comportaient un repas sacré. On mangeait littéralement le dieu. On s'appropriait sa force et sa
jeunesse. On était préservé du malheur. On se divinisait, du moins on le croyait. Mais cette idée de
participer au dieu est totalement étrangère à la Bible. Pour elle, on ne peut pas manger Dieu.
L'homme ne peut pas devenir Dieu. L'homme est l'homme, Dieu est Dieu. Ils ne se mélangent pas.
Ils ne peuvent pas se mélanger. Ni la Cène ni l'Eucharistie ne sont des repas sacrés. On peut croire
en Dieu. On peut lui faire confiance. On ne peut pas le consommer. Alors, que veulent dire les mots
chair et sang dans la bouche de Jésus ? Nous aurons ici à franchir un obstacle, celui de notre propre
façon de comprendre. Il y a souvent un décalage entre le sens que nous donnons aux mots et le sens
que la Bible leur donne. On doit donc faire attention ; ces deux mots risquent de nous induire en
erreur, si nous ne les comprenons pas correctement, c’est-à-dire dans leur sens biblique.
Dans la Bible, « la chair », c'est d’abord « la créature de Dieu ». Ce n'est pas seulement l'aspect
physique d’une personne ; mais c'est aussi l'aspect mental, l'aspect affectif et l'aspect spirituel. La
chair, c'est toute la personne humaine, telle que Dieu la crée. Toute la personne et pas seulement
une partie. La personne dans sa situation de dépendance envers Dieu, dans sa fragilité comme dans
l'épanouissement de toutes ses facultés. Ainsi, quand le prophète Esaïe dit : « Toute chair est
comme l’herbe », on peut traduire « tout être vivant » pour désigner l’individu dans son entier.
D’autre part, « le sang », dans la Bible, est plus que le liquide rouge qui circule dans nos veines. Le
sang est porteur de vie, en quelque sorte, il est la vie. Quand on perd tout son sang, on perd la vie.
De plus, le Lévitique interdisait de manger du sang ; il fallait saigner entièrement l'animal avant de
le consommer, car la vie appartient à Dieu, son créateur, et on n'a pas le droit de se l'approprier.
C’est pourquoi aussi, si quelqu'un verse le sang d’un l'homme, s'il lui prend sa vie, il est coupable et
il mérite la mort.
Dans cette perspective biblique, on comprend peut-être mieux ce que Jésus dit. Manger la chair de
Jésus et boire son sang, c'est recevoir sa personne et sa vie. C'est s'accorder à sa personne et à sa vie.
Jésus parle de manger et de boire. Il ne s'agit naturellement pas de manger et de boire
physiquement. L'Evangile de Jean réagit certainement là contre l'idée païenne de manger le dieu et
de devenir le dieu, d'être divinisé. Jésus ne se place pas sur le plan matériel de l'acte de manger. Il se
place sur le plan de la relation avec Dieu. Cette relation a des effets dans le domaine matériel, mais
elle se situe d'abord sur le plan spirituel : elle concerne cet aspect de nous-mêmes qui nous rattache
à Dieu, si nous lui faisons confiance, ou qui nous sépare de lui, si nous ne voulons pas croire en lui.
Enfin, quand Jésus parle de sa chair et de son sang, l'Evangile de Jean comprend qu'il parle de « la
Cène » telle qu'elle était pratiquée au premier siècle. Jean voit les paroles de Jésus comme s'il
parlait de la Cène (je rappelle, que cet Evangile est le seul qui n’a pas de récit « d’Institution de la
Cène »). Dans cette perspective, « le pain du repas du Seigneur » signifie que nous sommes en
accord avec la personne de Jésus, que nous lui sommes accordés. « Le vin de ce repas »
signifie que nous sommes en accord avec la vie de Jésus, avec sa façon de vivre. Nous adhérons à la
volonté de Dieu comme il y adhère lui-même. Nous pouvons avoir une vie semblable à la sienne,
même si elle ne lui est pas strictement identique. Cette communion, cette unité, nous est exprimée
par le pain et le vin. On ne doit pas comprendre la Cène ou l'eucharistie sur le plan mystique d'une
union avec la divinité, mais sur le plan pratique de l'adhésion profonde à la Bonne Nouvelle
annoncée par Jésus et qu'il a vécu le premier avant nous…
Mais tout cela n’est pas si simple pour ceux qui entendent Jésus. Autrefois les fils d'Israël, en
découvrant la manne au désert, s'étaient demandé l'un à l'autre : « Qu'est-ce que cela ? » (cf. Ex 16,
15). Et aujourd’hui, c’est la même incrédulité que montre leurs descendants. Ils se disputent entre
eux au sujet de l'étrange nourriture dont Jésus leur a parlé : « sa chair et son sang », c'est-à-dire sa
mort. Qu’il faille s’approprier sa mort (en figure « manger sa chair et boire son sang ») pour avoir la
vie éternelle, les hommes ne peuvent encore comprendre cela. Alors, au lieu d'interroger le
Seigneur, plusieurs de ceux qui avaient professé être de ses disciples s'en vont, choqués par ses
paroles. Jésus ne cherchera pas à les retenir en « adoucissant » la vérité. Mais il sonde le cœur de