Le risque est en effet une notion distincte de celle de faute ; comme l'observe Bernard
SPITZ dans son ouvrage "La morale à zéro" : <<on est passé d'un système fondé sur
le comportement fautif, et donc centré sur la responsabilité, à un système fondé sur
l'indemnisation et donc centré sur la victime. (...) Mais cette évolution, essentielle du
point de vue de la protection des individus, présente un inconvénient moral (...)
Moralement, l'absence de faute conduit à l'absence de fautif, et c'est ainsi que se
fabrique la zone grise.>> (p 85)
Or, notre approche par la prise de conscience des risques doit au contraire mener à un
renforcement de la responsabilité qui ne soit pas la "responsabilité sans faute" au sens
juridique habituel de l'expression.
2) L'inventaire des risques :
Nous distinguons "risques objectifs" et "risques subjectifs".
Les risques objectifs concernent des situations : cumul des mandats, conflit d'intérêts,
cumul des fonctions d'élu et de conseil d'entreprise, avec le risque de commettre
involontairement des faits délictueux tels la prise illégale d'intérêts ou le délit de
favoritisme.
Les risques subjectifs touchent à l'attitude du citoyen, de l'élu, du décideur...: risque
de se méprendre à la fois sur la nature du problème,- la corruption en l'occurrence,-
et sur la solution à y apporter : prévention, répression, éthique... ; les risques
subjectifs ont partie liée avec les mentalités, l'héritage culturel, le seuil de tolérance à
l'égard des pratiques corruptrices, le sentiment d'impunité plus ou moins répandu....
Opérer cette distinction ne revient pas à préférer la commodité d'une grille formelle
aux exigences de l'analyse concrète, tant s'en faut. Le but est d'alerter sur
l'imbrication de ces deux "catégories" de risques : un "risque objectif" sera d'autant
plus difficilement détecté qu'aura plus d'emprise le "risque subjectif" d'indifférence à
la corruption. Tremper à son insu dans une affaire de corruption, commettre en toute
bonne foi un tel acte ("risque objectif", indépendant d'une intention frauduleuse) sera
d'autant plus facile, d'autant plus probable que l'on aura sous-estimé l'obstacle et
surestimé la stratégie ("risque subjectif"). Les "risques subjectifs" varient selon les
pays, ce qui conduit à des appréciations diverses quant aux "risques objectifs". Ainsi,
Yves MENY oppose-t-il la culture anglo-saxonne à la pratique française, moins
rigoureuse, moins soucieuse de prévenir le risque de conflit d'intérêts.
Une réelle prise de conscience des risques, telle que nous la préconisons, ne peut se
réduire à un inventaire statique, à un diagnostic figé en une liste de préconisations
privilégiant l'élément objectif plutôt que le facteur subjectif (et vice versa), sans
percevoir leurs liens.
Il ne suffit pas de donner des "clés" pour détecter les "risques objectifs" ou, à
l'inverse, de s'employer à conjurer les "risques subjectifs" par une politique de
communication. Ces deux stratégies, pour être différentes, n'en seraient pas moins
identiquement inefficaces :
- afin que les "clés" puissent trouver un utile emploi, encore faut-il
avoir la ferme volonté de les utiliser, ce qui renvoie à un facteur
"subjectif". S'il est vrai que la législation est souvent complexe,
voire parfois confuse, un tel constat ne saurait justifier la
méconnaissance, fût-elle involontaire, des règles. Certes, les "clés"
serviraient à rappeler lesdites règles, mais l'"inflation déontologique"
irait alors de pair avec l'"inflation législative" unanimement
condamnée. En effet, l'accent mis sur la déontologie peut
subrepticement se traduire par (ou être le résultat de) l'oubli du bon
sens qui invite à veiller par les moyens les plus simples au respect
de la loi, en évitant, par exemple, de se trouver dans une situation
glissant vers la prise illégale d'intérêts ;
- la seconde stratégie (axée sur les "risques subjectifs") laisserait
supposer que la "sensibilisation" au problème de la corruption peut
tenir lieu de politique préventive, sans qu'au préalable soient
décelés les points de fragilité. Le code de déontologie se réduirait
alors à l'affichage de bonnes intentions.