Éléments d'histoire de la philosophie antique Collection «réf.» Jean-Paul Dumont Professeur d'histoire de la philosophie à l'université, Lille III \ Pl Eléments d'histoire de la philosophie antique NATHAN D u MÊME AUTEUR La Philosophie antique, PUF, Que sais-je ? n° 250, 1962 (8e éd. 1993). Les Sceptiques grecs, textes choisis et traduits, PUF, 1966 (3e éd. 1992). Les Sophistes, fragments et témoignages, PUF, 1969. Le Scepticisme et le phénomène. Essai sur la signification et les origines du pyrrhonisme, J. Vrin, 1972 (2e éd. 1986):Ouvrage couronné par l'Association pour l'encouragement des études grecques et l'Académie des sciences morales et politiques. Introduction à la méthode d'Aristote, J. Vrin, 1986 (2e éd. 1992). Les Présocratiques, Gallimard, La Pléiade, 1988. Les Écoles présocratiques, Gallimard, Folio-Essais, 1991. Lucien : Hermotime ou Comment choisir sa philosophie ?, suivi d'un Essai sur le rire des philosophes, PUF, 1993. @ Editions Nathan, 1993 ISBN 2 09 190 548 8 À la mémoire de Jean-Claude Fraisse et de Claude Khodoss, notre maître commun Avertissement Pourquoi ce titre : « Éléments d'histoire de la philosophie antique » ? Serait-ce parce que, en rassemblant ces éléments, ou ces textes particulièrement significatifs, au cours d'une longue carrière vouée autant à l'enseignement qu'à la recherche, l'auteur n 'a cessé de songer à une classe de philosophie élémentaire, au sens où naguère encore on parlait de la classe de Mathématiques élémentaires ? Comment donner l'information la plus exacte possible, et en mime temps la rendre accessible ? Le professeur de philosophie n'enseigne Pas seulement l'histoire de la philosophie comme le musicologue l'histoire de la littérature musicale ; il enseigne aussi à jouer de l'instrument et doit donner au disciple les moyens de déchiffrer et d'interpréter lui-même, et pour lui-même, les pages de ses classiques favoris. C'est pourquoi, pour constituer une collection réellement élémentaire, les pages choisies doivent aussi s'articuler selon un enchaînement et une progression qui non seulement les rendent lisibles, mais qui permettent de rentrer dans l'intimité des auteurs. Bien d'autres pages, empruntées aux mêmes oeuvres ou à d'autres témoins, auraient p u aussi bien être retenues. On est allé à essentiel, c'est-à-dire à l'organique ou, étymologiquement, à ce qui peut avoir valeur d'instrument ou d'outil, pour donner la possibilité au lecteur de poursuivre ensuite seul, dans la voie qu'il aura choisie, la fréquentation des grands auteurs. L'Antiquité jouit d'un grand privilège, qui n'est pas d'ancienneté, mais de vie et de presque immortelle présence. Presque tous les concepts qui permettent d'affronter les grands problèmes que la philosophie rencontre : sens de l'existence, signification de nos vies, justification des réalités, possibilité de fonder la science, valeur de la liberté, formes et prix du bonheur, organisation politique, pensée de la mort, etc., ont été élaborés et travaillés au cours des siècles que ce recueil s'efforce d'embrasser. Cet ouvrage a donc deux ambitions : donner aux élèves et étudiants en philosophie un accès direct à ces textes fondateurs, pour leur permettre ensuite de penser p a r euxmêmes en usant des concepts propres à une rationalité toujours présente ; offrir à un plus large public le moyen d'assouvir sa curiosité et d'assurer ses connaissances en puisant directement à des sources autrement peu accessibles. Tel est le trésor qu'un modeste historien de la philosophie devenu petit à petit un peu philosophe, et heureux de faire partager les joies qu'il a éprouvées à relire et à étudier, maintes années durant, ces chefs-d'œuvre de la raison humaine, souhaite ici léguer. I n t r o d u c t i o n L'Antiquité : naissance et apogée de la philosophie Origines Il vint un temps où l'humanité cessa de croire en ses dieux. Mais, au commencement, ils étaient partout : tout était manifestation d'une force et d'une présence divines. Aurore naissait, avec ses doigts de rose, Soleil brillait d'un feu paternel, Terre s'y réchauffait, fécondée par Humidité bienfaisante ; et quand venait la Nuit, divinité obscure, Sommeil s'emparait des mortels. Ce sentiment religieux ne cessera d'habiter la conscience grecque, même et surtout à la fin, dans les efforts des néoplatoniciens pour restaurer le polythéisme contre les abstractions du christianisme des empereurs. Comment la philosophie est-elle née ? Si la philosophie se définit comme une entreprise rationnelle, encore faut-il dire à quoi la raison naissante s'est exercée. Comme le disent Platon et Aristote, la philosophie est fille de Thaumas, Étonnement. Admiration et inquiétude sont des sentiments premiers face a la grandeur du monde, à la beauté du ciel, à la force des éléments et à la brièveté de nos vies. Mais Thaumas a une fille, Iris, la messagère des dieux, porteuse d'une écharpe d'arc-en-ciel à sept couleurs, dont les stoïciens savent qu'elles symbolisent les sept voyelles, ou sons, de l'alphabet grec. Ainsi passet-on de la lumière à la parole, comme le dira Philon d'Alexandrie. La parole, logos, c'est la raison qui articule en un discours cohérent le premier étonnement presque religieux, pour le formuler en termes d'interrogation profane. Ainsi naissent les types rationnels de questionnement, lorsque l'entendement change en interrogation philosophique et déjà scientifique, l'émotion qui saisit le Grec devant le spectacle du monde. À vrai dire, il est bien difficile de préciser les termes exacts de ce questionnement. Les œuvres philosophiques les plus anciennes sont, en chacun des touts qu'elles formaient, perdues pour nous, et connues seulement de manière fragmentaire, par les témoignages et citations d'auteurs moins anciens qui n'avaient que peu souvent accès à des livres devenus trop rarés. Grâces soient rendues à Simplicius, platonicien de notre VIe siècle, qui recopie soigneusement nombre de textes présocratiques en sa possession. Mais ce caractère fragmentaire ne susciterait que des regrets, si cette littérature se bornait à n'être que lacunaire. Car il y a plus grave, plus irréparable. Ces fragments sont des morceaux choisis, et le lecteur philosophe qui en est l'électeur a fatalement tendance à mettre sous les mots anciens qu'il reconnaît, le sens que leur ont conquis les spéculations postérieures. Tels sont les termes d'archè, la souche, qui devient le principe des philosophes ; de hylè, le bois, le matériau, qui devient la matière d'Aristote ; de logos, le discours, qui devient la raison déjà peut-être chez Héraclite en même temps que le feu, avant de l'être sûrement pour les anciens stoïciens. Il est donc extrêmement difficile, puisque les témoins de la plus ancienne philosophie n'évitent pas le piège de s'approprier les termes d'autrefois en les intégrant à leur pensée propre, de déjouer les anachronismes qui transforment malgré nous les reflets du plus antique en images conceptuellement modernes. Les Présocratiques Ce que l'on sait, c'est que le questionnement philosophique, comme le dira Proclus au Ve siècle, prend (peut-être ?) initialement deux formes. La forme ionienne, ou plus proprement milésienne à l'origine, recherche l' archè une et primitive (la souche, — le principe ? —) qui, en se faisant multiple, engendre tous les êtres : l'eau pour Thalès, l'air pour Anaximène, l'Illimité (ou l'Infini ?) pour Anaximandre qui est l'élève du premier et le maître du deuxième. C'est ce q u ' o n pourrait appeler un matérialisme avant la lettre, si le concept de matière, non encore forgé, pouvait s'appliquer à ce qu'il ne faut pas encore appeler le principe. De cette souche dérivent les éléments ; mais le grec stoichéion qui désignera l'élément (le feu, l'air, l'eau, la terre) a-t-il déjà ce sens au VIe siècle avant J.-C. ? À l'autre bout de la Méditerranée, une seconde forme, italienne, consiste à chercher ce qui est la véritable cause de cette détermination qui fait exister les êtres et qui permet de les appréhender, voire de les mesurer. Cette cause est le nombre, réalité d ' a b o r d intelligible, et la pensée qui fait l'être au point de s'identifier à lui est rigoureusement mesure. Les pythagoriciens, puis les Éléates (Parménide, Zénon d'Élée) spéculent sur l'Un, sur l'être, puis bientôt sur la limite (Alcméon, Philolaos) qui façonne l'illimité (pas encore la matière). Puis Leucippe, un élève de Zénon, et Démocrite, à Abdère, inventent les atomes, ou idées, qui sont des êtres intelligibles saisis seulement par la pensée, pour faire naître dans le vide les éléments, puis les corps issus des rencontres de ces êtres multiples. Toujours au dire de Proclus, c'est lorsque ces courants philosophiques venus d'Ionie et d'Italie confluent sur l'Athènes du Ve siècle, que s'accomplit l'avènement de la philosophie, aussitôt adulte que née, aussitôt achevée que commençante. Platon et Aristote La philosophie grecque la plus accomplie, parce que peut-être la mieux connue, quoique fragmentairement aussi, est celle qu'élaborent les enseignements de Platon et d'Aristote, à l'Académie et au Lycée. Platon est le disciple de Socrate et des pythagoriciens. Du premier, qui s'opposait aux prétentions des sophistes de refuser au discours tout pouvoir d'appréhender l'être véritable (Gorgias) ou de tenir toute sensation ou perception pour relative au sens ou à l ' h o m m e — dans le meilleur des cas, car ce peut être à une grenouille ou à un singe — (Protagoras), il retient l'exigence de l'existence réelle d'idées éternelles, et la nécessité de conférer aux intelligibles la plus grande réalité : de là naît le platonisme pensé comme un réalisme des idées. Des seconds, qui faisaient de tout être le mélange de la limite et de l'illimité, il adopte la conception selon laquelle le multiple ne peut exister sans participation à l ' U n : de là naissent les premiers multiples (il faut dire : un-multiples) que sont les idées-nombres, et ainsi de suite, chaque mélange ou mixte ainsi constitué devant être lui-même la limite du mélange qui vient après et qu'il concourt à produire en introduisant justement en lui la limite. Ainsi le point permet à la ligne d'exister, parce que la grandeur continue de la ligne doit être limitée par un point à chacune de ses extrémités ; la ligne délimite la surface et la surface définit les contours du volume qui lui-même contient le corps sensible, etc. Car ni le point, ni la ligne, ni la surface, ni le volume ne sont des sensibles, perçus par exemple par la vue ou le toucher : ce ne sont que des objets intelligibles que l'intellect saisit tels qu'ils sont en eux-mêmes ou en soi, indépendamment des sens ; ces choses en soi sont des idées ou des formes. La dialectique, conçue par Platon selon le modèle dont Zénon d'Élée est l'inventeur, est la méthode scientifique et philosophique par excellence. Elle consiste, après une remontée j u s q u ' à l ' U n et au Bien, à redescendre les échelons du réel : l'échelle de Platon vaut celle de Jacob, au long de laquelle Philon d'Alexandrie fait circuler âmes et divinités intermédiaires. On touche enfin aux espèces ultimes où la division (dichotomie) s'arrête nécessairement, pour rencontrer la multiplicité pure et l'indétermination qui est au fond de la réalité sensible. Mais sensible et intelligible ne sont pas séparés au point de constituer deux mondes : les intelligibles peuvent exister et existent en fait à part, mais leur fonction est de participer et de faire exister une nature devenue un vivant (un animal) connaissable. Le démiurge du Timée, qui crée l'âme et façonne le monde, a le regard tourné vers les modèles ou archétypes intelligibles et les mains penchées sur l'illimité qu'il faut rendre consistant par l'introduction en lui d'une mesure qui le fixe et l'immobilise. « Dieu, comme le dira le Platon des Lois, est la mesure de toutes choses. » C'est vers l ' U n et les idées que Raphaël, sur sa fresque de VÉcole d'Athènes, a pointé l'index de Platon. Aristote étend la main vers les choses. À vrai dire, il ne renonce pas aux formes platoniciennes, ni à faire des formes ou espèces des divisions du genre. La forme est j u s q u ' a u bout, pour la substance, raison et d'être et d'intelligibilité. Mais la réalité la plus existante est la substance première ; le ceci qui est proche de nous et de nos sens, que nous voyons, touchons, entendons, flairons, goûtons, est une substance, naturelle ou artificielle, que l'intellect qui analyse découvre être un composé : composé de la forme et de la matière ou sujet, composé de ce qui dans la substance relève de l'universel et de ce qui remplit la fonction de sujet. La physique d'Aristote, et la métaphysique qui en étudie les principes, s'attachent à découvrir ce que signifie nature dans l'expression : substance naturelle. En quoi la chose concrète et matérielle renferme-t-elle en elle-même, d ' u n e manière immanente, les causes du mouvement ou du devenir qui lui sont propres ? Aristote invente les concepts de nature et de matière. Et, pour comprendre le mouvement ou le changement, il forge aussi la notion de puissance, aux sens actif et passif : ce qui meut et ce qui rend apte à être mû, et son corrélatif qui est l'acte, ou la forme agissant sur le composé, en train de donner à ce composé la configuration appelée par son essence, sa définition ou son concept. Toute la philosophie première d'Aristote, q u ' o n appellera plus tard métaphysique, répond au besoin de fonder la philosophie naturelle ou seconde, ou encore physique. Les conceptions de Dieu comme moteur (ou mouvant) premier, de l'âme comme désirant une fin qui est le bien, de la vertu comme habitude et puissance active, sont toutes ensemble appelées par la nécessité de préciser les conditions requises par les mouvements de la substance naturelle. L'époque hellénistique et romaine Comment qualifier la philosophie après Aristote ? Y a-t-il u n trait commun à des écoles aussi antagonistes que l'épicurisme, le stoïcisme et le scepticisme ? La vie intellectuelle et scientifique est toute marquée par les polémiques qui opposent ces écoles. Toutes, certes, pensent contre Platon, même si, comme les Académies, elles héritent de lui, et contre Aristote. Le principal chef d'opposition, et c o m m u n à toutes ces écoles, est que les idées de Platon ou les formes d'Aristote ne sont ni réelles ni substantielles, mais inconnaissables et réduites au pâle statut d'abstractions nominales. Épicuriens et stoïciens sont d ' a b o r d , comme — peu après Socrate — les cyniques, des nominalistes : les notions sont des noèmes, des noumènes même, de simples êtres de raison, des abstractions qui n'existent que par le langage. Sur quoi la connaissance se fonde-t-elle ? Sur la sensation qui est, avec le plaisir et la douleur étroitement associés, le seul critère que connaisse le Jardin d'Épicure. Sur le sensible, à condition, précise le Portique, que l'âme soit à même d'imaginer correctement les causes (c'est-à-dire les objets exté- rieurs) qui procurent à l'âme en bonne santé les affections et les sensations dont elle a conscience. C'est la théorie stoïcienne de la représentation comme saisie, représentation compréhensive ou encore perception. Alors que pour les épicuriens toute sensation est vraie (il est également vrai que la tour est vue ronde de loin et qu'elle est vue carrée de près), les stoïciens exigent l'assentiment. Il faut que quelque raison originairement en moi déposée découvre que ce que je saisis est conforme à ma propre nature. Prolongée sur le plan de l'éthique, l'adhésion à la sensation représentative s'achève en résolution de vivre en conformité à la loi de la nature qui ordonne l'univers : c'est dire que la partie maîtresse de m o n âme est accordée substantiellement à l'hégémonique, principe directeur du monde. La richesse des discussions qui se poursuivent pendant cinq siècles entre ces trois grandes familles d'esprits ne peut qu'échapper au survol d ' u n e trop brève analyse. C'est toujours contre l'empire de la science et du dogmatisme stoïcien que le pyrrhonisme se prend à renaître au premier siècle, devant les difficultés suscitées par la légitimation de saisir le réel en l'imaginant, par la force d ' u n e compréhension qui se veut rationnelle. L'hermétisme, la Gnose et le néoplatonisme Il faut dire que plus l'histoire s'avance, plus la communauté philosophique a tendance à voir s'accuser des divisions q u ' u n souci d'éclectisme, chez Antiochus par exemple, a bien du mal à masquer. Et cette philosophie éclatée résiste difficilement à l'intrusion de la mystique venue d'Égypte ou d'Asie mineure. La Gnose judéo-chrétienne, l'hermétisme païen, mettent en péril le bonheur que les sagesses tentaient de conquérir, p o u r poser comme premier le problème du salut des âmes. Le cosmos grec perd sa perfection : théologies et théurgies ont l'audace d'emprunter à la philosophie sa langue et son vocabulaire (tous grecs) ainsi que ses procédés dialectiques, pour imposer des vues dont la nouveauté séduisante fascine jusqu'aux empereurs, les plus hostiles à la philosophie étant les empereurs chrétiens de Rome qui iront, tel Justinien, j u s q u ' à chasser périodiquement les philosophes de leurs cités pour fermer définitivement les écoles d'Athènes, en 529 de notre ère. La dernière et la plus puissante réaction à cette forme de religion et de théologie est le néoplatonisme, de Plotin à Proclus. Sa méthode en est le commentaire de Platon surtout, et d'Aristote. P o u r survivre, la philosophie n ' a plus q u ' à se penser elle-même, comme le démiurge Intellect contemplant ses propres idées, ou comme le Dieu d'Aristote trouvant son bonheur dans l'acte immobile et éternel de sa spéculation pure. Mais quand la pensée se pense ainsi elle-même, n'est-elle pas Esprit ? Et quand elle se dévore elle-même en ses propres enfants, n'est-elle pas destinée à renaître ? P r e m i è r e p a r t i e Les Présocratiques et Socrate C h a p i t r e 1 Aurore La philosophie qui nourrit aujourd'hui la nôtre a pris naissance en Grèce ou, plus largement, en Méditerranée. La philosophie est un questionnement rationnel, visant à apporter des réponses aux énigmes que la réalité propose éternellement au souci des hommes. Tout au moins convient-il de les transformer en problèmes. Cette visée s'exprime dans le terme même de philosophie, davantage amour et recherche que possession et jouissance du savoir. C'est pourquoi l'ancien sage est davantage sophiste, détenteur d'une science et d'une sagesse, que philosophe qui s'efforce de les conquérir. Ont été rassemblés, dans ce très court chapitre (voir la fiche « Doxographie et dialectique »), des témoignages et des fragments qui illustrent les formes primitives de l'exercice de la raison. Il se clôt par la vision d'ensemble, géographique, proposée tardivement par le néoplatonicien Proclus. 1. Philosophie Philosophie : ce mot est grec et signifie « amour de la Sophia », terme qui enveloppe à la fois la sagesse et la science. Aétius1 1- Voir la fiche « Doxographie », p. 20. Pythagore de Samos, fils de Mnésarchos, fut le premier à employer le terme de philosophie. Opinions, I, III, 8 (Présocratiques, p. 570) (1). (1) Dans cette première partie, la référence abrégée en Présocratiques désigne l'édition française de l'ouvrage de J.-P. Dumont en collaboration avec D. Delattre et J.-L. Poirier : Les Présocratiques, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 1988 et 1989. La mention entre parenthèses qui suit le titre de l'œuvre citée renvoie à cette édition. Athénée 1 1. Compilateur de notre ère11 Ille siècle La philosophie que le noble Pythagore a introduite. Les Deipnosophistes, V, 213 F (Présocratiques, p. 68). 2. Sages et philosophes Dès les origines, la philosophie se veut une connaissance et une vision spéculative de la réalité même des choses. Ce savoir est désintéressé, p a r opposition a u x efforts des athlètes et à l'activité lucrative des sophistes, prétendus professeurs de Sophia (science et sagesse) qui tiraient p r o f i t de leurs leçons. Cicéron 1. Sapientia : sagesse et science. 2. Fondateur plus ou moins légendaire de la législation de Sparte. Plutarque (ier et IIe siècles apr. J.-C.) avoue son impuissance à le dater (Ixo-vmo siècles av. J.-C. ?). 3. Roi de Pylos, archétype du vieillard sage. 4. Voir, p. 161, le mythe de Protagoras. 5. Père d'Andromède et mari de Cassiopée. 6. Aux études de philosophie spéculative et théorique. 7. Élève de Platon et de Speusippe, et auditeur d'Aristote ; le premier à avoir émis l'hypothèse que le Soleil et les planètes sont fixes et que la Terre au contraire tourne. Il prêtait cette théorie à un certain Hicétas, personnage d'un de ses Dialogues philosophiques. (Voir J.-P. Dumont, Les Présocratiques, Paris, 1988, p. 545.) 8. Voir Diogène Laërce, Vie de Pythagore, VIII, 8. Quant au nom ', nous l'avouons, il est moderne, mais la chose est ancienne. En effet, qui peut nier que la sagesse ne soit ancienne et que son nom ne le soit comme elle ? N'est-ce point par ce beau nom qu'on a désigné chez les anciens la science des choses divines et humaines, et la connaissance des causes et de l'origine de tout ? Ainsi, les sept que les Grecs ont appelés aocpoÍ, nous les avons appelés et réputés sages, et nous savons de plus que, longtemps avant Lycurgue2, contemporain d'Homère, et antérieur à la fondation de Rome, et plus anciennement encore dans les temps héroïques, Ulysse et Nestor3 se sont distingués par leur sagesse, et ont été reconnus pour des sages. On ne dirait pas qu'Atlas a porté le ciel, que Prométhée 4 a été attaché au Caucase, que Céphée5, sa femme, son gendre et sa fille brillent au rang des étoiles, si l'on n'avait travesti en traditions fabuleuses leur science des choses divines et célestes. Suivant leur exemple, tous ceux qui se sont appliqués ensuite aux études contemplatives 6 ont été réputés et appelés sages, et ce nom leur est resté jusqu'au temps de Pythagore, qui, au rapport d'Héraclide du Pont 7, disciple de Platon et fort instruit, vint à Phlionte s'entretenir avec Léon, prince de cette ville 8, longuement et doctement, sur certaines questions. Léon, admirant le génie et l'éloquence de Pythagore, lui demanda quelle était la science qui lui inspirait le plus de confiance ? Et le sage lui répondit qu'il ne savait aucune science, mais qu'il était ami de la sagesse, 9. Ce qui, non sans quelque anachronisme, vise les sophistes dont Platon dénoncera le commerce. 10. Allusion à la métensomatose. p h i l o s o p h e . S u r p r i s d e la n o u v e a u t é d u n o m , L é o n d o i t a v o i r d e m a n d é ce q u e c ' é t a i e n t q u e les p h i l o s o p h e s , et e n q u o i ils d i f f é r a i e n t des a u t r e s h o m m e s . E t P y t h a g o r e a d û r é p o n d r e : « Q u ' i l c o m p a r a i t la vie d e l ' h o m m e à ce c o m m e r c e q u i se f a i s a i t e n p r é s e n c e d e la G r è c e a s s e m b l é e p e n d a n t la s o l e n n i t é d e s j e u x publics. D e m ê m e q u e les u n s se v e n d e n t là p o u r briller d a n s les exercices d u c o r p s et y m é r i t e r l ' h o n n e u r d ' u n e c o u r o n n e ; q u e d ' a u t r e s n ' y v o n t q u e p o u r y f a i r e quelq u e profit, en vendant o u en achetant9 ; tandis qu'il est u n e t r o i s i è m e classe, et la p l u s n o b l e , qui n ' y recherche ni les a p p l a u d i s s e m e n t s ni le p r o f i t , qui ne s ' y r e n d q u e p o u r o b s e r v e r a t t e n t i v e m e n t ce q u i se f a i t et c o m m e n t les c h o s e s se p a s s e n t : d e m ê m e n o u s s o m m e s v e n u s d ' u n e a u t r e vie, d ' u n e a u t r e e x i s t e n c e 10 c o m m e o n v a d ' u n e ville à u n e g r a n d e f o i r e , les u n s , p o u r c h e r c h e r la g l o i r e ; les a u t r e s , l ' a r g e n t ; u n p e t i t n o m b r e s e u l e m e n t d é d a i g n a n t t o u t le r e s t e et s ' a p p l i q u a n t à b i e n é t u d i e r la n a t u r e des c h o s e s . C e s o n t l à des h o m m e s q u ' o n a p p e l l e a m i s d e la s a g e s s e , c ' e s t - à d i r e p h i l o s o p h e s ; et c o m m e à l ' é g a r d des j e u x le p a r t i le p l u s n o b l e est d ' y a s s i s t e r s a n s e s p r i t d e l u c r e , d e m ê m e , d a n s la vie, l ' é t u d e et la c o n n a i s s a n c e des c h o ses s o n t d e b e a u c o u p p r é f é r a b l e s à t o u t le reste ». T u s c u l a n e s , V, m , t r a d . M . M a t t e r , P a r i s , 1834. Les s e p t s a g e s La liste des sept sages ou encore sophistes (à l'origine ces deux termes sont synonymes) est, dès l'Antiquité, sujette à controverse. Chaque cité se dispute en effet l'honneur d'avoir donné naissance à un sage. Diogène Laërce (début du Ille siècle apr. J.-C.), au livre i de ses Vies et opinions des philosophes illustres, en énumère onze, dont il reproduit les apophtegmes ou sentences. Stobée, doxographe du v. siècle apr. J.-C., a réduit leur nombre à sept : Cléobule, Solon, Chilon, Thalès, Pittacos, Bias et Périandre, qui illustrent les cités de Lindos, Athènes, Lacédémone, Milet, Lesbos, Priène et Corinthe. Cléobule. L a mesure est ce qu'il y a de plus excellent. Solon. Rien de trop. Chilon. Connais-toi toi-même. Thalès. Fais des promesses, la faute n'est pas loin. Pittacos. Connais le moment o p p o r t u n . Bias. L a plupart des hommes sont malhonnêtes. Périandre. L'étude est universelle. Mais nul ne peut assurer l'authenticité d'une telle tradition. 3. Dialogue du roi et du philosophe L e texte le plus ancien où apparaisse le verbe philosopher est le passage où l'historien grec Hérodote (ionien du Ve siècle avant J.-C.) rapporte l'entretien sur le bonheur, que le sage (appelé ici sophiste) Solon eut avec Crésus, le richissime roi de Lydie, au VIe siècle avant J.-C. Ce témoignage est f o r t précieux. On y relève en effet les caractères d u dialogue réfutatif qui échoue de p a r la mauvaise f o i de l'adversaire. Mais le vrai b o n h e u r n'est p a s f a i t de richesse : il appelle la piété véritable, la soumission à la fortune, et son idéal est celui de /'autarcie (se suffire à soi-même) qui, p l u s tard, p o u r Aristote, caractérisera un style de vie p r o p r e m e n t divin. Le p r o p o s philosophique est essentiellement paradoxal. Hérodote 1. La volonté de philosopher. Solon alla en Égypte chez Amasis et ensuite à Sardes chez Crésus. Là, il fut hébergé par Crésus dans le palais royal. Deux ou trois jours après son arrivée, des serviteurs, sur l'ordre de Crésus, le promenèrent à travers les trésors et lui montrèrent que tout était magnifique et opulent. Quand il eut tout regardé et examiné à son aise, Crésus lui demanda : « Mon hôte Athénien, le bruit de ta sagesse, de tes voyages, est arrivé jusqu'à nous ; on nous a dit que le goût du savoir1 et la curiosité t'ont fait visiter maints pays ; aussi le désir m'est-il venu maintenant de te poser une question : as-tu déjà vu un homme qui soit le plus heureux du monde ? » Il posait cette question dans l'idée qu'il était le plus heureux des hommes. Mais Solon, sans flatterie et en toute sincérité, répondit : « Oui, roi : Tellos d'Athènes. » Surpris de cette réponse, Crésus demanda avec vivacité : « Pour quelle raison estimes-tu donc que Tellos soit le plus heureux ? » Et Solon : « Tellos, dans une ville fortunée, a eu des fils beaux et bons ; il a vu naître des enfants de tous ses fils, et tous ces enfants rester en vie... fortuné luimême, pour un homme de chez nous, il eut une fin de vie très brillante ; dans un combat livré à Éleusis par les Athéniens à leurs voisins, il marcha à l'ennemi, le mit en déroute, et périt glorieusement ; les Athéniens l'ensevelirent aux frais du public là même où il était tombé, et lui rendirent de grands honneurs. » En vantant le bonheur et la destinée de Tellos, Solon avait excité Crésus à questionner ; Crésus lui demanda qui, des hommes qu'il avait vus, serait le second après Tellos ; il était fermement persuadé que la seconde place au moins serait pour lui. Mais Solon répondit : « Cléobis et Biton. Ils étaient de race argienne, jouissaient de ressources suffisantes, et, de plus, d'une force corporelle dont voici les preuves : tous deux pareillement avaient remporté des prix dans les concours, et on raconte, d'eux, cette histoire. Un jour de fête d'Héra chez les Argiens, il fallait absolument que leur mère fût portée au sanctuaire par un attelage ; et leurs bœufs n'étaient pas arrivés des champs en temps voulu ; empêchés d'attendre faute de temps, les jeunes 2. Expression suprême de p a r a d o x e philosophique : il est des valeurs qui transcendent nos vies. 3. C ' e s t la déesse qui se trouve ici honorée. 4. Ces statues sont encore a u j o u r d ' h u i conservées au musée de Delphes. 5. Plutarque, historien et philosophe du IIe siècle, accuse ici H é r o d o t e de faire mensongèrement et i m p u d e m m e n t proférer p a r Solon u n e opinion qui n'est pas la sienne, mais celle de Crésus. C ' e s t là u n procédé qui sera reconnu c o m m e dialectique (De la malignité d ' H é r o d o t e , c. m , éd. J. A m y o t , II, 1048). 6. N o t e r l'étroitesse d u lien qui unit ici sagesse et science. gens se mirent eux-mêmes sous le joug et traînèrent le char, le char où leur mère avait pris place ; ils la transportèrent pendant quarante-cinq stades et arrivèrent au sanctuaire. Cet exploit accompli à la vue de l'assemblée, ils terminèrent leur vie de la meilleure façon ; et, dans la circonstance, la divinité fit bien voir que, pour l ' h o m m e , il vaut mieux être mort que vivant2. Les Argiens, entourant les jeunes gens, les félicitaient de leur force ; les Argiennes félicitaient leur mère d'avoir de semblables enfants ; elle, charmée de leur action et de l'éloge q u ' o n en faisait, debout en face de la statue divine, pria la déesse d'accorder à Cléobis et à Biton ses fils, qui l'avaient grandement honorée3, ce que l ' h o m m e peut obtenir de meilleur. À la suite de cette prière, après le sacrifice et le banquet, les jeunes gens s'endormirent dans le sanctuaire même ; et ils ne se relevèrent plus, mais trouvèrent là leur fin. Les Argiens firent faire d'eux des statues qu'il consacrèrent à Delphes comme celles d'hommes excellents 4. » Ainsi Solon attribuait à Cléobis et Biton le second prix de bonheur. Sur quoi Crésus en colère : « Et notre bonheur à nous, m o n hôte d'Athènes, estil donc par toi rebuté et tenu pour néant au point que tu ne nous aies pas même trouvé digne de rivaliser avec de simples particuliers ? » Solon répondit : « Crésus, je sais que la divinité est toute jalousie et qu'elle aime à s e m e r le t r o u b l e , et t u m ' i n t e r r o g e s sur des affaires humaines5. Dans la longue durée d ' u n e vie, on a l'occasion de voir beaucoup de choses que l'on ne voudrait pas, et de pâtir aussi de beaucoup. Je fixe à soixante-dix ans la limite de la vie d ' u n homme. Ces soixante-dix périodes d ' u n e année donnent vingt-cinq mille deux cents jours, sans mois intercalaire ; si une sur deux doit être allongée d ' u n mois, p o u r que le cycle des saisons coïncide avec l'année et qu'elles arrivent au juste moment, les mois intercalaires, au cours de soixante-dix années, sont au nombre de trente-cinq ; et les jours que donnent ces mois, au nombre de mille cinquante. Or, de toutes les journées qui forment les soixante-dix ans — il y en a vingt-six mille deux cent cinquante — l'une n ' a m è n e rien du tout de pareil à ce q u ' a m è n e l'autre. Dans ces conditions, Crésus, l ' h o m m e n'est que vicissitude 6. T u 7. Le Grec, à la vie pauvre et frugale, n'a pas à envier l'opulence orientale. Cet idéal ascétique sera encore celui d'Épicure. 8. Apparaît ici le concept d'autarcie. La vie contemplative ou théorétique devra sa supériorité sur les autres modes de vie au fait qu'elle peut se passer de tout concours ou moyen extérieur. (Voir Aristote, Ethique à Nicomaque, I, 5. 1097 b 14 : « En ce qui concerne le fait de se suffire à soimême, voici quelle est notre position : c'est ce qui, pris à part de tout le reste, rend la vie désirable et n'ayant besoin de rien d'autre. Or tel est, à notre sentiment, le caractère du bonheur. » [Trad. J. Tricot, p. 56].) m'apparais comme le possesseur de beaucoup de richesses, le roi de beaucoup de sujets ; mais ce que tu m'as demandé, je ne peux dire encore que tu le sois, avant d'avoir appris que tu aies terminé tes jours dans la prospérité. L ' h o m m e très riche, en effet, n'est nullement plus heureux que celui qui vit au jour le jour, si la fortune ne l'accompagne et ne lui donne de bien finir sa vie au milieu d ' u n e prospérité complète. Bien des hommes puissamment riches sont sans bonheur, tandis que beaucoup d'autres, disposant de médiocres ressources, ont à se louer de la fortune7. L ' h o m m e très riche sans bonheur n ' a que deux avantages sur l ' h o m m e à qui la fortune est favorable, tandis que celui-ci en a beaucoup sur le riche sans bonheur. L ' u n a plus de moyens pour satisfaire ses désirs et pour supporter le choc d ' u n e grande calamité. Mais l'autre a sur lui ces avantages : s'il n'est pas capable à u n pareil degré de supporter calamité et désir, sa bonne fortune les écarte de lui ; il est sans infirmités, sans maladies, à l'abri des maux, il a de beaux enfants, il est beau ; si, de plus, il a encore une belle fin de vie, le voilà celui que tu cherches, celui qui mérite d'être appelé heureux ; mais, avant qu'il soit mort, attendons, ne disons pas encore qu'il soit heureux, disons que la fortune lui sourit. Il n'est pas possible, q u a n d on est homme, de réunir tous les avantages dont j ' a i parlé, pas plus q u ' a u c u n pays ne suffit à se fournir de tout8 ; s'il possède telle chose, il manque de telle autre ; et le pays qui en possède le plus, celui-là est le meilleur du monde. Pareillement, aucun individu humain, isolé, ne peut se suffire ; s'il possède un bien, un autre lui fait défaut ; et l'homme qui passe sa vie en possession de beaucoup de biens et ensuite la termine doucement, celui-là, à m o n sens, a le droit d'obtenir, ô roi, le titre d'heureux. Mais il faut considérer en toutes choses la fin, et comment elles tourneront ; car il y a eu déjà beaucoup de gens à qui la destinée a laissé voir le bonheur et qu'elle a renversés de fond en comble. » Ces paroles de Solon, je pense, ne firent pas plaisir à Crésus ; ne l'ayant jugé digne d'aucune considération, Crésus le congédia, persuadé que c'était sottise de dédaigner les biens présents et d'inviter à voir la fin de toutes choses. Après le départ de Solon, la vengeance divine frappa cruellement Crésus, parce que, je suppose, il s'était cru le plus heureux de tous les hommes. Histoires, I, 30, trad. Ph.-E. Legrand, Les Belles Lettres, Paris Doxographie e t dialectique . Une littérature fragmentaire Il n'est aucun philosophe de l'Antiquité dont nous possédions l'œuvre complète. Qu'on songe seulement aux plus grands : Platon, dont nous lisons les dialogues et dont l'enseignement oral n'est connu qu'indirectement ; Aristote, dont les ouvrages destinés au grand public avaient fait la gloire et dont les cours, miraculeusement retrouvés, sont seuls accessibles complètement ; et à Cicéron lui-même, dont l'ouvrage le plus célèbre, l' Hortensius, que saint Ambroise avait fait lire à saint Augustin, est lui aussi perdu. e Fragments et témoignages Les ouvrages dits perdus sont fragmentairement et indirectement connus. On appelle fragment une citation qui comporterait aujourd'hui des guillemets ; elle figure dans un écrit tardif qui l'utilise pour s'en inspirer ou pour en contester la teneur. On appelle témoignage un compte rendu soit fidèle, soit polémique, mais non littéral, d'une thèse ancienne retranscrite par un philosophe. e Opinions et doxographie Il existe, propres aux écoles ou destinés à la publication, des recueils d'opinions ou encore doxographies. Ces recueils, composés par des doxographes, comme Aétius, Diogène Laërce ou Stobée, sont destinés à fournir un matériau permettant d'aborder dialectiquement l'étude des problèmes philosophiques. e La dialectique au sens d'Aristote Par dialectique, Aristote entend « une méthode qui nous rendra capables de raisonner déductivement, en prenant appui sur des idées admises, sur tous les sujets qui peuvent se présenter, comme aussi, lorsque nous aurons nous-mêmes à répondre d'une affirmation, de ne rien dire qui lui soit contraire ». (Aristote, Topiques, 1, 1, 100 a 18.) Cette méthode permet donc de découvrir les principes servant de points de départ aux raisonnements syllogistiques et démonstratifs. Pour connaître les opinions admises, Aristote et ses successeurs, Théophraste en particulier, ont été conduits à composer et à faire composer des recueils d'opinions, ou encore doxographies. C'est à cette méthode qu'est redevable la pratique encore actuelle de faire le point de la question. Son but n'est que secondairement historique : il est essentiellement dialectique et philosophique. 4. Dialectique et opinions Aristote 1. Principe ou point de départ d ' u n raisonnement. 2. L a dialectique procède aussi par paradoxe, comme pour son f o n d a t e u r , Z é n o n d'Élée. 3. L ' œ i l émet un flux lumineux qui rencontre le rai lumineux en provenance de l'objet. 4. Voir ci-dessus, note 1. 5. O n peut imaginer que le professeur de philosophie dispose d ' u n matériau pédagogique, sous forme de tableaux que l ' o n suspend au m u r de la classe, au début de la leçon. 6. Empédocle n'est pas le seul à fixer à quatre le n o m b r e des éléments. Il existe autant de manières de recueillir des prémisses que d'espèces distinguées dans le chapitre que nous avons consacré à la prémisse1 : on peut retenir les opinions qui sont celles de tous les hommes, ou de presque tous, ou de ceux qui représentent l'opinion éclairée, et parmi ceux-ci, celles de tous, ou de presque tous, ou des plus connus, exception faite de celles qui contredisent les évidences communes ; et aussi toutes celles qui sont en accord avec la science ou la technique. Il est également légitime de proposer le contraire des évidences communes probables, mis sous forme négative 2 (...). Il n'est pas moins utile de forger soimême des prémisses, en rassemblant non seulement celles qui sont effectivement des idées admises, mais aussi celles qui leur ressemblent, par exemple, que les contraires relèvent du même sens, puisqu'ils relèvent du même savoir ; en encore, que la vue s'effectue par réception de quelque chose en nous, non par émission de quelque chose hors de nous 3, puisque c'est ainsi qu'opèrent les autres sens : de fait, l'ouïe s'effectue par réception de quelque chosè en nous, non par émission de quelque chose hors de nous, le goût pareillement, et de même les autres. En outre, on peut poser c o m m e u n principe et c o m m e u n e thèse admise 4 t o u t ce qui à première vue se vérifie dans la totalité ou la quasi-totalité des cas ; car les interlocuteurs accordent une prémisse lorsqu'ils ne voient pas dans quel cas elle ne se vérifie pas. Il faut encore recueillir des prémisses dans les livres, et dresser des tableaux pour chaque catégorie de sujets5, avec des têtes de rubriques séparées, par exemple « le bien » ou « l'animal », « bien » devant être entendu dans toute son ampleur, en commençant par l'essence. On indiquera en marge, à chaque fois, le nom des tenants de ces opinions, notant par exemple que c'est Empédocle qui dit que les é l é m e n t s des corps sont au n o m b r e de quatre 6 ; car une chose a toutes chances d'être acceptée quand c'est quelqu'un de célèbre qui l'a dite. Topiques I, 14. 105 a 34, trad. J. Brunschwig, Les Belles Lettres, Paris, 1967. 5. Raison et philosophie L a nécessité de proposer des explications rationnelles conduit les premiers philosophes à dénoncer le recours aux mythes. Les mythes prétendent rendre compte des origines en faisant appel à des forces divines. En grec, qui dit mythologie dit théologie. L a philosophie, hostile aux fables, se doit de critiquer Homère. 5.1. La raison contre les fables 5.1.1. Xénophane (fin du VIe siècle avant J.-C.) Ionien originaire de Colophon, p o u r échapper à l'invasion des Mèdes, Xénophane vint se fixer à Élée en Italie du sud, où il f o n d a l'école éléate (voir p. 94). D a n s une œ u v r e satirique en vers, les Silles, il critique et ridiculise les théologiens. Le verbe sillaniser sera synonyme de critiquer. (Les chiffres romains indiquent les numéros des f r a g m e n t s dans Les Présocratiques.) Bx Hérodien 1 1. Grammairien du ne siècle. Cette citation témoigne de l'intérêt critique que Xénophane porte à Homère. Puisque, dès le début, on sait avec Homère [...] Sur les voyelles à double temps, 296, 6 (Xénophane, B x, p. 117). XI Sextus Empiricus1 1. Médecin et philosophe sceptique du lie siècle. 2. Auteur légendaire de l' Iliade et de l' Odyssée. 3. Auteur, au VIlle siècle avant J.-C., de la Théogonie. Les dieux sont accusés par Homère2 et Hésiode3 De tout ce qui chez nous est honteux et blâmable : On les voit s'adonner au vol, à l'adultère Et se livrer entre eux au mensonge trompeur. Contre les mathématiciens, IX, 193 (Xénophane, B xi, p. 117). XII Sextus Empiricus Homère et Hésiode, d'après Xénophane de Colophon : « C a r ils o n t r a c o n t é s u r le c o m p t e des d i e u x T o u t e s s o r t e s d ' a c t i o n s q u i d é f i e n t la j u s t i c e : Ils les f o n t s ' a d o n n e r a u v o l , à l ' a d u l t è r e , E t se livrer e n t r e e u x a u m e n s o n g e t r o m p e u r . » I b i d . , I, 289 ( X é n o p h a n e B x n , o p . c i t . , p p . 117-8). XIII Aulu-Gelle 1 1. Grammairien et philosophe latin du IIe siècle. 2. Historien grec du IIIe siècle avant J.-C. Les uns ont écrit q u ' H o m è r e était plus âgé qu'Hésiode : parmi eux se trouvent Philochoros2 et Xénophane ; d'autres ont dit qu'il était plus jeune. Nuits attiques, III, 11 (Xénophane B xm, op. cit., p. 118). XIV Clément d'Alexandrie 1 1. Père de l'Église grecque, début du m» siècle. Des dieux, les mortels croient que comme eux ils sont [nés, Qu'ils ont leurs vêtements, leur voix et leur [démarche. Stromates, V, 109 (Xénophane B XIV, op. cit., p. 118). xv Clément d'Alexandrie « Cependant si les bœufs, les chevaux et les lions Avaient aussi des mains, et si avec ces mains Ils savaient dessiner, et savaient modeler Les œuvres qu'avec art, seuls, les hommes façonnent, Les chevaux forgeraient des dieux chevalins, Et les bœufs donneraient aux dieux forme bovine : Chacun dessinerait pour son dieu l'apparence Imitant la démarche et le corps de chacun. » Stromates, V, 110 (Xénophane B xv, op. cit., p. 118). XVI Clément d'Alexandrie 1. C o m m e le fragment précédent, celui-ci dénonce l'anthropomorphisme. « Peau noire et nez camus : ainsi les Éthiopiens Représentent leurs dieux, cependant que les Thraces Leur donnent des yeux pers et des cheveux de feu » Stromates, VII, 22 (Xénophane B xvi, op. cit., p. 118). XVIII Stobée 1 1. Jean de Stobi, macédonien, est un doxographe du Ve siècle. 2. Ainsi les progrès de la raison sont-ils les fruits d'un long travail humain. « Ce n'est pas dès le commencement que les dieux Ont tout dévoilé aux mortels ; mais, en cherchant, Ceux-ci, avec le temps, découvrent le meilleur2. » Choix de textes, I, vin, 2 ; Florilège, III, x x i x , 41 (Xénophane, B x v i n , op. cit., p. 119). On peut lire dans Sextus Empiricus deux citations empruntées elles aussi à des Silles composés cette fois par Timon, auteur sceptique du début du IIIe siècle. (Voir Xénophane A xxxv, in Les Présocratiques, p. 107.) Timon 1. Timon. 2. Xénophane se voit reprocher de n'avoir pas été un vrai sceptique... Car ill le loue en de nombreux passages, au point de lui dédier ses Silles ; mais il l'a fait se plaindre en ces termes : « Ah ! Que n'ai-je montré un esprit plus prudent, Et jeté sur le monde un regard dédoublé2 ! Je me suis engagé sur une voie trompeuse Et me voici, vieillard, tout aussi maladroit Sur toute la sceptique. En effet, quel que fût Le lieu où mon esprit orientait sa recherche, J'avait une réponse avec l'Un et le Même, Tout entier existant et retournant sans cesse À une nature une et en tous points semblable. » Cité par Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrrhoniennes, I, 223 (Xénophane A xxxv, op. cit., p. 107). « X é n o p h a n e , u n e s p r i t m o d e s t e et le c e n s e u r D e s m e n s o n g e s f o r g é s p a r la g e n t h o m é r i q u e . D e D i e u il c o m p o s a u n e i m a g e a p u r é e Q u i n e d o i t r i e n à l ' h o m m e : u n D i e u p a r t o u t égal, I m m o b i l e , d ' u n b l o c , et d o u é d ' u n intellect Bien plus intelligent q u e l'est t o u t e pensée. » 3. Voir infra, p. 94 et suiv. Il a e m p l o y é e s p r i t m o d e s t e p a r c e q u e , e n u n cert a i n sens, X é n o p h a n e était sans v a n i t é ; et il l ' a dit censeur des mensonges d ' H o m è r e parce qu'il a critiqué les m e n s o n g e s d ' H o m è r e . M a i s c o n t r a i r e m e n t a u x n o t i o n s c o m m u n e s des a u t r e s h o m m e s , X é n o p h a n e a p r o f e s s é d o g m a t i q u e m e n t 3 q u e le T o u t est u n , q u e D i e u est c o n n a t u r e l à t o u t e s choses, q u ' i l est s p h é r i q u e , i m p a s s i b l e , i m m u a b l e et r a i s o n n a b l e . ( I b i d . , I, 225.) 5.1.2. Héraclite d'Ephèse (VIe-Ve siècles avant J.-C.) Rationaliste lui aussi, Héraclite critique vivement les faiseurs de mythes. On lira successivement un témoignage (A XXII) et quelques f r a g m e n t s tirés de l'édition des Présocratiques. A xxil Nouménios1 1. Nouménios d'Apamée, néoplatonicien du ne siècle. Nouménios loue Héraclite d'avoir blâmé Homère qui avait souhaité la disparition et l'anéantissement des maux de la vie, sans comprendre que, ce faisant, il demandait la fin du monde, puisque la matière, source des maux, serait entièrement supprimée. F r a g m e n t 16, éd. Thedinga, cité par Chalcidius, Commentaire sur le Timée de Platon, 297 (Héraclite, A XXII, op. cit., p. 145). 1. Doxographe du début du Ille siècle. 2. Historien milésien du milieu du VIe siècle avant J.-C. Comme Pythagore et Xénophane, il n'aurait pas aperçu que l'Un doit envelopper la contradiction. B XL Diogène Laërce1 Un savoir universel n'instruit pas l'intellect. Sinon il aurait instruit Hésiode et Pythagore, ainsi q u e Xénophane et Hécatée 2. Vies, (Héraclite B XL, op. cit., p. IX, 1 155). XLII Diogène Laërce 1. Poète lyrique du viie siècle avant J.-C. Il d i s a i t : « Homère m é r i t e d ' ê t r e c h a s s é des c o n c o u r s et b a s t o n n é et A r c h i l o q u e 1 d e m ê m e . » Vies, I X , i ( H é r a c l i t e B XLII, o p . c i l . , p. 156). LVI Hippolyte1 1. Saint Hippolyte, évêque et m a r t y r du me siècle. 2. F a u t e de résoudre cette énigme, H o m è r e serait m o r t de chagrin. Trompés, dit [Héraclite], sont les hommes quant à leur connaissance des visibles, tout comme Homère, qui était plus sage que tous les Grecs réunis. Car des enfants qui tuaient des poux le trompèrent en disant : « Ce que nous avons vu et pris, nous le laissons. Ce que nous n'avons ni vu ni pris, nous l'emportons 2. » Réfutation de toutes les hérésies, IX, 9 (Héraclite B LVI, op. cit., pp. 158-9). LVII Hippolyte 1. Philosopher pour Héraclite, c'est appréhender l'union rationnelle des contraires. (Voir infra p. 45.) Instituteur de la plupart des hommes est Hésiode. Ils savent qu'il connaissait beaucoup de choses lui qui n'était pas capable de comprendre le jour et la nuit car ils sont un 1. Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10 (Héraclite, B LVII, op. cit., p. 159). 5.1.3. Platon (voir p. 316) Il s'inscrit lui aussi dans cette tradition. Au nom de la philosophie, il doit tenir Homère pour un imitateur ignorant qui n 'est ni l'instituteur de la Grèce, ni un maître de vertu. Platon Maintenant nous ne demanderons pas compte à Homère ni à tout autre poète de mille choses dont ils ont parlé ; nous ne demanderons pas si tel d'entre eux 1. Divinité du temple d'Épidaure dont l'équivalent latin sera Esculape. 2. Voir la fiche « Les Sept sages » (p. 16). 3. Frère de Platon, interlocuteur de Socrate dans La République. 4. Les poètes successeurs d'Homère. 5. Voir la fiche « Les Sept sages » (p. 16). Anacharsis, ami de Solon, ne figure pas sur la liste établie par Stobée. a été un habile médecin, et non un simple imitateur du langage des médecins, quels malades un poète ancien ou moderne passe pour avoir guéris, comme l'a fait Asclépios1, ou quels disciples savants en médecine il a laissés après lui, comme celui-ci a laissé ses descendants. Ne les interrogeons pas non plus sur les autres arts : faisons-leur en grâce. Mais pour les sujets les plus importants et les plus beaux dont Homère s'est mêlé de parler, tels que la guerre, le commandement des armées, l'administration des États, l'éducation de l'homme, il est peut-être juste de l'interroger et de lui dire : « Cher Homère, s'il est vrai qu'en ce qui regarde la vertu tu ne sois pas éloigné de trois degrés de la vérité, et que tu ne sois pas le simple ouvrier d'images que nous avons dénommé imitateur ; si tu t'élèves jusqu'au second degré et si tu fus jamais capable de connaître quelles institutions rendent les hommes meilleurs ou pires dans la vie privée et dans la vie publique, dis-nous quel État te doit la réforme de son gouvernement, comme Lacédémone en est redevable à Lycurgue2 et beaucoup d'États grands et petits à beaucoup d'autres. Quel État reconnaît que tu as été un bon législateur et que tu lui as fait du bien? L'Italie et la Sicile ont eu Charondas2, et nous, Solon ; mais toi, dans quel État as-tu légiféré ? » Pourrait-il en citer un ? Je ne le pense pas, dit Glaucon3 ; les Homéri- des4 eux-mêmes n'en disent rien. Mais fait-on mention d'une guerre qui ait eu lieu de son temps et qu'il ait heureusement conduite par lui-même ou par ses conseils ? D'aucune. Mais le donne-t-on pour un homme habile dans les travaux et cite-t-on de lui mainte invention ingénieuse dans les arts ou dans tout autre domaine d'activité, comme on le fait de Thalès de Milet et d'Anacharsis le Scythe5 ? On n'en cite rien de tel. Mais ce qu'il n'a point fait pour les États, l'a-t-il fait pour les particuliers ? en est-il dont il passe pour avoir dirigé lui-même l'éducation pendant sa vie, qui l'aient aimé pour ses leçons et qui aient transmis à la postérité un plan de vie homérique, comme Pythagore qui fut extraordinairement aimé pour cela, et dont les sectateurs suivent encore aujourd'hui un régime de vie qu'ils appellent pythagorique, régime qui les distingue de tous les autres hommes ? Platon, L a République X, 599 b, trad. É. Chambry, Les Belles Lettres, Paris, 1948. 5.2. La raison au secours des fables : l'interprétation allégorique Si l'on veut sauver les mythes et conserver leur intérêt, il f a u t tenter d'en p r o p o s e r une lecture allégorique. Cette démarche nouvelle et qui f e r a école — songeons au stoïcien Chrysippe (280-207), à Cicéron (106-43) et à l'épicurien Philodème de Gadara (Ier siècle avant J.-C.), et, à l'époque moderne, à Spinoza dans le Traité théologico-politique ou à l'historien de l'alchimie D o m Pernety dans Les Fables égyptiennes et grecques — est inaugurée p a r Métrodore de L a m p s a q u e (ve siècle avant J.-C.), un disciple d'Anaxagore. N o u s citons ici les témoignages //, /// et i v f i g u r a n t dans Les Présocratiques (pp. 693-694). A 11 Diogène Laërce 1 1. Doxographe du début du IIIe siècle. 2. Voir p. 129. Métrodore de Lampsaque, le familier d'Anaxagore 2, a poussé encore plus loin sa philosophie et fut le premier à étudier Homère sous l'angle de la philosophie de la nature. Vies, II, II. III Tatien 1 1. Sophiste chrétien du IIe siècle. Métrodore de Lampsaque, dans son ouvrage sur Homère, s'est livré, lui aussi, à des considérations tout à fait naïves en s'efforçant de tout ramener à un sens allégorique : car Héra, Athéna et Zeus ne sont nullement, dit-il, ce qu'en pensent ceux qui leur bâtissent des temples et leur élèvent des autels. Ce sont en réalité des principes de la nature et des dispositions d'éléments. Manifestement Hector et Achille, ainsi qu'Agamemnon et en un mot tous les Grecs et les bar- 2. Homère aurait donc traité allégoriquement de la nature. bares, y compris Hélène et Pâris, sont des réalités également naturelles2 ; mais on a introduit ces personnages p o u r les besoins du récit, direz-vous, bien q u ' a u c u n d'eux n'ait réellement existé. Contre les Grecs, 21. IV Philodème1 1. Philodème de Gadara, auteur épicurien du Ier siècle av. J.-C. 2. Ou encore Pâris. Il traitait des lois et des coutumes en usage chez les hommes, et ajoutait qu'Agamemnon est l'éther, Achille le Soleil, Hélène la Terre, et Alexandre 2 l'air, Hector la Lune, et que les autres personnages remplissent aussi le rôle de dénominations symboliques. Parmi les dieux, Déméter est le foie, Dionysos la rate et Apollon la bile. Papyrus d'Herculanum, collectio altéra, VII, III, fragment 90. Là encore, on constate, dès le commencement, la liaison étroite entre philosophie et raison. Le savoir, sous toutes ses formes, est toujours rationnel. 6. Géographie philosophique La philosophie grecque a une double origine, ionienne et italienne. En Ionie (notre Asie Mineure), la physiologie — ce terme désigne la science des réalités naturelles et les philosophes qui l'élaborent sont appelés physiologues — rend compte des phénomènes physiques : génération, dépérissement et essence même des choses, en les rapportant à une archè matérielle primitive. Archè signifie « souche, commencement », avant que la philosophie (grâce à Aristote) ne lui donne la valeur particulière de « principe ». Les plus illustres physiologues ioniens sont Thalès, Anaximandre, Anaximène, Héraclite et Diogène d'Apollonie. En Italie du Sud et en Sicile, siège de l'école pythagoricienne et de l'école éléate, on assigne au contraire au nombre et à l'essence intelligible le pouvoir de faire exister toute chose en lui imposant sa mesure. On dirait aujourd'hui que le principe ne réside plus dans la matière, mais dans les idées. Usons pourtant de ces notions avec prudence car, à cette époque archaïque, les termes de matière et d'idée n'ont pas encore la signification technique qui est aujourd'hui la leur. Lorsque conflueront à Athènes ces deux courants majeurs de la philosophie, celle-ci prendra la forme achevée que lui donneront Platon et Aristote. Le « miracle grec » sera accompli en philosophie. Proclus, néoplatonicien du Ve siècle, dans son commentaire du Parménide, dialogue où Platon a mis en scène la figure la plus marquante de l'école éléate, explique à la fois cette double origine en même temps que cette rencontre. Il invente, ce faisant, la géographie philosophique. Proclus 1. Ce lemme est une citation du début du Parménide de Platon (126 a) que Proclus va commenter. Céphale et les philosophes de Clazomènes représentent l'Ionie. Adimante et Glaucon sont les frères de Platon qui interrogent aussi Socrate dans La République. On sait aujourd'hui que La République et le Parménide ont été composés en même temps par Platon. 2. Formes ou idées constituant les seuls êtres véritables. 3. Les physiologues. 4. Phédon 96 a et suiv. Voir infra, Anaxagore (p. 138). « Lorsque nous fûmes arrivés à Athènes, de Clazomènes, notre patrie, nous rencontrâmes sur l'Agora Adimante et Glaucon 1 ». Les philosophes d'Italie, comme nous l'avons souvent dit, se sont occupés tout spécialement des choses qui sont des formes intelligibles2, et n'ont touché que très peu à la philosophie des choses, objets de l'opinion. Les philosophes d'Ionie 3, au contraire, se sont peu souciés de la théorie des intelligibles, ont étudié dans tous les sens la nature et les œuvres de la nature. Socrate et Platon abordant ces deux sujets ensemble, ont donné son complément à la philosophie qui restait trop pauvre, et exposé une philosophie plus haute et plus vaste. Et c'est ce que Socrate montre dans le Phédon 4 lorsqu'il dit qu'il s'était d ' a b o r d épris de la physiologie, mais qu'ensuite il s'était jeté avec une ardeur précipitée vers les Idées et les causes divines des êtres. Les idées philosophiques que ces deux écoles avaient exposées, Platon et Socrate réunirent ce qu'elles contenaient toutes deux de b o n et en formèrent une seule doctrine qui exprime la vérité la plus complète : et c'est là ce qu'il me semble que Platon nous indique par la présente scène, qui, ce qui mérite ici toute notre admiration, nous fait connaître déjà suffisamment les idées dont traitera le dialogue. En effet ce sont des Ioniens qui se rencontrent à Athènes, afin de participer à des doctrines plus parfaites, tandis que les personnages d'Athènes ne se rendent pas en Italie pour la même raison, afin de connaître les théories des philosophes de ce pays ; mais inversement, ceux-ci, venus à Athènes, leur communiquent leur propre philosophie. De sorte que pour ceux qui peuvent et savent 5. Proclus résume ici sa propre lecture (néoplatonicienne) de Platon. 6. Proclus invente ici la géographie philosophique. v o i r , il s ' a g i t des ê t r e s m ê m e s : les p r e m i e r s des ê t r e s s o n t p r é s e n t s p a r t o u t 5 , et n e r e n c o n t r e n t a u c u n empêchement, jusques a u x derniers, en passant p a r c e u x q u i o c c u p e n t le r a n g i n t e r m é d i a i r e ; les d e r n i e r s r e ç o i v e n t l e u r p e r f e c t i o n p a r l ' i n t e r m é d i a i r e des m o y e n s ; les m o y e n s r e ç o i v e n t e n e u x la c o m m u n i c a t i o n des p r e m i e r s , m e u v e n t les d e r n i e r s , les r e t o u r n e n t vers e u x - m ê m e s et d e v i e n n e n t p o u r ainsi d i r e les centres et les f o r c e s des e x t r ê m e s , r e m p l i s p a r les p l u s p a r faits, r e m p l i s s a n t les i m p a r f a i t s . L ' I o n i e s e r a d o n c le s y m b o l e d e la n a t u r e ; l ' I t a l i e d e la s u b s t a n c e intellect u e l l e ; A t h è n e s le s y m b o l e d e la s u b s t a n c e m o y e n n e p a r l ' i n t e r m é d i a i r e d e l a q u e l l e les â m e s réveillées remontent de la n a t u r e à la raison 6. C o m m e n t a i r e s u r le P a r m é n i d e trad. A. Ed. Chaignet, de Platon, Paris, 659, 1900, 25, p. 94. C h a p i t r e 2 Les écoles d'Ionie 1. T h a l è s Le plus ancien philosophe reconnu comme tel est Thalès de Milet. Il vécut à une époque très ancienne puisque, selon l'historien Hérodote (Histoires I, 74), il aurait prévu l'éclipse de soleil du 28 mai 585 avant J.-C. Toute réalité procède d'une archè, ou principe matériel, qui est l'eau. 1.1. De l'eau procèdent toutes choses et toute vie Aristote Rien ne se perd, tout se transforme. 2. Élément et principe sont des termes aristotéliciens. On ne saurait affirmer ni que Thalès en faisait usage, ni qu'il leur donnait cette valeur technique. La plupart des premiers philosophes estimaient que les principes de toutes choses se réduisaient aux principes matériels. Ce à partir de quoi sont constituées toutes les choses, le terme premier de leur génération et le terme final de leur corruption — alors que, la substance demeurant, seuls ses états changent1 — c'est cela qu'ils tiennent pour l'élément et le principe 2 des choses ; aussi estiment-ils que rien ne se crée et que rien ne se détruit, puisque cette nature est à jamais conservée [...]. Car il doit exister une certaine nature unique ou bien plusieurs, dont sont engendrées toutes les autres alors que celle-ci se conserve. Cependant tous ne sont pas d'accord sur le nombre et la forme d ' u n tel principe. P o u r Thalès, le fondateur de cette conception philosophique, ce principe est l'eau (c'est pourquoi il soutenait que la Terre flotte sur l'eau) ; peut-être 3. La semence est toujours de même nature que l'âme : ici, l'élément humide. 4. Allusion à Homère. 5. Un des fleuves des Enfers. admit-il cette théorie en constatant que toute nourriture est humide et que le chaud lui-même en tire génération et vie (or, ce dont procède la génération est principe de toutes choses) ; voilà ce qui le conduisit à admettre cette théorie, et aussi le fait que les semences de toutes choses ont une nature humide3, de telle sorte que l'eau est pour les choses humides le principe de leur nature. Mais certains estiment que même les anciens qui se situent bien avant la génération actuelle et furent les premiers à faire de la théologie 4 admettaient la même théorie touchant la nature. Ils faisaient d'Océan et de Thétys les ancêtres de la génération et disaient que le serment des dieux se fait par l'eau, à laquelle les poètes donnent le nom de Styx5 : car le plus ancien est le plus respectable et c'est par le plus respectable que l'on prête serment. Métaphysique, A, 3. 983 b 6 (A xii, Les Présocratiques, p. 15). Galien 1 1. Médecin du nc siècle. 2. Cette formule ne peut guère être attribuée à Thalès, car c'est Empédocle qui passe pour avoir inventé les quatre éléments. Bien que Thalès ait déclaré que toutes les choses sont composées à partir de l'eau, il n'en veut pas moins que les éléments subissent de mutuelles transmutations. Le mieux est de citer son propre propos, au livre second de son traité Sur les principes où il déclare : « Quant aux célèbres quatre éléments2, dont nous disons que le premier est l'eau, que nous posons en quelque sorte en élément unique, ils se mélangent mutuellement par combinaison, solidification et composition des choses du monde ». Sur les humeurs d'Hippocrate, I, 1 (B ni, op. cit., p. 22). Aristote 1. La pierre d'Héraclée a des propriétés magnétiques. Le fer, comme tout métal, est fusible. Son élément est donc l'eau. L'eau est l'âme qui le meut vers l'aimant. Il semble aussi que Thalès, à ce qu'on rapporte, ait tenu l'âme pour quelque chose de moteur, puisqu'il a dit que la pierre d'aimant a une âme, étant donné qu'elle meut le fer 1. De l'âme, I, 2. 405 a 19 (A xxii, p. 21). 1.2. A s t r o n o m i e et g é o m é t r i e L ' i n t é r ê t d e s m i l é s i e n s p o u r l ' a s t r o n o m i e e s t lié à la r é f l e x i o n s u r le t e m p s (voir a u s s i A n a x i m a n d r e ) p a r c e q u e rien n e m e u r t , t o u t s e t r a n s f o r m e , et q u ' e n f i n d e c o m p t e , a u t e r m e d ' u n e p é r i o d e , les c h o s e s s e r e n d e n t j u s t i c e . M a i s à l ' a s t r o n o m i e s e t r o u v e liée la g é o m é t r i e . 1.2.1. L ' a s t r o n o m i e Dercyllide 1 1. Commentateur de Platon, probablement au i" siècle. 2. Élève d'Aristote. 3. Pythagoricien du Ve siècle. Eudème2 rapporte dans son Histoire de l'astronomie qu'CEnopide 3 découvrit le premier l'obliquité du zodiaque et le cycle de la grande année et Thalès l'éclipsé du Soleil et le caractère non toujours égal de la période des solstices. Cité par Théon de Smyrne, Commentaire de Platon, éd. Hiller, p. 198, 14 (A xvii, op. cit., p. 18). 1.2.2. Les théorèmes de Thalès Proclus 1 1. Néoplatonicien du Ve siècle. 2. Disciple d'Aristote et auteur supposé d'une Histoire de la géométrie. C'est Thalès qui le premier, à ce q u ' o n prétend, démontra que le diamètre partage le cercle en deux parties égales. Commentaire sur le premier livre des Éléments d'Euclide, 157, 10. Il faut rendre grâce à l'antique Thalès, entre autres découvertes, pour celle du théorème suivant : car on dit qu'il fut le premier à découvrir et à énoncer que les angles à la base de tout triangle isocèle sont égaux, bien qu'il ait appelé semblables, selon une terminologie plus ancienne, les angles qui sont égaux. Ibid., 250, 2 (A x x , op. cit., p. 20). Ce théorème selon lequel quand deux droites se coupent, les angles opposés par le sommet sont égaux, fut découvert p o u r la première fois, d ' a p r è s Eudème2, par Thalès. Ibid., 299, 1 (op. cit., p. 20). Eudème dans son Histoire de la géométrie attribue ce théorème [de l'égalité des triangles] à Thalès ; car, dit-il, la méthode par laquelle Thalès a montré comment mesurer la distance des navires en mer fait nécessairement appel à ce théorème. Ibid., 352, 14 (A x x , op. cit., p. 20). Pline 1 1. Savant r o m a i n (23-79). Thalès de Milet a trouvé une méthode pour mesurer la hauteur [des pyramides], en mesurant leur ombre à l'heure où elle est régulièrement égale à son objet. Histoire naturelle, XXXVI, 8 (A x x i , op. cit., p. 20). Plutarque 1 1. Philosophe et historien grec du début du ne siècle. Dressant seulement à plomb un bâton au bout de l'ombre de la pyramide, et se faisant deux triangles avec la ligne que fait le rayon du Soleil touchant aux deux extrémités, tu montras qu'il y avait telle proportion de la hauteur de la pyramide à celle du bâton, comme il y a de la longueur de l'ombre de l'un à l'ombre de l'autre. Le Banquet des Sept Sages, 2, p. 147 A (A XXI, op. cit., p. 21). 1.3. Prévoir mais rester désintéressé Platon s'est moqué plus ou moins de Thalès dans son Théétète (174 a). Aristote rectifie cette image. L a prévision scientifique confère au philosophe un p o u voir qui p o u r r a i t lui valoir la fortune. Mais la science est désintéressée. Aristote 1. Thalès invente un monopole : ici, celui des moulins à olives. Voyez l'histoire de Thalès de Milet. Voici la combinaison financière qu'il inventa, et bien qu'elle lui soit attribuée à lui personnellement, en raison de sa réputation d'habileté, elle est d'une portée tout à fait universelle 1. Comme on lui reprochait sa pauvreté qui attestait l'inutilité de la philosophie, il tira, dit-on, de ses observations astronomiques, la conclusion que la prochaine récolte d'olives serait fort abondante ; aussi, alors qu'on était encore en hiver, consacra-t-il le peu d'argent qu'il possédait à s'assurer la location de tous les pressoirs de Milet et de Chio, qu'il obtint à bas prix, n'ayant contre lui aucun enchérisseur. Quand l'occasion survint, une soudaine et forte demande se fit sur les pressoirs ; il les sous-loua aux conditions qu'il voulut, et la fortune qu'il en retira lui permit de montrer qu'il est aisé aux philosophes de s'enrichir, pour peu qu'ils le désirent, mais que ce n'est point vers ce but que tendent leurs vertueux efforts. Politique, I, 11. 1259 a 6, trad. J.-P. D u m o n t (A x, op. cit., p. 13). 2. Anaximandre P o u r cet ami et successeur de Thalès, /'élément ne saurait être le principe, mais il dérive de ce principe, appelé /'Illimité (ou Infini), p a r c e qu'il enferme une infinité de réalités et même de mondes possibles. Tout ce qui existe en est l'expression. Tout vient de lui et doit y retourner. 2.1. L'illimité Simplicius 1 1. Néoplatonicien de la fin du vie siècle, précieux commentateur d'Aristote. 2. Anaximandre donne à archè sa valeur technique. 3. De quelle nature est cette nécessité qui remplit la fonction de cause efficiente ou motrice ? L'état des textes conservés n'apporte pas de réponse à la question. 4. Le substrat est l' Illimité. Cet Illimité est-il matériel ? Sans l invention par Aristote du concept de matière, cette question serait presque vide de sens. 5. Mouvement produit par la nécessité. De ceux qui disent que le principe est un, m û et illimité, Anaximandre, fils de Praxiadès, de Milet, successeur et disciple de Thalès, a dit que l'Illimité est le principe et l'élément des choses qui sont, étant du reste le premier à user du terme de principe2. Il dit qu'il n'est ni l'eau, ni rien d'autre de ce que l'on dit être des éléments, mais qu'il est une certaine autre nature illimitée dont sont engendrés tous les cieux et tous les mondes qui se trouvent en eux. Ce dont la génération procède pour les choses qui sont est aussi ce vers quoi elles retournent sous l'effet de la corruption, selon la nécessité3, car elles se rendent mutuellement justice et réparent leurs injustices selon l'ordre du temps, dit-il lui-même en termes poétiques. Il est évident qu'après avoir observé la transformation mutuelle des quatre éléments, il ne pouvait estimer q u ' o n pût assigner à l'un un rôle de substrat4, mais qu'il fallait bien qu'il y eût quelque chose d'autre en plus de ces quatre éléments. Il ne pense pas que la génération se produit par altération élémentaire mais à l'opposé par dissociation des contraires sous l'effet du mouvement éternel5. C'est la raison pour laquelle Aristote l'a classé avec ceux de l'école d'Anaxagore. Commentaire sur la Physique d'Aristote, 24, 13 (A ix, op. cit., p. 26). 2.2. Devenir et génération Voici comment toutes choses procèdent de /'Illimité. Pseudo-Plutarque1 1. A u t e u r a n o n y m e d o n t l ' œ u v r e est conservée avec les manuscrits de Plutarque. 2. Thalès. 3. L'illimité. Après lui2, Anaximandre, compagnon de Thalès, disait que l'Illimité est la cause universelle de toute génération et corruption, dont se sont, dit-il, discriminés les cieux et généralement tous les mondes, qui sont illimités. Il affirmait que leur corruption et, bien avant elle, leur génération, se produisait à partir de l'éternité illimitée, du fait de toutes leurs révolutions. La Terre, à ce qu'il prétend, a la forme d ' u n cylindre dont la profondeur est trois fois plus grande que la largeur. Il soutient encore que l'élément qui, à partir de l'éternité 3, engendre le chaud et le froid selon le processus de génération de ce monde, se trouve discriminé, et que de lui naît une sphère de feu qui enveloppe l'air autour de la Terre, comme fait l'écorce d ' u n arbre ; puis, de son éclatement en débris circulaires sont constitués le Soleil, la Lune et les astres. Il affirme encore que l ' h o m m e a été au commencement engendré à partir d'animaux d'espèce différente, compte tenu du fait que les autres animaux se nourrissent très tôt par leurs propres moyens, alors que l ' h o m m e est le seul à réclamer un allaitement prolongé : c'est pourquoi, au commencement, l ' h o m m e n'aurait pas pu trouver son salut, si sa nature avait déjà été telle qu'elle est maintenant. Stromates, 2 (A x, op. cit., p. 28). 2.3. Évolution des espèces Les espèces n'existent pas de toute éternité : elles sont produites peu à peu, par transformation et évolution. Aétius1 1. Doxographe. Voir la fiche « Doxographie », p. 20. Anaximandre dit que les premiers animaux sont nés dans l'humide, enveloppés par une écorce épineuse ; et que, le temps aidant, ils évoluèrent vers une c o n d i t i o n p l u s s è c h e et a p r è s a v o i r b r i s é l e u r é c o r c e , ils s u r v é c u r e n t u n c o u r t i n s t a n t . O p i n i o n s , V, x i x , 4 ( A x x x , op. cit., p. 38). Censorinus 1 1- Grammairien latin du Ille siècle. A n a x i m a n d r e d e M i l e t e s t i m a i t q u e d e l ' e a u et d e la t e r r e r é c h a u f f é e s é t a i e n t sortis soit d e s p o i s s o n s , soit des a n i m a u x t o u t à fait semblables a u x poissons. C ' e s t a u s e i n d e ces a n i m a u x q u ' o n t é t é f o r m é s les h o m m e s e t q u e les e m b r y o n s o n t é t é r e t e n u s p r i s o n n i e r s j u s q u ' à l ' â g e de la p u b e r t é ; alors s e u l e m e n t , a p r è s q u e ces anim a u x e u r e n t éclaté, en sortirent des h o m m e s et des f e m m e s d é s o r m a i s a p t e s à se n o u r r i r . D u j o u r d e la n a i s s a n c e , iv, 7 ( A x x x , o p . cit., p. 38). 3. Anaximène Anaximène (milieu du VIe siècle) renonce à tenir le principe p o u r illimité. C'est l'air qui tient lieu de matière ou de substrat et qui, p a r raréfaction et condensation, engendre tous les êtres. 3.1. L ' a i r se condense et se raréfie Simplicius1 1. Néoplatonicien de la fin du VIe siècle, précieux commentateur d'Aristote. 2. En termes aristotéliciens, cette expression désigne la matière. 3. Ces termes désignent la causalité efficiente ou motrice, responsable des changements qui affectent le substrat ou matière. Anaximène, fils d'Eurystrate, de Milet, disciple d'Anaximandre, dit encore comme lui que la nature qui fait fonction de substrat 2 est une et illimitée, mais ne la tient pas comme lui pour indéfinie, disant qu'elle est l'air ; celui-ci diffère selon les substances du fait de sa raréfaction ou de sa condensation : devenant plus subtil, il devient feu ; se condensant, il devient vent, puis nuage et plus loin encore eau, puis terre, puis pierres, et les autres créatures procèdent de celles-ci. Il confère lui aussi au mouvement l'éternité et pense qu'il est l'instrument de la production du changement. Commentaire sur la Physique d'Aristote, 24, 26. Anaximène est le seul auquel Théophraste dans son Histoire ait attribué l'usage des termes de raréfaction et de condensation, mais il est évident que tous les autres aussi ont usé de raréfaction et de condensation3. Ibid., 149, 32 (A v, op. cit., p. 42). 3.2. L'air est le Tout Hermias 1 1. Philosophe chrétien de la fin du lie siècle ou du début du IIIc siècle. Voici qu'Anaximène intervient pour protester : « Mais crois donc à ce que je t'assure : le Tout, c'est l'air ; en se condensant et en se rassemblant il engendre l'eau et la terre, alors q u ' e n se raréfiant et en se dilatant il engendre l'éther et le feu, puis, en reprenant sa nature propre, l'air. Raréfaction et condensation, ajoute-t-il, sont les formes de son changement. » Satire des philosophes païens, 7 (A vin, op. cit., p. 44). 3.3. L'air serait Dieu Cicéron 1. Dans cette hypothèse, il est faux de vouloir, comme le pense Simplicius (texte cité plus haut), distinguer le mouvement, de l'air tenu pour simple substrat. Aétius (texte suivant) va reprendre cette critique. Ensuite Anaximène établit que l'air est Dieu, qu'il est engendré, qu'il est immense, infini et toujours en mouvement1, comme si l'air pouvait être Dieu en étant dépourvu de toute forme — d'autant plus que non seulement Dieu doit avoir une forme, mais encore la plus belle de toutes — et comme si tout ce qui a été engendré n'était pas naturellement voué à la mort. De la nature des dieux, I, x, 26 (A x, op. cit., p. 44). 3.4. L'air : âme du monde et âme de l'homme Aétius 1 1. Doxographe. Voir la fiche « Doxographie », p. 20. 2. Cette critique d'Aétius est inspirée d'Aristote, peut-être par l'intermédiaire de Théophraste. Anaximène, fils d'Eurystrate, de Milet, affirmait que le principe des choses est l'air : c'est de lui que toutes choses sont engendrées et c'est à lui que toutes choses retournent après dissolution. « De même, ditil, que notre âme, qui est d'air, nous soutient, de même le souffle et l'air enveloppent la totalité du monde » (souffle et air sont pour lui synonymes). Mais il a tort2 de penser que les animaux sont composés d'un air et d'un souffle simple et uniforme ; car il est impossible que la matière des choses constitue un principe unique, et il faut encore poser comme principe la cause efficiente : par exemple l'argent n'est pas à même de devenir de lui-même la coupe, sans le concours de quelque agent, à savoir l'artisan qui bat l'argent, et il en va de même du bronze, du bois et de toute autre matière. Opinions, I, III, 4 (B II, op. cit., pp. 49-50). A vec Thalès, Anaximandre et Anaximène p r e n d f i n le rayonnement de l'école de Milet. 4. Héraclite Héraclite (début du Ve siècle) est un ionien d'Ephèse. Il f a i t du f e u le principe, à la f o i s matière et substrat, et nécessité ou Logos (c'est-à-dire raison). Que la raison soit, sinon « matérielle », du moins une chose ne doit p a s nous surprendre : l'Intellect d'Anaxagore sera lui aussi une chose de cet ordre, de même que le Destin ou la raison des stoïciens. Parce que tout n'est que transformation du feu, l'Un se f a i s a n t multiple, le Tout est, quoique éternel, en perpétuel devenir. C'est ce q u ' o n dit être le mobilisme universel d'Héraclite. Mais ce Tout étant le Feu et la raison du Logos, Héraclite construit l'exigence d ' u n e raison qui est en même temps le lieu des contradictions et de leur dépassement en harmonie. C'est là une première approche de ce que sera la dialectique des modernes. En même temps, l ' h o m m e doit f a i r e sien ce Logos et ce f e u céleste q u ' i l reçoit en partage, comme une âme immortelle. Se soumettre au Logos, c'est vivre selon la raison, se soumettre au Destin et adopter la nature — ainsi que le f e r o n t les stoïciens — p o u r modèle d ' u n e conduite morale qui nous associe au mouvement de l'univers. Héraclite a été très tôt — p a r Socrate, puis p a r Aristote — s u r n o m m é l'Obscur. E t cela p o u r deux raisons : d ' a b o r d son refus de la ponctuation ; ensuite la nécessité d'inventer un style f a i t de versets qui miment le mouvement de la contradiction et expriment la tension p r o p r e à toute harmonie. 4.1. Feu et Logos L e Feu est à la f o i s le principe « matériel » et la cause efficiente. Tout n 'est que transformations de la raison, semence primordiale. Simplicius 1 1. Néoplatonicien de la fin du vic siècle, précieux commentateur d'Aristote. 2. Un des premiers disciples de Pythagore. Hippase de Métaponte 2 et Héraclite d'Éphèse considéraient eux aussi le monde comme un, mû et limité, mais ils faisaient du feu le principe, et du feu ils faisaient naître les existants par condensation et raréfaction, et se dissoudre de nouveau dans le feu, en tant qu'il est l'unique nature servant de substrat. Héraclite déclare en effet que toutes les choses sont conversion du feu. Il établit aussi un certain ordre et un temps défini du changement du monde selon une nécessité fatale. Commentaire sur la Physique d'Aristote, 23, 33 (A v, op. cit., p. 136). Galien 1 1. Médecin du iic siècle. D'autres disent de même que c'est le feu qui est l'élément. Ils s'appuient sur le fait que c'est la condensation et l'épaississement du feu qui engendrent l'air ; que, lorsque le feu subit la même action sous une forme encore plus forte et est tassé encore plus fortement, il se transforme en eau ; et que, sous l'effet d'une plus grande compression encore, il devient terre. D'où ils concluent, d'eux-mêmes, que c'est bien le feu l'élément. Les Éléments selon Hippocrate, I, 4 (A v, op. cit., p. 136). Clément d'Alexandrie 1 1. Converti au christianisme au d é b u t du nie siècle. Qu'il ait professé que le monde est engendré et périssable, c'est ce qu'indiquent les paroles suivantes : « Transformations du feu : d'abord mer de la mer une moitié terre une moitié souffle embrasé. » Il veut dire que par sa puissance le feu, sous l'effet du Logos et de Dieu gouvernant toutes choses, se transforme à travers l'air en humide, qui est comme la semence de l'organisation du monde, qu'il appelle ici mer. De cette semence naissent de nouveau la terre, le ciel et ce qu'ils enveloppent. Comment, de nouveau, 2. Le terme grec est L o g o s : la signification qui l ' e m p o r t e ici est celle de p r o p o r t i o n . il remonte à son état premier et est embrasé, il le montre clairement par ces paroles : « [...] se dissout en mer Et est divisé selon la même proportion 2 qu'elle possédait avant qu'elle ne devînt terre. » Stromates, V, 105 (B x x x i , op. cit., p. 153). Hippolyte1 1. Évêque et m a r t y r du il!' siècle. Héraclite déclare que : Le Tout est divisé indivisé engendré inengendré mortel immortel Logos éternité père fils Dieu droit. « Si ce n'est moi, mais le Logos, que vous avez écouté, Il est sage de convenir qu'est l ' U n — Tout », dit-il. Réfutation de toutes les hérésies, IX, 9 (B L, op. cil., p. 157). Aétius1 1. Doxographe. Voir la fiche « Doxographie », p. 20. Héraclite déclarait que l'éternel feu périodique [est Dieu] et qu'est destin le Logos, artisan des existants à partir du mouvement en sens contraire. Opinions, I, VII, 22 (A vin, op. cit., p. 137). Héraclite montrait que l'essence du destin est le Logos répandu à travers la substance du tout. Il est le corps éthéré, semence de la génération du tout et mesure de la période ordonnée. Ibid, I, XXVIII, 1 (A vin, op. cit., p. 137). Hippolyte [...] disant ainsi : « La foudre gouverne toutes choses », c'est-à-dire dirige, Héraclite donnant le nom de foudre au feu éternel. Il dit encore que le feu est doué de conscience et cause de l'ordonnance de toutes choses. Réfutation de toutes les hérésies, IX, 10 (B LXIV, op. cit., p. 160). 4.2. Mobilisme universel Héraclite est souvent opposé à son contemporain éléate Parménide, pour qui l'Un doit demeurer immobile, afin d'être intelligible. C'est pourquoi la tradition doxographique souligne le mobilisme d'Héraclite. Platon Héraclite dit quelque part que tout passe et que rien ne demeure ; et, comparant les existants au flux d'un fleuve, il dit que l'on ne saurait entrer deux fois dans le même fleuve. Cratyle, 402 a (A vi, op. cit., p. 136). Héraclite le Grammairien 1 1. Érudit du Ier siècle. « Dans les mêmes fleuves nous entrons et nous n'entrons pas Nous sommes et nous ne sommes pas. » Allégories d'Homère, 24 (B XLIX a, op. cit., p. 157). Aristote Le Soleil, non seulement, comme le déclare Héraclite, est nouveau chaque jour, mais sans cesse nouveau continûment. Météorologiques, II, 2. 355 a (A vi, op. cit., p. 147). Simplicius 1 1. Néoplatonicien de la fin du vie siècle, précieux commentateur d'Aristote. 2. Cette thèse sera celle de l'embrasement universel ou ekpurôsis (voir p. 537). Héraclite aussi pense q u ' à un moment donné le monde s'embrase, et q u ' à un autre m o m e n t il se reconstitue de nouveau lui-même à partir du feu, selon certaines périodes de temps, dans lesquelles, dit-il, il s'allume en mesure et s'éteint en mesure. Plus tard les stoïciens ont partagé la même thèse 2. Commentaire sur le Traité du ciel, 94, 4 (A x, op. cit., p. 138). 4.3. Raison, contradiction et harmonie Guerre, conflit et haine vont de pair, au sein du Logos, avec l'harmonie qui est essentiellement harmonie des contraires. Platon 1. Allusion à Empédocle (voir p. 78). Certaines Muses d'Ionie et de Sicilel, ont conçu [...] l'idée que l'être est à la fois multiple et un et composé par l'action de la Haine et de l'Amitié. « Car le désaccordé s'accorde toujours », déclarent les plus vociférantes de ces Muses. Le Sophiste, 242 d (A x, op. cit., p. 138). Pseudo-A ristote1 1. Cet auteur que l'on a longtemps c o n f o n d u avec Aristote, connaît aussi une inspiration stoïcienne. 2. Voir, dans Les Présocratiques (p. 177), l'influence héraclitéenne qui s'exerce sur le médecin H i p p o c r a t e à propos des arts. Peut-être la nature se réjouit-elle des contraires et sait-elle en dégager l'harmonie, alors qu'elle ne s'intéresse pas aux semblables ; tout de même sans doute que le mâle se rapproche de la femelle, ce que ne font pas les êtres de même sexe..Et elle n'est arrivée à la concorde première qu'au moyen des contraires et non au moyen des semblables. Or il semble aussi que la l'art en peinture, du noir, du imitant en jaune concordantes les sons au aigus la nature mélangeant et du graves, La de même 2. pigments rouge, modèle. et fait les produit musique, longs et Car du blanc, des images en courts, mêlant produit dans des voix différentes une harmonie unique. L'écriture, en o p é r a n t u n m é l a n g e de voyelles et de c o n s o n nes, construit chose m ê m e l'Obscur tout son que signifiait art à partir la d'elles. parole C'est la d'Héraclite : « Embrassements Touts et n o n - t o u t s Accordé et d é s a c c o r d é Consonant et d i s s o n a n t Et de toutes Et de l'Un D u choses toutes monde, v, l'Un choses. » 396 b 7 (B x, op. cit., p. 148). Hippolyte 1 1. Évêque et m a r t y r du IIIe siècle. 2. L ' a r c et la lyre sont les deux attributs d'Apollon. Ils n e s a v e n t p a s c o m m e n t le d i f f é r e n t c o n c o r d e avec lui-même, Il est u n e h a r m o n i e c o n t r e t e n d u e c o m m e p o u r l ' a r c et l a lyre 2. R é f u t a t i o n d e t o u t e s les hérésies, I X , 9 ( B LI, o p . c i t . , p . 1 5 8 ) . 3. La courbe décrite par la vis en avançant est une hélice. Elle est l'image du double mouvement, journalier et annuel, d u Soleil (en grec : hélios). Pour la vis d u pressoir la r o u t e est d r o i t e et c o u r b e 3 . (Le sillon de la partie d u pressoir n o m m é e c o l i m a ç o n [ o u vis] e s t à l a f o i s d r o i t e t c i r c u l a i r e , c a r l a vis a v a n c e e n t o u r n a n t ) . E l l e est u n e et la m ê m e , dit-il. R é f u t a t i o n d e t o u t e s les hérésies, I X , 10 ( B LIX, o p . c i t . , p . 159). 4. « Si l'on admet que l'agir et le pâtir soient la m ê m e chose, ce n'est pas cependant parce qu'ils o n t un concept identique et un, exprimant leur quiddité, c o m m e habit et vêtement qui sont la même chose, mais c'est c o m m e la route de Thèbes à Athènes est la même q u e celle d ' A t h è n e s à Thèbes » (Aristote, P h y s i q u e III, 3. 202 b 11). L a route, montante descendante U n e et même 4. Ibid, IX, 10 ( B L X , o p . c i t . , p . 1 6 0 ) . D i e u est jour-nuit, hiver-été guerre-paix, richesse-famine (tous c o n t r a i r e s : l'intellect est cela) Il p r e n d d e s f o r m e s v a r i é e s , t o u t c o m m e (le f e u ) q u i , q u a n d il s e m ê l e à d e s f u m é e s , reçoit u n n o m c o n f o r m e au goût de chacun. I b i d . , I X , 10 (B LXVII, o p . c i t . , p . 161). 4.4. L ' h o m m e et le Destin Le Logos est commun à tous. Héraclite exprime p a r là l'universalité de la raison. Certes, certains se conduisent en insensés, mais tout h o m m e a une âme immortelle et divine, parcelle du f e u céleste, et p e u t choisir de mener une vie raisonnable, selon la nature et la loi du Destin. Sextus Empiricus 1 1. Médecin et philosophe sceptique du ne siècle. 126. Héraclite, parce qu'il croyait encore que l'homme dispose de deux organes pour la connaissance de la vérité, à savoir la sensation et la raison, estimait [...] que de ces deux organes, la sensation est indigne 2. Ce mépris de la sensation et cette foi en la raison rapproche Héraclite des Éléates au lieu de l'en éloigner. 3. Le Logos est universel et commun à tous. 4. L'explication proposée est d'ordre physique. 5. Cette parcelle divine est notre démon (voir infra, p. 49). de créance, tandis qu'il posait la raison comme critère. De fait il récuse la sensation en disant textuellement : « Les yeux et les oreilles sont de mauvais témoins pour les âmes sourdes à leur langage ». Ce qui revient à dire que « c'est le propre d'âmes barbares d'accorder foi à des sens dépourvus de raison 2 ». 127. Mais il affirme que la raison est le critère de la vérité : non pas cependant n'importe quelle raison, mais la raison commune et divine 3. Qu'est cette raison ? Il nous faut l'exposer brièvement. En effet ce philosophe de la nature se plaît à dire que ce qui nous enveloppe est rationnel et doué d'intelligence. [...] 129. C'est en attirant à nous par la respiration cette raison divine que, selon Héraclite, nous devenons intelligents et que, bien que plongés dans l'oubli du sommeil, nous recouvrons nos sens en nous éveillant 4. Car, pendant le sommeil, les pores des sens sont bouchés et l'intellect qui est en nous se trouve séparé de la communauté que nous entretenons avec l'enveloppe céleste, le seul moyen de communication qui demeure étant la respiration, à la façon d'une racine, et, ainsi séparé, l'intellect perd la puissance de mémoire qu'il possédait auparavant. 130. Lors du réveil, il se répand à travers les pores des sens, comme à travers des fenêtres, et en entrant de nouveau en communion avec le ciel, il recouvre sa puissance de raisonner. Ainsi, de la même façon que des charbons rapprochés du feu deviennent incandescents selon un processus d'altération, tandis que, séparés du feu, ils s'éteignent, de même le lot5 qui provient de l'enveloppe céleste trouve en nos corps un domicile hospitalier ; mais lorsqu'il est coupé du feu céleste, il est comme privé de raison, alors que lorsque la connexion se trouve rétablie grâce à la multitude des pores, il redevient semblable au tout. 131. C'est cette raison commune et divine, par participation à laquelle nous devenons raisonnables, qu'Héraclite déclare être le critère de la vérité. Il s'ensuit que le phénomène comm u n à tous, c'est cela qui est digne de foi (car il est perçu par la raison à la fois commune et divine). Mais ce que perçoit une seule personne n'est pas digne de foi pour la raison contraire. 132. Ainsi, au commencement de ses livres Sur la nature, le personnage dont n o u s p a r l o n s déclare, en f a i s a n t a l l u s i o n d ' u n e c e r t a i n e m a n i è r e à l ' e n v e l o p p e céleste : « L e L o g o s , ce q u i est t o u j o u r s les h o m m e s s o n t i n c a p a b l e s d e le comprendre, aussi bien a v a n t de l ' e n t e n d r e q u ' a p r è s l ' a v o i r e n t e n d u p o u r l a p r e m i è r e f o i s, C a r b i e n q u e t o u t e s c h o s e s n a i s s e n t et m e u r e n t s e l o n ce L o g o s - c i Les h o m m e s sont c o m m e inexpérimentés q u a n d ils s ' e s s a i e n t à des p a r o l e s o u à d e s a c t e s , Tels q u e m o i j e [les] e x p l i q u e S e l o n s a n a t u r e s é p a r a n t c h a c u n et e x p o s a n t c o m m e n t il est ; A l o r s q u e les a u t r e s h o m m e s o u b l i e n t t o u t ce q u ' i l s f o n t à l ' é t a t d e veille c o m m e ils o u b l i e n t , e n d o r m a n t , t o u t ce q u ' i l s [voient] ». A y a n t ainsi m o n t r é e x p r e s s é m e n t q u e c ' e s t p a r l a p a r t i c i p a t i o n à la r a i s o n divine q u e n o u s f a i s o n s et c o n n a i s s o n s t o u t e s c h o s e s , il p o u r s u i t u n p e u p l u s l o i n : « A u s s i il f a u t s u i v r e ce q u i est » < c o m m u n ( c ' e s t - à - d i r e c o m m u n > à t o u s — c a r à t o u s est le commun). « M a i s b i e n q u e le L o g o s so i t c o m m u n L a plupart vivent c o m m e avec u n e pensée en propre. » 133. C e p r o p o s n ' e s t r i e n d ' a u t r e q u ' u n e e x p l i c a t i o n d e la m a n i è r e d o n t le t o u t est o r d o n n é . E n t a n t q u e n o u s c o m m u n i o n s avec la m é m o i r e de cette rais o n , n o u s s o m m e s d a n s la v é r i t é ; e n t a n t q u e n o u s n o u s i s o l o n s cyans ce q u i n o u s est p r o p r e , n o u s s o m m e s d a n s l ' e r r e u r . 134. C a r e n r é a l i t é , p a r ces p a r o les, il m o n t r e q u e la r a i s o n c o m m u n e est le c r i t è r e et q u e les p h é n o m è n e s q u i s o n t c o m m u n s s o n t d i g n e s d e foi, e n t a n t q u ' i l s s o n t j u g é s p a r la r a i s o n c o m m u n e , alors que ceux qui appartiennent à c h a c u n en p r o p r e sont trompeurs. C o n t r e les m a t h é m a t i c i e n s , V I I , 126-134 ( A XVI, o p . c i t . , p p . 141-142). Stobée 1 1. Jean de Stobi, macédonien, doxographe du Ve siècle. H é r a c l i t e d i s a i t q u e la p e r s o n n a l i t é d e l ' h o m m e est s o n d é m o n . F l o r i l è g e , I V , XL, 23 (B CXIX, o p . cit., p . 173). C e u x qui p a r l e n t avec intelligence il f a u t q u ' i l s s ' a p p u i e n t s u r ce q u i est c o m m u n à tous d e m ê m e q u e s u r la loi u n e cité et b e a u c o u p p l u s f o r t e m e n t e n c o r e C a r t o u t e s les lois h u m a i n e s se n o u r r i s s e n t 2. L'universalité de la loi exprime celle de la raison. C'est là l'origine du concept, stoïcien notamment, de la loi. d ' u n e s e u l e loi, la loi d i v i n e 2 , c a r elle c o m m a n d e a u t a n t q u ' e l l e v e u t elle s u f f i t p o u r t o u s et les d é p a s s e . » F l o r i l è g e , I I I , 1, 179 (B c x i v , o p . c i t . , p. 171). 3. On remarque la connexion entre vertu, sagesse, raison et vérité. Réfléchir Et sagesse : dire la vérité 4. La formule, là encore, deviendra stoïcienne. en le sachant. Ibid., III, 1, 178 (B exil, op. cit., p. 171). : très h a u t e vertu 3. et agir selon la nature 4 Penser est commun à tous. Ibid., III, 1, 179 (B cxm, op. cit., p. 171). C h a p i t r e 3 Les écoles d'Italie P o u r les écoles d'Italie, l'Illimité, indéfini dans sa richesse, fait place à l' Un. Car, comme le note Proclus (voir supra, p. 30), l'exigence d'intelligibilité l'emporte sur toute autre. Deux écoles vont connaître des développements parallèles, l'école pythagoricienne et l'école d'Élée, fondées en même temps, dans la seconde moitié du VIe siècle avant J.-C., celle-là par Pythagore et celleci par Xénophane. Toutes les deux comptent des noms illustres de personnalités philosophiques qui devaient contribuer à élaborer des concepts d'importance décisive. 1. Les pythagoriciens 1.1. L'école pythagoricienne Fondée dans la seconde moitié du VIe siècle p a r Pythagore, l'école — on pourrait même dire la secte, puisqu 'elle élabore un type de vie monastique où, après une p r o b a t i o n de durée variable, s'accomplit un premier noviciat de trois ans (pour les acousmaticiens) suivi de cinq années de silence (pour les mathématiciens) — compte des disciples immédiats comme les philosophes Alcméon et Hippase, le médecin Démocédès, l'athlète Milon de Crotone son gendre, etc., et des disciples plus tardifs de la seconde moitié du Ve siècle avant J.-C., comme Philolaos, Archytas ou le sculpteur Polyclète. L a réalité est f o r m é e p a r le nombre et l'Univers gouverné p a r l'harmonie. Le nombre est l'essence de toutes choses et toutes choses sont des nombres. 1.1.1. Pythagore et ses vies antérieures Les pythagoriciens professent la métensomatose : la même âme p e u t se réincarner plusieurs fois. Ainsi Pythagore lui-même avait connu des vies antérieures. Diogène Laërce 1 1. Doxographe du début du III. siècle. 2. Élève de Platon et d'Aristote. 3. Hermès, héraut divin, est fils de Zeus. Il est aussi psychopompe et guide des âmes après la mort. 4. Homère, Iliade, XVII, 60 et suiv. 5. Descendant d'Hermès, archer qui servit de héraut aux Argonautes. 4. Voici, selon Héraclide du Pont 2 t ce que Pythagorè disait de lui-même : il était né un j o u r sous le n o m d' Æthalidès et on le croyait fils d ' H e r m è s . Ce dernier lui avait dit qu'il lui accorderait ce qu'il voudrait, excepté l'immortalité ; il avait donc demandé de pouvoir conserver, aussi bien après sa m o r t que pendant sa vie, le souvenir des événements. Aussi, sa vie durant, se souvint-il de t o u t et garda-t-il après sa m o r t cette même faculté. Son âme s'était incarnée ensuite dans le corps d ' E u p h o r b e , et il avait été blessé p a r avait été u n Ménélas4. jour Euphorbe, Æthalidès S t que lui, qu'il tenait ce d o n de métempsychose, c o m m e n t quels s'était animaux et déroulée la migration quels végétaux disait qu'il c'était elle d'Hermès e t il r a c o n t a i t de son avait âme, habités, quelles é p r e u v e s elle a v a i t c o n n u e s c h e z H a d è s e t t o u t ce q u e les autres â m e s y e n d u r e n t . 5. E n s u i t e , à la m o r t 6. Un clazoménien qui passe pour le devancier d'Anaxagore. (voir p. 129). 7. Tribu de prêtres d'Apollon, en Carie. d ' E u p h o r b e , son â m e s'était incarnée en Hermotime 6 qui, voulant, lui aussi, rendre crédible cette histoire, était allé trouver les Branchides7 à qui il avait désigné, une fois dans le sanctuaire d'Apollon, comme étant un ex-voto offert par. Ménélas — à Apollon, aux dires d'Hermotime, lors de son départ de Troie —, un bouclier qui était déjà complètement pourri et où ne subsistait plus que la figurine d'ivoire. Puis, à la mort d'Hermotime, il était devenu Pyrrhos, marin de Délos, qui racontait toute l'histoire depuis le début, comment il avait d'abord été iEthalidès, puis Euphorbe, puis Hermotime, puis Pyrrhos. À la mort de Pyrrhos, il était devenu Pythagore et se souvenait de tout ce qu'on vient de rapporter. Vies, VIII, 4-5 (Pythagore VIIIt op. cit., pp. 58-59). Empédocle1 1. Disciple dissident de Pythagore (voir p. 78). Parmi eux se trouvait un homme extraordinaire Par son savoir, un génie ayant su acquérir Un trésor de sapience, en toutes disciplines Également brillant. Bandant ses facultés, Il pouvait évoquer les souvenirs précis D e t o u t ce q u e , h o m m e o u b ê t e , il a v a i t été E n d i x et m ê m e v i n g t vies h u m a i n e s v é c u e s . F r a g m e n t B c x x x i x (op. cit., p. 428). 1.1.2. F o n d a t i o n d e l ' é c o l e D a n s s a Vie d e P y t h a g o r e , P o r p h y r e , n é o p l a t o n i c i e n d e la f i n d u IIIe siècle e t d i s c i p l e d e P l o t i n ( v o i r p . 681), b r o s s e u n p o r t r a i t d u f o n d a t e u r d e l ' é c o l e . P y t h a g o r e , n e s u p p o r t a n t p l u s la t y r a n n i e q u e P o l y c r a t e e x e r ç a i t à S a m o s , à q u a r a n t e ans, se r e n d i t en Italie, en p a s s a n t p a r l'Égypte. Porphyre 1. Historien et géographe, disciple d'Aristote et de Théophraste. 2. L'éducateur. 3. Les femmes sont admises dans la secte. Jamblique, néoplatonicien du !V' siècle, a compté dixsept pythagoriciennes illustres. 4. L'école est ouverte aux étrangers. 18. Lorsque Pythagore eut débarqué en Italie et qu'il se fut installé à Crotone, dit Dicéarque 1, les citoyens de Crotone comprirent qu'ils avaient affaire à un homme qui avait beaucoup voyagé, un homme exceptionnel, qui tenait de la fortune de nombreux avantages physiques : il était en effet noble et élancé d'allure et, de sa voix, de son caractère et de tout le reste de sa personne émanaient une grâce et une beauté infinies. Ils le reçurent si bien que, après avoir servi de guide spirituel à l'assemblée des anciens par des nombreuses et belles interventions, il entreprit de conseiller les jeunes 2, cette fois sur les problèmes de l'adolescence, à la demande des magistrats de la cité ; puis ce fut le tour des enfants, accourus en masse des écoles pour l'écouter, et il en vint par la suite à organiser également des réunions réservées aux femmes 3. 19. Tout cela ne fit qu'accroître sa réputation déjà grande ; et son public, nombreux déjà à Crotone même et composé non seulement d'hommes, mais aussi de femmes dont nous n'avons conservé q u ' u n seul nom, celui de Théanô, s'accrut encore considérablement des barbares du voisinage 4, des rois et des chefs. Cependant ce dont il entretenait ses disciples, nul ne peut le préciser avec certitude ; car aussi bien ils observaient la règle du silence. Néanmoins tout le monde savait fort bien qu'il affirmait d ' a b o r d que l'âme est immortelle ; puis qu'elle passe dans des vivants d'autres espèces ; outre cela, que, selon certaines périodes, les êtres qui sont nés un jour naissent à nouveau ; qu'il n'y a, à proprement parler, aucun être nouveau, et qu'il faut croire que tout ce qui naît 5. Immortalité et transmigration de l'âme. a n i m é a p p a r t i e n t à la m ê m e s o u c h e 5 . E n t o u t c a s , il est c e r t a i n q u e c ' e s t P y t h a g o r e q u i a le p r e m i e r i n t r o d u i t e n G r è c e ces c r o y a n c e s . Vie d e P y t h a g o r e , 18-19. ( v i n a, o p . cit., p. 59). Porphyre 1. Géométrie, arithmétique et astronomie. 2. Eudoxe de Cnide, a s t r o n o m e du IVe siècle a v a n t J.-C. et ami de Platon. 3. Voir le texte suivant. E n ce q u i c o n c e r n e s o n e n s e i g n e m e n t , la p l u p a r t a f f i r m e n t q u ' i l a a p p r i s des É g y p t i e n s et C h a l d é e n s ainsi q u e des P h é n i c i e n s ce q u i t o u c h e a u x sciences dites m a t h é m a t i q u e s . E n e f f e t , si la g é o m é t r i e a p a s s i o n n é les É g y p t i e n s d e p u i s d e s t e m p s t r è s r e c u l é s , les P h é n i c i e n s , e u x , se s o n t f a i t u n e s p é c i a l i t é des n o m b r e s et d e s calculs a r i t h m é t i q u e s , et les C h a l d é e n s d e la s p é c u l a t i o n a s t r o n o m i q u e 1. P o u r ce q u i est des rites religieux et d e t o u t e s ses a u t r e s règles d e vie, c ' e s t d e l ' e n s e i g n e m e n t des m a g e s , d i s e n t - i l s , q u ' i l l ' a r e ç u . M a i s si b e a u c o u p d e g e n s p e u v e n t lire ce q u i r e g a r d e la r e l i g i o n d a n s des a r c h i v e s o ù c e l a a été c o n s i g n é , o n c o n n a î t m o i n s b i e n les règles d e vie des p y t h a g o r i ciens, e x c e p t é celle-ci : s e l o n E u d o x e 2 , a u livre h u i t i è m e d e L a R é v o l u t i o n d e la T e r r e , ils o n t p o u s s é le s o u c i d e p u r e t é et l ' a b s t i n e n c e t a n t d u s a n g v e r s é q u e d e la f r é q u e n t a t i o n d e c e u x q u i le v e r s e n t , a u p o i n t d e s ' a b s t e n i r d e c h a i r a n i m a l e et m ê m e d ' é v i t e r soig n e u s e m e n t c u i s i n i e r s et chasseurs 3. Vie d e P y t h a g o r e , 6 ( i x , o p . c i t . , p. 60). 1.1.3. Règles alimentaires Sans doute l'organisation de la vie quasi monastique de la secte s'accompagnait-elle de règles de vie et de nourriture. D'où des prescriptions qui ressemblent à des tabous alimentaires. Alexandre Polyhistor, historien grec du Ier siècle avant J.-C., déclare avoir lu ces détails dans des Mémoires pythagoriciens qui pourraient renvoyer à Eudoxe (voir le texte précédent). Diogène Laërce 34. Au dire d'Aristote, dans son livre Des pythagoriciens, Pythagore proscrivait l'usage des fèves à cause de leur ressemblance avec les parties honteuses, ou avec les portes de l'Hadès [...] — elles seraient en 1. Aussi leur tige communique-t-elle directement avec les entrailles de la terre. effet les seules plantes à n'avoir pas de nœuds 1 ; ou encore parce qu'elles sont toxiques, ou qu'elles ressemblent à la nature de l'univers, ou bien à l'oligarchie, puisqu'on utilise les fèves pour tirer au sort les magistrats. Il prescrivait aussi de ne pas ramasser ce qui est tombé, soit pour q u ' o n prît l'habitude de manger sans excès, soit parce que les morceaux tombés sont la part du mort, comme le dit Aristophane dans sa comédie des Héros, où ce qui tombe par terre est la part des héros : « Surtout ne goûtez point à ce qui, de la table, Sur le sol est tombé. » Il enjoignait aussi de ne pas toucher au coq blanc, parce qu'il est consacré au Mois et est un suppliant (or être un suppliant faisait partie des choses bonnes) et il est bien consacré au Mois, puisqu'il indique les heures ; de plus, le blanc est la couleur naturelle du bien, et le noir la couleur du mal. Ne pas toucher aux poissons, ils sont sacrés : en effet il est impossible que les hommes aient droit aux même aliments que les dieux, pas plus que les esclaves n ' o n t droit aux mêmes aliments que les hommes libres. 35. Ne pas rompre le pain, car c'est autour d ' u n unique pain que se réunissaient les amis d'autrefois, comme le font encore aujourd'hui les Barbares ; ne pas non plus le couper, vu qu'il les réunit. D'autres rapportent la raison de cette interdiction au jugement des Enfers, certains autres au fait que le pain rend lâche à la guerre, d'autres enfin au fait que le pain serait à l'origine de l'univers. Selon eux, les plus belles figures étaient, parmi les solides, la sphère et, parmi les surfaces, le cercle. La vieillesse et tout ce qui diminue sont semblables, tandis que la jeunesse et ce qui augmente sont identiques. Quant à la santé, elle est le maintien constant de la forme spécifique, dont la corruption n'est autre que la maladie. Il disait aussi du sel q u ' o n doit le mettre sur la table p o u r rappeler la justice, car le sel permet de conserver tout ce dans quoi il pénètre, et il est produit par ce qu'il y a de plus pur, le Soleil et la mer. Vies, VIII, 34-35 (École pythagoricienne C m , op. cit., p. 585). 1.1.4. Catéchisme philosophique Les acousmaticiens ou novices, reçoivent un enseignement exprimé en formules destinées à être gardées en mémoire. La mémoire est une faculté particulièrement honorée dans l'école : chaque pythagoricien, en se levant, doit récapituler tous les événements de la veille. Le maître lui-même ne se remémorait-il pas ses vies antérieures (voir p. 52) ? Jamblique 1 1. Néoplatonicien du ive siècle. 2. Les acousmaticiens sont les novices. Les mathématiciens connaîtront les démonstrations. Le temps de la révélation précède celui de la science. 3. Il s'agit de Pythagore. 4. Séjour légendaire, situé tantôt dans un océan, tantôt dans un désert, comme oasis. 5. « Pour certains, la tétractys est le garant préféré des pythagoriciens lorsqu'ils prêtent serment, parce qu'elle réalise le nombre 10 qui est pour eux le nombre parfait. » (Philolaos A xi, in Les Présocratiques, p. 492.) En effet 10 est la somme de 1 + 2 + 3 + 4. 6. Voir Platon, La République, X, 616 a. 7. Pythagore lui-même dans le langage codé propre à l'école. 8. En grec gnômè : la faculté de connaître. 82. La philosophie des acousmaticiens 2, d'autre part, consiste en un enseignement oral qui ne s'embarrasse ni de démonstration ni de raisonnement pour justifier les acousmates qu'elle formule ; et, les tenant pour sentences divines, ils s'efforcent de sauvegarder tout ce qui a été dit par lui 1. D'ailleurs ils affectent de ne jamais rien dire ni même de ne rien pouvoir dire qui soit d'eux ; et ils vont même jusqu'à penser que ceux d'entre eux qui ont retenu un très grand nombre de ces acousmates, ont réuni les conditions majeures de la sagesse. (...) Voici quelques exemples d'acousmates portant sur l'essence : « Que sont les îles des Bienheureux4 ? Le Soleil et la Lune. Qu'est-ce que l'oracle delphique ? C'est la tétractys5, qui est l'harmonie dans laquelle vivent les S i r è n e s 6 . » Voici maintenant quelques exemples d'acousmates portant sur l'absolu : « Qu'y a-t-il de plus juste ? Accomplir des sacrifices. Qu'y a-t-il de plus sage ? Le nombre, et après lui, celui qui a donné leur nom aux choses7. « Quelle est l'activité humaine la plus sage ? La médecine. Qu'y a-t-il de plus beau ? L'harmonie. Qu'y a-t-il de plus fort ? La raison8. Qu'y a-t-il de meilleur ? Le bonheur. Quelle sentence est la plus véridique ? Celle qui dit que les hommes sont méchants. » C'est ce qui a amené Pythagore, dit-on, à féliciter le poète Hippodamas de Salamine d'avoir composé ces vers : « D ' o ù venez-vous, ô dieux ? D ' o ù vient votre bonté ? D ' o ù venez-vous, mortels ? E t d ' o ù viennent vos vices ? » 9. Voir la fiche qui leur est consacrée, p. 16. 83. C ' e s t de c e t t e s o r t e q u e s o n t les a c o u s m a t e s p o r t a n t s u r l ' a b s o l u . N o u s y r e t r o u v o n s la m ê m e sagesse q u ' o n a t t r i b u e a u x S e p t S a g e s 9 , q u i a s s u r é m e n t r e c h e r c h a i e n t , e u x aussi, n o n s e u l e m e n t l ' e s s e n c e d u b i e n , m a i s e n c o r e l ' a b s o l u , o u e n c o r e n o n seulem e n t le difficile, m a i s l ' e x t r ê m e d i f f i c u l t é , c ' e s t - à - d i r e se c o n n a î t r e s o i - m ê m e ; et n o n s i m p l e m e n t le facile, m a i s l ' e x t r ê m e facilité, c ' e s t - à - d i r e s u i v r e l ' h a b i t u d e . Q u ' u n e s e m b l a b l e sagesse so i t le m o d è l e d e tels a c o u s m a t e s , c e l a est f o r t v r a i s e m b l a b l e , p u i s q u e les S e p t Sages sont bien antérieurs à P y t h a g o r e . Vie p y t h a g o r i q u e , 82-83 ( É c o l e p y t h a g o r i c i e n n e , C IV, o p . cit., p . 586). 1.1.4.1. Le noviciat Jamblique Les adeptes de la philosophie pythagoricienne constituaient en effet deux groupes : les acousmaticiens et les mathématiciens. Les premiers reconnaissaient aux seconds le titre de pythagoriciens, mais la réciproque n'était pas vraie ; d'ailleurs, c'est Hippase qui s'occupait des acousmaticiens, et non Pythagore. Vie pythagorique, 81 (Hippase A II, op. cit., p. 75). 1.1.4.2. L'amitié Une très f o r t e amitié unit les membres de la secte. Elle est à l'image de celle qui rattache les hommes aux dieux. L ' amitié — philia en grec — est aussi la racine du m o t philosophie. Voici deux traits légendaires d'amitié, rapportés l'un p a r un historien, l'autre p a r un philosophe. a. Histoire de D a m o n et Phintias Diodore de Sicile 1 1. Historien grec du Ier siècle avant J.-C. Sous la tyrannie de Denys 2, un complot avait été ourdi contre lui par un pythagoricien, un certain Phin- 2. Denys s'empare du pouvoir à Syracuse en 405 avant J.-C. 3. Ce que les deux amis ne pouvaient que refuser : son immoralité privait Denys de tout droit à l'amitié. tias. A u m o m e n t d ' ê t r e e x é c u t é , celui-ci d e m a n d a à D e n y s u n délai p o u r p o u v o i r r é g l e r , c o m m e il l ' e n t e n d a i t , ses a f f a i r e s p e r s o n n e l l e s a v a n t d e m o u r i r , et p r o m i t d e lui f o u r n i r e n a t t e n d a n t , c o m m e g a r a n t d e s o n e x é c u t i o n , l ' u n d e ses a m i s . C o m m e le t y r a n se r e f u sait à c r o i r e à l ' e x i s t e n c e d ' u n a m i q u i p û t a c c e p t e r d ' a l l e r en p r i s o n à la p l a c e d e q u e l q u ' u n d ' a u t r e , P h i n tias fit v e n i r l ' u n e de ses c o n n a i s s a n c e s , u n p h i l o s o p h e p y t h a g o r i c i e n d u n o m de D a m o n , q u i , s a n s la m o i n d r e hésitation, accepta sur-le-champ d ' e n g a g e r sa vie p o u r lui. C e r t a i n s l o u è r e n t a l o r s cet excès d e d é v o u e m e n t envers u n a m i , t a n d i s q u e d ' a u t r e s d é n o n ç a i e n t la folie d e cet e n g a g e m e n t t é m é r a i r e . À l ' h e u r e c o n v e n u e p o u r l ' e x é c u t i o n , le p e u p l e e n f o u l e a c c o u r u t , i m p a t i e n t d e s a v o i r si le c o n t r a c t a n t t i e n d r a i t p a r o l e . M a i s , c o m m e le d é l a i e x p i r a i t et q u e p l u s p e r sonne ne gardait espoir, Phintias, contre toute attente, arriva en c o u r a n t au tout dernier m o m e n t , alors que déjà l ' o n traînait de force D a m o n au supplice. D e v a n t cette e x t r a o r d i n a i r e d é m o n s t r a t i o n p u b l i q u e d ' a m i t i é , D e n y s a c c o r d a s a grâce à l ' a c c u s é et p r i a les d e u x h o m m e s d e l ' a c c e p t e r e n tiers d a n s l e u r amitié 3. B i b l i o t h è q u e h i s t o r i q u e , X , 4, 3 ( D a m o n , P h i n t i a s , o p . c i t . , p . 554). b. Un signe mystérieux de reconnaissance Jamblique 1 1. Néoplatonicien du ive siècle. On dit encore que les pythagoriciens, même sans se connaître, ni s'être encore jamais vus, veillaient à honorer les devoirs de l'amitié, dès qu'ils avaient perçu un signe de leur mutuelle appartenance à la secte. Au vu de tels faits, on ne saurait douter de la maxime fameuse qui veut que les hommes vertueux, quand ils vivraient à l'autre bout de la terre, soient amis avant même de se connaître et de s'être adressé la parole. C'est ainsi q u ' o n raconte q u ' u n pythagoricien arriva, après une longue marche solitaire, dans une auberge, où une grave maladie, due à l'épuisement ou à quelque autre motif, le cloua au lit pour si longtemps, qu'il finit par manquer de ressources. Cependant, pris de pitié pour l ' h o m m e — ou pure hospitalité —, 2. « Le triple triangle étoilé, le pentagramme, symbole interne à la secte, ils l'appelaient Santé ; si en général pour eux « Santé ! » voulait dire en même temps « Bonjour ! » et « Prospérité ! », la réciproque n'était nullement vraie. » (In Les Présocratiques, p. 542.) Aujourd'hui, en français, nous disons « Salut ! ». l'aubergiste pourvut, sans lésiner, à tout, assistance et argent. Mais comme le mal empirait, notre homme s'apprêta à mourir : il traça sur une tablette un signe de reconnaissance2, en recommandant à l'aubergiste, si malheur lui arrivait, d'accrocher à l'extérieur < d e l'auberge > la tablette et d'observer si, parmi les passants, personne ne reconnaîtrait le symbole. Car, lui dit-il, la personne qui le reconnaîtrait lui rembourserait toutes les sommes qu'il avait engagées pour lui et le remercierait en son nom. L'inconnu mourut, l'aubergiste lui rendit les derniers honneurs et fit enterrer sa dépouille ; néanmoins, il ne se repaissait pas de chimères : il ne rentrerait jamais dans ses frais et ne risquait pas d'être jamais remercié par quelqu'un qui aurait reconnu le symbole [figurant sur la tablette]. Malgré tout, il tenta l'expérience, tant son hôte l'avait frappé par ses recommandations, et il ne manquait jamais d'offrir aux regards la tablette. Beaucoup de temps s'écoula, j u s q u ' a u jour où un pythagoricien de passage s'arrêta pour s'enquérir de l'auteur de ce symbole. Il se fit expliquer en détail tout ce qui s'était passé et remit à l'aubergiste une somme d'argent bien supérieure aux frais engagés. Vie pythagorique, 237-8 (École pythagoricienne, D VII, op. cit., p. 600). 1.2. Le système pythagoricien 1.2.1. Exposé de l'ensemble du système Même si l'on peut douter de l'ancienneté des informations qu'Alexandre Polyhistor rapporte ici — certains traits paraissent évoquer le Timée de Platon, mais, après tout, Timée de Locres n 'était-il pas lui-même pythagoricien ? —, cet exposé exprime un état premier de la philosophie pythagoricienne. Au commencement est l'Un ou la monade qui engendre la dyade (le deux), soit la matière ou le substrat, et d'eux naissent nombres puis grandeurs. La mathématique produit encore la physique, et l'on voit se dérouler les étapes d'un merveilleux système de philosophie naturelle dont l'aboutissement est la philosophie morale et politique dont s'inspirent les règles de vie de l'école. Diogène Laërce 1 1. Doxographe du début du ine siècle. Le et les principes : 24. Dans ses Successions des philosophes, Alexan- 2. Alexandre Polyhistor, historien de la première moitié du 1er siècle avant J.-C. 3. L'ancienneté de ces Mémoires est contestée par certains savants modernes. Cela ne remet en cause ni le caractère pythagoricien de l'exposé, ni l'ancienneté de ce qui touche au principe, ni la systématicité fortement enchaînée de l'ensemble. 4. Un principe unique : la monade ou l'Un. 5. La matière ou le deux (dyade) est une émanation du principe Un. 6. Les nombres viennent en troisième lieu. 7. On passe de l'arithmétique au géométrique. 8. Le texte ne dit pas comment s'effectue cette génération. 9. Ainsi peut-on rattacher au pythagorisme la théorie empédocléenne des quatre éléments. 10. Êtres qui vivent à un endroit diamétralement opposé, ce qui suppose la sphéricité de la Terre. 11. Il y a deux éthers, le proche et le plus éloigné. Cette distinction préfigure la séparation aristotélicienne entre monde sublunaire et monde supralunaire. 12. Thème classique, des présocratiques à Aristote. dre2 affirme avoir fait cette autre découverte dans des Mémoires pythagoriciens3 : 25. La monade est le principe de toutes choses 4 ; produite par la monade, la dyade indéfinie 5 existe en tant que substrat matériel pour la monade, qui est cause ; c'est la monade et la dyade indéfinie qui < engendrent > les nombres 6, puis les nombres qui < engendrent > les points7, puis les points qui < engendrent 8> les lignes. À leur tour celles-ci produisent les figures planes, lesquelles produisent les figures à trois dimensions, Les êtres physiques : lesquelles produisent les corps sensibles dont les éléments sont précisément au nombre de quatre : le feu, l'eau, la terre et l'air 9, qui changent et se transforment entièrement les uns en les autres. L'astronomie : Ce sont eux qui donnent naissance à un monde animé, intelligent et sphérique au centre duquel se trouve la Terre, elle-même sphérique et habitée sur toute sa surface. 26. Il existe aussi des antipodes 10 et ce qui pour nous est le bas est pour eux le haut. La lumière et l'obscurité se partagent également l'univers, ainsi que le font le chaud et le froid, le sec et l'humide. Quand le chaud l'emporte, c'est l'été ; quand le froid l'emporte, c'est l'hiver ; quand le sec l'emporte, c'est le printemps et quand l'humide l'emporte, c'est l'automne. Quand tout s'équilibre, nous connaissons les meilleurs moments de l'année, le plus sain se situant au début du printemps et le moins salubre à la fin de l'automne. Et de même, l'aurore voit s'épanouir le jour, le soir le voit dépérir : c'est cela qui rend le soir malsain. Si l'éther Il qui entoure la Terre est stagnant et insalubre, et mortel tout ce qui s'y trouve, celui des couches supérieures, lui, est éternellement en mouvement, pur et sain, et tout ce qui s'y trouve est immortel et, par conséquent, divin. 27. Le Soleil, la Lune et tous les autres astres sont des dieux, puisque le chaud prédomine en eux et qu'il est cause de la vie. La Lune reçoit sa lumière du Soleil12. Les hommes eux aussi ont une parenté avec les dieux dans la mesure où l'homme participe du chaud. D i e u e t le d e s t i n : C ' e s t p o u r q u o i D i e u exerce sur n o u s sa Provid e n c e . L e d e s t i n est l a c a u s e d e l ' o r d o n n a n c e des c h o ses, t a n t d e l ' e n s e m b l e q u e d e ses p a r t i e s . L e r a y o n n e m e n t d u Soleil p é n è t r e l ' é t h e r , q u ' i l so i t f r o i d o u d e n s e (ils a p p e l l e n t é t h e r f r o i d l ' a i r , et é t h e r d e n s e la m e r et t o u t ce q u i est h u m i d e ) . C e r a y o n n e m e n t p l o n g e d ' a i l l e u r s j u s q u ' a u x t r é f o n d s et, p o u r cette rais o n , c o n f è r e la vie à t o u t e s c h o s e s . L a vie : 28. C a r p o s s è d e la vie t o u t ce q u i p a r t i c i p e d u c h a u d : c ' e s t ce qui fait q u e les p l a n t e s aussi s o n t vivantes. M a i s il n e f a u t p a s c r o i r e q u e t o u t p o s s è d e u n e â m e . L ' â m e [végétative] en e f f e t est u n e p a r c e l l e d é t a c h é e à la fois d e l ' é t h e r c h a u d et d e l ' é t h e r f r o i d ; elle d i f f è r e d e la vie [animale] p a r c e q u ' e n elle se t r o u v e m ê l é a u s s i d e l ' é t h e r f r o i d . D e p l u s , l ' â m e est i m m o r telle, p u i s q u e ce d o n t elle est u n e p a r c e l l e est i m m o r t e l . Génération des a n i m a u x : 13. Cette dénégation tranche sur les habitudes de pensée de l'époque. 14. Préoccupation éminemment pythagoricienne. Q u a n t a u x êtres v i v a n t s , ils s ' e n g e n d r e n t m u t u e l l e m e n t p a r le m o y e n d e s e m e n c e s , c a r la g é n é r a t i o n s p o n t a n é e à p a r t i r d e la t e r r e n ' e x i s t e pas13. L a s e m e n c e est u n e g o u t t e d e c e r v e a u 'et r e n f e r m e en elle u n e v a p e u r h u m i d e et c h a u d e . D è s s o n i n t r o d u c t i o n d a n s la m a t r i c e , d e < c e t t e p a r c e l l e d e > c e r v e a u s ' é c h a p p e n t le s é r u m , le l i q u i d e et le s a n g , d o n t s o n t constitués les chairs, les n e r f s , les os, les poils et la t o t a lité d u c o r p s ; et à p a r t i r d e la v a p e u r h u m i d e se c o n s t i t u e n t l ' â m e et les sens. 29. L a c o a g u l a t i o n initiale se c o n s t i t u e et p r e n d s a f o r m e a u b o u t d e q u a r a n t e j o u r s ; le f œ t u s , e n t i è r e m e n t c o n s t i t u é a u b o u t d e s e p t , o u n e u f , o u dix m o i s a u p l u s , s e l o n les r a p p o r t s d e l ' h a r m o n i e 14, e s t alors mis au monde. Il p o s s è d e en lui t o u s les r a p p o r t s v i t a u x , q u i c o n s t i t u e n t u n e série c o n t i n u e , r é g i e p a r les r a p p o r t s d e l ' h a r m o n i e , et se m a n i festent successivement à des m o m e n t s tunité dont l'oppor- est réglée. Les sens : Q u a n t a u x sens en général, et t o u t spécialement la vue, c'est u n e v a p e u r particulière, très c h a u d e , q u i les c o n s t i t u e ; c'est — toujours d'après eux — ce qui 15. Pythagore. Les yeux renferment du feu et un rai lumineux est émis par l'œil vivant. 16. La tripartition de l'âme se retrouvera chez Platon. 17. L'immortalité n'est que partielle et réservée à l'intellect. 18. Pythagore n'a-t-il pas Hermès pour lointain ancêtre ? (Voir 1.1.1. Pythagore et ses vies antérieures, p. 52.) 19. Ou Furies, divinités infernales. p e r m e t d e v o i r à t r a v e r s l ' a i r et l ' e a u : e n e f f e t , le chaud forme une barrière résistant a u froid puisque — la c h o s e est c e r t a i n e — si la v a p e u r h u m i d e r e n f e r m é e d a n s les y e u x é t a i t f r o i d e , elle se d i s s i p e r a i t d a n s l ' a i r , a u q u e l elle s e r a i t s e m b l a b l e . O r ce n ' e s t p a s le cas. E n c e r t a i n s p a s s a g e s , il15 a p p e l l e les y e u x les p o r tes d u Soleil. Il s o u t i e n t les m ê m e s t h é o r i e s à p r o p o s d e l ' o u ï e et d e s a u t r e s s e n s . Tripartition de l'âme : 30. L ' â m e h u m a i n e , elle, se divise e n t r o i s p a r ties : l ' i n t e l l e c t , la c o n s c i e n c e et les passions 16. L ' i n t e l l e c t et les p a s s i o n s se r e n c o n t r e n t é g a l e m e n t c h e z t o u s les êtres v i v a n t s , m a i s la c o n s c i e n c e n ' e x i s t e q u e chez l ' h o m m e . Le principe de l ' â m e s'étend d u c œ u r a u c e r v e a u ; les p a s s i o n s o n t l e u r siège d a n s le c œ u r , a l o r s q u e l ' i n t e l l e c t et la c o n s c i e n c e r é s i d e n t d a n s le c e r v e a u . Q u a n t a u x s e n s , ce s o n t d e s g o u t t e s q u i e n p r o v i e n n e n t . S e u l e la p a r t i e c o n s c i e n t e est i m m o r t e l l e , a l o r s q u e le reste est m o r t e l 1 7 . L ' â m e se n o u r r i t d u s a n g , et les p a r o l e s s o n t des s o u f f l e s d e l ' â m e . Elles n e s o n t p a s p l u s visibles q u ' e l l e - m ê m e , v u q u e l ' é t h e r lui n o n p l u s n ' e s t p a s visible. 31. L e s v e i n e s , les a r t è res et les n e r f s s o n t les liens d e l ' â m e . À c e l a s ' a j o u t e q u e , l o r s q u ' e l l e est f e r m e et d e m e u r e i m m o b i l e e n ellem ê m e , p a r o l e s et a c t e s d e v i e n n e n t p o u r elle d e s liens. Eschatologie : U n e fois c h a s s é e de s o n s é j o u r t e r r e s t r e , elle v a g a b o n d e d a n s l ' a i r , avec l ' a p p a r e n c e d u corps. C ' e s t H e r m è s 18 l ' i n t e n d a n t des â m e s ; et si o n l ' a p p e l l e le « c o n d u c t e u r », le « p a s s e u r » et le « s o u t e r r a i n », c ' e s t p r é c i s é m e n t p a r c e q u e c ' e s t lui q u i , à l e u r s o r t i e d u c o r p s , c o n d u i t les â m e s [chez H a d è s ] h o r s d u s é j o u r t e r r e s t r e et des p r o f o n d e u r s m a r i n e s . E t , si les â m e s p u r e s s o n t c o n d u i t e s d a n s la r é g i o n la p l u s élevée, les â m e s i m p u r e s , elles, n e les a p p r o c h e n t p a s ni n e se fréq u e n t e n t e n t r e elles, m a i s s o n t e n c h a î n é e s p a r les É r i n n y e s 19 d a n s des liens i n f r a n g i b l e s . L e s êtres divins : 32. D ' a i l l e u r s l ' a i r est p l e i n d ' â m e s : o n p e n s e q u ' i l s ' a g i t là des d é m o n s et des h é r o s ; ce s o n t e u x q u i e n v o i e n t a u x h o m m e s les s o n g e s et les p r é s a g e s d e m a l a d i e c o m m e d e b o n n e s a n t é c o n c e r n a n t n o n seul e m e n t les h o m m e s , m a i s aussi les t r o u p e a u x et les best i a u x ; c ' e s t à e u x q u e s ' a d r e s s e n t les p u r i f i c a t i o n s et les sacrifices d e s t i n é s à d é t o u r n e r les f l é a u x , a i n s i q u e la d i v i n a t i o n s o u s t o u t e s ses f o r m e s , les i n v o c a t i o n s et t o u s les rites d u m ê m e g e n r e . L a vertu éthique : Il dit e n c o r e q u e ce q u i c o m p t e le p l u s d a n s la vie des h o m m e s , c ' e s t d ' i n c i t e r l ' â m e a u b i e n p l u t ô t q u ' a u m a l . B i e n h e u r e u x s o n t les h o m m e s , q u a n d u n e â m e v a l e u r e u s e l e u r est c o n f é r é e ; s i n o n , ils n e s o n t j a m a i s e n r e p o s et n e p e u v e n t j a m a i s g a r d e r u n e m ê m e ligne d'action. L a loi : 33. D e p l u s , le d r o i t g a r a n t i t les s e r m e n t s : c ' e s t 20. Serment prêté sur la tétractys. (Voir 1.1.4. Catéchisme philosophique, note 5, P- 56.) L'excellence est harmonie, comme la santé, le bien en général et Dieu ; cela explique que pour lui, l'harmonie générale préside à la constitution du monde. 21. Voir le texte précédent. L'amitié : L'amitié, elle, est une égalité parfaitement harmonieuse21. pour cela que Zeus est appelé dieu des serments 20. La piété : Il ne faut pas honorer les dieux et les héros également : pour les dieux, à tout moment on doit observer un silence respectueux, être vêtu de vêtements blancs et s'être purifié ; mais on ne prodigue ces marques de respect aux héros qu'après l'heure de midi. 22. Un des ouvrages d ' E m p é d o c l e p o r t e r a ce titre : Les Purifications (voir p. 78). 23. Poissons de mer. Purification : La purification22 comporte les sacrifices expiatoires, les lustrations, les aspersions, et implique qu'on se tienne à l'écart des funérailles, des accouchements et des souillures quelles qu'elles soient ; elle exige aussi qu'on s'abstienne de toucher et de manger les viandes d ' a n i m a u x m o r t s ainsi q u e des r o u g e t s , des bogues 23, des œufs et des animaux ovipares, des fèves et toutes les autres choses dont doivent s'abstenir formellement ceux qui célèbrent les cérémonies dans les sanctuaires. Vies, VIII, 24-33 (École pythagoricienne B i a, op. cit., pp. 560-63). 1.2.2. Dualité des principes 1.2.2.1. À l'époque d'Alcméon Aristote 1. L ' U n n'est plus premier. Il faut alors établir l ' o r d r e suivant : 1. Principes : limité et illimité. Il. Éléments : impair et pair. III. L ' U n (mélange). IV. Le n o m b r e (et par conséquent le Ciel qui est n o m b r e ainsi que tous les êtres qu'il enveloppe). 2. Alcméon et ses successeurs. 3. Cette liste n'est pas une simple énumération. Il faut la lire c o m m e un système où les n e u f paires précédentes se retrouvent dans la dixième qui est le n o m b r e , qui, lui-même, p r e n d la figure carrée ou oblongue. 4. Seconde moitié du vie siècle a v a n t J.-C.. O r , d e t o u t e é v i d e n c e , le n o m b r e est, t o u j o u r s p o u r les p y t h a g o r i c i e n s , p r i n c i p e , a u s s i b i e n c o m m e m a t i è r e p o u r les ê t r e s q u ' e n t a n t q u ' i l c o n s t i t u e l e u r s p r o p r i é t é s et leurs m a n i è r e s d ' ê t r e . Les é l é m e n t s d u n o m b r e s o n t le p a i r e t l ' i m p a i r , c e l u i - c i é t a n t l i m i t é et celui-là illimité ; l ' U n p r o c è d e d e ces d e u x é l é m e n t s , p u i s q u ' i l e s t à l a f o i s p a i r e t i m p a i r 1 ; le n o m b r e p r o c è d e d e l ' U n et le ciel e n s a t o t a l i t é est n o m b r e [...]. D'autres 2, toujours parmi les pythagoriciens, f i x e n t le n o m b r e d e s p r i n c i p e s à d i x , et les r a n g e n t e n d e u x séries parallèles : limité et illimité, i m p a i r et pair, u n et m u l t i p l e , d r o i t e et g a u c h e , m â l e et f e m e l l e , e n r e p o s et e n m o u v e m e n t , d r o i t et c o u r b e , l u m i è r e et t é n è b r e , b o n et m a u v a i s , carré et oblong 3. C ' e s t cette c o n c e p t i o n q u i s e m b l e a v o i r été celle d'Alcméon de Crotone4 ; toujours est-il q u e cette théorie a été e m p r u n t é e , soit p a r A l c m é o n a u x p y t h a goriciens, soit p a r e u x à A l c m é o n . E t de fait, < l ' a d o l e s c e n c e d ' > A l c m é o n c o ï n c i d e a v e c les d e r n i è r e s a n n é e s d e l a v i e d e P y t h a g o r e ; d ' a u t r e p a r t , il p r o fessa u n e d o c t r i n e v o i s i n e d e celle des p y t h a g o r i c i e n s . C'est ainsi qu'il dit q u e la p l u p a r t des choses h u m a i n e s v o n t p a r d e u x ; il s o n g e a l o r s , n o n à d e s o p p o s i t i o n s d é f i n i e s c o m m e c h e z les p y t h a g o r i c i e n s , m a i s à toutes les blanc/noir, sortes d'oppositions doux/amer, possibles, bon/mauvais, comme grand/petit. M a i s il n e s ' e s t p a s d o n n é l a p e i n e d e l e s d é f i n i r a v e c p l u s d e p r é c i s i o n , a l o r s q u e les p y t h a g o r i c i e n s , e u x , o n t p r é c i s é le n o m b r e et l a n a t u r e d e s o p p o s é s . Q u o i q u ' i l e n s o i t , ils s o n t t o u s d e u x d ' a c c o r d p o u r a f f i r m e r q u e les o p p o s é s s o n t les p r i n c i p e s d e s ê t r e s ; m a i s l e u r n o m b r e e t l e u r n a t u r e , c e s o n t l e s s e c o n d s [les p y t h a g o r i c i e n s ] q u i les p r é c i s e n t . M é t a p h y s i q u e , A , 5 . 9 8 6 a 15 (École p y t h a g o r i c i e n n e B v, op. cit., p p . 565-566). Q u a n t a u x p y t h a g o r i c i e n s , ils o n t , d e l a m ê m e manière, parlé de deux principes, en y ajoutant toutefois ceci qui, reconnaissons-le, l e u r est p r o p r e : le l i m i t é e t l ' i l l i m i t é [et l ' U n ] n e s o n t p a s , d ' a p r è s e u x , d e s r é a l i t é s p h y s i q u e s a u t r e s , c o m m e le f e u , l a t e r r e o u tel a u t r e é l é m e n t , m a i s c'est l'illimité m ê m e et l ' U n m ê m e qui constituent la substance des choses auxquelles o n les a t t r i b u e — c ' e s t c e q u i e x p l i q u e j u s t e m e n t q u e la s u b s t a n c e d e t o u t e s c h o s e s est le n o m b r e . I b i d . , 9 8 7 a 13 ( B VIII, o p . c i t . , p . 5 6 7 ) . 1.2.2.2. À l ' é p o q u e de Philolaos F r a g m e n t s d u traité D e la N a t u r e de Philolaos 1 D i o g è n e Laërce 1 1- Doxographe du début du Ille siècle. 2. On notera que les illimités constituent un pluriel alors que Platon (voir p. 255), dans son enseignement oral, parlera de l'Illimité au singulier. La multiplicité des illimités suggère un rapprochement avec Zénon d'Élée (voir p. 105) qui était l'ami de Philolaos. [Son traité] D e la n a t u r e d é b u t e ainsi : « C e sont les i l l i m i t é s 2 e t les l i m i t a n t s q u i o n t , e n s ' h a r m o n i - sant 3, constitué au sein du monde 4 la nature, ainsi que la totalité du monde et tout ce qu'il contient. » Vies, VIII, 85 (op. cit., p. 502). 3. Sur le concept d'harmonie, voir p. 69. 4. Le ciel, qui est nombre. Voir le texte précédent, note 1. II Stobée 1 1. Jean de Stobi en Macédoine, doxographe du Ve siècle. (Extrait du livre Du monde de Philolaos). « Il est nécessaire que tous les êtres soient ou bien limitants, ou bien illimités, ou bien à la fois limitants et illimités. Mais il ne saurait y avoir rien que des illimités ou r i e n q u e d e s l i m i t a n t s . A u s s i , p u i s q u ' i l est visible q u e le m o n d e n ' e s t p a s f a i t r i e n q u e d e l i m i t a n t s ni r i e n q u e d ' i l l i m i t é s , il est b i e n c l a i r q u e c ' e s t d e l ' a c c o r d à la fois d e l i m i t a n t s et d ' i l l i m i t é s q u e le m o n d e ainsi q u e t o u t ce q u ' i l c o n t i e n t o n t é t é c o n s t i t u é s . C e l a est e n c o r e p r o u v é p a r l ' o b s e r v a t i o n des f a i t s : c a r les c h o ses q u i s o n t c o n s t i t u é e s d e l i m i t a n t s , l i m i t e n t ; d ' a u t r e s , c o n s t i t u é e s à la fois d e l i m i t a n t s et d ' i l l i m i tés, l i m i t e n t et i l l i m i t e n t ; et d ' a u t r e s e n c o r e , c o n s t i t u é e s d ' i l l i m i t é s , s e r o n t à l ' é v i d e n c e illimitées ». C h o i x d e t e x t e s , I, x x i , 7 a ( o p . c i t . , p. 502). IV Stobée « E t de fait, t o u t être connaissable a u n n o m b r e : sans c e l u i - c i , o n n e s a u r a i t r i e n c o n c e v o i r ni r i e n connaître. » C h o i x d e t e x t e s , I, x x i , 7 b (op. cit., p . 503). v Stobée 1. L'existence de cette troisième forme explique un point obscur du Timée de Platon (35 a ; voir p. 300) : pour façonner l'âme, le démiurge use du Même, de l'Autre et d'une troisième substance produite par leur mélange. « D e f a i t , le n o m b r e a d e u x f o r m e s p r o p r e s , l ' i m p a i r et le p a i r , p l u s u n e t r o i s i è m e p r o d u i t e p a r le m é l a n g e des d e u x : le p a i r - i m p a i r 1 . C h a c u n e d e s deux formes revêt des aspects multiples, q u ' e x p r i m e c h a q u e objet pris isolément. » C h o i x d e t e x t e s , I, x x i , 7 c (op. cit., p. 503). 1.2.3. Le nombre Stobée 1. Le nombre 10, car 1 +2 +3 + 4 = 10. La décade est aussi la tétractys. De Philolaos : « L'examen des effets et de l'essence du nombre doit se faire en fonction de la puissance contenue dans la décade En effet la puissance < d u nombre > est grande, parfaite, universelle, principe et guide de la vie divine et céleste comme de la 2. Lacune du texte. 3. Le nombre est l'instrument de la connaissance et de l'intelligibilité. 4. Le gnomon est ici le nombre qui, ajouté à un nombre figuré, donne une figure de même forme. S. Le nombre produit les corps en les informant. 6. L'amitié sera signe, au contraire, de rationalité. (Voir P. 58). vie humaine auxquelles participe [...] 2 < l a > puissance aussi de la décade. Sans elle, tout serait illimité, caché et obscur. Car la nature du nombre 3 est pour tout homme cognitive, directrice et institutrice, sur tout ce qui est matière soit à perplexité, soit à ignorance. En effet aucune des choses [qui existent] ne serait évidente pour personne, ni en elle-même ni dans sa relation avec une autre chose, s'il n'existait pas le nombre et l'essence du nombre. En réalité, c'est le nombre qui, en rendant toutes choses adéquates à l'âme par la sensation, les rend connaissables et commensurables entre elles selon la nature du gnomon 4 ; car c'est lui qui les rend corporelles5 et distingue chacune des relations entre les choses tant illimitées que limitantes. Et on peut observer la nature du nombre et sa puissance efficace non seulement dans les choses démoniques et divines, mais aussi dans toutes les actions et paroles humaines, à tout propos et aussi bien dans toutes les activités de l'art que dans le domaine de la musique. La nature du nombre, d'autre part, pas plus que ne le fait l'harmonie, n'admet la fausseté : avec la fausseté en effet ni l'une ni l'autre n ' a de parenté, puisque la fausseté et la jalousie ressortissent, elles, à la nature de ce qui est illimité, inintelligible et irrationnel6. Le souffle de la fausseté n'atteint aucunement le nombre ; car la fausseté combat et hait sa nature, tandis que la vérité est chose propre et connaturelle au nombre. » Choix de textes, I, préface, 3 (Philolaos B XI, op. cit, p. 506). Théophraste 1 1. Successeur d'Aristote à la tête du Lycée. 2. Disciple de Philolaos. 3. Y aurait-il eu un art proprement pythagoricien de la mosaïque ? (Voir le texte suivant.) C'est se comporter en esprit accompli et sérieux que [de ne pas s'arrêter en chemin et] de faire ce qu'Archytas rapportait un jour d'Eurytos 2 occupé à disposer certains cailloux 3. Il affirmait en effet q u ' < à chaque être correspond un nombre particulier > : tel nombre à l'homme, tel autre au cheval et tel autre à autre chose. En fait, la plupart des gens s'arrêtent en chemin : ainsi ceux qui font de l'Un et 4. N o m s que Platon, dans son enseignement oral, d o n n a i t au limitant et à l'illimité, en s'inspirant de Philolaos. 5. Voir Archytas (A, xxiv, Les Présocratiques, p. 532). 6. Le temps est identifié à la sphère céleste. de la dyade indéfinie 4 [des principes] ; en effet, une fois qu'ils ont engendré les nombres, les surfaces et les volumes, ils laissent de côté pour ainsi dire tout le reste ; et, ne s'attachant plus qu'à cela, ils se bornent à montrer que de la dyade indéfinie procèdent certaines choses, comme le lieu et le vide illimité5, et d'autre part que des nombres et de l'Un en procèdent d'autres, comme l'âme et autres choses semblables. [Ils engendrent d'un seul coup le temps et le ciel 6, et un grand nombre d'autres choses], mais par la suite ils ne font plus mention du ciel ni du reste. Métaphysique, II, éd. Usener, 6 a 19 (Eurytos II, op. cit., p. 514). Pseudo-Alexandre d'Aphrodise 1 1. C o m m e n t a t e u r a n o n y m e de la Métaphysique d ' A r i s t o t e (ine siècle ?). 2. Cette opération évoque la technique de la mosaïque. Prenons par exemple pour mesure de l'homme le nombre 250, et pour mesure de la plante le nombre 360. Eurytos prenait alors deux cent cinquante cailloux verts, noirs, rouges et de toutes les sortes de couleurs. Il recouvrait ensuite un mur de chaux pour y dessiner la silhouette d'un homme ou celle d'une plante 2, et plaçait certains de ses cailloux à l'endroit du visage, d'autres à l'endroit des mains, et d'autres à d'autres endroits, jusqu'à ce qu'il ait rempli la silhouette imitée de l'homme avec un nombre de cailloux égal à celui des unités qui, selon lui, définissait l'homme. Commentaire sur la Métaphysique d'Aristote, 827, 9 (Eurytos m, op. cit., p. 515). Aristote 1. Atomistes. Leucippe a été l'élève de Philolaos. À l'époque de Leucippe et de Démocrite1, et même déjà avant eux, ceux q u ' o n appelle les pythagoriciens s'intéressèrent les premiers aux mathématiques et les firent progresser. Comme ils avaient été élevés dans cette science, ils crurent que ses principes étaient les principes de toutes choses ; et, puisque par nature les nombres sont les premiers des principes mathématiques, c'est dans les nombres qu'ils pensaient voir de nombreuses similitudes avec les êtres éternels ainsi qu'avec les créatures soumises au devenir, bien plus encore que dans le feu, la terre et l'eau (c'est ainsi que telle propriété des nombres représentait la justice, telle autre l'âme et l'intellect, telle autre le m o m e n t opportun et de même pour à peu près tout ce qui leur ressemblait) ; puisqu'en outre, ils voyaient que les propriétés et les rapports musicaux étaient exprimables par des nombres, et puisque, enfin, toutes les autres choses étaient, de toute évidence, à la ressemblance des nombres, qui eux-mêmes étaient premiers dans tout ce que comporte la nature, ils formèrent l'hypothèse que les éléments des nombres sont les éléments de toutes choses, et que le ciel tout entier est harmonie et nombre. Toutes les concordances qu'ils pouvaient mettre en évidence dans les nombres et la musique avec les phénomènes et les parties du ciel ainsi qu'avec l'ordonnance universelle, ils les rassemblèrent pour les incorporer à leur système. Métaphysique, A, 5. 985 b 23 (École pythagoricienne B IV, op. cit., p. 564). 1.2.4. L'harmonie 1.2.4.1. Philolaos, De la Nature, fragment VI Stobée 1 1. Jean de Stobi, en Macédoine, doxographe du v' siècle. Touchant la nature et l'harmonie, voici ce qu'il en est : l'être des choses, qui est éternel, et la nature elle-même requièrent une connaissance divine et non humaine ; d'autant plus qu'aucune chose existante ne pourrait être connue de nous, s'il n'existait pas un être fondamental des choses dont se trouve composé le monde : les limitantes et les illimitées. Mais, puisque ces principes existent en tant que non semblables et non homogènes, il serait impossible q u ' u n monde se soit constitué à partir d'eux, s'il ne s'y était ajoutée une harmonie, quelle que soit la manière dont elle est née. Les semblables et apparentés ne requièrent aucune harmonie ; mais les dissemblables non apparentés et non également ordonnés doivent être nécessairement enchaînés par une harmonie telle qu'ils puissent, grâce à elle, se maintenir dans le monde. La grandeur de l'harmonie est [constituée par] la quarte et la quinte*. La quinte est plus grande d'un ton que la quarte. En effet une quarte sépare la corde la plus haute (hypate) de la corde moyenne (mèse) ; une quinte la corde moyenne (mèse) de la plus basse (nète) ; une quarte la corde la plus basse (nète) de la tierce (trite) ; une quarte la corde la plus basse (nète) de la tierce (trite) ; et une quinte la corde tierce (trite) de la plus haute (hypate). Entre la tierce (trite) et la moyenne (mèse) il y a un ton. La quarte a le rapport 3/4, la quinte 2/3 et l'octave 1/2. Ainsi l'harmonie comprend cinq tons et deux demi-tons, la quinte trois tons et un demi-ton, et la quarte deux tons et un demi-ton. Choix de textes, I, xxi, 7 d (op. cit., p. 504). Boèce 1 1. A u t e u r latin du vie siècle. Voici comment Philolaos définit ces intervalles et leurs subdivisions. Selon lui, le dièse est l'intervalle dont la quarte dépasse deux tons ; le comma est l'intervalle dont le ton dépasse deux dièses, c'est-à-dire deux demi-tons mineurs. Quant au schisme, il vaut un demic o m m a et le diaschisme un demi-dièse, c'est-à-dire u n demi-ton mineur. Institution musicale, III, 8, éd. Friedlein, 278, 11 (op. cit., p. 504). Théon de Smyrne 1 1. Mathématicien et philosophe platonicien du ne siècle. Les pythagoriciens, que Platon suit en maintes occasions, affirment eux aussi que la musique est une combinaison harmonique des contraires, une unification des multiples et un accord des opposés. Commentaires, éd. Hiller, 12, 10 (op. cit., p. 505). 1.2.4.2. Archytas, H a r m o n i q u e , fragments 1 à III a. Acoustique physique Porphyre 1 1. Néoplatonicien de la fin du Ille siècle. 2. Passage des mathématiques à la physique. 3. Noter les nombreuses analogies entre l'acoustique et la dynamique. 4. Ainsi la musique des sphères est-elle imperceptible (voir P. 76). Revenons cette fois encore aux écrits du pythagoricien Archytas — car la tradition veut que les traités [qu'on lui attribue] soient absolument authentiques. Voici le début de sa Mathématique : « Les mathématiciens, à mon avis, savent bien discerner et comprendre comme il faut — et cela n'est nullement surprenant — la nature de chaque chose ; car, puisqu'ils ont une connaissance détaillée du Tout, ils doivent bien voir aussi l'essence des objets particuliers. Aussi touchant la vitesse des astres, de leur lever et de leur coucher, nous ont-ils donné une connaissance claire, tout autant qu'en géométrie plane, en arithmétique et en sphérique, sans oublier non plus la musique. Car ces sciences semblent sœurs puisqu'elles s'occupent des deux premières formes de l'être, qui sont elles-mêmes sœurs. Ils ont ainsi découvert les premiers qu'il ne peut se produire de son que si des corps se heurtent entre eux 1. Selon eux, le heurt se produit au moment de la rencontre et de la collision de corps en mouvement. Il y a son, tantôt quand des corps, animés de mouvements contraires, se freinent mutuellement en se heurtant, et tantôt quand des corps, emportés dans une même direction, mais à des vitesses inégales, sont heurtés par ceux qui les suivent en voulant les dépasser 3. Or beaucoup de ces bruits sont tels que notre nature ne nous permet pas de les percevoir 4, soit en raison de la faiblesse du choc, soit parce qu'une grande distance nous en sépare, soit encore en raison de l'excès d'amplitude de ces bruits (car les bruits de forte amplitude ne pénètrent pas en notre ouïe, de la même façon que rien ne pénètre à l'intérieur d ' u n vase à l'embouchure étroite, quand on veut y verser une [trop] grande quantité [de liquide]). Maintenant, pour ce qui est des sons que nous percevons, les uns paraissent aigus : ce sont ceux que produit le heurt rapide et violent ; les autres nous semblent graves : ce sont ceux que produit Troisième p a r t i e Aristote Table des ouvrages d'Aristote 340-342 Chapitre 1 : Réalité de la substance 1. L'Être et l ' U n ne sont pas des substances L I . L ' U n est-il une substance ? 1.2. Aucun universel n'est substance 1.3. Si le blanc est une couleur, les couleurs sont des couleurs : donc le prédicat couleur n'est pas une substance 1.4. Confirmation par d'autres exemples 1.5. Cela vaut p o u r toutes les catégories, la substance y c o m p r i s e . . 1.6. L ' U n en soi, s'il est, est attribut de la substance 1.7. Seule la substance individuelle fait exister l ' U n et l'Être 343 343 344 345 345 346 346 347 2. La substance ne se réduit pas aux contraires 2.1. Quel est le nombre des principes ? 2.2. Ils doivent être plus de deux 2.3. Les Anciens ont admis un troisième terme 347 347 348 348 2.4. Les contraires changent, le sujet demeure 2.4.1. Exemple : le parler simple et le parler complexe 2.4.2. Les attributs changent, le sujet demeure 2.5. Deux principes qui font trois causes 2.6. Le troisième terme recherché et le second principe sont la matière 3. La causalité substantielle 3.1. Les quatre causes 3.2. La matière et ses genres 3.3. La matière appelle la détermination formelle 3.3.1. La matière est sujet 3.3.2. Substrat se dit en trois sens, mais la forme est antérieure à la matière 3.3.3. La matière est-elle l'ultime substrat ? 3.3.4. Attributs - substance - matière 349 349 350 350 356 356 357 3.3.5. 3.3.6. 3.4. La 3.4.1. 3.4.2. 3.4.3. 3.4.4. 3.4.5. 3.4.6. 357 357 358 358 358 359 359 360 360 Mais la matière n'est pas substance La matière désirante forme est-elle alors substance ? La substance est une cause à part des choses s e n s i b l e s . . . . La question pourquoi ? n'admet pas de réponse tautologique. Une réponse d'ordre général serait insuffisante Le p o u r q u o i ? doit porter sur le pourquoi de l'attribution. La cause cherchée est soit efficiente, soit finale L'objet en question n'est pas simple, mais complexe . . . . . . 352 353 353 354 355 355 3.4.7. La question p o u r q u o i ? porte sur la matière en tant que sujet 3.4.8. Le composé ne se réduit pas à ses composants : la syllabe et les lettres 3.4.9. Ce qui produit l'union des composants n'est pourtant ni un élément ni un composé d'éléments 3.4.10. La substance est la cause formelle en tant qu'elle unit les composants de la substance 4. La catégorie de substance 4.1. La substance première admet deux sortes d'attributs : les substances secondes et l'accident 4.2. C'est l'espèce qui est substance 4.3. Unité et qualité 4.4. Substance et changement Chapitre 2 : La nature et le mouvement 1. Puissance, acte et mouvement L I . La puissance n'est pas seulement active 1.2. Définition de l'acte 1.3. Le cas particulier de l'infini ou illimité 1.4. L'action comme moyen et l'action comme fin : poièsis et praxis 1.5. Acte et mouvement 2. Comment penser le mouvement ? 2.1. Catégories et genres du mouvement 2.2. Le mouvement en train de se faire 2.3. Le mouvement est l'entéléchie du mobile 2.4. L'acte un et commun 2.4.1. L'acte un et c o m m u n du maître et de l'élève 2.4.2. L'acte u n et c o m m u n du sensible et du sens Chapitre 3 : L ' â m e , la vie, la finalité 1. L ' â m e 1.1. Rappelons que toute substance est u n composé 1.2. Âme et entéléchie 1.3. L'entéléchie première 2. Le mouvement de l'être vivant 2.1. Nécessité d ' u n point fixe : l'articulation 2.2. L'immobile dans l'animal renvoie à un immobile e x t é r i e u r . . . . 2.3. Astronomie et théologie : le mouvement du ciel 2.4. Dieu, l'âme et la vie 3. Dieu 3.1. Le mouvement éternel de la sphère céleste . . . . . . . . . . . . . . . . . 360 361 361 362 362 363 365 366 367 370 371 372 372 373 374 374 375 376 378 380 380 382 386 386 386 387 388 388 389 390 390 392 392