX INDICATEURS MACROECONOMIQUES ................................................................. 29
FIGURE 6 : BEYKOZ KONAKLARI - UN EXEMPLE DE CITE PRIVEE A ISTANBUL....................................... 41
FIGURE 7 : PRINCIPAUX DEPARTEMENTS AYANT ALIMENTE L'IMMIGRATION A ISTANBUL ................... 52
FIGURE 8 : LES ETAPES DE LA CROISSANCE URBAINE D'ISTANBUL .......................................................... 53
FIGURE 9 : DYNAMISME DE L'EXTENSION URBAINE A ISTANBUL ............................................................. 54
FIGURE 10 : LE QUARTIER GENTRIFIE DE GALATA .................................................................................... 56
FIGURE 11 : LES PROJETS EN COURS OU TERMINES, FINANCES PAR TOKI A ISTANBUL ....................... 57
FIGURE 12 : UNE CITE DE LUXE FINANCEE PAR TOKI ( AGAOGLU MY WORLD)................................. 70
FIGURE 13 : UN QUARTIER DE GECEKONDU ............................................................................................... 84
FIGURE 14 : UN HABITAT D'APPARENCE RURALE ....................................................................................... 89
FIGURE 15 : UN QUARTIER D'APARTKONDU ................................................................................................. 90
FIGURE 16 : LE GECEKONDU ARCHITECTURAL - UNE MAISON BASSE CONSTRUITE A L’AIDE DE
MATERIAUX DE RECUPERATION ........................................................................................................... 91
FIGURE 17 : PLAN EVOQUANT LES EMPLACEMENTS DES GECEKONDU DANS LES ANNEES 1960-70. 100
FIGURE 18 : LES QUARTIERS TOUCHES ET LES QUARTIERS MENACES DANS LE CADRE DE LA
TRANSFORMATION URBAINE D'ISTANBUL ......................................................................................... 122
FIGURE 19 : LES QUATRE LIGNES DE METROBÜS RELIENT LE CENTRE AUX PERIPHERIES LES PLUS
ELOIGNEES ............................................................................................................................................ 131
FIGURE 20 : PRINCIPALES CARACTERISTIQUES DES DEUX CIRCUITS DE L'ECONOMIE URBAINE........ 135
FIGURE 21 : LES DIVISIONS SOCIO-SPATIALES A ISTANBUL ..................................................................... 137
FIGURE 22 : LES 4 ZONES HISTORIQUES D’ISTANBUL INSCRITES A LA LISTE DU PATRIMOINE
MONDIAL DE L’UNESCO ................................................................................................................... 139
FIGURE 23 : MASTERPLAN DU QUARTIER DE ZEYTINBURNU, REALISE POUR LA PROTECTION CONTRE
LE RISQUE SISMIQUE ............................................................................................................................. 142
FIGURE 24 : LA CROISSANCE URBAINE PERIPHERIQUE MENACE LES RESERVES NATURELLES ........... 144
FIGURE 25 : CARTE DES ARRONDISSEMENTS DE LA MUNICIPALITE...................................................... 147
FIGURE 26 : LES COMPETENCES DE L'IBB ET DES MUNICIPALITES D'ARRONDISSEMENT .................. 147
Table des annexes
ANNEXE 1 : COMPARAISON ENTRE LA CONCEPTION TRADITIONNELLE ET LA
CONCEPTION OPTIMALE DE L’ETAT ............................................................................................................. 156
ANNEXE 2 : ILLUSTRATION DES DIFFÉRENCES DE MODES D’ACTION ENTRE IMECE ET
DA..................................................................................................................................................................................... 157
ANNEXE 3 : ENTRETIEN AVEC MME YESEREN ELIÇIN ....................................................................... 158
ANNEXE 4 : ENTRETIEN AVEC M. JEAN-FRANÇOIS PÉROUSE ......................................................... 162
ANNEXE 5 : PHOTOGRAPHIE DU FILM GECEKONDU – ÜBER NACHT GEBAUT...................... 162
Notes sur l’alphabet turc et les noms propres
Pour une question de précision il était préférable de conserver l’orthographe originale
des noms propres. Voici une liste qui indique les lettres caractéristiques de l’alphabet turc
utilisées dans ce mémoire :
C – c se prononce dj
Ç – ç se prononce tchè
Ğ – ğ le guè mou « allonge la voyelle qui suit »
I – ı i sans point (son inconnu en français entre le son i et le son eu)
İ – i se prononce comme i en français mais la majuscule comporte un point
Ö – ö se prononce eu comme dans « beurre »
Ş – ş se prononce ch
Ü – ü se prononce comme le u français
U – u se prononce ou comme dans « trou »
Table des matières
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS
TABLE DES SIGLES ET ACRONYMES
INTRODUCTION............................................................................................................................................................................. 1
Istanbul, ville-monde.........................................................................................................................1
Ville néolibérale et néolibéralisme urbain...................................................................................3
Le gecekondu : déclinaison turque du bidonville ? .................................................................5
PARTIE 1 : L'INFLUENCE DE L'ECONOMIE NEOLIBERALE SUR LES
STRUCTURES DE L'HABITAT URBAIN A ISTANBUL ................................... 10
CHAPITRE 1 : NAISSANCE ET DEVELOPPEMENT DU NEOLIBERALISME EN TURQUIE ........ 12
I.
Le contexte économique et politique des années 1960-1970 .................................................................. 12
A.
1.
2.
3.
Développement, modernisation et tertiarisation de l’économie ............................................. 13
L'essor de l'agriculture et de l'industrie sous Mustafa Kemal Atatürk (1923-1938) ...................................................... 13
Le relatif recul de l'agriculture et l'ancrage de l'industrie .................................................................................................... 14
La tertiarisation de l'économie ................................................................................................................................................. 14
B. Les maux propres à l’économie turque ................................................................................................................. 15
1.
Le cercle infernal inflation – dévaluation – pénurie............................................................................................................. 15
2.
Le populisme à l'origine de la persistance de déficits publics élevés ................................................................................ 16
3.
Le poids de l'économie informelle .......................................................................................................................................... 16
C. L’instabilité politique chronique : l’échec du modèle de développement étatique et
protectionniste ...................................................................................................................................................................................... 17
1.
2.
3.
II.
Le lien entre l'instabilité politique et l'instabilité économique ........................................................................................... 17
Une société profondément modifiée ...................................................................................................................................... 18
L'ingouvernabilité ....................................................................................................................................................................... 19
Le tournant des années 1980 : l'avènement du néolibéralisme en Turquie ....................................................... 20
A.
B.
C.
1.
2.
3.
1.
2.
1.
2.
3.
La fin de la « substitution aux importations » et l’ouverture commerciale................................ 20
La fin de la « substitution aux importations » ....................................................................................................................... 20
La nécessaire ouverture de l'économie ................................................................................................................................... 21
Les décisions du 24 janvier 1980 ............................................................................................................................................. 21
L’ouverture vers l’extérieur dans un contexte économique mondialisé ....................................... 22
Le préalable rapprochement de la Turquie avec l'Occident ............................................................................................... 22
L'influence du contexte international ..................................................................................................................................... 23
Le recul du l’interventionnisme étatique au profit du développement du secteur privé . 23
Le gouvernement de Turgut Özal et les privatisations ........................................................................................................ 23
Les PME comme pilier du développement du secteur privé ............................................................................................. 24
Le poids persistant de l’État dans l'économie ....................................................................................................................... 24
III. La pratique turque du néolibéralisme ........................................................................................................................ 25
A.
1.
2.
3.
Un système économique fragile.................................................................................................................................. 26
Une économie volatile ............................................................................................................................................................... 26
La responsabilité de l’État ......................................................................................................................................................... 27
Des crises à répétitions .............................................................................................................................................................. 28
B. Le tournant néolibéral de 2001 ..................................................................................................................................... 29
1.
Des réformes nécessaires .......................................................................................................................................................... 29
2.
Le programme de réformes ...................................................................................................................................................... 30
3.
Les résultats .................................................................................................................................................................................. 31
C.
L'économie turque aujourd'hui .................................................................................................................................. 32
1.
2.
3.
La coexistence du moderne et du traditionnel ...................................................................................................................... 32
Les forces du système bancaire turc........................................................................................................................................ 32
L'Etat patrimonial enterré, une société plus individualiste ................................................................................................. 33
CHAPITRE 2 : LA TRANSFORMATION DES STRUCTURES URBAINES ....................................................... 35
I.
La transformation urbaine à Istanbul ........................................................................................................................ 36
A.
B.
C.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
1.
2.
II.
L’origine et les causes de la transformation urbaine .................................................................................. 36
Un désir d’attractivité ................................................................................................................................................................. 36
Une zone à haut risque sismique ............................................................................................................................................. 37
La préservation de l’héritage historique ................................................................................................................................. 38
Les grands axes de la transformation urbaine à Istanbul depuis les années 1990 ................ 39
Les grands projets ....................................................................................................................................................................... 39
La formation des centres secondaires ..................................................................................................................................... 40
La reconstruction des zones urbaines par les promoteurs immobiliers .......................................................................... 40
Le rôle de l’autorité publique dans la transformation urbaine ............................................................ 41
Favoriser l’urbanisation .............................................................................................................................................................. 41
Rationaliser la transformation urbaine ................................................................................................................................... 42
La logique concurrentielle............................................................................................................................................... 43
A.
B.
C.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
La nouvelle bourgeoisie dominante ......................................................................................................................... 43
Son origine ................................................................................................................................................................................... 43
Les secteurs d’activités concernés ........................................................................................................................................... 44
Son installation géographique .................................................................................................................................................. 44
La spéculation foncière...................................................................................................................................................... 45
Le terrain : une simple marchandise ....................................................................................................................................... 45
Le développement de la spéculation foncière et immobilière ............................................................................................ 45
L’absence de mesures fiscales palliatives ................................................................................................................................ 46
Les conséquences de la spéculation sur la planification urbaine...................................................... 47
Les ravages de la spéculation foncière .................................................................................................................................... 47
Un nombre élevé de terrains vacants ...................................................................................................................................... 48
La demande dépendante de l’offre .......................................................................................................................................... 48
III. La suburbanisation et l’exclusion ................................................................................................................................ 49
A.
B.
C.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
1.
2.
L’expansion démographique permanente .......................................................................................................... 49
Les deux dimensions de l’immigration interne en Turquie ................................................................................................ 50
Les flux migratoires régionaux et internationaux ................................................................................................................. 51
Les prévisions de Stéphane Yerasimos ................................................................................................................................... 51
L’étalement urbain ................................................................................................................................................................ 52
Des chiffres significatifs ............................................................................................................................................................ 53
Une pluralité de centres urbains............................................................................................................................................... 53
Les conséquences de l’étalement urbain................................................................................................................................. 54
Les processus de fragmentation urbaine ............................................................................................................. 55
La gentrification à Istanbul ....................................................................................................................................................... 55
Les frontières dans la ville ......................................................................................................................................................... 57
CHAPITRE 3 : LE DEVELOPPEMENT DE L’HABITAT ILLEGAL.................................................................... 59
I.
Définir l’habitat illégal ................................................................................................................................................... 60
A.
B.
C.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
1.
2.
Les invasions urbaines ....................................................................................................................................................... 60
Une installation rigoureusement organisée ............................................................................................................................ 60
Une nécessaire solidarité ........................................................................................................................................................... 61
Typologie des invasions urbaines ............................................................................................................................................. 61
Les différentes formes d’habitat illégal ................................................................................................................. 62
Les quartiers populaires ............................................................................................................................................................. 62
Les quartiers populaires planifiés ............................................................................................................................................. 63
Les bidonvilles ............................................................................................................................................................................. 63
Un trait commun aux villes méditerranéennes ............................................................................................... 64
Différentes appellations pour un même phénomène .......................................................................................................... 64
Des paysages urbains de chaos et de travaux ........................................................................................................................ 65
II.
Origine et causes d’apparition de l’habitat illégal à Istanbul................................................................................. 66
A.
B.
C.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
L’explosion urbaine .............................................................................................................................................................. 67
Faire face au nombre .................................................................................................................................................................. 67
La rareté du sol à Istanbul ......................................................................................................................................................... 67
Un nombre de constructions insuffisant ............................................................................................................................... 68
La réponse aux défaillances des institutions publiques ........................................................................... 68
Une résolution linéaire du problème inadaptée .................................................................................................................... 68
L’absence de politique de logement social ............................................................................................................................. 69
Les calculs électoraux des responsables politiques............................................................................................................... 70
L’incomplétude du système légal urbain ............................................................................................................. 72
Une « cadastralisation » imparfaite .......................................................................................................................................... 72
Des pratiques mafieuses ............................................................................................................................................................ 72
Des changements rapides de statut des terrains ................................................................................................................... 73
III. La gestion de l’habitat illégal : les amnisties ............................................................................................................. 75
A.
B.
C.
1.
2.
3.
4.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
Différentes approches possibles ................................................................................................................................. 75
Le laisser-faire .............................................................................................................................................................................. 75
Les politiques restrictives .......................................................................................................................................................... 76
Les politiques positives .............................................................................................................................................................. 76
Les solutions alternatives........................................................................................................................................................... 77
Les amnisties ............................................................................................................................................................................. 78
Les amnisties directes ................................................................................................................................................................. 78
D’autres cas de légalisation par la vente ou la location de terrains ................................................................................... 78
Les amnisties indirectes ............................................................................................................................................................. 79
Vers une plus grande intolérance ............................................................................................................................... 80
« Le temps révolu de la tolérance politicienne » ................................................................................................................... 80
Des changements dans le Code pénal turc ............................................................................................................................ 80
La volonté de créer de l’illégalité foncière .............................................................................................................................. 81
PARTIE 2 : LE GECEKONDU STAMBOULIOTE COMME LIMITE DU
NEOLIBERALISME .......................................................................................................................................................................... 83
CHAPITRE 4 : DEFINIR LE GECEKONDU ................................................................................................................ 84
I.
Un élargissement de la définition, lié à l’évolution des pratiques .......................................................................... 85
A.
B.
C.
II.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
Le gecekondu juridique : le statut du sol ............................................................................................................. 85
Une définition se rapportant à l'illégalité ............................................................................................................................... 86
La légalisation du sol par les amnisties ................................................................................................................................... 86
Une nécessaire redéfinition du terme gecekondu ................................................................................................................ 87
Le gecekondu architectural : la forme de la construction....................................................................... 88
Une description visuelle du gecekondu .................................................................................................................................. 88
L’image d’un gecekondu proche de l’habitat rural ............................................................................................................... 88
Une vision marginale et idéalisée du gecekondu .................................................................................................................. 89
La forme non réglementaire de la construction ............................................................................................. 90
Le processus de verticalisation ................................................................................................................................................. 90
L’invalidation de la définition architecturale .......................................................................................................................... 91
L’extension du sens : la forme non-réglementaire de la construction .............................................................................. 92
Une définition désormais symbolique .......................................................................................................................... 92
A.
B.
C.
La métaphore de l'habitat illégal................................................................................................................................ 93
1.
2.
1.
2.
3.
1.
L’immuabilité du terme gecekondu ......................................................................................................................................... 93
Des chiffres officiels basés sur l’illégalité ............................................................................................................................... 93
Le gecekondu politisé ......................................................................................................................................................... 94
L'abstraction................................................................................................................................................................................. 94
L'idéalisation ................................................................................................................................................................................ 94
La politisation .............................................................................................................................................................................. 95
Un élément de stigmatisation sociale et économique ............................................................................... 96
Un habitat de migrants ? ........................................................................................................................................................... 96
2.
La stigmatisation : gecekondu, pauvreté et zone (varoş) ...................................................................................................... 96
III. La place des gecekondu à Istanbul............................................................................................................................... 98
A.
La remise en cause du lien gecekondu – périphérie ................................................................................... 98
1.
2.
3.
Un impératif d’accessibilité aux zones industrielles............................................................................................................. 98
Le déplacement de l’industrie ................................................................................................................................................... 99
La dispersion des gecekondu .................................................................................................................................................... 99
B. Un type d’habitat ? .............................................................................................................................................................. 100
1.
Des exemples frappants de gecekondu architecturaux...................................................................................................... 100
2.
Un nouveau paysage urbain .................................................................................................................................................... 101
CHAPITRE 5 : LE DECLIN DES SOLIDARITES ET L’AVENIR DES GECEKONDU MENACE ........ 102
I.
L’organisation au sein du gecekondu......................................................................................................................... 103
A.
B.
C.
II.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
Un espace de proximité et de solidarité .............................................................................................................. 103
La densité des commerces et des cafés ................................................................................................................................. 103
Les associations de hemşehri et les associations de quartier ............................................................................................... 104
Les réseaux militants ................................................................................................................................................................ 105
L’institutionnalisation des quartiers ...................................................................................................................... 105
L’élection comme base d’organisation .................................................................................................................................. 105
Le muhtar ..................................................................................................................................................................................... 106
La définition de règles .............................................................................................................................................................. 106
La politisation des gecekondu et l’aide extérieure ..................................................................................... 107
La forte activité politique des habitants de gecekondu ..................................................................................................... 107
Une politisation qui dépasse le cadre national .................................................................................................................... 108
Une politisation ambigüe......................................................................................................................................................... 108
Le mouvement social des gecekondu sous l’impact des politiques néolibérales .................................................. 110
A.
B.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
C.
1.
2.
3.
La demande de droits nouveaux et l’opposition aux démolitions .................................................. 110
Les mouvements de résistance locaux .................................................................................................................................. 110
Les collectifs de professionnels urbains ............................................................................................................................... 111
Contradictions et concurrence entre les acteurs extérieurs .............................................................................................. 112
La commercialisation des gecekondu et la spéculation foncière .................................................... 113
La légalisation comme point de départ de la commercialisation ..................................................................................... 113
La logique de la rente urbaine ................................................................................................................................................ 114
Le gecekondu objet de spéculation : une systématisation toute relative ........................................................................ 115
La montée de l’individualisme et la décomposition des relations de solidarité ................... 115
Les mutations politiques à l’origine d’un bouleversement des solidarités ..................................................................... 116
Les conséquences d’une nouvelle politique économique sur la cohésion sociale ........................................................ 117
La dissolution de l’esprit de solidarité ................................................................................................................................... 117
III. Quel avenir pour les gecekondu ? ............................................................................................................................... 118
A.
B.
C.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
1.
2.
La menace représentée par la « transformation urbaine » .................................................................... 119
Le risque sismique comme prétexte ...................................................................................................................................... 119
L’internationalisation de la ville ............................................................................................................................................. 120
La priorité donnée à l’image de la ville ................................................................................................................................. 121
L'ignorance générale des besoins en projets socialement équitables.......................................... 122
La priorité donnée aux logements d’une minorité à hauts revenus ................................................................................ 122
Un argumentaire instable pour légitimer la démolition des gecekondu ......................................................................... 123
Bref état des lieux de l’offre réelle de logements sociaux à Istanbul.............................................................................. 124
Deux exemples de quartiers touchés par la transformation urbaine ............................................ 125
La destruction et la parcellisation des gecekondu du quartier « Bir Mayıs » ................................................................. 125
Projet de transformation et de rénovation du quartier Sulukule ..................................................................................... 126
CHAPITRE 6 : LES PRINCIPAUX ENJEUX DERIVES DU PHENOMENE GECEKONDU................... 129
I.
La marginalisation d’une population à faibles revenus ........................................................................................ 130
A.
1.
2.
Le gecekondu toujours synonyme d’altérité .................................................................................................... 130
La précarité des conditions de vie ......................................................................................................................................... 130
Le rejet des populations défavorisées à la périphérie ......................................................................................................... 131
3.
B.
Une demande importante sur le marché du logement ...................................................................................................... 132
Une offre de logements réservée aux classes moyennes et supérieures ......................................................................... 133
La dualité du marché du logement ........................................................................................................................................ 134
C. L’espace d’une économie parallèle ......................................................................................................................... 134
1.
L’obsolescence de la distinction entre secteurs primaire, secondaire et tertiaire ......................................................... 134
2.
Les liens entre le secteur informel et le secteur moderne ................................................................................................. 136
3.
Les défis économiques pour Istanbul ................................................................................................................................... 136
II.
1.
2.
3.
Un déficit d’intégration au tissu urbain ................................................................................................................................ 132
L’exclusion du marché du logement ..................................................................................................................... 132
La gestion des risques liés à l’urbanisation .............................................................................................................. 138
A.
B.
C.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
1.
2.
Un patrimoine en danger ............................................................................................................................................... 138
Le centre historique déserté .................................................................................................................................................... 138
La menace représentée par la transformation urbaine ...................................................................................................... 139
Le risque de déclassement de l’UNESCO ........................................................................................................................... 140
Les risques liés aux constructions et à la protection de l’environnement ................................ 141
Le risque sismique : l’ambivalence des enjeux ..................................................................................................................... 141
Les inondations ......................................................................................................................................................................... 142
La protection de l’environnement ......................................................................................................................................... 143
Le droit et le contournement de la loi .................................................................................................................. 144
Un droit contourné par la corruption et le clientélisme ................................................................................................... 144
La non-application des règles de planification urbaine ..................................................................................................... 145
III. La gouvernance urbaine en question .......................................................................................................................... 146
A.
B.
C.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
1.
2.
3.
Les acteurs de la gouvernance à Istanbul ......................................................................................................... 146
L’Etat et les collectivités locales ............................................................................................................................................. 146
L’Union des Chambres des Ingénieurs et Architectes turcs d’Istanbul (TMMOB) .................................................... 148
L’AKP, un acteur central ......................................................................................................................................................... 149
La complexité de la gouvernance ............................................................................................................................ 149
Les conflits de compétence .................................................................................................................................................... 149
Les difficultés de la planification urbaine ............................................................................................................................. 150
Le mode de transformation urbaine ..................................................................................................................................... 150
Le manque de prise en compte des acteurs ..................................................................................................... 151
Un droit au logement bafoué ................................................................................................................................................. 151
Des ambitions urbaines en décalage avec les attentes des habitants .............................................................................. 151
Une transformation urbaine autoritaire................................................................................................................................ 152
CONCLUSION GENERALE ...................................................................................................................................................... 154
ANNEXES....................................................................................................................................................................................... 156
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages et articles generaux
Ouvrages et articles consacres a la turquie et a istanbul
Sitographie
Organisations publiques et privées turques et stambouliotes
Organisations françaises, européennes et internationales
Instituts de recherche en turquie
Presse et sites d’information générale
Entretiens
Filmographie
TABLE DES FIGURES
TABLE DES ANNEXES
NOTES SUR L’ALPHABET TURC ET LES NOMS PROPRES
TABLE DES MATIERES
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