Conclusion - EPP - Ecole de Psychologues Praticiens

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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N° /// PAGE 8/10
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ETUDES ET RECHERCHES EN PSYCHOLOGIE t VOL :1 N°1 /// PAGE 8/10
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N° /// PAGE 8/10
Rédactrice en chef et Directrice de PublicationDana Castro
Comité de rédaction
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Comité de lecture
Etudes et pratiques en psychologie
La revue du département recherche de l’école de psychologues praticiens
E
Secrétaire de Rédaction Les membres du comité de lecture sont désignés parmi les membres du comité de rédaction ou choisis parmi
des experts ad hoc. La lecture des textes est faite en aveugle.
Adresse de la rédaction Département Recherche EPP
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Etudes et pratiques en psychologique (ISSN - ) un an - 2 numéros
Edité en France par LEOS
Dépôt légal à parution ISSN : 2268-3100
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
Sommaire
Contents
Sommaire
Le jeu vidéo comme médiation thérapeutique – une nouvelle approche dans la prise
en charge de la schizophrénie.
Chloé Peter, Pierrette Estingoy
6
i 19
Un enfant confronté à un secret familial
George Cognet
20
i 31
Manifestations de la dépendance dans les contenus des réponses Rorschach et TAT
Dana Castro
32
Apprentissage actif et étudiants passifs
Douglas Bernstein
Video games as a therapeutic mediation – a new approach in treating
schizophrenia
Chloé Peter, Pierrette Estingoy
6
i 19
A child facing a familial secret
Georges Cognet
20
i 31
i 51
Dependency expression in the rorschach and the tat content responses
Dana Castro
32
i 51
52
i 61
Active learning and passive students
Douglas Bernstein
52
i 61
Les Programmes d’Aide aux Employés, un remède à la souffrance au travail ?
Stephanie Seelig
62
i 69
Employee assistance Programs, a cure to work suffering?
Stéphanie Seelig
62
i 69
Analyse de livres
Jean-Pierre Chartier
70
i 74
Books review
Jean-Pierre Chartier
70
i 74
L’interprétation psychanalytique des rêves – Tristan MOIR
L’interprétation psychanalytique des rêves – Tristan MOIR
Violances aux personnes Comprendre pour prévenir Sous la direction de Roland Coutanceau
et Joanna Smith
Violances aux personnes Comprendre pour prévenir Sous la direction
de Roland Coutanceau et Joanna Smith
75
Remerciements aux experts
4
75
Acknowledgments to the referees
5
Le jeu vidéo comme médiation
thérapeutique :
Une nouvelle approche dans la prise
en charge de la schizophrénie.
Video games as a therapeutic mediation
a new approach in treating
schizophrenia
Chloé Peter (1), Pierrette Estingoy (2)
VOL :1 N°2 /// PAGE 6/19
Cette article est destiné à la recherche et à l'enseignement.
Il ne peut être utilisé dans un but commercial.
1. Psychologue, CNRS, Centre Hospitalier le Vinatier, LYON
2. Psychiatre, Centre Hospitalier Saint Jean de Dieu, LYON
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
Résumé
L’objectif de cet article est de présenter une étude préliminaire sur les effets thérapeutiques d’un
jeu vidéo à interface corporelle (X Box/ Kinect de Microsoft ®) avec des sujets souffrant de
schizophrénie. Avec cette console, le joueur peut jouer avec les mouvements de son corps, directement projetés sur un avatar à l’écran. Dans ce jeu, le joueur doit empêcher les fuites d’eau d’un
aquarium, que des poissons fissurent par endroits.
Nous avons postulé : a) un effet cognitif : avec amélioration des fonctions cognitives suivantes :
mémoire, attention, fonctions exécutives, inhibition cognitive b) un effet sur l’image de soi :
modification et renforcement de l’estime de soi c) un effet social : l’apparition de comportements
de coopération motivée par une pratique groupale.
Deux groupes de trois sujets ont été constitués. Les joueurs se sont relayés deux par deux, en
coéquipiers, pendant 10 séances. Chaque participant a été évalué avant et après les séances grâce
à une batterie de test comprenant une évaluation cognitive, une évaluation de l’image de soi et
une évaluation sociale.
Le jeu vidéo comme médiation
thérapeutique :
Une nouvelle approche dans la prise
en charge de la schizophrénie.
Video games as a therapeutic mediation
a new approach in treating
schizophrenia
Les résultats ont montré une amélioration de la mémoire de travail et des capacités attentionnelles. Nous avons aussi observé une amélioration de l’estime de soi ainsi qu’une modification de
la vision de soi. De plus, des comportements de coopération sont apparus dans l’un des groupes,
qui a eu de meilleurs résultats à certaines évaluations.
Mots clefs : jeux vidéo, schizophrénie, cyberpsychologie, remédiation cognitive
Abstract
The aim of this article is to present a preliminary study about the therapeutic effects of body interface video game (X Box/Kinect by Microsoft ®) on schizophrenic subjects. With this console,
player can play with their body movements which are directly projected on an avatar on a screen.
In the game, the player has to prevent the leakage of water from an aquarium, which is cracked
by fishes at some places.
We expected to find three effects: a) a cognitive effect: improvement of the following cognitive
functions: memory, attention, executive functions, and cognitive inhibition b) an effect on the
self-image: self-esteem modification and strengthening c) a social effect: development of social
cooperation behaviors motivated by group practice.
Two groups of three subjects were formed and relayed between them by two, playing as team
mates, during 10 sessions. Each subject was evaluated before and after the sessions with a series
of tests including a cognitive evaluation, a self-image evaluation and a social evaluation.
The results showed an enhancement of working memory and attentional capacities. It was also
observed an improvement of the self-esteem and self-image modification. Moreover, cooperation
emerged in just one group, the one that had better results at some evaluations.
Keywords: video games, schizophrenia, cyberpsychology, cognitive remediation
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1. INTRODUCTION
Fascinante mais suspecte, la réalité virtuelle semble faire progressivement son entrée dans la
boîte à outil des thérapeutiques médiatisées en santé mentale. Aujourd’hui reconnu dans le traitement de certains troubles anxieux, l’usage de jeux vidéo véhicule encore beaucoup d’inquiétudes
en termes de risque d’isolement social et d’addiction. Lorsqu’il s’agit de patients souffrant de
schizophrénie, la controverse s’étend aux risques de la confusion entre réel et virtuel. La crainte
serait de renforcer les angoisses de dépersonnalisation/déréalisation et de majorer les symptômes
spécifiques de dissociation/désorganisation.
Cependant, après avoir observé l’intérêt que les nouvelles générations de patients portaient au
support informatique, nous avons imaginé que certains jeux vidéo pouvaient, non seulement ne
pas être nocifs à ce type de patients, mais peut-être aussi leur permettre de développer des compétences cognitives et sociales.
2. APPORTS THEORIQUES
2.1 Les modèles cognitifs appliqués à la schizophrénie
Depuis son introduction par Eugen Bleuler (1908), le concept de schizophrénie s’est imposé tout
au long du XXe siècle. Il recouvre l’ensemble des troubles psychotiques durables de l’adulte,
marqués par un noyau de désorganisation psychique. Les personnes atteintes par cette maladie
souffrent classiquement d’une perte de la cohérence interne de leur vie psychique avec rupture de
contact avec la réalité se manifestant notamment par des délires et des hallucinations, mais aussi
par un repli autistique et un trouble grave des interactions sociales.
Parallèlement aux approches cliniques de la psychiatrie classique, aux apports théoriques de la
psychanalyse et aux modèles issus des neurosciences, les sciences cognitives sont venues compléter la compréhension que nous avons de cette pathologie. Bien que ces symptômes cognitifs
aient déjà été décrits par Kraepelin et Bleuler, sous le terme de « Spaltung » (qui désigne la désorganisation primaire), ils n’ont fait l’objet d’une attention particulière que depuis lémergence des
sciences cognitives dans la deuxième partie du XXe siècle. Ainsi, différents auteurs ont décrit les
difficultés d’attribution de l’action et de métareprésentation notamment Frith (1996) et Georgieff
(2004) mais aussi les déficits de certaines fonctions cognitives comme l’attention, la mémoire et
les fonctions exécutives (Van der Linden & Ceschi, 2008).
Frith (1996) va en effet démontrer que les troubles cognitifs dans la schizophrénie, soit les troubles
de l’action volontaire, le déficit de self monitoring et le déficit de monitoring des intentions d’autrui, ne sont en fait que des cas particuliers d’un mécanisme plus général : la métareprésentation.
Selon lui, le dénominateur commun de ces troubles serait donc la conscience de soi, perturbée
chez des patients, qui auraient alors des difficultés à différencier ce qui vient de soi (actions, pensées) de ce qui vient d’autrui. Ceci se traduirait alors en symptômes comme les hallucinations et
le délire.
En continuité avec ces travaux, d’autres troubles cognitifs ont été détaillés dans la littérature.
En premier lieu une perturbation de, l’attention séléctive qui permet, par la mise en lien de la
perception avec les expériences antérieures, de choisir les informations pertinentes face à une
situation et d’y répondre, Ainsi, le sujet atteint de schizophrénie percoit toute situation comme
nouvelle, et donc interprétable, sans prendre en compte les expériences vécues (Georgieff, 2004).
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Par ailleurs, si la mémoire implicite et procédurale ainsi que les capacités d’apprentissage semblent
conservées . On observe aussi, des troubles de la mémoire explicite et épisodique (Gokasling,
2003). Les fonctions exécutives, permettant les processus d’anticipation, de planification et de
contrôle cognitif sont également touchées dans la schizophrénie (Franck, 2011).
Depuis quelques années, ces troubles spécifiques sont désormais accessibles à des thérapies de
remédiation cognitive (Cochet, 2008 ; Franck, 2012).
2.2 La réalité virtuelle en psychologie
La réalité virtuelle fait aussi son entrée dans le monde de la psychologie. L’écran, tout d’abord
utilisé comme outil de recherche en sciences cognitives, devient un média thérapeutique. Son
étude en psychologie a donné naissance à un nouveau terme : la cyberpsychologie qui " a pour
objectif la compréhension des phénomènes psychologiques et des comportements résultant de
l’interaction entre le humains et les technologies numériques " (Virole et Radillo, 2010, p. 40).
Nous nous intéresserons ici aux usages thérapeutiques des jeux vidéo en psychologie. En effet,
la réalité virtuelle semble être un atout pour la thérapie, car elle vient solliciter les composantes
cognitives, comportementales et motrices d’une pathologie. De plus, elle vient contrer la dualité
entre cognition et émotion, corps et action, en invitant à une redéfinition des approches thérapeutiques. Elle permet de travailler différents aspects en offrant la possibilité d’oublier complétement
son corps (avec visiocasque) ou alors au contraire de travailler à la réappropriation de celui-ci.
L’immersion dans le monde virtuel propose d’expérimenter la projection et l’identification et
semble propice à interroger les différents champs sensoriels, perceptifs, attentionnels et émotionnels dans le cadre protégé de la simulation. Pour ces raisons, certains professionnels de la santé
mentale se sont tout de même intéressés à ce média dans le traitement de certaines pathologies
comme les troubles anxieux (phobie, trouble panique avec ou sans agoraphobie, stress post traumatique), où il permet des expositions comportementales efficaces (Côté, Bouvard, 2006).
Le jeu vidéo est également utilisé en psychothérapie classique, notamment avec les enfants et les
adolescents (Stora, 2005). Le thérapeute laisse le patient choisir un jeu parmi une sélection et ils
jouent ensuite ensemble pendant la séance. Le matériel clinique émerge alors du choix du jeu, du
personnage, des réactions, des commentaires du patient. Contrairement aux thérapies analytiques
classiques, le patient n’est pas invité à parler mais à agir, puis à mentaliser dans un second temps
ses actions (Virole et Radillo, 2010).
Grâce aux avancées de la technologie, les jeux sont de meilleure qualité et permettent de simuler
tous types de situations, imaginaires ou réelles. Aujourd’hui, le corps entier est mis à contribution grâce aux consoles qui permettent de jouer sans manettes. Cette évolution ajoute un intérêt
supplémentaire aux jeux vidéo en ouvrant des possibilités de travail sur l’image du corps et la
perception de soi.
2.3 Les jeux vidéo et la schizophrénie
Avec la psychose, le sujet reste passablement tabou. Et cela vient entre autre de la croyance que
la réalité virtuelle pourrait amener à confondre réel et virtuel. Dans le cas de la schizophrénie,
ou cette limite n’est déjà pas clairement établie, il n’est pas complétement absurde d’en arriver à
ces conclusions. Cependant, l'expérience semble prouver le contraire. Les joueurs de jeux vidéo,
même intensifs, ne confondent pas le virtuel avec le monde réel. Ils savent qu’ils sont en train
de jouer. L’immersion, qui, en effet, donne un sentiment de réalité, résulte d’une intention et est
réversible. Les mondes virtuels ne sont pas encore assez ressemblants pour engendrer une confusion. Il n’est pas exclu que le jour où les odeurs, les profondeurs, les sensations seront présentes
dans le virtuel, la différentiation devienne difficile. Mais actuellement, il y a peu de risque (Virole
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et Radillo, 2010).
L’aspect violent de certains jeux vidéo est également mis en avant pour déconseiller la pratique
avec des patients schizophrènes. En effet, il ne semble pas recommandé de plonger ces sujets dans
des mondes virtuels violents et angoissants. Mais, la grande palette de jeux vidéo existant offre,
heureusement, également des jeux non violents.
De certains éléments laissent penser que les jeux vidéo pourraient devenir un outil intéressant
dans la prise en charge de la schizophrénie. La stabilité des mondes virtuels, la permanence des
décors, la répétition infinie des situations sont autant d’aspects rassurants et qui permettent à la
pensée psychotique de se déployer et de trouver une façon de reconstruire la réalité, autre que
l’hallucination et le délire (Virole et Radillo, 2010).
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Evaluation cognitive
Les tests ci-dessous ont été choisis pour leur capacité à évaluer des fonctions cognitives déficitaires dans la schizophrénie et pouvant potentiellement être travaillées avec le jeu vidéo.

Il y a peu de littérature et d’étude expérimentale sur l’usage des jeux vidéo chez les personnes
souffrant de schizophrénie. Cependant, Elise Lallart et Roland Jouvent (2008) ont mené une recherche intéressante sur le sujet. En se basant sur les théories cognitives de la schizophrénie, et
en particulier sur le déficit d’attribution de l’action, ils voulaient vérifier si les jeux vidéo représentaient ou non un danger avec cette catégorie de patients. Partant de la théorie du déficit de
l’agentivité (ou conscience de ses propres actes) dans cette forme de psychose, leurs résultats
montrent que sujets porteurs de troubles développent un sentiment de présence moins élevé dans
le monde virtuel que les sujets témoins. Ce serait pour eux la preuve que les mondes virtuels n’ont
pas d’effets défavorables sur les personnes souffrant de schizophrénie. Ils estiment aussi qu’un
excès de présence aurait été alarmant car il aurait alors pu engendrer des délires de grandeur ou de
paranoïa, ainsi qu’un enfermement autistique. Ils affirment donc « qu’aucun sujet témoin ou schizophrène n’a subi d’effets défavorables suite au test. En outre, dans la littérature, aucune étude
ne prouve en quoi que ce soit le danger d’un recours à la réalité virtuelle dans la schizophrénie,
ni même ne souligne un quelconque risque d’aggravation des symptômes positifs des patients. »
(Lallart et Jouvent, 2008, p. 315).
2.4 Objectif et hypothèses
L’objectif de cet article est de développer une étude préliminaire utilisant un jeu à interface corporelle avec la console Kinect® de Microsoft, qui permet de jouer sans manette, uniquement avec
les mouvements du corps observables sur un avatar à l’écran.
Nos hypothèses concernent les probables effets bénéfiques de certains jeux vidéo sur les personnes souffrant de schizophrénie. Elles peuvent se résumer en trois grandes idées :
Evaluation de l’image de soi
La pratique du jeu vidéo avec le Kinect améliorerait certaines fonctions cognitives déficitaires
(mémoire, attention, fonctions exécutives, inhibition cognitive).
Cet outil permettrait de renforcer de l’image de soi, la confiance en soi et l’estime de soi.
Utilisé en groupe, le jeu vidéo pourrait aussi être un médiateur de lien social et permettre
l’apparition de comportements de coopération.
3. Méthodologie
3.1Outils et population
Dans le cadre de notre protocole nous avons réalisé une batterie de test avant et après les séances
afin d’en évaluer les effets au niveau cognitif, de l’image de soi corporelle et social.
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4. RESULTATS
4.1 Analyse quantitative
Evaluation sociale
Malgré les limites liées à notre faible échantillonnage, nous avons analysé nos résultats selon une
approche statistique (ANOVA à mesures répétées). Dans l’ensemble, nous avons observé des tendances positives (Figure 2) et quelques scores se sont même améliorés de façon statistiquement
significative (colonnes en rouge dans le graphique) :
L’épreuve mémoire des chiffres de la WAIS-R (F (7,85), p=0.03). Cette épreuve permet d’évaluer les capacités d’attention, de concentration et de mémoire à court terme. Autant de capacités
qui sont nécessaires au jeu vidéo proposé. Nous pouvons donc penser que cet outil permettrait
l’amélioration de ces fonctions.
L’échelle d’estime de soi de la S-Qol (F(13,88), p=0.01). Cette sous-échelle du S-Qol qui évalue essentiellement un ressenti actuel est clairement positivée. En revanche, l’échelle d’estime
de soi de Rosenberg, qui s’intéresse à regard plus durable que le sujet porte sur lui-même n’a
pas évolué.
Parmi les participants majoritairement masculins (5 hommes, 1 femme), âgés en moyenne de 36
ans, deux groupes de trois participants ont été constitués. Porteurs d’un diagnostic de schizophrénie depuis plus de deux ans, les patients étaient tous en rémission partielle1 depuis plus de 6 mois
et suivis au sein d’un hôpital de jour, sans variation d’intervention pharmacologique, psychothérapeutique ou groupale pendant la durée du protocole.
Déroulement
Dans un premier temps chaque participant a été rencontré individuellement. L’étude leur a été
expliquée, leur consentement écrit a été recueilli, puis ils ont été évalués avec la batterie de tests
décrite ci-dessus. Nous avons veillé à ce que chaque participant passe les évaluations dans les
conditions les plus comparables : même salle, même examinatrice, même ordre de passation.
Une fois les groupes constitués de façon aléatoire, dix séances ont été programmées.
A chaque séance, les participants ont pu jouer à des jeux vidéo sur la console Kinect®, deux par
deux, en équipiers et jamais en adversaires. Nous avons sélectionné trois jeux de la série Kinect
Adventures, pour leur niveau de faible difficulté, pour leurs caractéristiques non violentes et non
anxiogènes, et parce qu’ils mobilisaient l’attention visuelle, la vitesse de réaction et la coordination motrice.
Dans le premier jeu, des ballons sont envoyés en direction du sujet qui doit le renvoyer à l’aide de
ses mouvements, par les mains, les pieds, la tête. Dans deuxième jeu, l’avatar se trouve dans une
pièce sans gravité, comme dans l’espace, tandis que des bulles apparaissent de tous les côtés. Le
but est d’éclater les bulles avec une partie de son corps et l’avatar peut voler avec un mouvement
des bras afin d’attraper les bulles en hauteur. Enfin, dans le dernier jeu que nous avons renommé
« Aquarium », l’avatar se trouve à l’intérieur d’un aquarium qui se fissure au point d’impact de
poissons surgissant derrière la vitre. Le but du jeu est de réparer les endroits où l’eau s’écoule, en
appliquant une pression avec les parties de son corps (mains, pieds, tête). Plus le niveau avance,
plus le nombre de brèches augmente.
Rapidement, les joueurs des deux équipes se sont fixés sans se concerter sur un jeu devenu favori :
le jeu de l’Aquarium (Figure 1), ainsi principalement utilisé.
L’échelle de vision de soi du QIC (F(7,5), p=0.04). Après le groupe de jeux vidéo, les participants se sont décrits avec des adjectifs plus positifs qu’avant (« plein, tendre, calme, jeune »
VS « vide, indifférent, nerveux, vieux »). Nous pouvons donc penser que les progrès en estime
de soi par l’exercice de ce jeu vidéo se sont rapportés à ces différents éléments d’identification.
En conclusion, notre hypothèse d’amélioration cognitive semble se positiver. Le jeu proposé fait
intervenir et entraîne différentes fonctions, comme la mémoire de travail, l’attention et la concentration. Plus intéressant encore, l’outil semble modifier la perception de soi et permettre un réel
travail sur la vision de soi ainsi que l’estime de soi.
4.2 Analyse qualitative
Notre première interrogation a porté sur la préférence unanime de nos participants pour le jeu
Aquarium. Ce jeu par ses caractéristiques et le décor qu’il propose présente des aspects qui permettent de mettre en scène certaines problématiques spécifiques à la schizophrénie.
Tout d’abord, il s’avère que ce jeu était le moins coûteux au plan cognitif, plus facile à réaliser
d’emblée et générant moins d’échecs que les autres jeux. Ce modèle favoriserait ainsi le renforcement positif, puisqu’il est facile de gagner et de passer aux niveaux supérieurs. Alors que la
mise en échec semblait mal vécue par nos participants, le fait de réussir dans le jeu semble avoir
favorisé un sentiment d’efficacité personnelle avec un impact positif sur l’estime de soi.
Enfin, et c’est peut-être la clé la plus pertinente de compréhension, l’environnement où se trouve
l’avatar est vécu comme rassurant. On imagine qu’il peut en effet symboliser les enveloppes
psychiques et corporelles. De plus, l’action met en jeu le risque d’intrusion d’éléments extérieurs,
venant faire effraction dans le contenant protecteur qu’ils arrivent sans dommage à restaurer. Ainsi, la permanence du décor, la répétition, la réussite, semblent des éléments réparateurs pour nos
participants qui s’appliquent à boucher les « trous » d’un espace virtuel hautement symbolisant,
en référence aux théories de Lacan (1966, 1981)2. Il est également possible que le sujet trouve là
1. La rémission dans la schizophrénie a été définie par Andreasen et al. (2005), selon des critères symptomatiques (avoir un score
inférieur à 3 à certains items de la PANNS, correspondant aux symptômes positifs, négatifs, et de désorganisation), ainsi que des
critères de durée : au moins 6 mois. Ici la rémission partielle, évoque le fait que les symptômes étaient atténués jusqu’à permettre
une vie à domicile sans pour autant le stade de rémission pour au moins une dimension de la schizophrénie."
2. Pour Jacques Lacan, la façon de faire du schizophrène avec le signifiant, avec le symbolique, n’est en aucune façon métaphorique ni de l’ordre du semblant mais du registre du réel : « pour lui tout le symbolique est réel » (Lacan, 1966, p. 392). Dans ce
cas, l'altération de l'articulation signifiante du langage provoque une rupture dans le rapport du sujet psychotique avec lui-même et
avec la réalité : « Dans la psychose(…), c'est bel et bien la réalité elle-même qui est d'abord pourvue d'un trou, que viendra ensuite
combler le monde fantasmatique » (Lacan, 1981, p. 56). Ce « trou » auquel confronte la psychose serait « un manque au niveau du
signifiant » (Ibid., p. 227). La psychose serait alors la conséquence de ce manque essentiel qui conduit nécessairement à remettre en
cause l'ensemble du signifiant.
14
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un moyen de rejouer à son avantage une fonction de pare-excitation, souvent défaillante dans la
structure psychotique. Par le jeu, le sujet pourrait alors se mettre en scène et réparer son Moi-Peau
(Anzieu, 1995), se créer un monde interne plus sécurisant, se protégeant des effractions du monde
extérieur, différenciant ainsi de façon plus solide le soi du non-soi.
certaines fonctions cognitives et un renforcement de l’image de soi renforcé par une incitation à
la coopération sociale.
Grâce à la grille d’observation, nous avons également analysé les interactions sociales qui pourraient se mettre en place naturellement entre les co-équipiers. Dans un des deux groupes, celui ou
il y avait la seule participante féminine, ces comportements sont effectivement apparus (encouragements réciproques, communication sur le jeu, conseils) alors que dans le deuxième groupe, les
participants jouaient chacun sur sa part d’écran avec peu d’interactions. Il est intéressant de noter
que les membres du groupe ayant développé des comportements de coopération ont obtenus un
meilleur gain sur certains items d’évaluations, notamment au QIC, et qu’ils sont devenus surtout
plus efficaces dans le jeu.
Cette observation fait curieusement référence aux théories de John Nash3, mathématicien célèbre
pour avoir reçu le prix Nobel d’économie alors qu’il était atteint de schizophrénie.
Il est surtout important de rapporter qu’aucune recrudescence d’angoisse ou de symptômes psychotiques n’a été observée, pendant ou après les séances.
5. LIMITES ET BIAIS
La taille de l’échantillon (6 sujets), le faible nombre de séances (10), ainsi que l’absence de
groupe contrôle sont les principales limites de cette étude dont les résultats restent préliminaires
et impossibles dans l’état à généraliser.
Par ailleurs, nous souhaitions que ces groupes gardent une valeur thérapeutique pour nos participants. Ainsi, les séances étaient flexibles, selon l’état et les envies des patients. Le temps de
jeu était libre, le type de jeu était choisi par les sujets. Ainsi au plan strictement scientifique, ces
variables n’étaient pas complètement contrôlées mais ce choix a pris toute valeur au plan de
l’observation psychodynamique.
L’effet « placebo », ainsi que l’éventuel souhait des participants de gratifier l’examinateur doit
également être évoqué sachant que les objectifs de l’étude ont été clairement explicités.
Enfin, tous les participants poursuivaient des soins en parallèle et même si aucun changement
thérapeutique n’a été mis en œuvre pendant le temps d’expérimentation, nous ne pouvons donc
pas exclure l’impact d’un effet combiné sur nos résultats.
Conclusion
En conclusion, dans un cadre sécurisant, les jeux non compétitifs, non violents et non anxiogènes
socialement, ne semblent pas occasionner de troubles aux personnes atteintes de schizophrénie.
De plus, en dépit des biais décrits, nos hypothèses semblent se positiver avec une amélioration de
Parmi les indices favorables, nous pouvons ajouter le fait que l’ensemble des participants a été assidu aux séances avec un plaisir assez manifeste à jouer. Ils ont plébiscité la méthode, et exprimé
leur souhait de poursuivre le groupe au-delà du protocole.
Il nous paraîtrait donc intéressant de poursuivre les études dans ce sens et d’intégrer cet outil à la
prise en charge de la schizophrénie, intégrée dans une approche de réhabilitation psychosociale,
qui n’aurait pas évacué la question du sens.
/// Références
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3. John Nash a été récompensé par le prix Nobel d’économie en 1994 pour sa théorie mathématique de l’équilibre (1950) qui
démontre que l’on est plus efficace pour soi si l’on cherche à améliorer ses propres bénéfices ainsi que ceux de tous les membres du
groupe plutôt que si l’on cherche à uniquement à défendre ses propres bénéfices.
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/// Annexes
Figure 1: Dans le jeu Aquarium, le joueur doit boucher les trous uniquement avec les mouvements
de son corps, projetés sur un avatar.
Tableau 1: Grille d'observation des comportements de coopération
Figure 2: Graphique récapitulatif des résultats obtenus, les colonnes en rouge représentent les
différences statistiquement significatives.
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Un enfant confronté
à un secret familial
A CHILD FACING A FAMILIAL SECRET
VOL :2 N°3 /// PAGE 20/31
Georges Cognet
Cette article est destiné à la recherche et à l'enseignement.
Il ne peut être utilisé dans un but commercial.
Psychologue clinicien
Enseignant, Ecole de psychologues praticiens de Paris
[email protected]
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Résumé
Dans cet article, l'auteur développe sa conception de l’examen psychologique de l'enfant puis présente le cas
d’un enfant âgé de 9 ans et demi confronté à un secret familial. L’examen psychologique, mené avec plusieurs
outils (entretiens, WISC-IV, TAT, Figure complexe de Rey, dessin), met en évidence un niveau intellectuel et
cognitif élevé, mais aussi une forme d’empêchement de penser, liée au secret familial, au non-dit. Ce garçon se
protège ainsi du danger représenté par le dévoilement du secret en ne cherchant pas à connaître celui-ci, mais
aussi en abrasant une partie de la curiosité naturelle qui caractérise les enfants de son âge.
Mots clés : enfant, examen psychologique, secret, curiosité
Abstract
In this paper, the author develops his views on children’s psychological assessment by presenting the case of a
9 and a half years old boy coping with a family secret. Psychological assessment which includes several tools
such as psychological interview, WISC-IV, TAT, the Rey’s Complex picture, drawings, shows high cognitive
skills together with a process of success impeachment linked to the weight of the secret and to the family silence.
This boy defends himself, in this manner, against the threat of the secret’s disclosure by avoiding the knowledge
of it. Avoidance expresses itself by the inhibition of the natural process of curiosity, common in the same age
groups of children.
Mots clefs : Examen psychologique, Bilan psychologique, secret familial, WISC-IV, Figure de Rey, TAT.
Keywords: child, psychological assessment, secret, curiosity
Le cas clinique développé dans cet article a été présenté dans le cadre du cycle sur l'examen psychologique organisé par l'Association francophone de psychologie et psychopathologie de l'enfant et de
l'adolescent (AAPEA), le 15 novembre 2012, à l'Ecole de psychologues praticiens à Paris. L'intitulé
de la présentation était : « Un enfant confronté à un secret familial ; le poids du secret à l'épreuve
de l'examen psychologique ». Christine Arbisio, psychologue clinicienne, psychanalyste, maître de
conférences à l'université Paris-13, a tenu le rôle de discutant lors de cette présentation.
Le principal intérêt du bilan de ce jeune garçon âgé de 9 ans réside dans le fait qu’il met à jour, à partir d'une
demande triviale autour des devoirs scolaires, un empêchement de penser en lien avec un secret familial.
En préambule à l’exposé de ce cas singulier, il me semble nécessaire de proposer quelques points qui caractérisent ma conception de l'examen psychologique.
Quel examen psychologique ?
1. Un examen comme un « dispositif »
L'examen psychologique va bien au-delà de la simple application de tests. Il s’agit toujours d’un acte qui
met en jeu la relation entre le psychologue et le sujet, ce que C. Arbisio énonce de la façon suivante : « le
psychologue lui-même est une donnée intégrante du dispositif, ce qui l’amène à prendre en compte sa
propre implication ».
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une rencontre entre deux sujets dans une perspective psychodynamique qui interrogent bien entendu les
dimensions transférentielles et contretransférentielles : « Comment le sujet perçoit-il et traite-t-il avec le
psychologue ? Dans quelle mesure s’agit-il pour lui d’une figure parentale répressive, autoritaire, qui lance
un défi, qui juge et qui punit ou au contraire qui soutient, encourage, pardonne, aide, aime, etc. [et] comment se comporte le psychologue en fonction de sa dynamique propre ? » (Perron, 2003).
2. Une temporalité propre
Une seconde caractéristique tient à la temporalité de l’examen. Pour M. Emmanuelli (2004), « il s’agit en effet d’une
observation limitée dans le temps, brève, d’une méthode rapide pour connaître le sujet examiné. Ceci renvoie à une intensité de l’attention très particulière qui ne saurait se maintenir au-delà d’une certaine durée, et qui mobilise le clinicien
dans ses capacités d’observation et d’écoute de telle manière qu’il puisse en quelques heures aboutir à une synthèse
du fonctionnement de la personnalité ». Même s'il n'existe pas de format normé de l'examen psychologique, même si
certains examens, dans des cadres particuliers, peuvent s'étirer sur cinq ou sept séances, même si des chercheurs et des
professionnels défendent l'idée d'une évaluation qui a une fonction thérapeutique où « Les tests sont utilisés comme la
pièce maîtresse d’une intervention psychothérapeutique brève. » (Sultan & Chudzic, 2010), l'examen psychologique,
dans son essence, ne doit pas être confondu avec une prise en charge psychothérapeutique et sa durée doit se limiter à
quelques heures.
3. La carte et le territoire
Enfin, j'ai emprunté à Alfred Korzybski1, philosophe, l’aphorisme «une carte n'est pas le territoire», car il
rend bien compte, à mon sens, de la démarche et de l’enjeu de l'examen psychologique. Notons que cette
citation est particulièrement connue en France grâce à un roman de Michel Houellebecq, La carte et le
territoire, couronné du prix Goncourt en 2010.
L'examen psychologique et la cartographie sont deux tentatives pour rendre compte de phénomènes abstraits ou concrets; psychiques ou comportementaux dans un cas, localisables dans l’espace pour l’autre.
Les deux ne sont cependant pas les reflets neutres d’une réalité mentale ou géographique, mais bien des
constructions, des représentations orientées, sélectives, partielles, voire partiales.
Pour le cartographe, le référentiel de départ est le territoire, souvent mal délimité ; pour le psychologue, il
s’agit du sujet complexe et de son écosystème. Afin d’explorer leur référentiel, chacun utilise des outils de
relevé spécifiques et valides, puis les informations sont codées conventionnellement afin de rendre l’ensemble lisible. Bien entendu, avant même le travail de prélèvement des informations, il a été nécessaire de
définir les principes généraux du modèle vers lequel le travail va tendre : quelle est la précision requise ?
Quel est le niveau d’exhaustivité retenu ? Quelles informations sélectionner ?
La carte et le bilan psychologique produisent des données qui se doivent être utiles, permettant la découverte de territoires inconnus ou intimes, le repérage de l’organisation de ceux-ci, le partage des informations, l’objectivation des ressentis (par le géographe sur le terrain où par le psychologue dans le cadre du
bilan psychologique) et la mise en place d’interventions, si nécessaires.
Comme « le nom n'est pas la chose nommée » (Bateson, 1979), la carte n'est pas le territoire, elle donne
seulement une représentation de celui-ci, elle le simplifie, le réduit à l'échelle, le code, l'organise. La carte
n'a pas pour fonction d'être tout le territoire, mais au contraire d'en être une figure schématique ou seuls les
éléments porteurs de sens, pour l'utilisation qui en sera faite, sont indiqués. Et, c’est cette simplification
orientée par l'intelligence du cartographe ou du psychologue qui en fait sa force, qui la rend irremplaçable.
En d’autres termes, l’examen psychologique ne se limite pas à une description fonctionnelle ou diagnostique, il vaut aussi pour le dispositif qu’il mobilise : « acte d’observation personnelle, qui tient dans une
rencontre concrète entre deux sujets et qui met en jeu, un entre-deux, une relation » (Guillaumin, 1977). Il
ne se réduit pas à une forme d’enquête psychologique qui chercherait à mettre en évidence un dysfonctionnement, à préciser son ampleur ou ses effets, il est aussi un dispositif centré sur la personne, ici l’enfant,
1. Alfred H. Korzybski (1879-1950), et l'auteur de Science and Sanity : An Introduction toNon-Aristotelian Systems and General
Semantics.
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L'examen psychologique d’Henri, 9 ans et demi
L’évolution se fait dans la plupart des cas, excepté dans le cas des formes mineures, sur plusieurs années.
La demande est très directe et apparemment explicite. Elle émane de la mère de l'enfant qui, décrivant son
garçon comme n’obéissant jamais, refusant de faire son travail scolaire, lance une injonction au psychologue : « qu'il se mette au travail ! »
Nous verrons, et c’est consubstantiel à notre métier, que les choses seront plus compliquées qu’elles ne le
paraissent dans ce premier symptôme d'appel évoqué par la famille.
Premier entretien
Le premier entretien réunit Henri et sa mère. Celle-ci prend la parole et décrit un quotidien, fait de cris et
de pleurs, qui accompagne les devoirs scolaires.
Ainsi, Henri peut-il rester des mercredis ou des samedis après-midi entiers assis devant son bureau sans
réussir à mener à bien, seul, l'apprentissage d'une leçon ou la réalisation d'un exercice. Sa mère évidemment
insiste, menace, puis, excédée par cette attitude de refus passif et de « jérémiades », lui « retourne » une gifle
qui résout immédiatement le conflit. Henri pleure et se met à son travail qu'il réalise en quelques minutes.
La même séquence de comportement s'observe dans son activité musicale : Henri a une très bonne oreille
musicale, il est capable de jouer sans partition les mélodies des chansons qu'il écoute à la radio. En revanche, il refuse obstinément le travail systématique, mais très peu lourd, proposé par son professeur de
piano. Là encore, une dispute éclate et une gifle part.
Dans d'autres circonstances, par exemple lorsqu'il est confronté à une frustration, il peut se jeter sur le sol,
crier, et n’être plus en mesure de contrôler la colère qui l'envahit.
Lorsque son père essaye de l'aider pour ses devoirs ou ses leçons, Henri résiste activement et se moque
explicitement des explications qui lui sont données, imitant l'accent de son père. En effet, ses parents sont
portugais, installés en France depuis plus de 20 ans. Lui travaille dans le bâtiment, elle est concierge. Aucun
des deux n'a poursuivi d'études secondaires, mais chacun a montré, à l'école primaire comme au collège,
de fortes capacités d'apprentissage en étant toujours en tête de classe avec une année d'avance pour le père.
La famille est composée de trois enfants dont Henri est le cadet. J'apprends que l'aîné travaille dans le commerce à Londres et que leur fille, située entre les deux garçons, vient d'intégrer une classe préparatoire aux
écoles de commerce.
À noter qu’Henri présente, lui aussi, de grandes facilités scolaires. Sans apprendre ses leçons, ses notes sont
relativement bonnes et son enseignante évoque même une forme de précocité intellectuelle.
Entretien avec Henri
Présent lors de l'entretien avec sa mère, il m'apparaissait absent, ailleurs, même peu éveillé, alors qu'en
entretien individuel il s'exprime volontiers tenant des propos parfois colorés de provocation, « je suis fainéant », ou semblant lancer des défis au psychologue, « je n'apprends jamais mes leçons, mais j'ai de bonnes
notes… Bizarre non ! »
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Évoquant un devoir de mathématiques à l'origine d'un conflit avec son père, Henri me déclare qu'il a toujours peur d'avoir faux, puis il reprend son propos et me dit « ce n'est pas que j'ai peur, mais je n'aime pas
les mathématiques ». En fait, il transforme j'ai peur de en je n'aime pas qui est, pour lui, une façon d'exprimer la même chose en fermant toute possibilité de dialogue, d'interprétation autour de cette angoisse des
mathématiques. En effet, par l'expression je n'aime pas, Henri exprime un jugement subjectif, son goût, et
il est bien connu que les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas, l'appréciation du beau est fonction des
préférences de chacun qui ne sont ni vraies ni fausses, par conséquent indiscutables.
Autant d'éléments qui dressent le portrait d'un enfant très défendu qui insiste sur son absence de curiosité,
son désintérêt du passé et qui, dans un même temps, lance des appels à son interlocuteur sous la forme de
défis, d'énigmes à résoudre.
Deuxième entretien
Ce matin juste avant de se rendre à mon cabinet, un conflit a éclaté au moment de l'habillement. Henri se
plaint de ne pas pouvoir attacher ses lacets et harcèle sa mère, la suivant de pièce en pièce afin que ce soit
elle qui les lui noue. Une gifle, comme il est de coutume dans cette relation névrotique qui lie fils et mère,
met immédiatement fin aux plaintes et les lacets sont alors attachés sans difficulté.
Je prends connaissance, lors de cet entretien, de quelques éléments de l'histoire de vie de ce garçon : il
s'agit d'un bébé né à terme, décrit comme très éveillé et curieux qui fut précoce dans la mise en place de
son langage. Selon sa mère, il ne s'est pas bien plu à l'école maternelle, car il jugeait les autres enfants trop
immatures. Lui aimait alors écrire des lettres et s'intéressait à la mythologie et aux dinosaures.
Le jugeant précoce et prêt pour l'apprentissage de la lecture, sa mère a demandé, en fin de la moyenne
section, qu’il puisse entrer directement au cours préparatoire. L'école a refusé le passage anticipé à l'école
élémentaire ce que la mère d'Henri a interprété comme étant le traumatisme inaugural qui fit qu'il ne s’est
alors plus investi de la même façon dans les apprentissages scolaires.
Je retiens l'idée d'une rupture, alors que cet enfant avait cinq ans, mais je ne suis pas du tout convaincu par
l'existence d'un traumatisme lié au refus d’un saut de classe.
L’examen psychologique
Je propose à la famille un examen psychologique qui va prendre la forme d'un bilan au long cours, sur 5
ou 6 séances de 45 minutes, avec des entretiens réguliers, des feed-back auprès de l'enfant et de sa mère.
WISC-IV
Henri accepte volontiers la passation des dix épreuves qui composent le WISC-IV. Il est capable de poursuivre longuement son travail, mais il apparaît peu sûr de lui et m'interroge souvent du regard, comme s'il
cherchait une confirmation, un étayage. Aux subtests Identification de concepts et Matrices, deux épreuves
faisant appel au raisonnement logique à partir d'un support perceptif, Henri réfléchit très longuement ; j'ai
parfois le sentiment qu'il a perdu de vue la consigne, alors je le relance, «quelle est ta réponse ?» Intervention qui provoque immédiatement une réponse adaptée, comme s’il avait besoin, plus que d'un étayage,
d'une régulation externe comme si, de lui-même, il n'avait pas la conscience d'avoir porté sa réflexion à son
terme.
De cet entretien je relève, avec intérêt, que la discipline scolaire qu’il n'apprécie absolument pas, est l'histoire, car précise-t-il, dans un propos qui me semble transparent, « je ne veux pas savoir ce qui s'est passé
avant ». Dans un registre proche, il me confie ne lire exclusivement que des livres d'aventures, car, explique-t-il, « je n'ai pas d'imagination » ; il ajoute « je ne rêve jamais », et répond à une de mes questions
concernant la profession de son père par « je ne sais pas ce qu’il fait, parce que je ne suis pas curieux ».
Aux subtests verbaux, Similitudes, Vocabulaire et Compréhension, j'observe des réponses insuffisamment
abouties. En cours de passation, je l'invite donc à approfondir, dans le respect de la standardisation du test,
sans amélioration sensible.
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Une évaluation dynamique
À la fin de l'administration de la totalité du WISC-IV, je reviens sur quelques subtests verbaux. J'exprime à
Henri mon étonnement quant à certaines de ces réponses qui me semblent peu élaborées au regard de ses capacités langagières. Par exemple je reprends l'item 102 de Vocabulaire et, afin de bien lui faire comprendre
mon attente, je lui demande une réponse moins enfantine que celle qu’il a donnée précédemment : « une
plante sur laquelle se posent les grenouilles ». Devant son incompréhension, je lui propose de définir les
mots comme le ferait un dictionnaire. Immédiatement cet étayage cognitif, débloque la situation et l’amène
à formuler une nouvelle réponse de niveau supérieur pour l'item 10 : « nom masculin, plante aquatique. »
De même, à l’item 14, la réponse initiale, « une sorte de terre, au soleil normalement », devient « nom féminin, une terre entourée d'eau ». À l'item 16, il donne alors comme réponse : « verbe, les animaux creusent
un terrier pour éviter le froid et passer l'hiver au repos ». Autant de réponses catégorielles, approfondies,
cotées deux points au WISC-IV.
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sur les contenus abstraits et intellectuels que sur ceux ancrés dans le réel des choses quotidiennes de la vie.
À noter que les performances aux épreuves de Similitudes, de Cubes, d’Identification de concepts et de
Matrices sont comparables aux performances moyennes des sujets âgés de 15 à 16 ans 6 mois, ce qui
indique des capacités cognitives très supérieures, alors que l'âge chronologique d'Henri est seulement de 9
ans et demi.
J'observe une amélioration similaire et très nette dans toutes les épreuves qui composent l'Indice de compréhension verbale qui me conduit à proposer un profil double des notes standard mettant en évidence d'une
part le profil des notes sans étayage et d'autre part avec étayage. L'écart entre les deux types de notes évoquant ce que l'on pourrait nommer avec Vygotski une zone proximale de développement3.
Tableau des indices et QI
Le QI total, obtenu sans les aides apportées lors de la deuxième passation, situe la performance cognitive
et intellectuelle d’Henri à un niveau qualifié de très supérieur : seuls 2 % des sujets de la population d'étalonnage obtiennent un QI équivalent.
La précocité intellectuelle, évoquée par l'enseignante peut donc être retenue, mais ne rend évidemment pas
compte des difficultés présentées par cet enfant. Celles-ci semblent d’un tout autre ordre.
TAT
Profil des notes standard
(en bleu le profil obtenu en respectant la standardisation de la passation,
en rouge le profil après les incitations à donner des réponses plus abouties)
Dans l'ensemble, les notes standard sont homogènes et très élevées. Seule la note à l'épreuve de Compréhension présente un écart significatif avec la moyenne des autres notes. La lecture des différentes réponses
aux items qui compose ce subtest met en évidence, sans surprise, une immaturité d'adaptation ainsi qu'un
manque d'autonomie. L'intelligence s’exerçant plus pleinement sur les contenus abstraits et intellectuels
que sur ceux ancrés dans le réel des choses quotidiennes de la vie.
Nous l'avons vu, Henri dénie toute forme d'imaginaire : il se garde bien de rêver, de faire ou de penser à
quoi que ce soit qui soit en lien avec les émotions. Seul fonctionne le cognitif, avec cependant un besoin
d'étayage et de régulation externe très proche.
Le climat de la passation est coloré de méfiance et de bien peu d’engagement relationnel. Il ne se laisse
pas aller aux associations, à l’élaboration mentale. Tout du long et sans surprise, Henri donne pour chaque
planche des récits extrêmement courts, quelques mots, au mieux très proches du contenu manifeste. Il
m’avait prévenu dès la première planche en déclarant, quasiment en préambule du TAT, « je suis très
mauvais aux histoires » en poursuivant par, « là je ne comprends pas », et avait clôturé son récit de la
planche 1 d'un, « aucune idée !»
À noter que les performances aux épreuves de Similitudes, de Cubes, d’Identification de concepts et de
Matrices sont comparables aux performances moyennes des sujets âgés de 15 à 16 ans 6 mois,
À la planche 3 BM qui montre une personne affalée contre un canapé il n'avait évoqué que la représentation, très directement, sans la lier à aucun affect : « une personne qui est morte ». Planche 4 : « deux
personnes », planche 8 BM « je sais pas… Je n'ai aucune idée », etc.
2. Les items ne sont pas indiqués, car les lois sur le copyright ne permettent pas la diffusion des items du WISC-IV
En définitive, les mouvements psychiques qui ont prévalu lors de la passation du TAT vont vers l'évitement et le renoncement à l’élaboration psychique. Le compromis défensif développé par Henri, face à
ce matériel ni trop régressif, ni trop excitant, mais dysphorique par le noir et blanc et la vétusté de ces
images, se situe massivement du côté de l'évitement de penser, d'exprimer des émotions.
3. La zone proximale de développement est la distance entre le niveau de développement actuel, tel qu'on peut le déterminer par les
capacités de l'enfant à résoudre seul des problèmes, et le niveau de développement potentiel, tel qu'on peut le déterminer à travers
la résolution de problème par cet enfant, lorsqu'il est aidé par un adulte.
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Dessin
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Les différentes étapes de la copie de la figure complexe de Rey
Pour le TAT, si l'on se réfère à la feuille de dépouillement des procédés du discours, on voit que ceux-ci se
situent majoritairement dans la série C, facteur trahissant l'inhibition de la pensée. En revanche, pour ce qui
concerne le dessin ci-dessous, les procédés d'élaboration (Cognet, 2011) se situent dans la série Fantaisie
et rigidité, car on observe, à travers la représentation du requin féroce et le commentaire l'accompagnant,
à une forme d’Aller et retour entre l'expression de l'agressivité et de la défense.
Les différentes étapes de la réalisation de la copie de cette figure géométrique m'interpellent d'autant
qu'Henri ne présente, comme écrit plus haut, aucune difficulté d'organisation visuospatiale. Son analyse est
précise, rapide comme il l'a montré à l'épreuve des Cubes du WISC-IV en réussissant 13 figures sur les 14
proposées. J'ai pu observer aussi ses facilités graphomotrices lors du dessin.
Pourquoi reproduire cette figure complexe, par une juxtaposition de petites parties, voire de détails et même
de détails dans le blanc5 (voir indication par flèches sur les étapes 4 et 8 de la copie de la figure) ? À quel
compromis défensif correspond ce procédé ?
Clairement, le procédé de reproduction utilisée par Henri m’apparaît symbolique de l'ensemble de son fonctionnement psychique marqué par l'évitement : il tient consciencieusement à distance son imaginaire (il ne
rêve jamais), ne se laisse jamais aller aux émotions (voir TAT), refuse très symboliquement de s'intéresser à
ce qui s'est passé dans le passé lointain (il n'aime surtout pas l'histoire), mais aussi le passé proche de sa vie
et surtout ne cherche pas à comprendre, à faire des liens entre les choses. Il maintient aussi, malgré le fait
qu'il grandit, qu'il est aux portes du collège, qu'il possède des capacités cognitives de haut niveau, un fonctionnement régressif, enfantin, répétitif marqué l'absence revendiquée d'autonomie et le collage à sa mère.
Dessin libre : « Mon animal préféré »
On note donc une grande différence de procédés d'expressions entre le TAT et le dessin. Le dessin, permettant plus aisément d’exprimer la violence pulsionnelle.
La figure complexe de REY comme métaphore du comportement
La figure complexe de Rey, proposée à Henri, n'a pas pour objectif d'évaluer ce qu'il en est de l'organisation visuospatiale, car la très bonne réussite à l'épreuve des cubes du WISC-IV écarte toute suspicion de
difficultés dans ce domaine. Il s'agit plutôt de confronter ce garçon à une situation nouvelle, complexe et
d'observer comment il aborde cette complexité. Celle-ci déborde largement de la copie d’une figure géométrique pour métaphoriquement figurer celle du monde dans lequel il vit. Comment Henri négocie-t-il avec
la complexité scolaire, musicale, familiale, avec celle du monde qui l'environne ?
Son approche sera-t-elle planifiée, organisée, proposera-t-elle des vues d'ensemble ou sera-t-elle plutôt
pointilliste, proposant une juxtaposition de points de vue partiels ?
Un secret familial
Alors, qu'est-ce qui peut expliquer ce type de fonctionnement évitant où les liens sont si difficiles à tisser ?
Je pense à un secret de famille. Non pas à un secret des origines, car, dans ce cas-là, Henri ne présenterait
pas un fonctionnement cognitif de si haut niveau, mais à un secret d'apparition plus tardive, peut-être alors
que ce garçon était âgé de 5 ans et que l'école refusait un saut de classe. Sa mère ne date-t-elle pas à cette
époque le changement d'attitude d’Henri envers les apprentissages ?
Je m'en ouvre auprès d'elle lors d'un entretien. Je lui révèle quelques-uns des indices que j'ai prélevés, dont
la copie de la figure de Rey. Très vite convaincue, elle abonde dans mon sens et me déclare même avoir
pensé m'en parler, mais que l'occasion ne s'était pas présentée.
L'enchaînement des faits, présentée par la mère d'Henri est limpide. Alors que le cadet est âgé de 5 ans,
l’aîné vient d'intégrer, après une très bonne classe préparatoire, une des meilleures écoles de commerce de
Paris. La mère d'Henri m'explique longuement tous les détails, la joie de la famille - une revanche - , la
confiance, mais aussi le vécu de déclassement social pour lui, le fils d’une concierge et d’un maçon, qui se
retrouve à étudier parmi l'élite économique. Habitant un quartier populaire de la banlieue de la capitale, il
est invité par d'autres étudiants de sa prestigieuse école à leur fournir du cannabis. Lui s'acquitte volontiers
de ce rôle d'intermédiaire, d'autant qu'il lui procure une certaine aisance financière. Petit à petit le nombre
de clients et les quantités augmentent jusqu'à ce qu'il fasse l'objet d'un contrôle (était-ce une dénonciation
?) et d'une perquisition. Tout le matériel du dealer ainsi qu'une certaine quantité de produits et un tableau
de compte consciencieusement tenu sur son ordinateur sont saisis dans la chambre qu'il occupe au 6e étage
de l'immeuble où travaille sa mère. Il est déféré au parquet, jugé en comparution immédiate et condamné à
une peine de prison ferme. Bien entendu, il est aussi renvoyé de son école.
À partir de cet épisode, une forme de censure gèle les relations dans la famille. Les parents et leur fille,
en âge de comprendre, évoquent sans cesse la situation de l'aîné. L'émotion est à son paroxysme, elle est
visible, palpable par Henri lui-même, mais, à aucun moment, elle n'est liée avec une représentation, une
explication sur ce qui se passe. J'imagine que lorsqu'il rentre dans une pièce les conversations cessent d'un
coup - le contenu du discours peut ainsi s'arrêter à la demande
4. feuille de dépouillement du TAT, R. Debray (1987)
5. le détail dans le blanc est, au test de Rorschach, appelé Dbl par l’Ecole Française. C'est dire que le sujet ne construit pas sa
réponse à partir des taches noires ou de couleur, mais, par une sorte d'inversion figure/fond, en s'appuyant sur la forme de la tache
intermaculaire, c’est-à-dire de la tache blanche incluse dans la forme noire ou colorée.
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-, mais le contenant, les sentiments associés, la peine, la douleur, la perte de ce qui avait été envisagé et
la honte demeurent et transparaissent. Les samedis, jour de repos des parents, ils quittent discrètement le
domicile, inventant des raisons qui certainement ne tiennent pas, aux yeux de quelqu'un de curieux, pour
se rendre au parloir de la maison d’arrêt. Et enfin, il y a l’absence physique, non préparée, de l’aîné. Henri
s’en inquiétait, on le disait alors en stage à Londres (ce qui se transforma en une forme d'exil à la sortie de
la maison d’arrêt).
Il est aisé de se représenter la puissance du non-dit et son pouvoir d'abrasion de la curiosité sur la vie. Henri
devait être apeuré par ce qu'il ressentait et par conséquent il s'en est protégé longuement en ne cherchant
pas à savoir.
Vers une révélation familiale
Toujours lors de l'entretien avec la mère, celle-ci a souhaité, un instant seulement, que ce soit le psychologue qui révèle le secret à son fils, puis très vite a convenu que la famille devait le faire.
Nous nous trouvions fin décembre, juste avant les fêtes de Noël qui verraient la famille réunie avec l’aîné
de retour de Londres. Prévenu des difficultés du cadet par ses parents, le frère d’Henri a jugé que ce serait
à lui de révéler le secret si longuement gardé et si pesant.
A la rentrée des vacances de Noël, je rencontre à nouveau Henri. Il évoque spontanément la rencontre avec
son aîné, me dit qu’ils ont passé du temps ensemble à jouer à la console vidéo, qu’ils ont beaucoup parlé,
mais me précise ne plus se souvenir de ce qu’ils se sont dit. Lors d’une autre séance, il déclare qu’il aurait
préféré ne pas savoir, puis, séance après séance, il semble prendre possession du secret, s’intéresse aux
disciplines scolaires, obtient des notes élevées, devient plus autonome et surtout se projette dans l’avenir
en réunissant son frère et son père, dans un projet de vie, certes marqué par la réparation, il veut, pour ses
études supérieures, entrer dans une grande école comme son frère le fit et devenir un bon joueur de football
comme son père.
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
/// Références
bibliographiques
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Manifestations de la dépendance
dans les contenus des réponses
Rorschach et TAT)
Dependency expression in the Rorschach
and the TAT content responses
Dana Castro
VOL :2 N°3 /// PAGE 32/51
Cette article est destiné à la recherche et à l'enseignement.
Il ne peut être utilisé dans un but commercial.
Psychologue Psychothérapeute
Ecole de Psychologues Praticiens Paris/Lyon
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
Résumé :
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
par une vignette clinique illustrative.
Cet article vise à : - actualiser les connaissances en matière de dépistage de la notion de dépendance dans le
bilan psychologique ; - décrire les manifestations de ce concept dans les méthodes projectives.
Après avoir discuté la définition du terme dépendance et envisager les différents niveaux d’expression
clinique : comportementale, structurelle, symptomatique, etc. les auteurs étudient a notion de dépendance
dans le Rorschach et TAT.
Mots clefs : Rorschach, TAT, dépendance.
Abstract :
This paper aims to update the screening of the dependence phenomenon in psychological assessment and to describe its expression in projective techniques. After having discussed the definition
of dependency and its several levels of clinical appearance behavioural, structural, symptomatic,
etc. , the author studies this concept in the Rorschach and the TAT.
Keywords : Rorschach, TAT, dependency.
1. A) Comprendre la dépendance à travers trois définitions
différentielles :
Selon le Dictionnaire de psychologie (Sillamy, 1998), la dépendance décrit l’état d’une personne
soumise à une personne ou à une chose. Il s’agit d’une dévotion malsaine à une relation et/ou à
une personne au détriment de ses propres besoins et aspirations.
Cette attitude et les comportements qui en découlent diffèrent de l’addiction
qui rend compte de la dépendance d’une personne à une substance ou à une occupation qui lui
procure du plaisir et apaise sa tension, dans un cycle renouvelé de l’expérience anxiété /apaisement.
La dépendance est aussi très différente de la co-dépendance, entité qui s’exprime principalement
par la négligence de soi et une difficulté à définir des limites saines (Ribeyre, 2014).
La dépendance comporte deux principales facettes : le besoin de proximité et lorsque celui ci
est impossible, l’apparition d’une défense par l’évitement ou par l’hostilité (Bornstein, 2005)
Je suis toujours toute seule, j’ai besoin de mes amis pour exister, ils ne me comprennent pas, ils
ne comprennent pas mes besoins, c’est pourquoi ils me quittent quand je leur demande de rester
avec moi. Et pourtant je fais tout pour eux, tout, mais ils ne comprennent pas ! (nous dira Louise,
40 ans en se désolant de son sort et se vivant victime de l’indifférence généralisée ).
J’ai besoin de mes proches pour vaincre la maladie, je ne peux rester seule une fraction de seconde, tant la douleur et l’anxiété sont grandes et mon incapacité à les supporter mince, nous
affirmera Laura, 25 ans, atteinte d’une maladie chronique invalidante, en essayant de reprendre le
contrôle de sa vie à travers le contrôle exercé sur son entourage.
Je ne peux vivre avec elle, mais je ne peux vivre sans. Je sui rien pour elle, mais elle est tout
pour moi. Elle s’en fiche totalement de moi, mais elle me guide, elle me contrôle, me surveille,
me coach en permanence, c’est lourd, mais sans elle je suis perdu, nous confiera Albert, 48 ans,
désorienté par une relation houleuse et compliquée mais absolument vitale.
Les paroles de ces patients, tous diagnostiqués, « «avec des caractéristiques dépendantes dans
leurs modalités relationnelles », illustrent bien les différentes facettes du problème. Dans la
soumission, le contrôle ou la tyrannie, ces personnes aspirent à « fusionner « avec l’autre perçu
comme pourvoyeur de sécurité et bien-être.
Dimension fréquente et agissante dans de nombreuses entités psychopathologiques (Bornstein,
2000), il est important de bien la diagnostiquer pour quelle devienne, au cours de la prise en
charge, une cible thérapeutique à part entière. Rarement à l’avant de ce que le patient donne
directement à voir dans les premiers entretiens, la dépendance peut toutefois s’appréhender, de
manière indirecte, au cours d’un bilan projectif inaugural. En permettant l’accès à la vie intérieure, les épreuves projectives sont tout à fait indiquées dans ce contexte pour éclairer la problématique profonde et ses liens au fonctionnement singulier du sujet.
L’objectif de cet article est donc, de décrire les manifestations de la dépendance dans les méthodes
projectives telles que le Rorschach et le TAT.
b) Quelques Modèles théoriques de la dépendance
Afin de bien comprendre le fonctionnement dépendent et ses diverses manifestations nous proposons de citer, par ordre chronologique, quelques unes des principales théories étiologiques.
Pour Freud (1905), la dépendance naît d’une fixation au stade oral, avec, de ce fait, une incapacité
pour le sujet de poursuivre ses tâches développementales. La fixation survient à la suite d’une
relation parentale sur-protectrice ou ouvertement rejettante. Le comportement qui en découle
pour le sujet dépendant, sera toujours orienté vers la recherche de soutien et s’exprimera dans
des activités de type « oral« telles que manger, fumer, boire, etc. dont la fonction psychologique
devient une défense contre l’anxiété.
Pour Bowlby (1973) la dépendance naît de l’élaboration intérieure d’une représentation négative
de soi qui est parallèle à une représentation positive d’autrui. De ce fait, ces personnes développent un attachement insécure, ont d’importants besoins de contact, doutent des sentiments
affectueux que l’autre leur porte et craignent constamment l’abandon. Ils manifestent des attitudes vigilantes vis-à-vis de leur entourage significatif, à la recherche de tout signe perçu comme
annonciateur de l’abandon. Ils tentent de maintenir une très grande proximité, exacerbent leurs
réactions de détresse et sont en demande permanente de soutien et de réconfort.
Pour Kernberg et Kohut, (1979 et 1974), la dépendance provient d’une relation d’objet insatisfaisante qui oblige le sujet à internaliser un concept de soi irréaliste, marqué par la faiblesse et
l’incapacité. Ce concept se construit, dans la dynamique interpersonnelle aux autres significatifs.
Les comportements corrélatifs de cette conceptualisation seront dirigés vers la recherche de soutien, de réconfort et de maternage, dans une préoccupation première d’évitement de l’abandon.
Pour ces auteurs, il existe chez ces personnalités, un risque accru de dépression ou d’apparition
de pathologies anaclitiques.
Nous présenterons dans une première partie quelques aspects théoriques du concept, pour décrire
dans une deuxième, quelque uns des indicateurs diagnostiques les plus utilisés. Nous terminerons
Beck (1976) situe, à son tour, l’origine de la dépendance dans la qualité des relations nouées
dans l’enfance avec des adultes, figures d’autorité. Ainsi, l’enfant se perçoit faible et inefficace
par rapport aux autres considérés comme forts et doués. L’autoritarisme et la surprotection favorisent ces représentations qui aboutissent à l’élaboration d’un discours intérieur systématique-
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
ment négatif. La dévalorisation de soi et le biais d’attribution1 maintiennent le négativisme et la
distorsion de l’image de soi. Le sujet dépendant ressent de la culpabilité en même temps qu’une
absence de plaisir dans la réussite.
Pour Young (2005), l’expérience vécue dans l’enfance se structure autour de schémas cognitifs
inconscients et continue à s'élaborer tout au long de la vie en devenant, pour le sujet, la grille
d’interprétation de la réalité. Ces schémas sont pris pour acquis et considérés comme irréfutables
par la personne. Dans le schéma de dépendance, le sujet accorde une importance excessive aux
besoins, désirs, réactions d’autrui, aux dépens des siens propres. Il est dans une recherche permanente d’approbation et d’affection, qui se teinte de colère refoulée lorsque ces besoins restent
insatisfaits. Fréquemment, il existe une colère refoulée dont le patient n'est pas conscient. L'origine familiale de ce schéma doit être recherchée du côté d'une affection qui relève du conditionnel
: pour se sentir aimé de ses parents, pour obtenir leur approbation, l'enfant réprime ses tendances
naturelles. Les besoins des parents (affectifs, sociaux, leur style de vie) passent avant les besoins
et réactions de l'enfant. Il décrit 4 schémas dépendants qui décrivent bien la diversité des formes
et des problématiques sous-jacentes :
◊ L’Assujettissement
Le comportement, l'expression des émotions, les décisions, sont totalement soumis à autrui pour
éviter colère, représailles ou abandon. Selon le patient, ses propres désirs, opinions et sentiments
ne présentent aucune importance. En général, le sujet suppliant montre une docilité excessive
mais réagit vivement s'il se sent pris au piège. Il existe presque toujours, une colère refoulée
contre ceux à qui il se soumet, provoquant des troubles comportementaux tels que l’explosion de
colère, des attitudes passives-agressives, de conduites addictives, etc. ou encore une symptomatologie psychosomatique. Ce schéma n’est pas sans rappeler les paroles de Louise, citée au début
de cet article.
◊ L’Abnégation
qui se manifeste par la volonté exagérée de toujours attribuer aux autres plus d’importance qu’à
soi-même. Les raisons explicites sont rationalisées par la » peur de faire de la peine aux autres
ou pour éviter de se sentir coupable d'égoïsme ». Les raisons implicites portent sur le maintien
d’un contact permanent à autrui, perçu comme nécessaire. Ce schéma provoque souvent une
hypersensibilité aux souffrances d’autrui. Toutefois, le sujet peut éprouver inconsciemment un
sentiment profond d’insatisfaction accompagné d’un fort ressentiment envers autrui.
◊ Le Besoin d'approbation
Dans ce schéma, le problème central est le besoin excessif d'attention, et d'approbation fournis
par l’entourage. Pour cela le sujet est prêt à tout pour obtenir l’estime dont il a tant besoin qui se
construit temporairement uniquement à partir de preuves extérieures et non à partir d'opinions ou
de valeurs personnelles. Implicitement, le sujet souffre d’une hypersensibilité au rejet accompagnée de l’envie de ceux qu’il estime.
Ce schéma est évocateur des préoccupations de Laura, qui cherche par le contrôle de son entourage, acceptation et validation de son comportement.
1. les événements négatifs relèvent de soi et de ses agissements alors que les événements positifs sont le fruits du hasard ou
surviennent à cause à de facteurs externes
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
◊ L’Abandon/instabilité
Dans ce schéma, le sujet s’attend à être abandonné car il perçoit les personnes significatives de
son entourage comme absentes, émotionnellement instables peu fiables ou intéressées par des
personnalités perçues comme étant toujours "mieux " que le sujet lui-même. Albert, est aux prises
avec ce type de schéma inconscient.
c) Le fonctionnement psychique dépendant
Pour Costa et McCrae (1992), les personnalités dépendantes éprouvent une forte anxiété et se
trouvent en état quasi permanent d’insécurité qui empêche toute prise de décision. Cette insécurité se manifeste dans une variété de configurations (Pinkus et Wilson, 2001) telles que l’attitude
de dépendance soumise où le sujet est uniquement préoccupé par le désir de satisfaire autrui ;
celle qui le rend vulnérable aux manipulations d’autrui tant sa peur de l’abandon et de la solitude
le hantent constamment. Enfin, toujours selon ces auteurs, la recherche effrénée de réassurance
pointe vers une forme de nécessité d’être aimé ; le sujet est systématiquement en demande des
preuves d’amour de la part de son entourage.
Pour saisir pleinement le fonctionnement dépendant, Bornstein, (1996), dans une approche intégrative, invite à prendre en compte l’ensemble de l’activité psychique dans ses aspects cognitifs,
affectifs, motivationnels et comportementaux.
Au niveau cognitif, le sujet se décrit et se pense comme impuissant et faible face à un autre fort
et puissant. Au niveau affectif, la peur de l’abandon et de la critique d’autrui, dominent. Parallèlement, le sujet ressent une forte anxiété dans des situations où il doit fonctionner de manière
autonome. L’agoraphobie pourrait en être un épiphénomène. La peur de l’autre et de sa propre
autonomie amènent le sujet, sur le plan motivationnel, à rechercher guidance, soutient et approbation et à mettre en place, au niveau comportemental, toute une série de stratégies à l’adresse
d’autrui significatifs qui ne visent que le renforcement de ces liens.
A leur tour, ces stratégies s’expriment différemment selon les traits de personnalité du sujet
Bornstein, (2005).
Ainsi Pincus et Wilson(2001) décrivent une série des stratégies utilisées par la personne dépendante pour éviter l’abandon et le rejet.
Une stratégie Mielleuse et servile, basée sur la mise en valeur de soi, vise, du point de vue du sujet,
à rendre l’autre redevable, solidement obligé donc, où l’abandon paraît inconcevable.
La promotion personnelle où il existe une exagération de la valeur personnelle est une autre façon
de s’attacher l’autre de façon durable. La stratégie vise à le valoriser par l’importance de sa propre
valeur. Ces deux types de stratégies rappellent par leur construction le schéma centré sur le
besoin d’approbation décrit par Young (2005).
Une stratégie suppliante, (proche du schéma d’assujettissement) est sous tendue par la soumission et l’auto dénigrement et a comme objectif de donner une image de soi faible et vulnérable et
susciter ainsi guidance et réconfort.
Une stratégie inconditionnelle qui accentue l’aide fournie et les sacrifices effectués pour autrui,
tente d’exploiter la culpabilité et d’éviter ainsi l’abandon. Elle pourrait s’apparenter au schéma
d’Abnégation (Young 2005).
Enfin, l’intimidation et la tyrannie s’exprimant par des menaces, colère ou crises de nerfs est une
manière de terroriser et contrôler l’autre pour se l’attacher à jamais. Cette stratégie découlerait, de
manière inconsciente chez le sujet, du schéma d’Abandon et d’Instabilité.
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
d) Les conséquences psychiques de la dépendance
Le fonctionnement dépendant, quelque soit sa forme ou ses manifestations, à de nombreuses
conséquences sur le sujet lui-même et sur son entourage.
◊ Sur le sujet - Des études ont montré (Bornstein 2012) que lorsque organisée en personnalité
pathologique (dépendante, évitante, narcissique, psychopathique ou borderline), la dépendance
devient un important facteur de risque dans le déclenchement d’une pathologie somatique et/
ou dans le passage à l’acte auto-agressif. Ainsi par exemple, dans une population de pédophiles
non violents qui éprouvent de hauts niveaux de dysphorie et des attentes interpersonnelles non
satisfaites, il existe des distorsions cognitives envahissantes qui peinent à contenir les pulsions
sexuelles, dépendantes et agressives. Ces sujets projettent leurs besoins oraux sur leurs victimes,
puis réagissent à ces besoins par la rage, le dégoût et la violence. Ils tenteraient d’éradiquer ces
besoins par le passage à l’acte.
◊ Sur l’entourage, d’autres études ont montré que le fonctionnement dépendant est un facteur de
risque :
- dans la maltraitance des conjoints ou des enfants (Bornstein, 2012). Une des formes que peut
prendre cette maltraitance est conceptualisée sous l’appellation de co-dépendance. Inspiré des
travaux de Karen Horney sur la dépendance morbide (Horney, 1942, citée par Lyon & Greenberg, 1991), cette notion définit l’engagement dans une relation d’aide auprès d’une personne
dépendante et tyrannique afin d’obtenir et préserver coûte que coûte son affection. A terme, cette
relation provoque la perte de l’estime de soi, du sentiment de valeur personnelle ainsi que perte
du sentiment de contrôle dans les relations interpersonnelles (Lyon & Greenberg, 1991). L’engagement répétitif dans ce type de relation survient chez des personnes présentant un style anxieux
d’attachement où prédomine la difficulté à rentrer en résonance affective avec autrui et à bénéficier pleinement du soutien émotionnel fourni.
Les caractéristiques cliniques de la dépendance, énumérées ci dessus, vont s’exprimer tout naturellement et de manière inconsciente dans le discours du sujet capté par ses réponses dans le bilan
projectif.
Le bilan projectif, incluant le plus souvent en France, le Rorschach et le TAT, permettent de par
leur construction, d'éclairer le fonctionnement psychique du sujet singulier et de mettre en évidence des aspects non décelables autrement. Leur utilité clinique n’est plus à démontrer tant leurs
apports modifient et guident la réflexion psychopathologique sur le sujet et les priorités de prise
en charge (Castro, 2011).
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
Rorschach oral dependency index (R- OD),
introduit par Schafer en 1954 et revu par Bornstein en 2006.
TAT oral dependency index (TAT - OD)(Huprich, 2008)
Indice de dépendance – ID (Fowler et al. 2005) ,
Présence de contenus alimentaires >1 (Choca, 2013) qui pointent vers l’existence, chez le
sujet, d’une attitude de demande ainsi que d’une recherche de guidance et de soutien.
Les manifestations « négatives « directes apparaissent dans les :
Rorschach oral - agressive dependency index (R- OAD)(Schafer, 1954)
Rorschach aggressive content (R- AC) (Huprich et al 2004)
TAT agressive content (TAT-AC)( Masling et al, 1967 et Huprich et al 2004).
Nous allons présenter l’ensemble de ces indices sous forme de tableau afin de faciliter leur compréhension et leur intégration, tout en spécifiant les critères de cotation.
Les tableaux présentent dans une première colonne les catégories de contenus significatifs de la
dépendance, selon les auteurs, et dans une deuxième colonne leurs exemples spécifiques et, en
italique, des illustrations issues de notre propre pratique.
A – LES MANIFESTATIONs POSITIVES DIRECTES
DANS LE RORSCHACH ET LE TAT
a) Rorschach Oral Dependency Index
Tab 1 - Rorschach Oral Dependency Index
R-OD (Schafer, 1954 ; Bornstein, 2006)
Pour ce qui est de la dépendance, celle-ci s’exprimera, essentiellement, dans le bilan projectif
dans le discours du sujet.
Dans ce discours, l’examinateur décèlera deux types de manifestations. Les directes dans leurs aspects « positifs » qui rappellent certaines caractéristiques cliniques de la quête affective: demande
de soutien, amour, abnégation etc. sont supposées côtoyer, celles directes « négatives«, témoins
de la présence d ‘affects pénibles :Hostilité, envie, ambivalence, etc.
II ) MANIFESTATIONS DIRECTES DE LA DEPENDENCE
dans le Rorschach et le TAT
Les manifestations « positives« directes s’expriment dans une série d’indices construits, majoritairement, à partir d’une fréquence importante de certaines catégories de contenus. Il s’agit de :
Ainsi, le groupe des suicidants est composé majoritairement de femmes (87,5%) et ne compte b)
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JANVIER 2014
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JANVIER 2014
Score de dépendance :
total des points / nb de réponses = % de réponses de type dépendance orale.
Exemple : 8(points)/18 (réponses) = 0.44 soit 44% des réponses de ce protocole sont en lien avec
la dépendance.
La significativité de se score se juge tant cliniquement par la force et la symbolique des contenus
que par leur quantité dans le protocole. Plus le pourcentage augmente plus l’hypothèse d’un fonctionnement dépendant se confirme.
Cet indice est différent selon le genre, d’après Bornstein (1995), les hommes obtiennent un R-OD
significativement supérieur aux femmes.
c) Indice de dépendance (Fowler et al. 2005 ).
Cet indice qualitatif est composé de caractéristiques en lien avec le fonctionnement dépendant
qui portent sur :
Faible estime de soi, dévalorisation, image négative de soi (dans le contenu latent, dans les
kinesthésies, les contenus H ou (H), etc.)
Estompage de texture > Norme (déterminants de texture)
Mouvements passifs > mouvements actifs (kinesthésies H, animales ou d’objet témoignant
d’un mouvement passif)
Contenus alimentaires
Présence importante de réponses banales
d) TAB 2 - TAT ORAL DEPENDENCY INDEX TAT-OD (Huprich, 2008)
b) Cotation du R-OD
La cotation s’effectue tant du point de vue quantitatif que qualitatif, à partir du contenu des
réponses et des résultats de l’enquête (approfondie, quel que soit le système d’interprétation).
La cotation qualitative porte sur les catégories de contenus. Elles fournissent des éléments importants pour l’interprétation des problématiques inconscientes dominantes, chez un sujet donné.
Ainsi par exemple, deux sujets dépendants pourront se différencier au niveau de leurs principales
préoccupations inconscientes. Pour l’un l’accent sera mis sur la quête affective avec, donc, une
prédominance de contenus de la catégorie « «personnages en demande ou personnages étayants »,
pour l’autre l’accent sera mis sur le sentiment d’impuissance, donc avec présence de contenus
appartenant aux des catégories passivité et impotence, objets fournisseurs de nourriture, etc.
La cotation quantitative implique d’attribuer 1 point par catégorie de contenu en lien avec la dépendance. Une même réponse peut recevoir un ou plusieurs points si les contenus sont différents.
Par exemple un mendiant qui va chez le prêtre et reçoit un cadeau sera côté 3 sur la dépendance
pour les catégories personnages en demande (mendiant), personnages étayants (prêtre) et thématique en lien avec le don (cadeau).
Au terme de cette attribution, il est possible de calculer un score de dépendance. Celui- ci est
réalisé comme suit :
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
e) Cotation TAT – OD.
Toute réponse incluant une des thématiques citées ci-dessus est côtée 1 point par réponse. L’indice se calcule à partir du pourcentage de réponses à connotation dépendante sur l’ensemble des
réponses, sachant qu’il n’est possible d’attribuer qu’un seul point par réponse. Plus le pourcentage
augmente, plus l’hypothèse d’une problématique clairement dépendante, s’affirme.
Comme pour le Rorschach, le jugement clinique trouve dans cette cotation toute son importance.
B) LES MANIFESTATIONS NEGATIVES DIRECTES
Tout comme pour les manifestations positives directes, nous allons présenter les indices de l’expression négative de la dépendance sous forme de tableau afin de faciliter leur compréhension et
leur intégration, tout en spécifiant les critères de cotation.
1) Tab 3 - Rorschach Oral - Agressive Dependency Index
R-OAD (Schafer, 1954)
3) Cotation du R-OAD et du R-AC
La cotation quantitative est similaire à celles des autres indices. Un point signale la présence
de tel ou tel contenu. Plus la fréquence de ces cotations augmente, plus l’agressivité, dans ses
diverses déclinaisons, serait éprouvée par le sujet.
Ces contenus qui saisissent le pendant agressif de la dépendance, indiquent au plan symbolique la
présence, chez le sujet, d’une lutte active contre les affects dépendants.
La cotation qualitative s’effectue à partir du contenu des réponses et de l’enquête. Elle se réalise
aussi en tenant compte de la dynamique des réponses ainsi que de la séquence de cotations. La
dynamique de réponse est conceptualisée comme un processus par lequel le sujet tente, d’une
réponse à l’autre, de mobiliser ses ressources ou de les abandonner, de se défendre, de faire face
ou de se rétablir après la confrontation à une représentation anxiogène, à une préoccupation prégnante ou à l’apparition d’une émotion pénible.
C’est la même interprétation qui peut être faite des contenus présents dans le
4) Le TAT Agressive Content (Masling et al.1967 ; Huprich et la. 2004) TAT-AC
2) Le Rorschach Agressive Content R-AC (Huprich et al.2004) Tab 4
Cet indice s’organise à partir de thématiques portant sur la privation de soi et d’autrui ; des thématiques évocatrices de contraintes et de fardeaux ; à partir d’imagos dévorantes, envahissantes
ou intrusives et d’actions agressives exprimées comme telles ou sous la forme d’attaques orales.
La cotation quantitative implique d’attribué un point par présence de ces éléments dans le protocole.
Le Rorschach Agressive Content R-AC (Huprich et al.2004). Dans cet indice, l’auteur tente de
nuancer encore plus l’expression de l’agressivité puisqu’il décrit des cotations spécifiques aux
différents mouvements psychiques la rappelant. Il différencie, par exemple, le contenu manifestement agressif de celui qui signale un mouvement agressif passé, contribuant ainsi à une meilleure compréhension clinique.
Toutefois, il est conseillé d’effectuer la cotation de cet indice en même temps que celle du TAT
Oral Dependency Index (TAT -OD). De cette façon, les deux facettes de la dépendance et le positionnement du sujet vis-à-vis de cette problématique sont bien mises en évidence.
Par exemple, si à la planche 7GF nous avons une réponse du type : sa mère ne lui a jamais rien
donné et elles se sont disputées on attribuera un point pour la dépendance orale (mère), comme
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
préconisé pour le TAT –OD et un point pour l’action agressive (ne lui a jamais rien donné et ils se
sont disputés), comme préconisé pour le TAT - AC
La présence concomitante du couple dépendance /agressivité, tant au Rorschach qu’au TAT, signe
incontestablement la présence d’un conflit psychique2.
A son tour, ce conflit pourrait témoigner d’un processus psychique bien particulier. En premier
lieu il s’agirait d’une incapacité du sujet à exprimer ses besoins de dépendance. Peut-être à cause
de l’antagonisme ressenti entre besoins de dépendance et de fusion. Le besoin de dépendance non
exprimé se transformerait en agressivité et susciterait un état affectif d’irritation et d’inconfort.
effectuée sous l’angle relationnel, ces déterminants référant à des modalités immatures de relation
à autrui avec des difficultés de différenciation. L’accent est mis sur une orientation subjective
basée sur l’expérience émotionnelle.
Ainsi, la recherche et l’analyse conjointes des manifestations positives et négatives de la dépendance dans le bilan projectif prennent tout leur sens au niveau clinique. Elles indiquent non seulement la problématique principale du sujet, mais aussi sa manière de la gérer ou de ….l’ignorer.
C) LES MANIFESTATIONS INDIRECTES
DE LA DEPENDANCE
Trouveraient leur illustration dans la clinique de l’attachement, dans le sens où la présence d’un
style d’attachement insécure entraîne la recherche de contact et la quête de proximité affective.
Pour rappel, la théorie de l’attachement postule, chez l’enfant, l’internalisation des relations
précoces et la constitution de modèles internes de représentation de soi et d’autrui. Ces modèles
organisent la cognition, la vie affective et relationnelle tout le long de la vie (Bowlby, 1973).
Au niveau psychopathologique, Bowlby (1973 ) décrit deux types d’attachement dysfonctionnel
: l’attachement évitant et l’attachement anxieux.
Dans l’attachement évitant, le sujet s’est crée une représentation positive de soi, mais une représentation négative d’autrui. L’évitement découle de la peur d’une trop grande proximité porteuse
de rejet, donc de souffrance (Iwasa &Ogawa, 2010).
Dans l’attachement anxieux, le sujet s’est crée une représentation négative de soi et en même
temps une représentation positive d’autrui. Il a d’importants besoins de proximité, doute des
sentiments affectueux qu’on lui porte et craint l’abandon. Au niveau comportemental il présente
des attitudes vigilantes vis-à-vis de son entourage significatif, à la recherche de tout signe perçu
comme annonciateur d’abandon, tente de maintenir une très grande proximité, exacerbe ses réactions de détresse et se trouve en demande permanente de soutien et de réconfort (Iwasa & Ogawa,
2010). Cette modalité émotionnelle est évocatrice de la problématique dépendante.
Dans les épreuves projectives, l’attachement anxieux équivalent d’une peur de l’abandon s’exprime dans le Rorschach (Berant 2009, Mikulincer & Sheffi, 2003) par les déterminants estompages de diffusion (lorsque supérieurs à la norme). Dans ce cadre, ils traduisent des sentiments
d’impuissance, de vulnérabilité, et d’anxiété. L’impuissance et la vulnérabilité deviennent des
moyens d’acquérir étayage et amour.
Il apparaît également dans les déterminants CF supérieurs à la norme. Là, la conceptualisation est
Au TAT, l’attachement anxieux se manifeste selon Harrati et al.(2011) à différents niveaux : au niveau des modalités relationnelles, par une idéalisation de la relation et de l’étayage qu’elle
apporte ; - au niveau du registre du conflit : par l’impossibilité d’élaboration du conflit ce qui
peut être générateur d’une forte anxiété ; - au niveau de la lisibilité du discours celle ci s’avère
moyenne marquant la présence de l’isolement représentation/affect ; – au niveau affectif : présence d’une forte anxiété d’abandon gérée par des défenses narcissiques ; - au niveau de la relation à l’intimité :Présence de dépendance avec augmentation des comportements d’attachement.
Ainsi, la théorie de l’attachement offre une « entrée« opérante dans la problématique dépendante.
L’expérience clinique montre que certains patients, au cours de la restitution des résultats du bilan
projectif, réagissent positivement au vocabulaire de ce modèle et s’approprient assez aisément
ses principaux éléments. De cette façon, l’abord de la problématique dépendante devient moins
« effrayante«. III) Vignette Clinique - Clémentine, 45 ans
Clémentine est hospitalisée à la suite d’une gravissime tentative de suicide. Elle s’est laissé mourir, en refusant toute aide, nourriture ou soins, à la suite du départ présumé de son amoureux,
qu’elle ne connaissait que depuis quelques mois, et qu’elle voyait sporadiquement au café d’en
face.
Le passage à l’acte est mal motivé, mais prémédité, dans un contexte d’isolement affectif et socioprofessionnel.
Avant de s’enfermer dans son appartement, pour mourir, elle raconte avoir appelé son entourage
en le prévenant qu’elle « allait faire une très grosse bêtise«.
Clementine, assistante de direction ne travaille plus depuis environ 7 ans, à la suite de nombreux
licenciement pour cause « d’insoumission à l’autorité« ou « d’incompatibilité avec le chef de
service« . Le problème matériel est important, elle vit de l’aide de sa mère avec laquelle elle
entretient une relation très proche mais très conflictuelle.
Elle «aimerait bien reprendre un boulot » mais à cause de ses problèmes cela paraît difficile. Elle
attend que ses anciens amis se rappellent leur amitié et lui propose quelque chose puisqu’ils « travaillent tous et n’ont pas mes soucis ».
Aucun élément dépressif n’est retrouvé lors de l’entretien.
Le bilan projectif est effectué dans le but d’une orientation thérapeutique.
Un diagnostic de personnalité border-line à été posé par le psychiatre référent. Or le bilan projectif, sans infirmer ce diagnostic met en évident une très forte composante dépendante.
Voici ses protocoles :
Clémentine RORSCHACH
2. Un tableau synoptique des manifestations directes positives et négatives au Rorschach et au TAT est présenté en annexe.
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Le R-OD est de 64% (9 sur 14) réponses Rorschach comportent un élément de la série dépendante
où prédominent les contenus relatifs aux personnages étayants ( N= 4).Par exemple, planche III :
deux personnes qui se regardent, peut-être des jumeaux profondément liés. Ils mettent les mains
dedans et ils sont ensemble !
Et planche VI : on dirait un prêtre qui étend les bras sur une colline pour prier son Dieu.
Le besoin idéalisé de contact est donc primordial pour Clémentine. Par cette idéalisation, le langage bébé, présent par deux fois dans le protocole signe de mouvements régressifs, Clémentine
tenterait de combler ses besoins dépendants d’attachement (présents dans les contenu alimentaires).
Parallèlement, au TAT-OD va dans le même sens. Des 10 réponses aux 10 planches sélectionnées,
4 comportent des contenus et des thématiques clairement « dépendantes/« ou prédomine l’idéalisation des relations étayantes (planche 2) comme défense contre la possible solitude, impuissance, manque ou abandon (planche 3 et planche 7).
1. il n’arrive pas à sortir un seul son de ce truc. Il est triste, ses parents veulent qu’il soit génial.
Bientôt ses parents vont arriver et ils vont se mettre derrière lui, pour l’obliger à jouer, mais
lui, ne sait pas……………(présence des figures parentales et fardeau)
2. La fille est venue de l’école et voit dans le champ un grand gaillard. Elle se demande qui il est
et sa mère lui dit que c’est une aide, pour eux, pour les champs, pour la récolte. La mère est
contente qu’il est là et c’est sur que maintenant tous leurs problèmes sont terminés, finis ! Ils
sont heureux ! (figures parentales ; aide ; happy end )
3. Il a faim, mais il n’a plus rien à manger. Son père est au chômage, alors il jeûne et pis il tombe
par terre, il …..(manque )
7GF. La mère essaye d’enseigner à sa fille. La fille pense à s’amuser alors que sa mère l’oblige à travailler.
Mais quand elle sera grande la fille va tomber enceinte pour quitter sa mère, et alors sa mère ne va pas plu
l’aimer, alors elle pourra ne plus vouloir la voir… et bon elle sera triste car c’est sa mère .(3 figures
parentales, contrainte, abandon ).
L’ambivalence est toutefois à l’œuvre. Le R-AC et le TAT-AC attestent de la présence de ressentis pénibles
dominés par une agressivité : explicite
Au Rorschach :
AgPAst(animal écrase – pl.II) ; AgPot (des nuages menaçants- pl.VII) ; AgC (qui dévorent – pl.VIII).
Cette succession de contenus et leur gradation est intéressante et peut –être évocatrice du fonctionnement
de Clémentine. La stimulation affective prolongée ainsi que la confrontation à des représentations pénibles
réveillent un ressenti de colère, qui non élaboré, se transforme en agressivité, d’abord contenue, puis le
ressenti pénible se prolongeant, envahissante et explosive. ( Ce qui pourrait expliquer, dans l’anamnèse, le
comportement l’instabilité professionnelle pour cause d’insoumission à l’autorité, par exemple).
Et par des thématiques de contrainte, privation par des imagos envahissantes (pl. 3 et 7GF par exemple) au
TAT (TAT-AC).
Dans cette perspective, et au niveau de l’orientation thérapeutique il paraît clair que derrière l’impulsivité
et le vide du fonctionnement «border-line », ce qu’il est important de traiter en priorité chez Clémentine,
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est l’insécurité de l’attachement, dans sa vision dépendante de soi et d’autrui, pour faire émerger une vraie
connaissance de soi et assouplir les défenses narcissiques (idéalisation). Le risque est de taille, car, dans
son cas, le passage à l’acte reste toujours, pour elle, une issue à la souffrance et à la frustration.
Dans cette entreprise d’aide, le ressenti ambivalent pourrait-il être un allié de la psychothérapie ?
En conclusion,
Cet article a tenté de présenter les différentes facettes du phénomène de dépendance et de ses expressions
au niveau du bilan projectif.
Car ce fonctionnement qui agit au plus profond de la problématique humaine ne peut être ni ignoré ni
minimisé dans le travail avec le sujet. Au contraire, sa révélation peut dans certains cas de servir même de
levier thérapeutique.
C’est pourquoi le repérage de ce fonctionnement, quelle que soit la dimension psychopathologique par
ailleurs, peut orienter positivement et organiser symboliquement la prise en charge du sujet singulier.
Des études futures, à partir du bilan projectif, s’emploieront à le démontrer pleinement.
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
/// Annexes
Synopsis des indices relatifs à la dépendance au Rorschach et au TAT
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APPRENTISSAGE ACTIF et ETUDIANTS PASSIFS
ACTIVE LEARNING AND PASSIVE STUDENTS
DOUGLAS A. BERNSTEIN
VOL :2 N°3 /// PAGE 52/61
Cette article est destiné à la recherche et à l'enseignement.
Il ne peut être utilisé dans un but commercial.
DEPARTMENT DE PSYCHOLOGIE
UNIVERSITY DE SOUTH FLORIDA, USA
[email protected]
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
Résumé :
Du fait de l’existence de normes sociales qui s’appliquent à l’enseignement universitaire, il est attendu des
étudiants de rester assis tranquillement pendant le cours, en recevant passivement l’information donnée par
leur professeur. Toutefois, les données de la recherche montrent comment l’apprentissage et le plaisir qui va avec est nettement augmenté lorsque les étudiants participent plus activement au processus éducatif, à travers une série
d’expériences réalisées pendant le temps du cours ou en dehors de ce temps.
Cet article étudie et présente la situation d’apprentissage actif, offre des idées pour surmonter les obstacles
sociaux qui pourraient émerger et suggère quelques méthodes et quelques ressources qui permettraient de
les promouvoir dans le cadre de l’enseignement de la psychologie.
Mots clefs : apprentissage actif, étudiants, participation, processus éducatif.
Abstract :
According to the social norms operating in most classrooms, students are expected to learn by sitting quietly
as they passively receive course information through lectures alone. Yet research suggests that learning and
enjoyment are both enhanced when students participate more actively in the educational process through a
wide variety of additional experiences, in and out of the classroom. This paper presents the case for active
learning, offers ideas for overcoming social obstacles to it, and suggests some methods and resources for
promoting it in psychology courses.
Keywords : active learning, students, participation, educational process;
Les normes sociales font partie des déterminants les plus puissants du comportement humain.
Dans beaucoup de cultures occidentales, par exemple, ces normes nous font attendre notre tour
dans la queue plutôt que de s’amasser autour de la caisse dans un supermarché, de garer nos voitures dans les places prévues à cet effet plutôt que là où on trouve de la place (à part à Paris, bien
sûr), et de se conformer de bien d’autres façons aux des règles explicites et tacites qui rendent la
vie prévisible et permettent un fonctionnement de la société avec peu de conflits et de perturbations. Vous pouvez également voir ces normes à l’œuvre dans une salle de classe, où les professeurs sont debout devant des rangées d’étudiants assis qui écoutent, ou font semblant d’écouter, le
cours magistral. Et bien que les élèves soient parfois en train de mettre à jour leur page Facebook
plutôt que de prendre des notes, les normes sociales les empêchent de parler fort au téléphone, de
cuisiner, de faire de la poterie ou de teindre leurs cheveux, par exemple. La plupart des étudiants
perçoivent rapidement ce qu’ils peuvent attendre de leurs professeurs et ce qui est attendu, ou
n’est pas attendu, d’eux. Comme dans d’autres sphères de la vie sociale, ces normes sont adaptatives dans le sens où ils aident les professeurs à enseigner dans un environnement ordonné dans
lequel tout le monde comprend et (généralement) suit les règles.
NORMES ET ATTENTES DES ETUDIANTS
Malheureusement, les mêmes normes sociales qui permettent d’éviter le chaos en classe peuvent
aussi entraver l’implication des étudiants dans le contenu du cours. Ceci est notamment vrai en
primaire et au lycée, où grand nombre d’étudiants ont été découragés, voire même punis, après
avoir essayé de s’impliquer de manière active dans le processus d’apprentissage — en interrompant un enseignant pour poser une question ou, pire encore, en remettant en question les dires de
ce dernier. Après des années d’expérience en tant qu’élève passif assis qui écoute silencieusement,
il est difficile de demander ensuite d’en faire davantage. Et les enseignants qui ont eux-mêmes eu
des enseignants qui favorisaient la passivité des étudiants ne peuvent pas être considérés comme
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
responsables d’être devenus leurs clones, et qu’ils estiment, de ce fait, que les « bons » élèves
sont ceux qui écoutent poliment les cours magistraux.
Il n’est pas étonnant, donc, qu’au moment de l’arrivée en études supérieures, beaucoup d’étudiants se considèrent comme étant membres d’un public plutôt que des participants actifs dans
un processus pédagogique. Cette mentalité de « public » se manifeste notamment lors des cours
en amphithéâtre où, comme au cinéma, les étudiants ne se posent pas de questions quant à leurs
retards, leurs départs prématurés ou leurs conversations. Ils ne font pas exprès d’être irrespectueux, mais ils se sentent anonymes et invisibles pour l’enseignant, dont la présentation se déroule
pour eux comme un film.
L’impact bien connu de ces normes pédagogiques peut aussi être vu dans des classes plus petites,
et même chez des étudiants qui sont attentifs et souhaitent apprendre.
Ces normes les conduisent à supposer qu’on va leur apprendre des choses à travers des cours
magistraux et qu’on va leur dire quoi apprendre grâce à des lectures spécifiques. De ce fait, ils ne
voient pas les cours magistraux et les lectures comme des stimuli et des guides pour apprendre
par eux-mêmes. Ces attentes sont renforcées à nouveau par un système pédagogique qui exige
peu des étudiants à part la mémorisation de données et de définitions et la rétention d’information
le temps d’une épreuve d’évaluation. Il est possible qu’on ne leur demande jamais de réfléchir
de manière plus approfondie au contenu de leur cours et de le mettre en lien avec d’autres contenus, de l’analyser de façons différentes, et de l’appliquer à des sujets déjà connus. De ce fait, en
tant qu’enseignants en études supérieures, nous ne devrions pas être surpris quand nos étudiants
nous lancent des regards vides lorsqu’on leur demande de sortir de leur rôle passif en classe en
répondant aux questions, en s’impliquant dans une discussion ou un débat, ou en s’engageant
dans d’autres activités.
Mais la façon de donner un cours magistral n’est pas le seul coupable dans ce problème de passivité. Il est vrai que les étudiants sont relégués à un rôle passif par leurs enseignants, mais un cours
magistral demeure une excellente manière de transmettre des données, définitions, principes, descriptions phénoménologiques, et tout autre type d’information. Et quand ces cours magistraux
sont bien organisés et présentés, ils peuvent impliquer les étudiants et leur donner envie de lire
davantage au sujet du contenu présenté en cours. Cependant, les cours magistraux ne sont pas la
meilleure façon d’engager les étudiants dans une réflexion autour du contenu de cours, donc si
nous enseignons uniquement de cette façon, les résultats seront décevants, et l’expérience ne sera
pas très appréciable, ni pour nous ni pour les étudiants. Les limites du cours magistral sont attribuées en partie à la capacité d’attention des étudiants et leur capacité de traitement de l’information. Leur capacité d’attention est la meilleure lors des 10 premières minutes d’un cours, puis elle
diminue (Bunce, et al;, 2010; Davis, 2009; Johnstone & Percival, 1976; Wilson & Korn, 2007).
En effet, certaines recherches suggèrent que les étudiants retiennent 70% du contenu dans les 10
premières minutes, mais seulement 20% dans les dix dernières minutes ; la plupart des étudiants
écoutent attentivement seulement 40% du temps lors d’un cours magistral de 50 minutes ; et si,
lors de vos cours, vous dites 150 mots par minute, l’étudiant n’en entendra qu’environ 50 (JonesWilson, 2005; Lang, 2008). D’autres études indiquent que ce relâchement de l’attention peut
expliquer le fait que l’étudiant moyen ne retient que trois sur cinq points essentiels d’un cours magistral, environ (Lowman, 1995). Néanmoins, une série de sondages proposés à des enseignants
aux Etats Unis tous les 5 ans de 1995 à 2005 a montré que l’enseignement sous forme de cours
magistral (enseignant actif, étudiant passif) demeure le plus répandu (Watts & Becker, 2008).
ENCOURAGER L’APPRENTISSAGE ACTIF
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
Comme alternative au cours entièrement conçu sous une forme magistrale, des professeurs de
psychologie dans de nombreux pays ont décidé d’organiser leurs cours de façon à combiner le
cours magistral avec des méthodes d’enseignement variées qui ont été élaborées dans le but de
faciliter l’apprentissage actif. Les méthodes d’apprentissage actif sont des méthodes qui exigent
que l’étudiant (a) fasse autre chose que simplement regarder et écouter, (b) cherche à développer des compétences plutôt que simplement absorber de l’information, (c) s’implique dans des
réflexions de haut niveau autour du contenu du cours (par exemple, « Qu’est-ce que cela signifie ? » plutôt que simplement « Que dois-je retenir ? ») et (d) qu’il explore les différentes façons
de mettre en lien le contenu du cours et ses propres attitudes et valeurs (Bonwell & Eisen, 1991).
En d’autres termes, les méthodes d’apprentissage actif ont été créées afin d’aider les étudiants à
aller au-delà de la mémorisation de données isolées, à réfléchir de manière plus approfondie au
contenu du cours, à envisager les relations entre leurs acquis et le cours, et à appliquer ces nouveaux apprentissages à des situations nouvelles et différentes.
actif ne constituent que quelques-uns de ces ingrédients. Donc quand vous commencez à faire
votre salade, vous pouvez continuer à faire cours sous forme magistrale tant que cela vous parait
confortable, mais prévoyez d’interrompre ces cours pour présenter des opportunités d’apprentissage actif variées. Une des meilleures façons de capter un maximum l’attention et de faciliter
l’implication tout au long du cours est de le diviser en série de courts exposés de 10 minutes,
entrecoupés de séances d’apprentissage actif (Erickson et al., 2006; Jenkins, 1992).
La nature des méthodes d’apprentissage actif peut beaucoup varier. Les possibilités ne sont limitées que par l’imagination de l’enseignant et sa volonté de mettre les méthodes en œuvre. Certaines sont très simples, comme le fait de demander aux étudiants de poser des questions (en
utilisant les systèmes électroniques de réponse pour les étudiants, ou les dispositifs à réponse
immédiate), de faire une liste des choses qui n’ont pas été claires dans les quinze minutes précédentes, d’écrire des « essais d’une minute » sur le sujet du cours ( par exemple, « Que serait le
monde pour les humains s’ils n’avaient pas de perception de la profondeur ? ») ou de se mettre
en binôme pour discuter brièvement de la façon dont on pourrait appliquer le concept qui vient
d’être présenté en cours. D’autres méthodes d’apprentissage actif sont plus élaborées, comme le
fait de demander aux élèves de se mettre en petits groupes pour résoudre un problème, de faire la
démonstration d’un phénomène en classe ou dans le laboratoire, de prendre part dans un débat en
classe au sujet de la validité d’un article de recherche publié, de mener un projet d’apprentissage
collaboratif à terme, ou de travailler en équipe pour concevoir, réaliser et faire un rapport sur un
projet de recherche empirique pour l’ensemble de la classe.
Une fois habitués aux méthodes d’apprentissage actif, les étudiants ont tendance à les apprécier
et affectionnent tout particulièrement les cours qui les intègrent au contenu (Davis, 2009; Moran,
2000; Murray, 2000). De plus, comme ces méthodes exigent que les étudiants s’impliquent dans
une réflexion plus élaborée autour du contenu du cours, ce contenu devient plus facile à retenir
lorsque le temps de l’évaluation arrive. Des études sur des étudiants en primaire, au lycée, dans
des universités en Licence et en Master ont montré que les méthodes d’apprentissage actif permettent de meilleures performances aux évaluations et davantage de participation en classe en
comparaison avec des techniques pédagogiques passives (Adam & Manson, 2014; Brelsford,
1993; Cherney 2011; Chu, 1994; Davis, 2009; Hake, 1998; Kellum, Carr, & Dozier, 2001; Kerr
& Payne, 1994; Meyers & Jones, 1993; Short & Martin, 2011; Svinicki & McKeachie 2014).
L’Apprentissage Actif, Une Etape à la Fois
Introduire des méthodes d’apprentissage actif dans vos cours peut prendre du temps et demander
un certain effort, notamment car les étudiants ne sont pas encore habitués à ces méthodes et ne
les apprécient parfois pas d’emblée, lorsqu’ils apprennent qu’on va leur demander de faire plus
que simplement écouter. De ce fait, n’essayez pas d’en faire trop, et trop vite. La première étape
est simplement de décider que ce n’est pas grave de transformer quelques normes sociales qui
régissent généralement le comportement en cours, et celui de vos étudiants.
La deuxième étape pour incorporer des méthodes d’apprentissage actif dans votre enseignement
est d’effectuer quelques petits changements dans votre façon de d’enseigner. Et rappelez-vous
que cela ne veut pas dire qu’il est nécessaire d’abandonner vos méthodes actuelles.
Un bon cours est comparable à une bonne salade, composée de beaucoup d’ingrédients qui, du
point de vue des étudiants, sont agencés de manière imprévisible. Les méthodes d’apprentissage
La troisième étape consiste à choisir le contenu de ces séances d’apprentissage actif. Choisissez
des méthodes qui correspondent à votre niveau d’intérêt et au risque maximal avec lequel vous
vous sentez à l’aise. Au début, vous vous arrêterez peut-être après dix minutes de cours magistral
pour poser des questions, proposer un petit quiz sans note, ou faire une démonstration qui illustre
un concept ou un phénomène en lien avec le cours.
Beaucoup de bonnes idées et de guides pour l’emploi des méthodes d’apprentissage actif sont
décrits dans de nombreuses ressources en anglais, telles que des livres (par exemple, Bean, 2011;
Bonwell & Eison, 1991; Goss Lucas & Bernstein, 2015; Meyers & Jones, 1993; Silberman,
1996), Teaching of Psychology (la revue officielle de la Society for the Teaching of Psychology)
et “Teaching Tips” (une chronique régulière figurant dans The Observer, la newsletter officielle de
l’Association for Psychological Science). Les blogs and forums consacrés à l’enseignement de la
psychologie, tels que Psychwatch (http://www.psychwatch.com/), PsychTeach (psychteacher@
list.kennesaw.edu), et le site de la Society for the Teaching of Psychology (http://teachpsych.org/)
proposent également des discussions et des ressources concernant les techniques d’apprentissage
actif pour des cours spécifiques1.
Si à terme vous adoptez l’apprentissage actif, vous pouvez également envisager de « renverser »
votre cours. Dans un cours « renversé », tout le contenu du cours de base est présenté sous forme
de cours magistral avec des vidéos et autres, mais il n’est disponible qu’en ligne ou sous un autre
format électronique. Les étudiants ont pour devoir de regarder et/ou écouter les cours ou les présentations associées à chaque jour de cours en face à face, et il est possible qu’on leur propose une
évaluation sur le contenu avant qu’ils n’aient la possibilité de participer à des discussions, débats
et autres opportunités d’apprentissage actif pour promouvoir un compréhension approfondie et
une implication dans le contenu (Fulton 2012; Wilson, 2013). Eric Mazur, Professeur de physique
à Harvard, utilise ce système depuis des années et estime qu’il permet de doubler la mémorisation
des contenus de cours en comparaison avec un format standard (Renner, 2013). Des enseignants
dans d’autres institutions rapportent des résultats semblables (Berrett, 2012; Gray Wilson, 2013;
Loftus, 2013). Ces résultats paraissent logiques car un cours « renversé » permet aux étudiants
de s’impliquer de manière plus active dans son contenu. De plus, les cours magistraux qui offrent
les données de base pour les cours sont généralement de très bonne qualité car l’enseignant a pu
les modifier et les peaufiner avant de les mettre en ligne (Hill, 2013).
Que vos méthodes d’apprentissage actif soient simples ou élaborées, sachez qu’elles ne sont pas
magiques. Proposer des opportunités d’apprentissage actif n’implique pas que les élèves apprendront le contenu, pas plus que le fait de donner un cours magistral. L’enseignant doit s’assurer du
fait que ces étudiants comprennent le sens de chaque activité, s’y impliquent personnellement, et
fassent des liens entre ces activités et leurs apprentissages (McTighe, 2010).
Choisissez des Démonstrations Actives Ce dernier point est particulièrement vrai pour les démonstrations en classe. Même si elles sont théâtrales et vivantes, trop de démonstrations laissent
les étudiants dans un rôle d’observateurs passifs. De ce fait, les étudiants pourront se souvenir de
la démonstration, mais pas du concept qu’elle illustrait. Avec quelques modifications créatives,
cependant, toute démonstration peut devenir une opportunité d’apprentissage actif. Imaginez, par
exemple, que vous souhaitez démontrer les caractéristiques de différentes formes de maladies
mentales. Une approche traditionnelle favoriserait l’écoute d’un enregistrement ou le visionnage
1. N. du T. : Google traduit automatiquement les pages que vous aurez choisi de consulter.
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d’entretiens avec des patients dont le diagnostic est annoncé. Cette façon de faire peut être intéressante, jusqu’à un certain point, mais les étudiants seront impliqués davantage dans le contenu
de l’entretien si vous distribuez d’abord les critères diagnostic du DSM-5 ou de la CIM-10 en
leur demandant de les utiliser pour poser eux-mêmes le diagnostic de chaque patient, en le justifiant. Vous pouvez également proposer un vote à la classe pour déterminer le diagnostic et, dans
une discussion ultérieure, une description des comportements spécifiques qui les ont poussés à
prendre cette décision.
De la même façon, si vous donnez un cours sur la conformité sociale, concept issu de la psychologie sociale, vous pouvez démontrer son pouvoir en demandant à un étudiant de faire une grimace
ou d’enlever sa chaussure. Si vous faites cela, tous les autres élèves sont des observateurs passifs,
et certains seront peut-être en train de se dire « Je n’aurais jamais fait ça. » Vous pouvez éliminer
cette éventualité en rendant la démonstration plus engageante et accrocheuse en demandant à
toute la classe de se lever, de tourner en rond, de sautiller su un pied, ou de faire n’importe quelle
autre action insensée. Cette version alternative de la démonstration permet à tout le monde de
faire l’expérience de la conformité sociale à un niveau personnel.
Plus d’informations sur les démonstrations d’apprentissage actif sont disponibles sur les sites de
l’APA et de l’APS (ce dernier proposera également du contenu en français bientôt), sur les sites
de plusieurs manuels d’introduction à la psychologie, et dans des revues scientifiques en anglais
telles que Active Learning in Higher Education, College Teaching, The Teaching Professor, The
National Teaching & Learning Forum, ainsi que la revue de la Society for the Teaching of Psychology, Teaching of Psychology. Enfin, n’oubliez pas de demander à vos collègues plus expérimentés de vous parler de démonstrations d’apprentissage actif qu’ils ont trouvé utiles durant leurs
carrières.
Surmonter les Obstacles
Vous devez être en train de vous demander si les choses peuvent mal tourner si vous osez sortir des sentiers battus et faire autrement que ce que les élèves attendent de vous dans un cours
d’enseignement supérieur. Aucune nouvelle technique d’enseignement ne se déroule parfaitement
bien la première fois que vous la mettez en pratique, surtout si vous nagez à contre-courant, en
vous opposant aux normes sociales bien établies.
Mais rappelez-vous que la valeur des méthodes d’apprentissage actif ne réside pas seulement dans
le fait de faire apprendre davantage de choses aux étudiants et de leur permettre de les retenir
plus longtemps, mais aussi dans celui de rendre l’enseignement plus agréable et plus gratifiant
pour eux et pour vous. L’essentiel est de persévérer et d’être préparé à gérer les petits problèmes
qui peuvent survenir.
Par exemple, supposez que vous décidez de poser quelques questions entre vos présentations
d’une dizaine de minutes, mais la première fois que vous le faites, personne ne répond. La plupart
des enseignants ont tendance à briser le silence au bout de 2 secondes en donnant la réponse à leur
propre question, mais en faisant cela ils transmettent un message aux étudiants qui leur signifie
qu’ils peuvent éviter d’adopter une rôle actif en classe en ne disant rien (Andersen, 1986). Alors
reconnaissez que même si vous êtes en train d’enfreindre une norme sociale, certains de vos
étudiants finiront par répondre à votre question si elle est bien formulée et si vous leur laissez le
temps de chercher la réponse et de trouver le courage de lever la main. Les questions claires et
directes ont tendance à faire émerger les réponses les plus rapides et les plus intéressantes. Alors
demandez « Comment pouvons-nous appliquer les idées de Bandura concernant le façonnage
(modeling) pour l’entrainement aux habilités sociales chez les enfants autistes ? » plutôt que
« Que pensez-vous des idées de Bandura au sujet du façonnage ? » La première version donne des
indices aux étudiants quant à l’objectif de votre question, alors que la seconde les force à trouver
par eux-mêmes la conclusion à laquelle vous souhaitez les conduire. De plus, si vous accordez ne
serait-ce que 5 à 7 secondes à vos étudiants pour réfléchir à vos questions, il est bien plus probable
58
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
qu’ils proposent une réponse, de qualité qui plus est
(Tobin, 1987). En comptant à rebours dans votre tête, faites savoir aux étudiants que vous souhaitez les entendre en parcourant la classe avec un regard plein d’espoir et en les regardant bien dans
les yeux. Si aucune main ne se lève, soyez prêt à interroger quelqu’un dont l’expression du visage
laisse penser qu’il ou elle souhaite répondre. (Dites par exemple, « Jean-Pierre, on dirait que vous
avez envie de répondre à cette question. ») Ou essayez de dire par exemple « Bon, qui pense avoir
la réponse mais craint d’avoir tort ? », puis interrogez les personnes qui lèvent la main. Plus vous
parsèmerez vos cours de ce genre de questions, plus vous les formulerez avec précision et plus
vous serez patient en attendant les réponses, plus vos étudiants seront réactifs et réceptifs. Il ne
faudra que quelques cours de ce type pour que les étudiants soient à l’aise avec vos questions et
puissent y répondre.
Une préparation soigneuse est une autre étape qui minimise les chances de perturbations lors de
vos séances d’apprentissage actif. Par exemple, il est capital de s’entrainer à faire chaque démonstration avant de la faire en classe pour la première fois. Même des procédures qui semblent
simples et infaillibles en théorie peuvent s’avérer être complexes et piégeuses en pratique, et il est
beaucoup moins couteux (et embarrassant) de le découvrir avec des amis et des collègues que de
perdre du temps de cours et une opportunité d’enseignement.
Ce point a été illustré lorsqu’un enseignant d’un cours d’introduction à la psychologie aux Etats
Unis a souhaité faire une démonstration pour montrer comment le principe de conditionnement
opérant, connu sous le nom de contrôle du stimulus, pouvait être appliqué dans la vie de tous les
jours. Il a demandé à un policier de l’unité canine locale d’amener son chien en amphithéâtre pour
montrer comment le chien pouvait être contrôlé lors de scènes de crimes avec des stimuli (commandes) comme « attaque » ou « arrête ». Malheureusement, l’emploi du temps chargé du policier
ne lui a pas permis de répéter sur place, alors il s’est simplement mis d’un côté de l’estrade en
disant à son chien d’attaquer un étudiant, s’étant porté volontaire pour être le « criminel », qui se
trouvait de l’autre côté de l’estrade avec une protection de bras rembourrée. Il a donné sa commande « arrête« et bien avant que le chien atteigne le « criminel », et même si le chien a essayé
de s’arrêter, son élan l’a fait glisser jusqu’à l’autre bout de l’estrade en bois poli où il a commencé
à ronger la protection sur le bras de l’étudiant. Une répétition de cette démonstration aurait révélé
le problème du sol glissant ; la démonstration telle quelle a été mémorable, mais pour des mauvaises raisons.
Conclusion
Malgré le temps et l’effort nécessaires pour intégrer ces méthodes d’apprentissage actif à votre
cours, et malgré les obstacles sociaux que vous serez peut être amené à dépasser, une fois que
vous aurez sérieusement réfléchi à la façon de le faire, vous verrez que c’est possible. De plus,
vous vous rendrez bientôt compte qu’il est possible de choisir n’importe quelle concept que vous
enseignez normalement sous forme de cours magistral, et de l’enseigner de manière plus mémorable en demandant à vos étudiants de faire plus que des lectures supplémentaires ou de vous
écouter parler.
En d’autres termes, si vous souhaitez trouver des manières d’incorporer ces méthodes d’apprentissage actif, vous les trouverez, et vos étudiants en seront aussi ravis que vous.
Traduit par Laetitia Ribeyre, Psychologue
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
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Article traduit de l’anglais par Laetitia Ribeyre, psychologue, promotion 2012
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Les Programmes d’Aide aux Employés,
un remède à la souffrance au travail ?
Employee Assistance Programs, a cure
to suffering at work
VOL :2 N°3 /// PAGE 62/69
Stéphanie Seelig
Cette article est destiné à la recherche et à l'enseignement.
Il ne peut être utilisé dans un but commercial.
psychologue psychothérapeute
1 Rue Georges Sache, 75014 Paris
[email protected]>
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
L’objet de cet article est de présenter les Programmes d’Aide aux Employés, dont les origines remontent
aux années 40 aux Etats-Unis. Il propose une revue des normes et pratiques de ces dispositifs en Amérique
du Nord (USA & Canada) et au Royaume-Uni, ainsi qu’une comparaison empirique de l’usage en France
d’accompagnements psychologiques individuels proposés par des entreprises à leurs salariés.
Au Royaume-Uni, ces programmes sont apparus à la fin des années 70 et se sont développés considérablement au début des années 2000. Une décision de justice dans un conflit opposant un salarié à son entreprise
énonce en 2002 qu’une entreprise qui propose ce type de programme ne peut être accusée de manquement
à son devoir de protection de la santé de ses salariés (Sutherland vs Hatton)1. Le marché au Royaume-Uni,
entre 2005 et 2013 aurait connu une croissance de 300% (EAP 2013 Market Watch). Selon cette même étude,
47% de la population active britannique a accès à un PAE. La UK Employee Assistane Professionals
Résumé
Mots clés: Programmes d’Aide aux Employés, Risques Psychosociaux, Souffrance au travail, Santé au
travail, Qualité de Vie au Travail
Abstract :
The purpose of this study is to present the Employee Assistance Programs established in America in the
early 40’s. It is based on a review of guidelines and studies from North America (USA & Canada) and the
United Kingdom. A comparaison is made with individual sessions with a psychologist offered in France by
some companies to their employees.
Keywords: Employee Assistance Programs, Occupational Health, Mental health in the work-place, Wellbeing at work
Les risques psychosociaux et les symptomatologies qui y sont associées coûtent chaque année des milliards d’euros à l’Etat comme aux entreprises. Un salarié en souffrance au travail occasionne des frais de
santé, d’indemnités journalières, d’absentéisme, de remplacement ponctuel ou plus pérenne ; mais aussi
directement et par ricochet sur le collectif de travail, des pertes en production, des retards, parfois des altérations de la qualité du travail ; potentiellement des frais et indemnités judiciaires, sans parler de l’atteinte
à l’image et à l’attractivité de l’entreprise…
La politique des pouvoirs publics en matière de prévention des RPS insiste sur le fait que les entreprises
doivent engager des mesures de prévention pour réduire, si ce n’est supprimer les facteurs à l’origine de
ces risques professionnels. En parallèle à ces préconisations, se fait entendre un discours de bon sens : un
salarié bien dans son poste et son entreprise produit plus et mieux et contribue plus efficacement au développement de l’entreprise.
C’est de ce lien entre santé et rendement au travail que se trouvent l’origine et le développement en Amérique du Nord et dans les pays anglo-saxons, des Employee Assistance Programs (EAP), Programmes
d’Aide aux Employés (PAE) en français. Dès 1940, les précurseurs des Programmes d’Aides aux Employés
actuels, les programmes de lutte contre l’alcoolisme et le counseling industriel se sont développés pour
aider les salariés éprouvant des difficultés affectant leur travail. Avec les années 60, la prise en charge s’est
étendue aux difficultés psychologiques liées au travail, mais aussi à la vie privée. L’objectif est « d’adapter
les individus à leur travail, c’est à dire de fournir l’aide nécessaire pour que les individus puissent retrouver
la motivation et la maîtrise personnelle suffisante pour assumer leur travail » (J. Rhéaume, 1992).
Les Programmes d’Aides aux Employés « se sont développés à un rythme remarquable aux Etats-Unis : 50
programmes en 1950, 230 en 1965, 300 en 1972, de 8 000 à 10 000, selon les auteurs, de 1986 à 1988. Ils
sont présents dans 80% des 1 000 entreprises recensées dans le magasine Fortune. » (J. Rhéaume – 1992).
En 2014, ce chiffre dépasse les 90%. Selon l’auteur, le développement de ces programmes suit la même
évolution dans les entreprises canadiennes.
La UK L'Employee Assistance Professionals Association2 rappelle que 23 des 25 entreprises les plus performantes du pays (Sunday Times 100 Best Compagnies in 2013) font appel à ces programmes pour promouvoir la santé mentale et le bien-être au travail de leurs collaborateurs. Ce fait signe selon eux le lien direct
entre santé et performance. D’ailleurs, il semblerait que les entreprises proposant des PAE à leurs salariés
enregistrent une baisse de 45% des arrêts maladies, de 18% du turn-over, de 16% des accidents de travail et
un gain de 8% de productivité (Robertson and Cooper, 2011).
L’association qui regroupe les professionnels intervenant dans ces programmes, L'Employee Assistance Professionals Association, fondée en 1981, a formalisé différents écrits afin d’organiser la pratique, de veiller
à sa qualité et de la promouvoir. Sont consultables les guides et standards qui décrivent les attendus et le
fonctionnement de ces programmes ; les recommandations à l’usage des acheteurs de ce service, un code
éthique et un code de conduite. L’association est également à l’origine de la création d’une commission
indépendante en charge de la certification des futurs praticiens. L’EAPA regroupaient en 2010, 7 000 professionnels pratiquant en PAE parmi des 20 000 recensés aux Etats-Unis.
La UK L'Employee Assistane Professionals Association dans son guide de référence de la pratique au
Royaume-Uni définit les programmes d’aide aux employés comme suit : « un PAE offre un accès à des
experts et des professionnels de la santé mentale via un point d’entrée unique et une évaluation structurée des
besoins, qui propose soutien, guidance et informations sur un vaste champ de problématiques liées au travail
et personnelles qui affectent la performance et l’assiduité au travail. Plus spécifiquement, le PAE est un programme d’entreprise destiné à accompagner 1) l’organisation en adressant les problèmes de productivité et
2) les salariés-clients en identifiant et résolvant des problématiques personnelles incluant la santé, le couple,
la famille, la situation financière, l’usage d’alcool et de drogues, les questions juridiques, les problématiques
émotionnelles, le stress et tout ce qui pourrait nuire à leur performance au travail. »
Ce choix traité de façon indifférenciée ce qui relève du travail et de la vie privée est explicité ainsi : « Les
interactions entre travail et vie privée sont telles que des problèmes personnels peuvent avoir un impact
significatif sur le travail, notamment en cas de problèmes relationnels, de deuil ou d’addictions. Ces difficultés peuvent occasionner des troubles de la concentration, augmenter le risque d’accidents et l’absentéisme.
De la même manière, les stress au travail, les conflits et le harcèlement, mais aussi les vécus traumatiques au
travail, les changements organisationnels et les exigences de performance peuvent avoir divers effets sur la
vie personnelle. Il semble artificiel d’essayer de créer une séparation entre professionnel et personnel. Les
PAE doivent s’adressent aux deux. » Il est à noter qu’en Amérique du Nord, ces programmes s’adresse aux
salariés, mais souvent aussi à leurs familles proches (foyer). Au Royaume-Uni l’accès est réservé aux seuls
salariés de l’entreprise.
Les pratiques et les offres sont modulables. Elles se définissent avec l’entreprise afin de s’adapter au mieux
à ses besoins et à sa culture. Cependant, la plupart des programmes ont mis en place comme point d’entrée
une ligne téléphonique accessible 7j/7. Là, un coordinateur évalue la demande et adresse le salarié vers le
ou les services appropriés :
2. La UK EAP Association créée en 1998 à Derby est affiliée à la Employee Assistance Professionals Association fondée en 1990
aux Etats-Unis (Virginie) et dont les origines remontent à 1970 avec la création du National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA), puis en 1971 avec l’Association of Labour/Management Administrators and Consultants on Alcoholism (ALMACA).
1. http://www.eapa.org.uk/organisational-background/
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
•
Accompagnement en ligne ;
•
Accompagnement téléphonique ;
•
Evaluation psychologique ;
•
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
•
réduire le taux d’absentéisme (77%);
•
diminuer les coûts directs (perte de rendement, absentéisme etc.) (76%);
Accompagnement psychologique en face à face à court-terme ;
•
diminuer les coûts indirects (coûts de remplacement, gestion difficile etc.) (75%);
•
Orientations vers des professionnels de santé et de santé mentale ;
•
Prise en charge post-traumatique ;
•
améliorer les relations et le climat de travail, en aidant l’individu (74%);
•
Conseil en cas de problèmes financiers ;
•
éviter les sanctions disciplinaires sérieuses (suspension, licenciement) et ainsi améliorer les conditions
•
Information et conseil civil et juridique ;
•
Information concernant l’enfance et la vieillesse ;
•
dépister les conduites dangereuses (47%);
•
Information contre les violences domestiques ;
•
contrer l’usage de drogues (47%).
•
Information sur la santé ;
•
Conseil aux managers ;
•
Sensibilisation des salariés et de l’encadrement (santé, management etc.) ;
•
Conseil et formation.
de travail (59%);
Concernant l’accompagnement psychologique (3 à 8 séances de 50 minutes) en face à face, il a lieu au
cabinet du psychologue et plus rarement dans l’entreprise. Un système de permanence est alors mis en
place. Du fait du développement des nouvelles technologies, des consultations par chat, skipe™ ou vidéo
conférences se développent également. Lors de la phase d’évaluation, le coordinateur décide de la compétence du programme pour prendre en charge le salarié ou choisi de l’orienter vers un autre professionnel
en externe. Tisser des liens étroits avec les réseaux de soins publics et privés fait parti des standards de ces
programmes. Dispositif d’origine anglo-saxone, l’accent est également mis sur l’évaluation des accompagnements et les statistiques transmises à l’entreprise pour juger de l’efficacité du dispositif et le cas échéant
pouvoir le réajuster. Une évaluation menée en 2013 par la UK Employee Assistane Professionals Association annonce un niveau de satisfaction des usagers de 95%.
Les psychologues intervenant dans ces programmes doivent présenter une compréhension des organisations, cultures d’entreprises et autres facteurs qui peuvent avoir un impact sur la santé psychologique des
salariés. Ils doivent veiller notamment à être vigilants aux potentiels conflits entre les différentes parties
prenantes et particulièrement entre les besoins des clients, ceux de l’organisation ou du programme. En
outres, peuvent être exigé en plus des diplômes et de l’expérience, la certification délivrée par l’EAPA
(USA) ou celle du BACP (UK). Il est également attendu d’être formé à la thérapie cognitivo-comportementale ou thérapie centrée sur les solutions et à la prise en charge du psychotraumatisme.
Parmi les études indépendantes, une étude empirique menée au Québec en 1992 auprès de professionnels
exerçant dans le cadre de ces programmes permet de dessiner le profil et l’utilisation de ce type de ce service par les entreprises. Ainsi les praticiens interrogés classent par ordre d’importance les objectifs (cumulables) des PAE :
•
augmenter la qualité du rendement et la productivité (88%);
•
donner une image humaine de l’entreprise et de montrer son souci de l’individu (83%);
•
favoriser une plus grande motivation au travail (80%);
66
Les mises en place de ces programmes sont essentiellement mixte (59%), c’est à dire que les PAE sont pilotés par les ressources humaines et parfois le service médical et réalisés par des ressources externes (psychologues, médiateurs et travailleurs sociaux). Ils sont plus rarement totalement internalisés ou externalisés.
L’accès pour le salarié est libre et sur la base du volontariat. Cependant, dans la majorité des cas, les salariés
viennent consulter suite à un conseil ou à une recommandation d’un collègue, représentant du personnel,
supérieur hiérarchique ou membre des ressources humaines ou du service médical.
Les motifs de consultation (cumulables) se répartissent ainsi :
•
souffrance au travail (stress, burn out etc.) : 45%
•
addiction (alcool ou drogues) : 40%
•
problèmes familiaux : 22%
•
problèmes financiers : 10%
Le PAE permettrait aux salariés dans 87% des cas, d’identifier les problèmes ; à 82% d’être orienté vers les
ressources adéquates (internes à l’entreprise ou professionnels externes) ; à 88% de s’impliquer dans une
stratégie de résolution des problèmes et à 77% de mettre en œuvre des changements adéquats.
Le taux de fréquentation de ces programmes dans cette étude de 1992 est estimé de 5 à 6% des salariés
d’une entreprise. L’auteur évalue un développement de la demande autour de 12%.3
En France, depuis l’explosion médiatique de la problématique des risques psychosociaux au début des
années 2000, nombre d’entreprises se dotent de services très similaires. Les modalités sont variables, en
fonction des choix de l’entreprise et des offres des cabinets de conseils. Le numéro vert RPS accessible
7j/7, 24h/24, très largement médiatisé comme prévention des suicides dans les entreprises en est une forme
partielle. Une autre offre, incluant notamment des accompagnements psychologiques en face à face s’est
également structurée. La mondialisation des marchés ; avec des entreprises clientes à l’étranger de ce type
de service et cabinets des conseil internationaux expérimentés dans leur mise en œuvre ; a favorisé le développement de ces accompagnements.
3. Rheaume, J. (1992). Mental health in the work-place: Approach of aid programs for workers. Canadian Journal of Community
Mental Health, 11(2), 91-107
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
L’expérience du pilotage de Programmes d’Aide aux Employés entre 2007 et 2011 au sein d’un cabinet de
conseil, nous permet de dresser de nombreuses similitudes avec l’étude de J. Rhéaume. L’analyse ci-dessous concerne 27 entreprises ; de la PME à l’entreprise du CAC40 ; et 122 accompagnements individuels
sur cette période de quatre ans.
Le développement des PAE fait face à deux principaux reproches : leur approche individuelle et curative
(prévention tertiaire). Sans incidence directe sur l’organisation de l’entreprise, ces programmes adaptent
l’homme au travail, là où le code du travail, notamment en France, demande l’inverse.
Le fonctionnement et la nature de l’offre de service diffèrent de la description classique et surtout multiservices des PAE anglo-saxons. En effet, ceux analysés ici étaient exclusivement accessibles aux seuls salariés
et dédiés uniquement à l’accompagnement psychologique à court terme en face à face et plus rarement ;
pour des raisons géographiques; au téléphone. Dans ce cadre, la seule différence avec un accompagnement
en face à face consistait en l’usage du téléphone pour réaliser les entretiens. Les accompagnements comprenaient de 5 à 8 séances et se déroulaient essentiellement dans les locaux du cabinet de conseil. Dans le
cas de Plans de Sauvegarde de l’Emploi (fermeture de site, restructuration d’entreprise etc.), les entretiens
étaient proposés sur site, sous forme de permanences régulières. Ce dispositif répond à un contexte particulier d’hyper vulnérabilité de l’entreprise, du collectif de travail et des individus. Il ne sera pas traité ici;
la philosophie qui sous tend l’intervention, comme la pratique comportant de trop nombreuses différences.
L’accès aux PAE était de deux ordres : soit le salarié identifié comme en souffrance par sa hiérarchie était
adressé par celle-ci, le plus souvent via le DRH et plus rarement par le management local ; soit l’accès était
libre. Cette modalité offre non seulement la confidentialité du contenu de la prise en charge, mais outre,
l’anonymat des salariés effectuant une demande d’aide. Comme l’indique l’étude de J. Rhéaume, lorsque
l’accès est libre, les démarches des salariés sont le plus souvent soutenus par les recommandations, les
partages d’expériences et les conseils de pairs ou de référents de confiance dans l’entreprise : médecin et
infirmières du travail, délégués du personnel et syndicaux, assistante sociale ou membres des ressources
humaines.
Une analyse de l’usage par ces 27 entreprises du service d’accompagnement psychologique individuel
suggère deux types de motivations et d’objectifs. Ceci permet de classer ces entreprises clientes de PAE
selon deux profils.
Le premier profil rassemble 17 entreprises de secteurs, d’organisations et de tailles très variées, qui ont
eu recourt chacune en moyenne une fois en quatre ans à ce service. A chaque fois, lorsqu’elles ont été
confrontées à des situations humainement si complexes que les ressources usuelles ne permettaient pas d’y
répondre.
Le second profil regroupe 10 entreprises particulièrement conscientes du niveau d’exposition aux risques
professionnels de ses salariés (construction, distribution, bailleurs sociaux etc.) et des sièges sociaux de
grandes entreprises très engagées dans la prévention des souffrances au travail.
Ainsi, les entreprises du premier profil font appel à l’accompagnement psychologique individuel essentiellement lors de situations dramatiques personnelles affectant leurs salariés (deuil, accident hors accident du
travail) ou lorsque le salarié présente des conduites inadaptées qui déroutent l’entreprise (comportements
violents, crises d’angoisse, tentatives de suicide dans la sphère privée etc.). Le recours à l’accompagnement
psychologique individuel ne fait pas partie de la culture de l’entreprise et les directions ne font pas le choix
de l’implanter durablement. Ces entreprises le mettent en œuvre exceptionnellement lorsque toutes les
ressources internes ont été épuisées.
Les entreprises du second profil ont fait le choix du Programme d’Aide aux Employés comme outil de
prévention des risques professionnels. Les accompagnements psychologiques individuels sont déclenchés
alors majoritairement lors de situations professionnelles représentant un risque pour la santé des salariés
(suspicion de harcèlement moral et ou sexuel, épuisement professionnel, agression sur le lieu de travail
ou lors du trajet professionnel, accident du travail) et très ponctuellement pour les soutenir lors de drames
personnels. A noter qu’une des entreprises de ce groupe a fait le choix d’ouvrir l’accompagnement tant aux
problématiques professionnelles que personnelles, se rapprochant ainsi de la philosophie qui sous-tend les
PAE. L’utilisation qui en est faite par les salariés est alors comparable à l’étude de J. Rhéaume. Finalement,
le taux d’usage de ces programmes est en moyenne de 3% de l’effectif d’une entreprise par an.
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Les associations scientifiques qui édictent les principes de ces programmes, intègrent de plus en plus la
sensibilisation du management à la prévention des facteurs de risques ou le conseil en bien-être au travail
auprès des organisations (prévention secondaire).
Cependant, un des meilleurs outils de dépassement des clivages entre actions individuelles et collectives
consiste au bon fonctionnement d’un comité de suivi de ces programmes. Ce temps dédié à l’analyse des
motifs d’accompagnement et du fonctionnement du programme dans l’entreprise réuni en comité de suivi
les acteurs de la Qualité de Vie au Travail de l’entreprise (RH, médecine du travail, membres du CHSCT) et
le coordinateur du dispositif. Ainsi lorsque des motifs récurant apparaissent, que des tendances sont observées, le comité de pilotage peut proposer des modifications de l’organisation telles une meilleure sélection,
formation et accompagnement des nouveaux managers, la valorisation des filières d’expertise…
Il n’est plus seulement question alors d’adapter l’homme au travail, mais bien d’adapter l’organisation du
travail à l’individu et à toutes les facettes qui le constituent. Dans cette voie, la semaine nationale de la
Qualité de Vie au Travail organisée par l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail
(ANACT) était dédiée cette année à la question de l’équilibre entre les temps professionnels et privés.
Là où nombres d’entreprises se trouvent démunies après une évaluation des RPS ayant identifiée en plus
des facteurs de risques, des salariés en souffrance, les programmes d’aide aux employés représentent une
réponse humaine, rapide et efficace. De surcroit, un fonctionnement optimal du PAE peut radicalement
impacter la culture, l’image et l’organisation de l’entreprise. Ces programmes représentent une opportunité
d’instaurer un rapport gagnant-gagnant et ainsi une meilleure coopération entre salarié et entreprise. En
outre, si on en croit la UK Employee Assistane Professionals Association : « Le coût par salarié d’un PAE
est très réduit. Les entreprises dépensent bien plus en fournitures ou café.4 »
/// Références
bibliographiques
Rheaume, J. (1992). Mental health in the work-place: Approach of aid programs for workers. [Santé mentale au travail : L’apporche
des Programmes d’Aides aux Employés] Canadian Journal of Community Mental Health, 11(2), 91-107
Employee Assistance Professionals Association (2010). EAPA Standards ans professional guidelines for Employee Assistance
Programes
UK Employee Assistance Professionals Association (2012). EAP Guidelines
UK Employee Assistance Professionals Association (2013). Employee Assistance Programmes 2013 Market Watch
Robertson and Cooper (2011) Well-being: Productivity and Happiness at Work Ed. Palgrave Macmillan
Spreitzer and Porath (2012) Creating Sustainable Performance - if you give your employees the chance to learn and grow, they’ll
thrive—and so will your organization. by Harvard Business Review - January–February 2012
4. UK EAPA : EAP Guidelines december 2012
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Analyse de livres
L’interprétation psychanalytique des
rêves – Tristan MOIR
VIOLENCES AUX PERSONNES Comprendre
pour prévenir Sous la direction de
Roland Coutanceau et Joanna Smith
Jean-Pierre Chartier
VOL :2 N°3 /// PAGE 70/74
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Cette article est destiné à la recherche et à l'enseignement.
Il ne peut être utilisé dans un but commercial.
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
L’interprétation psychanalytique des rêves
– Tristan MOIR - l’Archipel 2014
VIOLENCES AUX PERSONNES
Comprendre pour prévenir
Sous la direction de Roland Coutanceau et Joanna Smith
L’onirologie est aussi vieille que l’histoire de l’humanité. L’homo sapiens s’est toujours entouré de spécialistes censés révéler la signification des productions étranges et pénétrantes qu’il fait pendant qu’il est dans
les bras de Morphée.
Le pharaon convoque son devin officiel qui, après un rêve d’angoisse où il voit tous ses parents être assassinés, et lui mourir en dernier, lui confirme le contenu.
Freud dira « le manifeste de ce rêve », et le pharaon fait mettre à mort ce devin imprudent.
Le second appelé à la rescousse l’interprètera de façon positive.
« Votre majesté, votre rêve signifie que vous survivrez à tous les vôtres, et il en fut récompensé largement ».
L’onirologie est toujours d’actualité, comme le démontre la sortie de l’ouvrage de Tristan Moir cette année,
après le livre qui rendit Freud célèbre en 1900, et la publication il y a deux ans des textes présentés de 1936
à 1941 par les élèves de Jung, réunis en séminaire sur les thématiques des rêves d’enfants …
Notre auteur se propose de dévoiler « la grammaire complète du langage onirique, de sa structure et de sa
mécanique ».
Ainsi, tente- t-il d’animer une axiomatique de l’inconscient en utilisant les concepts jungiens d’ombre, de
double, d’animus et d’anima…
Nul besoin de demander au patient d’associer sur les éléments de sa production onirique, mais la grille de
lecture qu’il propose à partir des archétypes jungiens et de calculs savants qu’il dit inspiré par le lacanisme,
fournissent l’explication du contenu du rêve.
Comme Jung, Moir découvre une dimension prémonitoire au rêve qui, communiqué aux autres, « les apostrophes », y compris le thérapeute qui peut y devenir « un média amant » qui ne serait plus alors que « juste
accessible à la logique de la soupe et aux arguments des quenelles », comme l’avait écrit Freud de certaines
femmes, et qu’il faudrait fuir à tout prix parce qu’elles empêchent toute analyse authentique de se poursuivre.
Notre auteur le reconnait à son tour « le rôle du thérapeute s’il ne veut pas être funambule, c’est d’accueillir
les fantasmes du « hors cadre » sans sortir du cadre ».
A ce prix, l’interprétation du rêve reste bien l’outil le plus efficace de connaissance de l’inconscient.
Bien évidemment, en bon freudien, je ne saurai me passer de l’utilisation des associations du patient sur
les divers éléments de son rêve que je sollicite afin de contourner, autant que faire se peut, les résistances à
l’œuvre dans tout discours manifeste fut-il un rêve.
nous saisissons que ces trajectoires signalent au contraire la présence de défaillances plus profondes n’ayant jusqu’alors trouvé aucun autre moyen d’expression que celui de la consommation.
Face à ce constat, il nous paraît désormais crucial de prendre en compte les déficits constitutionnels de ces individus afin de leur proposer un programme thérapeutique propice au développement de ressources internes. Si le travail sur les habiletés émotionnelles semble représenter une
voie de dégagement possible, il n’est pas le seul outil à la disposition des praticiens. Quel que soit
le moyen, l’objectif serait d’offrir au patient les conditions suffisantes pour relancer une construction psychique entravée et parvenir à constituer un véritable étayage interne.
Partant d’un principe simple : les données statistiques ne reflètent pas la criminalité mais l’activité
du service de police et les pressions politiques qu’ils peuvent endurer.
Certes, les réponses pénales se sont diversifiées et aggravées
Le délai de prescription est passé à vingt ans dans le cas de victimes mineures qui ont été violées
enfants, et la pornographie informatique, en pleine expansion, est aussi entrée dans la liste des
délits.
Y-a-t-il une pulsion d’agression propre à tout homme ?
Freud, après avoir contesté la conception d’Adler qui répond positivement, introduisit la pulsion
de mort et Lacan rattachera l’agressivité aux …………. du corps morcelé dont Jérôme Bosch a
fait un tableau qui ne cesse d’être contemplé : le jardin des délices, du mal ?
Coutanceau évoque alors le plaisir de détruire, lié à un sentiment mégalomaniaque de toute puissance dans l’emprise, sans aucune empathie pour l’autre.
Comme j’ai pu le rencontrer chez un tueur à gages « tu sais, quand quelqu’un te demande d’en
tuer un autre, c’est qu’il a fait du mal. Pour me résumer, je dirai que je fais justice »
Ce qui n’exclut pas « la signature », la façon identique de procéder, qui relève de la vie fantasmatique de l’agresseur et que les soit disants profileurs se donnent pour tâche de comprendre les
antécédents ou la mise en évidence d’antécédents psychiatriques rassurent alors tout le monde
alors que les malades mentaux ne commettent pas plus de violences graves que ceux qui ne sont
pas repérés comme tels !
Seuls les délires de persécution organisés comme la personnalité du paranoïaque, présente un réel
danger.
De nombreux auteurs ont fait des recherches qui mettent en évidence l’impact des traumatismes
infantiles comme favorisant l’usage, plus tard, de maltraitance chez ceux qui en ont été les victimes.
La résilience (Cyrulnil) se construirait dans une relation à un tuteur qui aide le moi à se développer. La réussite de poètes et d’artistes comme Rimbaud le prouve.
Le suicide- altruiste concerne des personnes âgées de plus de 55 ans qui vivent une phase mélancolique aggravée par les problèmes de santé de l’un ou de l’autre. Souvent un deuil récent accélèrera l’homicide-suicide des plus de 60 ans.
L’infanticide « s’apparente à un traumatisme subi plus qu’agi (1), sorte de nourrissons psychiques
pour l’auteur, en tant que sa progéniture « il retrouve une place originelle d’enfant de ses parents », celle qu’Œdipe n’a jamais pu occuper ….
1. Ils ont tué leurs enfants : Approche psychologique de l'infanticide de Odile Verschoot et Sophie Marinopoulos – page 245
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ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
Pour Houssier, « le passage à l’acte renvoi à une tonalité mélancolique », conséquence d’une rencontre ratée avec l’objet. De G… , le père de la criminologie, sera le premier à souligner l’importance de la constante dépressive dans la dynamique du crime qu’on peut qualifier de passionnel.
Pour Ressler, l’inventeur du terme « sérial killer », l’essence de cette conduite est psycho-dynamique, malgré les apparences. Le sujet fut l’objet de traumatismes mé..sentables qu’il agit en
jouissant d’une toute puissance actuelle en tuant à répétition sans réussir à les retourner et encore
moins à les exorciser.
On peut rencontrer des infanticides interactifs qui, au-delà du fusionnel de leur relation de couple,
répètent et retournent l’agressivité dont ils ont été l’objet petits.
Tout aussi choquant pour les non spécialistes le sont l’acharnement sur des morts provoqués,
voire le cannibalisme qui reste exceptionnel et le fait de schizophrènes internés en U.M.D. Certes,
les enfants victimes de violences sexuelles ont la probabilité d’être auteurs de cruauté envers
les animaux, comme me l’a dit l’un d’entre eux « comme Jacques Brel » quand j’étais petit j’ai
étranglé un chat…
Johanna Smith présente l’I.C.V., issu de l’hypnose de Janet, comme le moyen le plus sûr d’aider
le sujet traumatisé à repositionner historiquement l’évènement.
En s’interrogeant sur le contre transfert que ces sujets présentent, elle préconise la co-thérapie.
Les québécois sont friands d’échelles de dangerosité de récidive comme aux USA. Encore faut-il
réunir les conditions qui permettent de parler ses colères, ses envies et ses tristesses sans les agirs.
Nous conclurons en rappelant l’importance pour le praticien de lire ce livre imposant qui nous
rappelle que l’homme n’est pas un loup pour l’homme.
ETUDES ET PRATIQUES EN PSYCHOLOGIE t VOL :2 N°3 /// JUIN 2014
Remerciements au experts
La revue Etudes et Pratiques en Psychologie remercie Mesdames et Messieurs les professeurs de
l’Ecole de Psychologues Praticiens qui par leur lecture attentive et leurs remarques constructives ont
permis la publication de ces travaux.
Dominique Brengard
Dana Castro
Nayla Chidiac
Damien Fouques
Victor Ernoult
Pierrette Estingoy
Marie Kuntz
Gérard Lelarge
Karine Marot
Marie-Christine Simon
Bruno Vincent
Dominique Strazzula
Helène Salaün de Kertanguy
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