Psychologie évolutionniste Vincent BERTHET Maître de conférences Plan 1. 2. 3. 4. 5. Génétique : rappels La théorie de l’évolution Les fondements de la psychologie évolutionniste Le comportement d’accouplement chez l’homme La génétique comportementale 1. Génétique : rappels L’ADN • L’ADN (fonction) : signifie acide désoxyribonucléique est une molécule présente dans toutes les cellules vivantes, leur noyau (cellules eucaryotes) ou leur cytoplasme (cellules procaryotes) détermine la synthèse des protéines (chaînes polypeptidiques), par l'intermédiaire de l'acide ribonucléique (ARN) est le support de l'hérédité car il est transmis lors de la reproduction • L’ADN porte l'information génétique : il renferme l'ensemble des informations nécessaires au développement et au fonctionnement d'un organisme ADN protéines cellules tissus organes organisme L’ADN • L’ADN (structure) : prend la forme d’une double-hélice, constituée de deux brins complémentaires chaque brin d'ADN est constitué d'un enchaînement de nucléotides (A, G, C et T) un nucléotide est composé d’une base azotée, d’un sucre (désoxyribose), et d’un groupement phosphate l'information génétique est inscrite dans l'ordre dans lequel s'enchaînent les quatre nucléotides Les gènes • Un gène est une séquence d'ADN qui code pour la synthèse d'une protéine l'ensemble du matériel génétique d'une espèce constitue son génome l'ensemble des gènes d’un individu constitue son génotype l'ensemble des caractères observables d’un individu (physiologiques, morphologiques, et comportementaux) constitue son phénotype • Le passage du génotype au phénotype correspond au processus d’expression des gènes dans lequel l’environnement joue un rôle important deux individus peuvent avoir le même génotype mais des phénotypes différents (et inversement) Les chromosomes • La longue molécule d’ADN est segmentée, chaque segment correspond à un chromosome • La visibilité des chromosomes varie en fonction du cycle cellulaire : en dehors des phases de division cellulaire, l’ADN prend la forme d’un long filament appelé chromatine lors des phases de division cellulaire, les chromosomes se condensent les chromosomes sont le plus souvent représentés sous leur forme condensée et dupliquée Source : Wikipédia Les chromosomes • Un organisme animal possède deux types de cellules : des cellules somatiques (qui représentent la majorité des cellules d’un individu) et des cellules germinales (ou sexuelles) qui sont susceptibles de former les gamètes (spermatozoïdes et ovocytes) • Les cellules somatiques sont diploïdes : les chromosomes qu’elles contiennent sont présents par paires (2n chromosomes) les chromosomes de chaque paire sont homologues : l’un provient du père, l’autre provient de la mère le génome de l’espèce humaine comporte 23 paires de chromosomes (22 paires d’autosomes et 1 paire de gonosomes) • Les cellules sexuelles sont haploïdes : les chromosomes qu’elles contiennent sont présents en exemplaires uniques (n chromosomes) lors de la fécondation, la cellule-œuf reçoit ainsi 23 chromosomes du père et 23 chromosomes de la mère : elle est diploïde Les chromosomes • Dans les cellules somatiques, comme chaque chromosome est présent en deux exemplaires, chaque gène est présent en deux versions : une version d’un gène correspond à un allèle le fait qu’un gène possède plusieurs allèles dans une population est appelé polymorphisme génétique – un gène est polymorphe s'il possède au moins deux allèles à une fréquence égale ou supérieure à 1 % – le nombre d’allèles par un gène est très variable suivant les gènes (jusqu’à 50 allèles) allèle A les allèles d'un gène occupent tous le même locus sur un même chromosome chromosomes locus homologues exemple : – le gène qui code le caractère groupe allèle B sanguin est situé sur le chromosome 9 – ce gène possède 3 allèles différents : A, B et O L’hérédité • L’hérédité est la transmission, au sein d'une espèce vivante ou d'une lignée de cellules, de caractères d'une génération à la suivante • On distingue deux formes d’hérédité : l’hérédité des caractères innés (hérédité mendélienne) : le support de l’hérédité est le matériel génétique – une caractéristique innée est une caractéristique déterminée génétiquement dont le développement ne fait pas l’objet d’un apprentissage (elle n’est pas nécessairement présente à la naissance, exemple : les dents chez l’homme) l’hérédité des caractères acquis (hérédité non-mendélienne) : le support de l’hérédité n’est pas le matériel génétique (épigénétique) 2. La théorie de l’évolution Theodosius Dobzhansky (1973) : « Rien en biologie n'a de sens, si ce n'est à la lumière de l'évolution. » La théorie de Lamarck • Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) a été le premier à proposer une théorie transformiste de l’évolution des espèces Lamarck a publié sa théorie dans Philosophie zoologique (1809) • Pour Lamarck, l’évolution des espèces est une nécessité son raisonnement est le suivant : les espèces doivent vivre en équilibre avec leur environnement pour survivre, or les données géologiques montrent que l’environnement terrestre change de façon continue, par conséquent, les espèces doivent nécessairement changer elles aussi • Lamarck décrit deux tendances de l’évolution des espèces : la première tendance est la complexification : l’organisation des êtres vivants devient de plus en plus complexe au cours du temps la seconde tendance est la diversification : les êtres vivants se diversifient en fonction des pressions environnementales La théorie de Lamarck • Lamarck décrit deux « lois » pour expliquer la seconde tendance : la première loi est la loi d’usage et de non-usage : un organe utilisé de façon fréquente se développe dans le sens de l’usage qui en est fait, au contraire, un organe non utilisé se détériore (atrophie) – cette loi est résumée dans la formule d’Aristote : « la fonction crée l’organe » la deuxième loi est la transmission des caractères acquis : les êtres vivants peuvent transmettre à leur descendance des changements organiques ou morphologiques qu’ils ont acquis au cours de leur vie • Lamarck donne notamment deux exemples pour illustrer ces deux lois : l’allongement du cou de la girafe : en essayant d’atteindre les feuilles hautes dans les arbres, le cou et les pattes des girafes s’allongent et cet allongement se transmet de façon imperceptible aux descendants l’atrophie des yeux de la taupe La théorie darwinienne • Charles Darwin (1809-1882) est l’auteur de la principale théorie de l’évolution des espèces il formule – la première partie de – sa théorie dans l’ouvrage : De l'origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie (1859) • L’apport scientifique majeur de la théorie darwinienne n’est pas la mise en évidence de l’évolution des espèces mais la proposition d’une explication causale de cette évolution • Avant les travaux de Darwin, l’idée que les espèces évoluent était déjà relativement répandue les données archéologiques de l’époque montraient que la morphologie des individus d’une espèce évoluait au cours du temps et que celle-ci était adaptée à la niche écologique qu’ils occupaient les données que Darwin a lui-même recueillies au cours de son voyage à bord du Beagle (1831-1836) confirment cette idée La théorie darwinienne – exemple : les différentes espèces de pinsons des îles Galapagos ont des becs très différents selon leur régime alimentaire feuilles insectes graines dures cactus • Avant l’avènement de la théorie darwinienne, aucune théorie n’était capable de décrire un mécanisme causal qui explique l’évolution des espèces les explications étaient de nature téléologique : les espèces évoluent parce que l’évolution a une finalité les explications téléologiques ne sont pas scientifiquement acceptables La théorie darwinienne • Pour comprendre le cœur de la théorie darwinienne, imaginons que la Nature soit un ingénieur devant résoudre le problème suivant : assurer la perpétuation des individus sachant que l’environnement change continuellement et que ses variations sont imprévisibles • La théorie darwinienne postule que la réponse élaborée par la Nature pour résoudre ce problème comporte trois principes : le principe de variation, le principe d’hérédité, et le principe de sélection 1. Le principe de variation • Le premier élément de réponse trouvé par la Nature est de proposer à chaque génération des individus avec des génotypes différents en espérant que certains génotypes codent pour des traits phénotypiques adaptés à l’environnement ce principe correspond à un apprentissage par essai/erreur : pour être sûr de trouver une solution adaptée à une situation donnée, on propose plusieurs solutions La théorie darwinienne • Au niveau biologique, le principe de variation est implémenté dans le phénomène de mutation génétique : il s’agit d’un changement dans la séquence de nucléotides qui caractérise un gène une mutation génétique : – se produit généralement au cours de la réplication de l’ADN – est rare et aléatoire – peut coder (ou pas) pour un trait phénotypique qui donne lieu (ou pas) à un avantage adaptatif – peut être due à plusieurs mécanismes La théorie darwinienne Les différents mécanismes à l’origine des mutations génétiques : Source : Wikipédia La théorie darwinienne 2. Le principe d’hérédité • Le principe de variation n’est pas suffisant : imaginons qu’une mutation génétique se soit produite chez un individu et que son influence sur le phénotype donne lieu à un avantage adaptatif si cet individu est le seul à bénéficier de cet avantage adaptatif, il n’y a pas d’évolution de l’espèce pour qu’il y ait évolution, la mutation génétique en question doit être transmise aux descendants • Au niveau biologique, cela signifie que seules les mutations génétiques qui affectent les cellules germinales (ou sexuelles) sont susceptibles de donner lieu à une évolution car ces mutations se transmettent au fil des générations au sein d’une population La théorie darwinienne une telle mutation génétique : – affecte l'ADN des cellules souches d'un gamète lors de la formation ou de la vie des gamètes – est présente dans le génotype de l'embryon alors qu’elle n’était pas présente dans le génotype des parents – est héréditaire (ainsi que le trait phénotypique qu’elle code) – définit un nouvel allèle du gène correspondant (et contribue ainsi au polymorphisme génétique) • Au contraire, les mutations génétiques qui affectent les cellules somatiques ne sont pas héréditaires car elles ne sont pas présentes dans les gamètes une telle mutation génétique : – ne définit pas un nouvel allèle du gène correspondant – est sensible aux facteurs mutagènes (exemple : rayons ultraviolets) La théorie darwinienne 3. Le principe de sélection • Dans l’ensemble des individus, seuls ceux dont les traits phénotypiques sont adaptés à l’environnement parviennent à se reproduire • Il y a donc une sélection des individus et cette sélection est naturelle (bottum-up) dans le sens où elle n’est pas réalisée par une entité extérieure (top-down) population • Pour le principe de sélection, Darwin s’était inspiré des travaux de l’économiste britannique ressources Thomas Malthus (1766-1834) qui avait noté que sans freins, la population augmenterait de façon géométrique (ou exponentielle) alors que les ressources ne croissent que de façon arithmétique exemple : – si tous leurs descendants survivaient, un seul couple d’éléphants pourrait engendrer 19 millions d’éléphants en 750 ans La théorie darwinienne • Or au cours du temps, la taille d’une population demeure relativement stable, ce qui implique l’existence d’un mécanisme régulateur • Pour Darwin ce mécanisme régulateur est la sélection : la taille d’une population demeure stable parce que certains individus ne parviennent pas à se reproduire la capacité d'un individu à se reproduire correspond à son succès reproducteur (ou valeur sélective ou fitness) les individus d’une population ont un succès reproducteur différentiel • Darwin distingue deux types de sélection en fonction de la cause du succès reproducteur différentiel : certains individus se reproduisent plus que d’autres parce qu’ils possèdent un ou plusieurs traits phénotypiques qui favorisent les chances : de survie : sélection naturelle (lutte pour la survie) (1859) de reproduction : sélection sexuelle (lutte pour la reproduction) (1871) La théorie darwinienne • La sélection naturelle et la sélection sexuelle ont pour effet de produire des adaptations : on appelle adaptation tout trait phénotypique qui procure un avantage reproducteur à un individu par rapport à ses rivaux, soit au niveau de la survie, soit au niveau de la reproduction « l’adaptation réfère à toute caractéristique fonctionnelle dont l’origine ou le maintien doit être expliqué par le processus de sélection naturelle. » (Buss et al., 1998) les adaptations sont déterminées génétiquement : elles sont codées par des allèles La théorie darwinienne • D’un point de vue épistémologique, on constate que les 3 principes de la théorie darwinienne (variation, hérédité, sélection) caractérisent un mécanisme qui rend compte de l’évolution de façon causale : si un nouvel allèle favorise la survie et la reproduction des individus qui le porte, alors la fréquence de cet allèle augmente MÉCANIQUEMENT dans la population au cours des générations • Cette explication est bien de nature causale : effet : caractère adapté des individus d’une espèce à un environnement à un instant t cause : à t – 1, seuls les individus adaptés à cet environnement se sont reproduits La théorie darwinienne • Au départ (1859), Darwin ne mentionne que la sélection naturelle : les espèces évoluent parce que leur environnement évolue et que seuls les individus capables de survivre dans leur environnement se reproduisent • La capacité de survie d’un organisme dans son environnement renvoie à sa capacité à : exploiter les opportunités disponibles dans l’environnement Organisme éviter ou s’accorder avec les menaces présentes dans l’environnement Environnement Caractéristiques phénotypiques Opportunités Menaces La théorie darwinienne • L’exemple le plus célèbre d’évolution par la sélection naturelle est celui de la phalène du bouleau Forme pâle Forme mélanique Jusqu’en 1848 (Angleterre), tous les spécimens connus sont des formes pâles À partir du milieu du XIXe siècle, la pollution a fait disparaître les lichens des arbres et la suie les a noircis À la fin du XIXe siècle, 98% des individus sont des formes mélaniques • La forme pâle et la forme mélanique renvoient aux deux allèles d’un gène l’effet de la sélection naturelle est d’avoir modifié les fréquences relatives des deux allèles dans la population La théorie darwinienne • Mais le principe de sélection naturelle ne peut pas expliquer certaines observations, notamment : la présence de caractères phénotypiques contraire aux nécessités de survie, tels que la queue du paon (très repérable par les prédateurs) – Darwin (1860) : « La seule vue d’une queue de paon me donne envie de vomir » La théorie darwinienne La théorie darwinienne • Mais le principe de sélection naturelle ne peut pas expliquer certaines observations, notamment : la présence de caractères phénotypiques contraire aux nécessités de survie, tels que la queue du paon (très repérable par les prédateurs) – Darwin (1860) : « La seule vue d’une queue de paon me donne envie de vomir » – exemple : Le lézard à collier • Les couleurs des mâles sont plus vives que celles des femelles • On fabrique des modèles en argile peints pour ressembler à des mâles ou des femelles • On dépose ces leurres sur des rochers • Au bout d’une semaine : 35/40 des faux mâles ont été attaqués par des serpents ou des oiseaux 0/40 des fausses femelles ont été attaquées La couleur brillante des mâles attire les prédateurs La théorie darwinienne la présence de différences morphologiques plus ou moins marquées entre les individus mâle et femelle d'une même espèce : dimorphisme sexuel – exemple : chez les vertébrés, les mâles sont souvent plus gros et plus voyants que les femelles Femelle : 880 kg Mâle : 3600 kg Femelle : 15 kg Mâle : 30 kg • Etant donné qu’ils sont confrontés aux mêmes problèmes de survie : pourquoi les mâles et les femelles d’une même espèce sont-ils morphologiquement différents ? pourquoi le degré de dimorphisme sexuel varie t’il entre les espèces ? La théorie darwinienne • En 1871, Darwin avance l’hypothèse qu’il existe une seconde forme de sélection des individus : la sélection sexuelle il publie cette théorie dans l’ouvrage : La Filiation de l'homme et la sélection liée au sexe • Il postule qu’en plus de la capacité à survivre, un autre critère participe au succès reproducteur différentiel : la capacité à s’accoupler l’idée fondamentale de sélection sexuelle est que l’important pour un organisme n’est pas tant de survivre que de se reproduire • On distingue deux formes de sélection sexuelle : parmi des individus du même sexe, certains traits phénotypiques favorisent les chances : d’accès aux partenaires sexuels : sélection intrasexuelle – exemple : combats entre mâles d’être choisi par les individus du sexe opposé : sélection intersexuelle – exemple : parade nuptiale La théorie darwinienne • Cette forme de sélection est bien une source de l’évolution des espèces exemple : si les femelles d’une espèce préfèrent s’accoupler avec des mâles volumineux, alors ces derniers ont un succès reproducteur plus important que les autres mâles : la fréquence de ce trait phénotypique augmente au cours des générations • La sélection sexuelle est : intraspécifique : elle a lieu entre des individus d'une même espèce sexe-dépendante : elle s'exerce différemment sur les mâles et les femelles d'une même espèce – chez les mâles : sélection intrasexuelle compétition pour obtenir les femelles (« loi de la bataille ») – chez les femelles : sélection intersexuelle choix du meilleur partenaire possible (« loi de la préférence ») La théorie darwinienne • La sélection intersexuelle et la sélection intrasexuelle s’influencent mutuellement : la sélection intersexuelle influence la sélection intrasexuelle – si le choix des femelles se fait en fonction d’une caractéristique précise, alors il y aura une compétition entre les mâles relativement à cette caractéristique la sélection intrasexuelle influence la sélection intersexuelle – une caractéristique qui donne lieu à une compétition entre les mâles (ex : territoire) peut devenir un critère de sélection dans le choix des femelles La théorie darwinienne • La plupart des adaptations sont des compromis (trade-off) entre le critère de survie et le critère de reproduction exemple : la taille corporelle chez les mâles doit être suffisamment grande pour attirer les femelles (reproduction) mais pas trop pour ne pas attirer les prédateurs (survie) La théorie synthétique de l’évolution • A l’époque où Darwin a développé sa théorie, la génétique moléculaire n’existait pas encore par exemple, il ne savait pas quelles étaient les sources de la variabilité des phénotypes • Dans les années 1930-1940, des biologistes (Fisher, Huxley, Mayr, etc.) ont développé une théorie de l’évolution plus générale que celle de Darwin : la théorie synthétique de l’évolution celle-ci intègre l'hérédité mendélienne, la théorie darwinienne, et la génétique des populations • Dans le cadre de cette théorie, l’évolution n’est pas envisagée au niveau des individus mais au niveau des populations (groupements d'individus appartenant à une même espèce) une population évolue lorsque la fréquence d'un ou de plusieurs allèles se modifie à l’intérieur de cette population La théorie synthétique de l’évolution • La théorie synthétique de l’évolution identifie un autre mécanisme de l’évolution : la dérive génétique, il s’agit d’une modification de la fréquence d'un allèle au sein d'une population due à des phénomènes aléatoires en raison du brassage génétique lors de la méiose, un individu ne transmet pas la totalité de ses allèles la probabilité qu'un individu transmette à coup sûr la totalité de ses allèles tend vers 1 lorsque le nombre de ses descendants tend vers l'infini par conséquent, il est statistiquement inévitable qu’au sein d’une population, certains allèles ne soient transmis à aucun descendant • Les effets de la dérive génétique sont d'autant plus importants que la population est petite plus la population est petite, plus la probabilité que les fréquences alléliques changent au cours des générations est élevée La théorie du gène égoïste • La théorie actuelle de l’évolution est la théorie du gène égoïste (Dawkins, 1976) • Cette théorie postule que le processus de sélection ne se produit pas à l’échelle des individus ni à l’échelle des espèces mais à l’échelle des gènes • Pour Dawkins, l’évolution ne consiste pas en des individus qui cherchent à survivre et à se reproduire, mais en des gènes qui cherchent à reproduire des copies d’eux-mêmes au cours des générations les gènes sont des réplicateurs : des entités dont des copies sont faites – dans le noyau cellulaire, les gènes se dupliquent directement (mitose) – pour se propager dans l’environnement extérieur, les gènes utilisent des véhicules (ou hôtes) : les organismes La théorie du gène égoïste • En situant la sélection à l’échelle du gène plutôt à qu’à l’échelle de l’individu, la théorie du gène égoïste peut expliquer des phénomènes qui apparaissent comme des anomalies dans la théorie classique de l’évolution • Le cas le plus flagrant est celui de l’altruisme : l’altruisme désigne un comportement n'ayant pas d'avantage apparent pour l'individu qui l’exécute mais qui est bénéfique à d'autres individus la théorie classique de l’évolution ne peut pas expliquer le comportement altruiste car celui-ci diminue les chances de survie et de reproduction en fait, les instincts altruistes augmentent avec l'apparentement du point de vue du gène, être altruiste envers des individus avec qui on partage des gènes permet d’augmenter leurs chances de survie et de reproduction et par la même occasion, la propagation de ces gènes (sélection de parentèle ou kin selection, Hamilton, 1964) La théorie du gène égoïste • L’altruisme est donc un cas de figure où l'« intérêt » d'un gène ne coïncide pas avec l’intérêt, en termes de survie, de l'individu qui le porte « l’altruisme d’un individu cache l’égoïsme de ses gènes » • Hamilton (1964) a formulé une règle qui décrit la condition pour qu’un gène de l’altruisme se propage : CA < r × BD CA : coût de l’altruisme sur le succès reproducteur de l’individu altruiste BD : bénéfice de l’altruisme sur le succès reproducteur de l’individu destinataire r : proximité génétique entre les deux individus La théorie du gène égoïste • Dans la théorie du gène égoïste, la valeur sélective (fitness) ne désigne plus la capacité d’un individu à se reproduire, mais sa capacité à transmettre ses gènes à la génération suivante (nombre de copies) : il s’agit de la valeur sélective inclusive (Hamilton, 1964) la reproduction est le moyen direct de propager ses gènes, mais il existe d’autres moyens indirects (altruisme envers les individus apparentés) La notion d’explication évolutionniste • En épistémologie, on distingue deux grands types d’explications : les explications causales (ou ascendantes) et les explications fonctionnelles (ou descendantes) • L’explication causale d’un phénomène consiste à considérer celui-ci comme un effet et à déterminer un facteur causal antérieur schéma de l’explication causale : Question : « Pourquoi … ? » Réponse : « Parce que … » exemple : Pourquoi Paul fait-il du sport régulièrement ? Parce que l’un de ses amis l’a convaincu des bienfaits du sport • L’explication fonctionnelle d’un phénomène consiste à déterminer la fonction qu’il réalise schéma de l’explication fonctionnelle : Question : « Pour quoi … ? » Réponse : « Pour … » exemple : Pour quoi Paul fait-il du sport régulièrement ? Pour maintenir sa ligne La notion d’explication évolutionniste • La théorie de l’évolution explique les caractéristiques des organismes de façon causale et fonctionnelle : explication fonctionnelle : – « Pour quoi cet organisme possède t’il telle caractéristique? » référence à la fonction de la caractéristique : explication spécifique – exemple : Pour quoi avons-nous des sourcils? Pour protéger l’œil des gouttes (pluie, sueur) et des agressions extérieures explication causale : – « Pourquoi cet organisme possède t’il telle caractéristique? » référence au processus de sélection : explication générale – exemple : Pourquoi avons-nous des sourcils? Parce que ceux de nos ancêtres qui possédaient des sourcils avaient des yeux mieux protégés et donc un taux de survie et de reproduction plus élevé que ceux qui n’en possédaient pas (cf. explication causale et mécaniste de l’évolution) La notion d’explication évolutionniste • Fournir une explication évolutionniste d’une caractéristique d’un organisme consiste à : décrire la fonction spécifique que réalise cette caractéristique montrer en quoi cette fonction spécifique augmente les chances de survie et de reproduction (en quoi c’est une adaptation) apporter des preuves objectives du raisonnement • Ainsi, construire une explication évolutionniste revient à appliquer une démarche d’ingénierie inverse la démarche d’ingénierie classique consiste à partir d’une fonction et construire un objet qui réalise cette fonction la démarche d’ingénierie inverse consiste à partir d’un objet pour trouver la fonction qu’il réalise (ou plus précisément, la fonction que ses constituants réalisent) La notion d’explication évolutionniste • Une approche équivalente consiste à concevoir une adaptation comme une solution à un problème adaptatif : trouver la fonction d’une caractéristique donnée revient à trouver le problème auquel elle répond exemple : – la fonction des sourcils est de protéger les yeux des agressions extérieures – les sourcils sont une solution au problème de protéger les yeux des agressions extérieures La notion d’explication évolutionniste Exemple 1 • Les ocelles des papillons les ocelles sont les taches arrondies sur les ailes de certains papillons la fonction des ocelles est une fonction défensive : elles imitent les yeux d’un animal et dissuadent ainsi les éventuels prédateurs Paon du jour La notion d’explication évolutionniste Exemple 2 • Les testicules chez l’homme pourquoi est-ce que les testicules chez l’homme se situent à l’extérieur du corps plutôt qu’à l’intérieur? chez des ancêtres lointains de l’homme (oiseaux, reptiles), les testicules se situent à l’intérieur du corps les spermatozoïdes doivent être produits à une température légèrement inférieure à celle du corps (environ 33 à 34°C) lorsqu'un spermatozoïde se trouve dans un milieu à 37°C (ex : corps d'une femme), il devient hyperactif (ce qui augmente ses chances de trouver l'ovule), sa durée de vie diminue alors dramatiquement (de quelques heures à 3 jours maximum) l’hypothèse de la température est validée par le fait que les testicules se rapprochent ou s'éloignent du corps en fonction de la température extérieure La notion d’explication évolutionniste Exemple 3 • Les nausées et vomissements de la grossesse (NVG) elles sont également appelées « nausées matinales » et elles touchent entre 50 et 80 % des femmes enceintes les NVG font l’objet d’une explication psychanalytique : « la nausée est un équivalent somatique du dégoût de la grossesse » (Chertok, 1966) les NVG font habituellement l’objet d’une explication physiologique : – en cas de fécondation, l’œuf s’implante huit jours plus tard dans l’utérus et cette implantation déclenche la production d’une hormone, l’hCG (hormone gonadotrophine chorionique) – l’hCG est détectable dès le 9ème jour qui suit l’ovulation et la fécondation et sa sécrétion double tous les deux à trois jours – c’est la libération de l’hCG qui provoquerait les nausées La notion d’explication évolutionniste Margie Profet (1988) propose une explication évolutionniste des NVG – Profet fait remarquer que si les NVG sont dues à un changement hormonal, il n’y a aucune raison que celui-ci ne provoque pas d’autres symptômes (hyperactivité, agressivité, …) – son hypothèse est que les NVG seraient un moyen de protéger le fœtus contre les toxines contenues dans les aliments – les toxines sont des défenses élaborées par certaines plantes – les herbivores (dont l’homme) ont élaboré des défenses contre les toxines (foie), mais ces défenses ordinaires ne suffiraient pas à protéger un fœtus Profet a apporté plusieurs arguments pour appuyer son hypothèse : – les aliments que les femmes atteintes de NVG évitent sont ceux qui sont riches en toxines (ex : viande rouge) – la fréquence des NVG et la probabilité d’avorter sont inversement corrélées La notion d’explication évolutionniste • Les explications évolutionnistes renvoient à des causes distales des caractéristiques phénotypiques • En épistémologie, on distingue les causes proximales d’un phénomène (causes immédiates) et les causes distales (causes ultimes) exemple : pourquoi éprouvons-nous du plaisir lorsque nous avons des relations sexuelles? – cause proximale : parce que la stimulation des zones érogènes déclenche la libération d’endorphines qui génèrent la sensation de plaisir – cause distales : parce que nous faire ressentir du plaisir lors des relations sexuelles est un moyen trouvé par nos gènes pour nous pousser à nous reproduire (et donc à les répliquer) La notion d’explication évolutionniste • L’explication évolutionniste est sujette à deux abus : l’appliquer à toute caractéristique et ne pas fournir de preuves • Toutes les caractéristiques ne peuvent pas faire l’objet d’une explication évolutionniste car toutes les caractéristiques ne sont pas des adaptations (caractère réalisant une fonction adaptative) • Certaines caractéristiques sont des exaptations : une exaptation est adaptation dans laquelle la fonction remplie actuellement par l'adaptation ne correspond pas à celle qui était remplie initialement exemple : – les pattes chez certains vertébrés (fonction actuelle : la marche, fonction initiale : la nage) la notion d’exaptation s’oppose à l’idée que « la fonction crée l’organe », au contraire, l’évolution sélectionne la fonction que réalise un organe La notion d’explication évolutionniste • Certaines caractéristiques sont des conséquences, des sous-produits (by-product) de caractéristiques qui elles sont des adaptations exemple : – le fait que le sang soit rouge n’est pas une adaptation, c’est une conséquence du fait qu’il comporte de l’hémoglobine – le fait que les os soient blancs n’est pas une adaptation, c’est une conséquence du fait qu’ils soient constitués de calcium • La croyance que tout caractère est une adaptation est appelée le panadaptationnisme cette approche a notamment été critiquée par Stephen Jay Gould et Richard Lewontin La notion d’explication évolutionniste • Le second danger de l’explication évolutionniste consiste à se contenter d’élaborer un scénario sans fournir de preuves : cela revient à « raconter des histoires après-coup » (after-the-fact storytelling) exemple : – la plupart des gens ont des cheveux marrons parce que cette couleur permettait à nos ancêtres singes de mieux se cacher parmi les noix de coco – la fonction de l’humour est de réduire les tensions interpersonnelles – « les nez ont été faits pour porter des lunettes » (Voltaire) ce point faible des explications évolutionnistes renvoie à leur caractère réfutable et testable (cf. épistémologie de Popper) : il est parfois difficile de réaliser des expériences pour tester ce type d’explication La notion d’explication évolutionniste • Point épistémologique : expliquer un phénomène : faire une hypothèse (scénario) + tester l’hypothèse interpréter un phénomène : faire une hypothèse (scénario) – psychanalyse – analyse sondages d’opinion – … Biais : croire que parce qu’une interprétation est cohérente, alors elle est vraie L’évolution des hominidés • L’homme est avant tout un primate : les primates sont apparus il y a 70 millions d'années et constituent l’un des 18 ordres de mammifères caractérisé par : une vision binoculaire des membres à 5 doigts terminés par un ongle plat des mains préhensiles avec les pouces opposables • Le dernier ancêtre commun à l’homme et aux chimpanzés remonte à environ 7 à 8 millions d'années, très probablement en Afrique L’évolution des hominidés Singes africains Chimpanzé commun Bonobo Homme 7-8 millions d’années Gorille Orang-outan L’évolution des hominidés • Les hominidés sont une famille de primates qui se répartissent en deux genres : le genre Australopithecus et le genre Homo • Les australopithèques étaient présents uniquement en Afrique ils se répartissent en deux groupes : – les australopithèques graciles (-4.2 à -2.6 millions d'années) – les australopithèques robustes (-2.7 à -1.5 millions d'années) ils possédaient les caractéristiques suivantes : – taille : 1m-1m50 / poids : 20-50 kg – capacité crânienne : environ 380 cm3 – posture : bipédie partielle – mode de vie : nomade – alimentation : végétarien L’évolution des hominidés • Le genre Homo inclut l’homme moderne et les espèces proches, il se décline en plusieurs espèces, notamment : Homo Habilis (-2.5 millions d'années à -1.6 millions d'années) – taille : 1m15-1m30 / poids : 30-40 kg – capacité crânienne : 700 cm3 – station : bipédie – mode de vie : nomade – alimentation : fruits, viande crue (il prend la viande des animaux morts) – activités : cueillette – outils : branches et galets L’évolution des hominidés Homo erectus (-1.7 millions d'années à -200 000 ans) – taille : 1m55-1m65 / poids : 45-55 kg – capacité crânienne : 800-1200 cm3 – alimentation : fruits, viande cuite – activités : cueillette et chasse (petits animaux) – outils : racloirs et grattoirs – découvre et utilise le feu – a migré de l’Afrique vers l’Asie et l’Europe L’évolution des hominidés Homo neanderthalensis (-250 000 ans à -30 000 ans) – taille : 1m50-1m70 / poids : 70-90 kg – capacité crânienne : 1500-1750 cm3 – alimentation : fruits, légumes, viande – activités : cueillette et chasse (gros animaux : cerf, mammouth) – outils : haches et bifaces – vit dans des grottes et des huttes – enterre ses morts – a vécu en Afrique, Europe, Proche-Orient et Moyen-Orient L’évolution des hominidés Homo Sapiens (-200 000 ans à aujourd’hui) – taille : 1m55-1m70 / poids : 50-70 kg – capacité crânienne : 1400-1600 cm3 – alimentation : fruits, légumes, viande, et poisson – activités : cueillette, chasse, et pêche (gros animaux : cerf, mammouth) – outils : sophistiqués – construit des abris – langage, art (peinture, musique) – a vécu en Afrique, Europe, Proche-Orient et Asie du Sud-Est L’évolution des hominidés • Principales caractéristiques d’Homo Sapiens : Caractéristiques physiques Caractéristiques psychologiques lent langage petites dents raisonnement mauvaise vision nocturne résolution de problèmes vision binoculaire créativité vision des couleurs organisation sociale dextérité (mains très performantes) expressivité faciale gros cerveau L’évolution des hominidés • Evolution de la taille du cerveau des hominidés : -4.4 MA Ardipithecus ramidus 300 -350 cm3 -4.2 MA -2.5 MA -1.7 MA -250 000 ans -200 000 ans Australopithèque Homo habilis 700 cm3 Homo erectus 800-1200 cm3 Néandertal brain size: 1500-1750 cm3 Homo Sapiens 1400-1600 cm3 380 cm3 L’évolution des hominidés • Comme le souligne Allman (2000), si un gros cerveau permet aux animaux de mieux faire face à des environnements changeants et imprévisibles, alors pourquoi toutes les espèces ne possèdent-elles pas un gros cerveau? • En fait, les animaux avec de gros cerveaux sont rares en raison des coûts que cette caractéristique représente : un gros cerveau consomme énormément d’énergie : le cerveau représente 2% de la masse corporelle totale mais 20% des dépenses énergétiques (9% chez les chimpanzés, 3% chez les éléphants) un gros cerveau prend beaucoup de temps pour arriver à maturation, ce qui limite la vitesse à laquelle un individu peut se reproduire les nourrissons d’animaux à gros cerveaux sont fortement dépendants de leurs parents un gros cerveau est plus vulnérable aux dommages et aux problèmes de fonctionnement L’évolution des hominidés • Il y a plusieurs facteurs explicatifs de cette augmentation : la socialisation : la vie en groupe d’une façon générale et l’activité de chasse en particulier ont nécessité le développement de fonctions psychologiques complexes : la représentation, la communication entre les individus, la coopération, la mémoire, la compréhension des intentions d’autrui, la tromperie, etc. Taille des groupes sociaux • La taille du cerveau des australopithèques était en conformité avec leur taille corporelle globale, mais chez le genre Homo, la taille du cerveau n’a cessé d’augmenter la taille du cerveau humain actuel est 7 fois plus grande que celle attendue pour un primate de notre taille Taille du néocortex Dunbar (1992) L’évolution des hominidés l’alimentation : alors que les australopithèques étaient végétariens, les individus du genre Homo sont passés à un régime protéiné (viande et poisson) : leurs mâchoires et leurs dents se sont raccourcies et leur cerveau a augmenté exemple : Singe hurleur Singe araignée – les singes hurleurs et les singes araignées ont à peu près la même taille corporelle – les singes hurleurs se nourrissent de feuilles alors que les singes araignées se nourrissent de fruits 3. Les fondements de la psychologie évolutionniste Origines • Thèse centrale de la psychologie évolutionniste (PE) : « L’esprit est un ensemble de machines de traitement de l’information qui ont été conçues par la sélection naturelle pour résoudre des problèmes adaptatifs auxquels nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont été confrontés. » Cosmides & Tooby (1997) • La PE est donc l’application de la théorie de l’évolution à l’esprit humain • La PE est un paradigme de la psychologie, c’est une approche particulière de la psychologie • Le premier précurseur de la PE est Darwin lui-même : dans son ouvrage De l'origine des espèces (1859), il affirme que dans un futur proche, la psychologie sera basée sur la théorie de l’évolution : “In the distant future I see open fields for far more important researches. Psychology will be based on a new foundation, that of the necessary acquirement of each mental power and capacity by gradation.” Origines • La PE trouve son ancrage dans plusieurs disciplines scientifiques des sous-disciplines de la biologie qui intègrent la théorie de l’évolution : – la biologie évolutionniste – l’éthologie (Tinbergen, Lorenz, von Frisch) – la sociobiologie Wilson (1975) : la sociobiologie est « l’étude systématique des bases biologiques de tout comportement social » Wilson (1978) : la sociobiologie est « l’extension de la biologie des populations et de la théorie de l’évolution aux organisations sociales» – la génétique des comportements des sous-disciplines de la psychologie : – la psychologie cognitive – la psychologie sociale – la psychologie du développement Origines • Trois publications marquent la « naissance officielle » de la PE : Darwin and Evolutionary Psychology: Darwin initiated a radically new way of studying behavior (1973) de Ghiselin (article) The Evolution of Human Sexuality (1979) de Donald Symons (livre) The Adapted Mind: Evolutionary Psychology and The Generation of Culture (1992) de Barkow, Cosmides et Tooby (livre) • C’est principalement John Tooby (anthropologiste) et sa femme Leda Cosmides (psychologue) qui ont défini les bases de la PE • La PE est basée sur un postulat et cinq principes (Tooby et Cosmides) Leda Cosmides et John Tooby Postulat : la nature humaine • Postulat fondamental de la psychologie évolutionniste : il existe une nature humaine • Dans le champ des sciences humaines et sociales, la notion de nature humaine est très débattue notamment en raison du succès du Modèle Standard des Sciences Sociales (Barkow, Cosmides, et Tooby, 1992) • Le modèle standard est fondé sur l’empirisme et le constructivisme et se caractérise par les propositions suivantes : la tabula rasa : à la naissance, l’esprit humain est vierge (il n’y a pas de nature humaine) l’apprentissage : il dispose uniquement d’une capacité d’apprentissage générale : cette capacité peut s’exercer dans tout domaine le déterminisme culturel : c’est la culture (environnement) qui façonne les individus, pas la nature (gènes) Postulat : la nature humaine • En psychologie, le modèle standard a notamment été incarné par le béhaviorisme • Dans la théorie béhavioriste, l’esprit du nourrisson est dépourvu de toute connaissance, de tout contenu psychologique, il ne possède qu’une capacité générale à apprendre c’est la même capacité d’apprentissage qui est à l’origine de nos capacités intellectuelles, linguistiques, de nos préférences alimentaires, ou encore de notre façon de nous comporter en société (socialisation) • Si l’esprit est vierge à la naissance, ce sont les interactions de l’individu avec l’environnement qui façonnent progressivement son esprit • Dans le cadre béhavioriste, le processus d’interaction d’un individu avec l’environnement est le conditionnement (classique ou opérant) pour Skinner, ce sont les contingences de renforcements qui façonnent le comportement des individus Postulat : la nature humaine • Les béhavioristes pensaient avoir montré expérimentalement que tout comportement résulte d’un apprentissage (conditionnement) exemple : le conditionnement de la peur chez le nourrisson temps 1 : temps 2 : temps 3 : Expérience du petit Albert (Watson et Rayner, 1920) Postulat : la nature humaine • Sur la base de telles expériences, Watson et les béhavioristes défendaient l’idée que « tout le monde peut devenir n’importe qui » « Donnez-moi une douzaine de bébés en bonne santé, bien formés, ainsi que mon propre monde spécifié pour les élever et je m’engage à prendre n’importe lequel d’entre eux et à le former pour qu’il devienne n’importe quel type de spécialiste que je peux sélectionner (médecin, avocat, artiste), quels que soient ses talents, penchants, tendances, aptitudes, vocation et race de ses ancêtres. » John Watson (1930) • Par exemple, Watson pensait que l’expérience du petit Albert montrait qu’il n’y a pas de déterminisme biologique mais si on remplace le rat par un objet neutre (exemple : des lunettes), il n’y a pas de conditionnement de la peur • En sociologie, le modèle standard est notamment incarné par le courant du constructivisme social selon lequel la réalité sociale et les phénomènes sociaux sont « construits » exemple : jouets des petits garçons / jouets des petites filles Postulat : la nature humaine • Le modèle standard a connu et connait toujours un certain succès (il est fortement ancré dans les mœurs) pour des raisons scientifiques et aussi pour des raisons extra-scientifiques (morales et politiques) • En effet, en défendant l’idée que « tout le monde peut devenir n’importe qui », le modèle standard sert d’assise scientifique aux conceptions démocratiques et égalitaires • Mais la concordance avec les valeurs morales n’est pas un critère de vérité scientifique : « On accuse souvent la biologie d’apporter une vision déterministe de l’homme. Ce déterminisme est ressenti comme étant incompatible avec le libre arbitre, ce qui le rend insupportable à certains humanistes, qui en déduisent donc que la compréhension biologique de l’homme est nécessairement dans l’erreur. […] il y a là une erreur patente de raisonnement. Ce n’est pas parce qu’une théorie semble incompatible avec certaines de nos valeurs qu’elle est nécessairement fausse. Faire ce raisonnement revient à prendre ses désirs pour des réalités. » Franck Ramus (2008) Postulat : la nature humaine • En psychologie, la question de l’existence d’une nature humaine se décline sous la forme de deux problématiques : la problématique des universaux et la problématique nature/culture • La problématique des universaux consiste à déterminer s’il existe des caractéristiques humaines universelles, autrement dit, dans quelle mesure les individus se ressemblent et dans quelle mesure ils diffèrent • La perspective évolutionniste apporte une réponse claire : les individus d’une même espèce sont qualitativement semblables : – ils sont équipés d’un même ensemble d’adaptations qui ont favorisé la survie et la reproduction de nos ancêtres : cet ensemble définit l’architecture typique de l’espèce – cette architecture est fonctionnellement identique chez tous les individus – elle est héréditaire Postulat : la nature humaine les individus d’une même espèce sont quantitativement différents : – ils diffèrent quant à l’efficience des adaptations et le degré auquel ils les portent • Les universaux de l’espèce humaine sont aussi bien biologiques que psychologiques exemples : – tous les individus possèdent un estomac : certains individus ont un estomac ayant une plus grande capacité que d’autres, certains individus ont un estomac plus efficient que d’autres, etc., mais l’estomac fonctionne de la même manière chez tous les individus (il est lié à l’œsophage, il sécrète les enzymes gastriques, …) – tous les individus parlent : certains individus apprennent à parler plus vite que d’autres, certains ont un vocabulaire plus riche que d’autres, etc., mais le langage fonctionne de la même manière pour tous (processus syntaxiques, sémantiques, phonologiques, …) Postulat : la nature humaine – tous les individus reconnaissant les visages : à peine 10 minutes après la naissance, les nourrissons suivent des yeux le mouvement d’un pseudo-visage mais pas celui d’un non-visage (pourtant équivalent au niveau physique) Johnson, Dziurawiec, Ellis, et Morton (1991) Postulat : la nature humaine • Selon la perspective évolutionniste, postuler que tous les individus sont qualitativement identiques est une condition nécessaire pour rendre compte de la perpétuation de l’espèce dans la reproduction sexuée, deux individus transmettent la moitié de leurs gènes à un troisième individu chaque ensemble de gènes correspond au « plan de construction d’une machine » si les deux ensembles de gènes planifiaient la construction de machines différentes, la reproduction sexuée ne fonctionnerait pas. Au contraire, tous les ensembles de gènes codent pour une même machine • En fait, la similarité entre les individus est la conséquence directe de la sélection naturelle qui agit comme une force d’homogénéisation : dans la variabilité des génotypes, elle élimine les variantes trop écartées de la moyenne les individus qui survivent sont tous adaptés et donc tous similaires Postulat : la nature humaine • L’approche évolutionniste est donc une approche générale : elle cherche à expliquer le fonctionnement commun à tous les individus. Au contraire, l’approche différentielle cherche à expliquer les différences entre les individus dans le cadre évolutionniste, ce qui différencie les individus apparaît comme négligeable par rapport à ce qu’ils ont de commun : les individus se ressemblent plus qu’ils ne diffèrent « Il existe, bien sûr, des variations microscopiques entre les individus, essentiellement des petites différences dans la séquence de molécule à molécule de beaucoup de nos protéines. Mais au niveau de leurs organes fonctionnels, physiques et mentaux les individus fonctionnent de la même manière. Les différences entre individus, en dépit de l’éternelle fascination qu’elles exercent sur nous dans notre vécu quotidien, sont d’un intérêt mineur quand nous nous interrogeons sur le fonctionnement de l’esprit. » (Pinker, 1997) « La différence entre Einstein et l’élève qui a abandonné le lycée est minime comparée à celle entre l’élève qui a abandonné le lycée et le meilleur robot du monde ou entre l’élève qui a abandonné le lycée et le chimpanzé. » (Pinker, 1997) Postulat : la nature humaine • La problématique nature/culture est la seconde problématique liée à la question de l’existence d’une nature humaine, elle consiste à déterminer les influences relatives de la nature (gènes) et de la culture (environnement) dans la construction des individus • Il s’agit d’une problématique centrale dans les sciences humaines et sociales notamment en raison de ses implications morales et politiques • En fait, l’opposition nature/culture n’a de sens que dans l’approche différentielle où l’on cherche à différencier des individus (rendre compte de variations) mais cette opposition n’a pas vraiment de sens lorsque l’on cherche à décrire un fonctionnement Postulat : la nature humaine • Considérons les deux questions suivantes : « Pour qu’une voiture roule vite, qu’est-ce qui est le plus important : le moteur ou le carburant ? » « Pour courir vite, qu’est-ce qui est le plus important : la cheville ou le genou ? » – ces deux questions ont un sens : dans les deux cas, on cherche à déterminer dans quelle mesure des facteurs rendent compte de différences observées sur une dimension donnée (ici la vitesse) Postulat : la nature humaine • Considérons maintenant les deux questions suivantes : « Dans le fonctionnement d’une voiture, qu’est-ce qui est le plus important : le moteur ou le carburant ? » « Pour courir, qu’est-ce qui est le plus important : la cheville ou le genou ? » – ces deux questions n’ont pas de sens : dans les deux cas, on cherche à décrire comment différents constituants (moteur et carburant, cheville et genou) interagissent pour créer un fonctionnement (mécanique et biomécanique) – la question de savoir lequel des constituants a le plus d’importance n’a pas de sens car tous participent au fonctionnement Postulat : la nature humaine • Il en est de même pour la problématique nature/culture : opposer la nature et la culture n’a de sens que si l’on cherche à déterminer dans quelle mesure elles expliquent des différences observées sur une dimension donnée (exemple : QI, personnalité) • Dans la perspective évolutionniste, l’opposition nature/culture est fallacieuse car on considère que toute caractéristique phénotypique d’un individu est le produit conjoint de ses gènes et de l’environnement • Les organismes sont conçus pour développer des phénotypes différents dans des environnements différents Le labre à tête bleue exemple : – le labre à tête bleue vit en groupe, chaque groupe comprend un mâle et plusieurs femelles – lorsque le mâle meurt, la femelle la plus grosse devient le mâle (hermaphrodisme) Postulat : la nature humaine • Au final, la PE défend une conception de l’être humain radicalement opposée à celle du modèle standard, en postulant qu’il existe une nature humaine qui correspond à un ensemble d’adaptations physiques et psychologiques innées dont l’expression est régulée par l’environnement Principe n°1 de la PE • Ce principe stipule : Le cerveau est un système physique, similaire à un ordinateur, dont les circuits sont conçus pour produire des comportements adaptés aux circonstances environnementales • Ce premier principe marque l’ancrage cognitif de la PE, et il s’agit d’un double ancrage • Le premier ancrage cognitif de la PE correspond à la naturalisation de l’esprit : cette position philosophique affirme que l’esprit est une entité matérielle, un objet de la nature. En termes biologiques, l’esprit est un organe du corps comme les autres (Chomsky parle d’organe mental) cet ancrage est une condition nécessaire à la PE : pour être soumis au processus d’évolution (au même titre que le reste du corps), l’esprit doit être une entité matérielle Pour Tooby et Cosmides, la psychologie est une branche de la biologie Principe n°1 de la PE • Les expériences et les résultats en neuropsychologie permettent d’illustrer l’ancrage matériel de l’esprit exemple : Une étude classique de patient split-brain le patient voit un mot apparaître à l’écran et il doit prendre l’objet correspondant parmi un ensemble d’objets sur la table si le mot « clé » est présenté sur la gauche de l’écran, le patient n’est pas capable d’identifier le mot mais il réussit la tâche (il prend la clé sur la table avec sa main gauche) le mot « clé », présenté à gauche, est représenté dans l’hémisphère droit, dont les capacités langagières sont suffisantes pour identifier le mot, et qui contrôle la main gauche. Mais le mot n’est pas représenté dans l’hémisphère gauche donc le patient ne peut pas le prononcer d’après Psychologie (2000) de Westen Postulat : la nature humaine • Naturalisation de l’esprit : il ne doit pas y avoir de « mystère » dans le fonctionnement de l’esprit « Je pense que vous devriez être plus explicite dans cette étape. » Principe n°1 de la PE • Le second ancrage cognitif de la PE correspond à la métaphore de l’ordinateur : le cerveau est à l’esprit ce que le hardware est au software • Cette conception de l’esprit se caractérise par deux hypothèses : il n’y a pas de distinction entre l’esprit et le cerveau : esprit et cerveau sont les deux faces d’une même entité, la cognition les traitements que réalise la cognition correspondent à des calculs (ou computations) • Pour la PE, la cognition est un système qui réalise des traitements permettant de produire des comportements adaptés à l’environnement exemple : si l’organisme est confronté à une source de chaleur vive, le traitement de cette information par les circuits nerveux sensori-moteurs aboutit à un comportement adéquat : la fuite Principe n°2 de la PE • Ce principe stipule : Les circuits neuronaux ont été façonnés par la sélection naturelle pour résoudre les problèmes auxquels nos ancêtres ont été confrontés durant leur histoire évolutive • Il s’agit du principe central de la PE : il affirme que les états et les processus psychologiques sont des adaptations l’esprit est le produit de l’évolution au même titre que le corps Problème adaptatif Processus cognitif d’après Cosmides et Tooby (1997) Base neurophysiologique Principe n°2 de la PE • Si les processus psychologiques sont des adaptations, alors ils peuvent faire l’objet d’explications évolutionnistes : on peut leur appliquer la démarche d’ingénierie inverse • Raisonnement : les adaptations peuvent être conçues comme des solutions à des problèmes adaptatifs fournir une explication évolutionniste d’une adaptation revient alors à déterminer le problème adaptatif auquel elle répond les problèmes adaptatifs dont les processus psychologiques sont des solutions étaient ceux posés par l’environnement de nos ancêtres pour identifier ces problèmes, il faut déterminer cet environnement on appelle environnement de l'adaptation évolutive (Environment of Evolutionary Adaptedness : EEA) l’environnement ayant posé les problèmes adaptatifs qui ont provoqué l'évolution d'une espèce Principe n°2 de la PE • Dans le cas de la lignée humaine, l’EEA correspond au Pléistocène cette période va de -2.5 millions d’années à -11 000 ans • Le genre Homo a passé 90% de son temps dans cet environnement : c’est durant cette période que son évolution a eu lieu • Principales caractéristiques de l’EEA : EEA Pléistocène Vie nomadique Faible densité de population Petits groupes familiaux Technologie simple Mortalité infantile élevée et espérance de vie courte Vulnérabilité à l’environnement (prédateurs, maladies) Peu de modes de vie possibles Problèmes adaptatifs Chasse et cueillette Eviter les prédateurs Manger la bonne nourriture Trouver des partenaires sexuels Protéger la progéniture Coopérer « Lire » dans l’esprit d’autrui Principe n°3 de la PE • Ce principe stipule : La plupart des processus psychologiques sont non-conscients : derrière notre expérience consciente se cachent un grand nombre de traitements non-conscients extrêmement complexes • Ce troisième principe est une conséquence directe de l’hypothèse adaptationniste • Parce qu’elles sont nécessaires à la survie et à la reproduction, les adaptations physiques sont innées et la sélection a « sécurisé » leur fonctionnement en les automatisant entièrement exemple : fonctionnement du système cardio-vasculaire • Pour Tooby et Cosmides, il en est de même pour les adaptations psychologiques : la plupart des processus mentaux se déroulent en dehors de notre expérience consciente Principe n°3 de la PE • Exemples : la vision – notre expérience visuelle consciente est immédiate et ne requiert aucun effort – mais derrière cette apparente facilité du processus visuel se cache une large complexité computationnelle – le système visuel résout en permanence un problème… insoluble : déterminer l’objet réel (3D) à partir de l’image rétinienne (2D) (problème d’optique inverse) objets réels (3D) image rétinienne (2D) – ce problème est insoluble car à une même image rétinienne peuvent correspondre plusieurs objets différents Principe n°3 de la PE • Exemples : la vision – pour résoudre ce problème, le système visuel utilise des hypothèses, des connaissances sur la structure du monde extérieur – ces hypothèses ont été sélectionnées au cours de l’évolution – les illusions visuelles permettent de démasquer les hypothèses que le cerveau utilise pour transformer l’image rétinienne en un percept exemple : nous voyons un cube alors qu’il n’y en a aucun le cerveau utilise l’hypothèse de continuité Principe n°3 de la PE • Exemples : le langage – parler ne nous demande qu’un effort minime et lorsque nous parlons, nous n’avons pas conscience de l’ensemble des règles linguistiques que nous utilisons – pourtant, l’utilisation de ces règles renvoie à une large complexité computationnelle (cf. théorie de la grammaire générative) – comme le souligne Pinker, la complexité cognitive sous-jacente au langage verbal est telle qu’aucun enfant ne parlerait s’il n’était pas pré-câblé pour cela : « L'enfant de 3 ans est un génie de la grammaire. » (Pinker, 1994) Principe n°3 de la PE • En psychologie cognitive, le modèle du processus dual (dual-process model) sépare les processus automatiques (non-conscients) et les processus contrôlés (conscients) • On peut établir une hiérarchie des processus cognitifs en fonction du degré de contrôle qu’ils requièrent : Degré de contrôle Variabilité interindividuelle 17×24 = ? raisonnement mémoire de travail traitement émotionnel vision Principe n°3 de la PE • Pour Lakoff et Johnson (1999), le fait que la cognition soit typiquement inconsciente est une « découverte centrale des sciences cognitives » • Tooby et Cosmides soulignent que, parce qu’ils sont tellement efficients, les processus psychologiques automatiques donnent parfois peu envie d’être étudiés parce qu’on a l’impression « qu’il n y a rien à expliquer » • Voir, entendre, parler, se diriger dans l’espace, trouver quelque chose dégoûtant, tomber amoureux, ... sont des choses qui nous apparaissent comme fondamentalement naturelles, mais comme le soulignait William James (1890), il faut « rendre le naturel étrange » « Les psychologues sociaux sont déçus s’ils ne trouvent pas un phénomène qui surprendrait leurs grands-mères, et les psychologues cognitivistes passent plus de temps à étudier comment nous résolvons des problèmes pour lesquels nous sommes mauvais, comme faire des mathématiques et jouer aux échecs, qu’à étudier ceux pour lesquels nous sommes bons. » (Cosmides et Tooby, 1997) Principe n°4 de la PE • Ce principe stipule : Chaque circuit neuronal est spécialisé dans la résolution d’un problème adaptatif spécifique • Ce quatrième principe est une autre conséquence directe de l’hypothèse adaptationniste • Les adaptations physiques réalisent chacune une fonction spécifique : elles sont fonctionnellement spécialisées • C’est parce qu’il possède une structure spécifique qu’un organe réalise une fonction spécifique : « la fonction crée l’organe » et l’organe ne peut réaliser que cette fonction exemple : la structure du cœur est telle qu’il peut faire circuler le sang à travers le corps mais il ne peut pas détruire les toxines, au contraire, la structure du foie est telle qu’il peut détruire les toxines mais pas faire circuler le sang à travers le corps Principe n°4 de la PE • Tooby et Cosmides supposent que les processus psychologiques présentent également cette propriété de spécialisation fonctionnelle (ce sont littéralement des organes mentaux) en ce sens, ils sont équivalents à des modules informatiques – en informatique, un module est un sous-composant isolable d’un système organisé qui accomplit une fonction particulière • D’un point de vue cognitif, le quatrième principe de la PE renvoie à la notion de modularité de l’esprit, développée par Jerry Fodor (1983) Jerry Fodor Principe n°4 de la PE • Selon Fodor, un module est entité cognitive spécialisée dans un certain traitement de l’information • Cette notion de module a principalement été inspirée par les premières recherches cognitives sur la vision (Marr) et le langage (Chomsky), qui ont suggéré une organisation modulaire de l’esprit le système visuel est constitué de différent circuits (neurologiquement localisés) qui sont spécialisés dans le traitement d’une partie spécifique de l’information visuelle : la forme des objets, le mouvement, la direction du mouvement, l’évaluation des distances, l’analyse de la couleur, la reconnaissance des visages, … le système langagier est lui aussi constitué de différentes composantes qui opèrent sur des parties spécifiques de l’information linguistique : la syntaxe, la sémantique, la phonologie, … Principe n°4 de la PE • Fodor (1983) énonce les différentes propriétés d’un module : un module possède une base privée de connaissances dédiées – c’est une entité de traitement de l’information : elle transforme une entrée (input) en une sortie (output) via un certain traitement qui se caractérise par un ensemble de règles et de connaissances un module est encapsulé informationnellement – il est imperméable à toute autre information que celle qu’il utilise (il est insensible aux traitements réalisés par les autres modules) – on peut faire l’expérience subjective de cette propriété Principe n°4 de la PE Exemple 1 : l’illusion perdure même si l’on sait que les deux lignes sont de longueurs égales : le module visuel est insensible à la connaissance déclarative Exemple 2 : L’illusion de Müller-Lyer (1889) le sentiment de dégoût perdure même si l’on sait qu’il s’agit de chocolat : le module émotionnel est insensible à la connaissance déclarative (Rozin, Millman et Nemeroff, 1986) La récalcitrance émotionnelle Principe n°4 de la PE un module réalise un traitement de façon irrépressible – la réalisation du traitement du module échappe au contrôle volontaire Exemple : le module visuel réalise un traitement qui nous fait voir le cube comme une figure tridimensionnelle alors qu’il s’agit d’une figure bidimensionnelle : on ne peut réprimer ce traitement Le cube de Necker un module réalise un traitement rapide – cette propriété est une conséquence du caractère insensible et irrépressible du fonctionnement d’un module Principe n°4 de la PE un module réalise un traitement domaine-spécifique – cette propriété de spécificité au domaine (ou domanialité) signifie qu’un module est spécialisé de façon exclusive dans le traitement d’un certain type d’informations ou de représentations, autrement dit, il n’accepte qu’un certain type d’input – exemples : le module visuel prend comme input un signal visuel (fréquences spatiales, …), le module syntaxique prend comme input des représentations linguistiques, etc. – cette propriété de spécificité au domaine correspond à la propriété de spécialisation fonctionnelle un module possède une architecture neuronale fixe – il est physiquement implémenté dans une région déterminée du cerveau (exemple : le module de reconnaissance des visages est localisé dans le gyrus fusiforme : aire fusiforme du visage) Principe n°4 de la PE • Selon Fodor, les modules sont l’un des 3 éléments de l’architecture de la cognition • Cette architecture se caractérise par : des transducteurs sensoriels : situés à la périphérie de l’organisme, ils convertissent la stimulation physique arrivant aux récepteurs en un signal traitable par les modules des modules d’entrée et de sortie : – les modules d’entrée traitent l’information venant des transducteurs sensoriels – les modules de sortie transforment les décisions d’action prises par le système central en séries de commandes pour les effecteurs moteurs un système central : il réalise les traitements de haut niveau (pensée analogique, raisonnement, et abduction) Principe n°4 de la PE • Pour Fodor, l’esprit n’est pas entièrement modulaire : les processus de haut niveau comme le raisonnement n’ont pas une structure modulaire • L’hypothèse de la PE concernant la modularité de l’esprit est opposée à celle de Fodor : c’est l’hypothèse de la modularité massive selon laquelle tous les processus psychologiques ont une structure modulaire • En fait, dans la liste des propriétés énoncées par Fodor, la PE retient uniquement la propriété de spécificité au domaine (qui est équivalente à la propriété de spécialisation fonctionnelle) • Dès lors, la PE en arrive logiquement à l’hypothèse de la modularité massive par l’intermédiaire du raisonnement suivant : un module est domaine-spécifique une adaptation est par définition domaine-spécifique or tout processus psychologique est une adaptation donc tout processus psychologique est un module Principe n°4 de la PE • L’hypothèse de la modularité massive décrit l’esprit comme un ensemble de mécanismes domaine-spécifiques et s’oppose donc radicalement à l’hypothèse de l’existence d’un seul mécanisme domaine-général • Cosmides et Tooby (1994) apportent 4 arguments majeurs en faveur de l’hypothèse de la modularité massive argument de l’ingénierie : – l’évolution fonctionne comme un ingénieur qui façonne l’esprit petit à petit en fonction des problèmes posés par l’environnement – ces problèmes sont multiples et spécifiques (trouver de la nourriture, attirer des partenaires sexuels, comprendre les intentions d’autrui,…) – si l’on doit concevoir un dispositif adapté à un tel environnement, il vaut mieux équiper le dispositif de plusieurs mécanismes qui résolvent chacun un problème spécifique plutôt que d’un seul mécanisme général qui s’applique à tous les problèmes mais n’en résout aucun efficacement Principe n°4 de la PE – pour illustrer l’argument d’ingénierie, Tooby et Cosmides utilisent la métaphore du couteau suisse : dans un environnement qui pose des problèmes multiples (couper un fil, couper du bois, ouvrir une boîte de conserve, déboucher une bouteille, enfoncer une visse, …), un dispositif apportant une solution spécifique à chacun de ces problèmes (couteau suisse) est plus adapté qu’un dispositif apportant une solution générale (couteau de survie) Principe n°4 de la PE argument de l’erreur : – un mécanisme domaine-général devrait procéder par essai-erreur pour trouver les comportements adaptés – un processus de type essai-erreur général doit posséder un critère de réussite ou d’échec général pour être efficient – or le critère de réussite ou d’échec est spécifique à chaque problème adaptatif – un mécanisme domaine-général ne peut donc pas déterminer tous les comportements adaptés – exemple : pour le problème adaptatif attirer des partenaires sexuels, le critère de réussite pertinent est le nombre de descendants, mais pour le problème adaptatif protéger des individus apparentés, le critère de réussite pertinent n’est pas le nombre de descendants… Principe n°4 de la PE argument de la pauvreté du stimulus : – cet argument est inspiré de l’idée de Chomsky selon laquelle la stimulation générale de l’environnement (input) est insuffisante pour déterminer le développement linguistique de l’enfant – pour apprendre par lui-même les comportements adaptés, un organisme devrait : i) recevoir du feedback pour chaque comportement essayé, ii) analyser statistiquement les relations entre chaque comportement essayé et le feedback correspondant – or ces deux conditions ne sont quasiment jamais remplies au cours d’une vie individuelle (pas assez « d’input ») – exemple : un organisme ne peut pas apprendre par lui-même que l’évitement de l’inceste est un comportement adapté car le pattern statistique des relations entre ce comportement et le feedback n’est pas détectable à l’échelle d’une vie individuelle (en revanche, il est détectable par la sélection naturelle) Principe n°4 de la PE argument de l’explosion combinatoire : – cet argument renvoie au problème du cadre (frame problem) – comme il ne possède pas d’informations spécifiques à un problème donné, un dispositif doté d’un mécanisme domaine-général devrait, pour trouver le pattern de comportements adapté à ce problème, essayer toutes les combinaisons possibles de comportements dont il dispose dans son répertoire – or le nombre de combinaisons possibles croît exponentiellement avec le nombre de comportements disponibles – un tel dispositif ne pourrait donc pas réagir et s’adapter en temps réel – au contraire, un dispositif doté de mécanismes domaine-spécifiques n’est pas confronté à ce problème car il dispose d’un pattern de comportements prédéfini pour chaque problème Principe n°4 de la PE • L’ensemble [métaphore de l’ordinateur + hypothèse de la modularité] définit la théorie computationnelle de l'esprit les processus psychologiques réalisent des computations on peut identifier des groupes de computations qui portent sur des informations spécifiques • Cette théorie correspond au modèle standard des sciences cognitives • Alors qu’il en est le principal initiateur, Fodor lui-même est devenu le premier critique de la théorie computationnelle de l'esprit en général et de l’hypothèse de la modularité massive en particulier en fait, c’est l’application de la perspective évolutionniste à la notion de modularité qui aboutit à la modularité massive or Fodor est d’une façon générale très critique envers cette perspective et les dérives pan-adaptationnistes (tout caractère est une adaptation) – Fodor et Piattelli-Palmarini (2010). What Darwin Got Wrong. Principe n°4 de la PE • Fodor reproche à la PE d’avoir poussé trop loin la notion de modularité : selon lui, tous les modules ne sont pas domaine-spécifiques et ils ne sont pas tous des adaptations • Fodor prend en particulier l’exemple de l’abduction : c’est un syllogisme dont la prémisse majeure est certaine mais dont la prémisse mineure est seulement probable : la conclusion aussi n‘est que probable l'abduction est avec la déduction et l’induction, l’un des trois types majeurs d’inférence Cas général Exemple 1 Exemple 2 Prémisse majeure (certaine) B John est parti à Lacanau On voit des oiseaux Prémisse mineure (probable) Si A, alors B Si on fait du surf, on va à Lacanau Si la terre est proche, on voit des oiseaux Conclusion (probable) A John fait du surf La terre est proche Principe n°4 de la PE • Pour Fodor, le processus d’abduction est une preuve que la théorie computationnelle est fausse : ce processus n’est pas computationnel : on ne peut pas l’implémenter dans les règles de la logique pure ce processus n’est pas modulaire : il n’est pas domaine-spécifique, encapsulé, etc., mais traduit au contraire un fonctionnement cognitif global Fodor note que le « caractère global des processus cognitifs ne cadre pas bien avec la théorie qui veut que ce soient des calculs classiques. » • En outre, Fodor avance notamment deux arguments en défaveur de l’hérédité des modules : l’argument de la pénurie de gènes : le génome humain ne comporte pas suffisamment de gènes pour coder tous les modules postulés par la PE l’argument de la plasticité : le phénomène de plasticité cérébrale montre que les modules ne sont pas innés mais façonnés par le développement Principe n°4 de la PE • En fait, on constate que la PE s’est totalement affranchie du sens initialement accordé par Fodor à la notion de module : par exemple, la PE ne conçoit pas les modules comme travaillant isolément les uns des autres (encapsulation informationnelle) – exemple : le module de reconnaissance des visages interagit très probablement avec les modules de la cognition sociale « […] le concept de module de Fodor (1983) n’est ni utile ni important pour les psychologues évolutionnistes. » (Ermer et al., 2007) • Depuis les années 1990 jusqu’à aujourd’hui, un débat important a lieu entre Fodor et les tenants de la PE – Pinker (1997). Comment fonctionne l’esprit. Trad. éd. Odile Jacob (2000) – Fodor (2000). L'esprit, ça ne marche pas comme ça. Trad. éd. Odile Jacob (2003) Principe n°4 de la PE • La conséquence la plus provocante de l’hypothèse de la modularité massive est que même les processus centraux (processus de haut niveau ) sont modulaires • Cette idée va à l’encontre de la conception plus commune selon laquelle il existe des processus psychologiques qui peuvent traiter des classes d’informations très diverses (processus domaine-généraux) exemples : – la mémoire de travail et la mémoire à long terme peuvent stocker n’importe quel type d’information – le raisonnement déductif pour s’appliquer à toutes prémisses Principe n°4 de la PE • Un résultat expérimental qui illustre particulièrement bien le caractère non-modulaire des processus centraux est le phénomène de la période psychologique réfractaire (Psychological Refractory Period, PRP) • Ce phénomène peut être mis en évidence dans une expérience d’alternance de tâches (task-switching) : Le sujet effectue 2 tâches (rapidité) : si le stimulus est un chiffre, le sujet effectue une tâche de jugement numérique : il doit appuyer sur la touche E si le chiffre est pair ou sur la touche I si le chiffre est impair si le stimulus est un visage, le sujet effectue une tâche de discrimination de genre : il doit appuyer sur la touche Q si le visage est un homme ou sur la touche M si le visage est une femme SOA 500 ms Principe n°4 de la PE on fait varier l’intervalle de temps entre les stimuli (SOA = Stimulus Onset Asynchrony) on enregistre le temps de réponse des sujets TR TR Tâche 1 Tâche 2 Perception SOA Tâche 1 SOA Décision Perception Réponse PRP Décision Réponse TR Tâche 2 si les deux tâches impliquaient des traitements centraux modulaires, ces traitements pourraient se produire en parallèle (pas de PRP) au contraire, la présence d’une PRP suggère qu’il y a un seul module qui réalise le traitement central correspondant à la décision (ce module peut traiter des chiffres, des visages, etc.) Principe n°4 de la PE • En 1989, Comides a publié des résultats montrant qu’un processus mental de haut niveau (traitement de l’échange social) peut fonctionner de manière modulaire • Dans ses expériences, Comides a utilisé la tâche de sélection (ou tâche des quatre cartes) de Wason cette tâche a été élaborée par Peter Wason (1966) pour étudier la psychologie du raisonnement Principe n°4 de la PE • La version standard (descriptive) de la tâche est la suivante : Il y a ci-dessous un ensemble de 4 cartes. Sur chaque carte, figure une lettre d’un côté et un chiffre de l’autre côté. A D 4 7 Règle : si une carte a un A sur une face alors elle a un 4 sur l’autre face. Quelle(s) carte(s) faut-il retourner pour vérifier si la règle est vraie ou fausse ? Principe n°4 de la PE • La structure générale de la tâche de Wason est la suivante : forme logique de la règle : si P alors Q P non-P Q non-Q la règle est infirmée si P se produit mais pas Q – il faut retourner la carte P (pour voir s’il y a non-Q au dos) – il faut retourner la carte non-Q (pour voir s’il y a P au dos) les expériences montrent que la plupart des sujets retournent la carte P (= A) mais très peu retournent la carte non-Q (= 7) (environ 10%) Principe n°4 de la PE • Cette étude de Wason a déclenché une série importante de recherches qui ont tenté de déterminer les raisons pour lesquelles la performance des sujets dans cette tâche est aussi faible • Le premier facteur explicatif avancé concerne le caractère abstrait et non-écologique de la tâche : la plupart des personnes n’ont jamais à vérifier la véracité d’une règle logique si P alors Q dans leur vie quotidienne • Par conséquent, la performance devrait augmenter si la règle porte sur une situation concrète, autrement dit, si on contextualise la règle Principe n°4 de la PE • Johnson-Laird et Byrne (1972) ont testé cette hypothèse en réalisant l’expérience suivante : – les sujets devaient imaginer qu’ils étaient des employés de la Poste dont le travail consiste à trier le courrier – ils devaient faire en sorte que le courrier soit trié selon la règle suivante : si une enveloppe est cachetée alors elle doit être affranchie avec un timbre de 50 lires P non-P Q non-Q – sur les 24 sujets de l’expérience, 21 ont retourné les bonnes cartes (P et non-Q) alors que 2 ont réussi dans la version descriptive Principe n°4 de la PE • Par la suite, Griggs et Cox (1982) ont avancé l’hypothèse que ce n’est pas le caractère concret de la règle qui augmente la performance des sujets mais sa familiarité Griggs et Cox ont souligné le fait que la règle utilisée dans l’expérience de Johnson-Laird et Byrne (1972) était non seulement concrète mais également familière pour les sujets (cette règle était alors en vigueur au sein de la Poste) ils ont répliqué cette expérience sur des sujets non-familiers avec cette règle et n’ont pas constaté d’augmentation de la performance en revanche, ils montrent qu’il y a bien une augmentation lorsque les sujets sont familiers avec la règle Principe n°4 de la PE – les sujets (étudiants en Floride) doivent imaginer qu’ils sont un agent de police qui vérifie que des individus consommant des boissons dans un bar respectent bien une règle relative à l’âge légal de consommation d’alcool en vigueur dans l’état de Floride : si une personne consomme de l’alcool alors elle doit avoir plus de 19 ans Bière Coca 22 ans 16 ans P non-P Q non-Q – sur les 40 sujets de l’expérience, 29 ont retourné les bonnes cartes Principe n°4 de la PE • Cosmides (1989) propose une interprétation radicalement différente des résultats de Griggs et Cox (1982) • Elle met en avant le fait que la règle « si une personne consomme de l’alcool alors elle doit avoir plus de 19 ans » se rapporte à un domaine particulier : l’échange social un échange social est une situation où un individu A doit payer un certain coût pour recevoir un certain bénéfice d’un individu B – un échange (ou contrat) social peut donc s’exprimer sous la forme d’une règle « si P alors Q » : si on prend un bénéfice alors on doit payer un coût • Pour Cosmides, il existe un traitement psychologique dont la fonction est de vérifier si un contrat social est respecté ou non (autrement dit, de vérifier une règle si P alors Q) – un contrat social est violé si un individu prend un bénéfice (= P) sans payer un coût (= non-Q) Principe n°4 de la PE • Cosmides souligne qu’un individu qui ne respecte pas un contrat social est un tricheur : par conséquent, vérifier si un contrat social est respecté ou non revient à détecter la présence d’un tricheur • Selon elle, les individus disposent d’un module de détection de tricheurs dans les interactions sociales car un tel module est hautement adaptatif (celui-ci permet notamment d’éviter d’être exploité) les individus sont donc très bons pour détecter les tricheurs c’est précisément la raison pour laquelle les individus sont très bons dans la tâche de Wason lorsque la règle est relative à un contrat social : dans ce cas, vérifier la règle revient à détecter la présence de tricheurs Principe n°4 de la PE • La structure générale de la tâche de Wason quand la règle décrit un contrat social est la suivante : forme logique de la règle : si on prend un bénéfice alors on paie un coût si P alors Q bénéfice pris bénéfice non pris coût payé coût non payé P non-P Q non-Q les deux cartes qui représentent des tricheurs potentiels sont les cartes « bénéfice pris » (s’il y a « coût non payé » au dos) et « coût non payé » (s’il y a « bénéfice pris » au dos) Principe n°4 de la PE • Exemple : forme logique de la règle : si on prend un bénéfice alors on paie un coût si alcool alors + 19 ans bénéfice pris bénéfice non pris coût payé coût non payé bière coca 22 ans 16 ans les tricheurs sont ceux qui boivent de l’alcool (bénéfice pris) sans avoir plus de 19 ans (coût non payé), il faut donc vérifier les individus qui ont pris le bénéfice (carte « bière ») et les individus qui n’ont pas payé le coût (carte « 16 ans ») Principe n°4 de la PE • Dans son article de 1989, Cosmides rapporte 2 résultats expérimentaux majeurs en faveur de l’existence du module de détection des tricheurs • Dans une première série d’expériences, une même règle est : présentée de façon telle qu’elle se rapporte à un échange social (condition échange social) présentée de façon telle qu’elle ne se rapporte pas à un échange social (condition descriptive) • Le scénario commun aux deux conditions est le suivant : il est question d’une tribu (imaginaire) vivant sur une île du Pacifique dans cette tribu, certains individus ont un tatouage facial, il s’agit des hommes mariés (seulement eux) les racines de manioc sont une nourriture recherchée : elles sont appréciées et sont aphrodisiaques au contraire, les noix de macadam ne sont pas recherchées Principe n°4 de la PE • La partie spécifique du scénario dans la condition descriptive est : les racines de manioc poussent au sud de l’île où vivent les hommes mariés alors que les noix de macadam poussent au nord de l’île où vivent les hommes célibataires • La partie spécifique du scénario dans la condition échange social est : seuls les hommes mariés ont le droit de manger des racines de manioc • Dans les deux conditions, la règle à vérifier est : si un homme mange une racine de manioc alors il a un tatouage facial mange une racine de manioc mange une noix de macadam a un tatouage facial n’a pas de tatouage facial Principe n°4 de la PE • Résultats : condition descriptive : 21% des sujets retournent les bonnes cartes (P et non-Q) condition échange social : 75% des sujets retournent les bonnes cartes (P et non-Q) • Interprétation : si on prend un bénéfice alors on paie un coût si racine de manioc alors tatouage facial mange une racine de manioc mange une noix de macadam a un tatouage facial n’a pas de tatouage facial bénéfice pris P bénéfice non pris non-P coût payé Q coût non payé non-Q Principe n°4 de la PE • On constate que lorsque la règle se rapporte à un échange social, la démarche de détection des tricheurs et la démarche logique amènent toutes les deux à retourner les mêmes cartes (P et non-Q) il se pourrait donc que les sujets appliquent en fait les règles générales de la logique • Pour tester cette hypothèse, Cosmides souligne qu’un contrat social peut prendre deux formes : le contrat social standard : si on prend un bénéfice alors on paie un coût si P alors Q le contrat social inversé : si on paie un coût alors on prend un bénéfice si P alors Q Principe n°4 de la PE • Ces deux formulations sont équivalentes du point de vue du contrat social mais pas du point de vue logique le contrat social standard : si on prend un bénéfice alors on paie un coût si P alors Q le contrat social inversé : si on paie un coût alors on prend un bénéfice si P alors Q standard : inversé : bénéfice pris bénéfice non pris coût payé coût non payé P Q non-P non-Q Q P non-Q non-P Principe n°4 de la PE • Cosmides a répliqué la même expérience mais en utilisant la formulation inversée du contrat sociale : si un homme a un tatouage facial alors il mange une racine de manioc mange une racine de manioc mange une noix de macadam a un tatouage facial n’a pas de tatouage facial bénéfice pris Q bénéfice non pris non-Q coût payé P coût non payé non-P si les individus utilisent la logique, ils devraient retourner les cartes P et non-Q s’ils cherchent à détecter les tricheurs, ils devraient retourner les cartes Q et non-P Principe n°4 de la PE • Résultats : 67% (et 75% dans une expérience similaire) des sujets retournent les cartes Q et non-P les sujets choisissent les cartes incorrectes du point de vue de la logique mais correctes du point de vue de la détection des tricheurs • En conclusion, les résultats de Cosmides (1989) suggèrent qu’il n’y a pas un traitement psychologique général chargé d’évaluer la véracité d’une règle logique, au contraire, le traitement réalisé dépend du contenu de la règle (spécificité au domaine) Principe n°5 de la PE • Ce principe stipule : Il existe une inadéquation (mismatch) entre les fonctions réalisées par nos processus psychologiques et notre environnement actuel • Ce cinquième principe est exprimé par Cosmides et Tooby (1997) avec la formule : « Nos crânes modernes abritent un esprit qui date de l’âge de pierre. » • En effet, nos processus psychologiques ont été façonnés par l’évolution pour résoudre les problèmes adaptatifs posés par l’environnement de l'adaptation évolutive (EEA), pas ceux posés par notre environnement moderne celui-ci ne pose plus des problèmes adaptatifs tels que trouver de la nourriture comestible, échapper aux prédateurs, trouver des partenaires sexuels, protéger la descendance, … Principe n°5 de la PE • Autrement dit, certains processus mentaux continuent à assurer leur fonction initiale alors que celle-ci n’est plus adaptative au contraire, une structure vestigiale est une structure anatomique de l'organisme dont la fonction initiale a été perdue tout ou en partie au cours de l'évolution (exemples : chez l’homme, l’appendice et le coccyx) Exemple 1 : • L’attirance pour le sucre et les graisses, le stockage des lipides dans les tissus adipeux dans un environnement où la nourriture est rare et imprévisible, il est hautement adaptatif pour un organisme de i) privilégier les aliments riches en calories, ii) être capable de stocker les nutriments en excès pour les garder en réserve or dans les sociétés actuelles, trouver de la nourriture n’est plus un problème donc le stockage des lipides n’est plus une solution adaptative (au contraire : obésité, maladies cardio-vasculaires, …) Principe n°5 de la PE Top 5 du classement de 400 chaînes de restaurants en fonction de leur chiffre d’affaire (en 2008) : 1. McDonald's 3. Burger King 2. KFC 4. Starbucks 5. Subway Principe n°5 de la PE Exemple 2 : • La peur des serpents et des araignées dans un environnement où les serpents et les araignées sont nombreux et causent des blessures le plus souvent mortelles, il est hautement adaptatif pour un organisme d’avoir une tendance systématique à éviter ces animaux or dans les sociétés actuelles, les serpents et les araignées sont rares et les blessures qu’ils peuvent causer sont le plus souvent soignables une multitude d’expériences montrent que des images de serpents et d’araignées i) ont tendance à déclencher des réactions motrices automatiques d’évitement, ii) attirent plus l’attention que d’autres images Principe n°5 de la PE – exemple : tâche attentionnelle 100 ms 100 ms 33 ms 1000 ms 33 ms 1000 ms le sujet doit appuyer sur une touche située du même côté que le point, le plus rapidement possible les serpents et les araignées attirent autant l’attention que les révolvers (alors que ces derniers causent beaucoup plus de décès) Principe n°5 de la PE • Certains mismatchs sont volontairement créés : on définit une situation dans laquelle certains mécanismes psychologiques seront inadéquats Exemple • L’esprit humain présente une tendance naturelle à essayer de prédire le futur à partir du passé ce processus a une valeur adaptative évidente • La plupart des jeux de casino correspondent à des situations où cette tendance psychologique est inadéquate (elle donne lieu à des pertes) prédire un événement futur à partir d’événements passés est valable lorsque les événements ne sont pas indépendants – exemple : dans des régions où les conditions météorologiques sont relativement stables, prédire le temps qu’il fera demain à partir du temps qu’il fait aujourd’hui est globalement correct Principe n°5 de la PE mais dans les jeux de casino, les événements sont – statistiquement – indépendants : dans ce cas, prédire le futur sur la base du passé n’est pas valable – ce mismatch est illustré par l’erreur du joueur (gambler’s fallacy) : au jeu pile-ou-face, croire que si la pièce est tombée cinq fois d’affilée sur face, alors elle a plus de chances de tomber sur pile au coup suivant ; à la roulette, croire que si la bille s’est arrêtée cinq fois d’affilée sur le noir, alors elle a plus de chances de s’arrêter sur le rouge au lancer suivant Principe n°5 de la PE • Mais il serait erroné de conclure que l’intuition probabiliste humaine est peu performante à partir de l’observation qu’elle échoue dans des situations qui ont été artificiellement conçues pour la prendre en défaut « Dans n’importe quel endroit excepté un casino, l’erreur du joueur est rarement une erreur. En effet, qualifier nos prédictions de fallacieuses parce qu’elles échouent dans des jeux de casino est un raisonnement à l’envers. Un jeu de casino est, par définition, une situation conçue pour battre nos prédictions intuitives. C’est comme dire que nos mains sont mal conçues parce qu’elles échouent à se libérer de menottes. » Pinker (1997) 4. Le comportement d’accouplement chez l’homme La sélection sexuelle • La théorie de l’évolution est particulièrement efficace pour expliquer le comportement d’accouplement chez l’animal • Dans le cadre évolutionniste, le comportement d’accouplement est régi par le principe de la sélection sexuelle les mâles sont en compétition pour l’accès aux femelles (sélection intrasexuelle) les femelles choisissent le meilleur mâle (sélection intersexuelle) • Formulé en 1871 par Darwin, le seul principe de la sélection sexuelle permet de rendre compte d’une large gamme de comportements liés à l’accouplement • Par la suite, plusieurs théories ont apporté des fondements à ce principe celles-ci ont encore élargi la gamme des comportements expliqués La sélection sexuelle • En 1948, Angus John Bateman réalise une expérience qui, d’une part, apporte une preuve expérimentale de la sélection sexuelle, et d’autre part, permet d’en établir la cause • Dans cette expérience, Bateman montre que : chez les mâles, le succès reproducteur augmente avec le nombre de partenaires sexuels mais pas chez les femelles ce résultat est connu sous le nom de principe de Bateman • La sélection sexuelle découle logiquement de ce phénomène : chez les mâles : – les spermatozoïdes sont produits en continue en grande quantité – leur succès reproducteur ne dépend que du nombre de femelles avec lesquelles ils s’accouplent – ils cherchent à maximiser leur succès reproducteur en accédant au maximum de femelles : logique de quantité compétition La sélection sexuelle chez les femelles : – les ovules sont beaucoup plus coûteux à produire que les spermatozoïdes – il y a une contrainte forte sur le nombre de descendants qu’elles peuvent produire : un descendant tous les 9 mois au maximum – leur succès reproducteur ne dépend pas du nombre de mâles avec lesquels elles s’accouplent : un seul mâle est suffisant pour féconder tous leurs ovules – elles cherchent à maximiser leur succès reproducteur en choisissant le meilleur mâle pour féconder leurs ovules : logique de qualité sélection La sélection sexuelle • Pour arriver à ce résultat, Bateman a réalisé l’expérience suivante : il a travaillé sur « la mouche des fruits » (Drosophila melanogaster) il a produit des adultes porteur d’une mutation sur un gène donné donnant lieu à une anomalie phénotypique caractéristique (ex : ailes courbées) La mouche des fruits – plusieurs mutations différentes avaient été créées, chaque adulte portait l’une d’entre elles les adultes étaient hétérozygotes dominants : pour chaque mutation, l’allèle muté (M) était dominant alors que l’allèle normal (n) était récessif ensuite, Bateman constituait des groupes comportant chacun 3 femelles et 3 mâles et plaçait chaque groupe dans une petite bouteille il laissait les adultes de chaque groupe s’accoupler pendant 3-4 jours puis les retirait de la bouteille La sélection sexuelle dans chaque groupe, les 6 adultes possédaient des génotypes uniques et comme chaque mutation était associée à une anomalie phénotypique précise, chaque adulte était identifiable La sélection sexuelle Bateman a ensuite inventorié, pour chaque groupe, les caractéristiques phénotypiques des descendants La sélection sexuelle Bateman a ensuite inventorié, pour chaque groupe, les caractéristiques phénotypiques des descendants il y a 4 types de phénotypes chez les descendants : – les M♀M♂ La sélection sexuelle Bateman a ensuite inventorié, pour chaque groupe, les caractéristiques phénotypiques des descendants il y a 4 types de phénotypes chez les descendants : – les M♀M♂ – les n♀M♂ La sélection sexuelle Bateman a ensuite inventorié, pour chaque groupe, les caractéristiques phénotypiques des descendants il y a 4 types de phénotypes chez les descendants : – les M♀M♂ – les n♀M♂ – les M♀n♂ La sélection sexuelle Bateman a ensuite inventorié, pour chaque groupe, les caractéristiques phénotypiques des descendants il y a 4 types de phénotypes chez les descendants : – les M♀M♂ – les n♀M♂ – les M♀n♂ – les n♀n♂ La sélection sexuelle Bateman peut inférer le père et la mère des descendants de type M♀M♂ (seulement de ce type de descendants), autrement dit, qui s’est accouplé avec qui (nombre de partenaires de chaque adulte) exemple : dans l’ensemble des descendants M♀M♂ : – si on observe le phénotype CyL4Sb, cela signifie que la femelle CyL4 et le mâle Sb se sont accouplés – si on n’observe pas le phénotype CyL4Sb, cela signifie que la femelle CyL4 et le mâle Sb ne se sont pas accouplés cette inférence est valable en raison du caractère mendélien de l’hérédité des caractères en jeu : chaque type de phénotype représente 25% des descendants La sélection sexuelle on ne peut pas dire « peut-être que la femelle CyL4 et le mâle Sb se sont accouplés mais que les descendants ont l’un des 3 autres phénotypes que CyL4Sb » : ce cas de figure n’est pas possible car ces 4 phénotypes doivent être en nombres égaux La sélection sexuelle Bateman rapporte pour chaque groupe : – le nombre de partenaires de chaque adulte – le nombre de descendants de chaque adulte (RS) La sélection sexuelle Nombre de descendants on peut ainsi représenter le succès reproducteur en fonction du nombre de partenaires pour les mâles et les femelles : 120 100 80 60 Mâles 40 Femelles 20 0 1 2 3 Nombre de partenaires – le succès reproducteur dépend plus du nombre de partenaires chez les mâles que chez les femelles La sélection sexuelle • Ce résultat expérimental de Bateman constitue le pivot de la théorie de la sélection sexuelle : c’est l’article le plus cité dans ce domaine il est cité dans près de 2000 publications scientifiques • Mais en juillet 2012, Gowaty et al. (2012) publient des résultats relatifs à une réplication de l’étude de Bateman (1948) qui montrent que les résultat de cette étude sont en fait erronés en raison de plusieurs biais • En effet, l’inférence sur le nombre de partenaires de chaque adulte à partir des descendants M♀M♂ n’est pas valable si les 4 types de phénotypes ne sont pas présents en nombre égaux exemple : dans l’ensemble des descendants M♀M♂ : – si on n’observe pas le phénotype CyL4Sb, cela ne signifie pas que la femelle CyL4 et le mâle Sb ne se sont pas accouplés peut-être que la femelle CyL4 et le mâle Sb se sont accouplés mais que les descendants ont l’un des 3 autres phénotypes que CyL4Sb La sélection sexuelle • C’est précisément ce que Gowaty et al. (2012) ont montré : les 4 types de phénotypes chez les descendants n’étaient pas en nombres égaux : notamment parce que le fait de porter deux mutations augmente le risque de décès précoce La sélection sexuelle le compte du nombre de partenaires à partir des descendants M♀M♂ était biaisé : – comme leur mutation n’était pas présente chez les descendants M♀M♂, certaines femelles étaient étiquetées « 0 partenaires » alors qu’en fait, elles s’étaient accouplées (leur mutation était présente chez les descendants M♀n♂) – comme leur mutation n’était pas présente chez les descendants M♀M♂, certaines mâles étaient étiquetés « 0 partenaires » alors qu’en fait, ils s’étaient accouplés (leur mutation était présente chez les descendants n♀M♂) conclusion : l’estimation de la relation entre le nombre de partenaires et le succès reproducteur n’est pas valable dans l’étude de Bateman La sélection sexuelle • Evolution News & Views (18 juin 2012) : « Bateman's Sexual Selection: Another Darwinian Pillar Falls » • Science Daily (25 juin 2012) : « Biologists Reveal Potential 'Fatal Flaw' in Iconic Sexual Selection Study » La sélection sexuelle • En 1972, Robert Trivers apporte un fondement supplémentaire à la sélection sexuelle : la théorie de l’investissement parental • L’investissement parental correspond au rapport coût/bénéfice dans la production de descendants : coût = ensemble des ressources (temps, énergie) qu’un parent consacre à son enfant au détriment de son propre succès reproducteur bénéfice = assurance du succès reproducteur • Trivers note que l’investissement parental minimal varie énormément entre le père et la mère : l’investissement minimal du père se limite à la copulation l’investissement minimal de la mère comporte la copulation, les 9 mois de grossesse, et l’accouchement La sélection sexuelle • Pour les psychologues évolutionnistes, une preuve patente de la théorie de l’investissement parental est l’effet Cendrillon : il correspond au fait que le taux de maltraitance infantile et d’infanticide est significativement plus élevé chez les beaux-parents que chez les parents biologiques (notamment pour les pères) un jeune enfant a plus de chances d’être maltraité ou tué par un beauparent que par l’un de ses parents biologiques • L’explication évolutionniste est directe : pour un parent biologique, il y a un investissement parental – coût = élever l’enfant, bénéfice = assurer son succès reproducteur – si l’enfant décède, cet investissement est perdu pour un beau-parent, il n’y a pas d’investissement parental – coût = élever l’enfant, pas de bénéfice – si l’enfant décède, il n’y a aucune perte La sélection sexuelle Nombre d’enfants battus à mort (par million) • Daly et Wilson (1994; 2001) rapportent que durant la période 1974-1990 au Canada, le taux d’enfants de moins de 5 ans battus à mort : par le père biologique : 700 Beau-pères 2.6 pour un 1 million 576.5 600 Pères biologiques (74 pour 28.3 M) 500 par le beau-père : 321.6 pour 1 million 400 321.6 (55 pour 170 000) 300 200 100 0 70.6 30.6 1.8 2.6 La sélection sexuelle • L’effet Cendrillon est très controversé par exemple, Buller (2005) a suggéré que les rapports officiels sur lesquels se basent les études sont biaisés en défaveur des beauxpères: ces derniers ont tendance à être plus comptabilisés comme auteurs d’infanticides que les pères biologiques Daly et Wilson (2001) font remarquer que même si ce biais existe, il est insuffisant pour rendre compte de la taille de l’effet Cendrillon – admettons que les beaux-pères se fassent toujours prendre alors que les pères biologiques s’en sortent souvent – pour que l’effet Cendrillon disparaisse (que le taux d’infanticide par les pères biologiques atteigne celui des beaux-pères), il faudrait qu’il y ait plus de 500 infanticides non découverts chaque année (sachant que le nombre annuel moyen d’infanticides découverts est de 4) La sélection sexuelle • La sélection sexuelle est une conséquence directe de l’asymétrie de l’investissement parental entre le père et la mère : les femelles sont les parents qui investissent le plus dans la progéniture: elles ne sont pas en mesure de s’accoupler souvent, d’où une sélection entre les différents mâles – celui-ci doit porter des « bons » gènes et avoir des ressources qui seront investies dans le développement de la progéniture les mâles sont les parents qui investissent le moins dans la progéniture : ils sont en mesure de s’accoupler plus souvent, d’où une compétition pour l’accès aux femelles • Le caractère asymétrique de la sélection sexuelle entre les mâles et les femelles est à l’origine du conflit sexuel : différences inter-sexes dans les stratégies d’accouplement (court terme et long terme) dans les préférences au niveau choix du partenaire L’accouplement à court terme Chez les hommes • L’accouplement à court terme est un accouplement non conjugal qui se réduit au rapport sexuel • Du point de vue évolutionniste, c’est ce type d’accouplement qui doit être préférentiellement recherché par les mâles car leur succès reproducteur dépend directement du nombre de partenaires sexuels dans deux ouvrages célèbres (aussi connus sous le nom de « rapports Kinsey »), Alfred Kinsey rapporte que 50% des hommes mariés et 26% des femmes mariées ont eu des relations sexuelles extra conjugales – Le Comportement sexuel de l’homme (1948) – Le Comportement sexuel de la femme (1954) • Chez l’Homme, plusieurs résultats confirment que les hommes sont plus enclins à l’accouplement à court terme que les femmes L’accouplement à court terme Chez les hommes exemple 1 : les résultats d’une enquête de Buss et Schmitt (1993) montrent que les hommes souhaitent plus de partenaires que les femmes, et ce, à toutes les échelles de temps : L’accouplement à court terme Chez les hommes exemple 2 : les résultats d’une autre enquête de Buss et Schmitt (1993) montrent que les hommes sont plus enclins à accepter un rapport sexuel que les femmes, et ce, quel que soit le temps depuis lequel on connait le partenaire : L’accouplement à court terme Chez les hommes exemple 3 : expérience de Clark et Hatfield (1989) – sur un campus universitaire, des étudiants (hommes et femmes) dont la beauté physique était similaire (moyenne) devait accoster des étudiants du sexe opposé et leur dire : « Je t’ai repéré(e) sur le campus. Je te trouve très beau(belle). » puis leur poser l’une des trois questions : « Est-ce que tu voudrais sortir avec moi ce soir ? » « Est-ce que tu voudrais venir chez moi ce soir ? » « Est-ce que tu voudrais coucher avec moi ce soir ? » L’accouplement à court terme Chez les hommes exemple 3 : expérience de Clark et Hatfield (1989) – résultats : % des étudiants accostés ayant accepté la requête Etude 1 Type de requête Sexe du demandeur Sortie Appartement Rapport sexuel Femme 50% 69% 75% Homme 56% 6% 0% Etude 2 Type de requête Sexe du demandeur Sortie Appartement Rapport sexuel Femme 50% 69% 69% Homme 50% 0% 0% L’accouplement à court terme Chez les hommes exemple 4 : les résultats d’une enquête de Kurdek (1999) montrent que les hommes mariés sont moins satisfaits de leur mariage que leur femme, et ce, quel que soit le nombre d’années de mariage (au moins durant les premières années) L’accouplement à court terme Chez les hommes • La recherche de l’accouplement à court terme par les mâles donne lieu à une compétition pour l’accès aux partenaires sexuels • Une forme particulière de compétition chez les mâles est la compétition du sperme : il s’agit de la compétition entre les spermatozoïdes de différents mâles pour féconder un ovule d’une même femelle • L’évolution a façonné différentes stratégies chez les mâles pour lutter dans cette compétition : surveiller le partenaire : après l’accouplement, le mâle surveille la femelle et empêche les autres mâles de s’en approcher L’accouplement à court terme Chez les hommes libérer beaucoup de spermatozoïdes : tout comme on augmente ses chances de gagner à une loterie en achetant beaucoup de tickets, un mâle augmente ses chances de féconder une femelle en libérant beaucoup de spermatozoïdes – il faut acheter d’autant plus de tickets qu’il y a de participants à la loterie : la taille des testicules dépend de la promiscuité sexuelle des femelles – Preston et al. (2002) ont montré que chez le mouton de Soay où la promiscuité des femelles est forte, la taille des testicules des mâles est Le mouton de Soay 4 fois plus grande que la taille prédite par rapport au reste de leur corps L’accouplement à court terme Chez les hommes empêcher les spermatozoïdes d’un autre mâle de pénétrer dans l’appareil reproducteur de la femelle : chez certaines espèces, un bouchon copulateur (agrégat de sperme et de sécrétions sexuelles) se forme au niveau de l’orifice vulvaire de la femelle libérer des substances qui vont affecter le comportement reproducteur de la femelle : chez certaines espèces, le sperme des mâles comporte des substances anti-aphrodisiaques qui vont inhiber le comportement reproducteur de la femelle après l’accouplement ainsi que des substances qui vont stimuler l’ovulation Bouchon copulateur L’accouplement à court terme Chez les hommes retirer le sperme des mâles précédents : chez certaines espèces, la morphologie du pénis (couronne) a été façonnée pour remplir cette fonction – Gallup et al. (2003) rapportent que lorsqu’une personne a un rapport sexuel dans un contexte d’infidélité, la profondeur de la pénétration est plus grande et son rythme est plus soutenu L’accouplement à court terme Chez les femmes • A priori, l’accouplement à court terme ne doit pas être particulièrement recherché par les femmes car leur succès reproducteur ne dépend pas du nombre de partenaires globalement, le principe de sélection sexuelle n’explique pas pourquoi 26% des femmes mariées ont des rapports extraconjugaux • David Buss soutient l’hypothèse que chez la femme, l’accouplement à court terme est une stratégie visant à maximiser la qualité génétique de ses descendants une femme ne peut guère augmenter le nombre de ses enfants mais elle peut augmenter la qualité de leur gènes en choisissant des partenaires portant des « bons » gènes une femme mariée dont un enfant est issu d’un rapport extraconjugal combine deux avantages : elle assure la qualité génétique de l’enfant via son amant et son éducation via les ressources de son mari L’accouplement à court terme Chez les femmes • Buss met en avant deux arguments en faveur de l’hypothèse que l’accouplement à court terme est une stratégie adaptative chez la femme : Gangestad et Thornhill (1997) ont montré que les femmes mariées choisissent davantage comme amants des hommes morphologiquement symétriques que des hommes asymétriques – la symétrie morphologique révèle une stabilité développementale qui indique une capacité à résister aux agents pathogènes et aux mutations mineures et donc une génétique favorable L’accouplement à court terme Chez les femmes Baker et Bellis (1995) ont montré que les femmes mariées infidèles avaient davantage de rapports sexuels extraconjugaux pendant la période fertile que pendant la période non fertile du cycle menstruel – pour Buss, cela prouve que celles-ci cherchent à être fécondées par leur amant (qui porte les meilleurs gènes) L’accouplement à court terme Chez les femmes • Buller (2005) a critiqué l’idée que l’accouplement à court terme chez la femme est une stratégie adaptative (une adaptation) : selon lui, ce phénomène est un sous-produit (byproduct) de caractéristiques qui elles sont des adaptations : la préférence pour les hommes à la morphologie symétrique le désir sexuel un pic du désir sexuel durant la phase fertile du cycle menstruel • Buller suggère que les deux phénomènes en question peuvent être expliqués sans invoquer d’adaptation : si les femmes mariées infidèles sélectionnent leurs amants suivant le critère physique (symétrie morphologique), c’est parce que le critère matériel (ressources) est déjà satisfait par leur mari L’accouplement à court terme Chez les femmes si les femmes mariées infidèles ont plus de rapports extraconjugaux pendant la période fertile du cycle menstruel, c’est parce que : – les femmes ont plus de désir sexuel durant cette phase d’une façon générale – elle choisissent leur amant plutôt que leur mari pour satisfaire ce désir parce que le premier apporte plus de satisfaction que le second Pourquoi ne choisissent-elles pas tout le temps leur amant ? – en période non fertile : coût = risque de découverte de l’infidélité par le mari bénéfice = plus de satisfaction sexuelle – en période fertile : coût = risque de découverte de l’infidélité par le mari bénéfice = beaucoup plus de satisfaction sexuelle La jalousie • Buss et al. (1992) ont proposé une explication évolutionniste de la jalousie basée sur la théorie de l’investissement parental pour Buss, la jalousie est une alarme émotionnelle dont la fonction est de signaler une potentielle infidélité du conjoint et donc une potentielle perte de l’investissement parental jusqu’alors réalisé • Cette explication prédit un fonctionnement différentiel de la jalousie entre les deux sexes : les hommes sont plus enclins à détecter l’infidélité sexuelle car celle-ci entraîne une incertitude paternelle – contrairement à une femme, un homme ne peut jamais être sûr d’être le père de son enfant (« Mother’s baby, fathers maybe ») – Baker (1996) rapporte que 10% des enfants sont élevés par un père qui ignore qu’il n’est pas leur père biologique les femmes sont plus enclines à détecter l’infidélité émotionnelle car celle-ci est synonyme de perte de ressources pour élever l’enfant La jalousie • Buss et Schmitt (1993) rapportent un résultat en faveur de l’hypothèse que les hommes recherchent la certitude paternelle : ils accordent plus d’importance que les femmes au fait que leur partenaire à long terme soit vierge avant leur rencontre : Indispensable Pas du tout important La jalousie • Pour tester leur explication évolutionniste de la jalousie, Buss et al. (1992) ont proposé à des sujets des dilemmes d’infidélité : dilemme 1 : Pensez à une relation amoureuse sérieuse que vous avez eue, que vous avez actuellement, ou que vous aimeriez avoir. Imaginez que votre partenaire devienne intéressé par une autre personne que vous. Qu’est-ce qui vous bouleversait le plus ? □ Découvrir que votre partenaire entretient une relation émotionnelle forte avec cette personne [infidélité émotionnelle] □ Découvrir que votre partenaire entretient des rapports sexuels avec cette personne [infidélité sexuelle] La jalousie résultats : *USA : moyenne de 6 études % de sujets ayant choisi l’infidélité sexuelle 70 60 50 Hommes 40 Femmes 30 20 10 0 La jalousie dilemme 2 : Pensez à une relation amoureuse sérieuse que vous avez eue, que vous avez actuellement, ou que vous aimeriez avoir. Imaginez que votre partenaire devienne intéressé par une autre personne que vous. Qu’est-ce qui vous bouleversait le plus ? □ Découvrir votre partenaire en train d’essayer différentes positions sexuelles avec cette personne [infidélité sexuelle] □ Découvrir que votre partenaire est en train de tomber amoureux de cette personne [infidélité émotionnelle] La jalousie résultats : *USA : moyenne de 4 études % de sujets ayant choisi l’infidélité sexuelle 60 50 40 30 20 10 0 Hommes Femmes La jalousie • Buller (2005) a également critiqué ces résultats : montrer que les hommes sont plus attentifs à l’infidélité sexuelle que les femmes n’est pas concluant car l’hypothèse est que les hommes sont plus attentifs à l’infidélité sexuelle qu’à l’infidélité émotionnelle (et viceversa pour les femmes) – or ces données montrent que ce n’est pas le cas chez les hommes : Dilemme 1 Dilemme 2 Infidélité sexuelle 51% 38% Infidélité émotionnelle 49% 62% Le choix du partenaire • L’asymétrie de la sélection sexuelle entre les mâles et les femelles est également à l’origine de différences inter-sexes concernant les critères dans le choix du partenaire • Selon la théorie de l’investissement parental : le premier critère de sélection des femelles doit être la quantité de ressources du mâle : plus un mâle possède de ressources, plus les descendants pourront bénéficier de ces ressources, ce qui assure le succès reproducteur de la femelle le premier critère de sélection des mâles doit renvoyer aux qualités physiques de la femelle : ce sont les indicateurs de sa fertilité les femelles doivent être globalement plus sélectives que les mâles • Un grand nombre d’études ont confirmé ces prédictions chez l’Homme Le choix du partenaire Les ressources financières et le statut social • Buss et Schmitt (1993) rapportent que les femmes accordent plus d’importance à ces deux critères que les hommes : Ressources financières du partenaire Statut social du partenaire (0 : Pas du tout important – 3 : Indispensable) Le choix du partenaire Les ressources financières et le statut social • Dunn et Searle (2010) ont montré que les ressources matérielles d’une personne influencent la perception que l’on a de sa beauté physique dans leur expérience, des sujets devaient évaluer la beauté physique (sur une échelle de 1 à 10) d’une personne du sexe opposé qui était au volant soit d’une Ford Fiesta, soit d’une Bentley Continental Le choix du partenaire Les ressources financières et le statut social Le choix du partenaire Les ressources financières et le statut social résultats : 1 : Pas du tout attractif – 10 : Très attractif Le choix du partenaire L’intelligence Rang percentile intelligence • Kenrick et al. (1990; 1993) ont réalisé l’expérience suivante : des étudiants devaient indiquer le degré minimal d’intelligence qu’une personne devait avoir pour : 100 – une sortie 90 – une relation sexuelle 80 70 – une relation stable 60 – un mariage 50 40 30 20 10 0 Hommes Femmes Sortie Sexe Stable Mariage Le choix du partenaire L’âge • Buss et Schmitt (1993) rapportent que les femmes souhaitent un époux plus âgé qu’elles alors que les hommes souhaitent une épouse moins âgée qu’eux pour les femmes, un mari plus âgé a plus de chances d’avoir des ressources pour les hommes, une épouse moins âgée a plus de chances d’être fertile Le choix du partenaire La beauté physique • Buss et Schmitt (1993) rapportent que les hommes accordent plus d’importance à ce critère que les femmes : Le choix du partenaire La beauté physique • Townsend et Levy (1990) ont montré dans une même expérience que le statut social du partenaire est un critère plus prévalent chez les femmes tandis que l’attractivité physique du partenaire est un critère plus prévalent chez les hommes ils avaient sélectionné 4 modèles : un homme attractif, un homme peu attractif, une femme attractive, et une femme peu attractive ils avaient pris 3 photos de chacun de ces modèles : dans chaque photo, le modèle portait des vêtements traduisant un certain statut social (bas, moyen, élevé) Le choix du partenaire La beauté physique Statut social bas Statut social moyen Statut social élevé Le choix du partenaire La beauté physique ces photos étaient ensuite montrées à des sujets (chaque sujet voyait des photos d’un modèle du sexe opposé) qui devaient répondre à 5 questions pour chaque photo : Question 1 : « Je pourrais boire un café avec cette personne » Question 2 : « Je pourrais faire une sortie avec cette personne » Question 3 : « Je serais prêt(e) à avoir des rapports sexuel avec cette personne » Question 4 : « Je serais prêt(e) à avoir une relation sérieuse avec cette personne » Question 5 : «Je serais prêt(e) à me marier avec cette personne » 1 : Tout à fait d’accord, 2 : D’accord, 3 : Indécis(e), 4 : Pas d’accord, 5 : Pas du tout d’accord Le choix du partenaire La beauté physique résultats : question 3 (sexe) FEMMES HOMMES Attractif 5 4 4 3 3 2 2 1 1 0 0 Faible Moyen Elevé Statut social du modèle Attractif 5 Non-attractif Faible Moyen Elevé Statut social du modèle 1 : Tout à fait d’accord, 2 : D’accord, 3 : Indécis(e), 4 : Pas d’accord, 5 : Pas du tout d’accord Le choix du partenaire La beauté physique résultats : question 5 (mariage) FEMMES HOMMES Attractif 5 4 4 3 3 2 2 1 1 0 0 Faible Moyen Elevé Statut social du modèle Attractif 5 Non-attractif Faible Moyen Elevé Statut social du modèle 1 : Tout à fait d’accord, 2 : D’accord, 3 : Indécis(e), 4 : Pas d’accord, 5 : Pas du tout d’accord Le choix du partenaire La beauté physique • Singh (1993) a proposé l’hypothèse que pour les hommes, l’un des critères physiques le plus pertinent pour évaluer la santé globale d’une femme est le rapport taille-hanche (RTH) : rapport entre la circonférence de la taille et celle des hanches le RTH moyen chez la femme est compris entre 0.67 et 0.80 le RTH moyen chez l’homme est compris entre 0.85 et 0.95 • Selon Singh, à poids de corps constant : les femmes avec un RTH bas ont une activité endocrine plus précoce que les femmes avec un RTH élevé les femmes avec un RTH élevé ont plus de difficulté à tomber enceintes les femmes avec un RTH élevé sont plus prédisposées au diabète, à l’hypertension, et aux problèmes cardio-vasculaires Le choix du partenaire La beauté physique • Singh (1993) a construit 12 dessins de femmes résultants du croisement de 4 RTH différents avec 3 poids de corps différents, et elle a demandé à des sujets d’évaluer ces femmes sur plusieurs critères Poids faible Poids moyen Poids élevé Le choix du partenaire La beauté physique résultats : – quel que soit le poids de corps, la femme avec le RTH le plus bas (0.7) était jugée comme étant la plus jeune, en meilleure santé, la plus fertile, et la plus attractive – sur les 12 femmes, la femme jugée comme étant la plus attractive était celle avec le poids de corps moyen et le RTH le plus bas Le choix du partenaire Bilan • Choix du partenaire chez les femmes : « Le pouvoir est l’aphrodisiaque ultime. » (Henry Kissinger) « Si les femmes n’existaient pas, tout l’argent du monde n’aurait aucune valeur. » (Aristote Onassis) • Choix du partenaire chez les hommes : « Pourquoi ne parlerais-je pas de votre beauté, puisque sans elle je n’aurais jamais pu vous aimer. » (John Keats à Fanny Brawne) 5. La génétique comportementale L’hérédité mendélienne • Gregor Mendel (1822-1884) est le précurseur de la génétique et de l’étude de l’hérédité • Après avoir réalisé plus de 10 000 croisements entre des petits pois, il a pu énoncer 3 lois concernant la transmission des caractères au cours de la reproduction sexuée • La première loi de Mendel est la loi de ségrégation : elle stipule que pour chaque caractère, un individu possède deux formes (allèles) et que lors de la fécondation, celui-ci ne transmet qu’une seule de ces formes (les gamètes sont haploïdes : n chromosomes) la loi de ségrégation correspond donc à la séparation des paires de chromosomes homologues lors de la méiose ‒ cas sans dominance ‒ cas avec dominance (un allèle dominant et un allèle récessif) L’hérédité mendélienne • Certains gènes d’un individu ont un effet sur son phénotypique : chacun de ces gènes a un effet génétique • On distingue deux types d’effets génétiques : effets génétiques additifs : gènes dont les effets des allèles sont additifs exemple : – un gène, deux allèles : V (violet) et B (blanc) – parent 1 : VV (violet) + parent 2 : BB (blanc) enfant : VB (rose) effets génétiques non-additifs : gènes dont les effets des allèles sont interactifs effet de dominance : l’effet d’un allèle dépend de l’effet de l’autre allèle sur le même locus exemple : – un gène, deux allèles : L (lisse) et r (ridé) – parent 1 : Lr (lisse) + parent 2 : rr (ridé) enfant : rr (ridé) L’hérédité mendélienne effet d’épistasie : l’effet d’un allèle dépend de l’effet d’autres allèles sur d’autres locus • Seuls les effets génétiques additifs sont transmis à la descendance les effets génétiques de dominance et d’épistasie se produisent dans les cellules diploïdes (deux allèles pour chaque gène) or un parent transmet des cellules haploïdes (gamètes), il ne transmet donc pas ses effets génétiques interactifs : ceux-ci sont spécifiques à chaque individu ce sont les effets génétiques additifs qui déterminent la ressemblance phénotypique entre les parents et les enfants L’héritabilité dans l’élevage sélectif • En fait, la notion d'héritabilité a été développée par les généticiens dans les années 1920 pour optimiser un pratique agronomique : l’élevage sélectif • L’objectif de l’élevage sélectif est d’augmenter la fréquence d’une certaine modalité d’un trait phénotypique au cours des générations en sélectionnant les individus qui se reproduisent tout trait phénotypique est la résultante d’effets des gènes et d’effets de l’environnement pour qu’il y ait un effet de sélection, il faut que le trait soit transmissible d’un parent à sa descendance, autrement dit, qu’il soit plus influencé par les gènes que par l’environnement l’héritabilité d’un caractère désigne sa transmissibilité d’un parent à sa descendance L’héritabilité dans l’élevage sélectif Exemple : – on veut augmenter la fréquence de poissons blancs – si les variations de la couleur sont principalement dues à des variations de l’environnement, faire se reproduire entre eux des poissons blancs n’augmentera pas la fréquence de ce phénotype L’héritabilité dans l’élevage sélectif • Le principe de l’élevage sélectif est le suivant : exemple : on veut faire augmenter la taille dans une population de drosophiles génération 1 : individus sélectionnés pour la reproduction 146 mm 162 mm taille – taille moyenne des individus = 146 mm – taille moyenne des individus sélectionnés = 162 mm – différentiel de sélection (S) : 162 – 146 = 16 mm L’héritabilité dans l’élevage sélectif • Le principe de l’élevage sélectif est le suivant : exemple : on veut faire augmenter la taille dans une population de drosophiles génération 2 : 146 mm 150.16 mm taille – taille moyenne des individus = 150.16 mm – réponse (ou gain) de sélection (R) = 150.16 – 146 = 4.16 mm L’héritabilité dans l’élevage sélectif • Dans le cadre de l’élevage sélectif, l’héritabilité (notée h²) est définie de la façon suivante : h2 = réponse de sélection R = différentiel de sélection S dans l’exemple : h2 = 4.16 = 0.26 16 • Dans la plupart des cas d’élevage sélectif, l’héritabilité du trait phénotypique est connue, dans ce cas, l’éleveur cherche à estimer le gain de sélection à partir du différentiel de sélection et de l’héritabilité il utilise l’équation de l’éleveur : R = S×h² L’héritabilité dans l’élevage sélectif • Pour comprendre ce qu’exprime l’héritabilité, il faut noter que le raisonnement de l’éleveur ne porte pas à l’échelle de l’individu mais à l’échelle de la population la question n’est pas : – quelles sont les influences respectives de l’environnement et du génotype sur la taille d’une drosophile ? mais : – dans une population de drosophiles, quelle part de la variance de la taille est transmise héréditairement (et donc prédictible) ? • L’héritabilité correspond donc à la part de la variance phénotypique qui correspond à de la variance génotypique (transmise héréditairement) L’héritabilité dans l’élevage sélectif • Définition formelle – provisoire – de l’héritabilité : h2 = Var(G) Var(G) = Var(P) Var(G)+Var(E) avec : Var(P) = variance phénotypique Var(G) = variance génotypique Var(E) = variance environnementale l’héritabilité est un rapport qui varie entre 0 et 1 (souvent exprimé en %) exemple : – h² = 0.26 : 26% de la variance de la taille dans la population de drosophiles correspond à de la variance génotypique L’héritabilité dans l’élevage sélectif • En fait, comme il existe trois types d’effets génétiques, la variance génétique est décomposable en trois parties : la variance génétique additive Var(A), la variance génétique de dominance Var(D) et la variance génétique épistasique Var(I) Var(G) = Var(A) + Var(D) + Var(I) • L’héritabilité telle qu’elle est définie dans le cadre de l’élevage sélectif ne prend en compte que la variance génétique additive : on parle d’héritabilité au sens strict (h²) Var(A) Var(A) h2 = = Var(P) Var(G)+Var(E) • Lorsqu’on prend en compte l’ensemble de la variance génétique, on parle d’héritabilité au sens large (H²) H2 = Var(G) Var(G) = Var(P) Var(G)+Var(E) L’héritabilité dans l’élevage sélectif Bilan • Dans l’interprétation de l’héritabilité d’un trait, l’erreur la plus fréquente consiste à croire que cette valeur caractérise le trait lui-même alors qu’elle caractérise une population exemple : « si un trait est héritable à 60%, cela signifie que l’expression de ce trait chez un individu est déterminée à 60% par les gènes et à 40% par l’environnement » • L’héritabilité d’un trait phénotypique donné : indique les influences respectives du facteur G et du facteur E sur les variations du trait au sein d’une population – la notion d’héritabilité s’applique au niveau de la population n’indique pas les influences respectives du facteur G et du facteur E sur une valeur particulière du trait – la notion d’héritabilité ne s’applique pas au niveau de l’individu L’héritabilité dans l’élevage sélectif Bilan • Exemple : 6 1 2 3 4 5 6 – trait phénotypique : surface des rectangles – facteur G : largeur – facteur E : longueur Quel facteur explique le plus la variation de la surface des rectangles ? la variation de la largeur explique 40% de la variation de la surface Quel facteur explique le plus la surface du rectangle n°4 ? la largeur explique 40% de la surface du rectangle n°4 L’héritabilité en psychologie • L’étude de l’héritabilité des caractéristiques psychologiques a donné lieu à de nombreuses recherches (qui elles-mêmes ont donné lieu à de nombreux débats et controverses) • En psychologie, il n’est évidemment pas possible d’estimer l’héritabilité par des programmes d’élevage sélectif… Les psychologues ont donc recours à d’autres méthodes : la méthode des familles la méthode des jumeaux la méthode des adoptions la régression parents-enfants L’héritabilité en psychologie • La méthode des familles consiste à comparer des corrélations entre différentes mesures d’un trait chez des individus d’une même famille cette méthode permet d’estimer l’effet génétique : exemple 1 : Facteur G modalité 1 modalité 2 Facteur E ——— ——— corrélation Frère Sœur Cousin Cousin 83 100 85 103 104 101 100 101 100 107 101 112 106 109 100 120 117 104 118 111 r = 0.44 r = 0.36 L’héritabilité en psychologie exemple 2 : corrélation de l’intelligence en fonction de la proximité génétique des apparentés Proximité génétique Corrélation Apparentés 3ème degré 12.5 % 0.15 Apparentés 2ème degré 25 % 0.30 Apparentés 1er degré 50 % 0.45 Jumeaux DZ 50 % 0.60 Jumeaux MZ 100 % 0.85 L’héritabilité en psychologie exemple 3 : risque de schizophrénie en fonction de la proximité génétique des apparentés Proximité génétique Risque Non-apparentés 0% 1% Apparentés 2ème degré 25 % 4% Apparentés 1er degré 50 % 9% Jumeaux DZ 50 % 17 % Jumeaux MZ 100 % 48 % L’héritabilité en psychologie • Limite de la méthode des familles : le principe est d’isoler l’effet du facteur G, donc le facteur E doit être contrôlé : hypothèse de l’équivalence des environnements or le facteur G et le facteur E sont souvent confondus : plus la proximité génétique est élevée, plus les individus ont tendance à partager le même environnement L’héritabilité en psychologie • La méthode des jumeaux consiste à comparer des corrélations entre différentes mesures d’un trait chez des jumeaux monozygotes (MZ) et des jumeaux dizygotes (DZ) cette méthode permet d’estimer l’effet génétique : Facteur G MZ DZ Facteur E élevés ensemble élevés ensemble corrélation Jumeau 1 Jumeau 2 Jumeau 1 Jumeau 2 89 94 84 89 91 94 101 103 96 91 92 108 99 104 108 108 103 107 125 107 rMZ = 0.80 rDZ = 0.64 L’héritabilité en psychologie • La méthode des jumeaux consiste à comparer des corrélations entre différentes mesures d’un trait chez des jumeaux monozygotes (MZ) et des jumeaux dizygotes (DZ) cette méthode permet d’estimer l’effet génétique : Facteur G MZ DZ Facteur E élevés séparément élevés séparément corrélation Jumeau 1 Jumeau 2 Jumeau 1 Jumeau 2 90 103 96 93 96 101 104 107 90 106 104 107 98 111 105 95 101 115 107 101 rMZ = 0.70 rDZ = 0.51 L’héritabilité en psychologie • Dans les études utilisant la méthode des jumeaux, l’héritabilité est estimée suivant la formule de Falconer : H² = 2×(rMZ – rDZ) il s’agit d’une estimation de l’héritabilité au sens large (H²) – des jumeaux MZ possèdent des génotypes identiques et donc des effets de dominance identiques plus la différence entre les deux corrélations est élevée, plus l’héritabilité est importante • Limite de la méthode des jumeaux : si les jumeaux (MZ et DZ) ont été élevés ensemble : hypothèse de l’équivalence des environnements – les jumeaux MZ ont tendance à avoir des environnements plus similaires que les jumeaux DZ représentativité des échantillons L’héritabilité en psychologie • La méthode des jumeaux a été largement utilisée : exemple 1 : concordance de pathologies chez des jumeaux MZ et DZ Pathologies somatiques Pathologies mentales Plomin et al. (1994) L’héritabilité en psychologie • La méthode des jumeaux a été largement utilisée : exemple 2 : corrélations de variables psychologiques Plomin et al. (1994) L’héritabilité en psychologie • La méthode des adoptions consiste à calculer la corrélation entre la mesure d’un trait chez des enfants adoptés et la mesure du trait chez leurs parents biologiques ou adoptifs cette méthode permet d’estimer l’effet génétique : corrélation Enfants adoptés Parents biologiques 99 94 92 100 102 94 102 100 104 107 r = 0.21 L’héritabilité en psychologie • La méthode des adoptions consiste à calculer la corrélation entre la mesure d’un trait chez des enfants adoptés et la mesure du trait chez leurs parents biologiques ou adoptifs cette méthode permet également d’estimer l’effet environnemental : corrélation Enfants adoptés Parents adoptifs 84 99 106 101 95 123 107 104 107 118 r = 0.16 L’héritabilité en psychologie • Résumé des méthodes des familles, jumeaux et adoptions pour le QI corrélation entre : L’héritabilité en psychologie • La méthode de la régression parents-enfants consiste à calculer la régression de la mesure d’un trait chez des enfants (critère) sur la mesure de ce trait chez leurs parents (prédicteur) l’héritabilité correspond au coefficient de régression cette méthode permet d’estimer l’héritabilité au sens strict (h²) – les parents ne transmettent que les effets génétiques additifs à leurs enfants L’héritabilité en psychologie Taille de l’enfant moyen Taille de l’enfant moyen • Francis Galton (1822-1911) est le premier à avoir utilisé cette méthode critère : taille des enfants, prédicteur : taille des parents Taille du parent moyen Taille du parent moyen même lorsque l’héritabilité est élevée (h² = 0.8), la taille des parents n’est pas un prédicteur parfait de la taille des enfants (r = 0.63) – ceci est dû à la ségrégation des allèles parentaux La recherche des gènes • L’étude de l’héritabilité d’un caractère n’est qu’une étape dans le processus de recherche en génétique comportementale : si un caractère a une héritabilité forte, l’étape suivante consiste à identifier les gènes impliqués et décrire leur effet sur le caractère exemple : – une pathologie révèle une héritabilité forte – en ciblant des individus et des familles atteints par cette pathologie et en comparant avec un groupe témoin de la population générale, on cherche à circonscrire un ensemble de gènes impliqués dans l’émergence de la pathologie • En 1951, Ronald Fisher, mathématicien et généticien des populations, soulignait le fait que les estimations d'héritabilité détournent de la recherche des mécanismes génétiques et de la recherche des gènes depuis les années 2000, ces recherches sont réalisables grâce aux progrès de la biologie moléculaire et de la génétique Illustration : la dyslexie développementale La recherche des gènes Définition • La dyslexie développementale est un trouble d’apprentissage spécifique de la lecture et de l’orthographe ce trouble n’est pas explicable par : – des troubles sensoriels (surdité, vision) – un déficit intellectuel – un trouble psychiatrique (ex : hyperactivité, troubles des conduites) – une lésion neurologique – des désavantages sociaux ou pédagogiques il concerne entre 3% et 5% des enfants d’âge scolaire La recherche des gènes Au plan cognitif • L’hypothèse générale est que le trouble comportemental des enfants dyslexiques (difficulté dans l’apprentissage de la lecture) est lié à : la conscience phonologique – représentation mentale des sons de la parole la mémoire verbale à court-terme – stocker des informations verbales en mémoire de travail – récupérer ces informations en mémoire • Les études longitudinales montrent que ces difficultés se manifestent avant même l’apprentissage de la lecture La recherche des gènes Au plan cérébral fonctionnel (IRM fonctionnelle) • Dans le cerveau des individus dyslexiques, les aires cérébrales impliquées dans la lecture présentent une activité réduite lors de l’activité de lecture : Individus témoins Réseau cérébral de la lecture Individus dyslexiques Paulesu et al. (2001) • Il s’agit de corrélats neuro-fonctionnels des troubles dyslexiques, pas nécessairement de causes La recherche des gènes Au plan cérébral anatomique (IRM anatomique) • Les cerveaux des individus dyslexiques ne présentent pas d’anomalies majeures (accident cérébro-vasculaire, tumeur cérébrale, malformation développementale, …) • A un niveau plus fin, on peut détecter des différences structurelles entre les cerveaux dyslexiques et les cerveaux témoins : volume de matière grise réduit chez les dyslexiques dans les régions frontale et temporo-pariétale volume de matière blanche réduit dans les zones temporo-pariétales • Il s’agit de corrélats neuro-anatomiques des troubles dyslexiques, pas nécessairement de causes (plasticité cérébrale) Eckert (2004) La recherche des gènes Au plan cérébral anatomique (études post-mortem) • Les études post-mortem de cerveaux dyslexiques ont révélé la présence d’ectopies à la surface du cortex une ectopie désigne un amas de cellules gliales (en bleu) et de neurones (en orange), qui, au cours du développement embryonnaire, n’ont pas migré correctement : elles ont dépassé la couche corticale où elles auraient dû s’arrêter une ectopie mesure 1/10 de mm les ectopies apparaissent vers 16-24 semaines de gestation (migration neuronale) d’après Ramus (2005) La recherche des gènes Au plan cérébral anatomique (études post-mortem) • Les études post-mortem de cerveaux dyslexiques ont révélé la présence d’ectopies à la surface du cortex les ectopies sont principalement présentes dans l’hémisphère gauche où elles sont concentrées autour de la scissure de Sylvius (régions frontales et pariétotemporale) d’après Ramus (2005) La recherche des gènes Au plan cérébral anatomique (études post-mortem) • Un trouble de la migration neuronale est également un corrélat cérébral de la dyslexie mais il peut prétendre au statut de cause car il est daté (16ème – 24ème semaines de gestation) il ne peut pas être une conséquence du trouble comportemental • Ces observations ont été réalisées dans les années 1980 (Galaburda, 1985) mais elles n’ont pas connues beaucoup de succès… peu de réplications en raison de la difficulté à réaliser des études postmortem • … jusqu’aux premiers travaux en génétique La recherche des gènes Au plan génétique • Le Projet Génome Humain avait été entrepris en 1990 avec comme objectif le séquençage complet de l'ADN du génome humain les premiers résultats (séquences « brutes ») ont été publiés en 2001 mais ce projet a été officiellement achevé le 14 avril 2003 il a abouti à l’identification d’environ 22 000 gènes • Le séquençage du génome humain a ouvert la voie à de nombreux types d’études différentes certaines de ces études appliquent une même démarche : – on prélève l’ADN d’individus d’un échantillon représentatif d’une population-cible (présentant une certaine caractéristique) et l’ADN d’individus d’une population-témoin – on compare les deux ADN pour identifier d’éventuelles différences et par là-même, les bases génétiques de la caractéristique en question La recherche des gènes Au plan génétique • Appliquée à la dyslexie, cette démarche a mis en évidence des régions chromosomiques impliquées dans la dyslexie ces régions portent des allèles liés génétiquement (linkage) : ils sont situés sur des chromosomes différents mais sont transmis ensemble à la descendance La recherche des gènes Au plan génétique DYX8 DYX3 DYX2 DYX5 DYX6 DYX1 Grigorenko (2003) La recherche des gènes Au plan génétique • Le premier gène identifié comme étant associé à la dyslexie est le gène DYX1C1 ce gène a été mis en évidence par l’étude de deux familles finlandaises qui comportaient chacune plusieurs individus dyslexiques Nopola-Hemmi et al. (2000) La recherche des gènes Au plan génétique • L’examen des chromosomes des membres dyslexiques a révélé une anomalie chromosomique : une translocation entre le chromosome 2 et le chromosome 15 (identifié par les études antérieures comme portant une région impliquée dans la dyslexie) chromosome 15 chromosome 2 La recherche des gènes Au plan génétique • Nopola-Hemmi et al. (2000) ont examiné la portion du chromosome15 impliquée dans la translocation : ils y ont trouvé un gène déjà séquencé (par le Projet Génome Humain) et un gène non séquencé ils ont séquencé eux-mêmes ce gène et l’ont appelé DYX1C1 ils ont étudié les propriétés de ce gène : – sa forme humaine est similaire à 78% avec sa forme chez la souris et à 99% avec sa forme chez le singe – la protéine codée par DYX1C1 est présente dans le cerveau, les poumons, les reins, les testicules, … La recherche des gènes Au plan génétique • Par la suite, Wang et al. (2006) ont mis en évidence le rôle précis de DYX1C1 dans l’émergence de la dyslexie ils ont utilisé chez le rat la technique de l’ARN interférant qui consiste à perturber l’expression d’un gène à un endroit précis (cerveau) à un moment précis (période de la migration neuronale lors de la vie fœtale) leurs résultats montrent que : perturbation + marquage marquage – les neurones dans lesquels l’expression de DYX1C1 est perturbée migrent beaucoup plus lentement – la perturbation de l’expression du gène dans certains neurones provoque l’apparition d’ectopies 4 jours après le marquage La recherche des gènes Au plan génétique • La découverte du gène DYX1C1 permet de construire une explication relativement complète de la dyslexie : chez les individus dyslexiques, l’expression de ce gène est perturbée lors de la migration neuronale cette perturbation donne lieu à l’apparition d’ectopies au niveau des régions cérébrales impliquées dans la lecture la présence de ces ectopies réduit l’activité de ces régions • Mais il manque encore un maillon dans la chaîne : pourquoi l’expression de DYX1C1 peut-elle être perturbée chez un individu? dans l’étude de Nopola-Hemmi et al. (2000) sur les deux familles finlandaises, la cause était une mutation génétique (translocation), mais ce phénomène est trop rare pour expliquer tous les cas de dyslexie (entre 3% et 5% de la population) La recherche des gènes Au plan génétique • En fait, le gène DYX1C1 possède différents allèles : deux de ces allèles sont plus fréquents chez les dyslexiques que chez les témoins ces deux allèles augmentent la probabilité d’apparition de la dyslexie ces deux allèles ne sont ni nécessaires ni suffisants pour la dyslexie La recherche des gènes Bilan • La dyslexie a une héritabilité d’environ 60% : elle est influencée par des facteurs génétiques • L’étude des bases génétiques de la dyslexie développementale montre que pour ce trouble, le facteur génétique peut intervenir : de façon déterministe par l’intermédiaire de mutations génétiques – dans ce cas, il est quasiment certain que l’individu porteur d’une mutation affectant le gène exprime le trouble de façon probabiliste par l’intermédiaire des allèles – dans ce cas, certains allèles sont favorables à l’apparition du trouble mais aucun n’est déterminant et chacun a un petit effet – c’est l’addition de certaines combinaisons d’allèles défavorables et de certaines conditions environnementales défavorables qui provoque l’apparition du trouble La recherche des gènes Bilan • Il est donc inapproprié de parler de « gène de la dyslexie » : dans sa forme la plus grossière, cette expression suggère qu’il existe un gène spécifique au trouble – or le gène DYX1C1 participe à la construction de plusieurs organes dont le cerveau, et notamment de certaines zones cérébrales impliquées dans le langage oral, et recrutées ultérieurement pour l'acquisition du langage écrit dans sa forme la moins grossière, cette expression suggère qu’il existe au moins un allèle du gène qui détermine l’apparition du trouble – or aucun allèle de DYX1C1 n’a d’effet déterministe sur l’apparition de la dyslexie La recherche des gènes Bilan • La nature probabiliste plutôt que déterministe de l’influence des gènes sur les traits phénotypiques fait que : la grande majorité des traits phénotypiques n’impliquent pas un seul gène isolé mais au contraire un ensemble de gènes « La plupart des craintes dystopiques soulevées par la génomique personnelle ignorent tout simplement la nature complexe et probabiliste des gènes. Oubliez les "hyper-parents" qui veulent implanter les gènes des mathématiques chez leurs futurs enfants, les sociétés "Gattaca" qui analysent l'ADN des gens pour les affecter à des castes, les employeurs ou les courtisans qui piratent votre génome pour savoir quel type de travailleur ou de conjoint vous seriez. Laissez-les essayer, ils perdraient leur temps. » Pinker (2009). My Genome, My Self. The New York Times La recherche des gènes Bilan il est difficile de quantifier l’influence des gènes impliqués dans un trait donné exemples : – une étude de 2007 portant sur 16 000 sujets a montré que les variations d’un ensemble de 12 gènes (ciblés) ne rendent compte que de 2% des variations de la taille – dans une étude récente portant sur 6000 enfants, le gène ayant l’influence la plus importante sur le QI rend compte de moins d’un quart d’un point de QI L’interaction gène-environnement • La problématique générale de la génétique comportementale consiste à déterminer comment les gènes et l’environnement déterminent le phénotype dans certains cas, l’effet des gènes sur un trait phénotypique donné est indépendant de l’environnement – exemple : le gène codant pour le nombre de doigts de la main mais le plus souvent, l’effet des gènes sur un trait phénotype donné varie en fonction de l’environnement – dans ce cas, un phénotype particulier résulte de la combinaison d’un génotype particulier et d’un environnement particulier – il s’agit de l’interaction gène-environnement (G×E) L’interaction gène-environnement • L’interaction G×E ne doit pas être confondue avec la corrélation G-E qui correspond au phénomène par lequel le type d’environnement dans lequel évoluent les individus et leurs génotypes covarient • On distingue trois formes de corrélations G-E : la corrélation G-E active : des parents avec un QI verbal élevé auront tendance à avoir beaucoup de livres à la maison – cette co-occurrence résulte du fait que les parents créent un certain environnement en lien avec leur génotype la corrélation G-E passive : des enfants avec un QI verbal élevé auront tendance à avoir beaucoup de livres à la maison – cette co-occurrence est fortuite la corrélation G-E réactive : des individus déprimés auront tendance à connaître des conflits conjugaux – cette co-occurrence résulte du fait que l’environnement se produit en réaction à un génotype L’interaction gène-environnement • En biologie, l’interaction G×E est souvent désignée sous le nom de plasticité phénotypique : le fait qu'un organisme puisse exprimer différents phénotypes à partir d’un génotype donné en fonction des conditions environnementales • La notion de norme de réaction d’un génotype désigne la gamme des différents phénotypes qui lui sont associés en fonction des conditions environnementales (la façon dont un génotype réagit à l’environnement) exemple : expérience de Clausen et al. (1948) – sept plantes (Achillée millefeuille) génétiquement différentes ont été sélectionnées et trois boutures de chaque plante ont été faites – pour chaque plante, l’une des trois boutures était plantée en basse altitude (30m), une autre en moyenne altitude (1400m), et la troisième bouture en haute altitude (3000m) – le trait phénotypique mesuré était la hauteur (cm) de la plante L’interaction gène-environnement résultats : Normes de réaction des 7 génotypes Les 7 plantes génétiquement différentes L’interaction gène-environnement • Etablir les normes de réaction de génotypes est méthodologiquement difficile car cela nécessite : de nombreux individus aux génotypes identiques (clonage) le contrôle des conditions environnementales • Remplir ces deux conditions est difficile mais réalisable en biologie mais impossible en psychologie on dispose d’individus ayant des génotypes identiques (jumeaux MZ) mais il est difficile de caractériser leurs environnements respectifs… – les environnements respectifs de 2 jumeaux comportent une part commune (exemple : TV à la maison) et une part unique (exemple : les amis) qui représente la part la plus importante – si on observe une différence entre 2 jumeaux MZ, on ne peut pas isoler le facteur causal environnemental précis … et encore moins possible de contrôler ces environnements (éthique) L’interaction gène-environnement • A défaut de pouvoir étudier comment un génotype varie en fonction des conditions environnementales, les psychologues étudient comment l’effet d’un gène varie suivant l’environnement Exemple 1: le trouble des conduites L’interaction gène-environnement Définition • L’étude des déterminants génétiques et environnementaux du trouble des conduites est très polémique (davantage pour des raisons extrascientifiques que pour des raisons scientifiques) exemple : – en 2005, l’INSERM publie un rapport d’expertise collective sur l’état des connaissances scientifiques sur le trouble des conduites (Trouble des conduites chez l'enfant et l'adolescent) – sur la base de ce rapport, le ministre de l’intérieur de l’époque (N.Sarkozy) suggère un ensemble de mesures destinées à détecter de façon précoce la présence de ce trouble chez les enfants – cette suggestion déclenche une large polémique et notamment la création d’une pétition en sa défaveur (200 000 signatures) L’interaction gène-environnement Définition • Le DSM-IV fournit une liste de critères diagnostics du trouble des conduites : Ensemble de conduites, répétitives et persistantes, dans lequel sont bafoués les droits fondamentaux d'autrui ou les normes et règles sociales correspondant à l'âge du sujet, comme en témoigne la présence de trois des critères suivants (ou plus) au cours des 12 derniers mois, et d'au moins un de ces critères au cours des derniers mois : (exemples) – (1) brutalise, menace ou intimide souvent d'autres personnes – (2) commence souvent les bagarres – (13) reste dehors tard la nuit en dépit des interdictions de ses parents, et cela a commencé avant l'âge de 13 ans L’interaction gène-environnement Définition • Ce genre de définition a le mérite d’être très opérationnelle, mais elle pose plusieurs problèmes, notamment : elle permet guère de distinguer entre les individus qui manifestent des comportements déviants pour des raisons psychologiques (les individus pathologiques) et ceux manifestent des comportements déviants pour des raisons sociales (délinquants récidivistes) – risque de pathologiser des comportements elle est totalement descriptive : aucune référence aux causes sousjacentes L’interaction gène-environnement Les facteurs environnementaux • De nombreuses études psychologiques et sociologiques ont avéré l’influence de facteurs environnementaux sur le trouble des conduites : maltraitance infantile – les enfants maltraités ont une probabilité plus élevée de devenir des parents maltraitants que des enfants non-maltraités socialisation anormale (exemple : marginalisation) culture de groupe favorisant la violence facteurs motivationnels (exemple : pauvreté) • L’existence d’une influence environnementale sur le trouble n’exclut pas l’existence d’une influence biologique L’interaction gène-environnement Les facteurs génétiques • Les études génétiques sur le trouble de la conduite ont isolé un gène en particulier : le gène MAOA ce gène code pour une enzyme (la monoamine oxydase-A) qui dégrade des neurotransmetteurs : la sérotonine, la noradrénaline et la dopamine, notamment pendant le développement du cerveau il est porté par le chromosome X • Des études sur la souris ont mis en évidence les effets de MAOA des souris chez qui on a empêché l’expression du gène présentent : – des taux plus élevés des trois neurotransmetteurs – des apprentissages émotionnels (amygdale) plus performants – les mâles sont plus agressifs (leur agressivité diminue si on compense leur niveau de MAOA) L’interaction gène-environnement Les facteurs génétiques • D’autres études équivalentes ont été réalisées chez l’homme exemple : cas d’une famille néerlandaise dont une proportion élevée de membres présentent un trouble des conduites (Brunner et al., 1993) – seuls les hommes sont atteints (la moitié environ) : ceci s’explique par le fait que le gène MAOA est situé sur le chromosome X (les hommes n’ont qu’un seul chromosome X donc si le gène est altéré, le trouble s’exprime automatiquement) – chez les hommes atteints par le trouble, le gène MAOA a subi une mutation L’interaction gène-environnement Les facteurs génétiques • Les études ultérieures ont révélé l’existence de deux allèles particuliers du gène MAOA : l’un (allèle H) code pour une forte expression de la protéine en question, l’autre (allèle L) code pour une faible expression de la protéine • Par la suite, des études ont croisé la fréquence de ces deux allèles avec la fréquence du trouble des conduites on s’attend à ce que l’allèle L soit associé à une probabilité plus élevée de présenter le trouble des conduites que l’allèle H mais les résultats de ces études sont contradictoires : ceci suggère que porter l’allèle L n’est pas suffisant pour l’apparition du trouble L’interaction gène-environnement Les facteurs génétiques • Certains chercheurs (Caspi et al., 2002) ont alors envisagé un cas de figure d’interaction G×E le trouble des conduites est fort lorsqu’un allèle particulier du gène MAOA (allèle L) est associé à des conditions environnementales particulières (maltraitance infantile) on note en particulier que, de la même façon qu’il n’y a pas de déterminisme génétique des conduites complexes, il n’y a pas non plus de déterminisme environnemental ces résultats ont été répliqués dans 3 nouvelles études sur 4 L’interaction gène-environnement Les facteurs génétiques • Certains chercheurs (Caspi et al., 2002) ont alors envisagé un cas de figure d’interaction G×E le trouble des conduites est fort lorsqu’un allèle particulier du gène MAOA (allèle L) est associé à des conditions environnementales particulières (maltraitance) on note en particulier que, de la même façon qu’il n’y a pas de déterminisme génétique des conduites complexes, il n’y a pas non plus de déterminisme environnemental ces résultats ont été répliqués dans 3 nouvelles études sur 4 L’interaction gène-environnement Les facteurs génétiques • Certains chercheurs (Caspi et al., 2002) ont alors envisagé un cas de figure d’interaction G×E allèle H : base génétique de la le trouble des conduites est fort résilience? lorsqu’un allèle particulier du gène MAOA (allèle L) est associé à des conditions environnementales particulières (maltraitance) on note en particulier que, de la même façon qu’il n’y a pas de déterminisme génétique des conduites complexes, il n’y a pas non plus de déterminisme environnemental ces résultats ont été répliqués dans 3 nouvelles études sur 4 L’interaction gène-environnement Les mécanismes • Des études récentes suggèrent que le mécanisme par lequel l’allèle L influence le trouble des conduites est le traitement émotionnel (Meyer-Lindenberg et al., 2006) étude IRM dans laquelle on montre des visages émotionnels aux sujets et on enregistre – entre autres – l’activité de l’amygdale (noyau impliqué dans le traitement de la valence, des émotions, le conditionnement de la peur) résultats : les sujets porteurs de l’allèle L présentent une hyper-réactivité de l’amygdale aux stimuli émotionnels – peur/perception excessive des menaces L’interaction gène-environnement Les mécanismes Meyer-Lindenberg et al. (2006) montrent également que les régions cérébrales impliquées dans l’inhibition cognitive sont moins activées chez les sujets porteurs de l’allèle L que chez les sujets porteurs de l’allèle H (lors de la réalisation d’une tâche précise) • Au final : les porteurs de l’allèle L sont particulièrement sensibles aux émotions et ils manquent de contrôle psychologique L’interaction gène-environnement Bilan • Le gène MAOA n’est pas le « gène du trouble des conduites » : il n’est pas suffisant pour l’apparition du trouble, il prédispose au trouble – cette potentialité biologique peut ne pas se réaliser chez beaucoup d’individus – ou se réaliser différemment selon la situation (ex : criminalité « en col blanc ») Exemple 2: la dépression L’interaction gène-environnement • Le nombre d’événements stressants (santé, emploi, logement, finances, relations, etc.) qu’un individu a vécu est un facteur environnemental dont l’influence sur le risque de dépression est bien connue • Caspi et al. (2003) ont rapporté une interaction entre ce facteur et un gène particulier : le gène 5-HTT ce gène code pour la synthèse de la sérotonine qui est à la fois une hormone et un neurotransmetteur dans le système nerveux central la partie régulatrice de l’expression de ce gène comporte deux variations – un allèle long (l) – un allèle court (s) qui induit une synthèse plus faible de sérotonine • Leur étude comportait : 147 individus homozygotes s/s (17.4%) 265 individus homozygotes l/l (31.3%) 435 individus hétérozygotes s/l (51.3%) L’interaction gène-environnement • Résultats : symptômes dépressifs (auto-rapportés) intention/tentative suicide épisode dépressif majeur • Dans les 4 cas : l’effet du nombre d’événements de vie stressants est significatif l’effet du gène 5-HTT n’est pas significatif l’interaction entre les deux facteurs est significative symptômes dépressifs (hétéro-rapportés) L’effet du nombre d’événements de vie stressants est plus fort chez les individus homozygotes s/s (qui sécrètent moins de sérotonine) L’interaction gène-environnement • Mais en 2009, Risch et al. rapportent sur la base d’une méta-analyse de 14 études : la présence d’un effet principal statistiquement significatif du nombre d’événements de vie stressants sur le risque de dépression l’absence d’un effet principal statistiquement significatif du gène 5-HTT sur le risque de dépression l’absence d’une interaction statistiquement significative entre les deux facteurs sur le risque de dépression • Sciencemag.org (16 juin 2009) : « Sad News for “Depression Gene”… » Exemple 3: les troubles psychotiques L’interaction gène-environnement • Plusieurs études (exemple : Arseneault et al., 2004) ont montré que l’usage de cannabis est un facteur environnemental qui augmente le risque d’émergence de troubles psychotiques (des hallucinations à la schizophrénie) • Caspi et al. (2005) et Henquet et al. (2006) ont rapporté une interaction entre ce facteur et le gène COMT ce gène code pour la synthèse de la catéchol-O-méthyltransférase qui est une enzyme qui intervient dans la dégradation des catécholamines (à la fois hormone et neurotransmetteur) ce gène possède notamment deux allèles : – un allèle qui code pour la synthèse de la valine (VAL) : cet acide aminé induit une activité enzymatique importante et une dégradation rapide de la dopamine – un allèle qui code pour la synthèse de la méthionine (MET) L’interaction gène-environnement • Résultats : Etude longitudinale (Caspi et al., 2005) Etude expérimentale (Henquet et al., 2006) Exemple 4: l’intelligence L’interaction gène-environnement • Plusieurs études ont révélé l’influence d’un facteur environnemental sur le QI : l’allaitement du nourrisson exemple : Kramer et al. (2008) rapportent que les enfants exclusivement allaités pendant au moins les 3 premiers de mois de vie ont des scores de QI significativement supérieurs à ceux d’enfants non exclusivement allaités : L’interaction gène-environnement • Caspi et al. (2007) ont fait l’hypothèse que cet effet est dû à la présence d’acides gras essentiels dans le lait maternel • Ils ont étudié l’effet de l’allaitement sur le QI en fonction des variantes d’un gène particulier impliqué dans le métabolisme des acides gras : le gène FADS2 ce gène code pour la synthèse d’une enzyme (delta-6-désaturase) qui transforme les acides gras essentiels afin que ceux-ci soient utilisables par l’organisme L’interaction gène-environnement • Concernant le facteur génétique, Caspi et al. (2007) n’ont pas considéré des variations au niveau de la séquence complète des nucléotides du gène (allèles) mais des variations au niveau d’une seule paire de nucléotides : polymorphisme d'un seul nucléotide (SNP : single-nucleotide polymorphism) ils ont pris en compte deux SNP : – le SNP rs174575 qui peut donner lieu aux génotypes CC, CG, et GG – le SNP rs1535 qui peut donner lieu aux génotypes AA, AG, et GG Source : Wikipédia L’interaction gène-environnement • Résultats : interaction entre l’allaitement et le SNP rs174575 • Dans les deux cohortes: l’effet de l’allaitement est significatif l’effet du SNP n’est n’est pas significatif l’interaction entre les deux facteurs est significative • Pour le SNP rs1535, l’interaction est présente dans la cohorte néozélandaise mais pas dans la cohorte britannique L’interaction gène-environnement • Cependant, plusieurs études ultérieures ont rapporté des résultats différents voire contradictoires : Steer et al. (2010) rapportent aussi que l’allaitement interagit avec le SNP rs174575 mais également avec le SNP rs1535 et ils trouvent dans les deux cas un effet de l’allaitement pour le génotype homozygote : Bilan L’héritabilité • En 2000, Turkheimer a résumé les principaux résultats des recherches menées sur l’héritabilité des traits psychologiques en formulant ce qu’il a appelé « les trois lois de la génétique comportementale » : 1. Tous les traits psychologiques sont héritables 2. L’effet d’être élevé dans la même famille est plus petit que l’effet des gènes 3. Une part substantielle de la variation des traits psychologiques complexes ne s’explique pas par l’effet des gènes ou l’effet de l’environnement (partagé) “The nature-nurture debate is over. The bottom line is that everything is heritable…” Bilan Le déterminisme génétique • Si le déterminisme d’un trait psychologique inclut le facteur génétique, les non-spécialistes ont tendance à penser que « si c’est génétique, alors c’est foutu » (cf. Franck Ramus) • La présence d’interactions G×E dans la détermination des traits psychologiques prouve que ces traits ne sont jamais entièrement déterminés génétiquement : l’influence des facteurs environnementaux est substantielle (cf. dépression et intelligence) exemple : la dyslexie – lorsque l’influence génétique est modérée (allèles), un facteur environnemental tel que la rééducation cognitive peut aboutir à changer le statut diagnostique – lorsque l’influence génétique est forte (mutation), une rééducation ne changera pas le statut diagnostique mais elle peut quand même produire un effet significatif sur l’activité de lecture Bilan Le débat inné/acquis • Le débat inné/acquis se résume par une question : Quelles sont les influences respectives des gènes et de l’environnement sur le trait psychologique X ? ce débat porte sur une propriété du trait en question, son héritabilité n’est donc pas une réponse pertinente à la question cette question est légitime mais elle a plus de sens si l’on passe d’une logique quantitative (étude de différences)… – quantifier les influences respectives des facteurs G et E … à une logique qualitative (étude d’un fonctionnement) – décrire les mécanismes par lesquels une combinaison particulière des gènes et de l’environnement produit une valeur particulière du trait (interactions G×E) Bilan Le débat inné/acquis • Les études modernes suggèrent que tous les traits psychologiques complexes mettent en jeu des interactions G×E • Les positions « tout inné » ou « tout acquis » ne sont donc plus tenables pourtant, ces positions sont régulièrement défendues publiquement exemple : discussion entre Nicolas Sarkozy et Michel Onfray sur le déterminisme de la pédophilie (Philosophie Magazine, n°8, 2007) (M.Onfray soutient que la pédophilie est acquise alors que N.Sarkozy soutient que la pédophilie est innée) Bilan Le débat inné/acquis M. O. : (…) À mon sens, on ne naît ni bon ni mauvais. On le devient, car ce sont les circonstances qui fabriquent l'homme. N. S. : Mais que faites-vous de nos choix, de la liberté de chacun ? M. O. : Je ne leur donnerais pas une importance exagérée. Il y a beaucoup de choses que nous ne choisissons pas. Vous n'avez pas choisi votre sexualité parmi plusieurs formules, par exemple. Un pédophile non plus. Il n'a pas décidé un beau matin, parmi toutes les orientations sexuelles possibles, d'être attiré par les enfants. Pour autant, on ne naît pas homosexuel, ni hétérosexuel, ni pédophile. Je pense que nous sommes façonnés, non pas par nos gènes, mais par notre environnement, par les conditions familiales et socio-historiques dans lesquelles nous évoluons. N. S. : Je ne suis pas d'accord avec vous. J'inclinerais, pour ma part, à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n'est pas parce que leurs parents s'en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d'autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l'inné est immense. (…)