Levee de capitaux internationaux
Clarte et comparabilite des etats financiers
(Normes E.U.IIASC/uS GAAP)
Claude Pourbaix,
Charge de cours Universite Catholique de Louvain,
President de Deloitte & Touche, Reviseurs d'Entreprises
Introduction
La
transparence des comptes est un des prerequis pour
qu'une
entreprise puisse
acceder au marche mondial des capitaux.
Si cette constatation est une evidence, sa traduction dans la realite se heurte,
encore aujourd'hui, a bien des difficultes. L'harmonisation des principes comp-
tables est un long cheminement. Pour le comprendre,
j'
examinerai dans un pre-
mier temps les causes des divergences. Je mettrai ensuite en lumiere les principa-
les differences entre les normes internationales, les normes americaines et les
Directives europeennes en matiere comptable. Les obstacles subsistant dans la
course a la suprematie de
l'un
ou
l'
autre referentiel seront enfin evoques.
Premiere partie.
Principales causes des divergences entre referentiels comptables
1.
Quelques exemples de divergences extraits de rapports publiis par des
so-
ciites cotees en bourse
Quelques exemples de disparites flagrantes, entre les resultats et les fonds pro-
pres publies selon les normes locales europeennes et recalcules selon les normes
americaines, permettent d'illustrer les risques
d'une
mauvaise interpretation, sans
une analyse prealable des informations mises a la disposition du public par les
entreprises.
Le cas de Daimler-Benz, societe de droit allemand, qui a introduit ses titres a
la bourse de New York en octobre 1993, est reste celebre.
11
est probablement
I' exemple le plus sou vent cite dans la presse. Le benefice publie par la societe
pour I' exercice, et etabli selon les normes applicables en Allemagne,
s'
elevait
a 615 Mio DEM. Retraite selon les US GAAP le resultat se transforma en une
perte de 1.839 Mio
DEM
(I). Le total des fonds propres pour le meme exer-
cice passa de 18.145
Mio
DEM (normes allemandes) a 26.281 Mio
DEM
(US
GAAP). L' origine de ces differences provient, en majeure partie, du calcul
des provisions, de
l'
amortissement de
l'
ecart de consolidation, des engage-
(1) Voir commentaire dans B. RAFFOURNIER, A. HALLER et
P.
WALTON, Comptabi-
lire internationale, Paris, Librairie Vuibert, 1997, 440 a 446
417
LEVEE DE CAPITAUX INTERNATIONAUX
ments
de
retraite, de la comptabilisation des instruments financiers et de la
prise en consideration des impots differes.
Voici un deuxieme exemple. Comme toutes les societes etrangeres qui ont
emis des obligations sur le marche americain, Usinor do it mettre a la disposi-
tion des souscripteurs un document intitule 20
F,
vi se au prealable par la
Securities and Exchange Commission, dans lequel les comptes annuels sont
etablis selon les US GAAP. Une note de ce document montre en detail le
rapprochement entre les fonds propres et le resultat net calcules selon respec-
ti vement les normes
fran~aises
et les
US
GAAP.
Il apparai't que les fonds propres, estimes selon les normes americaines, sont
superieurs a ceux calcules selon les normes comptables
fran~aises
de 3,9 Mia
FRF en 1996 et de 3,6 Mia FRF en 1997.
Le resultat net, selon les normes americaines, est superieur de 837 Mio FRF
en 1995 et inferieur de 459 Mio FRF en 1996 et
de
65
Mio FRF en 1997.
Les principaux ecarts proviennent:
-d'un decalage dans la duree d'amortissement de l'ecart de consolidation,
estimee entre 5 et 20 ans dans les comptes etablis selon les normes
fran~aises.
Cette duree a ete portee systematiquement a 40 ans dans le calcul selon les
normes americaines. En outre, les ecarts d'acquisition des filiales etrangeres
ont ete convertis en normes
fran~aises
a leur taux historique, alors que
le
taux
de cloture a ete retenu dans le calcul selon les normes americaines;
-d'une methode de valorisation differente des actions non consolidees. Se-
Ion les normes appliquees en France,
c'
est la valeur la plus basse entre le prix
d'acquisition et la juste valeur qui est retenue. Selon les normes americaines,
la valorisation est basee sur le prix du marche avec indication des profits et
pertes non realises dans les fonds propres;
-de I' annulation, dans la rubrique des charges, des interets intercalaires re-
latifs a des immobilisations, par transfert dans les postes de I' actif correspon-
dant;
-de I' extourne des provisions a long terme pour restructuration et pour gros
entretiens, ainsi que de la reduction de valeur sur les actifs d'impots differes.
Voici un autre exemple, choisi en Belgique cette fois. En 1998, Petrofina de-
cida de faire coter ses titres a la Bourse de New York. Elle proceda des lors a
la conversion des comptes des exercices 94 a 96 selon les normes americai-
nes. Cet exercice entrai'na une augmentation des fonds propres consolides de
1,9 Mia de BEF. Ce montant est un solde entre des mouvements en sens oppo-
ses, correspondant entre autres a une augmentation de 9,5 Mia, provenant de
la reintroduction dans les capitaux propres des dividendes a payer sur le re-
sultat de I' exercice. Le bilan etant presente avant distribution, selon les nor-
mes americaines, alors qu'il est pub
lie apres repartition selon les normes euro-
peennes.
418
LEVEE DE CAPITAUX INTERNATIONAUX
Une provision de 4,3 Mia BEF pour impots differes sur des reserves immunisees,
la prise en charge des frais de restructuration pour 1,6 Mia BEF et d'assainisse-
ment pour
2,1
Mia BEF, furent entre autres portes en diminution des redresse-
ments enregistres.
Un exemple de droit comptable neerlandais. La societe, active dans la distri-
bution, Royal Ahold publie egalement en annexe a ses comptes annuels un
tableau de rapprochement entre
I'
application des normes neerlandaises et ame-
ncames.
Les ecarts sont tout a fait significatifs. Ainsi en 1998, le resultat selon les
normes americaines est de 29 % inferieur a celui
ca1cuIe
selon les normes
locales. L'ecart est encore plus important pour les fonds propres, ca1cules
selon les normes americaines, les fonds propres correspondent a 4,3 fois les
fonds propres publies aux Pays-Bas. Le principal redressement entre les deux
referentiels concerne le traitement des ecarts de consolidation: ils sont portes
au
debit des fonds propres dans le referentiel hollandais, alors qu'ils sont
actives et amortis en 40 ans dans le referentiel americain.
Bien d'autres exemples pourraient etre presentes pour illustrer les divergences,
parfois tres significatives, qui existent a propos des resultats et des fonds propres,
selon les referentiels utilises. La question de la credibilite des comptes est posee.
Comment peut-on utilement comparer les performances de deux entreprises? Tout
groupe qui souhaite lever des capitaux dans le marche international est-il con-
damne a publier une serie de comptes annuels selon des referentiels differents?
Comment
se
fait-il que des divergences subsistent entre les pays europeens en
matiere de droit comptable, alors meme qu'ils ont adopte la 4eme et la 7eme
directive? Le referentiel americain est-il plus pertinent que l'application des re-
gles internationales proposees par l'IAS? Une solution de compromis est-elle
envisageable a breve echeance?
2.
Explication sur l'origine des divergences entre referentiels
Tout a ete dit, ou presque, sur
I'
origine des disparites entre les referentiels comp-
tables (2). Ces derniers peuvent se rattacher a deux grands modeles: l'un anglo-
saxon,
I'
autre europeen et continental.
La comptabilite, outil de communication, participe a l'image
de
la societe. Tantot
influencee par quelques principes generaux, elle est dominee par les profession-
nels qui ont redige tout un corps de doctrine; tel est le cas dans les pays anglo-
(2) Voir entre autres une tres bonne synthese publiee dans l'ouvrage collectif Comptabilite
internationale, o.c., Chapitre 1 «Differences nationales et harmonisation comptable» 1
a 32.
Autre reference: M. GLAUM
et
U.
MANDLER Rechnungslegung
auf
globalen
Kapitalmiirkten, Wiesbaden, Gaber, 1996, voir tableau de la page 28.
419
LEVEE DE
eAPIT
AUX
INTERNATIONAUX
saxons. A contrario, et principalement dans les pays d'Europe continentale, no-
tamment en Allemagne et en France, elle reflete une legislation tres detaillee; on
parle ici de loi comptable, de plan comptable minimum normalise.
La deuxieme distinction de base est le mode de financement. Les entreprises
americaines se sont essentiellement developpees en ayant recours au marche des
capitaux ou autrement dit a la bourse. Les informations publiees sont destinees
aux investisseurs. La transparence est essentielle.
L'
objectif est de donner une
juste representation de la realite economique. Peu d'options sont possibles.
En Europe continentale et au Japon, en revanche, les entreprises, souvent a l'ori-
gine des groupes familiaux, se sont developpees grace a des credits bancaires et
des emprunts obligataires. La comptabilite, dominee par le critere de prudence,
a,
dans cette optique, pour objectif de me surer le benefice distribuable, tout en
creant des reserves latentes utiles le cas echeant pour lisser le resultat. Dans un
tel referentiel, les options sont nombreuses et les criteres d'evaluation souples.
Une troisieme source de disparite reside dans la culture politique du pays qui
transparait dans le comportement comptable. Elle varie du dirigisme, tendance
etatique, au liberalisme
Oll
predomine l'individualisme.
Le systeme fiscal enfin a marque de son empreinte chacun de ces deux modeles.
Chez les Anglo-Saxons, la comptabilite est largement independante de la fisca-
lite, alors qu'il existe une relation etroite entre comptabilite et fiscalite dans le
systeme continental.
L' origine du financement, la culture juridique, le regime politique et le systeme
fiscal sont donc les principales causes de la diversite des principes comptables
utilises selon les pays. Cette diversite perturbe les utilisateurs des comptes et
genere des difficultes pour toute societe internationale. Presenter des comptes
selon plusieurs referentiels est une solution onereuse et peu efficace. Des lors,
plusieurs organismes intemationaux tentent de reduire les differences constatees.
Cet
effort
d'harmonisation
est conduit principalement
par
l'International
Accounting Standard Committee. L'Union europeenne
s'est
egalement penchee
sur ce probleme.
Deuxieme partie.
Efforts
d'harmonisation
1.
Travaux de l'International Accounting Standard Committee (IASC)
L'evolution des travaux de l'IASC, depuis sa creation en 1973, se resume, de
maniere schematique, en un effort de resserrement des options mentionnees dans
les normes successives et d'elargissement des sujets traites. Il est vrai qu'au de-
part les normes ressemblaient plus a un recensement des pratiques suivies,
qu'a
un code des meilleurs traitements en matiere comptable.
420
LEVEE DE CAPITAUX INTERNATIONAUX
Ce long cheminement, qui a ete marque par des periodes d'intense activite et des
moments de decouragement, a debouche sur la presentation, fin 1998,
d'un
en-
semble de normes revisees a l'Intemational Organisation
of
Securities Commis-
sion (IOSCO). L'agrement par celle-ci de ce corps
de
doctrine serait une etape
dans la reconnaissance par les bourses du monde entier, y compris par le New
York Stock Exchange, des comptes des societes etablies selon ces regles. L'exa-
men des normes IASC est prevu par un comite specialise de l'IOSCO et puis par
son conseil dans les premiers mois de
l'an
2000.
Nous allons voir qu'il existe des divergences entre ces nouvelles normes, les
directives comptables europeennes et les US GAAP.
2.
Directives europeennes
L'harmonisation des pratiques comptables au sein
de
l'Union europeenne s'ap-
puie sur deux directives: la 4eme datee
du
25
juillet 1978 relative aux comptes
annuels et la 7eme du
13
juin 1983 traitant des comptes consolides.
La 4eme directive est clairement inspiree du droit comptable continental euro-
peen et plus precisement de
l'
Aktiengesetz germanique de 1965, alors que la
7eme directive est directement influencee par la pratique anglo-saxonne et plus
particulierement anglaise.
Dans chacun de ces textes, de nombreuses options sont laissees aux Etats mem-
bres. 76 options ont ainsi ete denombrees dans la 4eme directive (3) pour 62
articles.
Chaque Etat membre a retenu, ou non, les derogations prevues dans la 4eme
directive en adaptant sa propre legislation en la matiere selon son environnement
culturel.
Il
en est de me me pour la 7eme directive. Celle-ci contient
51
options
(4) selon une etude de la FEE.
Il
est incontestable que les deux directives europeennes ont favorablement in-
fluence la qualite des informations publiees par les societes. Cet important effort
ne fut toutefois pas suffisant pour que les societes, recherchant des capitaux dans
le marche americain, puissent echapper a
l'
obligation d' etablir un double jeu des
comptes, source de lourdeur et
de
confusion, comme le constate Karel
Van
Hulle,
chef
de
l'Unite des normes comptables aupres de la Commission europeenne (5).
(3)
Comptabilite internationale, o.c.,
l7.
(4) FEE, Seventh directive options and their implementation, Londres, Routledge,
9.
(5) KAREL VAN HULLE, «Les perspectives
de
l'harmonisation comptable, le point
de
vue europeen», Revue
de
droit comptable, septembre
97,39
aSS.
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