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Le climat, difficile gestion planétaire
PAR PHILIPPE MARTIN
QUOTIDIEN : lundi 10 décembre 2007
Le climat est l’archétype de ce que les économistes appellent un bien public global. Il semble donc a priori logique que
la gestion de ce bien public se fasse au niveau planétaire, et c’est le point de départ de la conférence de Bali sur les
changements climatiques.
A question globale, solution globale. En théorie, celle-ci passerait par un accord mondial de réduction des émissions de
CO2, avec en particulier une taxe mondiale sur celles-ci ou d’autres instruments, là aussi mis en place au niveau
mondial, tel un marché de droits à polluer comme il existe en Europe. La difficulté d’une négociation «globale» est
qu’alors que vingt pays (les pays riches et quelques gros pays émergents, en particulier la Russie, la Chine et l’Inde) sont
à l’origine de 80 % des émissions, les victimes, elles, seront concentrées dans les pays les plus pauvres.
Le changement climatique représente donc un échec des mécanismes de marché au niveau planétaire, puisque ceux qui
émettent le CO2 ne sont pas ceux qui vont «payer». L’autre problème est que, en l’absence d’une instance mondiale
contraignante, chacun a intérêt que ce soit l’autre qui fasse l’effort de réduction des émissions. L’inaction des
Etats-Unis et des grands pays émergents, et même les résultats mitigés de l’Europe, s’expliquent en grande partie par
ce problème spécifique aux biens publics globaux. Si une taxe ou tout autre instrument de réduction contraignant est
impossible au niveau mondial - ce que les économistes appellent la solution de premier rang -, à quoi peut ressembler
une solution de second rang ? Comment faire pour inciter les pays de «l’espace Kyoto», ceux qui ont mis en place des
instruments pour diminuer leurs émissions, à faire davantage et inciter les autres pays à émettre moins de CO2 ?
Un des instruments possibles est l’instauration d’une taxe prélevée aux frontières de l’Europe sur le contenu en CO2 des
importations provenant des pays hors de l’espace Kyoto. Elle a été proposée par le gouvernement français sous
l’appellation de mécanisme d’ajustement aux frontières. Une telle taxe aurait deux objectifs, climatique et
économique. En augmentant pour les pays émetteurs de CO2 le coût de cette émission, elle les inciterait à les réduire et
plus indirectement à rejoindre l’espace Kyoto. Augmenter ainsi le coût des émissions et les réduire au niveau mondial
devrait être l’objectif principal.
Le second est de lutter contre ce que Nicolas Sarkozy appelle le dumping environnemental pratiqué par les pays non
engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est l’argument compétitivité. Les travaux nous apprennent
cependant qu’à l’exception d’un ou deux secteurs les délocalisations ne sont pas liées à des différences de
réglementation environnementale. Si cette taxe a une légitimité, écologique plutôt qu’économique, elle est de
s’approcher, au niveau mondial, du «vrai» prix de l’émission de CO2. Or c’est l’argument compétitivité qui est
constamment mis en avant. Celui-ci porte en germe une confusion - en partie intentionnelle - entre taxe CO2 aux
frontières et protectionnisme contre les pays émergents à bas salaire, tout particulièrement la Chine. Il y a donc une
méfiance légitime sur cette taxe à la fois de la part des pays européens opposés au protectionnisme - Royaume-Uni en
tête - et des pays émergents qui y voient une manière de brider leurs exportations et leur développement. Ils rappellent
à juste titre que, collectivement, les pays riches représentent 70 % des émissions de CO2 émises depuis le début de l’ère
industrielle. La Chine a certes dépassé les Etats-Unis et est devenue aujourd’hui le plus gros émetteur de CO2, mais un
Américain émet encore cinq fois plus de CO2 qu’un Chinois. Même s’il est clair que le problème du changement
climatique ne pourra pas être réglé sans l’implication des grands pays émergents, ceux-ci ne veulent pas que leurs
exportations, et donc leur développement, soient la principale victime de notre mode de développement passé. Pour
éviter la confusion dangereuse entre taxe écologique et protectionnisme, des propositions existent : par exemple
reverser le revenu de ces taxes aux frontières aux pays taxés pour financer des technologies propres sur le carbone ou
baisser en échange les tarifs sur d’autres importations de ces pays. Si la taxe aux frontières sur le CO2 ne trouve pour
principaux défenseurs que les lobbys industriels et les protectionnistes, on peut être assuré qu’elle ne verra jamais le
jour.
Philippe Martin est professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et chercheur au Centre d’enseignement de
recherches et d’analyses socio-économiques (Ceras-CNRS).
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