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dissertation.
Author: Voogd, Christophe Nicolaas de
Title: Le miroir de la France : Johan Huizinga et les historiens français
Issue Date: 2013-09-12
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Chapitre 6
Analyse dun écrit patriotique : « La civilisation des Pays-Bas au XVIIe
siècle » (1941)
1
6.1. La genèse du texte: le choix du questionnaire national
La publication aux Pays-Bas d’un livre portant sur le XVIIe siècle néerlandais arrive très
tard dans la carrière de Huizinga : il approche de ses 70 ans et sa « Civilisation des Pays-
Bas au XVIIe siècle » (Nederlands beschaving in de zeventiende eeuw) sera son dernier
ouvrage historique
2
. Ce nest certes pas la première fois qu’il aborde le sujet : nous avons
vu que sa notoriété internationale l’avait conduit dans les années 1930 à donner plusieurs
conférences sur ce grand siècle de l’histoire néerlandaise qui, en dehors de la figure
d’Erasme, était le seul sujet qui éveillait un écho dans un auditoire étranger
3
. De fait le
contenu général du texte de 1941, quoique plus étendu, est quasiment le même que celui
des conférences antérieures et son plan suit très exactement celui de la série de
conférences donnée à Cologne en 1932. Il reste que la décision de publier, à destination
du public néerlandais, ses réflexions sur le XVIIe siècle mérite explication, d’autant quil
avait envisa très tôt un tel ouvrage sans jamais passer à lacte
4
. Huizinga évoque pour
expliquer sa cision les « circonstances particulières » de 1941
5
. Il faut y voir une
allusion directe à linvasion allemande de mai 1940 et à la dure croissante de
loccupation. Luniversité de Leyde a elle-me fait lexrience des méthodes nazies,
1
Ce chapitre présente une version abrégée et profondément remane dun mémoire de D.E.A. (Master 2)
soutenu en 1994 sous la direction du professeur Lucien Bély, à luniversité de Paris XII : Ch. de Voogd,
« Histoire et analyse d’un écrit patriotique : « la civilisation erlandaise au XVIIe siècle de Johan Huizinga ».
2
Nederlands beschaving in de zeventiende eeuw, Haarlem, Tjeenk Willink, 1941, 176 p., repris dans les œuvres
complètes de Huizinga (VW, II, 412-507) ; pour la commodité de la comparaison avec les conrences
antérieures sur le même sujet, ci-après, NL 1941.
3
« Aperçu de la civilisation hollandaise du XVIIe scle », 18 mars 1930 (ci-après, F 1930) conférences
mentionnées dans les Annales de lUniversité de Paris, 5, 1930, p. 188. Le manuscrit de 122 feuillets se trouve
dans AH 29, II, 1 ; Holndische Kultur des siebzehnten Jahrhunderts. Ihre sozialen Grundlagen und nationale Eigenart ,
na, 1933 (ci-après, D 1932); « La formazione del tipo culturale olandese », Studi Germanici, 13, 1935, p. 22-
38 ; ci-après, It 1935 ; repris dans les œuvres complètes, VW, II, 508-524.
4
s sa riode groninguoise, on l’a vu, Huizinga avait commencé à travailler s ur un « Siècle de Rembrandt »
(voir ci-dessus, chapitre 3.4) ; sur la gese longue de louvrage de 1941 (voir A. van der Lem, Het Eeuwige
verbeeld, op.cit., chapitre 4). De nombreuses raisons ont joué pour expliquer le caractère très tardif de cet
ouvrage, parmi lesquelles le respect du principe de spécialité : Huizinga a longtemps considéré qu’il revenait à
son collègue Kernkamp, scialiste du XVIIe siècle, d’écrire un tel livre (voir également sur ce point W. Krul,
Historicus tegen de tijd, op.cit., p. 244).
5
NL 1941, VW, II, 412.
176
on le sait
6
, avec sa fermeture sur ordre de l’occupant. duit à des loisirs forcés,
Huizinga peut désormais travailler à son ouvrage sur la civilisation néerlandaise du
XVIIe siècle. Davantage, il en éprouve probablement le devoir, un « devoir de mémoire »
au sens vrai du terme. Car louvrage quil publie à lété 1941 chez son éditeur habituel,
Tjeenk Willink à Haarlem psente toutes les caractéristiques dun écrit patriotique, tant
sur le fond que sur la forme. Il sagit bel et bien de ranimer la fierté et la cohésion de ses
concitoyens par le rappel de la grandeur de la « République de glorieuse mémoire, qui fut
fondée sur la liberté tandis quagonisait le Père de la Patrie
7
». Cest la raison pour
laquelle Huizinga renonce à un premier projet fort différent, probablement cou peu de
temps auparavant. Il s’agissait dune « Vie néerlandaise au siècle de Rembrandt », où
laccent aurait été mis sur lanthropologie culturelle :
Etait-elle [cette vie] valable pour tous et sans trouble ? Lenvie de vivre et lhumeur de la vie. Que
restait-il des anciennes contraintes ? De lascétisme ? Que savons-nous concernant la neurasthénie,
lhystérie, les maladies mentales ? Et lalcoolisme ? [...]
Le rapport sponta et brut à la vie
La structure logique du monde et de la vie
La vie dans léglise. Comment résonnait la foi ?
Le poids de lAntiqui
L’antiqui comme facteur de « stylisation »
Le rapport à la nature. Les animaux.
Derrière lArt et les Lettres
Caractère limité de lexpression de la Vie
Les familles nombreuses, la mort au berceau. Y avait-il une limitation des naissances ?
La vie en famille, en ville ou au village, statut, soc et Etat
La vie catholique et protestante : la vie calv[iniste], remonstr[ante], Menn[onnite], juive
La fixité des relations sociales établies. Absence de tendance réformatrice ou révolutionnaire.
Cest bien ainsi.
Le paysage, la ville, leau
Les nouvelles boissons et les formes de sociabilité
Les 7 vertus [cardinales]
les 7 pécs [capitaux] : les délices!
La vie campagnarde. le gentilhomme campagnard
Vulgari, médiocrité, sobriété
Tendresse, ferveur et édification
Le besoin de représentation.
Gravure, peinture et poésie. Comment voyait-on et appréciait-on la beauté ?
Le manque de détails vivants sur les personnes dans le legs documentaire
La faute de la prose : trop convenable, trop verbeuse etc.
6
Voir ci-dessus, Introduction, « Les engagements de Johan Huizinga ».
7
VW, II, 412.
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Le chant et les instruments à cordes
La fête, les plaisirs
La vie juridique: de Groot [Grotius] Justice et tolérance
Absence de persécution des sorcres
Descartes et Spinoza
Linfluence française
Labsence du type « Cavalier »
Les types provinciaux et urbains: lAmstellodamois, lhabitant de Haarlem, du Kennemerland,
le Frison Occidental, le Zélandais, Le Frison, le Groninguois, lhabitant dOverijssel, de
Gueldre, dUtrecht, le Brabaon ... la perception des pays lointains, id. du passé
Lhomme des Indes occidentales
La vie sexuelle
Santé et maladie. Le confort insuffisant etc.
8
La modernité de ce questionnaire, dans lequel Febvre et Bloch auraient reconnu nombre
de leurs préoccupations et qui aurait si bien répondu à leur invitation faite en 1933 à
Huizinga décrire « quelque chose sur la Hollande
9
» montre à quel point ce dernier
aurait pu renouveler lhistoriographie du Scle dor en appliquant le « nouveau
questionnaire de lhistorien », cent sur létude des sociétés, nourri des apports des
autres sciences de lhomme et fondé sur les représentations collectives : grille de lecture
qui fut celle-là même de LAutomne du Moyen Âge.
Non que Huizinga, en abandonnant ce projet, renonce pour autant à « lhistoire-
problème », constante de sa démarche historiographique
10
: la question centrale du livre
est clairement posée dans le premier chapitre :
Pour bien saisir une telle réali, le mieux est de commencer par limpression d provient tout
savoir, cest à dire par létonnement devant le fait que toute cette vie fut bel et bien réali. Cet
étonnement est, dans notre cas, dune nature très immédiate. Comment a-t-il été possible, se
demande-t-on tout de suite, quun territoire aussi petit que les Pays-Bas et plutôt excentré dans l
Europe du XVIIe siècle, ait pu se trouver à ce point au premier plan, en tant quEtat, en tant que
puissance commerciale et comme foyer de civilisation ? Nous comprenons plus ou moins quune
telle place dhonneur comme centre de rayonnement ait pu échoir à Florence, à Rome et à Paris;
mais comment une pareille fonction centrale a-t-elle pu revenir à un petit pays amphibie qui ne
sétend que de lEms et la Vlie à la Meuse et lEscaut ? Ce fait en lui-même népuise pas le
miracle. Car aussitôt suit une deuxième question : où trouver un autre exemple dune civilisation
nationale qui atteigne son apogée aussit après la naissance de lEtat et de la nation ? (VW, II,
414)
Mais l’interrogation va aussitôt sorienter vers lenjeu de la scificité nationale :
8
AH, 91, 4.2.2. Ce feuillet isolé se trouve dans le dossier du cours sur « Une vision de l’Europe » donné en
1939/1940, ce qui invite à dater ce projet à cette date, même si la certitude ne peut être absolue.
9
Voir ci-dessus, chapitre 1.4.
10
Voir sur « lhistoire-problème » dans lépistémologie de Huizinga et celle des Annales, ci-dessous, chapitre
7.2.
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Notre étonnement à ce sujet serait peuttre moindre si nous constations par ailleurs que la
civilisation néerlandaise de cette époque a été lexpression la plus achevée et la plus pure du
caractère néral du XVIIe siècle dans lEurope tout entre. Son examen montre toutefois que ce
nest pas le cas. Au contraire, au milieu de la France, lAllemagne, lAngleterre, sans parler de
lItalie et de lEspagne, le pays de nos pères représente plutôt une déviation par rapport au type
commun de la civilisation de cette époque, une exception à bien des égards, plutôt quune
illustration exemplaire. (VW, II, 415)
Car, sous l’effet de l’état durgence historique absolue où se trouve sa patrie, Huizinga va
largement consacrer son expo à cette problématique centrale de la spécificité
erlandaise qui était déjà au cœur de ses conférences à l’étranger dans les années 1930 :
aussi bien celui-ci n’est-il pas sormais installé aux Pays-Bas ? Et tout ne donne-t-il pas
à penser que l’identité nationale erlandaise est elle-même en jeu ? Doù le choix d’une
autre perspective que le projet d’anthropologie culturelle un temps envisagé, que met
bien en évidence la table détaillée des matières en tête de louvrage :
Premier chapitre
Comment ce pays a-t-il pu devenir le foyer dune civilisation qui a connu son apogée aussitôt
aps la naissance de lEtat et de la nation ? Cette civilisation sintègre-t-elle dans le concept de
« Baroque » ? Participation des difrentes régions dans le processus culturel. Le rôle de la
navigation maritime et des eaux intérieures. Primau de lélément urbain. Relative modestie de la
grande proprié. La paysannerie et la noblesse. Faible enracinement du clergé en tant quordre.
Primauté du négoce. De la classe marchande au patriciat. La guerre contre lEspagne na pas é
un facteur défavorable pour lessor du commerce. Caractère traditionnel, voire médiéval des
conceptions économiques. Aspect plus désuet que progressiste de lorganisation économique. Le
« saut » de létape mercantiliste. Essor de lindustrie malgré le système des guildes. La
suprématie de la Hollande. Absence de centralisation et échecs des tentatives en ce sens.
Conservatisme politique de la publique.partition du pouvoir et de ladministration entre
petites entités. Le clivage entre le Nord et le Sud. LUnion dUtrecht. Souveraineté provinciale.
Le stadhoudérat. Les Etats. Le conseiller pensionnaire. Politique de prospérité et de paix. Orange.
Avance de la République sur les autres pays dEurope. Fin de cette position.
Chapitre II
Le caractère peu militaire de la nation malgré les guerres longues et nombreuses. Grand nombre
détrangers dans larmée. Effet damalgame social du service dans la marine. Reflet de la guerre
sur terre et sur mer dans lart. La vie de cour autour du stadhouder. Orange et laristocratie
urbaine. La noblesse terrienne. Vie du patriciat. Amsterdam. Les villes figurées. Pouvoir et
orgueil des villes. Absence de clivage net entre les positions sociales. Le gent demeure un
bourgeois. Consommateurs et producteurs de culture. Disparition de la vieille culture populaire.
Milice et chambre de rtorique. Le classicisme comme ornement de lexistence. Constantin
Huygens comme type social. Peintres et poètes. La primauté de la peinture et de lart graphique
fondée sur la tonalité modeste de la vie sociale. La diffusion universelle de la peinture.
Chapitre III
La vie religieuse efface en partie les frontières sociales. Les prédicateurs et lopinion publique.
Part du calvinisme dans notre civilisation. Le calvinisme nest pas une religion dEtat. Extension
de la forme. Les catholiques et les autres obédiences protestantes. Les anabaptistes. Les Juifs.
La victoire des contre-remonstrants nest quun compromis social et culturel. Comparaison avec
lAngleterre. LEglise et lenseignement supérieur. Léglise et la culture populaire. Le calvinisme
et lart.
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