.3. Jeudi 1er décembre : Jésus, Celui qui guérit, celui qui nourrit. - Textes : Jean 5 & 6. 1. Jean 5, 1-16 : « Jésus et la guérison d’un paralytique ». Ce réservoir de « Béthesda » (« maison de miséricorde ») représentait une image de l'Ancienne Alliance. Il fallait de la force à ces infirmes pour se jeter dans l'eau bienfaisante et, pour avoir cette force, il aurait fallu… être déjà guéri ! La Loi pareillement ne peut faire vivre que celui qui l'accomplit et personne n'en est capable. A moins d'avoir justement d'abord reçu la vie divine. On peut se demander pourquoi, parmi cette multitude d'infirmes, d'aveugles, de boiteux… Jésus paraît ne s'être occupé que de ce paralytique. Parce que, pour être au bénéfice de sa grâce, deux conditions sont nécessaires : il faut en éprouver et le désir et le besoin. Sentiments que font ressortir la question du Seigneur : « Veux-tu être guéri ? » (v. 6b) ; et la réponse de ce malheureux : «Je n'ai personne pour me jeter dans la piscine… » (v. 7). Toujours devancé par d’autres malades dans le réservoir, toute sa vie misérable n'avait été que déception sur déception. Sans doute avait-il jadis compté sur les siens ou sur des amis secourables, mais ceux-ci s'étaient depuis longtemps découragés. Et il ne lui avait pas fallu moins de trente-huit ans pour perdre ses dernières illusions. A présent, il n'a plus personne : il peut avoir Jésus. « Veux-tu être guéri ? Alors… lève-toi, prends ton lit, et marche ! » (cf. Jn 5, 6b.8) Ces paroles du Christ au paralytique comme à nous tous, disent, à tous ceux rendus « infirmes » par les épreuves de la vie, incapable à faire ceci ou cela : levez-nous, laissez là vos infirmités, portez votre fardeau et allez vers la source qui guérit de toutes les détresses ! Mais, que cela soit, comme à Béthesda, en se plongeant dans une piscine agitée par des messagers de Dieu ou, plus sûrement, en rencontrant Jésus-Christ au cœur de notre détresse : il ne pourra y avoir de réelle « guérison » sans notre volonté d’être guéri, de dépasser toute fatalité ou culpabilité paralysante, toute résignation. 2. Jean 5, 17-30 : « Jésus et le Père ». Ayant guéri le paralytique le jour du Sabbat, Jésus se retrouve en but à la haine des Juifs. C’est alors pour lui l'occasion de révéler encore plus le mystère de son Identité : sa relation particulière au Père, l'affection infinie du Père pour ce Fils avec lequel il partage toutes ses pensées (v. 20). Il parle aussi de cette puissance de vie qui est en Lui (v. 21), par laquelle il donne maintenant la vie éternelle à ceux qui croient en Lui (v. 24). Il exercera cette puissance dans « une heure » encore à venir pour la Résurrection des morts (vv. 28-29). Enfin, dans ce passage, il parle aussi du « jugement » qui lui a été donné en sa qualité de Fils de l'homme (vv. 22, 27), et aux versets 19 et 30, de son obéissance, de la valeur qu’elle prend quand elle est réalisée précisément par celui qui a droit lui-même à l'obéissance de toute créature (v. 23). 3. Jean 5, 31-47 : « Témoignages sur Jésus ». Jésus répond ici à l'incrédulité des Juifs en invoquant quatre témoignages en sa faveur : celui de Jean (vv. 32 à 35), celui de ses propres œuvres (v. 36), celui du Père qui au Jourdain avait désigné son Fils bien-aimé (v. 37), enfin celui des Ecritures (v. 39). Il rappelle qu’il est souvent question du Messie dans les livres de Moïse (v. 46) ; mais que tout en prétendant vénérer ce dernier, les « Juifs » ne croyaient pas ses paroles puisqu'ils rejetaient celui qu'il annonçait (v. 46 et Deut. 18, 15). Ils seront prêts par contre à recevoir un autre, « l'Antichrist » (v. 43). « Sondez les Ecritures », recommande le Seigneur Jésus. C'est par elles que nous pourrons avancer dans la connaissance de sa Personne infinie. Recevoir de la gloire des hommes et chercher leur approbation est ici une forme d'incrédulité (v. 44). Car Dieu déclare que nous ne sommes rien et qu'il n'y a rien dont nous puissions nous glorifier. Mais, plutôt que d’accepter cela, nous nous complaisons parfois dans le bien que d'autres peuvent penser de nous. Jésus ne recherchait aucune gloire de la part des hommes, et nous pourrons l'imiter si nous avons en nous l'amour de Dieu et le désir de Lui plaire. 4. Jean 6, 1-21 : « Nouveaux signes de puissance ». « Le miracle de la multiplication des pains », élément traditionnel des 4 Evangiles, et bien connu. L’Evangile de Jean ne manque donc pas de reprendre cet épisode commun aux synoptiques (cf. Matthieu 14, 13-21 ; Marc 6, 30-44 et Luc 9, 10-17) ; mais, comme souvent en d’autres occasions, il y apporte de nombreux éléments originaux, et le situe dans une perspective qui lui est propre… Les foules ont suivi le Seigneur Jésus. Mais elles sont attirées davantage par sa puissance que par sa grâce et toutes ses perfections morales. Or, l'une ne va pas sans les autres ; une fois de plus Jésus va les manifester ensemble dans cette scène de « la multiplication des pains ». Le petit garçon mentionné au verset 9 nous rappelle qu'à tout âge nous pouvons faire quelque chose pour le Seigneur et pour le bien des autres. Il paraît être le seul à avoir pensé à sa propre nourriture. En acceptant de mettre ce peu qu'il a à la disposition du Seigneur, il devient le moyen de pourvoir aux besoins de cinq mille hommes. Lorsque le Seigneur veut se servir de nous, ne prétextons jamais notre jeunesse ni l'insuffisance de nos ressources ; il saura, Lui, comment les utiliser. Ainsi, la nouveauté ici, c’est que là où « les synoptiques » achèvent leur récit sur la profusion, la quantité des convives rassasiés, Jean le clôt provisoirement sur une confession de foi : « Celui-ci est vraiment le Prophète, celui qui doit venir dans le monde » (v. 14b). Confession de foi problématique, qui semble susciter la fuite de Jésus (v. 15), et qui va ouvrir un peu plus tard le long discours sur le Pain de Vie (Jean 6, 22-71). Ce n’est qu’au terme de cette réflexion qu’une autre confession de foi peut retentir : celle de Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle. Et nous, nous avons cru et nous avons connu que tu es le Saint de Dieu » (v. 68-69). Après ce miracle, on veut enlever Jésus « afin de le faire roi ». Mais il ne peut recevoir le royaume de la main des hommes (cf. Jn 5, 41). Enfin, dans une autre scène toute illuminée elle aussi de sa puissance et de sa grâce, nous le voyons venir à la rencontre de ses disciples sur la mer agitée et dissiper leur inquiétude. 5. Jean 6, 22-71 : « Jésus, le Pain de vie ». Jésus ne s'y trompe pas, les foules le poursuivent pour un motif très terre à terre : elles espèrent qu'il va continuer à leur donner du pain. Aussi les engage-t-il à travailler pour le ciel (v. 27). Demandons-nous si notre travail a d'abord en vue les choses d'en haut qui nourrissent notre âme et qui demeurent, ou celles d'ici-bas, destinées à périr. Est-ce à dire qu'il faut accomplir des œuvres pour être sauvé ? Nombreux sont ceux qui le pensent aujourd'hui encore dans la chrétienté (v. 28). Mais comme Paul nous affirme : « Vous êtes sauvés par la grâce, par la foi… non pas sur le principe des œuvres… » (cf. Eph 2, 8-9). Dieu, lui, ne reconnaît qu'une œuvre qui permette à l’homme de s’approcher de Lui : elle consiste à croire au Sauveur qu'il nous a donné (v. 29). Tout vient de Lui : « l'Eau vive » (cf. le « Saint Esprit » de Jean 4, 10) et « le Pain de vie », le Christ luimême (v. 35). «Je ne mettrai point dehors celui qui vient à moi », promet-il alors (v. 37). Mais pour venir à lui, il est nécessaire qu'une œuvre de l'Esprit s'accomplisse dans notre cœur ; car l'homme ne peut faire un pas vers Dieu à moins que lui ne le tire (v. 44). La grâce dont Jésus use envers le pécheur est donc l'expression de son propre amour. Mais elle fait aussi partie de « la Volonté de Dieu », qui est de donner la vie à sa créature (v. 40). Enfin, l’enseignement le plus important de ce passage, et celui qui touche au « Pain de vie ». Pour l'Evangile de Jean, ce que Jésus dit ici se rapporte à « la Cène ». Les premiers chrétiens ont peutêtre été là influencés par ce qui se passait d’autres religions où les cérémonies religieuses comportaient un repas sacré. On mangeait littéralement le dieu. On s'appropriait sa force et sa jeunesse. On était préservé du malheur. On se divinisait, du moins on le croyait. Mais cette idée de participer au dieu est totalement étrangère à la Bible. Pour elle, on ne peut pas manger Dieu. L'homme ne peut pas devenir Dieu. L'homme est l'homme, Dieu est Dieu. Ils ne se mélangent pas. Ils ne peuvent pas se mélanger. Ni la Cène ni l'Eucharistie ne sont des repas sacrés. On peut croire en Dieu. On peut lui faire confiance. On ne peut pas le consommer. Alors, que veulent dire les mots chair et sang dans la bouche de Jésus ? Nous aurons ici à franchir un obstacle, celui de notre propre façon de comprendre. Il y a souvent un décalage entre le sens que nous donnons aux mots et le sens que la Bible leur donne. On doit donc faire attention ; ces deux mots risquent de nous induire en erreur, si nous ne les comprenons pas correctement, c’est-à-dire dans leur sens biblique. Dans la Bible, « la chair », c'est d’abord « la créature de Dieu ». Ce n'est pas seulement l'aspect physique d’une personne ; mais c'est aussi l'aspect mental, l'aspect affectif et l'aspect spirituel. La chair, c'est toute la personne humaine, telle que Dieu la crée. Toute la personne et pas seulement une partie. La personne dans sa situation de dépendance envers Dieu, dans sa fragilité comme dans l'épanouissement de toutes ses facultés. Ainsi, quand le prophète Esaïe dit : « Toute chair est comme l’herbe », on peut traduire « tout être vivant » pour désigner l’individu dans son entier. D’autre part, « le sang », dans la Bible, est plus que le liquide rouge qui circule dans nos veines. Le sang est porteur de vie, en quelque sorte, il est la vie. Quand on perd tout son sang, on perd la vie. De plus, le Lévitique interdisait de manger du sang ; il fallait saigner entièrement l'animal avant de le consommer, car la vie appartient à Dieu, son créateur, et on n'a pas le droit de se l'approprier. C’est pourquoi aussi, si quelqu'un verse le sang d’un l'homme, s'il lui prend sa vie, il est coupable et il mérite la mort. Dans cette perspective biblique, on comprend peut-être mieux ce que Jésus dit. Manger la chair de Jésus et boire son sang, c'est recevoir sa personne et sa vie. C'est s'accorder à sa personne et à sa vie. Jésus parle de manger et de boire. Il ne s'agit naturellement pas de manger et de boire physiquement. L'Evangile de Jean réagit certainement là contre l'idée païenne de manger le dieu et de devenir le dieu, d'être divinisé. Jésus ne se place pas sur le plan matériel de l'acte de manger. Il se place sur le plan de la relation avec Dieu. Cette relation a des effets dans le domaine matériel, mais elle se situe d'abord sur le plan spirituel : elle concerne cet aspect de nous-mêmes qui nous rattache à Dieu, si nous lui faisons confiance, ou qui nous sépare de lui, si nous ne voulons pas croire en lui. Enfin, quand Jésus parle de sa chair et de son sang, l'Evangile de Jean comprend qu'il parle de « la Cène » telle qu'elle était pratiquée au premier siècle. Jean voit les paroles de Jésus comme s'il parlait de la Cène (je rappelle, que cet Evangile est le seul qui n’a pas de récit « d’Institution de la Cène »). Dans cette perspective, « le pain du repas du Seigneur » signifie que nous sommes en accord avec la personne de Jésus, que nous lui sommes accordés. « Le vin de ce repas » signifie que nous sommes en accord avec la vie de Jésus, avec sa façon de vivre. Nous adhérons à la volonté de Dieu comme il y adhère lui-même. Nous pouvons avoir une vie semblable à la sienne, même si elle ne lui est pas strictement identique. Cette communion, cette unité, nous est exprimée par le pain et le vin. On ne doit pas comprendre la Cène ou l'eucharistie sur le plan mystique d'une union avec la divinité, mais sur le plan pratique de l'adhésion profonde à la Bonne Nouvelle annoncée par Jésus et qu'il a vécu le premier avant nous… Mais tout cela n’est pas si simple pour ceux qui entendent Jésus. Autrefois les fils d'Israël, en découvrant la manne au désert, s'étaient demandé l'un à l'autre : « Qu'est-ce que cela ? » (cf. Ex 16, 15). Et aujourd’hui, c’est la même incrédulité que montre leurs descendants. Ils se disputent entre eux au sujet de l'étrange nourriture dont Jésus leur a parlé : « sa chair et son sang », c'est-à-dire sa mort. Qu’il faille s’approprier sa mort (en figure « manger sa chair et boire son sang ») pour avoir la vie éternelle, les hommes ne peuvent encore comprendre cela. Alors, au lieu d'interroger le Seigneur, plusieurs de ceux qui avaient professé être de ses disciples s'en vont, choqués par ses paroles. Jésus ne cherchera pas à les retenir en « adoucissant » la vérité. Mais il sonde le cœur de ceux qui restent : « Et vous, voulez-vous aussi vous en aller ? »… « Seigneur, auprès de qui nous en irions-nous ? », sera ici la belle réponse de Pierre (vv. 68, 69).