REVUE EUROPÉENNE DU DROIT SOCIAL Maison d’édition Bibliotheca • Atestée par le Ministère de la Culture et des Cultes avec l’avis no. 4363 / 27.05.1997 • Acreditée par le Conseil National de la Recherche Scientifique de l’Enseignement Supérieur (CNCSIS) avec l’avis no. 1142 / 30.06.2003 • Membre de l’Association des Editeurs de Roumanie – AER (Romanian Publishers Association - RPA) N. Radian, KB 2/3, Târgovişte, 130062 tel/fax: 0245.212241; tel. 0245.217145 e-mail: [email protected] www.bibliotheca.ro REVUE EUROPÉENNE DU DROIT SOCIAL Volume XII • ISSUE 3 • Year 2011 Édition Bibliotheca Târgovişte, 2011 La Revue est reconnuée par le Conseil National de la Recherche Scientifique de l‘Enseignement Supérieur (CNCSIS) categorie B+ avec avis no. 828/2007 et en évidence BDI Copernicus Comite scientifique/ Scientific Board: 1. Antonio Baylos, Professeur de Droit du Travail et de la Sécurité Sociale à l'Université de Castilla La Mancha, Spain 2. Dimitri Uzunidis, Directeur du Laboratoire de Recherche sur l'Industrie et l'Innovation (ULCO, France) 3. Alexandru łiclea, Professeur, Recteur de l’Université Ecologique Bucarest Roumanie 4. Sophie Boutillier, Directrice de recherche au laboratoire Redéploiement industriel et innovation à l'Université du Littoral-Côte d'Opale, France 5. Ahmed Smahi, Enseignant Chercheur à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion, Université de Tlemcen, Algérie 6. Ana R. Martín Minguijón, Doyen de la Faculté de droit UNED Madrid, Spain 7. Vlad Barbu, Professeur, Vice-recteur de l’Académie de Police ,,Alexandru Ioan Cuza” Bucarest, Roumanie 8. Rafael Junquera de Estéfani, Vice-doyen de la Faculté de droit UNED Madrid, Spain Comite de rédaction/Editorial Board: Rédacteur en chef / Editor responsible: Dan łop, PhD Executive Editor: Marc S. Richeveaux, PhD Rédacteur en chef adjoint / Editor assistant: Radu Răzvan Popescu, PhD Secrétaire de rédaction / Editorial Secretary: Pedro Fernandez Santiago, PhD 130051, Târgovişte, Aleea Trandafirilor, bl. 10, ap. 46 JudeŃul DâmboviŃa, Roumanie, Tel. 0722.723340 www.RevueEuropéenne_du_DroitSocial.ro ISSN 1843-679X Copyright@2011 Revista europeană de drept social SOMMAIRE LES ORIGINES DES DROITS DE L’HOMME EN ESPAGNE (Rafael Junquera de ESTÉFANI) / 6 EL ANHELO DE UN SOLO GÉNERO. EL HUMANO (Pedro SANTIAGO) / 25 LE CADRE JURIDIQUE POUR LE TRAVAIL OCCASIONNEL EN ROUMANIE (Dan łOP) / 40 COMMUNITARIAN SOCIAL DIALOGUE – MODALITY OF ACHIEVING SOCIAL PEACE (Radu Razvan POPESCU) / 47 INÉGALITÉS DE REVENUS, REDISTRIBUTION ET CROISSANCE EN TUNISIE: CONTRIBUTION THÉORIQUE DANS LE CADRE D’UN MODÈLE À GÉNÉRATIONS IMBRIQUÉES (Zahia HAMDÈNE, Lobna BENHASSEN) / 58 LA FUITE DES CERVEAUX: EXIL FORCE OU MAL ETRE DE L’INTELLECTUEL AFRICAIN? (Par Brice Arsène MANKOU) / 75 LA MESURE DE LA PAUVRETÉ DANS LA PENSÉE ÉCONOMIQUE: VERS L’INSTAURATION DE NOUVELLES (MESURES Zahia HAMDÈNE, Lobna BENHASSEN) / 83 L’AIDE À LA PERSONNE, ILLUSTRATION DES ENJEUX CONTEMPORAINS DE LA CERTIFICATION PROFESSIONNELLE EN FRANCE (Pascal CAILLAUD) / 122 L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE DU FRAGMENT AU TOUT (Jean Paul LAMBERT) / 138 LE FRANC CFA : UNE MONNAIE COLONIALE QUI RETARDE LE DEVELOPPEMENT DE L’AFRIQUE (Séraphin Prao YAO) / 145 5 Revue europénnee du droit social LES ORIGINES DES DROITS DE L’HOMME EN ESPAGNE Rafael Junquera de ESTÉFANI Professeur en Philosophie du Droit Faculté de Droit. UNED Madrid. Espagne Résumé: l’histoire des Droits de l’Homme est une histoire tardive. Ils n’apparurent qu’avec le passage à la modernité qui les ayant rendus possibles grâce à l’influence de l'École de Salamanque et le rationalisme philosophique du XVIIIe siècle. Certains des évènements à l’origine de la reconnaissance furent: la découverte et la colonisation de l’Amérique, son mouvement révolutionnaire et indépendantiste ainsi que les révolutions bourgeoises du XVIIIe siècle. Avant ces évènements historiques, nous ne pouvons pas parler d’histoire mais de préhistoire en ce qui concerne les Droits de l’Homme. Mais lorsque ces derniers naissent en tant que droits individuels et cessent d’être que de simples privilèges ou droits d’état, un des premiers pas pour leur efficience et leur protection juridique est leur reconnaissance par l’État à travers diverses techniques législatives. Mots clés: Droits de l’Homme; Histoire des Droits de l’Homme; Reconnaissance des Droits de l’Homme par l’État. INTRODUCTION De nos jours, parler des Droits de l’Homme est un fait courant et l’allusion à ces derniers est fréquente, mais cela n’a pas toujours été le cas dans l’histoire. Il n’est pas rare de trouver des civilisations dans lesquelles la majorité des hommes ne sont pas considérés comme des sujets de droits. Une des exigences pour que le sujet puisse accéder à la condition de sujet du système juridique et bénéficier de sa protection est de posséder un statut de citoyen libre, être de sexe masculin, ou d’appartenir à un ordre supérieur (noblesse ou clergé), de telle sorte qu’une grande partie de la population était ainsi exclue: les étrangers, les enfants, les esclaves, les serfs, etc. Selon les dires du professeur espagnol Pérez Luño « les citoyens des sociétés démocratiques actuelles sont nombreux à juger les Droits de l’Homme comme étant quelque chose d’indéfectible et d’inhérent à leur expérience civique au même titre que l’eau qu’ils boivent et que l’air qu’ils respirent ». Cependant, selon le même auteur, « il est illusoire d’imaginer des droits au-delà de l’histoire ». Divers courants de pensée commencèrent à poser et à justifier la nature humaine comme base d’une dignité fondamentale de notre espèce. C’est sur ce principe que se fondera la notion d’égalité et de liberté pour tous. Ces deux droits seront l’avant-garde de l’ensemble des droits que constitueront les diverses déclarations et textes juridiques. 6 Revista europeană de drept social À titre démonstratif et purement didactique, nous pouvons différencier en suivant une partie de la doctrine deux grandes étapes lors de la longue procédure de reconnaissance des Droits de l’Homme: « la préhistoire » et « l’histoire » des Droits de l’Homme. 1. LA « PRÉHISTOIRE » DES DROITS DE L’HOMME Nous pouvons nommer « la préhistoire » des Droits de l’Homme l’étape qui comprend toutes les époques durant lesquelles il n’existait pas de reconnaissance expresse de droits propres à l’homme. Il est certain que certains courants philosophiques parlèrent dès la Grèce antique de l’égalité des hommes et par conséquent, tous furent considérés comme porteurs des mêmes facultés. Dans cette lignée, par exemple, le stoïcisme défendait le cosmopolitisme en considérant tous les citoyens d’un État universel et en défendant la fraternité entre tous les hommes. Selon les paroles de Sénèque, l’homme est une chose sacrée pour l’homme (homo res sacra homini). Le christianisme apporte également dans les premiers siècles de notre ère, sa conception anthropologique et conçoit l’homme comme l’image de Dieu et par conséquent, porteur d’une dignité qui est la même pour tout le genre humain. À partir de cette conception, il défendra également la fraternité entre tous les hommes. Néanmoins, ces postures ne sont pas majoritaires et ne sont pas reconnues par le système juridique. Au Moyen-Âge, les monarques européens commencent à reconnaître certains privilèges aux habitants de territoires déterminés en remerciements des faveurs reçues et des services fournis, c’est ainsi que sont nés certains codes et privilèges royaux. C’est dans ce contexte qu’apparaissent des documents stipulant une première reconnaissance juridique des facultés de l’homme. Nous pouvons citer entre autres en tant que paradigme, le texte de la Grande Chartre de Jean sans Terre1 (1215) et en Espagne, la Grande Chartre leonesa d’Alphonse IX de León2 (1188), etc. Dans la première lettre citée, Jean sans Terre se voit obligé dans la pratique à faire quelques concessions aux nobles qui s’étaient révélés. Il s’agit d’un certificat délivré par le roi d’Angleterre à ses nobles, stipulant qu’il s’engage à respecter la noblesse (ses privilèges et ses immunités) et à reconnaître leur droit à être jugées par leurs semblables3. Ce document établit pour première fois que le pouvoir royal peut être limité et que des mesures sont imposées pour que les réclamations contre les abus du roi ou les seigneurs féodaux puissent être entendues. Au-delà d’une reconnaissance et d’une déclaration de droits, les nobles parviennent à obtenir du roi des privilèges d’état. Cependant, ce texte a pour vertu d’être le point de départ à d’autres textes postérieurs (Petition of Rights et Habeas Corpus). C’est la première 1 2 3 http://www.geocities.com/eqhd/cartamagna.htm http://www.paisleones-paislliones.com/Documentos.html Clause 39. 7 Revue europénnee du droit social fois que dans un texte juridique, le besoin impérieux d’un jugement avant d’emprisonner ou de priver de ses bien un individu libre est établi. Ladite Grande Chartre leonesa est un ensemble de lois octroyées par la Curie de León convoquée par le roi Alphonse IX et à laquelle assistèrent les représentants du peuple (bourgeois des différentes villes du Royaume de León) et la noblesse. Lors de cette dernière, le roi s’est engagé à respecter des droits, ou plus proprement dit, des privilèges fondamentaux, dans ce qui est considéré comme étant l’un des premiers documents à les recueillir et à les énoncer comme suit: la promesse de ne pas déclarer la guerre sans réunir les évêques, les nobles et les hommes bons du royaume. Empêcher qu’un ou des individus entrent ou détruisent la maison ou la propriété d’autrui ou n’y entrent de force. Interdire qu’un ou des individus ne s’approprient de force les biens d’autrui. De même, certains principes de fonctionnement de la justice et des tribunaux sont recueillis. Dans la même lignée, il convient de considérer un autre texte espagnol, le Privilège Général octroyé par Pierre III dans les Courts de Saragosse (1283), qui est passé à être considéré comme la base légale des libertés de la Couronne d’Aragon4. Nous nous trouvons encore dans une époque d’états et les conquêtes se réfèrent à ces groupes ou classes, plus qu’à la généralité des hommes. Cette exception faite et malgré le fait de ne pas avoir commencé la véritable histoire des Droits de l’Homme, une partie de la doctrine structure l’apparition des Droits de l’Homme en trois phases5: phase médiévale, phase moderne jusqu’au XXe siècle et de ce siècle jusqu’à aujourd’hui. Cependant, nous rappelons qu’au MoyenÂge, comme le reconnaissent ces mêmes auteurs, les conditions qui nous indiquent aujourd’hui l’existence des Droits de l’Homme n’existaient pas. Nous avons déjà signalé antérieurement que nous nous trouvons dans une époque qui octroie des privilèges mais qui reconnaît peu les droits, ce qui fait que nous nous trouvons dans l’antichambre de la véritable naissance d’une conscience favorable à la proclamation de l’homme comme porteur de facultés uniques et égales pour tous, alors que nous sommes au début de l’histoire de ces droits, au sens stricte du terme. 2. «HISTOIRE» DES DROITS DE L’HOMME La véritable « histoire » des Droits de l’Homme apparaît déjà dans les courants philosophiques du rationalisme du XVIIIe siècle, lorsque l’on défend que la nature rationnelle des hommes est celle qui leur octroie une dignité spéciale sur laquelle se fondent des droits innés et que le pouvoir politique doit respecter, reconnaître et protéger. C’est cette reconnaissance et cette protection qui dotera de légitimité l’exercice du pouvoir. 4 5 PÉREZ LUÑO, A. E., Los Derechos Fundamentales, Madrid, Tecnos, 1984, p. 33 y 34. Voir : PÉREZ MARCOS, R. M., « Los Derechos Humanos hasta la edad moderna », GÓMEZ SÁNCHEZ, Y., Pasado, presente y futuro de los derechos humanos, México, Comisión Nacional Derechos Humanos México-UNED, p. 31-32. 8 Revista europeană de drept social Avant que les courants de pensée mentionnés n’eussent donné ce pas vers la proclamation de droits innés, en Espagne et dans le cadre du mouvement comunero du XVIe siècle, la Constitution d’Avila6 est rédigée (1520?). Elle tente de réduire le pouvoir du monarque Charles 1er et d’établir un système que nous pourrions nommer, de façon un tant soi peu risquée et prématurée, comme étant un système fédéral. La dénomination, Constitution d’Avila, renvoie aux documents des Chapitres d’Avila (ou également nommés Chapitres du Royaume ou Loi perpétuelle) rédigés par les Comuneros à la Junte d’Avila et qui fut invoquée à diverses occasions dans les débats d’élaboration de la Constitution nord-américaine de 1787. Ces textes prétendent la création d’une fédération de citoyens libres face au pouvoir absolu du roi. Ces deniers rappellent au roi le pacte qui le lie à ces sujets, de telle façon que ces derniers délèguent le pouvoir au prince, mais celui-ci pouvait être récupéré par les sujets si le monarque faisait un mauvais usage de ce dernier. La théorie pactiste est amenée à ces dernières conséquences. C’est dans le premier document que l’on commence à établir les bases de ce que nous pourrions considérer comme un État démocratique. Il ne s’agit pas d’une déclaration de droits, mais d’une ébauche de principes fondamentaux de fonctionnement d’une société pré démocratique basée sur la souveraineté populaire, ce qui vise à préparer un terrain propice pour la reconnaissance et la protection des droits des individus. En même temps et à cette époque (XVIe et XVIIe siècle), dans certains territoires d’Europe et d’Amérique, les citoyens avaient obtenu la reconnaissance de certaines libertés: une liberté religieuse (Édit de Nantes7, Acte de tolérance du Maryland, Lettre de Rhode Island, etc.) et certains droits civils et politiques (La Petition of Rights8, La loi Habeas Corpus9, la Bill of Rights10) sont reconnus. Or, ces textes ne font pas référence à des Droits de l’Homme mais à ceux du citoyen d’un pays, ou de la noblesse, ou des nobles d’un royaume déterminé. Il s’agit des droits d’état ou des sujets d’un royaume, non des individus. C’est avec rationalisme que l’on affirme que l’homme est porteur de droits inviolables. Par sa nature, l’homme est doté de facultés qui ne doivent pas être diminuées par le pouvoir politique. La nature rationnelle lui confère une dignité dont ne possède pas les autres êtres. Dans son état naturel (status naturalis) l’homme jouit de droits qui ne se perdent pas dans l’état civil (status civilis), mais que l’autorité publique est obligée de respecter et d’articuler les instruments nécessaires pour les protéger et les rendre effectifs. Certains auteurs défendent qu’avant les textes anglais et avec le même courant rationaliste, les professeurs de l’Université de Salamanque élaborent une conscience, philosophique, théologique et juridique de la liberté qui s’exprime dans plusieurs textes qui défendent l’égalité des droits avec les découvreurs espagnols 6 http://breviariocastellano.blogspot.com/2006/11/la-constitucin-de-vila-1-jos-belmonte.html http://es.wikipedia.org/wiki/Edicto_de_Nantes 8 http://www.educarchile.cl/Userfiles/P0001/File/peticion%20de%20derechos.pdf 9 http://www.cervantesvirtual.com/servlet/SirveObras/hist/91304953110572617422202/p0000001.htm#I_0_ 10 http://www.cervantesvirtual.com/servlet/SirveObras/01470622099193640932268/p0000001.htm#I_1_ 7 9 Revue europénnee du droit social des habitants des terres découvertes en Amérique11. Un débat théorique et pratique s’ouvrit sur l’humanité, la dignité et la liberté des indiens. Ces auteurs défendent l’existence de droits pour tous les hommes. Parmi eux, notons Francisco de Vitoria dans son ouvrage Relectiones Theologicae, spécialement la Relectio de indis prior et la Relectio de iure belli. Soulignons également le travail infatigable de Bartolomé de las Casas. Ce dernier défendra l’existence naturelle de divers droits: • Légalité naturelle de tous les hommes, en affirmant que « tous les hommes sont de nature égale »12. • La liberté d’origine: « pourquoi depuis l’origine de la nature rationnelle tous les hommes naissaient libres. Puisque tous les hommes sont de nature égale, Dieu ne créa pas un homme serviteur, mais il a accordé à tous une liberté identique »13. • Négation de l’esclavage: il défend le fait que l’esclavage est né de cause accidentelles et pas naturelles, qu’il est imposé14. • Droit à la propriété: pour certains auteurs, Bartolomé de las Casas défend la propriété en soutenant que toutes ces choses, en principe, étaient communes à tous les êtres et que les hommes pouvaient s’approprier ces dernières. Ce droit apparaît comme une conséquence logique du droit à la liberté15. • Tolérance et liberté religieuse: il se révèle contre l’idée d’imposer par la force l’évangile aux indiens. L’unique forme d’enseigner la religion est par la persuasion par le biais de raisons16. • Pacifisme: il condamne tous les types de guerres, en les considérant comme un homicide et un larcin17. • Libertés politiques: il considère qu’à l’origine, tout peuple est libre et que l’on ne peut pas lui imposer par la force aucune règle. Il n’y a pas de plus grande charge qu’un gouvernant qui n’a pas été choisi par le peuple. Pour cet auteur, la souveraineté vient du peuple qui est celui qui l’octroie aux gouvernants sans renoncer à cette dernière. La doctrine reconnaît et De las Casas défend dans son ouvrage De Regia Potestate l’idée comme quoi le peuple fut antérieur aux rois et qu’à travers le consensus il délègue aux souverains. La privation de la liberté originale doit également être évitée. Pour aller encore plus loin, il va même jusqu’à employer l’expression « per liberam electionem »18. • Droit de résistance: il reconnaît le droit des sujets à s’opposer et à protester contre le gouvernant lorsque celui-ci agit à l’encontre du bien commun19. 11 Voir l’excellent et original travail de MARTÍNEZ MORÁN, N., « Aportaciones de la Escuela de Salamanca al reconocimiento de los derechos humanos », Cuadernos Salmantinos de Filosofía, XXX, 2003, p. 491-520. 12 Nº 1 de la question primaire de son traité De Regia Potestate. 13 Ibidem. Cité par MARTÍNEZ MORÁN, N., op. cit., p. 502. 14 Ibidem, p. 502. 15 Ibidem, p. 503. 16 Ibidem, p. 504. 17 Ibidem, p. 504. 18 Ibidem, p. 505-506. 19 Ibidem, p. 506-508. 10 Revista europeană de drept social Nous devons être conscients que cette distribution de droits se déduit après lecture de l’ouvrage de cet auteur en prenant une certaine distance dans le temps, à partir d’une « culture » des Droits de l’Homme et d’une époque ou la structure de certains droits subjectifs de l’homme est déjà entièrement élaborée et assimilée. Cette critique est certaine, mais on peut également affirmer que Las Casas est un des auteurs de cette École que a le plus été lié à la réflexion et à la défense des Droits de l’Homme, si bien que l’idée de ces droits en tant que droits subjectifs est totalement étrangère à cet auteur 20; Cette vision est encore impensable. Cependant; pour le professeur Pérez Luño son ouvrage a contribué « au développement de l’iusnaturalisme rationaliste et humaniste de signe démocratique qui a rendu possible la genèse des Droits de l’Homme Moderne et de l’État de Droit »21. Si bien que, comme nous l’avons vu précédemment, nous ne pouvions pas parler de Droits de l’Homme en tant que concept historique antérieurement au passage à la modernité qui conduit aux révolutions du XVIIIe siècle, Bartolomé de Las Casas a eu une importance capitale dans le passage des droits fondamentaux aux Droits de l’Homme22. Ce déplacement a eu lieu selon le professeur Pérez Luño, sur trois plans23: • Sur le plan de définition des fondements: on abandonne la justification consuétudinaire et historique et l’on renforce la légitimation iusnaturaliste rationaliste. • Sur le plan de titularisation: les libertés arrêtent d’être liées aux états des personnes et elles sont présentées en tant que droits de tous les hommes de par sa nature. • Sur le plan de la nature juridique: les droits ne se formulent pas comme des pactes de Droit privé mais comme des instruments fondamentaux de Droit public. En conclusion, Las Casas lutte, de par son ouvrage et sa vie, pour la reconnaissance et la protection de droits et pour qu’ils soient déclarés communs à tous les hommes. Pour sa part, Francisco de Vitoria, dans son oeuvre citée précédemment, énonce de façon particulière certains droits24: • Droit à l’égalité: aucun homme est supérieur à un autre par droit naturel. Tous naissent égaux. • Droit à la liberté: l’homme fut créé en liberté et ainsi il doit rester. • Droits civils et politiques: l’être humain est social par nature et c’est dans la société civile qu’il se développe le mieux en tant que tel, ce qui nous 20 Cette thèse est défendue par un grand nombre d’auteurs comme cela peut se voir dans la relation des affirmations recueillies par PÉREZ LUÑO dans les « Los clásicos iusnaturalistas españoles » PECESBARBA MARTÍNEZ, G., et FERNÁNDEZ GARCÍA, E. (dir.), Historia de los Derechos Fundamentales (tomo I: tránsito a la modernidad siglos XVI y XVII) Madrid, Dykinson, 1998, p.552-555. 21 Ibidem, p. 555. 22 Ibidem, p. 558. 23 Ibidem, p. 558-559. 24 MARTÍNEZ MORÁN, N., cit., p. 508-512. 11 Revue europénnee du droit social conduit à reconnaître que tout homme à droit à la citoyenneté et au domicile dans une ville ou un pays. D’autre part, le pouvoir provient toujours de Dieu et c’est Dieu lui-même qui l’accord au peuple, qui, à son tour, le cède au roi pour qu’il le gère au bénéfice de la communauté. Ainsi, les gouvernants sont également soumis aux lois et si ces dernières viennent à être injustes, elles doivent être désobéies. • Droit à la liberté religieuse: personne ne peut être contraint de recevoir la foi catholique. Tous ont le droit de garder leur propre religion. • Droit de paix: seule la guerre juste est admise, en comprenant par là celle qui se fait contre une injure grave. Avant d’entamer une guerre, il établit trois règles d’or: avant la guerre, il faut chercher la paix par tous les moyens; pendant la guerre, il faut seulement chercher la justice et après la guerre, il existe l’obligation d’être modéré dans l’usage du triomphe et seulement pour se dédommager de l’injustice qui l’a motivée. Il pose tellement d’obstacles à la guerre pour qu’elle soit considérée comme juste que, dans la pratique et selon l’opinion de la doctrine, plus qu’un droit à la guerre, il défend un droit à la paix. • Droit des indiens à l’émancipation et à l’autodétermination: les habitants du nouveau continent découvert (Amérique) sont également des êtres humains et ont les mêmes droits que le reste des hommes. Ils sont maîtres de toutes leurs choses et de leurs terres. • Droit de la communauté internationale: tout le genre humain, dans ses origines, a eu le droit de choisir un gouvernant unique avant la division des peuples: ce droit est un droit naturel, par conséquent il peut s’exercer à tout moment et constituer une république universelle ayant la capacité de donner des lois justes (droit des gens). Vitoria revendique un universalisme de tout le genre humain. L’idée centrale défendue par cet auteur est celle d’une communauté universelle de tous les hommes et de tous les peuples. Cette communauté doit être régie par un droit mondial fondé sur le Droit Naturel. Les postulats qui posent les bases de cette communauté universelle sont l’unité de l’espèce humaine ainsi que l’égalité et la liberté des hommes. De là, on peut déduire son influence à l’heure d’attribuer des droits à l’homme qui lui correspondent de par sa propre essence. Selon les paroles du professeur Pérez Luño, ces auteurs « en défendant les droits personnels des habitants des nouveaux territoires découverts et colonisés par la Couronne d’Espagne, ont posé les bases doctrinales de la reconnaissance de la liberté et de la dignité de tous les hommes »25. Les représentants de la pensée iusnaturaliste espagnole de cette école ont développé un climat intellectuel propice à la Déclaration française des Droits de l’Homme et du Citoyen26. Le professeur cité considère qu’un membre illustre de l’École de Salamanque, Vázquez de 25 26 PÉREZ LUÑO, A. E., Los Derechos…, op. cit., p.31. PÉREZ LUÑO, A. E., “Los clásicos iusnaturalistas…”, cit., p. 555-556. 12 Revista europeană de drept social Menchaca, a répandu le terme iura naturalia pour se référer aux droits naturels que possèdent les individus sur la base du Droit Naturel. En conséquence, ce courant de la doctrine considère que l’iusnaturalisme de l’École de Salamanque a une influence sur le rationalisme de Grocio et est en avance sur l’élan iusnaturaliste européen pour la construction et l’évolution des droits naturels27. Le résultat des réflexions de cette école s’exprime par l’influence de ses écrits et par les débats qu’ils ont été soulevés lors de la rédaction de certains textes. Parmi ces écrits, nous pouvons souligner: les Lois de Burgos (1512), le Certificat de Fernand le Catholique (1514), le Décret de Charles 1er sur l’esclavage des Indiens (1526), les Lois Nouvelles (1542), etc. Ces idées sont recueillies par les nouveaux États ayant fait leur apparition lors du processus de décolonisateur et indépendantiste du XVIIIe siècle et pour les États influencés par le courant de pensée du nouveau régime instauré par la Révolution française. C’est ainsi que commence, dans l’histoire des Droits de l’Homme, la phase de reconnaissance de l’État de ces droits. 3. LES PREMIERS PAS DE LA RECONNAISSANCE DES DROITS PAR LES ÉTATS28 Les premiers pas ont été donnés de l’autre côté de l’Atlantique. Ce sont les colonies anglaises d’Amérique qui ont lancé cette phase avec un document pragmatique: La Déclaration de Droits du Bon Peuple de Virginia (12-06-1776)29. Cette déclaration par de la reconnaissance initiale que « tous les hommes sont par nature également libres et indépendants et possèdent certains droits innés »30 et immédiatement après, il est déclaré que le pouvoir réside de façon inhérente au sein du peuple et que c’est ce dernier qui à travers un système démocratique le cède à ses mandataires31. Après ces premiers pas, sont établies les bases de l’instauration d’une démocratie, comme forme de gouvernement, où règne la division des pouvoirs32. Tout de suite après et dans les mêmes colonies anglaises d’outre-mer, un mois plus tard, la déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique est proclamée 27 PÉREZ LUÑO, A.E., Los Derechos…, op. cit., p.31 Cette section a supposée l’apport personnel de l’auteur au matériel collectif pour le module numéro trois (Histoire des Droits de l’hmme) dans le cadre du cours de Spécialiste en Éducation pour la Citoyenneté et les Droits de l’Homme offert par l’UNED en association avec l’Université Carlos III de Madrid et l’Université Oberta de Catalogne (UOC) depuis mars 2009. 29 http://www.unirioja.es/dptos/dd/constitucional/constitucional/DCI/PDFs/DECLARACION%20DE% 20DERECHOS%20DEL%20BUEN%20PUEBLO%20DE%20VIRGINIA.pdf 30 Art. 3 et ss. 31 Art. 2. 32 Art. 3 y ss. 28 13 Revue europénnee du droit social (4-07-1776)33. Le début de cette déclaration contient des références sur l’égalité de tous les hommes et aux droits inaliénables qu’ils possèdent. Il est ainsi déclaré que34: «Nous soutiendrons que ces vérités sont évidentes en soi: que tous les hommes sont égaux. Qu’ils ont reçu par le Créateur certains droits inaliénables, Que parmi ces derniers se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Que pour garantir ses droits, s’instituent parmi les hommes des gouvernements qui dérivent leurs pouvoirs légitimes du consentement des gouvernants . Que si un gouvernement s’avère être destructeur de ces principes, le peuple aura le droit de le réformer ou de l’abolir et d’instituer un nouveau gouvernement qui se fonde sur lesdits principes; et d’organiser ses pouvoirs de la manière qui à son jugement offrira les plus grandes probabilités d’atteindre sa sécurité et son bonheur ». Nous confirmons que ces États émergents avancent dans leur histoire en reconnaissant formellement ces facultés humaines qui sont considérées comme des droits naturels. Cette pratique travers l’Atlantique et s’installe l’esprit rénovateur qui amène avec lui la Révolution Française. L’État français né d’un nouveau régime proclame la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (26-08-1789)35. Cette déclaration constitua un des documents fondamentaux élaborés et approuvés par l’Assemblée nationale constituante qui fut convoquée pendant la Révolution Française. Il s’agit d’une déclaration solennelle formulée par les représentants du peuple, comme il apparaît dans la déclaration, des droits naturels et inaliénables de l’Homme. Son premier article reconnaît que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit » et que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune »36. Aussitôt il est déclaré que: « La finalité de toute association politique est la conservation des droits naturels est indispensable à l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sécurité et la résistance à l’oppression »37. Une fois ce principe établi de forme immédiate, le principe de la souveraineté du peuple est proclamé: «Le principe de toute souveraineté réside essentiellement en la Nation. Aucun corps, aucun individu, ne peut exercer une autorité n’émanant pas expressément de cette dernière»38. Une fois présentée l’expérience qui eut lieu de l’autre côté de l’Atlantique et l’expérience française, nous pouvons déduire qu’il existe deux modèles de reconnaissance des droits: l’américain et le français. Cependant, si on inclut les textes anglais cités dans l’épigraphe antérieure, qui n’appartiennent pas à 33 http://es.wikisource.org/wiki/Declaraci%C3%B3n_de_Independencia_de_los_Estados_Unidos_de_ Am%C3%A9rica Début de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis d’Amérique. 35 http://www.fmmeducacion.com.ar/Historia/Documentoshist/1789derechos.htm 36 Art. 1. 37 Art. 2. 38 Art. 3. 34 14 Revista europeană de drept social proprement parlé à « l’histoire » de ces droits mais que nous incluons en suivant une partie de la doctrine et pour être les précurseurs sur beaucoup d’aspects, nous avons un troisième modèle: l’anglais. Chacun d’eux apporte une note distinctive39. Nous allons les traiter chronologiquement. Le modèle britannique apporte un système de protection efficace des libertés civiles, basé sur des normes consuétudinaires du Common Law. Les droits reconnus sont de caractère national, uniquement s’ils sont reconnus par rapport aux droits nationaux et sont des textes normatifs pouvant être invoqués devant les tribunaux et ayant une grande permanence historique. Le modèle américain contribue à la création d’un système de contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois. Il dépasse le rationalisme antérieur et les droits se proclament de tout homme, pas seulement des nationaux. Ce modèle convertit les droits en « facultés universelles, absolues, inviolables et indispensables, issues de la nature »40. Le modèle français apporte le développement doctrinal des droits subjectifs des citoyens, en les considérant inhérents à la nature humaine et à ceux à qui doit se sommettre le droit positif. On distingue l’homme, en tant qu’individu humain, du citoyen, en tant que membre d’une communauté politique. Ainsi deux types de droits seront reconnus: ceux de l’homme dans le cadre de l’exercice d’une vie individuelle face au pouvoir de l’État et ceux du citoyen dans le cadre des facultés de participation dans le gouvernement de la société. À ces trois modèles, on peut ajouter le modèle espagnol de l’École de Salamanque, cité, comme l’anglais, dans la section antérieure comme appartenant à la préhistoire de ces droits. Néanmoins, le modèle espagnol, plus qu’un modèle de reconnaissance, est un modèle de revendication et de déclaration de droits qui, en principe, ne contient pas d’instruments juridiques. Il s’agit de réflexions philosophiques et théoriques sur l’homme, sa nature et les facultés qui doivent lui être reconnues. Il s’agit de réflexions pragmatiques qui furent en avance sur leur temps en défendant les droits personnels des indigènes des nouvelles terres découvertes. Il est également vrai que ce modèle fut fondé sur plusieurs textes légaux cités précédemment, c’est pourquoi il peut être considéré comme un quatrième modèle. Une note commune à toutes les déclarations du XVIIe et du XVIIIe siècle se révèle dans la grande influence qu’eurent sur elles les transformations sociales et économiques de la bourgeoisie. C’est pendant la grande révolution que s’est développée une bourgeoisie qui a lancé une conscience revendicatrice des Droits de l’Homme. En suivant ce courant, ce sera également en France où s’effectuera, quelques années plus tard, un pas significatif dans la reconnaissance de ces droits par les États: sa constitutionnalisation. Dans la constitution française de 1791, la 39 Sur cette classification, voir l’intéressant travail de la professeure Consuelo Maqueda, « Los Derechos Humanos en los orígenes del Estado Constitucional », en GÓMEZ SÁNCHEZ, Y., Pasado, presente y futuro…, op. cit., p. 200-201 40 PÉREZ LUÑO, A. E., Los Derechos…, cit., p.35-36. 15 Revue europénnee du droit social déclaration mentionnée est adoptée comme préambule. Pour de nombreux auteurs, c’est à partir de ce fait historique que commence réellement la positivation des Droits de l’Homme. Le premier titre affirme que la Constitution garantit les droits naturels et civils, puis ces droits sont déclarés. a- En premier lieu, Il est déclaré que les droits apparaissant comme des manifestations d’égalité (égalité d’accès à l’emploi, de répartition des charges face à la loi). b- En second lieu, certaines expressions de la liberté sont reconnues (liberté de mouvement, de communication et de pensée, de réunion et de demande aux autorités). c- En troisième lieu, l’inviolabilité de la propriété est reconnue. d- En quatrième lieu, l’élection des ministres du culte. f- En sixième lieu l’éducation publique. Certains auteurs considèrent que c’est à cette époque et avec ce texte que le futur des Droits de l’Homme s’est joué. Avec ce dernier, s’est initié un processus caractérisé, en premier lieu, par une tension entre l’individu et l’État et, en second lieu, par une lutte pour parvenir à un État qui respecte la dignité de l’homme et ses droits. L’être humain en tant qu’individu a pris conscience de sa situation face au pouvoir politique et arbore ses revendications face à l’État, en mettant tout en oeuvre pour que ce dernier le respecte et instaure les mécanismes et les instruments adéquats pour considérer que ces droits sont efficaces et peuvent être mis en pratique. À partir de ce moment et tout au long du XXe siècle inclure la reconnaissance des droits dans les textes constitutionnels deviendra une pratique courante. Les constitutions de divers États contiendront un élan de droits reconnus, dont l’exercice et la protection se développeront dans la législation ordinaire. 1. Modes de reconnaissance des droits par l’État. À l’heure de reconnaître et de protéger les Droits de l’Homme, les États ont utilisé divers mécanismes: déclarations, cartes des droits, reconnaissance à travers leur loi constitutionnelle, etc. Cela a commencé par les grandes déclarations de Droits, puis, ensuite cela à conduit à leur positivation dans des textes normatifs des droits. Ainsi, dans cette section, nous allons différencier les niveaux de reconnaissance, les phases de la reconnaissance et climats d’accentuation de certains droits. Niveaux En suivant les diverses techniques de reconnaissance de l’État et en essayant de les systématiser, quelques auteurs différencient plusieurs niveaux et modes de reconnaissance. Depuis l’expérience française et de façon spéciale, tout au long du XXe siècle, la pratique la plus courante a été la déclaration constitutionnelle de ces derniers. Il s’agit là du premier niveau de reconnaissance et de protection des droits: le niveau constitutionnel. À travers lui, les États intègrent les droits à leur texte constitutionnel, dans certains cas sous la forme de déclarations introductives et dans d’autres cas au sein de l’article de sa norme fondamentale 16 Revista europeană de drept social (comme nous le verrons par la suite). Ce niveau a supposé une manière de convertir les Droits de l’Homme en principes qui orientent tout le système juridico-politique d’un pays. Cependant, les États ont perfectionné cette technique initiale avec d’autres procédés et mécanismes de reconnaissance des droits. Ainsi, la voie vers le second niveau fut établie par la législation ordinaire. Pour ce système, les droits déclarés de façon générique par la norme suprême se développent et protègent de manière plus concrète et directe par le biais de normes issues du pouvoir législatif. Des lois qui développent certains droits constitutionnels et qui facilitent leur application immédiate sont promulguées. Cela est le résultat de la structure pyramidale du système normatif: au sommet de la pyramide se trouve la Constitution qui est développée et se concrétise au niveau du deuxième échelon, la législation ordinaire. Mais, comme il est coutume en matière de pratique juridique, le pouvoir exécutif (niveau exécutif) se voit parfois dans l’obligation d’intervenir pour délimiter et réguler l’exercice de certains droits à travers des décrets, des normes réglementaires, des ordres ministériels, etc., ayant également pour fonction de réguler et protéger certains droits. Enfin, le pouvoir judiciaire (niveau judiciaire) est reconnu dans la plupart des cas pour sa faculté à interpréter la portée et le contenu des droits fondamentaux concernant les aspects sur lesquels les textes légaux s’avèrent être peu précis ou incomplets. Sur ce qui a été évoqué précédemment, nous pouvons conclure qu’il existe quatre niveaux de reconnaissance et de protection des droits de la part de l’État: le niveau constitutionnel, le niveau de la législation ordinaire, le niveau exécutif et le niveau judiciaire41. Dans le cadre du premier niveau, le constitutionnel, la positivation et la reconnaissance des Droits de l’Homme par l’État, selon l’opinion de certains auteurs, peuvent être mené à bien par le biais de deux systèmes: via des clauses générales ou l’énoncé de grands principes (liberté, dignité, égalité, …) et via des normes spécifiques qui développent ou proclament des droits concrets. Entre les deux, il existe une voie intermédiaire (système mixte), rendue possible par certains textes constitutionnels qui, après avoir recueilli des grands principes dans le préambule, développent un élan de droits au sein de ses articles (principes et normes). Si nous prenons un exemple concret, nous pouvons affirmer qu’en Espagne, le système mixte fut imposé en combinant les principes généraux et les normes spécifiques. Ainsi, notre texte constitutionnel emploie cinq instruments de positivation, deux s’insérant dans le cadre des principes et trois dans celui des normes42: 41 Sur les différents niveaux de positivation des Droits de l’Homme, voir : PÉREZ LUÑO, A.E., Derechos Humanos, Estado de Derecho y Constitución, Madrid, Tecnos, 2003, octava edición, p. 65-108. 42 Ibidem, p. 66-71. 17 Revue europénnee du droit social Dans les principes, nous trouvons43: a- Les valeurs et les principes constitutionnels du programme. Il s’agit de valeurs et de principes considérés fondamentaux. Ils sont recueillis dans le préambule de la Constitution et dans l’article 1.1 et sont: la justice, la liberté, la sécurité, le bien commun, la protection des Droits de l’Homme, la promotion de la culture, la promotion de l’économie, la qualité de vie et le pluralisme politique. b- Les principes constitutionnels pour l’intervention des pouvoirs publics. Cela englobe tous les principes dont la finalité et d’orienter les pouvoirs publics et de délimiter le cadre d’exercice de tous les droits fondamentaux. Cette section inclut l’article 9,2 (la promotion pour les pouvoirs publics des conditions qui facilitent la liberté et l’égalité, ainsi que l’élimination des obstacles qui empêchent leur plénitude et facilitent la participation de tous les citoyens). L’article 10 (la dignité de la personne est la base de l’ordre politique et de la paix sociale. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, les traités et les accords internationaux qui seront les critères d’interprétation des droits reconnus dans la Constitution). Les articles 39 à 52 (principes directeurs de la politique sociale et économique). Dans le cadre des normes spécifiques, il existe trois mécanismes de positivation: • Les normes ou les clauses générales à développer par le biais des lois organiques. La Constitution espagnole recueille expressément de nombreux droits (pas de principes ni valeurs) et les renvoie à la législation suivante afin de les développer et de délimiter leur contenu. (l’Habeas Corpus, la limitation de l’utilisation de l’informatique, l’exemption de l’obligation de déclarer sur des faits présumés délictueux, les droits de grève, de droits de pétition, le régime marital, le statut des travailleurs, les collèges professionnels, les conventions et les conflits du travail, etc.). • Les normes spécifiques ou casuistiques. Notre texte constitutionnel recueille également de façon explicite des droits sans les rapporter à une réglementation postérieure qui développe ces derniers. De là, on déduit que sa portée et son contenu se trouvent au sein même de la constitution et seront d’application directe face au tribunal constitutionnel par le biais du recours d’amparo (art. 53,1 et 2) ou d’application indirecte face à ce même tribunal par le biais du recours institutionnel. Dans le cadre de l’application directe se trouvent: l’égalité face à la loi et la nondiscrimination (art. 14). Le droit à la vie et à l’intégrité physique et morale (art. 15). La liberté religieuse, idéologique et de culte (art. 16). La liberté et la sécurité (art. 17). Le droit à l’honneur, à l’intimité personnelle et familiale et à l’image (art. 18). Le droit à la libre élection de résidence et de circulation (art. 19). La liberté d’expression, la liberté 43 Cela a déjà été traité par l’auteur dans « Principios, normas y valores (II): El papel de la jurisdicción constitucional. La aplicación normativa directa de la Constitución », en DE CASTRO CID, B., et MARTÍNEZ MORÁN, N., 18 lecciones de Filosofía del Derecho, Madrid, Universitas, 2008, p. 109-110. 18 Revista europeană de drept social de recherche, la liberté d’enseigner (art. 20). Le droit de réunion et d’association (art. 21 et 22) Le droit de participer aux affaires publiques (art. 23), etc. Dans le cadre de l’application indirecte figurent: les droits de propriété et d’héritage (art. 33). La liberté d’entreprise (art. 38), etc. • Les normes de tutelle. En complétant les instruments et les mécanismes antérieurs pour reconnaître les Droits de l’Homme, notre Constitution introduit des normes de protection de ces derniers telles que: la possibilité de faire appel à des tribunaux ordinaires en procédures de préférence et sommaire et au tribunal constitutionnel pour un recours d’amparo (art. 53). L’existence de l’institution du Défenseur du Peuple (art. 54). Le recours d’inconstitutionnalité (art. 161), etc. En laissant de côté le cas espagnol qui nous a servi d’exemple ponctuel et après analyse des différentes techniques qu’ont suivies les États pour reconnaître y protéger les droits, nous pouvons conclure qu’il a existé différentes phases tout au long de l’histoire dans la reconnaissance des Droits de l’Homme. Phases Au sein même de la phase de reconnaissance des Droits de l’Homme par l’État, nous pouvons différencier différents échelons à titre de sous phases. La première est la phase des déclarations solennelles. Il s’agit de documents très formels qui proclament des droits individuels mais qui possèdent uniquement une valeur formelle sans application pratique et effective. En second lieu naît l’étape de la constitutionnalisation des droits et; dans le cadre de la reconnaissance constitutionnelle, il existe deux techniques: recueillir les droits dans le préambule des constitutions ou dans leurs articles ce qui leur confère une plus grande valeur juridique. La troisième phase, qui est celle dans laquelle nous nous trouvons, utilise tous les mécanismes juridiques (constitutionnalisation, réglementation émanant du pouvoir législatif, normes dictées par le pouvoir exécutif, tutelle judiciaire) pour rendre effectif les droits. Climats d’accentuation Dans la phase que nous sommes en train de traiter, concernant la reconnaissance des Droits de l’Homme par l’État, il a eu différentes époques historiques. Tout d’abord il y a eu un climat qui a favorisé tous les droits individuels. Ce qui primait, c’était l’individu et sa protection. Puis, la deuxième époque a consisté en une attaque virulente de tous ces doits, sous la prémisse que le plus important était le Droit organisationnel de toute la structure sociale et non les droits des individus. Cette attaque se produit à la fin du XIXe siècle et perdure jusqu’à la fin du XXe siècle. Ce climat a conduit à affirmer que le Droit objectif primé sur le Droit subjectif. 19 Revue europénnee du droit social Les derniers temps ont amené à reconsidérer le fait que le noyau central de tout ordre juridique est construit pour les droits et libertés des personnes. C’est à partir de là que certains auteurs parlent du passage de l’État de Droit à l’État de droits, en considérant que la pierre angulaire de l’édifice de cet État est la reconnaissance des droits de la personne. Nous sommes dans le troisième moment. Cette renaissance des droits suppose un retour aux thèses du rationalisme de l’illustration que nous pouvons résumer par les trois éléments suivants: a- les droits individuels sont considérées comme étant antérieurs à l’État et leur validité ne dépend pas de la reconnaissance de l’État. b- Les droits de participation politique des citoyens sont la base de la légitimité politique. c- La tutelle des droits exige l’existence d’instruments juridiques la rendant possible. Néanmoins, tout ce processus de reconnaissance des Droits de l’Homme par l’État peut être caractérisé par des notes communes que nous allons analyser dans la section suivante. 2. Caractéristiques de la première phase de la reconnaissance des Droits de l’Homme Nous pouvons constater, avec certains auteurs, que lorsque les États commencent à recueillir ces droits dans leurs ordres internes, les notes suivantes propres à ce processus seront données: - En principe, les déclarations de droits sont très solennelles et recherchées. Ce sont des déclarations « sentencieuses » et littéraires. Elles recueillent les grands principes et contiennent des affirmations dogmatiques. Avec le temps et en concordant avec la positivation des droits, le langage sera simplifié et plus technique, le rendant plus juridique et à travers lui, les Droits de l’Homme seront recueillis et régulés. - Les droits sont proclamés en tant que principes de base de la trame sociale. Ces droits sont déclarés être les guides qui orienteront la construction d’une société. Le début des textes pose l’existence d’une organisation sociale à l’origine de la reconnaissance de l’élan de droits et de principes. La reconnaissance constitutionnelle des droits propose une nouvelle approche des principes organisationnels de la société, des fonctions de l’État et de l’exercice du pouvoir politique. Les droits acquièrent une importance fondamentale au sein de l’ordre juridique de chaque organisation de l’État. Toute la structure de l’État se construira sur les fondements de la reconnaissance des droits de la personne. - En étant reconnus par l’État, les droits auront une portée strictement interne à l’État qui les reconnaît. Chaque État s’engage à protéger et à soutenir ses citoyens, même s’il arrive un moment où la reconnaissance des droits est universelle et se proclame à tout homme. Tout cela résulte du fait que chaque communauté politique possède une juridiction uniquement sur son propre territoire et sur ses citoyens, bien que peu à peu, la protection s’étendra à n’importe quel individu se trouvant sur son espace territorial. 20 Revista europeană de drept social - Les droits reconnus par les États passent par deux époques: ils sont premièrement considérés comme des facultés naturelles à caractère présocial, abstrait et absolu. L’homme, antérieurement à sa vie en société, est porteur de facultés qui lui correspondent de par sa nature, dont personne ne peut le priver et l’État est obligé de les respecter. Dans la deuxième époque, ces droits seront considérés propres aux citoyens que l’État reconnaît et protège. Dans cette étape suivante, les facultés sont déjà acceptées en tant que facultés sociales, elle sont détenues car accordées et reconnues par l’organisation politique à travers son système. - Le bloc de droits reconnus passe par trois phases. Premièrement, sont reconnus les droits d’autonomie individuelles face à l’État. Deuxièmement, sont reconnus les droits de participation active des citoyens dans la politique de l’État. Troisièmement, seront recueillis les droits économiques, sociaux et culturels. C’est l’existence de ces phases qui a permis à de nombreux auteurs de se référer aux générations des Droits de l’Homme, en parlant de la première, seconde, troisième et quatrième génération. - Les droits reconnus ont une triple fonction: garantir l’autonomie individuelle en tant que citoyens. On commence à parler des droits de l’homme pour restreindre et même éliminer les lignes arbitraires des principes et du pouvoir, en se basant sur la capacité autonome et libre de chaque individu. Avec le temps, l’exercice du pouvoir sera légitime que s’il reconnaît, respecte, protège et garantit l’exercice de ces droits. De nos jours, le degré de légitimation d’un pouvoir est donné par les instruments juridiques dans lesquels les Droits de l’Homme sont développés et protégés. Voilà les différentes notes qui accompagnent la reconnaissance des Droits de l’Homme par l’État. Nous pouvons conclure ce travail en affirmant et en réitérant que cette phase et le fruit d’une forte tension entre les individus et l’État, qui conduit à une nécessité de créer un modèle qui respecte la dignité humaine et les droits qui dérive de cette dernière. Cela s’est traduit par un pas très important à l’heure de voir les facultés humaine garanties et protégées au sein de l’organisation sociale; face au pouvoir et face au reste des individus de la société. Tout au long de ce processus, il est impossible de passer outre certains évènements qui ont stimulé et défié diverses sociétés au nom du commencement de la reconnaissance: certains textes médiévaux des royaumes de Castille et León, la pensée et l’oeuvre de l’École Espagnole de Salamanque, les textes juridiques anglais, les textes du mouvement indépendantiste d’Amérique, la Révolution Française, etc. Ces évènements ont forcé divers ordres juridiques à recueillir dans leur réglementation la reconnaissance de facultés inhérentes à la nature des hommes. Lorsque les États empruntèrent cet important chemin vers la reconnaissance dans leurs ordres des droits des individus, ils posèrent la première pierre de l’édifice des Droits fondamentaux de l’Homme. Cela facilita le fait que les phases postérieures emboîtèrent le pas à un environnement de communautés politiques de droit et ce fut les organismes internationaux qui 21 Revue europénnee du droit social procédèrent à la déclaration, à la reconnaissance et à la protection des droits mentionnés. Cela facilita également le fait que la reconnaissance et la protection ne dépendaient plus uniquement de l’autorité de l’État vis-à-vis de ses citoyens. À partir de ces données, il a été possible de protéger l’homme de façon intégrale indépendamment du lieu où il se trouvait et de l’État duquel il était citoyen. Nous nous approchons, bien que nous en soyons encore assez loin, de l’existence d’une juridiction universelle ayant pour but la protection des hommes. Les pas donnés jusqu’à aujourd’hui ont été très importants et nous nous dirigeons vers la mondialisation des Droits de l’Homme. Dans nos sociétés du XXIe siècle, dans lesquelles furent imposées la culture mondialisée, dans lesquelles les frontières sont tombées1 et dans lesquelles un modèle de société unitaire composé d’une mosaïque de cultures s’est développé, il sera possible de parler de la mondialisation en des termes positifs que si elle envisage l’universalisation effective de ces droits. Ce n’est que si les nouvelles structures sociales internationales parviennent à respecter et à donner une dignité à tous les hommes et les femmes qu’il sera alors possible de parler d’un monde justement mondialisé. Dans cette tâche, comme nous l’avons déjà évoquée, la reconnaissance des droits par les États a supposé un évènement historique totalement révolutionnaire qui a changé les structures juridiques de nos sociétés. Mais encore de nos jours, nous constatons qu’il existe encore des États dans lesquels ce pas n’a pas encore été donné et il est indispensable qu’il se produise sans délations supplémentaires. C’est en étendant le dynamisme de cette reconnaissance à tous les États et à toutes les cultures que nous parviendrons à mondialiser les droits et par conséquent à un processus de mondialisation plus juste. 1 La perméabilisation des frontières s’est produite sur certains aspects, mais pas tous. Comme réaction défensive de certaines sociétées, le phénomène de la mondialisation a causé, au contraire, la fortification des certaines frontières et la réapparition de nationalismes et de régionalismes. 22 Revista europeană de drept social TABLEAU RÉCAPITULATIF Étape RECONOCIMIENTO ESTATAL Technique de reconnaissance NIVEAUX: - Niveau constitutionnel: - Clauses générales - Normes spécifiques - Système mixte - Niveau législatif - Niveau exécutif - Niveau judiciaire PHASES: - Déclarations solennelles - Constitutionnalisation - Préambule - Articles - Mécanismes juridiques multiples, (constitution, loi ordinaire, réglementation pouvoir exécutif, protection judiciaire, etc.) CLIMATS: 1. Sublimation des droits individuels 2. Attaque aux droits individuels 3. Sublimation du droit objectif 4. Droits et libertés personnelles Documents La déclaration des droits du bon peuple de Virginia La déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique Documents antérieurs Grande Chartre de Jean sans Terres Grande Chartre leonesa d’Alphonse a IX de León Constitution d’Avila Édit de Nantes La déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen Acte de tolérance du Maryland Lettre de Rhode Island Constitution française de 1791 Lois de Burgos Certificat de Fernand le Catholique Constitutions du reste des États Le décret de Charles 1er sur l’esclavage des Indiens Lois Nouvelles Petition of Rights Habeas Corpus Bill of Rights 23 Revue europénnee du droit social Bibliographie: - 24 DE CASTRO CID, B. (dir.), Introducción al estudio de los Derechos Humanos, Madrid, Universitas, 2003, p. 49-50 et 186-193. GÓMEZ SÁNCHEZ. Y. (coord.), Pasado, presente y futuro de los derechos humanos, Comisión Nacional de los Derechos Humanos de México-UNED, México, 2004, p. 159205. MARTÍNEZ MORÁN, N., « Aportaciones de la Escuela de Salamanca al reconocimiento de los derechos humanos », Cuadernos Salmantinos de Filosofía, XXX, 2003, p. 491-520. PÉREZ LUÑO, A. E., Derechos Humanos, Estado de Derecho y Constitución, octava edición, Madrid, Tecnos, 2003, p. 65-108. PÉREZ LUÑO, A. E., La tercera generación de Derechos Humanos, Navarra, ThomsonAranzadi, 2006, p. 25ss. PÉREZ LUÑO, A. E., Los Derechos Fundamentales, Madrid, Tecnos, 1984, p. 29ss. PÉREZ LUÑO, A. E., « Los clásicos iusnaturalistas españoles », en PECES-BARBA MARTÍNEZ, G., y FERNÁNDEZ GARCÍA, E. (dir.), Historia de los Derechos Fundamentales (tomo I: tránsito a la modernidad siglos XVI y XVII), Madrid, Dykinson, 1998, p.507-569. Revista europeană de drept social EL ANHELO DE UN SOLO GÉNERO. EL HUMANO Pedro SANTIAGO Universidad Nacional Education a Distancia Madrid Résumé: Il existe des différences entre les genres, constitutive des relations sociales fondées sur les différences qui distinguent les sexes et la sexualité, qui est définie par les questions liées avec qui un individu a t´il des relations sexuelles, comment, pourquoi et dans quelles circonstances, et quels en sont les conséquences. Le pouvoir joue un rôle fondamental dans les deux concepts, d'abord, dans les relations entre les genres favorise les hommes, et d'autre part, dans les relations sexuelles, détermine la manière dont la sexualité est exprimée et vécue. Le contrôle que les gens ont sur leur propre vie et leurs choix sexuels est affectée par les règles et les valeurs fondées sur le genre qui défini la masculinité où la féminité. Notre conduite est basée presque constamment sur des normes qui font office de modèles. En sociologie c´est ce qu'on appelle l'orientation normative de l'action, c'est à dire, orienté vers l'action conformément aux normes où règles collectives. Les droits sexuels sont des droits universels de l'homme fondé sur la liberté, la dignité et l'égalité de tous les êtres humains. En cherchant à harmoniser des intérêts contradictoires, nous fournissons des lois et des instruments nécessaires au respect de ceux-ci, pour le maintien du bien commun. Mots clés: Les droits sexuels, différences entre les genres, sexes, sexualité, droits sexuels, droits universels. 1. INTRODUCCIÓN Ya en 1948 la declaración Universal de los Derechos del Hombre en su preámbulo se establecía que: la libertad, la justicia y la paz en el mundo tienen por base el reconocimiento de la dignidad intrínseca y de los derechos iguales e inalienables de todos los miembros de la familia humana; que el desconocimiento y el menosprecio de los derechos humanos han originado actos de barbarie ultrajantes para la conciencia de la humanidad, se ha proclamado, como la aspiración más elevada del hombre, el advenimiento de un mundo en el que los seres humanos, liberados del temor y de la miseria, disfruten de la libertad de palabra y de la libertad de creencias, considerando esencial que los derechos humanos sean protegidos por un régimen de Derecho, a fin de que el hombre no se vea compelido al supremo recurso de la rebelión contra la tiranía y la opresión, que los pueblos de las Naciones Unidas han reafirmado en la Carta su fe en los derechos fundamentales del hombre, en la dignidad y el valor de la persona humana y en la igualdad de derechos de hombres y mujeres, y se han declarado resueltos a promover el progreso social y a elevar el nivel de vida dentro de un concepto más amplio de la libertad; proclama la Declaración Universal de los Derechos Humanos como ideal común por el que todos 25 Revue europénnee du droit social los pueblos y naciones deben esforzarse, a fin de que tanto los individuos como las instituciones, inspirándose constantemente en ella, promuevan, mediante la enseñanza y la educación, el respeto a estos derechos y libertades, y aseguren, por medidas progresivas de carácter nacional e internacional, su reconocimiento y aplicación universales y efectivos, tanto entre los pueblos de los Estados Miembros como entre los de los territorios colocados bajo su jurisdicción. En base a lo afirmado en este preámbulo y lo referido en el artículo 1 “Todos los seres humanos nacen libres e iguales en dignidad y derechos y, dotados como están de razón y conciencia, deben comportarse fraternalmente los unos con los otros”, y en el artículo 2 “Toda persona tiene todos los derechos y libertades proclamados en esta Declaración, sin distinción alguna de raza, color, sexo, idioma, religión, opinión política o de cualquier otra índole, origen nacional o social, posición económica, nacimiento o cualquier otra condición”, artículo 12 “Nadie será objeto de injerencias arbitrarias en su vida privada, su familia, su domicilio o su correspondencia, ni de ataques a su honra o a su reputación. Toda persona tiene derecho a la protección de la ley contra tales injerencias o ataques”, y tomando en cuenta que las Constituciones de los países Occidentales capitalistas de tradición judeo-cristiana respetan en las mismas esta declaración, trataré de defender como ciudadano de la “polis global” lo que en la Declaración se proclama como “familia humana”, el concepto de un “único género”, el humano, como forma de evitar la confrontación entre los géneros masculino y femenino, y superador de la diferenciación en la que parece que no queremos dejar de estar anclados. No es la finalidad de éste artículo negar las diferencias biológicas entre los componentes de la familia humana que, también existen en el mundo animal del que formamos parte. Hablaremos de la heterogénea construcción social y cultural que nos distingue 2. MASCULINO Y FEMENINO El status1 desigual entre los grupos produce el prejuicio. Al tratar de determinar cómo se crea ese status desigual, se debe tener en cuenta un principio general de la teoría del intercambio: cuando los resultados en términos de ganancias y de costos de dos grupos diferentes se perciben como mutuamente excluyentes, de tal manera que cada grupo puede aumentar sus resultados a costa del otro grupo, los miembros de cada grupo tratarán de proteger o aumentar los resultados de su grupo, es la base de la discriminación y el conflicto. Si los dos grupos son desiguales en poder, establecerán diferentes resultados a no ser que ciertas normas restrinjan la explotación del débil por parte del más poderoso. 1 Backman, S., Psicología social, Mcgraw-Hill, Mexico 1976 26 Revista europeană de drept social Lo que significa masculino y femenino y el tipo de relaciones que existen entre hombres y mujeres son hechos culturales2, es decir que forman parte de las visiones y acuerdos mediante los cuales los miembros de una comunidad perciben y organizan el mundo y funcionan en el diario vivir. “No es la propiedad sino el intercambio el que regula las relaciones sociales entre los sexos, Lévi-Straus ve en la sociedad un conjunto de sistemas organizados a su vez según un orden de cosas, para este autor el principio fundamental según el cual funcionan las sociedades es el de la diferenciación sexual3”. (Perotin-Dumon, 2002; 193) La feminidad es una construcción social, una forma de aplicar las normas de género. La Real Academia de la Lengua Española define el género como conjunto de seres que tienen uno o varios caracteres comunes, mientras que el sexo está determinado biológicamente, el género está determinado culturalmente. Esta determinación cultural favorece e incluso impulsa determinadas ideas de superioridad en el hombre y expectativas de obediencia en la mujer. Hay tres áreas principales en las que la discriminación tiene una especial trascendencia, las relaciones sociales, la educación sexual y el acoso sexual. Es necesario señalar, que ya en 1640, Thomas Hobbes4 ponía en entredicho la autoridad patriarcal, y hablaba por primera vez del carácter convencional de la dominación del varón sobre la mujer. Este aporte de Hobbes se basa para su justificación en la teoría del Contrato Social, es uno de los pocos autores que cuando habla de naturaleza humana, o de los hombres, se está refiriendo a la especie humana y por tanto no está estableciendo ninguna exclusión por género. Para este autor, el dominio del padre sobre sus vástagos, no se produce por efectos de una ley natural, sino como producto de un convenio. Si por derecho natural hay un dominio y una sujección debida, este derecho le pertenece a la madre. El análisis de los conceptos no se entiende sin su relación con los fines humanos, es decir, sin una ética5. Esta ética es necesaria para una adecuada comprensión de la lucha encarnizada que aún siguen y necesitan seguir manteniendo las mujeres en esta sociedad, que sin lugar a dudas ha conseguido grandes avances en la igualdad entre los géneros; pero que no obstante las sigue apartando de la consecución de la plena igualdad. 3. GÉNERO El interés en el género como categoría analítica ha surgido sólo a finales del siglo XX. Está ausente del importante conjunto de teorías sociales formuladas desde el siglo XVIII hasta comienzos del XX. A decir verdad algunas teorías construyeron 2 MacCormack y Strathern, M. (1980), “Nature, Culture and Gender”, Cambridge University Press, New York, 1980 Pérotin-Dumon, A (2002), “La historia de las mujeres”, en htto://www.sas.ac.uk/ilas PNUD (1999) “Informe sobre Desarrollo Humano 1999” Oxford University Press, New York , 1999 4 Hobbes, T.(1979) “Elementos de Derecho Natural y Político”, Centro de Estudios Constitucionales, Madrid 5 Villorrio, L. (1982), “Crecer, saber, conocer”, Siglo XXI, México 3 27 Revue europénnee du droit social su lógica sobre analogías a la oposición hombre y mujer, otras reconocieron una cuestión de mujer y otras, por último, se plantearon la formación de la identidad sexual subjetiva, pero en ningún caso hizo su aparición el género como forma de hablar de los sistemas de relaciones sociales o sexuales. El género es un elemento constitutivo de las relaciones sociales basadas en las diferencias que distinguen los sexos y el género, es una forma primaria de relaciones significantes de poder. El género debe redefinirse y reestructurarse en conjunción con una visión de igualdad política y social que comprende no sólo el sexo, sino también las clases y la raza. Las expresiones más radicales sobre la igualdad de los géneros, nacieron y se gestaron desde los momentos más tempranos de la Ilustración, mientras que posteriormente se desarrollaron unas reacciones virulentas por parte de la mayoría de sus portavoces. Siguiendo a Verena Stolke6 podemos encontrar la afirmación de que la palabra género se introdujo por parte de sexólogos y psicólogos americanos en los años 1950, con la intención de distinguir el sexo anatómico del género social. Esa construcción biomédica de género es relevante para entender las dificultades epistemológicas en la teoría feminista. El género abarca todos los rasgos que la cultura atribuye e inculca a hombres y mujeres, es decir, el género se refiere a la construcción cultural de las características masculinas y femeninas. “La naturaleza biológica de hombres y mujeres debería ser vista no como un estrecho recinto limitador del organismo humano, sino, más bien como una amplia base sobre la que puede construirse toda una variedad de estructuras7”. Esta sociedad está organizada sobre unos estereotipos masculinos y femeninos a los que hemos de supeditarnos unos y otras, teniendo en cuenta que los estereotipos cumplen dos funciones: la primera, facilitar la clasificación y especificación de los objetos y hechos, esto es, agilizar nuestros procesos mentales; y en segundo lugar, y ya en una dimensión social, afirmar el propio grupo, diferenciándolo de los demás, a los que generalmente se les descalifica, en un afán de cohesión y protecciones colectivas.(Buceta 1992). El género se define como el dominio psicológico, social y cultural de la condición de varón y mujer. El género es una construcción social y un sistema de significados multidimensional que incluye a la identidad de género, tanto personal como social. La identidad de género se interpreta incluyendo componentes de la identidad personal y de la identidad social, esto es, la persona tanto en su vertiente individual como cultural. La identidad de género ha sido definida como la uniformidad, unidad y persistencia de la individualidad de una persona como varón o mujer (o ambivalente) en mayor o menor grado, en especial si se experimenta como autoconciencia y conducta. 6 Stolke, V. (2004). “La mujer es puro cuento: La cultura del género”, en Revista Estudios Feministas, vol.12, número 002, Rio de Janeiro, Brasil 7 Friedl, E. (1975), “Woman and Men: An Anthropologist´s View”, Rinehart y Wiston, New York 1975 28 Revista europeană de drept social Las personas tienen varios atributos que difieren en su visibilidad o diferenciación. La sociedad escoge ciertos atributos como medios de identificación de varias categorías de personas y desprecia otros. Estos atributos pueden ser físicos, pueden estar relacionados con la participación en un grupo, organización o sociedad, como afiliaciones ocupacionales, religiosas o nacionales; o aún pueden estar basados en ciertos patrones comportamentales, Campbell en 1967, citado en (Backman, S, 1976)8 sugiere que cuanto mayor sea el contraste entre dos grupos en un cierto atributo, mayor será la posibilidad de que este atributo aparezca en la imagen estereotipada que cada uno tiene del otro. Esto sucede tanto en los atributos que identifican a un grupo como en las características del estereotipo en sí. 4. SEXUALIDAD VERSUS GÉNERO Pensamos, hablamos y nos relacionamos dentro de un contexto social determinado. Por ello, de la misma forma que ese contexto social nos puede condicionar, también lo podemos construir o utilizar según nuestros intereses e intenciones: cada uno de nosotros podemos construir nuestro mundo. A veces, algunos pretenden construir mundos para los demás, sin dejar sitio a la elección o decisión personales9. Siguiendo a José Antonio Nieto y Según Stoller el sexo se refiere a los componentes biológicos que incluyen, cromosomas, genitales externos, gónadas, aparato sexual interno, estado hormonal, características sexuales secundarias e incluso el cerebro. De manera general incluye los genitales y otras características fisiológicas adscritas a varones o mujeres. La teorización de la sexualidad humana10 se ha convertido en una tarea básica para los teóricos sociales dedicados a la elaboración de nuevas teorías de la persona, la identidad y la corporalidad humanas. El nuevo pensamiento sobre sexualidad humana ha surgido de una amplia y diversificada serie de campos políticos e intelectuales: del feminismo radical de los gays, las lesbianas y de la teorización queer, que plantea la hipótesis sobre el género, afirmando que la orientación sexual y la identidad sexual o de género de las personas, son el resultado de una construcción social y que, por lo tanto, no existen papeles sexuales esenciales o biológicamente inscritos en la naturaleza humana, sino formas socialmente variables de desempeñar uno o varios papeles sexuales. La Sexualidad11 es distinta al género aún cuando ambos conceptos se encuentran altamente vinculados. La sexualidad de un individuo está definida por 8 9 10 11 Backman, S., Psicología social, Mcgraw-Hill, Mexico 1976 Castro Nogueira, L., Castro Nogueira, M.A., y Morales Navarro, J., Metodología de las Ciencias Sociales. Una Introducción Critica, Tecnos, Madrid, 2008 Rival, L.; Slater, D. y Miller, D.(2003). “Sexo y sociedad. Etnografías comparativas de objetivación sexual, en : Nieto, J.A. “Antropología de la sexualidad y diversidad cultural” Talasa, Madrid Consejo Internacional de Organizaciones con Servicios en SIDA (ICASO), en http://www.icaso.org/publications/genderreport_web_ESP_080505.pdf 29 Revue europénnee du droit social aspectos relacionados con quien tiene relaciones sexuales, de qué manera, por qué y bajo qué circunstancias, así como con qué tipo de consecuencias. Es más que un comportamiento sexual, es un concepto multidimensional y dinámico. Las reglas explícitas e implícitas impuestas por la sociedad, definidas por el género, edad, estatus económico, etnicidad y otros factores, influyen en la sexualidad de la persona. En cada sociedad hay una multitud de sexualidades. El poder es fundamental tanto para la sexualidad como para el género. La balanza desigual de poder en las relaciones de género, que favorece a los hombres, se traduce en un desequilibrio en las relaciones heterosexuales en las que el placer del hombre reemplaza al placer de la mujer y en donde el hombre tiene un mayor control que la mujer sobre cuándo, dónde y cómo tiene relaciones sexuales. Asimismo, las dinámicas de poder son críticas para entender la sexualidad. El poder afecta cualquier tipo de relación sexual (heterosexual, homosexual o transgénero) y determina cómo la sexualidad es expresada y vivida. El poder decide quién tiene prioridad en el placer, así como cuándo, cómo y con quién se tienen relaciones sexuales. Las minorías sexuales están compuestas por personas cuyas sexualidades y comportamientos y/o prácticas sexuales no coinciden con lo que es considerado como una normativa social o con lo que es aceptable socialmente. Las mismas incluyen, entre otros, a hombres gay, hombres bisexuales, lesbianas, mujeres bisexuales, personas transgénero y transexuales. En muchas sociedades, esas poblaciones están altamente estigmatizadas y existen en un entorno de marginalización, desigualdad, discriminación, criminalización, opresión y violencia. El control que tienen las personas sobre sus propias vidas y alternativas sexuales está, al mismo tiempo, afectado por las normas y valores basados en el género que definen la masculinidad y feminidad. Esas normas y valores de género, culturalmente definidos, evolucionan a través del proceso de socialización que comienza en las primeras etapas de la infancia. La religión y las creencias religiosas forman las bases de la vida comunitaria en la mayoría de las sociedades. La religión consagra las directrices éticas de muchos aspectos de nuestra vida diaria y también orienta las creencias y normas que rodean a la sexualidad. La mayoría de las creencias moldeadas por las religiones prohíben el sexo antes del matrimonio, los anticonceptivos, incluyendo el uso de condones, y la homosexualidad. Algunas religiones también consagran un rol sumiso de la mujer, alimentan la desigualdad de género en las relaciones matrimoniales y promueven la ignorancia de las mujeres en temas sexuales como un símbolo de pureza. Como breves definiciones aclarar qué entendemos por sexo: Carácter de los seres orgánicos por el cual pueden ser macho o hembra, y por sexualidad: Circunstancia de tener uno u otro sexo. Conjunto de fenómenos biológicos, psicológicos, sociales, etc., relativos al sexo. La sexualidad no debe ser reducida a la genitalidad y actividad coital; la sexualidad se expande a todo el cuerpo, a los sentidos, emociones, deseos y fantasías. Además involucra aspectos biológicos, emocionales, sociales, culturales, éticos y filosóficos. Si bien las personas nacen con una determinada carga genética que define 30 Revista europeană de drept social su sexo biológico, el proceso a través del cual se llega a asumir la propia sexualidad como una dimensión personal y relacional, se ve fuertemente ligado a condiciones del medio ambiente y a las relaciones interpersonales, en especial las relaciones afectivas que se establecen a través del tiempo. De esta forma, la sexualidad es una dimensión constitutiva de las personas, que comienza y termina conjuntamente con la vida. Los derechos sexuales son derechos humanos universales basados en la libertad, dignidad e igualdad inherentes a todos los seres humanos. Y dado que la salud es un derecho humano fundamental, la salud sexual debe ser un derecho humano básico, pues es esencial para el bienestar individual, interpersonal y social. La Declaración del XIII Congreso Mundial de Sexología, 1997, Valencia, España. Revisada y aprobada por la Asamblea General de la Asociación Mundial de Sexología (WAS) el 26 de agosto de 1999 en el XV Congreso Mundial de Sexología, Hong Kong, República Popular China, plantea una serie de derechos, como son: Derecho a la libertad sexual: establece la posibilidad de la plena expresión del potencial sexual de los individuos y excluye toda forma de coerción, explotación y abuso sexual en cualquier etapa y situación de la vida. Derecho a la autonomía, a la integridad y a la seguridad sexual del cuerpo: incluye la capacidad de tomar decisiones autónomas sobre la propia vida sexual en un contexto de ética personal y social; están incluidas también la capacidad de control y disfrute de nuestros cuerpos, libres de tortura, mutilación o violencia de cualquier tipo. Derecho a la privacidad sexual: legitima las decisiones y conductas individuales realizadas en el ámbito de la intimidad, siempre y cuando no interfieran con los derechos sexuales de otros. Derecho a la igualdad sexual: se opone a cualquier forma de discriminación relacionada con el sexo, género, preferencia sexual, edad, clase social, grupo étnico, religión o limitación física o mental. Derecho al placer sexual: prerrogativa al disfrute y goce sexual (incluyendo el autoerotismo), fuente de bienestar físico, intelectual y espiritual. Derecho a la expresión sexual emocional: abarca más allá del placer erótico o los actos sexuales y reconoce la facultad a manifestar la sexualidad a través de la expresión emocional y afectiva como el cariño, la ternura y el amor Derecho a la libre asociación sexual: permite la posibilidad de contraer o no matrimonio, de divorciarse o de establecer cualquier otro tipo de asociación sexual responsable. Derecho a la toma de decisiones reproductivas libres y responsables: comprende el derecho a decidir tener hijos o no, el número y el tiempo a transcurrir entre cada uno, y el acceso pleno a los métodos para regular la fecundidad. Derecho a la información sexual basada en el conocimiento científico: demanda que la información sexual sea generada a través de procesos científicos y éticos, que sea difundida de forma apropiada y que llegue a todas las capas sociales. Derecho a la educación sexual integral: solicita la impartición de la educación sexual durante toda la extensión de la vida, desde el nacimiento hasta la vejez, y exhorta a la participación de todas las instituciones sociales. 31 Revue europénnee du droit social Derecho a la atención de la salud sexual: conlleva la prevención y el tratamiento de todos los problemas, preocupaciones, enfermedades y trastornos sexuales. Del mismo modo nuestra Constitución en su artículo 10.1 refiere que: La dignidad de la persona, los derechos inviolables que le son inherentes, el libre desarrollo de la personalidad, el respeto a la Ley y a los derechos de los demás son fundamento del orden político y de la paz social. Así mismo en el artículo 10.2: Las normas relativas a los derechos fundamentales y a las libertades que la Constitución reconoce se interpretarán de conformidad con la Declaración Universal de Derechos Humanos y los Tratados y acuerdos internacionales sobre las mismas materias ratificados por España. El artículo 14. Por su parte dice que los españoles son iguales ante la Ley, sin que pueda prevalecer discriminación alguna por razón de nacimiento, raza, sexo, religión, opinión o cualquier otra condición o circunstancia personal o social. Expertos de la sexología como Masters y Johnson, Kensey o la feminista Sere Hite ponían el acento en la importancia del conocimiento del propio cuerpo, así como en saber excitarlo correctamente, influyeron fuertemente en la visión sobre la sexualidad en los movimientos feministas. Dentro de los movimientos feministas existen diferentes posiciones sobre la transexualidad. Mientras algunos consideraban la transexualidad como un invento del patriarcado que refuerza la división en dos géneros y caricaturiza el género femenino negándoles que sean “realmente” mujeres. Otros creemos que representan un desafío para el feminismo porque cuestionan el binarismo del sistema de géneros actual, metiéndonos de lleno en el debate de las identidades y obligándonos a deconstruir las dicotomías y binarismos, tanto en el género como en la sexualidad. Su existencia y los debates con los que interrogan al feminismo cuestionan una acción feminista basada en una identidad feminista fuerte y esencialista. Y con ello no reivindico que sea posible prescindir de cierto sentido identitario. Probablemente es necesario seguir construyendo identidades pero es bueno hacerlo sabiendo que son ficciones, construcciones políticas necesarias para generar movimiento y rebeldía, pero que deben ser cuestionadas y reinventadas nada más adoptadas12. En esta misma línea y entre sus conclusiones apunta esta autora que: “Asimismo, defender la libre elección de formas de ser (género), de formas de placer y de afecto que no son mayoritarias, puede tener un potencial subversivo. En esta línea, luchar contra la supuesta homogeneidad que dan las categorías existentes y afirmar la diferencia, incluso dentro de ellas me parece algo importante. Y en este camino tiene mucho interés poder subvertir las etiquetas y redefinir sus contenidos”. En estas mismas Jornadas feministas la ponente Juana Ramos arguye algo que creo que se debería destacar como uno de los factores a tener en cuenta como es “la evolución de los debates en el seno del movimiento (o los movimientos) trans aporta un modo más flexible de concebir los sexos-géneros-identidades, cuestionando la necesidad de las cirugías y otras tecnologías moldeadoras de los caracteres sexuales como forma de legitimar las disidencias transidentitarias. 12 Garaizabal, C.(2009). “Debates feministas sobre la sexualidad”. Jornadas feministas, Granada 32 Revista europeană de drept social Hombres trans que no consideran necesario someterse a cirugía de reducción de mamas para reivindicarse hombres, transmujeres sin cirugía genital, transpersonas que no se amoldan a los estereotipos de mujer o de hombre y que se mantienen en los márgenes, intersex que se reivindican en su plenitud corporal”. De esta manera los movimientos y perspectivas trans están contribuyendo a una decisiva renovación de las concepciones sobre los sexos y los géneros. Y el impulso para llegar a este estado es la superación del sufrimiento que supone la imposición de unos modelos determinados, rígidos y exclusivos, cuando la persona no se adapta o identifica con ellos. Este artículo parte de la premisa fundamental de que el sentimiento identitario sexual excluyente genera marginación y violencia. Cuando hablamos de identidades13, por lo general, nos referimos a ciertas características exclusivas y a la vez reflexivas de un movimiento, de un grupo o de todo un pueblo. Cuando hablamos de sexualidad hablamos habitualmente de sentimientos, hacia sí mismo y/o hacia otra/s personas, en este artículo defendemos la expresión, libre y responsable, que no incurra en la comisión de ningún delito penal o civil, hablamos de formas de expresión y/o sentir natural y humana. Desde la experiencia de las investigaciones realizadas hasta el momento sobre violencia de género y discapacidad14, hemos planteado que existe legislación en España que aporta consideración y respeto hacia determinadas personas y colectivos que hasta el momento de su aplicación no eran adecuadamente considerados, y como no podía ser de otro modo, todo ello a la luz del reconocimiento de la Declaración Universal de los Derechos Humanos. Decimos asimismo que leyes bien intencionadas como la Ley Integral sobre Violencia de Género, contempla medidas para tratar y erradicar de nuestra sociedad la lacra de la violencia de género, pero que esto se hacía pensando en la gran mayoría de las mujeres no en el total de las mismas, dado que persisten en la actualidad todavía recursos y medidas que contempla la ley que no están adaptadas para las mujeres con discapacidad. Argüíamos del mismo modo que a las mujeres con discapacidad se les niega en muchos momentos su identidad como mujeres y una de las consecuencias que encontramos es la negación y en muchos casos tutela de la sexualidad de dichas mujeres. La mujer discapacitada no es el tema de este artículo, pero nos sirve para que el mismo no se identifique con un determinado colectivo, sino sobre el sufrimiento, cuando no violencia y exclusión, que muchos seres humanos padecen cuando les negamos la capacidad de expresión de algo tan natural como es la sexualidad y sus formas expresivas y emotivas. El poder es fundamental tanto para la sexualidad como para el género. La balanza desigual de poder en las relaciones de género, que favorece a los hombres, se traduce en un desequilibrio en las relaciones heterosexuales: en las que el placer del 13 14 Ortiz, R (1996)., Otro territorio, Univ. Quilmes, Buenos Aires Fernández Santiago, P (2009). “Compendio sobre violencia de género y factores de discriminación en la mujer con discapacidad. Tirant lo Blanch, Valencia 33 Revue europénnee du droit social hombre reemplaza al placer de la mujer y en donde el hombre tiene un mayor control que la mujer sobre cuándo, dónde y cómo tiene relaciones sexuales. Así mismo, las dinámicas de poder son críticas para entender la sexualidad. El poder afecta cualquier tipo de relación sexual (heterosexual, homosexual o transgénero) y determina cómo la sexualidad es expresada y vivida. El poder decide quién tiene prioridad en el placer, así como cuándo, cómo y con quién se tienen relaciones sexuales. Los seres humanos somos “algo más que cuerpos”, el cuerpo humano se va transformando, y se dice que el ser humano está regido por el cerebro, que no es ese el caso de la sociedad, en la que no impera el cerebro, imperan los intereses también naturales de vivir en comunidad. En la búsqueda de la armonización de intereses contrapuestos, nos dotamos de leyes y de los “agentes” necesarios para que éstas se cumplan, y todo esto basado y en la búsqueda del “bien común”. La diferencia es suma y no resta, tal vez desde el respeto a la diferencia y a la inclusión de todos los seres humanos respetuosos de las normas y del proceso social dinámico, transformador y de cambio, encontraremos un mayor grado de paz social capaz de acercarnos al reto del respeto universal de los derechos humanos. El control que tienen las personas sobre sus propias vidas y alternativas sexuales está, al mismo tiempo, afectado por las normas y valores basados en el género que definen la masculinidad y feminidad. Esas normas y valores de género, culturalmente definidos, evolucionan a través del proceso de socialización que comienza en las primeras etapas de la infancia. En cierto sentido15, se piensa, el hombre tiene el privilegio de poder equivocarse – el mundo no se equivoca sobre sí mismo- y por ello es responsable también de la corrección de sus yerros. La sociedad moderna, con su extenso saber histórico y culturalmente comparativo, se obliga a sí misma a un reconocimiento de la relatividad de todas las concepciones del mundo y, por lo tanto, de todo conocimiento … si de alguna manera queremos atribuir conocimiento al ser humano debemos referirlo a su conciencia y reconocer en todo caso a la vida una participación necesaria para hacer posible las observaciones discriminantes, y en particular para hacer posibles los errores. Es frecuente la práctica de un reduccionismo en la relación entre vida, conciencia y órdenes sociales….Toda observación del mundo debe tomar de alguna manera el mundo como diferencia y no como unidad (Lumann, 1996) 5. LA SOCIEDAD, COSTUMBRES, VALORES Y ACTITUDES MORALES La conformación de leyes, costumbres, valores y actitudes morales están basadas en los principios jurídicos y la tradición, siendo estos rígidos, mientras que las costumbres y valores son dinámicos, el hombre se va a adaptando a estos cambios, es decir va reescribiendo y describiendo una nueva historia de adaptaciones. 15 Lumann, N. La ciencia de la sociedad, Universidad Iberoamericana, México, 1996 34 Revista europeană de drept social En muchos momentos, como cuando se describe a la justicia como una imagen con los ojos vendados y manteniendo en la mano una balanza, queremos expresar que la justicia es ciega e intenta equilibrar intereses contrapuestos, siendo el derecho rígido y en muchas ocasiones inflexible, las costumbres y actitudes morales son dinámicas. Por su parte, la tradición defiende un mundo estático, donde los logros, siempre y cuando no varíen lo constituido, son aceptados, y negado todo aquello que reconozca y habilite nuevas visiones del mundo. Sin embargo las relaciones humanas y sociales, en estos momentos de globalización donde el mundo se empequeñece y en el cual se cuestionan los sistemas sociales y económicos imperantes, se reclama el respeto por el medioambiente y la biodiversidad, se exige una nueva vida respetuosa con la naturaleza y el respeto a toda forma de vida biológica, social y cultural. Durkheim en un momento de creciente inquietud y en medio de un contexto de transformación derivada del proceso de industrialización en el que dichas innovaciones parecían amenazar el orden y bienestar de las sociedades europeas, mostró su preocupación por el orden social y la cohesión social, para dicho autor la cohesión social representa la condición esencial de la vida colectiva, sólo si esta cohesión existe podrá existir el todo social. La vida social requiere, tanto en sus formas más elementales como en sus instituciones más complejas, normas y patrones de conducta que permitan la interacción ordenada, así como una integración social sostenible, no obstante estos patrones preexisten cristalizados en sistemas normativos que constituyen la conciencia colectiva La causa determinante de un hecho social debe buscarse entre los hechos sociales antecedentes y no entre estados de conciencia individual (…). La función de un hecho social ha de ser forzosamente social, es decir, consistir en la producción de efectos socialmente útiles (…) la función de un hecho social ha de buscarse siempre en la relación que sostiene con un fin social 6. ÉTICA Y JUSTICIA Desde Aristóteles, fundador de la ética, el “Logos” común ha de preocuparse antes que de ninguna cosa por un arte de saber vivir, diseñando las prácticas de análisis y autocontrol destinadas a darnos una buena vida que sólo alcanza su verdadero sentido en el seno de la polis, como vida orientada a la convivencia con los otros. Algo que implica un extraordinario esfuerzo de autoconocimiento, reciprocidad, autocontrol, tolerancia y respeto (…) En esta tradición, las preferencias, pasiones, inclinaciones y deseos han de someterse a la implacable exigencia de una razón compartida; a la reflexión de un “Logos” común y político: a la razón común de los hombres16. 16 Castro Nogueira, L., Castro Nogueira, M.A., y Morales Navarro, J., Metodología de las Ciencias Sociales. Una Introducción Critica, Tecnos, Madrid, 2008 35 Revue europénnee du droit social Platón en los primeros libros de la República y por medio de Trasímaco realiza una primera definición de justicia: “la justicia es la fuerza”. Las leyes declaran que es justo aquello que el poder y la voluntad del Estado que las promulga quieren, que el hombre verdaderamente justo es aquel que no identifica poder y derecho, y es por lo tanto un hombre más sabio y más feliz. El hombre que sigue a su razón tiene un camino claro en su vida, mientras que el que sigue la ley de la fuerza causa no sólo infelicidad en los demás, también la suya propia, pues se condena a sí mismo a poder ser dominado arbitrariamente cuando se encuentre con alguien con mayor poder que él. Platón del mismo modo cree que la justicia social es la armonía entre los individuos. El hombre aparece en Platón como un ser que tiene tres virtudes principales, el deseo, la razón y el espíritu. El deseo es aquel elemento que nos lleva al placer y a la satisfacción por las cuales se apagan el hambre y la sed que le dan su origen. La razón por el contrario es la que el hombre aprende a conocer. La consecuencia de este aprendizaje es estar preparado para amar, dado que esta es la suprema forma de conocimiento. El espíritu participa del deseo y del amor, es el coraje el que hace al hombre arrojado, y es un instinto que nos lleva a acatar lo justo y a indignarnos contra lo injusto. En lo primero se parece al deseo, y en esto último a la razón. Para vivir en sociedad es necesario respetar las normas de convivencia que nos permiten avanzar en una sociedad dinámica y cambiante Como apunta Rousseau17. El hombre ha nacido libre y en todas partes se encuentra encadenado. Algunos se creen los amos de los demás aún siendo más esclavos que ellos (…) si no tomase en consideración más que la fuerza y el efecto que se deriva de ella, diría que, mientras un pueblo se ve obligado a obedecer y obedece, hace bien, pero que, cuando puede sacudirse el yugo y consigue liberarse, hace todavía mejor, porque de no recobrar la libertad basándose en el mismo derecho por el que había sido despojado de ella, está legitimado para recuperarla, o no lo estaba el que se la arrebató. Sin embargo el orden social es un derecho sagrado que sirve de base a todos los restantes. Mas este derecho no procede de la naturaleza, sino que se fundamenta en convenciones. Las normas morales que seguimos en nuestro devenir diario, así como las actitudes que tomamos responden a unas normas de conducta que decidimos seguir y que están guiadas por nuestros valores. El actor18 no es neutral con respecto al hecho de si sus expectativas son confirmadas por el comportamiento de la otra persona. El no sólo anticipa el comportamiento de la persona sino que siente que la otra persona está obligada a comportarse de acuerdo con sus expectativas. Supone que el otro individuo comparte con él las mismas expectativas del rol. De esta manera las expectativas de rol son normativas y el que la persona no se conforme con lo esperado será molesto para el actor. La opinión es la manifestación de una actitud que se produce en una situación de controversia. 17 18 Rousseau, J.J., El contrato social, Altaya, Barcelona, 1993 Backman, S., Psicología social, Mcgraw-Hill, Mexico 1976 36 Revista europeană de drept social Respecto a las actitudes argumentar siguiendo a Kimball Young19: “Se puede definir una actitud como la tendencia o predisposición aprendida, más o menos generalizada y de tono afectivo, a responder de un modo bastante persistente y característico, por lo común positiva o negativamente (a favor o en contra), con referencia a una situación, idea, valor, objeto o clase de objetos materiales, o a una persona o grupo de personas”. Sin ser siempre conscientes de ello, nuestra conducta se inspira casi contantemente en unas normas que cumplen el oficio de modelos. A este respecto casi nada es fruto de nuestra personal invención, aún cuando hayamos asimilado como propias todas esas costumbres. Se trata de “maneras de obrar” que incorporamos a nuestra conducta para prestar a nuestra acción las orientaciones más apropiadas en la civilización, en los medios, en los grupos en cuyo seno estamos llamados a vivir, estas maneras de obrar, de pensar y de sentir, resultan pues coercitivas porque se nos presentan bajo la forma de reglas, de normas, de modelos en los que debemos inspirarnos para encauzar y orientar nuestra acción, si queremos que sea aceptable dentro de la sociedad en que vivimos. La coacción social a la que se refería Durkheim, corresponde pues a lo que en sociología se da en llamar la orientación normativa de la acción, es decir, la acción orientada de acuerdo con unas normas o reglas colectivas20. Como definición de valor y siguiendo a Rocher, se puede decir que “es un manera de ser o de obrar que una persona o una colectividad juzgan ideal y que hace deseables o estimables a los seres o a las conductas a los que se atribuye dicho valor, inscribiéndose éste doblemente en la realidad: se presenta como un ideal que exige adhesión o que invita al respeto, y se manifiesta en cosas o en conductas que lo expresan de manera concreta o, más exactamente, de una manera simbólica. Los juicios de valor están inspirados por los valores lo cual quiere decir que el valor es anterior al juicio de valor. La sociedad trata de implantar en las personas valores comunes, que no sólo determinan las normas morales que rigen nuestro comportamiento, sino que las normas jurídicas que predominan en una sociedad también están influidas por los valores dominantes en esa cultura, por esta misma razón podemos argüir que distintos grupos sociales pueden diferir en sus valores, así como en distintas culturas las normas pueden ser muy diferentes. 7. CONCLUSIONES Dejando claro las diferencias existentes entre género y sexualidad, defendemos la necesidad de las diferentes expresiones de la sexualidad humana y la necesidad de construir un género común donde la expresión de la sexualidad no sea la que 19 20 http://es.wikipedia.org/wiki/Actitud Rocher, G., Introducción a la sociología general, Herder, Barcelona, 1985 37 Revue europénnee du droit social defina las diferencias entre los hombres y las mujeres, se nace macho o hembra, el llegar a ser hombre o mujer es cuestión de tejer por medio de los valores y cultura que nos imponen una imagen estereotipada. Los seres humanos somos “algo más que cuerpos”, el cuerpo humano se va transformando, así mismo se dice que el ser humano está regido por el cerebro, no es ese el caso de la sociedad, en la que no impera el cerebro, imperan los intereses también naturales de vivir en comunidad. En la búsqueda de la armonización de intereses contrapuestos, nos dotamos de leyes y de los “agentes” necesarios para que éstas se cumplan, y todo esto basado y en la búsqueda del “bien común”. La diferencia es suma y no resta, tal vez desde el respeto a la diferencia y a la inclusión de todos los seres humanos respetuosos de las normas y del proceso social dinámico, transformador y de cambio, encontraremos un mayor grado de paz social capaz de acercarnos al reto del respeto universal de los derechos humanos. Nuestra Constitución en su artículo 10.1 refiere que: La dignidad de la persona, los derechos inviolables que le son inherentes, el libre desarrollo de la personalidad, el respeto a la Ley y a los derechos de los demás son fundamento del orden político y de la paz social. Así mismo en el artículo 10.2: Las normas relativas a los derechos fundamentales y a las libertades que la Constitución reconoce se interpretarán de conformidad con la Declaración Universal de Derechos Humanos y los Tratados y acuerdos internacionales sobre las mismas materias ratificados por España. Miguel de Unamuno en ”El Sentimiento trágico de la vida” citado por Salvado Giner21comienza su ensayo planteándose la que será la cuestión de nuestro tiempo. “Homo sum; nihil humani a me alienum puto, dijo el cómico latino. Y yo diría más bien nullum hominem a me alienum puto; soy hombre, a ningún hombre estimo extraño. Porque el adjetivo humanus me es tan sospechoso como su sustantivo abstracto humanitas, la humanidad. Ni lo humano ni la humanidad, ni el adjetivo simple, ni el adjetivo sustantivado, sino el sustantivo concreto: el hombre. El hombre de carne y hueso, el que nace, sufre y muere –sobretodo muere-, el que come y bebe y juega y duerme y piensa y quiere, el hombre a quien se ve y a quien se oye, el verdadero humano. Porque hay otra cosa, que llaman también hombre, y es el sujeto de no pocas divagaciones más o menos científicas. Y es el bípedo implume de la leyenda, el zoon politikón de Aristóteles, el contratante social de Rousseau, el homo oeconomicus de los manchesterianos, el homo sapiens de Linneo o, si se quiere, el mamífero vertical. Un hombre que no es de aquí o de allí, ni de esta época o de la otra, que no tiene sexo, ni patria, una idea, en fin un no hombre. El nuestro es el otro, el de carne y hueso; yo, tu, lector mío; aquel otro de más allá, cuantos pesamos sobre la tierra” A diferencia de mi admirado Don Miguel de Unamuno, mi sueño, mi anhelo, mi deseo mi ruego es ser y poder ser un no hombre, un hombre implume de la 21 Giner, S., Historia del pensamiento social, Ariel historia, Barcelona, 1994 38 Revista europeană de drept social leyenda, un zoon politikón, el contratante social de Rousseau, un homo oeconomicus manchesteriano, un homo sapiens de Linneo, un mamífero vertical, un hombre que no es de aquí ni de allí, ni de esta época o de ninguna otra, que no tiene sexo ni patria, ni siquiera una idea, eso sí, un ser humano de carne y hueso, como tú, me leas o no me leas, tengo el inalienable deseo de ser, vivir, sentir, desear, y no resignarme a vivir en un mundo donde no impere a libertad y la igualdad, donde no prime la una sin la otra. Por último, el deseo de que se hagan efectivas las normativas nacionales e internacionales que protegen la libertad, la igualdad y, el respeto de todos los seres humanos. Bibliografía Backman, S., Psicología social, Mcgraw-Hill, Mexico 1976 Castro Nogueira, L., Castro Nogueira, M.A., y Morales Navarro, J., Metodología de las Ciencias Sociales. Una Introducción Critica, Tecnos, Madrid, 2008 Fernández Santiago, P . “Compendio sobre violencia de género y factores de discriminación en la mujer con discapacidad. Tirant lo Blanch, Valencia, 2009 Friedl, E., “Woman and Men: An Anthropologist´s View”, Rinehart y Wiston, New York 1975 Garaizabal, C.. “Debates feministas sobre la sexualidad”. Jornadas feministas, Granada, 2009 Giner, S., Historia del pensamiento social, Ariel historia, Barcelona, 1994 Hobbes, T.“Elementos de Derecho Natural y Político”, Centro de Estudios Constitucionales, Madrid, 1979 Lumann, N. La ciencia de la sociedad, Universidad Iberoamericana, México, 1996 MacCormack y Strathern, M, “Nature, Culture and Gender”, Cambridge University Press, New York, 1980 Ortiz, R ., Otro territorio, Univ. Quilmes, Buenos Aires, 1996 Pérotin-Dumon, A , “La historia de las mujeres”, en htto://www.sas.ac.uk/ilas, 2002 PNUD “Informe sobre Desarrollo Humano 1999” Oxford University Press, New York , 1999 Rival, L.; Slater, D. y Miller, D. “Sexo y sociedad. Etnografías comparativas de objetivación sexual, en: Nieto, J.A. “Antropología de la sexualidad y diversidad cultural” Talasa, Madrid, 2003 Rocher, G., Introducción a la sociología general, Herder, Barcelona, 1985 Rousseau, J.J., El contrato social, Altaya, Barcelona, 1993 Stolke, V. “La mujer es puro cuento: La cultura del género”, en Revista Estudios Feministas, vol.12, número 002, Rio de Janeiro, Brasil, 2004 Villorrio, L., “Crecer, saber, conocer”, Siglo XXI, México, 1982 Paginas en internet Consejo Internacional de Organizaciones con Servicios en SIDA http://www.icaso.org/publications/genderreport_web_ESP_080505.pdf http://es.wikipedia.org/wiki/Actitud (ICASO), en 39 Revue europénnee du droit social LE CADRE JURIDIQUE POUR LE TRAVAIL OCCASIONNEL EN ROUMANIE Dan łOP Université Valahia, Târgovişte, Roumanie Maître de conférences, Chercheur adhérent CEDIMES – Roumanie Courriel: top,[email protected] Abstract: Notwithstanding the provisions of the Labor Code, as amended and supplemented, Law No. 52 of 15 April 2011 on the occasional exercise of activities carried out by day-laborers regulates how day laborers can run occasional activities. The day laborer is considering natural law, which is capable of performing unskilled labor and, occasionally, for a beneficiary. This works as a beneficiary cannot have only one legal entity (Art. 1 lit. b) not takes into account the physical platforms that use the services of occasional workers. Keywords: occasional activities; journeyman; unskilled and occasionally work; beneficiary;. occasional services of some workers. 1. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES Par dérogation des dispositions du Code du travail, telle que modifiée et complétée, la loi n ° 52 du 15 avril 2011 sur l'exercice occasionnel des activités menées par des journaliers1 réglemente la façon dont la main d’œuvres par jour peut exécuter des activités occasionnelles. Le journalier envisage la loi naturelle, qui est capable d'effectuer du travail non qualifié et, parfois, pour un bénéficiaire2. Cela fonctionne comme un bénéficiaire ne peut pas avoir une seule entité juridique (art. 1, let. b) de ne pas tenir compte des plates-formes physiques qui utilisent les services de travailleurs occasionnels. C'est le cas pour les travaux agricoles des paysans, au motif que les paysans, aider les uns les autres "quand ils travaillent la terre avec les voisins et parents. Peut procéder à des travaux occasionnels, individus roumains ou étrangers. Rapport du compagnon et le bénéficiaire est établi (article 3) sans contrat de travail. Il est évident que la relation est établie entre le grossiste et le bénéficiaire est une relation d'emploi, peut être considéré comme une subordination3 relation de travail, en face du travail indépendant lui-même ou si les fournisseurs, même si le destinataire exécute un travail sous l'autorité, n'ont aucun statut employés, bien qu'ils soient rémunérés pour leur travail, mais pas comme un salaire4. 1 Publiée au Journal officiel 276 du 20 avril 2011 L'entité juridique dont les manœuvres d'effectuer des tâches de caractère occasionnel 3 Alexandru łiclea, Droit du travail, édition Universul Juridic, Bucureşti, 2009, p. 10-11 4 Dan łop, Traité, du Droit du travail, l'éditeur Wolters Kluwer, Bucarest, 2008, p. 12 2 40 Revista europeană de drept social L'analyse de ces relations, régies par une loi spéciale, le droit du travail n'est pas intégré5. Ainsi, les litiges entre le bénéficiaire et compagnon, en suspens être réglées à l'amiable (art. 14) par le tribunal compétent dans le ressort duquel la place d'affaires est jobber. En Italie6, contrat de travail occasionnel est régie par l'art. 61 alinéa 2, le décret-loi 276/03 et est coordonnée et ont une durée totale n'excédant pas 30 jours dans une année, travaille avec le même agent, à moins que le total des honoraires réclamés est supérieur au montant € 5000. Il s'agit de la collaboration de faible volume pour laquelle le législateur n'a pas jugé nécessaire de prévoir des projets de liaison et sont donc exclus de la discipline déjà parlé du décret-loi 276/03. En général, tous les employeurs peuvent utiliser ces contrats stipulant que les motifs écrits, car il démontre la présence de production technique, organisationnel, ou de substitution. Ces raisons ne doit pas être donné d'une manière générique, mais doit être spécifiquement détaillée pour donner la motivation concrètes et efficaces. La résiliation peut résulter directement en indiquant la date précise à laquelle le dernier ou la date limite est indirectement lié à un événement spécifique. À maturité, le rapport de fin automatiquement, mais par une augmentation de salaire est effectivement possible d'étendre le rapport initial après la date limite ou prorogé successivement. Une telle extension a une durée de 30 jours pour les marchés égale ou supérieure au cours des 6 premiers mois, 20 jours pour les marchés d'une durée inférieure. 2. CONDITIONS RÉGISSANT LES ACTIVITÉS DES TRAVAILLEURS JOURNALIERS Durée du travail occasionnel qui peut être exercé conformément à l'art. 4 de la loi est d'au moins un jour, correspondant à 8 heures. La performance quotidienne de l'œuvre d'un compagnon ne peut pas dépasser 12 heures et 6 heures pour les travailleurs mineurs qui travaillent capacité. Le règlement pour les travailleurs occasionnels est pour les jeunes de moins de 18, conformément aux dispositions du Code du travail sur le temps de travail des mineurs travailleurs7. Même si les parties conviennent à un plus petit nombre d'heures de travail, de rémunération pour les travailleurs journaliers sera l'équivalent d'au moins 8 heures. Personne ne peut être engagé si le journalier n'a pas atteint l'âge de 16 ans, fournis conformément à l'art. 13 par. 1 du Code du Travail et de l'art. 10 du décret 5 I T Ştefănescu, Le droit de l'emploi, traité théorique et pratique, Publishing House Bucarest, 2010, p. 12 F del Giudice, F.Marini, F.Izzo, Diritto de lavoro, edizioni Giuridiche Simone, Napoli, 2007, p. 40-49. 7 Dan łop, op.cit., p. 341. 6 41 Revue europénnee du droit social no. 31/1954, la personne acquiert la pleine capacité juridique de conclure un contrat de travail à l'âge de 16 ans, son application ici manque la disposition dans la législation qui pourrait mettre fin à l'exception du contrat de travail et les mineurs qui ont atteint 15 ans. Aucun grossiste ne peut offrir des activités pour le même bénéficiaire pour une période de plus de 90 jours cumulatifs au cours d'une année civile. Notez que la longueur maximale est régi uniquement fait que le travailleur occasionnel un même bénéficiaire, ce qui signifie que pendant une année peut fournir une travailleur occasionnel à plusieurs utilisateurs successifs. L'employeur ne peut pas embaucher des journaliers pour travailler dans l'intérêt d'une troisième disposition qui vient d'exclure la possibilité, d'embauche "du personnel comme journaliers pour les agences de travail temporaire 3. LES DROITS ET OBLIGATIONS DU BÉNÉFICIAIRE L'employeur est (art. 5) les droits suivants: a) déterminer les activités à mener à bien les journaliers, les performances et la durée lieu de travail; b) exercer un contrôle sur l'exécution du travail. L'employeur doit: c) d'établir le registre8 des travailleurs journaliers dans la forme prescrite à l'annexe. 1, qui fait partie de la loi. Inscrivez-vous pour être tenu au siège social des ouvriers; d) registre complet de compagnon, avant de commencer les travaux, selon les instructions fournies dans l'annexe. 2, qui fait partie intégrante de la présente loi; e) présenter un registre des organismes compagnon de contrôle compétente; f) à fournir une formation et d'information sur le travail des ouvriers qui sont à réaliser, les risques et les dangers qui peuvent être exposés à l'exercice et les droits des travailleurs par jour, tel que prévu par la loi. La formation a lieu tous les jours, avant de commencer les travaux; g) à payer les travailleurs à la fin de chaque journée de travail est convenu de rémunération; h) fournir, à ses propres frais, le travail et l'équipement de protection est nécessaire en raison de la nature et la spécificité du travail de compagnon. Le bénéficiaire a l'obligation (article 7) à enregistrer au registre des travailleurs journaliers dans l'ordre chronologique, tous les journaliers avec qui il entretient des relations en vertu de cette loi. Registre doit être fait tous les jours, sauf périodes ne sont pas journaliers obtenir des services. 8 Registre spécial préparé par le bénéficiaire pour garder une trace de tous les jours compagnon 42 Revista europeană de drept social L'employeur doit soumettre chaque mois, au plus tard le 5 de chaque mois, l'Inspection du travail est basée cas, un extrait du registre contenant les dossiers des travailleurs sur le mois précédent. L'inspection du travail permettra de centraliser, au niveau national, les données transmises afin de vérifier que les conditions prévues par la loi. Impôt sur le revenu dû pour le travail effectué par des compagnons est le bénéficiaire (art. 6). Le montant de l'impôt est de 16% calculée sur le salaire brut et remises en conformité avec l'art. 58 de la loi no. 571/2003 concernant le Code fiscal, tel que modifié et complété9. Les travaux entrepris sous la présente loi ne confère pas (art. 8) de la qualité de compagnon a assuré le système public de retraite, sécurité sociale ou du système de santé d'assurance-chômage. Il peut conclure, éventuellement, une assurance santé et / ou à la retraite. Pour les revenus du travail effectué par des journaliers ne sont pas en raison de cotisations de sécurité sociale par l'intermédiaire ou le bénéficiaire. Conformément à l'art. 9 des Normes méthodologiques approuvé par le décret du ministère du Travail, de la Famille et de la protection sociale et le ministère des Finances publiques10 du revenu pour les travailleurs journaliers dans la forme de rémunération pour le travail quotidien de chaque bénéficiaire est considéré comme un revenu de salaire, qui sont des dispositions applicables du chapitre. III revenu de salaire "Titre III" impôt sur le revenu "de la loi. 571/2003 concernant le Code fiscal, tel que modifié et complété. Impôt sur le revenu dû pour les journaliers sous forme de salaire journalier brut. La taxe est calculée par chacun des bénéficiaires des œuvres en appliquant 16% du salaire journalier brut. Le calcul et la retenue à la source en raison de travaux effectués par les bénéficiaires de la date de chaque paiement de la rémunération de la journée. Remise budget de l'État de l'impôt calculé et retenu auprès de chaque bénéficiaire interprétera des œuvres de 25 mois suivant le mois au cours duquel ces revenus sont payés. 4. DROITS ET OBLIGATIONS DES JOBBER Pour les travaux, le compagnon a le droit (article 9) à payer dont le montant est établi par voie de négociations directes entre les parties. Le montant de la rémunération horaire brut fixé par les parties ne peuvent pas être inférieure à 2 euros / heure et pas plus de 10 lei / heure et est donnée à la fin de chaque journée de travail, avant de signer le registre des travailleurs, le compagnon 9 10 Publié dans la Gazette officielle, Partie I, no. 927 du 23 Décembre 2003 Publié dans la Gazette officielle, Partie I, no.300 du 2 mai 2011. 43 Revue europénnee du droit social et bénéficiaire. La preuve du paiement de la rémunération est faite par les travailleurs journaliers signature dans le registre des travailleurs journaliers. Le travailleur occasionnel qui entreprennent des travaux effectués en vertu de cette loi est présumée (art. 10) qui est approprié pour la fourniture de ce travail. Journalier est habilité, conformément à l'art. 10 par. 2 bénéficient d'un équipement de protection et de la technologie nécessaire pour la conduite des affaires. Il peut offrir des activités occasionnelles dans les domaines suivants (11): l'agriculture, la chasse et de pêche, la foresterie, à l'exclusion foresterie, pêche et aquaculture, la culture fruitière et la viticulture, l'apiculture, l'élevage, des spectacles, la production cinématographique et audiovisuelle, la publicité, les activités caractère culturel, relatives aux biens, activités d'entretien et de nettoyage. Nous apprécions que cette liste exhaustive est illustrative et, comme cela peut arriver dans l'économie et d'autres secteurs nécessitant une activité avec les travailleurs journaliers. Bien entendu, les situations se produit qui va créer des difficultés dans l'évaluation comme étant l'une des activités mentionnées à l'occasion par la loi, comme cela a été montré11 que requis par 11 points. i, les activités de manutention de la cargaison peut être effectuées par des journaliers. Toutefois, si le travail implique non seulement de ses manutentions et de tri, mais il est la conclusion obligatoire d'un contrat individuel de travail. Il est également nécessaire pour les activités de manutention du fret sont occasionnels et non répétitive. Dans le cas où le travail effectué par une personne morale exige la manutention répétitive de la cargaison, par exemple tous les jours, il est nécessaire qu'elles soient exécutées par des salariés sur contrat individuel de travail, pas journaliers. C'est parce que la loi 52/2011 définit les manœuvres comme la personne physique est capable d'effectuer du travail non qualifié et, parfois, pour un bénéficiaire. Les conditions dans lesquelles la société est à ce moment-employés de la fonction de manutentionnaires, que le travail est effectué à l'occasion, mais répétitif. 5. LA RESPONSABILITÉ Le dépassement du délai maximum de travail de l'année ou de la durée quotidienne du travail est sanctionné (art. 12 al. 1 lettre. a) une amende de 10.000 lei. La même peine est prévue, et si le bénéficiaire ne respecte pas les limites fixées par la loi sur le jour de paie. Les bénéficiaires qui ne remplissent pas leurs obligations en vertu de la nouvelle législation sur la tenue du registre et en ajoutant au risque d'une amende de 6.000 lei (12 par 1, let. b). Toutefois, le paiement d'impôt de 16% payable par le bénéficiaire pour le paiement d'une amende (art. 12 al.1 lettre. c) 20.000 lei et l'interdiction de l'utilisation des journaliers pendant toute la durée du bénéficiaire. 11 Manœuvres loi, manutentionnaires quoi?, www.manager.ro 44 Revista europeană de drept social Infractions d'investigation et de sanctions soient effectuées (art. 13) par les inspecteurs du travail et l'Agence nationale de l'administration fiscale. Contre le mot fautif peut déposer une plainte auprès du tribunal dans les 15 jours suivant la réception ou de processus de communication verbale, la décision judiciaire qui règle la plainte peut être portée en appel dans les 15 jours suivant la notification, le service administratif tribunal. Raisons de l'appel est obligatoire. Motifs d'appel peut être pris oralement à l'audience. L'appel suspend l'exécution de la décision. 6. REGISTRE DES JOURNALIERS La norme méthodologique du 29 avril 2011 la loi d'application n °. 52/2011 sur l'exercice occasionnel des activités menées par les ouvriers, les ouvriers registre est: a) les documents officiels de la preuve de manœuvres travailleurs journée spéciale; b) la source de données pour l'élaboration des politiques au niveau national dans le domaine de l'emploi et la lutte contre le travail non déclaré et les questions fiscales; c) les sources de données administratives pour le système d'informations statistiques telles que les statistiques actuelles, retraçant l'évolution des indicateurs sur l'emploi et du marché du travail, la surveillance du niveau du travail non déclaré, notamment dans certains domaines, l'organisation d'une enquête. Afin d'assurer un enregistrement uniforme sur l'utilisation de travailleurs les travailleurs de jour de travail, le bénéficiaire de travail tels que définis en vertu de la loi n °. 52/2011, le leadership organisé et la mise à jour le registre. L'inscription au registre est dans l'ordre chronologique pour tous les journaliers avec qui les relations destinataire en fonction de la loi, selon les instructions fournies dans l'annexe d'achèvement. 2 de la Loi. Afin de remplir l'obligation prévue à l'art. 7, al. 2 de la loi no. 52/2011, le bénéficiaire des documents soumis à l'Inspectorat Territorial du Travail une copie du registre contenant les enregistrements du mois précédent, certifiés "conformément à l'original." Les bénéficiaires des œuvres qui ont établi des succursales, agences, bureaux, lieux ou d'autres unités similaires, sans personnalité juridique, auxquels elles ont délégué le pouvoir de conclure des relations juridiques avec les ouvriers, peut déléguer certains de la gestion, la réalisation et la soumission à l'inspection territoriale registre du travail des enfants. Registre qui sera numérotées, paraphé et tenu. Bénéficiaire est conservé à l'usine la tête et / ou, le cas échéant, à la succursale, agence, représentation, le travail ou d'autres unités similaires, sans personnalité juridique. 45 Revue europénnee du droit social Responsable de la conformité des documents légaux sur le leadership bénéficiaire, complétant et la tenue du registre et est responsable de l'exactitude des données enregistrées. Chaque entrée dans le registre d'un nom complet compagnon est inscrite en lettres majuscules, mention de la formation initiale et père. Désignation de bénéficiaire est inscrite dans le registre des œuvres avec des majuscules, sans abréviations12. Le registre est imprimé et l'Imprimerie Nationale donne un numéro sur chaque feuille et sa répartition est faite, la demande et le coût, l'inspection du travail d'inspection du travail régional. L'inclusion dans les données du Registre uniquement avec l'encre bleue ou de pâte. Toute modification des données est entré en traversant une ligne horizontale d'encre rouge ou coller des données d'entrée et également corriger l'encre rouge ou de pâte, en laissant visible le cachet d'entrée précédente et la signature par le destinataire des œuvres. L'enregistrement des données est dans l'ordre chronologique des journaliers utilisation. Registre doit être fait tous les jours, sauf périodes ne sont pas journaliers obtenir des services. Ne laissez pas des postes libres entre les pages et les pages du registre. Sur la première page du livre est l'identification complète des travaux d'intérêt général. 12 Les abréviations sont permises: a) S.C. - Société; b) etc - Société par actions; c) LLC - société à responsabilité limitée; d) S.N.C. - SNC; e) S.C.S. - Société en commandite; f) S.C.A. Société en commandite par actions. 46 Revista europeană de drept social COMMUNITARIAN SOCIAL DIALOGUE – MODALITY OF ACHIEVING SOCIAL PEACE Radu Razvan POPESCU PhD University Lecturer Resume: Le mot syndicat, tire de syndic, a la fin du XIV siecle, se rattache au terme bas latin sindiz, designant celui qui est l’avocat, le representant en justice d’une collectivite,lequel vient lui-meme du grec sundikos, asistant de justice. L’activite szndicale est tres normalement orientee vers la defense des droits acquis et interets,tant sur le plan individuel que dans un cadre collectif. Mots-cles: libertes syndicales, liberte d’adhesion, actions collectives, defense d’interets collectifs. A. Social dialogue regulation at the level of the International Labour Organization In the post-war period, I.L.O. adopted an important number of conventions that have as regulation object fundamental human rights and liberties. Within this framework, among the conventions considered fundamental are also those regarding trade union freedom (Convention no. 87/1948) and the right to collective bargaining (Convention no. 98/1949). The two conventions are closely related, the first regulating the relations between employers, workers and their organizations with public authorities, and the second, the relations between the owner, the workers and their associations. Subsequently, I.L.O. elaborated several other conventions developing the principles regulated by the two basic instruments. Convention no. 87/1948 regarding trade union freedom and the protection of the trade union right establishes, as fundamental principle, the freely exercised right of workers, but also of persons becoming employed, to organize in view of promoting and protecting their own interests. It is very interesting to notice that in the I.L.O. vision there is no difference between the rights of the two social partners, respectively, the workers and employers without distinction have the right to establish and to affiliate to organizations according to their own options, in view of protecting specific interests. The Convention also stipulates the equality of rights of all workers, regardless of the sector of activity in which they work, to establish a trade union. A controversial issue, which was settled by the Convention, referred to the possibility of establishing trade union within the armed forced and the police. According to Convention no. 87/1948, the national legislation is entitled to 47 Revue europénnee du droit social determine the extent to which the guarantees stipulated by this convention are also applicable to these professional categories. At the same time, the public authorities must refrain from any intervention of a nature to limit this right or to prevent its legal exercise. In all cases, the dissolving or suspending of these organizations through administrative action is forbidden; moreover, the gaining of legal personality must not make the object of restrictive conditions. In order to synthesize these regulations of Convention no. 87/1948, we can consider that the freedom of trade union or owners’ association implies: - The freedom to establish an association and to affiliate, which implies the elimination of any barrier of any kind; - The right to organize in federations and confederations and to join international organizations; - Protection against suspension or dissolving; - Granting certain rights and guarantees for trade unions activity, such as the free election of leaders, forbidding the intervention of public authorities in trade unions activity, the guarantee of leaders’ protection, including, for limited time, after the end of their term; - Trade union freedom is conditioned by the existence of other fundamental freedoms – freedom of expression, inviolability etc. The right to strike was not explicitly guaranteed through the text of this convention. Still, the practice of applying this convention, especially the conclusions of the Experts Commission for the application of the ILO regulations, considered, constantly, that this right is implicitly covered by the text of the Convention, which guarantees the right of these organizations to decide on their own activity, on the one hand, and, on the other hand, the right to strike must be seen as a corollary of trade union freedom; still, the right to strike is not an absolute right; it can make the object of different national regulations, and it can be forbidden, for certain categories of persons, who work in activity sectors vital from the economic point of view, or it can be limited. Convention no. 87/1948 was ratified by Romania by means of Decree no. 213/1957 and the substantial elements of this regulation were incorporated in the Romanian legislation since 1991, when Law no. 54 of trade unions was adopted, law which today is abrogated. The new trade unions regulation, as it is today, established by art. 217-223 of the Labour Code and by Law no. 62/2011 regarding social dialogue, is at the minimum compliance limit in what concerns the exigencies of the ILO Convention no. 87/1948. According to Law no. 62/2011, the persons employed with individual employment contract, public servants and public servants with special statute in the conditions of the law, cooperative members and agricultural workers employed, are allowed, without restrain or prior authorization, to establish and/or to join a trade union. 48 Revista europeană de drept social Even though the Romanian law, on the one hand, promotes to great principles of the trade union right: trade union freedom, trade union pluralism, and trade union independence, on the other hand, limits to the maximum the protection offered to trade union leaders, in breach even of the ILO Convention, and established, according to art. 223 para 2 of the Labour Code, that „throughout the duration of exercising their term, the representatives elected to the management organisms of trade unions cannot be dismissed for reasons pertaining to the fulfillment of the mandate their were entrusted with by the unit employees”. By means of this measure, the trade union leaders enjoy, practically, the same protection enjoyed by the employees’ representatives, thus, their level of protection being limited only to the duration of the term and only for reasons pertaining to the fulfillment of their mandate. In this way, the Convention provision which states the need to protect trade union leaders throughout their term, but also for a limited period after the end of this term, is breached, and on the other hand, diminishing the level of protection, we feel that serious damage is done to the principle of trade union freedom, by placing the trade union leaders on the same (protection) level with the employees’ representatives. Convention no. 98/1949 regarding the right to collective organizing and bargaining has as objective the protection of workers who exercise their right to organize and the promotion of collecting bargaining. In the specialty doctrine it was considered that if Convention no. 87/1948 regulated the vertical relations between the state and the trade unions or owners’ organizations, Convention no. 98/1949 regulates the horizontal relations between the trade unions and the owners’ organizations. An essential objective of the Convention was to ensure the workers’ protection against anti-trade union discriminations, especially the refusal to be employed for reasons pertaining to trade union affiliation or to the participation to trade union activities, as well as against dismissal or other consequences that could be brought forth as a result of having performed such activities. Thus, art. 1 of the Convention stipulates proper protection against any acts of discrimination which tend to affect trade union freedom. In order to eliminate these anti-trade union practices in matters of employment, point 2 of art. 1 of the Convention requests that protection refers to the following actions: - to subordinate the employment of a worker to the condition of not affiliating to a trade union or to stop being part of a trade union; - to dismiss a worker or to bring damages to him/her, by any means, for reason of being affiliated to a trade union or of actively participating to a trade union. The proving of the anti-trade union character of a measure taken by the employer, in reality, is very difficult to demonstrate; as the borderline between an action with anti-trade union character and an act pertaining to owners’ power is very frail, Recommendation no.143/1971 of ILO suggests that among the means allowing states to fight against such practices is the inversion of the burden of proof, 49 Revue europénnee du droit social meaning the employer’s obligation to prove that the measure was justified represents a manner of achieving a balance, fragile, between the two interests. The second objective of the Convention was the amplification of the role of collective bargaining. The interpretation of Convention no. 98/1949 was performed from the perspective of a positive obligation undertaken by the states that ratify the convention, to take measures for promoting collective bargaining and social dialogue. Romania ratified Convention no. 98/1948 by means of Decree no. 352/1958. Subsequently were adopted Convention no. 154/1981 and Recommendation no. 163/1981 regarding the promoting of collective bargaining, which completed the ILO regulations in the matter, according to the social evolution. Convention no. 154/1981 applied to all branches of economic activity; similar to Convention no. 98/1949, the measure through which the guarantees established apply to the armed forces and the police is left at the latitude of the national legislation of each state that ratifies the convention; also, for public servants, the legislations of the member states may establish specific means of applying the Convention. Romania ratified by Law no. 112/1992, Convention no. 154/1981. The trade union movement emerged and developed preponderantly in the fields of industry and services. Subsequently, without being unanimously acknowledged, it also incorporated agriculture. For reasons related to public authority, the trade union movement in the field of public servants was difficult to establish. ILO regulated two Conventions in these directions, respectively, Convention no. 141/1975 regarding the organizations of rural workers, which has as purpose the regulation of their trade union freedom, the promotion of their organizations, and the stimulation of their participation to the economic and social development and Convention no. 151/1978 regarding the work relations in public office, which has as object the protection of public servants exercising their trade union right, the right to negotiation, and the determining of the work conditions, as well as the regulation of the differences that may occur throughout the exercise of the public office. Neither of the two convention was yet ratified by Romania. Through Law no. 140/2008, Romania ratified Convention no. 150/1978 regarding work administration. On the basis of this convention, the Romanian state must: - ensure, adequately to the internal conditions, the organization and functioning of a labour administration system, whose functions and responsibilities are properly coordinated; - ensure the proper mechanisms for the consultation, cooperation and negotiation between the public authorities and the trade union or owners’ representative organizations; - delegate or entrust certain administration activities to some nongovernmental organizations. 50 Revista europeană de drept social In the sense of achieving and promoting social dialogue, in a real and efficient way, ILO adopted Convention no. 144/1976 regarding tripartite consultations meant to promote the application of the international labour regulations. The Convention establishes the organizing of efficient consultations, at least once a year, between the representatives of the Government, the owners and the trade unions, in order to put into applications the international labour regulations. All procedural aspects will be established in relation to the national practice, after consulting the representative trade union and owner’s associations. Romania ratified the convention by means of Law no. 112/1992 and opted for entrusting these duties to the Economic and Social Council regulated through Law no. 62/2011 of the social dialogue. According to it, the ESC has, among other duties, the task to follow the fulfillment of the obligations deriving from Convention no. 144/1976, according to art.86, letter d. This duty of ESC refers especially to the application of art. 5 of the Convention, by means of which are regulated, at least once a year, the established tripartite organisms that will have consultations at least with respect to: - the governments’ answers to the questionnaires regarding the poitns on the agenda of the International Labour Conference and their comments on the text drafts that must be discussed in the conference; - the proposals that are going to be presented to the competent authorities with respect to the ILO conventions and recommendations, which must be subjected to ratification before them; - the re-examining, at reasonable intervals, of the conventions not ratified and of the recommendations not put into application, in order to suggest the measures that could be taken for their promotion and ratification, if any; - the problems the annual reports presented by each member state to the International Labour Office, regarding the measures taken for the application of the conventions ratified by them, might pose; - the proposals regarding the denouncing of the conventions ratified. Not lastly, in the Report presented during the 97th session, held in the period May 28th – June 13th, 2008, consecrated to the freedom of association, tripartitism was considered the ground stone, the fundament of ILO. B. Social dialogue regulation at the European Union level By European social dialogue are understood the discussions, consultations, negotiations and actions performed between the representatives of the two classical parties in the labour world: trade unions and owners’ organizations established at the European level. As in the domestic law, in the community law, the social dialogue takes place in a bipartite format (between the trade union and the owners’ organizations) and in tripartite format (social partners and the European Commission). 51 Revue europénnee du droit social Obviously, European social dialogue completes the social dialogue occurring at the national level. It allows social partners to intervene in defining the communitarian social norms and to play an important role in their application. Together with the communitarian legislation, the open coordination method and the financial instruments for the application of the policy social (mainly, the European Social Fund), social dialogue is among the most efficient social policy instruments of the EU. However, before continuing to the examining of this evolution, we must stop, in short, on a very distinct EU organism, which is the European Economic and Social Committee. 1. The European Economic and Social Committee (EESC) was established in 1957 through the Treaty of Rome, as consultative organ which to represent, in an expression by now classical, „the voice of the organized civil society”, reuniting – practically – the representatives of the different segments of the economic-social life, respectively the interest groups in Europe, especially owners’ organizations and trade unions, but also other non-governmental organizations. The EESC speaks on different projects of communitarian interest, mainly by means of advisory documents, regardless of who is the project initiator – the Commission, the Council or the European Parliament. In any case, before taking any decision in matters of economic or social policy, regional and environmental, EESC must be consulted as an obligation. Obviously, EESC may be consulted also with respect to the decisions that are going to be taken in other EU action fields, as well. The advisory documents can be requested by the EU decisional organisms – the Commission, the Council or the European Parliament – but, EESC can also take action ex officio, issuing a viewpoint also materialized in an advisory document. In fulfilling its duties, the EECS issues three types of advisory documents: - advisory documents following a request from the European Commission, the Council or the European Parliament; - advisory documents out of its own initiative, by means of which the EESC expresses its opinions in all cases when it considers it opportune; - exploratory advisory documents, in which, at the request of the Commission, the European Parliament of even the EU Presidency, it has the task of discussing and making proposals on a given subject, in order that – and on the basis of which – the Commission formulates proposals accordingly. EESC may elaborate and discuss informing reports for the examining of an issue pertaining to the EU policies and to their possible evolutions. Finally, EESC may adopt, at the proposal of one of its sections, of one of its groups or of a third of its members, resolutions regarding topics of actuality for the EU. Through its entire activity, EESC encourages civil society to involve to a greater extent in the process of elaborating European Union public policies. After the successive EU expansions in 2004 and, respectively, 2007, EESC is currently composed of 344 members, a number equal to that in the Committee of Regions. 52 Revista europeană de drept social The EESC members are designated by the governments of the member states and appointed by the EU Council for a 4-year term, which can be renewed, benefitting from total political independence from the governments that designated them. The preponderant activity of the EESC members is performed in their countries of origin, reuniting in Bruxelles in a plenary session, usually monthly. In the plenary session of the EESC there are established three large groups. Thus, the Employers’ group joins members from the industrial sector, public and private, small and medium enterprises, chambers of commerce, banking and insurance sector, transport and agriculture. The Workers’ group represents all categories of workers, from unqualified workers to executive managers. Finally, the miscellaneous Activities group is constituted from the representatives of ongovernmental organizations, consumers’ associations, agricultural workers’ associations, craftsmen organizations, cooperatives and non-profit associations, environmental protection associations, scientific and academic communities, and associations representing the family of persons with disabilities. Promoting the general interest, the Committee frequently finalizes its works with a „ dynamic consensus”, respectively an advisory document or a point of view which is the result of initially different positions, sometimes contradictory, between the Groups established (owners’ associations, trade unions – employees, other components of civil society) within the EESC. By consulting EESC, the communitarian decisional organisms can evaluate the impact of the respective proposals on civil society and, at the same time, can identify new solutions, in order for the measures to be adopted to have the necessary support of the European citizens. For the purpose of consolidating cooperation, the Commission and EESC usually sign collaboration protocols (the last of this kind being signed in November 2005) by means of which are identified a series of fields – essential – which concern, to the same extent, the two EU organisms, such as, for instance, the Lisbon Strategy, sustainable development, structural mutations, impact analysis and the evaluation of communitarian regulations, as well as the EU’s foreign relations. Actually, as form of dialogue, confrontation and cooperation, EESC covers, at the same time, the request of democratic expression within the EU, and its closeness towards the European citizens, developing what is synthetically expressed as the „ European conscience”. Obviously, apart from EESC, the communitarian social dialogue is taking place, as in the national realm, at two levels. The inter-professional level represents a complex dialogue regarding the entire EU economy. As indicated by the name, the sectoral level treats the specific sectors of the European economy (transports, agriculture, trade, financial services etc.). The role of the European Commission within social dialogue consists of supplying to the two parties a balances support, by preziding these reunions, as (impartial) mediator. 53 Revue europénnee du droit social 2. Trade union organizations – at the European level – are both intersectoral, and sectoral organizations. European Trade Union Confederation (ETUC) is considered the most important inter-sectoral confederation. ETUC synthesizes, in general lines, the diversity of the European trade union movement: with syndicalization rates varying from 50% to 80%, as is the case of certain northern countries, with unitary (single) trade unions or, on the contrary, with several trade unions in the same country, with trade unions organized according to the criterion of trade or industry, with trade unions having as main goal contestation and, of course, dialogue with the owners’ associations, or, on the contrary, dialogue and co-management. This diversity has, sometimes, negative reflexes, obvious or less evident, on certain positions that ETUC took, in time, although, without doubt, its objectives are both the promotion of the fundamental human (and worker’s) rights, and the protection and promotion of the social rights, in general. Through its statute, ETUC is called the „unitary and pluralist organization, representative for the entirety of the labour world”. ETUC materializes its efforts, among other things, for the promotion of social stability and collective bargaining in view of improving the workers’ statute in the labour process and, in general, in society. In time, it played an important role in the process of elaborating and finalizing certain directives or framework agreements; it provided a viewpoint, upon request or ex officio, on certain social-economic issues that were going to be incorporated in the communitarian acquis1. The European Confederation of Independent Trade Unions (ECITU) was established in 1990, reuniting trade union organizations, mainly from the public and semipublic sector. ECITU also has an inter-professional vocation, seeking to represent the second EU social partner. In the European trade union movement there are also other trade union federations, called sectoral (representing a sector of activity), but the majority are affiliated to ETUC, benefitting, though, of a certain autonomy, especially within sectoral negotiations. 3. Owners’ organizations at the European level. Unlike the trade union movement, where ETUC is obviously dominant, in the owners’ movement three large confederations stand out, organizations that, together with ETUC negotiated a series of collective agreements, three of them subsequently becoming directives. Union of Industrialists in the European Community (UNICE), recently named Businesseurope. Its origins can be traced to 1949 when the Council of Industrial Federations in Europe (CIFE) was established, which later transformed into the Union of Industrialists in the European Community countries, and in 1958 1 The following Romanian trade union confederations are ETUC members: Blocul NaŃional Sindical (BNS – National trade Union Block), ConfederaŃia NaŃională a Sindicatelor din România – FrăŃia (CNSLR – FrăŃia, National Confederation of Trade Unions in Romania - Brotherhood) and ConfederaŃia Sindicatelor Democratice din România (CSDR – Democratic Confederation of Trade Unions in Romania); 54 Revista europeană de drept social became the Union of Industrialists in the European Community (UNICE), and, since2007, after 50 years of activity, Businesseurope – the Confederation of European Entrepreneurs. With this occasion (in 2007) its objectives were restated: the reuniting of the central industrial federations in order to provide their solidarity, the encouragements of a competitive industrial policy at the European level, being a partner of social dialogue with the European trade unions, respectively with the European Union. Stating with a certain pride that UNICE was never a sectoral organization, Businesseurope places in the forefront among its activities the establishing of an official communication line with the EU institutions, the analysis of the current problems and the coordination of the answers of European industry in the complex process of European integration. Businesseurope reunites more than 40 owners’ associations (exceeding SEE) of great diversity from the viewpoint of their organizing, their conceptions, including regarding the culture of collective relations, with decision mechanisms mainly based on consensus (which can paralyze its activity). In doctrine, although it is recognized as being open towards issues that are very current for the EU, it is reproached that „sometimes, it is too reserved with respect to the heavy normative framework (communitarian – o.n.), factor of reduction of enterprise competitiveness”. The Alliance of Owners’ Confederations in Romania (in original, ACPR), is member of Businesseurope. 4. The issue of representativeness of the social partners Acknowledging the social partners the right to be consulted in issues of communitarian social policy, initially by means of the Agreement over social policy, attached to the Maastricht Treaty, and, currently, through the Amsterdam Treaty itself (art. 138 and 139 of the Treaty of Rome), the EU opened, in this way, a difficult, complex issue at the communitarian level, respectively that of their representativeness, especially when they negotiate collective agreements at the communitarian level. As in the internal realm, the representativeness of the social partners at the European level may be, logically, legal or conventional (by means of mutual recognition). From this perspective, the European Commission, in relation to the extremely diverse practice regarding trade union representativeness, acted „with prudence towards a representativeness social model”. In time, respectively in 1993, 1996 and 2002, the Commission stated, by means of Communications entitled „for the development of social dialogue at the communitarian level”, several representativeness criteria accepted, implicitly or explicitly, also by EESC. In essence, in order for representativeness at the European level to be recognized: - the professional organization must, to the largest extent possible, be representative in all EU member states; 55 Revue europénnee du droit social - the professional organization may be inter-sectoral, sectoral or per category, but, it must be structured at the European level and it must be able to participate “efficiently to the process of European consultations”; - the professional organization must have the ability to negotiate collective agreements, first at the national level, by means of the composing organizations, which can be able to give empowerment for communitarian bargaining. Hence, representativeness must be demonstrated, and the European Commission must watch „such as not to have installed, de facto, a presumption of representativeness generated by the sole criterion of tradition”. In this sense, without the list being restrictive, the Commission established a list of the representative organizations. Thus, at the inter-sectoral level, are recognized UNICE, CEEP, UEAPME (only for small and medium enterprises) and EESC and at the sectoral level, more than 30 owners’ organizations and 20 trade unions „within the limits of the sectors of activity within which they are established and with recognized identity”. Obviously, as indicated in the specialty literature, these criteria are not imposed except in relation to the EU and not in the mutual relations between social partners. In fact, on their basis, the procedure applies in the current practice between these trade union or owners’ structures. 5. Communitarian collective bargaining and agreements A visible result of communitarian social dialogue is represented by the framework – collective – agreements, starting with the one in 1995 regarding parental leave and continuing with the one in 1997 regarding part time work, in 1999 regarding work for determined time and, respectively, in 2002, with respect to tele-work. As seen in the doctrine, the consultation of social partners, on the basis of art. 138 of the Treaty of Rome (after the modifications brought through the Amsterdam Treaty), must not be exacerbated. Thus, of the 12 consultations performed between years 1993-2002, 3 consultations finalized through framework-agreements which subsequently transformed into directives, 2 framework-agreements regarding the work time in the sector of maritime transports and civil aviation followed the same path, while the Agreement on tele-work is firstly applied according to the own procedures and practice of the social partners and of the member states.2 At present, social dialogue is institutionalized and practiced in all EU member states. Social partners are consulted and express their opinions regarding different decisions of the political power: they frequently do not exclusively remain in the stage of social dialogue factor, but they actively participate to the application of the national social policies within the co-management organisms established in different fields. Currently, in Europe, can be distinguished several major orientations regarding social dialogue, respectively collective bargaining: 2 See A. Popescu , Dreptul internaŃional şi european al muncii, 2nd edition, C.H. Beck Publishing House, 2008, p.382-389. 56 Revista europeană de drept social - the British orientation, with a preeminent position of collective bargaining at the level of unit and without an express legal regulation of the collective employment contract; - the Germanic orientation, with a priority position of collective bargaining at the level of branch, whose results are compulsory, under the aspect of content, for the of collective bargaining at the level of unit; - the Latin orientation, with collective bargaining and contracts at the level of branch, but which do not condition the base matter of the content of the collective bargaining at the level of unit (France, Spain, Italy). References 1. Raport general privind evoluŃia legislaŃiei muncii în Uniunea Europeană în perioada 19922010 elaborat în cadrul Comisiei Europene. 2. Andrei Popescu, Drept internaŃional şi european al muncii, C.H. Beck Publishing House, Bucharest, 2008. 3. Ovidiu łinca, Drept social comunitar, Lumina Lex Publishing House, Bucharest, 2005, p.24. 4. Dan łop, Dreptul social şi politici naŃionale de protecŃie socială, Bibliotheca Publishing House, Bucharest , 2008. 5. Nicolae Voiculescu, Drept muncii. Reglementări interne şI comunitare, Rosetti Publishing House, Bucharest, 2003. 57 Revue europénnee du droit social INÉGALITÉS DE REVENUS, REDISTRIBUTION ET CROISSANCE EN TUNISIE: CONTRIBUTION THÉORIQUE DANS LE CADRE D’UN MODÈLE À GÉNÉRATIONS IMBRIQUÉES Zahia HAMDÈNE et Lobna BENHASSEN Faculté de Sciences Economique et de Gestion Université de Sfax -Tunisie e-mail: [email protected] Abstract: In this framework, we have two objectives. First, we analyze the income inequality in Tunisia and we present the various mechanisms of redistributions introduced in the aim of easing the disparities of income. Secondly, we study, empirically, the link between the income inequality, the redistribution and the economic growth using an overlapping generation model. To make this, first we study this relation in a context where there is a only set of redistribution: public spending. At second time, we introduce an enrichment to the model by introducing private altruism. Our objective is to emphasize the rule of this last one in the enfeeblement of the disparity of income and the promotion of the economic growth. Keywords: income inequality, redistribution, growth, overlapping generation model Introduction La question des inégalités et de leurs effets sur la croissance occupe une place centrale dans le débat économique. Cette préoccupation n'est pourtant pas nouvelle. De nombreux travaux théoriques et empiriques ont montré que les inégalités de revenus ou de richesses stimulent la croissance (Kaldor (1956), Stiglitz (1969), stiglitz (1969), Mirlees (1971))1. Cette idée a, plus récemment, été appuyée par Barro (1999), Forbes (2000) et Barro (2000) qui argumentent en faveur d'une relation positive entre l'inégalité et la croissance et qui montrent que les inégalités sont favorables à la croissance. Toutefois, en se référant à la littérature, plusieurs autres travaux dégagent une relation négative entre ces deux variables et rejettent l'idée selon laquelle les inégalités présentent un stimulant de la croissance (Alesina et Rodrick (1994), Bertola (1993), Person et Tabelini (1994), Saint-Paul et Verdier (1996), Galor et Zeira (1993), Aghion et Bolton (1997), Picketty (1997)…). A cet égard, la question qui se pose porte 1 Edité par OESCH D. (2001): « L'inégalité frein à la croissance? L'effet de l'inégalité des revenus sur les taux de croissance de dix pays de l'Europe de l'Ouest », Swiss Political Science Review, 7(2), p27-48 58 Revista europeană de drept social sur la nature de la relation entre ces deux variables: Les inégalités sont-elles favorables à la croissance? La croissance se nourrit-elle des inégalités? Intuitivement, on peut penser que les inégalités sont néfastes à la croissance. Elles sont à l'origine de la délinquance, de la criminalité de l'instabilité sociopolitique… . Elles risquent, donc, de freiner la croissance. Pour cela, une intervention de l'Etat pour les réduire parait nécessaire. L’Etat doit intervenir pour redistribuer de plus « riche » au plus « pauvre » afin de dissuader les plus démunis à s'engager dans des activités déléctieuses et de garantir par la suite un contexte favorable à l'investissement, ce qui en retour stimule la croissance économique. L’ensemble de ces questions motive notre travail et nous amènent à chercher des réponses sur les questions de inégalité de revenu et de la redistribution ainsi que leur relations avec la croissance économique pour le cas de la Tunisie. Pour cela, nous procédons, en premier lieu à une analyse détaillée de l’inégalité de revenu au sein du pays. En second lieu, en se basant sur un modèle à génération imbriquée de Bénabou (1996) et en se référant à des données couvrant la période 1972-2003, nous étudions, dans un premier temps, le lien entre l’inégalité de revenu, la redistribution et la croissance dans un contexte d’absence d’altruisme privé. Ensuite, vu que l’altruisme privé est une cotûme bien ancrée en Tunisie se manifestant essentiellement à partir de la mise en œuvre d’un large nombre de programme sociaux financés en grande partie par des fonds privés, nous procédons à un enrichissement personnel du modèle de départ. L’objectif visé est double: introduire une seconde forme de redistribution dans le modèle et étudier l’incidence des transferts privés sur la croissance ainsi que leur rôle dans l’atténuation des inégalités de revenu. I. Les inégalités de revenus en Tunisie En Tunisie, et en absence de statistiques fiables et d’enquêtes sur les revenus, les inégalités sont décelées à partir de la dépense annuelle moyenne2 pour un groupe de ménages donné (Enquête Nationale sur la consommation et le budget des ménages, 1980). La dépense moyenne d’un groupe de ménages constitue donc un indicateur du niveau de revenus. Une dizaine de tranches des dépenses par personne et par an ou par ménage et par an est définie. Les 2 La dépense annuelle moyenne par ménage se décompose comme suit : - Dépenses monétaires de consommation de biens et de services - Dépenses d’autofinancement pour l’acquisition et la construction de logement - Evaluation de l’autoconsommation alimentaire - Evaluation de dons reçus en nature - Evaluation des avantages en nature - Evaluation des services de logement pour tout ménage propriétaire de son logement ou logé gratuitement 59 Revue europénnee du droit social calculs sont faits sur la base de la répartition des ménages, de la population et de la masse des dépenses annuelles suivant ces tranches. Une étude approfondie des inégalités de revenus permet de dégager que les disparités de revenus varient considérablement au niveau national, selon le milieu (urbain ou rural) et les régions. 1. Les inégalités de revenus au niveau national L’analyse de la distribution des dépenses permet de dégager deux constats importants. Premièrement, la distribution de revenus a tendance d’être de plus en plus égalitaire. Les écarts inter-déciles enregistrent une légère tendance à la baisse. L’évolution du premier et du neuvième décile entre 1975 et 2000 permet de constater que le rapport (D9/D1) a baissé tout au long de cette période: Evolution du 1er et du 9ème décile selon le niveau des dépenses entre 1975 et 2000 1er décile 9èmedécile D9/D1 1975 1980 1985 1990 1995 2000 39 285 68 475 134 890 218 1356 315 1953 412 2537 7.367 6.985 6.6641 6.22 6.2 6.157 Source: Les six dernières enquêtes nationales sur le budget et la consommation des ménages Deuxièmement la proportion de la population se situant en bas de l’échelle de distribution est en baisse continue. La proportion de la population appartenant à la première classe de revenus (dépense par personne et par an<400d31 a baissé considérablement sur la période 1985-2000. Elle est passée de 25.1% en 1980 à 16% en 1990 et à 9.3% en l’an 2000. D’autre part, la classe de la population se situant en haut de l’échelle (dépense par personne et par an >2400d) est en croissance continue depuis 1980. Cette évolution, en sens opposé, du niveau des dépenses de la population appartenant aux deux extrémités de l’échelle de la distribution peut être clairement saisie à partir du graphique suivant: 3 Le seuil de 400d représente la dépense moyenne par personne et par an pour un ménage composé de 5 personnes dont 1 seul membre actif est occupé ayant un salaire proche de SMIG -régime 40 heures- en vigueur en l’an 2000(168d par mois 60 Revista europeană de drept social Source: ‘l’auteur à partir des données tirées de l’enquête nationale sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages, 2000 D’après le graphique, deux types de résultats peuvent être envisagés: Une réduction de la proportion de la population ayant un revenu inférieur à 600d et une croissance continue de la classe de la population dépensant plus que 800d. L’évolution, en sens opposé, de la répartition de la population appartenant aux deux extrémités de l’échelle de la distribution s’explique, essentiellement, par l’impact des différents programmes consacrés en faveur de la population déshéritée et des zones ombres. Les différents programmes et politiques mises en œuvre en faveur des plus démunis (le Fond National de Solidarité, le Fond National de l’Emploi, les aides aux familles nécessiteuses…) ont permis de réduire la pauvreté, source première des inégalités. En effet, la Tunisie a enregistré une baisse très appréciable de la population pauvre et du taux de pauvreté. La pauvreté a diminué, considérablement, sur la période 1980- 2000. Elle est passée de 12.9% en 1980 à 7.7% en 1985. Ce recul de la pauvreté s’est poursuivi pour les années suivantes. Le taux de pauvreté a encore légèrement diminué en passant de 6.7% à 6.2% entre 1990 et 1995. Il a atteint un niveau de 4.2% en l’an 2000. Ainsi, la réduction de la proportion de la population pauvre, accompagnée d’une croissance économique appréciable de l’ordre de 5%, s’est traduite par une amélioration du niveau de vie des citoyens. La question qui se pose à cet égard est la suivante: Les inégalités se sont-elles affaiblies suite à l’amélioration du revenu des classes inférieures ? La réponse à cette question peut être visualisée à partir de l’évolution de l’indice de GINI dans le temps (voir graphique). Il ressort des cinq dernières enquêtes sur le budget de ménages que l’indice de GINI évolue tantôt à la baisse et tantôt à la hausse. Il est passé de 43% en 1980 à 43.4% en 1985. Puis, il a diminué de 3 point et a atteint 40.1% en 1990. En 1995, il a enregistré une légère hausse pour atteindre un niveau égal à 41.7%. Et en l’an 2000, il a diminué légèrement de moins d’un point (40.9%) 61 Revue europénnee du droit social Source: l’auteur à partir des données tirées des cinq dernières enquêtes sur le budget des ménages Donc, il s’ensuit que l’amélioration des conditions de niveau de vie au sein des ménages ne peut pas s’expliquer par une distribution plus égalitaire des fruits de la croissance économique. Egalement, il faut noter que les inégalités de revenus sont inégalement reparties entre les milieux: La tendance égalitaire est plus ressentie en milieu rural, appelé aussi milieu non communal qu’en milieu urbain ou communal. 2. Milieu urbain, milieu rural L’analyse comparative de la concentration des dépenses montre que les inégalités sont plus prononcées en milieu communal (urbain) qu’en milieu non communal (rural). Cette idée est bien saisie à partir de l’examen attentif de l’évolution des inégalités dans les deux milieux et au niveau national. Source: l’auteur à partir des données tirées de l’enquête sur le budget des ménages, 2000 62 Revista europeană de drept social Le graphique ci-dessous soulève que l’évolution de la répartition de la population selon les classes sociales et selon les milieux de résidence reflète une nette amélioration de la distribution de revenus dans les deux milieux, communal et rural. En effet, dans le milieu communal, la proportion de la population qui dépense moins de 400d par personne et par an (au prix de l’an 2000) est passée de 10.8% en 1980 à 6.4% en 1990 et à 3.8% en 2000. Cette baisse de la population située en bas de l’échelle est compensée par un élargissement de la proportion de la population ayant des niveaux des dépenses plus élevés. La proportion de la population qui dépense plus que 2400d est passée, en communal, de 7.5% à 10.9% et à 16% au cours de la même période. Concernant le milieu non communal, la proportion de la population appartenant à la classe inférieure (<400d par an et par personne) est en baisse continue depuis 1980. Elle est passée de 46.6% en 1980 à 29.8% en 1990 et à 18.6% en 2000. Celle de la population qui dépense plus que 2400d, évolue à la hausse et passe de 0.7% à 1.7% et à 3% au cours de mêmes périodes. Il s’en suit, qu’au niveau national, la proportion de la population appartenant à la classe inférieure se réduit davantage. Et celle de la classe supérieure s’élargie Ainsi on peut conclure que la persistance des inégalités de revenus s’explique, essentiellement, par le fait que la baisse de la proportion de la population se situant en bas de l’échelle de la distribution, est largement compensée par une hausse continue de proportion de la population appartenant à des classes des dépenses supérieures. 3. Disparités régionales de revenus D’après les cinq dernières enquêtes sur le budget des ménages, on constate que les inégalités sont plus prononcées dans le District -Tunis et le Centre- Est et plus faibles dans les régions de Sud-Ouest et de Centre Ouest. En effet, pour l’an 2000 et en termes de consommation, le premier décile ne consomme qu’une fraction de 0.54% du total des dépenses de consommation de la région (District Tunis). En revanche, le dixième décile détient 42.59% de la masse des dépenses. En d’autres termes, les 10% les plus riches consomment à peu près 79 fois plus que les 10% les plus pauvres. Pour le Centre-Est le rapport inter décile est supérieur à 34. Toutefois, au CentreOuest, les inégalités de revenus sont moins prononcées: Le rapport inter décile (D10/D1) ne dépasse pas 2.5. 63 Revue europénnee du droit social Le rapport inter décile par région pour l’année 2000 Milieu2 District Tunis Nord -Est Nord -Ouest Centre -Est Centre -Ouest Sud -Est Sud -Ouest D10/D1 78.87 8.04 6.34 34.5 2.34 5.48 3.86 Source: Calcul fait à partir de l’enquête sur le budget des ménages, 2000 Cependant, il faut noter que dans ces deux régions « favorisées » (le District de Tunis et le Centre -Est), la pauvreté est réduite. En effet pour le District de Tunis, uniquement, 2.74% de la population de la région appartient au premier décile. Pour le Centre-Est, seulement 5.52% de la population de cette région appartient à la classe des 10% les plus pauvres. Et la plupart des individus se situent dans les quatre déciles supérieurs (67.38% et 62.04%) respectivement. En somme, bien que les inégalités de revenu ne soient pas sensiblement réduites en Tunisie, on assiste à une augmentation très appréciable de la part de revenu détenue par les classes inférieures de la population. L’augmentation de revenu des plus démunis et la réduction de la pauvreté, par conséquent, est attribuable en grande partie aux différents programmes sociaux mis en œuvre par le gouvernement tunisien dans le but d’assurer une vie saine aux plus démunis de la société II. Inégalités de revenus, redistribution et croissance: application d’un modèle à générations imbriquées au cas de la Tunisie 1. Présentation du modèle 5 Nous considérons une économie à générations imbriquées où les individus vivent deux périodes t et t +1. A la naissance les agents ont une dotation initiale en 2 Le découpage régional adopté comporte 7 grandes régions District de Tunis : composé des gouvernorats de Tunis, Ariana, Ben Arous et Mannouba Nord Est : gouvernorats de Bizerte, Nabeul et Zaghouan Nord Ouest : gouvernorats de Béja, Jendouba, Kef et Siliana Centre Est : gouvernorats de Sousse, Monastir Mahdia et Sfax Centre Ouest : gouvernorats de Kasserine, Sidi Bouzid et Kairouan Sud Est : gouvernorats de Gabès, Médenine et Tataouine Sud Ouest : gouvernorats de Gafsa, Tozeur et Kébilli 5 Le modèle que nous présentons est inspiré de celui du Bénabou (1996). La seule différence est au niveau de l'expression du revenu de la seconde période (équation 1). Benabou l'exprime en fonction de la richesse initiale. Alors que pour nous, ce revenu dépend des dépenses publiques. 64 Revista europeană de drept social capital humain W it . Au cours de la première période (t), ils investissent en capital humain et choisissent au moyen de vote le taux de prélèvement qui permet de redistribuer les richesses. i Au cours de la seconde période, ils obtiennent un revenu Y t à partir de l’investissement de k it effectué lors de la première période et de dépenses publiques productives g t (dépenses d’éducation). Ce revenu est intégralement consommé et a l’expression suivante: i i α 1−α Y t = r ( k t ) (g ) ; 0< α <1 (1) ∧ t Avec: - r: paramètre de productivité ∧ i - k t :L’investissement après impôt ou subvention, effectué par l’agent i ∧ i L’expression de k t est une fonction de k it , tel que k it représente le montant épargné et destiné à l’investissement et qui fait l’objet d’une politique redistributive impliquant tantôt une subvention et tantôt une taxation de l’investissement selon le schéma suivant: ∧i ~ i k t = (k t ) 1 − τ ( k t ) τ ; 0<τ <1 (2) ~ k t représente le seuil de ponction ou de subvention suivant le cas:Les agents ~ ~ pour lesquels k it > k t sont ponctionnés. Inversement, ceux pour qui k it < k t sont subventionnés. A tout moment, l’Etat équilibre son budget. Ceci peut s’écrire comme suit: ∫ 1 0 ~ ( k it )1− τ ( k t ) τ di = 1 ∫ k di 0 i t (3) Les dépenses publiques (dépenses d’éducation) sont financées par une taxe proportionnelle au revenu de la première période qu’on note τ. Le taux de prélèvement τ est identique à celui présent dans le mécanisme de ponction subvention de l’investissement. Le budget de l’Etat est toujours équilibré, donc, on aura: ∫ 1 g t = τ w it di (4) 0 Etant donné que les agents vivent deux périodes, ils cherchent donc à maximiser leur utilité inter temporelle dont l’expression est la suivante: U it = log c ti + ρ log d ti (5) 65 Revue europénnee du droit social i i Avec c t et d t désignent, respectivement, la consommation de la première et de la seconde période de l'agent né à la date t. Nous supposons suppose, encore, que les agents sont financièrement rationnés. En effet, sur le marché de crédit et en présence d’imperfection de l’information, un phénomène d’aléas moral se produit et fausse la perception des créanciers envers leurs débiteurs. Les créanciers, agents à capacité de financement, cherchent donc à sécuriser leurs transitions en exigeant un certain nombre de garanties. Et par conséquent, les agents pauvres seront financièrement rationnés. Nous considérons qu’il n’y a aucune possibilité de crédits (absence d’un marché de crédit par soucis de simplification). Cette méthode de modélisation de rationnement financier est largement répandue dans la littérature. Elle est utilisée dans des nombreux travaux: Benabou (1996), Benabou (2000) Desdoigts et Moizeau (2001). L'équation de la consommation de la première période est purement comptable et se présente comme suit: C t = w it (1 − τ ) − k it (6) Sous l'hypothèse que les agents consomment l'intégralité de leur revenu en seconde période, on peut écrire: d it = yti = r [ kˆti ]α ( g t )1−α Ce qui revient à écrire l'équation suivante: ~ d it = r [( k ti ) 1 −τ ( k ) τ ] α ( g t ) 1− α (7) Le programme de maximisation d’un agent i appartenant à la génération t s’écrit donc: ~ Max k i [log w it (1 − τ) − k it ] + ρ log[r (k it )1−τ (k ) τ ]α .(g t )1−α ] (8) La condition de premier ordre par rapport à kti donne: ⇒ −1 + w it (1 − τ ) − k it ρα (1 − τ ) y it y it k it =0 (9) Le niveau d’investissement d'équilibre est atteint si l’équation (9) est vérifiée. ⇒ k it = Avec: ρα (1 − τ ) 2 w it = S ( τ ) w it 1 + ρα (1 − τ ) S(τ) = (10) ρα(1− τ)2 1+ ρα(1− τ) Selon l’équation (10), en présence d’un marché de crédit imparfait, l’investissement dépend du niveau de revenus de la première période de vie. Le 66 Revista europeană de drept social revenu de la première période est supposé suivre une loi log-normale de moyenne m et de variance ∆ 2 soit; i log N (m, ∆ 2 ) wt L’expression du revenu de la seconde période est, comme déjà avancé, dit = yit . Etant donné que k it = S(τ) w it et que la taxe prélevée par l’Etat est proportionnelle au revenu de la première période et sert pour l’essentiel à financer les dépenses publiques ( gt peut s’écrire comme gt = τwt ), y it peut s’écrire de la manière suivante: ~ ~ ) ατ .w 1−α yit = r[(kit )1−τ (k)τ ]α (gt )1−α = r (S(τ) α (τ)1−α .( w it ) α (1− τ ) .( w t t (11) D’après l’équation (3), on a: 1 ∫ (k ) 0 En remplaçant k i t i 1−τ t 1 ~ ( k ) τ di = k it di ∫ 0 par son expression, on obtient: ~ w w 1− τ ⇒ ( )τ = w E [( w it ) 1 − τ ] (12) Sous l’hypothèse que le niveau de productivité atteint par la génération t s’incarne mécaniquement aux individus de la génération t+1 avec une proportion i i Є t +1 . Tel que Є t +1 est un choc iid. On peut écrire: yt +1 = Є i t +1 yt (13) Par conséquent, le taux de croissance économique de long terme de l’économie est: G t = log yt w Y = log[ t +1 ] = log t wt y t −1 wt Tout calcul fait, G t devient égal à G t = log r + α log S ( τ ) + (1 − α ) log( τ ) − α (1 − α )(1 − τ 2 ) ∆2 2 (14) D’après cette dernière équation, une distribution plus inégalitaire de revenus réduit la croissance (toute augmentation de ∆2 réduit la valeur de G t ) sous l’hypothèse des rendements marginaux décroissants de l’investissement ( α<1). Nous concluons donc que la présence d’une relation négative entre inégalités et croissance se justifie essentiellement par le fait que les agents à forte productivité marginale (les pauvres) sont financièrement rationnés. Dès lors, une redistribution en faveur de ces derniers peut desserrer la contrainte de crédit et par conséquent générer un effet positif sur la croissance. 67 Revue europénnee du droit social 2. Application du modèle au cas de la Tunisie en absence d’altruisme privé 2.1. Estimation Comme on l'a déjà mentionné, on va vérifier empiriquement la nature de la relation entre inégalités et croissance, d’une part, et celle entre redistribution et croissance d’autre part pour le cas de la Tunisie en absence d’altruisme privé; la redistribution de revenu s’effectue uniquement moyennant les taxes. L’estimation va porter sur des données tunisiennes pour la période 1972-2003. La méthode d’estimation est celle des moindres carrés ordinaires. Et l’équation à estimer est: G t = β 0 log( PTF ) + β1 log( INV ) + β 2 log( TAX ) + β 3 ( GINI ) + β 4 ( GINITAX ) + ε t Avec - G t : le taux de croissance économique. Il est représenté par le PIB/tête - PTF: productivité globale des facteurs. Elle est calculée à partir du rapport suivant: PTF = log( PIB ) (6) K α L1 − α - INV: l’investissement en % du PIB - TAX: les taxes sur les revenus en % du PIB - GINI: l’indice de GINI qui reflète le degré d’inégalité de revenus des ménages - GINITAX: une variable mesurant l’effet combiné de l’inégalité et de la redistribution sur la croissance. - εt : terme d’erreur 2.2. Résultats de l’estimation L’estimation par la méthode des moindres carrés ordinaires de l’équation (14) donne les résultats suivants Variables LTAX GINI INDEX GINI TAX coefficients 0.842044 -0.140039 1.331536 t-statistic 2.407144 -4.582943 7.776516 L’analyse des résultats dégagés à partir de l’application du modèle sur des données tunisiennes révèle que R2 est proche de 1 (R-squared est égale à 0.966241). Autrement dit les variables introduites expliquent bien la variable endogène G t . Donc, l’équation estimée est statistiquement significative sur le plan économique. 6 Voir Jamal Bouoiyour et Mimoun Yazidi (1997) : productivité et ouverture en Afrique de Nord : Une étude empirique, Université de Pau et des pays de l’Adour France 68 Revista europeană de drept social Autrement dit, l’application de ce modèle sur le plan empirique est légitime. De même, les deux variables inégalités (GINIINDEX) et redistribution (LTAX) ont le signe attendu. En effet, le coefficient associé à l’indice de GINI est de signe négatif. D’où, on peut affirmer que, pour le cas de la Tunisie, les inégalités de revenus ont un effet négatif sur la croissance économique. Ce résultat confirme, en large mesure, la théorie économique prévoyant une relation négative entre les inégalités de revenus et la croissance. Encore, ce résultat coïncide avec plusieurs autres travaux empiriques qui ont dégagé un signe négatif entre ces deux variables (Alesina et Rodrick (1994), Bourguignon (1998), Deninger et Squire (1996), Alesina et Perotti (1996)). Concernant la redistribution, le coefficient associé à la taxation est positif et significatif au seuil de 5%. On peut, donc, conclure que la redistribution en Tunisie a exercé, tout au long des 30 dernières années, un effet positif sur la croissance économique. Ce résultat concorde avec toute une branche de la théorie économique insistant sur l’importance de la redistribution dans la promotion de la croissance (l’imperfection du marché de crédit, la redistribution via les dépenses publiques productives…). De même ce résultat est similaire à plusieurs autres études empiriques concluant à l’existante d’une incidence positive de la redistribution sur la croissance économique (Perotti (1992), Verdier (1993), Aghion et Bolton (1997)). 3. Incidence de l’inégalité de revenu et de la redistribution en présence de l’altruisme privé 3.1. Introduction de l’altruisme privé Une lecture attentive du modèle de Bénabou (1996) nous permet de détecter deux limites. Premièrement, les individus qui composent l'économie sont non altruistes. Chaque individu s'intéresse uniquement à son bien-être. Deuxièmement, Bénabou ne prend en compte qu'une seule forme de redistribution, celle qui s'opère via les dépenses publiques productives. Or, les dépenses publiques ne sont ni les seuls instruments de redistribution, ni les plus efficaces. Pour surmonter ces deux limites, nous nous proposons de fournir un enrichissement personnel en introduisant une deuxième forme de redistribution à côté des dépenses publiques représentée: les transferts privés. Les transferts privés introduites prennent la forme d’un transfert ascendant parents-enfants sous forme d’un investissement en capital humain et un transfert ascendant de sens inverse. En effet, les parents altruistes financent en grande partie l’éducation de leur descendants au moyen d’un transfert et et tirent profit de la maximisation de bien-être de ces derniers. Egalement, au cours de la seconde période de sa vie, l’individu représentatif s’intéresse au bienêtre de ces parents et leur alloue une partie lt de son revenu de seconde période. En somme, un individu représentatif reçoit au cours de la première période un transfert privé auprès de ces parents sous forme de financement de dépenses éducatives. En seconde période, il finance à son tour l’éducation de ces descendants et effectue des transferts en faveur de ces parents. 69 Revue europénnee du droit social Il s’ensuit que ce type de transfert va agir sur l’investissement en capital humain qui sera financé en partie par l’Etat via la fourniture des dépenses publiques productives et en partie au moyen de transfert altruiste privé et et par conséquent sur le niveau de revenu de la seconde période ainsi que sur la fonction d’utilité. i Ainsi, toute chose égale par ailleurs, le revenu de la seconde période yt peut s'exprimer comme suit: y it = r (k̂ it ) α (g t ) β (e it −1 ) γ ; α +β + γ =1 ∧ i En replaçant k t par son expression, le revenu de la seconde période peut s'écrire comme suit: ~ yit = r[(k it )1−τ ( k t ) τ ]α (g t )β (eit −1 ) γ Ce revenu est destiné à la consommation, aux transferts en faveur des descendants en finançant les dépenses éducatives (transferts descendants) et au soutien des parents (transferts ascendants). Ainsi y it = d it + e it + l it Avec: - d ti : la consommation de la deuxième période - eti : les transferts privés effectués par l’individu i au profit de ses descendants sous forme d’un financement de l’éducation - l ti : les transferts effectués par l’individu i en faveur des ses ascendants; On suppose que la consommation de la deuxième période est le résidu de revenu après transferts. En effet, les individus altruistes s’intéressent, en premier lieu, à satisfaire les besoins de leurs enfants et ceux de leurs parents. Etant donné que les individus vivent deux périodes, ils cherchent donc à maximiser leur utilité inter temporelle. Cette dernière s'exprime de la manière suivante: U it = log c it + log e it −1 + ρ log d it + θ log e it + λ log l it Où cit et d it désignent la consommation de la première et de la seconde période, respectivement, et eti les transferts privés reçus lors de la première période sous forme d’un investissement en capital humain (financement de l’éducation par les parents lorsque l’individu i est jeune) En remplaçant cit et d it par leurs expressions, la fonction d'utilité inter temporelle d’un agent i appartenant à la génération t s’écrit donc: ~ Uit = log(w it (1 − τ) − k it ) + ρ log r[ [(k it )1−τ ( k) τ ]α .(g t )β (eit −1 ) γ − eit − lit ] + logeit −1 + θ log eit + λ log lit En remplaçant k it par son expression dans la fonction de revenu de la seconde période et étant donné que la taxe prélevée par l’Etat est proportionnelle au revenu 70 Revista europeană de drept social de la première période et sert pour l’essentiel à financer les dépenses publiques ( gt peut s’écrire comme gt = τwt ), y it peut s’écrire de la manière suivante: [ ~ ) ατ τβ w β (e i ) γ y it = r S( τ) α ( w it ) α (1− τ ) ( w t t t −1 ] Ainsi, le revenu de la seconde période dépend de la productivité du capital, du taux de prélèvement mais aussi des transferts privés. Le revenu global de l'économie étant l'agrégat de revenus individuels, il se présente comme suit: [ ~ )ατ τ β w β ( w )α (1−τ ) e Yt = r S (τ )α ( w t t t t −1 γ ] En préservant l’hypothèse selon laquelle le niveau de productivité atteint par la génération t s’incarne mécaniquement aux individus de la génération t+1 avec une proportion ε t + 1 (yt+1 = ε t +1 y t ) , le taux de croissance économique est: y w y G t = log t = log t +1 = log t y t −1 wt wt ~ ) ατ ( w ) β e γ r [ S (τ ) α τ β ( w t ) α ( 1 − τ ) ( w t t t −1 G t = log wt 1−τ ~ w w Etant donné que ( )τ = w E [( w ti ) 1−τ ] Et sous l'hypothèse que les revenus de la première période suivent une loi lognormale de moyenne m et de variance ∆ 2 , log w t N (m, ∆ 2 ), Gt devient: G t = log r + α log S (τ ) + β log τ + γ log e t −1 − α (1 − α )( 1 − τ ) 2 ∆2 − γ log w t 2 Rappelons que: - r: paramètre de productivité, - S (τ ) : La part de richesse investie, - τ : Le taux de prélèvement, - w t : la richesse initiale d'une économie, - e t −1 : L'ensemble de transferts privés reçus lors de la première période, - ∆ 2 : variance de revenus de la seconde période D'après cette dernière équation (14)', on constate que la redistribution publique demeure favorable à la croissance économique. Elle permet d'atténuer les inégalités et par conséquent d'améliorer la croissance économique. Encore, les inégalités exercent un effet négatif sur la croissance. Et les transferts privés déprime l'effet nuisible des inégalités et stimulent la croissance économique 71 Revue europénnee du droit social Ce raisonnement reste t-il vrai sur le plan empirique? Autrement dit, l'existence d'une relation positive entre transferts privés et croissance est-elle vérifiée empiriquement? 3.2. Application du modèle au cas de la Tunisie Pour vérifier s'il existe ou non une incidence positive des transferts privés sur la croissance économique, on va se référer au cas de la Tunisie et appliquer le modèle sur des données Tunisiennes pour la période 1972-2003. Les transferts privés seront représentés par les dons fournis au profit du Fond National de Solidarité (FNS), organisme par lequel passe une grande part des dons offerts par les institutions et les acteurs privés. Toutes choses égales par ailleurs, l'équation à estimer est: log G t = β 0 log( PTF ) + β 1 log( INV ) + β 2 log( TAX ) + β 3 GINIINDEX + β 4 GINITAX + β 5 log( TR ) + ε t Avec: - TR: transferts privés constitués par l'ensemble des dons fournis au FNS La méthode d’estimation est celle des moindres carrés ordinaires. L'estimation est faite sur des données tunisiennes couvrant la période 1972-2003. Les résultats de l’estimation sont reproduits dans ce qui suit (pour plus de détails voir annexe 3): variable GINIINDEX GINITAX LTAX LTR coefficient -0.008290 0.330625 1.097696 0.447685 t-statistic -2.152128 5.105467 2.603342 5.247532 Les résultats de l’estimation démontrent clairement que l’introduction des transferts privés, à côté des dépenses publiques productives est raisonnable. En effet, la nouvelle variable introduite exerce un effet positif et significatif sur la croissance économique. Le coefficient associé à cette dernière variable est positif et significatif. De même, l’introduction des transferts n'affecte pas la qualité de l'ajustement (R2 est égale à 0.812416) et atténue l’incidence négative des inégalités sur la croissance économique: En absence des transferts et en présence d'une seule forme de redistribution (la redistribution publique), le coefficient associé à l’indice de GINI est de l’ordre de (-0.140039). Ce coefficient, en présence des transferts privés, diminue et atteint (-0.008290). En d’autres termes, dans la première spécification, une augmentation de l’inégalité de revenus d’un point de pourcentage réduit la croissance économique de 0.14%. Dans la seconde, et suite à l’introduction des transferts privés, une hausse de l’inégalité d’un point de pourcentage induit une diminution de la croissance de l’ordre de 0.008% uniquement. Ainsi, pour la Tunisie, les transferts ont permis d’atténuer l’effet néfaste de l’inégalité et ont, par conséquent, favorisé la croissance économique. Il est à noter, toutefois, que l’effet des transferts sur la 72 Revista europeană de drept social croissance peut être plus important si on estime notre modèle sur la période des années quatre-vingt-dix. Ce raisonnement s’explique par l’importance des transferts tout au long de cette période suite au développement et à la création des fonds spéciaux et des institutions publiques en faveur des plus démunis et à l’importance des montants transférés envers les plus défavorisés et les familles nécessiteuses. Conclusion En se référant à la théorie économique, on a relevé qu’il n’existe de consensus ni sur l’incidence de l’inégalité sur la croissance ni sur le lien entre la redistribution et la croissance. De plus, les pistes de recherche sur ces deux sujets restent fructueuses. Vu l’ambiguïté des signes associant les inégalités de revenus et la redistribution à la croissance économique, on a étudié ces deux types de liens pour un cas précis; le cas de la tunisie. L’étude est faite par l’estimation de deux modèles à générations imbriquées sur des données tunisiennes pour la période 1972-2003. Le premier est celui de Bénabou (1996). Le second est un enrichissement personnel de ce dernier. L'enrichissement consiste à introduire des hypothèses additionnelles au modèle de départ. En effet, dès lors que Bénabou (1996) ne considère qu'une seule forme de redistribution, celle qui s'opère via les dépenses publiques productives, on a introduit les transferts privés comme deuxième forme de redistribution. Les transferts privés introduits dans notre modèle fonctionnent comme étant une externalité qui peut influencer les revenus individuels. Ils nous ont permis de rendre le modèle plus riche et plus proche du monde réel et de surmonter les limites du modèle de Bénabou (1996). Notre objectif de départ est de relever l'effet des inégalités ainsi que l'incidence de chaque composante de redistribution (redistribution publique et transferts privés) sur la croissance économique: Qui contribue le plus à l'amélioration de la croissance économique? Est-ce que ce sont les dépenses publiques ou les transferts privés? Toutefois, et faute de statistique fiable sur les transferts privés, l'étude empirique de notre modèle est faite en prenant en compte, uniquement, les dons fournis au profit de FNS, organisme par lequel passe une grande part des dons offerts par les organismes et les acteurs privés. Ainsi, les transferts privés intégrés sont sous-évalués du fait qu'il existe plusieurs autres formes de transferts mais qui ne sont pas déclarés (charité, allocations familiales, aides…). Par conséquent, on s'attend à ce que l'incidence des transferts privés sur les inégalités ainsi que sur la croissance économique soit sous-évaluée. Les résultats dégagés à partir de la validation empirique de deux modèles mentionnés confirment l’existence d’une relation négative entre les inégalités et la croissance et d’un lien, de signe opposé, entre les deux variables redistribution et croissance. Il est à noter que les transferts privés introduits atténuent l'effet nuisible des inégalités et améliorent par la suite la croissance économique du pays. Néanmoins, 73 Revue europénnee du droit social notre analyse des inégalités de revenus et de la redistribution et de l’incidence de ces deux variables sur la croissance économique du pays reste d’ordre général. Une analyse plus approfondie et plus détaillée est réclamée. Il sera plus utile de déterminer avec précision l’ensemble de facteurs générateurs des inégalités, la contribution de chaque secteur d’activité dans la formation des inégalités ainsi que la contribution de chaque outil de redistribution à la réduction de l’inégalité de revenu. Bibliographie Aghion PH. et P. Bolton (1997): « A Trickle-Down Theory of Growth and Development», The Review of Economics Studies, 64(2), n°219, pp.152-172 Alaya. H (1999): « Les nouvelles règles du jeu économique en Tunisie», Tunis, Centre de Publication Universitaire. Alesina A. et D. Rodrick (1994): « Distributive politics and economics growth», Quarterly Journal of Economics, vol.40, pp. 466-89 Alesina A. et R. Perotti (1996): « Income distribution, political instability and investment», European Economic Review, vol. 40, pp.1203-1222 Ben Arous M. (2000): « L'expérience tunisienne en matière de lutte contre la pauvreté », ème CEMAFI et RIME, 4 rencontres Euro-Mediterranienne Benabou R. (1996): « Inequality and growth », in NBER Macroeconomics Annuel, Bernanke et Rotemberg (eds), Combridge et Londres, MIT Press Benabou R. (2000):« Unequal Societies, income distribution and the social contract», American Economic Review, 90(1), pp.96-129 Bourguignon F. (1998): «Redistribution et développement», Conseil d’analyse économique, DELTA, Paris Deininger K. et L. Squire (1996): « A New Data Set Measuring Income Inequality », The world Bank Economic Review, 10(3), pp.565-91 Desdoigts A. et F. Moizeau (2001): « Multiple Politico-Economic Regimes, Inequality and ème Growth», 6 colloque GDR-T2M, Nice Sophia-Antipolos Essoussi K. (2003): « L’Etat ou l’entreprise face à la protection sociale des populations vulnérables », Centre de Recherches et d’Etudes de sécurité Sociale (CRESS) Tunisie, ème 4 conférence internationale de recherche en sécurité sociale Perotti R. (1992): « Income Distribution, Politicals, and growth », American Economic Review, 82(2), pp.311-15 Picketty T. (1997): « The Dynamics of the Wealth Distribution and the Interest Rate with Credit Rationing », Review of Economics Studies, vol. 64, n°2, pp.173-190. Verdier T. (1993): «Développement récents en économie politique de la croissance», Revue économique, 50(3), pp. 489-496 Institut National de Statistiques (1975): « Enquête nationale sur le budget et la consommation des ménages » Institut National de Statistiques (1980):« Enquête nationale sur le budget et la consommation des ménage » Institut National de Statistiques (1985): « Enquête nationale sur le budget et la consommation des ménages » Institut National de Statistiques (1990): « Enquête nationale sur le budget et la consommation des ménage » Institut National de Statistiques (1995): « Enquête nationale sur le budget et la consommation des ménages » Institut National de Statistiques (2000): « Enquête nationale sur le budget et la consommation des ménages » 74 Revista europeană de drept social LA FUITE DES CERVEAUX: EXIL FORCE OU MAL ETRE DE L’INTELLECTUEL AFRICAIN ? Par Brice Arsène MANKOU, Doctorant en Sociologie des migrations, Chercheur au Clersé – Université de Lille 1 et chargé d’enseignement à l’université du Littoral Côte d’opale, à l’école supérieur de Commerce du Pas de calais (ESCIP) et à l’école des éducateurs spécialisés de St Omer et Lille. Abstract: Africa is a continent which every year attends powerless in the massive exodus of its frames (executives) and elites. Nevertheless, one of the indications of the development of a country is the number of the well trained(formed) frames(executives); Q' we speak " about chosen immigration " or of positive discrimination in France, the continent which loses in all these concepts is good Africa, which knows for several years, a brain drain. This phenomenon which tends to become widespread, has several causes among which: the forced exile and the evil to be of the African elite. Why, does not the African continent succeed in keeping(guarding) its frames(executives)? Are they chased by dictatorial diets(regimes) which do not accept the contradictions and the intellectual debates? Are they victims of the evil to be real due to the numerous problems of governance which this continent faces? So many questions lifted(raised) by this contribution. I. LA FUITE DES CERVEAUX: ABUS DE LANGAGE OU TERMINOLOGIE PROBLÉMATIQUE ? Personne n’à jamais vu un cerveau s’enfuir me direz-vous. Cheick Modibo Diarra, actuel président de Microsoft Afrique, qui récuse cette expression en ces termes: « Un cerveau fuit pour aller où ? La fuite des cerveaux est une notion issue des salons ou de grandes institutions onusiennes. La réalité est que personne ne désire quitter son pays, car rien ne peut remplacer l’odeur du quartier dans lequel on est né » Cheick Modibo Diarra rajoute « Qui est au point de rester dans un endroit où l’odeur de la terre mouillée par la pluie ne lui inspire rien ? Pour rien au monde je ne serais parti ailleurs si j’avais trouvé dans ma ville de Ségou, les moyens de travailler. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde où l’accumulation du savoir est extraordinaire et progresse très vite… »1 Dans ce contexte, la détermination des jeunes d’Afrique de l’Ouest, qui, au péril de leurs vies, prennent des pirogues de fortune pour partir vers un mieux être, est une (1) Interview de Cheick Modibo Diarra, ex membre de la NASA et Président de Microsoft Afrique. Interview publiée par le magazine du bureau régional de la Banque Mondiale à Dakar. 75 Revue europénnee du droit social preuve supplémentaire à qui veut l’entendre que lorsque la misère frappe un pays, ou une région, partir devient un ultime recours. C’est une réaction tout à fait humaine. Si pour de nombreux intellectuels africains, « la fuite des cerveaux » est un pseudo problème » arrêtons nous un instant sur le terme « fuite ». Qu’est ce qu’une « fuite » ? Selon le dictionnaire Larousse, une « fuite » est l’action de fuir, autrement dit se soustraire à quelque chose de pénible, de dangereux etc.. Nous nous attarderons sur cette première définition pour évoquer les facteurs déterminants de la « fuite des cerveaux » en Afrique Sub-saharienne. Mais avant d’en arriver là, faisons un état des lieux de ce phénomène qui mine notre continent. II. LA FUITE DES CERVEAUX: ETAT DES LIEUX EN AFRIQUE L’Afrique est le continent qui voit le plus grand nombre de ses intellectuels partir malgré eux, vers des pays où les conditions de vie et de travail semblent meilleures. A rebours de l’immigration choisie, prônée par Nicolas Sarkozy actuel Président de la République française, nous assisterons de plus en plus à un pillage, non seulement de nos richesses, mais aussi de nos cerveaux, dont on a hélas encore besoin pour le développement de notre continent. Je suis de ceux qui croient que seule une politique innovante de co-développement permettra de rééquilibrer les relations Nord-sud et d’endiguer « la fuite des cerveaux ». II.1 – L’IMMIGRATION EN QUELQUES CHIFFRES Aujourd’hui 3 milliards d’êtres humains vivent avec moins de deux dollars par jour. Cette misère lourde, profonde, nourrit l’immigration vers l’eldorado des pays du Nord. En 2005, par exemple, le nombre de migrants dans le monde était estimé entre 182 et 185 millions, soit environ 2,9 % de la population mondiale. Alors qu’en Afrique, en Amérique Latine et en Asie, les migrants représentent moins de 2% de la population totale de chaque région. Que va devenir ce phénomène dans les années à venir ? En 2050, les démographes prévoient 230 millions de migrants pour une population de 9 milliards. Et l’Afrique dans tout cela ? Régions Afrique Population totale Par milliers 795 671 Milliers 16 277 Pourcentage 9,31 % Réfugiés 6 060 Lorsqu’on observe la quasi-totalité des pays d’Afrique Noire, il y a quelques points communs sur les facteurs qui contribuent à exacerber « la fuite des cerveaux ». Parmi ces facteurs, il y a entre autres: - la crise économique des années 1980 qui a entraîné une crise profonde des universités africaines; 76 Revista europeană de drept social - la recherche scientifique qui n’est plus valorisée par les gouvernements - les chercheurs qui ne sont plus rationnellement motivés dans leurs recherches. - L’absence des laboratoires dignes de ce nom, et bien d’autres facteurs contribuent de façon aggravante à la « fuite des cerveaux ». Selon l’Organisation Internationale des Migrations (OIM), il y a chaque année près de 20 000 départs d’africains hautement qualifiés vers les pays du Nord, plus attractifs en matière de salaire et de niveau de vie. Un chiffre sous évalué par rapport à celui que nous donne l’Organisation de Coopération et Développement Economique (OCDE) qui a répertorié au sein de ses Etats membres: plus d’un million d’africains titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur qui quittent leurs pays d’origine2. Cette situation est d’autant plus dramatique que le retard pris par l’Afrique pour son développement économique ne cesse de s’allonger. Mais quels sont les déterminants de cette « fuite de cerveaux » et quelles peuvent en être les conséquences sur le plan socio-économique ? III. LES DETERMINANTS DE L’EXODE DES COMPETENCES EN AFRIQUE En fait, selon l’Agence Universitaire de la Francophonie, c’est depuis les indépendances de la plupart des Etats du continent que les élites africaines s’expatrient3. Ainsi plusieurs causes peuvent expliquer ce phénomène parmi lesquelles: - La crise économique qui frappe ces Etats contraint à des plans d’ajustement structurel drastiques imposés par les institutions Bretton woods. (FMI et Banque Mondiale). - L’échec de ces plans dont le plan quinquennal de 1982-1986 pour le cas du Congo Brazzaville. - L’instabilité politique de ces pays frappés par les guerres civiles et les mouvements de rébellion. - Le gel des salaires – la baisse du pouvoir d’achat - La dévaluation du Franc CFA en 1994. - L’inflation galopante - La mondialisation et ses avatars économiques Tous ces phénomènes ont incité les intellectuels, les diplômés et autres cadres supérieurs, à migrer dans des pays plus sûrs où les salaires correspondent à leurs qualifications4. (2) « Fuite des cerveaux » Africains, Valérie Thorin in Migrations la tentation du Nord. Fuite des cerveaux : les racines et remèdes du mal, Agence Universitaire de la Francophonie – Bureau Afrique de l’Ouest in le journal « Le Soleil » du 24 décembre 2002 (4) Nations Unies, Chronique en ligne, La fuite des cerveaux et opportunités pour le développement, par Anne-Christine Roisin, for the chronique (3) 77 Revue europénnee du droit social C’est donc les deux variables de cette migration à savoir l’exil ou le malaise de l’intellectuel, qui sont englobées par ces causes qui touchent l’université, les hôpitaux, les industries et les autres secteurs d’activités. Mais quelles sont les incidences socio-économiques de cette migration de compétences et des cadres pour les pays d’origine ? Comment endiguer ce phénomène ? IV. LES CONSEQUENCES SOCIO-ECONOMIQUES DE L’EXODE DES INTELLECTUELS AFRICAINS Le développement du continent africain passe par les innovations et la promotion d’une politique hardie, en faveur de la recherche scientifique. En France par exemple, on parle de plus en plus de « pôles de compétitivité » pour démontrer que la recherche scientifique est créatrice d’emplois et source de développement économique et social. Un pays comme le Malawi est confronté aujourd’hui à l’une des plus graves pénuries d’infirmières et de sages-femmes dans le continent, alors qu’aujourd’hui le Malawi est un des états d’Afrique qui a un des taux de prévalence le plus élevé des séropositifs. Est-ce concevable ?. Aujourd’hui plus de 2/3 des postes d’infirmières demeurent vacants au Malawi. Plus de la moitié des infirmières diplômées sont parties travailler à l’étranger. On sait que l’Angleterre par exemple, encourage la migration des infirmières et des médecins originaires des pays d’Afrique, tels que le Ghana, le Kenya et le Nigeria5. Mais combien coûte le recrutement d’un travailleur migrant qualifié à son pays d’origine qui a investi pour le former ? Eh bien 40.000.000 de CFA, puisque 100 000 travailleurs migrants coûtent à leurs pays d’origine 4 milliards de dollars. C’est autant dire que ces migrations coûtent cher à leurs Etats. • Sur le plan économique « La fuite des cerveaux » peut avoir des incidences négatives sur l’investissement dans un pays. Car on sait logiquement qu’un cadre a un salaire élevé, du moins dans les pays développés, et qui dit salaire élevé, dit dépenses de consommation et d’investissement élevées. La circulation plutôt que la « fuite des cerveaux » peut favoriser la croissance économique de nos Etats. Sur le plan social Sur le plan social, « la fuite des cerveaux » « destructure » la société, car sans innovation, sans recherche technique et scientifique, une société est condamnée à la disparition. Autrement dit, une société qui ne sait plus créer, inventer et innover est une société appelée à disparaître demain, et les chercheurs africains peuvent nous dire si leurs Etats leur permettent de créer, d’innover et de chercher ? (5) Op.cit. Anne Christine Roisin 78 Revista europeană de drept social V. LES DEUX VARIABLES DE LA MIGRATION DES CERVEAUX Après cette analyse on peut se demander si « la fuite des cerveaux » est: Un exil forcé ou l’expression d’un malaise de l’intellectuel africain? VI. LES « CONFLITS ARMÉS » ONT CHASSÉ LES INTELLECTUELS « L’immigration de crise »6 a gagné le monde intellectuel, culturel et économique de nos Etats. L’expérience des conflits armés au Congo-Brazzaville a révélé que notre « alma mater » a souffert de cette folie meurtrière aux multiples conséquences, paralysant ainsi l’université. Un universitaire rencontré en France à cette période me confiait: « … comment continuer à faire de la recherche dans un pays où l’université a été pillée de fond en comble. Pour ne pas me retrouver sans travail, j’ai choisi l’exil, mais attention, c’est un exil forcé… » Il faut néanmoins aussi reconnaître que les migrations de l’Afrique vers la France ou certains pays d’Amérique du Nord comme le Canada; est une nécessité dans la vie de la plupart des étudiants ressortissants de l’Afrique qui bénéficient d’un niveau d’études supérieures. Cette démarche s’explique par plusieurs raisons: beaucoup d’universités africaines n’ont pas encore de troisième cycle, et de plus la politique de coopération universitaire des Etats africains avec quelques pays occidentaux encourage une certaine mobilité entre chercheurs des universités du Sud et leurs homologues du Nord. Mais il ne demeure pas moins vrai qu’il y a aussi « le fétichisme » du diplôme délivré par les universités occidentales, l’internationalisation de l’activité académique qui amène les universitaires à des séjours d’enseignement ou de recherche hors de leur pays7. VI – DES LORS, QUELS REMEDES POUR ENDIGUER « LA FUITE DES CERVEAUX » EN AFRIQUE CENTRALE ? Pour favoriser les retours volontaires des cerveaux en Afrique Centrale, il convient d’améliorer les conditions des chercheurs en Afrique Centrale. Cela suppose que le chercheur africain ne soit plus le parent pauvre de la démocratie. (6) (7) Jean Baptiste DOUMA Les déterminants de l’immigration des ressortissants Congolais (Brazzaville) en France. Abdoulaye Gueye, un objet d’étude surréaliste, la fuite des cerveaux africains ? CELAT, université Laval Québec. 79 Revue europénnee du droit social Pour cela, il faut des gestes courageux des politiques. L’ex Président du Nigeria par exemple, M. Olesegun Obansanjo, est l’un des chefs d’Etat qui a tenté activement de remédier à « la fuite des cerveaux ». Lors de ses nombreux voyages à l’étranger, l’ex Président Nigérian s’entretenait souvent avec des cadres et des intellectuels ayant quitté le Nigeria, pour leur demander comment ils peuvent contribuer au développement du pays8. Pour quitter aussi massivement le continent, les politiques privent les chercheurs de ce dont ils ont droit, subventions pour la recherche, salaires décents, avantages et protections sociales dignes de ce nom, pour faire revenir les cerveaux, il convient de rétablir les droits des chercheurs à travailler pour le bien du continent. A cet effet, plusieurs exemples en Afrique peuvent nous édifier. Le cas du Sénégal où le gouvernement en 1994, après le constat de la réalité des fuites des cerveaux, a entrepris des réformes et des mesures pour améliorer les conditions d’enseignement dans l’enseignement supérieur et intéresser les enseignants du supérieur. C’est dans ce cadre que l’on avait décidé d’abolir la mesure de la titularisation automatique des assistants par la réforme de la loi 81-59 qui encadre le statut des assistants au Sénégal. Cette réforme offre à l’assistant stagiaire cinq chances de renouvellement de son statut. Si aux termes des délais, il ne passe pas Maître-assistant, il perd le statut et doit quitter l’université pour laisser la place à d’autres chercheurs qui attendent9. C’est une mesure incitative pour faire revenir plusieurs des docteurs africains qui se complaisent à occuper des postes sous-payés et infériorisants et dévalorisants dont le seul motif est de prolonger leur séjour en Europe. Beaucoup de ceux que j’ai rencontré en France m’ont indiqué qu’ils ont bien envie de rentrer, mais la question qui demeure c’est de savoir pourquoi faire ? On sait que plusieurs universités africaines ont du mal à recruter pour des questions budgétaires. Les recrutements avec des salaires décents peuvent apparaître comme une des solutions envisageables pour inciter les retours d’intellectuels. La France connaît actuellement le même problème avec la vague des départs massifs de jeunes docteurs et chercheurs vers les Etats-Unis et les pays d’Amérique du Nord où les conditions de travail et les salaires, sont meilleurs. Et actuellement une politique incitative est menée par les autorités françaises pour maintenir les chercheurs en France en leur offrant de meilleures conditions de travail. En conclusion, on peut affirmer que la question de « la fuite des cerveaux » dépend d’une réelle volonté du politique qui doit se battre en amont pour éviter cet exode qui plonge encore davantage le continent dans le sous-développement. Le politique et lui seul a les capacités dans un pays comme le nôtre de faire vivre la recherche scientifique. Son rôle se situe donc à la croisée des chemins, s’il veut faire vivre la recherche ou s’il veut la saborder. Plus qu’un défi, « la fuite des cerveaux » que certains chercheurs ont qualifié « d’exode ou d’exil intellectuel » est un phénomène social qui gangrène plusieurs (8) (9) Gunisai Mutume, Inverser « la fuite des cerveaux » in Afrique Relance, Vol 17 (juillet 2003), page 1 Op cit. Fuite des cerveaux : les racines et remèdes du mal. 80 Revista europeană de drept social Etats d’Afrique Centrale. Ce n’est donc pas une fatalité, nous pouvons endiguer ce phénomène. Encore, faudrait-il que nos politiques puissent mesurer l’ampleur du problème pour agir. Mais quelle politique, le politique doit-il appliquer pour retenir les cerveaux dans nos pays ? Quelle politique incitative, nos gouvernants doivent-ils mettre en oeuvre pour redorer le blason de la recherche scientifique ? C’est au politique et à lui seul de répondre. Bibliographie A. Mbembe, « Ecrire l’Afrique à partir d’une faille », Politique Africaine, n°51, p.88-89 Ces statistiques sont citées par P.J.M Tedga, Enseignement supérieur en Afrique noire francophone: la catastrophe ?, Paris, PUSAF, L’Harmattan, 1988, p.137 B. Balla, « Le mot du Président », in l’Etudiant d’Afrique Noire n°1, janvier-février 1956, pag. 2 A. Diop, « On ne fabrique pas un peuple », Présence Africaine, n°14, 1953, p.11 J.P Ndiaye, Enquête sur les étudiants noirs en France, Paris, Réalités africaines, 1962, P. 231 Extraits d’entretien (14/11/1996) S. Traoré, Responsabilités historiques des étudiants africains, Paris, Anthropos, 1973, p. 100. Ch-D. Gondola, « La crise de la formation en histoire africaine en France vue par les étudiants africains », in Politique Africaine, n°65, Mars 1997, pp. 132-139. Pour plus de détail, voir le chapitre VI de mon ouvrage, Les Intellectuels africains en France, Paris, L’Harmattan, 2001. Ministère de la Coopération, L’exode des compétences des pays en voie de développement vers la France, in Etudes et Documents, n°35, juillet 1979, pp. 1-2. Interview, Le Figaro, 8 décembre 1998, p.10 Banque Mondiale (1995). Rapport sur le développement dans le monde 1995; Le monde du travail dans une économie sans frontières. Washington. Banque Mondiale (1999). Rapport sur le développement 1998-1999: le savoir au service du développement. Paris: Editions ESKA. Carrington, W.J et Detragiache, E. (1999) « Quelle est l’ampleur de l’exode des cerveaux ? Financement et développement. (Juin) 46-49. Deen, Thalif (1999) « Développement Africa: Best and Brigntest Head West: World News/IPS 10 février. 1999 De Carvalho, N. (1995) “Quelques réflexions sur la cooperation en Afrique subsaharienne”. Le courrier Acp-Ue n°154 (novembre-décembre); 81.83 Diarra, Ch. M. (1999) « Les cerveaux africains expatriés: un investissement stratégique ». Le Soleil (lundi 29 novembre). Ecole Inter-Etats des Sciences et Médecine vétérinaires – EISMV (2001) Rapport du Conseil d’Etablissement. Dakar (12-13 juin 2001). EISMV (1997) Problématique de viabilité de l’EISMV de Dakar. Séminaire de valorisation des ressources humaines de l’EISMV, Saly Pordural (Sénégal), mars. EISMV (1995) Rapport du Conseil d’Administration. Dakar. Kriks, Antonia (1997) « Afrikanische Akademiker in der Dauerkrise » E+Z Entwicklung und Zusammenarbeit n° 9, septembre, 232-233. 81 Revue europénnee du droit social Mbodj, I. (1999), « 4è Edition AFRISTECH » Le Soleil n° 8846 (Mardi 23 novembre). Mkandawire, Th et Soludo, Ch. C (1999) « Notre Continent, notre avenir, perspectives africaines sur l’ajustement structurel » CODESRIA/CRDI, Dakar, 1999. ONU (1999) Communiqué de presse SG/SM/6891, DEV/2200SAG/21 du 03/02/99. Programme des Nations Unies pour le développement – PNUD (1999). Forum sur la Gouvernance cadre conceptuel. UNESCO (1997) Bureau pour l’Education en Afrique. 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The aim of this paper is to justify the pass from the traditional approach of measure of the poverty which limits it to an incapacity of financial resources ( monetary approach) to an alternative one which become more and more used and advance that poverty have many faces ( multidimensional approach). For that purpose, we supply a detailed analysis of the various limits sent to the monetary approach and we develop the varied manners of conception of the multidimensionality of the poverty, both theoretical and empirical. A particular attention is allowed to the new measures of well-being of the UNDP (2010) which marks, shows and recognizes the importance of the multidimensional approach as measure of the poverty Keywords: monetary approach, multidimensional approach, multidimensional poverty index (MPI), Human Development index adjusted to inequality Introduction La mesure et l'analyse de la pauvreté revêtent une importance cruciale au niveau des objectifs cognitifs (la connaissance de la situation), des raisons analytiques (la compréhension des facteurs déterminant de cette situation), des objectifs de stratégie politique (la conception des interventions politiques les mieux adaptées aux problèmes détectés) et des objectifs de surveillance et d'évaluation (l'analyse de l'efficacité des politiques actuellement suivies et de l'évolution de la situation)( Coudouel, Hentschel et Wodon (2002)). Néanmoins, les politiques de lutte contre la pauvreté en général échouent faute de pouvoir mesurer correctement la notion même de pauvreté. Les études statistiques soulignent la diversité et la multiplicité des difficultés rencontrées par les économistes pour la mesurer. La difficulté majeure porte sur la mesure même de la pauvreté: Comment identifier les pauvres ? Comment mesurer la pauvreté ? Quelle unité de mesure à utiliser ?... Dans la littérature économique, nous pouvons distinguer entre deux approches: l’approche monétaire et celle multidimensionnelle. La première définit comme pauvre toute personne qui ne parvient pas à satisfaire, faute de ressources financières suffisantes, ses besoins de base. Cette dernière, malgré sa simplicité, est largement critiquée. On lui reproche la fixation « arbitraire » des seuils de pauvreté, le choix de l’unité de mesure (individu ou ménage), le choix de critère de 83 Revue europénnee du droit social mesure (revenu ou consommation), la prise en compte d’une unique dimension pour identifier les pauvres: le revenu …Pour surmonter ces limites, l’instauration à une mesure alternative est mise en oeuvre. Il s’agit d’utiliser une approche plutôt multidimensionnelle. Cette dernière ne limite pas la mesure de la pauvreté à l’unique insuffisance de revenu. Elle préconise la nécessité de prendre en compte des multiples autres dimensions. Dans ce qui suit, nous développons, en premier lieu, l’approche monétaire de mesure de la pauvreté et nous énumérons les différents critiques et limites adressées à cette dernière. En second lieu, en se référant à la littérature économique, nous soulevons l’existence d’une polysémie de définitions et de mesure de la pauvreté multidimensionnelle tant sur le plan théorique que sur le plan empirique I. L’approche monétaire: les principaux concepts et leurs limites Trois éléments sont requis dans le calcul d'une mesure de la pauvreté. En premier lieu, il faut choisir le paramètre et l'indicateur les mieux adapté à la mesure du bien-être. Ensuite, il convient de sélectionner une ligne de pauvreté, c'est-à-dire un seuil en dessous duquel un ménage ou une personne déterminée sera considérée comme pauvre. Finalement, il est nécessaire de sélectionner une mesure de la pauvreté à utiliser pour l'établissement de rapports concernant la population tout entière ou uniquement un de ses sous-groupes. En se référant à la théorie économique, nous soulignons l’existence d’une abondante littérature sur la mesure de la pauvreté monétaire. Néanmoins, il faut signaler que plusieurs limites sont adressées à ces mesures. La contestation de mesure monétaire par certains groupes d’intellectuels porte, entre autres, sur le choix de ligne de pauvreté, de l’unité de mesure et de critère de mesure I. 1. Les seuils de pauvreté monétaire Il existe un vaste débat sur la mesure de la pauvreté en général et sur la fixation des seuils de pauvreté en particulier. L’identification des ménages pauvres se fait à l’aide d’une ligne de pauvreté. Il s’agit d’un niveau de revenu fixé d’avance, que l’on considère comme la frontière qui sépare les pauvres des non pauvres. Cette méthode, extrêmement simple, pose cependant le problème de la détermination de la ligne de pauvreté la plus appropriée. Nous distinguons, au moins, deux limites. La première s’attache, à la fois à l’arbitraire du seuil et au caractère dichotomique des seuils. La seconde est liée à l’illusoire précision des données alors que les systèmes nationaux sur lesquels les indicateurs chiffrés reposent font défaut pour les populations en très grande pauvreté (Reddy et Pogge, 2008; Reddy et Pogge, 2005; Ravallion, 2008). De ce 84 Revista europeană de drept social fait, nous présentons dans ce qui suit, en détails, les différentes méthodes de détermination du seuil de pauvreté ainsi que les difficultés y sont associées. I.1.1. la pauvreté absolue Cette mesure considère que la pauvreté est un concept absolu, ce qui signifie que la pauvreté ne dépend que de la situation de l’individu pauvre et non pas de celle de reste de la société. Un individu pauvre sera alors celui qui ne peut consommer, faute de moyens, un certain nombre de biens d'usage ordinaire ou de consommation de base (biens de nécessité). Ainsi, la pauvreté est une situation où les conditions d'existence sont jugées difficiles parce que les individus ou les ménages sont privés de l'essentiel des biens de consommation qui peuvent définir un certain "niveau de vie". La principale limite adressée à la mesure absolue de la pauvreté est soulignée par Ravallion (1996). Pour ce dernier, un seuil de pauvreté absolue est un niveau constant et unique de niveau de vie sur l’ensemble de domaine dans lequel les comparaisons de la pauvreté sont effectuées. Par conséquent, des comparaisons de la pauvreté en terme absolu classeront des individus ayant le même niveau de vie dans la même catégorie -pauvre ou non pauvre- quelque soit le moment ou le lieu considéré. Encore plus, le seuil de pauvreté absolue n’est qu’une traduction strictement monétaire d’un ensemble de besoins absolus. Il reflète les budgets minimaux nécessaires à la satisfaction d’un ensemble de besoins, alimentaires et non alimentaires, considérés comme essentiels. Les principales difficultés portent, ainsi, sur la constitution de la liste de ces besoins essentiels et la définition des quantités minimales requises pour les satisfaire. Pour déterminer le seuil de pauvreté absolue, deux stratégies peuvent être envisagées: la méthode de budget standard et celle de la part du budget consacrée à l’alimentation. la méthode du budget standard La méthode de budget standard consiste à déterminer le seuil de la pauvreté à partir d'une spécification entière de la liste des besoins alimentaires et non alimentaires. Dans le cadre de cette méthode, le seuil de pauvreté est déterminé en calculant le niveau de dépenses minimales nécessaires à l’achat d’un panier de bien. Pour ce faire, on détermine les niveaux de consommation minimaux d'un ensemble de besoins essentiels, constitué de besoins alimentaires (nourriture) et non alimentaires (le logement, l'habillement ou le transport) (Fusco, 2007). A partir de cette liste de quantités minimales (xi), on utilise les prix (pi) en vigueur pour les différents biens afin d'obtenir le niveau de dépenses minimales nécessaire à l'achat de ce panier de biens. La somme de ces diverses quantités monétaires (pi.xi) constitue le seuil de pauvreté absolue (Z) (Fusco, 2007). Plusieurs limites sont adressées à cette approche. En effet, dès lors que les résultats de cette méthode sont étroitement liés à la perception de l’expert quant aux conditions de vie et aux besoins des individus, ce type d'approche s'expose, à la fois aux risques d’ethnocentrisme (chauvinisme) et de paternalisme (Fleurbaey et alii, 85 Revue europénnee du droit social 1997)). Le premier risque signifie que l'expert peut se tromper quant à l'universalité de son jugement, tandis que le paternalisme traduit le fait que l'expert impose son point de vue aux autres pour leur propre bien. De plus, on peut également noter que cette approche ne tient pas compte de l'hétérogénéité des goûts et des préférences des individus. Il ressort de ces limites que ces prises de position extérieures peuvent entraîner des représentations erronées ou absurdes de la réalité qui ne reflètent pas de manière fiable les habitudes, les goûts et les besoins des individus. La méthode de la part du budget consacrée à l'alimentation La méthode de la part du budget consacrée à l’alimentation est une stratégie indirecte du calcul du seuil de pauvreté qui se base sur la détermination des besoins alimentaires à partir desquels on infère le seuil de pauvreté global. Elle consiste à estimer le coût d'une combinaison alimentaire qui satisferait l'apport requis en énergie nutritive. Le montant obtenu est ensuite multiplié par l'inverse de la part des dépenses totales consacrées à l'alimentation par chaque type de famille. On obtient ainsi un niveau de dépenses totales qui correspond au seuil de pauvreté pour les différents groupes de ménages. Cette méthode de calcul des besoins alimentaires utilise la relation mise en évidence par Engel (1895) selon laquelle la proportion du revenu consacrée aux dépenses alimentaires décroît lorsque le revenu augmente; le coefficient par lequel on multiplie le niveau de dépenses alimentaires pour obtenir le seuil de pauvreté est le multiplicateur d'Engel, utilisé essentiellement dans les pays en développement, avec un multiplicateur d'Engel de l'ordre de 0,75 (Destremau et Salama, 2002). Une des difficultés de cette méthode est attachée à la robustesse de la relation d'Engel et l'homogénéisation qu'elle implique. En effet, la proportion des dépenses allouée aux nécessités varie largement à tous les niveaux de revenu. Aussi, d’après Nolan et Whelan (1996), un nombre significatif de ceux qui sont en dessous du seuil de revenu défini ne dépenseront pas moins que la proportion déterminée pour les nécessités, tandis que certains individus qui seront au-dessus du seuil dépenseront plus que cette proportion La principale difficulté adressée à cette méthode est la détermination des quantités minimales pour chaque besoin. En effet, contrairement à ce qu'on peut penser, même pour les besoins nutritionnels, référant considéré comme objectif par excellence, il est difficile de déterminer la quantité effectivement requise par les individus. Le calcul de ces besoins énergétiques nécessite de nombreuses précautions pour permettre la comparaison d'un individu à un autre (métabolisme, climat, niveau d'activité, âge), et l'évaluation du revenu minimal pour satisfaire ces besoins doit tenir compte des habitudes et coutumes alimentaires du groupe étudié (Fusco, 2007). Même en prenant ces précautions, on n'est pas sûr d'obtenir des résultats satisfaisants et représentatifs car, comme le souligne Alcock, (2006), différents individus ont besoin de différentes choses en différents endroits et dans des situations différentes. Encore il n'existe pas un unique niveau de consommation de nourriture nécessaire pour survivre, mais plutôt un large intervalle dans lequel l'efficacité physique décline lorsque la consommation de calories et de protéines 86 Revista europeană de drept social baisse (Atkinson, (1998a)). Dans la même lignée de pensée, Cling et alii (2002) considèrent que les mécanismes qui gouvernent les variations journalières de l'équilibre énergétique sont encore mal connus, et les études de l'état nutritionnel d'une population à partir d'une classification des individus reposant sur une norme ignorent les variations intra et inter-individuelles des besoins énergétiques ainsi que des consommations effectives. C'est sur la base de ce nombre de limites adressé à la mesure absolue de la pauvreté que l'approche relative s'est progressivement imposée comme alternative. I.1.2. la pauvreté relative Dans le cadre d'une mesure monétaire et relative de la pauvreté, les besoins sont définis en fonction des niveaux de vie habituels de la société étudiée. En d’autres termes, la pauvreté est relative lorsqu’on considère que les revenus d’une personne ne leurs permettent pas d’accéder à un niveau de vie jugé normal dans une société donnée (d’Agostino, 2008). De ce fait, un individu n’est pas considéré comme pauvre parce qu’il n’atteint pas un certain niveau de vie donné, mais parce que son niveau de vie est très bas si l’on compare à ceux des autres membres de la société. Ainsi, le seuil de pauvreté est défini, tout simplement, comme une proportion d'une caractéristique centrale -la moyenne ou la médiane- de la distribution de l'indicateur de niveau de vie (dépenses de consommation, revenus, revenus équivalents). L'idée sous-jacente à cette méthode est que les individus dont le revenu est éloigné d'une certaine proportion du revenu moyen ou médian de la société parviendront difficilement à participer entièrement à la vie de la communauté. Son principal atout est sa simplicité et sa transparence. Elle est simple à comprendre et à mettre en place et peut servir de point de départ à l'analyse de la pauvreté. Nolan et Whelan (1996) font de la transparence un argument pour son utilisation. Ils proposent, néanmoins, une batterie de seuils pour avoir une image plus juste de la réalité d'utiliser. Ces seuils sont fixés à 40%, 50% et 60% du revenu équivalent médian. Plusieurs limites peuvent, cependant, être adressées à l’approche relative. Premièrement, les résultats sont très sensibles aux variations de la ligne de pauvreté: Le nombre d'individus considérés comme pauvres sera fortement dépendant de la valeur du seuil. A titre illustratif et pour bien saisir cette idée nous avançons un exemple concret: dans un rapport de l’INSEE 2008, environ 4.2 millions de français sont pauvres au seuil de 50% du revenu médian (7.1% de la population) en 2006. Ce nombre est, dès lors, de l’ordre de 7.8 millions au seuil de 60% (13.2% de la population) (d’Agostino, 2008). Deuxièmement, dans le cadre de comparaisons internationales, deux pays présentant des distributions du revenu similaires à des niveaux très éloignés pourront avoir des taux de pauvreté identiques. Troisièmement, les choix de seuils sont arbitraires et résultent en dernier ressort de décisions politiques imposées quant au montant qui constitue un minimum acceptable dans une société donnée (Piachaud, 1981). Un quatrième point de critique est issu du fait que l'approche purement relative peut ne pas tenir 87 Revue europénnee du droit social compte de changements brutaux dans une économie. En effet, si, sous l'effet d'une récession économique ou d'une catastrophe naturelle, on assiste à une réduction générale des revenus sans que la distribution des revenus ne soit affectée; l'approche relative ne permettra pas de mettre ce changement en évidence (Ringen, 1988). Encore, les données à la base de la construction de mesure de la pauvreté ne sont pas exemptes de défauts: l’insuffisance de la couverture des populations situées en bas d’échelle des revenus ce qui a entre autres conséquences de rendre plus difficile la construction d’un indicateur précis de pauvreté relative, difficultés de la mesure des revenus du patrimoine, absence de mesure des phénomènes de non recours aux prestations qui tend à relativiser le niveau de la pauvreté et de l’exclusion ( Berthoud, Lengaigne et Mardellat, 2009), ne pas tenir compte du patrimoine des ménages ni de leurs équipements en biens durables, de la durée de la pauvreté, de l’accès réel à un certain nombre de droits fondamentaux dans les domaines de la santé, du logement, de l’éducation ou de la participation à la vie politique et sociale (Concialdi et al, 2004) … I.1.3. La pauvreté subjective Pour la mesure subjective de la pauvreté, est pauvre toute personne qui estime que son revenu donne un niveau de satisfaction inférieur au minimum qu'il juge nécessaire pour vivre. Les seuils de pauvreté sont, ainsi, les fruits des jugements subjectifs sur le niveau de vie jugé acceptable par la population d’une société donnée et les conceptions de la pauvreté subjective résulte de deux manières de collectes de données: La première tente de définir un seuil de pauvreté à partir d’enquêtes de perception. La seconde, cependant, cherche à définir la perception des ménages sur ce problème social (Jany-Catrice, 2009). Elle se base fréquemment sur les réponses fournies dans le cadre d’enquêtes à des questions de type (Ravallion, 1996): - « Quel niveau de revenu considérez-vous, personnellement, comme un minimum absolu ? En d’autres termes, quel est le niveau de revenu en dessous duquel vous ne pourriez pas joindre les deux bouts ? » - « Avez-vous assez pour vivre ? » - « Quel est le minimum nécessaire pour votre famille ? » - « Quels sont les groupes les plus vulnérables du village ? » Sur la base des réponses à ces questions, des lignes de pauvreté peuvent être fixées. Il s’ensuit donc que l'approche subjective de la pauvreté se base, essentiellement, sur les opinions personnelles des individus. Elle est, aussi, qualifiée d'interne car le processus d'évaluation de la pauvreté ne se base plus sur le raisonnement externe, et supposé objectif, d'un expert mais plutôt sur les sentiments des individus. En effet, la détermination du seuil de pauvreté subjectif se fait en fonction des réponses à un ensemble de questions portant sur le niveau de vie des individus et la manière dont il est perçu. De ce fait, cette méthode n'est plus externe et normative mais interne et empirique. 88 Revista europeană de drept social L’approche subjective souffre, néanmoins, de plusieurs défauts qui ont amené certains économistes à la rejeter de manière définitive (Dagum, 1989). Les jugements personnels du bien-être peuvent parfois être considérés avec méfiance, soit parce que les individus sont mal informés, soit parce qu'ils ne sont pas en mesure d'effectuer un choix rationnel même si les informations dont ils disposent sont parfaites. De plus, comme le signalent Kangas et Ritakallio (1998), se sentir pauvre est différent d'être pauvre et on peut aisément concevoir des situations ou les individus se sentent pauvres alors qu'ils ne le sont pas et d'autres ou les individus objectivement pauvres ne se percevront pas comme tels. En effet, d’une part, les individus isolés de la société peuvent seulement se comparer à ceux qui sont dans la même situation et certaines personnes qui seront "objectivement" classées comme pauvres pourront en réalité ne pas ressentir la situation comme telle (Runciman (1966)). D’autre part, l'existence d'individus aux goûts dispendieux peut également poser problème. Un individu dont le niveau de vie et les attentes sont très élevés pourra se ressentir comme désavantagé si , malgré son revenu élevé, il ne parvient pas à les satisfaire. Il se considérera, alors, comme pauvre alors qu'objectivement il ne l'est pas. Encore, on reproche à l'approche subjective un manque de robustesse lié au fait qu'elle dépend de la formulation des questions et qu'elle nécessite que les ménages aient la même interprétation des différents termes employés et le même référentiel au niveau de leurs réponses (Fusco, 2007). Pour Ringen (1988), être pauvre dépend de la manière dont on vit et pas de nos sentiments. Ainsi, on peut considérer que le sentiment de satisfaction est important mais ne détermine pas en soi un état de pauvreté objectif. Finalement, Gadrey et Jany-Catrice (2005) avancent que les données sur les quelles reposent les statistiques de la pauvreté sont souvent d’ordre déclaratif et que la floraison d’indicateurs subjectifs est loin d’être sans intérêt surtout si elle est couplée avec des indicateurs objectifs. I.1.4. L’approche administrative Une autre méthode mérite d'être mentionnée, il s’agit de la méthode administrative, qualifiée aussi d'officielle, de légale ou de politique. Elle consiste à définir la pauvreté en fonction des critères d'accès au système de protection sociale de la société étudiée. Ainsi, le niveau de revenu en dessous duquel l'Etat fournira des prestations sociales pourra être retenu comme seuil de pauvreté. Donc, suivant cette conception, est pauvre celui qui perçoit un ou des minimaux sociaux. Cette pauvreté institutionnelle est un élément fondamental de mesure de degré de privations puisqu’elle fournit une estimation de l’intensité de l’assistance sociale. C’est elle aussi qui est la plus proche des évaluations des sentiments subjectifs de la pauvreté: les personnes se considèrent davantage pauvres quand elles sont récipiendaires de minima sociaux (Jany-Catrice, 2009). Le montant de prestations sociales peut être considéré comme un consensus ou un choix collectif implicite sur ce que représente le niveau minimal acceptable dans la société, c'est-à-dire le montant minimum que la société se doit de garantir à tous ses citoyens. Autrement 89 Revue europénnee du droit social dit, suivant cette approche, est pauvre toute personne qui reçoit des aides parce que son revenu est au dessous d’un niveau de revenu jugé minimum. Il y a donc derrière cette manière de mesurer, l’idée assez classique que ce sont les politiques publiques qui formatent en partie le statut et donc une certaine forme de la réalité du pauvre (Alesina et Glaeser, 2006) Nombre de limites peuvent être adressées à la méthode administrative. Cette dernière suppose que les mécanismes d'attribution de l'aide fonctionnent correctement et que ce sont les plus nécessiteux qui en bénéficient. Or ceci n'est pas évident des lors qu'on considère que les individus n'ont pas tous la même capacité à s'informer et à entreprendre les démarches nécessaires (Fleurbaey et alii, (1997)). De plus, certaines personnes en sont exclues. Il s’agit notamment des jeunes qui sont considérés à la charge de leurs parents jusqu’aux 25 ans et les personnes qui n’en font pas la demande ou qui n’arrivent pas à remplir les dossiers. Encore, c'est une méthode quelque peu tautologique et biaisée du fait qu’elle prend plus en compte l'idéologie de l'Etat et ses capacités, budgétaires ou autre, à agir plutôt que la situation effective des citoyens. Enfin, elle comporte des effets pervers et peut faire l'objet de manipulation politique car, étant à la fois un objectif et un outil de politique sociale, le moyen le plus simple de réduire la pauvreté serait de réduire le montant des aides sociales (Fusco, 2007). I.1.5. Les seuils multiples et l’approche par dominance La coexistence des différentes méthodes de fixation du seuil de pauvreté et l’existence des multiples limites respectives à chacune d’entre elle, nous permettent d’affirmer qu’il est difficile de fixer un seuil de pauvreté unique. De ce fait, la recherche d’une alternative s’avère nécessaire, à ce stade. Il s’agit, notamment, de l'utilisation d'une combinaison des différents types de seuils et du recours à des méthodes ordinales telle que l'approche par la dominance stochastique. L’originalité de la première méthode tient au fait qu’elle utilise de seuils multiples. L'option qui est souvent proposée est l'utilisation des seuils doubles de pauvreté: un seuil absolu et un seuil relatif. Le seuil absolu permet de prendre en compte les risques de dénutrition. Celui relatif permettra de visualiser la situation d’un individu par rapport aux autres membres de la collectivité (Ravallion, 1992). L’utilisation des seuils multiples est davantage appuyée par Fleurbaey et alii (1997). Ces derniers proposent d'utiliser deux seuils; un seuil relatif classique et un autre dit absolu relatif proche d'un minimum social. Ils justifient l’utilité de leur choix par le fait que le seuil relatif est très utile dans les périodes de croissance. Il permet de déterminer les individus qui ne participent pas au mouvement et ne bénéficient pas, par voie de conséquence, des fruits de la prospérité. Le seuil absolu permet, néanmoins, de renseigner durant les périodes de récession s’il y a des individus qui tombent en dessous d'un seuil minimal. Egalement, l’utilisation des seuils multiples permet de renseigner sur la concentration de la pauvreté. Par exemple, suivant les statistiques de l’INSEE, le taux de pauvreté monétaire au seuil de 60 et 50 % du revenu médian est, respectivement, de 12.1% et de 7.3%. Soit 7.1 90 Revista europeană de drept social millions au seuil de 60% et 3.7 millions au seuil de 50%. Ceci nous permet de détecter la forte concentration de la pauvreté entre ces deux niveaux puisque plus de 3 millions de personnes se situent entre 50 et 60% du revenu médian (Berthoud, Lengaigne, et Mardellat, 2009) L’approche par la dominance cherche à identifier les conditions sous lesquelles on peut comparer deux situations de manière non ambiguë. Ainsi, si on appelle Z* le seuil de pauvreté qui varie entre [Z-, Z+], on peut examiner les classements de différentes distributions de revenu, en fonction de l'incidence de la pauvreté, dans l'intervalle de Z*. Si le résultat en termes de classement des distributions est le même, alors la condition de dominance stochastique de premier ordre nous amène à conclure que Z* appartient effectivement a l'intervalle [Z-, Z+] et qu'une distribution est effectivement dominée par l'autre (Atkinson, (1987). L’avantage certain de cette méthode ordinale est qu’elle donne lieu, dans le cadre des comparaisons de la pauvreté, à des résultats intéressants et à des classements robustes indépendamment du seuil de pauvreté choisi. En somme, ce qui importe, avant tout, notamment lors de toute analyse comparative de la pauvreté est que le seuil produise des comparaisons cohérentes, en ce sens que la pauvreté mesurée d’un individu quelconque ne dépende que de son niveau de vie et non du sous-groupe auquel il appartient. Pour assurer une telle cohérence, il est nécessaire que le seuil soit constant par rapport au niveau de vie. Il faut, de plus, noter qu’aucune approche n’est dénuée d’inconvénients, car certains facteurs déterminants de bien-être ne sont pas quantifiables et il est impossible d’éviter un certain arbitraire lorsqu’on définit un seuil de pauvreté en pratique. Il convient, également, de mentionner qu’il existe divers choix préalables à effectuer lorsqu'on souhaite appliquer l'approche monétaire de la pauvreté, dont l'influence sur les résultats peut être importante (Hagenaars et alii, 1994; Atkinson, 1998a). Ces derniers concernent, entre autre, le choix de l'indicateur de niveau de vie (revenu, consommation…), de l'unité d'observation (individu, ménage, famille…) et des échelles d’équivalences. I.2. Le problème d’identification de pauvres La question de la mesure de la pauvreté monétaire est soumise à une série de critiques et d'interrogations qui peut remettre en cause la façon dont on appréhende ce phénomène. En effet, un examen attentif des différentes mesures monétaires de la pauvreté nous pousse à chercher des réponses à des questions de type: Quelle unité de mesure de pauvreté à privilégier lors de l’étude de la pauvreté; L’individu, le ménage ou, plutôt, la famille ? Si l'unité de base retenue est la famille, quelle échelle d'équivalence doit-on retenu sachant que ce choix peut fortement influencer les résultats de l’analyse de la pauvreté ? Quel concept de revenu utiliser; revenu courant, revenu nominal, dépenses courantes, …Et si l'on doit mesurer le bien être en termes de biens de consommation ou de services, doit- 91 Revue europénnee du droit social on prendre en compte d’autres facteurs tels que la production domestique et le loisir dans le mesure du bien être ?... I.2.1. Les problèmes associés au choix du critère de pauvreté Le niveau de bien-être n’est pas discernable directement. Généralement, on recourt à des variables observables pour inférer approximativement le niveau de vie des individus et par voix de conséquence, fournir une mesure de la pauvreté. Ces indicateurs sont, essentiellement, le revenu et les dépenses de consommation d’un ménage. Le choix entre l’utilisation de revenu ou des dépenses de consommation dans l’approximation du niveau de bien-être n'est pas indifférent. En effet, l'évolution de ces deux variables n'est pas identique et l'utilisation de l'un ou de l'autre aboutit à des résultats différents sur le plan conceptuel ainsi que pratique. Dans ce qui suit nous recensons les bienfaits ainsi que les limites de chacun de ces deux critères de mesure de pauvreté. I.2.1.1. Les limites de l’utilisation de revenu L’approche basée sur le revenu est une approche indirecte, ou potentielle. Elle nous informe sur les moyens à la disposition des individus pour satisfaire leurs besoins. L'utilisation du revenu comme approximation du niveau de vie se heurte à plusieurs difficultés conceptuelles. Premièrement, le lien entre revenu courant et niveau de vie n'est pas immédiat. En effet, l'impact du revenu sur le bien-être individuel dépend de l’existence d’autres facteurs qui peuvent influencer le niveau de vie de manière significative (Nolan et Whelan, 1996). Il s’agit de l’existence ou non d'autres ressources pour compléter le revenu courant (revenus patrimoniaux ou non monétaires). Egalement, la manière avec laquelle l’individu va utiliser son revenu ainsi que ses préférences affectent bien la relation qui existe entre revenu et niveau de vie; des ménages au même niveau de salaire peuvent suivre différentes trajectoires et ainsi souffrir de différents niveaux de déprivation (Perry 2002; Layte et alii, 2001). Deuxièmement, pour Sen (1985, 1987, 2000, 2003), même si des individus disposent des biens matériels dont ils peuvent en tirer profit, la transformation de ces moyens en accomplissements n'est ni automatique, ni identique pour tout le monde. Elle est, plutôt, contingente à un ensemble de facteurs de conversion personnels, sociaux ou environnementaux (Sen, 2003). En conséquence, l'utilisation d'un indicateur de ressources tel que le revenu ne permet pas de tenir compte de la diversité et de l'hétérogénéité humaine: L’indicateur de ressources ne permet pas de tenir compte des éléments des différences propres entre les individus ainsi que des différentes réalités socioéconomiques et environnementales auxquelles ils sont confrontés. Deux solutions sont envisagées pour dépasser la limite de revenu. La première solution consiste à calculer des revenus ajustés aux fonctionnements des individus (Lelli, 2005; Kuklys, 2004). Elle vise à surmonter l’inadéquation de revenu en fonction des caractéristiques personnelles, environnementales et sociales qui 92 Revista europeană de drept social caractérisent un individu. La deuxième solution consiste à déplacer l’analyse de ce que les gens ont ou n’ont pas vers ce que les gens font ou ne font pas (Alcock, 2006). I.2.1.2. La consommation Deaton (1997) et Lachaud, (1998) avancent que, sur le plan pratique, il est préférable de privilégier la consommation au revenu du fait qu’elle fournit une image plus fiable du bien-être effectif des ménages. En effet, selon la distinction établie par Sen (1979a, 1981) et Ringen (1987, 1988), l'approche basée sur la consommation est une approche directe du niveau de vie des individus. Elle renseigne sur les besoins qui sont ou non effectivement satisfaits. La consommation est considérée comme plus adéquate que le revenu dans la mesure de bien-être pour plusieurs raisons. Nous énumérons, entre autres: - dans l’optique économique, l’utilité des individus dépend des quantités consommées de chaque bien et non pas de revenu - Dans les économies où le secteur informel est florissant, les ménages peuvent avoir des difficultés à se rappeler avec exactitude les revenus tirés de nombreuses activités parallèles qui servent à l’achat immédiat de produits alimentaires ou d’autres produits de première nécessité. - Usuellement, la consommation est plus stable que le revenu dans le temps. Elle donne un meilleur aperçu des conditions de vie à long terme. Dès lors il est préférable de la privilégier au revenu (Deaton, 1997; Lachaud, 1998). Il découle de ces arguments que le débat entre l'utilisation du revenu ou de la consommation n'est pas forcement tranché. Pour Nolan et Whelan (1996), ce débat peut s’attacher soit à la crédibilité des données d'enquêtes sur le revenu ou la consommation soit à la distinction qu’on doit établir entre un concept de pauvreté basé sur les ressources d'un autre basé sur le niveau de vie. Egalement, il faut noter que les possibilités de maintien ou d'élévation du niveau de consommation par les mécanismes d'emprunt peuvent fausser l'image fournie par la consommation I.2.2. Quelle unité d’analyse privilégiée: individu ou ménage? L'unité d'observation peut être le ménage, l'unité de consommation, l'unité familiale, la famille proche ou l'individu. En pratique, les statisticiens utilisent, le plus souvent, le ménage ou l’individu comme unité d’observation. Néanmoins, quelle que soit l’unité choisie, il existe des limites qu’il faut mentionner. I.2.2.1. Le choix de ménage Dans le choix de ménage comme unité d’analyse, l’hypothèse implicite retenue est que les membres qui le composant mettent en commun leurs ressources et ont le même niveau de vie: ils partagent leur situation de richesse ou de pauvreté. Cette hypothèse revient à solliciter que la distribution des ressources à l’intérieur d’un ménage se fait selon une structure équitable qui tient compte de la différence des besoins de ses membres. Elle est analogue à celle d'un chef de famille bienveillant et 93 Revue europénnee du droit social plausible pour certaines ressources dont le ménage dans son ensemble bénéficie, tels que le logement (loyer et entretien), les biens publics ou la garde des enfants. Cependant, elle pose problème dans le cas des biens qui répondent à des besoins particuliers à chaque membre du ménage et qui peuvent, par conséquent, faire l'objet d'une distribution inégalitaire (nourriture). Dans ce cas, le choix d'une unité d'analyse agrégée peut entraîner la négligence de problèmes d'inégalités intra-menage (femmes, enfants, personnes âgées). Afin de surmonter cette limite, il est plus adéquat de plaider pour le choix de l'individu comme unité d'analyse. I.2.2.2 Le choix de l’individu Le choix de l'individu comme unité d'analyse n’est pas, néanmoins, sans limites. En effet, choisir l’individu comme unité d’analyse revient à assigner que chaque membre du ménage dispose des ressources qui lui sont propres ou destinées (salaires, allocations, part des biens communs du ménage). Ceci revient à assumer que le bien-être de l'individu est indépendant de celui des autres membres du ménage. Par conséquent, le choix de l’individu comme unité d’analyse ne permet de tenir compte ni des économies d'échelles réalisés au sein d’un ménage ni des transferts intra-ménages (parents vers enfants). Or, ignorer ce type de transfert reviendrait à considérer que tous les individus, n'ayant pas de salaires, sont sans ressources. Cette hypothèse n'est pas acceptable et débouche toujours sur des conclusions erronées. Ainsi, on peut conclure que le choix de l'unité d'analyse, quel qu'il soit, entraîne des difficultés. Mais ce qui importe le plus, c’est le fait que ce choix peut avoir des répercussions importantes et graves en termes de résultat (Atkinson, 1998a; Atkinson et alii, 2002). L’une de solution pour surmonter les difficultés rencontrées dans le choix de l’unité de l’analyse est de recourir à l’utilisation des échelles d’équivalence. Néanmoins, la question qui se pose à ce niveau est: quelle échelle d’équivalence doit- on privilégier? I.2.3. Les problèmes de l’échelle d'équivalence La mesure du seuil de pauvreté ne limite pas à dénombrer le nombre des pauvres. Associé à l’unité du ménage, la taille de celui-ci influe directement sur les résultats. Un assez large consensus existe donc autour de l’idée que le seuil de pauvreté doit (Jany-Catrice, 2009): - être rehaussé pour tenir compte du nombre d’individus qui composent le ménage - tenir compte de l’économie d’échelle dans la consommation au sein du ménage et du moindre coût relatif d’un enfant par rapport à un adulte. L’origine à l’utilisation d’une échelle d’équivalence se trouve, donc, dans l'idée que des ménages de taille différente et de composition différente connaissent des niveaux de vie différents. Ainsi, l’objectif de l’utilisation d’une échelle d’équivalence est, principalement, la neutralisation des effets de taille et de composition des ménages pour pouvoir apporter des jugements corrects dans le 94 Revista europeană de drept social cadre des comparaisons de pauvreté. En effet, les échelles d'équivalence permettent d'une part, de prendre en compte le fait que les individus au sein d'un ménage n'ont pas tous les mêmes besoins (adulte versus enfant). D’autre part, ils tiennent compte des économies d'échelles qui peuvent se réaliser au sein d’un ménage tel que la réduction des coûts de fonctionnement (logement, cuisine, chauffage, garde des enfants) (Glaude, 1998). L’utilisation des échelles d’équivalence vient, aussi, pour répondre aux insuffisances des autres mesures de bien-être (revenu, consommation) ainsi que des unités d’analyse (individu, ménage). En effet, un revenu ou un niveau de consommation d'un montant donné ne signifie pas la même chose pour un individu seul que pour un couple marié avec deux enfants. Plus le nombre d'adultes, et dans une moindre mesure le nombre d'enfants, dans le ménage est élevé, plus la compensation monétaire nécessaire pour maintenir le niveau de vie du ménage est importante. Chaque membre de la famille se voit ainsi attribuer un poids. A cette fin, deux types d’échelle d’équivalence sont distingués: l’échelle d’Oxford jusqu’à la fin des années 1980 et l’échelle de l’OCDE modifiée depuis permettant d’établir des seuils de pauvreté par unité de consommation (d’Agostino, 2008) Premier adulte Deuxième adulte Enfants (-14) ans Echelle Oxford 1 0.7 0.5 Echelle OCDE modifiée 1 0.5 0.3 L’INSEE, par exemple, confère à une personne vivant seule un poids égal à 1, un adulte supplémentaire (ou un enfant de plus de 15 ans) se voit attribuer un poids de 0,7 et un enfant de moins de 15 ans un poids de 0,58 (Accardo, 2007). Ce principe présente, cependant, un certain nombre de limites. D’une part, le choix de l'échelle d'équivalence n'est pas négligeable au niveau de l'identification des groupes socio-économiques pauvres, notamment en ce qui concerne les individus seuls par rapport aux familles nombreuses (de Vos et Zaidi, 1995). D’autre part, l’échelle d’équivalence ne permet de tenir compte des économies d’échelle qui peuvent se réaliser au sein d’un ménage. Il en découle que le problème de l'échelle d'équivalence réside donc non pas dans le choix des coefficients de pondération (purement arbitraires) mais dans son principe même. Encore plus, l’utilisation des échelles d’équivalence suppose implicitement qu’une équité de redistribution est admise au sein du couple entre homme et femme et envisage plus généralement une situation harmonieuse des situations des individus au sein des foyers. Or au moins deux types d’inégalités dans l’accès aux ressources du ménages peuvent (co-)exister: d’une part entre homme et femme, d’autre part entre adultes et vieux (Jany-Catrice, 2009). 95 Revue europénnee du droit social II. LA MULTIDIMENSIONNALITÉ DE LA PAUVRETÉ: APPROCHES THÉORIQUES ET EMPIRIQUES La pauvreté monétaire est largement utilisée comme mesure de la pauvreté sur le plan pratique. Néanmoins, face aux limites que connaît cette dernière, sa pertinence théorique est mise en doute. Pour cela une approche alternative est proposée. Il s’agit de l’approche multidimensionnelle. Cette dernière vise à apporter un enrichissement à l’information monétaire à travers l’introduction d’autres dimensions à l’étude de la pauvreté en partant de consensus de l’existence d’autres aspects de privation. L’introduction de dimensions relatives à l’existence humaine -en termes de logement, santé, emploi, loisir, relations sociales et ressources économiques- apporte un enrichissement considérable à notre compréhension de la privation et ses causes. En effet, la prise en compte de ces variables qualitatives sans oublier les ressources économiques permet d’approcher le véritable portrait de la privation. En se référant à la littérature économique, nous soulevons l’existence d’une polysémie de définitions et de mesure de la pauvreté multidimensionnelle sur le plan théorique ainsi qu’empirique. Dans ce qui suit, nous présenterons les diverses approches théoriques ainsi que les différentes conceptions empiriques de la pauvreté multidimensionnelle. II. 1 La pauvreté multidimensionnelle: approches théoriques La littérature sur les différentes approches conceptuelles de la pauvreté multidimensionnelle est extrêmement abondante. Elle fournit plusieurs façons de définir la pauvreté. On distingue, entre autres, les approches par les capabilités de Sen et l’approche par les besoins de base. II.1.1. Approche par les capabilités L’approche par les capabilités est initiée par Sen (1985). Elle enveloppe trois principales composantes: les « commodités », ou ressources, les « fonctionnements » et les « capabilités ».. Ces trois notions sont définies, par Sen (1992), de la manière suivante: « La commodité est ainsi un ensemble de vecteurs de fonctionnements reflétant la liberté d’une personne à mener un genre de vie plutôt qu’un autre (…). Un fonctionnement est une réalisation, tandis que la capabilité renvoie à l’aptitude à réaliser. Les fonctionnements sont donc plus directement liés aux conditions de vie puisqu’ils correspondent à différents aspects des conditions de vie. Au contraire, les capabilités sont des notions de liberté au sens positif de terme (…) » Les commodités désignent, donc, l’ensemble des biens et services qui ne sont pas nécessairement marchandes. Les fonctionnements prennent en considération les accomplissements ou les réalisations des individus c’est-à-dire ce qu’ils sont et ce qu’ils font avec leurs ressources. Ils reflètent le type de vie qu’un individu mène. 96 Revista europeană de drept social Le concept de « capabilités », cependant, met en avant deux composantes essentielles: les potentialités et les opportunités. Les potentialités correspondent, comme le mentionne Rousseau (2001), aux caractéristiques particulières, à savoir, les dotations en capital social, capital humain, capital physique et capital économique. Les opportunités sont conditionnées par l'environnement spécifique de l'individu. Ce dernier est constitué par l'ensemble des institutions formelles ou informelles qui déterminent des contraintes de fonctionnement. La mise en relation des opportunités et des potentialités de l'individu permet donc de déterminer les fonctionnements qu'il est susceptible de mettre en œuvre, ses capacités et par conséquent, le niveau de bien-être de l'individu. Ainsi, Sen approxime le bien-être à travers les droits positifs des individus et essai à l’aide du concept de « fonctionnement » de transposer ces droits dans un espace mesurable. Cette approche préconise que tout individu doit avoir certaines capacités jugées fondamentales pour l’atteinte d’un certain niveau de vie. A cet effet, l’individu doit être adéquatement logé, bien nourri, avoir accès à l’éducation et à la santé, prendre part à la vie communautaire, etc. De ce fait, la chose qui fait défaut dans cette approche, n’est ni l’utilité ni la satisfaction de besoins de base, mais des habiletés ou des capacités humaines. Il faut noter, néanmoins, que, bien que, cette approche fournit un concept large de bien-être, ses applications à la pauvreté sont peu nombreuses. Le développement de certains indicateurs par le PNUD (l’indicateur de développement humain et l’indicateur de pauvreté humaine) en est une tentative parmi d’autres. Les travaux qui tentent de rendre opératoire l’approche de Sen, présentent deux insuffisances notables. D’une part, ils ne fournissent pas une mesure de la notion de « capabilité »: faute des données disponibles, seuls les « fonctionnement » accomplis ou réalisés sont en général utilisés comme approximation des « capabilités ». D’autre part, ces tentatives s’éloignent parfois du cadre conceptuel auxquels elles sont sensées se rattacher car les indices composites reposent sur une combinaison d’indicateurs de nature différente dont certaines correspondent à des « capabilités » (libertés civiles et droits politiques), et d’autres à des ressources ou à des biens (nombre de téléphones par tête ou revenu par tête). C’est précisément le cas de l’IDH pour lequel la prise en compte du PIB par tête peut être remise en question notamment si l’IDH est conçu comme un indicateur pur de « capabilités » (Bérenger et Verdier-Chouchane. (2004)) II.1.1.1. Relation ressources- capabilités Bien que le revenu constitue un moyen essentiel pour développer les capabilités, la situation financière des individus reste toujours étroitement dépendante des possibilités d’action qui se présentent à eux. A titre d’exemple, l’éducation universelle et des services sanitaires adéquates et accessibles permettent d’améliorer la qualité de vie des populations et de fournir plus de possibilités pour encaisser un revenu plus élevé et d’échapper par conséquent à la pauvreté monétaire. Il s’en suit que les capabilités affecte la situation des individus pauvres via, aux moins, deux canaux. D’une part, la promotion des capabilités, en permettant aux individus d’agir 97 Revue europénnee du droit social et de choisir librement, tend à rendre leurs vies plus riches et leur permettre de surmonter les problèmes de privation. D’autre part, l’ensemble des capabilités dessine en grande partie la manière dont les individus profitent des ressources dont ils disposent pour réaliser les fonctionnements qu’ils valorisent. Robeyns (2005) distingue trois groupes de facteurs de conversion des ressources en fonctionnements. Le premier type de facteurs est lié aux caractéristiques personnelles de l’individu (aptitudes physiques, intellectuelles, sexe, âge, niveau d’activité, conditions de santé…). Ces facteurs vont influencer la manière dont l’individu va effectivement traduire ses ressources en fonctionnements. Le second s’attache aux facteurs de conversion sociaux (politiques, biens publics, normes sociales, relation de pouvoir) qui selon les règles sociales et les traditions d’un pays peuvent en partie contraindre certains individus et les obliger à réduire leurs fonctionnements essentiels (notamment les femmes). Enfin, il y a les facteurs de conversion environnementaux (conditions climatiques, sécheresse, famine, état de routes) qui influence, en grande partie, la capacité à se nourrir, à se déplacer, et à être en bonne santé, notamment en présence des problèmes de sécheresse ou de famine. L’approche par les capabilités garantit donc, via l’introduction et l’analyse de facteurs de conversion personnels, sociaux et environnementaux, de prendre en considération la diversité des situations aux quelles les individus sont confrontés et de tenir compte de la variété des êtres humains à travers la pluralité des fonctionnements et des capabilités d’une part, et par l’influence des facteurs de conversion, d’autre part (DIOP, 2008). II.1.1.2 La pauvreté dans l’approche des capabilités Dans l’approche des capabilités de Sen, la pauvreté est perçue comme un déficit des capabilités fonctionnelles élémentaires qui empêche, un individu ou un ménage, d’atteindre certains minima jugés acceptables suivant les normes sociales de la société dont il fait partie. L’individu ou le ménage est, ainsi, inapte de mettre en œuvre, et de développer, l’ensemble de ses dotations pour satisfaire ses désirs et ses aspirations. Autrement dit, faute des potentialités et /ou opportunités suffisantes, il se trouve dans l’incapacité de réaliser des fonctions essentielles de la vie humaine. Pour Sen (2003) il importe, tout d’abord, dans toute analyse de la pauvreté de porter l’attention exclusivement sur les revenus. Ensuite, il faut mettre l’accent sur d’autres facteurs sources de privation tel l’état sanitaire, le manque d’éducation ou de qualification, le chômage ou encore l’exclusion sociale. La prise en compte de ces facteurs enrichit davantage la base informationnelle et permet, par la suite, une meilleure compréhension de la nature de la pauvreté et ses mécanismes Sen (2003), tout en proposant une analyse de la pauvreté qui va en dehors de la sphère du revenu, instaure donc à une alternative à l’approche monétaire. Il considère que l’évaluation de la pauvreté à partir des ressources monétaires ou des dotations initiales est inadéquate et insuffisante pour juger le degré de privation dont souffrent les individus. Il propose une analyse qui accorde plus d’importance 98 Revista europeană de drept social à d’autres facteurs de privation de la vie humaine telle que l’éducation, la santé, l’exclusion sociale… La prise en compte de ces facteurs enrichit la base informationnelle et améliore la compréhension de la pauvreté (DIOP, 2008) et nous permet de déboucher sur la définition de la pauvreté proposée par Sen (2005): « il est juste de considérer la pauvreté comme une privation de capacités de base plutôt que simplement comme un revenu faible. La privation des capacités élémentaires se traduit par une mortalité prématurée élevée, de la malnutrition, une morbidité persistante, un faible taux d’illettrisme et d’autres problèmes » La définition de la pauvreté en termes de capabilités apparaît donc légitime pour, au moins, trois raisons. D’abord, outre leur rôle primordial dans l’assurance d’un niveau de revenu acceptable aux individus, les capabilités constituent le fondement même d’une vie humaine digne et permettent aux individus d’augmenter leur revenu. Ensuite, l’existence d’une relation étroite entre l’impossibilité ou l’incapacité de développer les aptitudes personnelles et le maintien des revenus faibles ne peut nier la présence d’autres facteurs influant la production des capabilités. Enfin, la relation entre privation monétaire et privation de capabilités varie considérablement en fonction des caractéristiques individuelles (âge, sexe…), de la situation géographique (catastrophe naturelles, insécurité…) ou encore de l’environnement épidémiologique…Ainsi, « malgré le rôle majeur des revenus dans les avantages dont jouissent les individus, la relation entre revenu (et autres ressources) d’un côté, et accomplissements individuels et libertés de l’autre, n’a rien d’automatique, de permanent ou d’inévitable. Un large faisceau de facteurs contingents soumet à des variations continuelles la conversion des revenus en fonctionnements que nous souhaitons obtenir et affectent la conduite que nous nous fixons » (Sen, 2003). Reste à signaler que, même si l’apport théorique de l’approche de capabilités est largement reconnu par les économistes, des difficultés méthodologiques existent et persistent lors de la mise en œuvre de cette dernière. La principale critique adressée à l’approche par les capabilités est que nous sommes inaptes de prendre en compte l’intégralité des capabilités lors de l’étude et de l’analyse de la pauvreté (Robeyns, 2000, Favarque et Robeyns, 2005). II.1.2. Approche par les besoins de base L'économiste anglais B. S. Rowntree (1901), dans sa fameux ouvrage «poverty: A study of Town life », est communément reconnu comme le pionnier dans l’analyse et la mesure du concept des besoins de base (Asselin et Dauphin, 2000). Ce dernier a fait référence à trois catégories de besoins fondamentaux; l'alimentation, le logement et les articles ménagers tels que les chaussures, les vêtements et le carburant et a utilisé des méthodes différentes pour établir le minimum requis dans chaque catégorie. Pour l'alimentation, il a fait allusion aux standards nutritionnels établis par les nutritionnistes pour les différents individus (hommes, femmes, adultes et enfants), pour les articles ménagers, il a utilisé une approche qualitative en recourant à la perception effective des gens de ce qui devait 99 Revue europénnee du droit social être considéré comme un minimum de base tandis que pour le logement, il a tout simplement retenu ce que les gens payaient inévitablement. L’approche par les besoins de base n’est, cependant, apparue explicitement dans le champ des politiques de lutte contre la pauvreté que vers les années soixante-dix (Sylla et al., 2005). Elle est essentiellement développée par l’UNICEF, qui a essayé d’identifier un certain nombre de besoins de base à satisfaire absolument pour ne pas être pauvre. Appelée aussi approche de « conditions de vie » ou « pauvreté d’existence », l’approche par les besoins de base considère que « la chose manquante dans la vie des pauvres est un sous ensemble de biens et services spécifiquement identifiés et perçus comme universels, communs aux hommes de différentes cultures et civilisations » (Destremau et Salama, 2002; Ambapour, 2006). Il s’agit, donc, d’une approche dont la pauvreté désigne le manque ou l’inadéquation dans les domaines alimentaires, de l’équipement, des standards et des services ou activités communs ou usuels dans une société (Townsend, 1979). Les principaux besoins de base souvent pris en compte sont: éducation, santé, hygiène, assainissement, eau potable, habitat, accès aux infrastructures de base, etc (Akoété et Kossi, 2009, UNICEF, 2008; Sylla et al., 2005). Ils sont dits “de base” car leur satisfaction est considérée comme un préalable à l'atteinte d'une certaine qualité de vie. Développée par les organismes internationaux pour reconnaître le caractère multidimensionnel de la pauvreté, l’approche par les besoins de base, additionne, ainsi, l’accès aux services sociaux de base aux domaines fondamentaux de l’approche par les capacités (Keetie et Gassmann, 2006). La prise en compte de multiples dimensions de la pauvreté vient, ainsi, et dans une large mesure pour surmonter les insuffisances de l’approche monétaire (UNICEF, 2008). En somme, dans l’approche par les besoins de base, le pauvre est un individu privé d’un minimum de commodités de base jugées indispensables pour mener une vie digne. Elle est considérée comme l’une de méthodes les plus appropriées pour cerner le concept de la multidimensionnalité de la pauvreté. Elle permet non seulement de conceptualiser les différentes facettes de la pauvreté, mais également de mesurer les privations des individus sur différents domaines. Cependant, le problème majeur confronté lors de la mise en œuvre de l’approche par les besoins de base est la détermination même de ces besoins de base du fait que ces derniers peuvent varier non seulement d’un individu à l’autre selon l’âge et le sexe mais également avec le type et le niveau d'activité de l'individu, qui sont endogènes. Ce sont généralement les nutritionnistes, les physiologistes et autres spécialistes qui sont appelés à les déterminer (Ligue de droit de l’homme, 2008; Sylla et al., 2005). D’autres limites sont adressées à l’approche par les besoins de base. Il s’agit, entre autres, du fait que ses partisans ne comparent les individus que dans l’espace d’accomplissement sans se préoccuper de l’espace de ressources (Zonon, 2003) et qu’elle est sujette, dans son opérationnalisation, à la disponibilité des données pouvant permettre l’analyse. 100 Revista europeană de drept social II.2. Les différentes manières de concevoir la multidimensionnalité sur le plan empirique En se référant à la littérature empirique, nous constatons l’existence de plusieurs tentatives qui ont essayé de rendre opérationnelles les différentes conceptions théoriques de la pauvreté multidimensionnelle. On peut citer, entre autres, les méthodes faisant références à la notion de déprivation, la théorie des ensembles flous et les indicateurs composites II.2.1. Les méthodes basées sur un seuil entre déprivation ou non Une première méthode pour concevoir la multidimensionnalité de la pauvreté fait appel à la notion de la déprivation. Cette approche se fonde essentiellement sur une notification binaire selon que l’individu est dépourvu on non sur un ensemble des attributs considérés comme fondamentaux. Ainsi, une personne est considérée comme pauvre par rapport à un attribut si la réalisation de cet attribut est en dessous d'un seuil objectif ou d'une norme sociale zj. Si on note par xij les quantités de bien j possédées par l'individu i; j = 1..m et i = 1..n, et Dj l'ensemble des gens déprivés sur l'item j, on pourra à partir des valeurs de xij, déterminer le degré de déprivation de l'individu i sur l'item j Dans le cas d'une situation binaire de déprivation, et avec des variables rangées en ordre croissant de déprivation, on a simplement: ξ D j = (x ij 0 si x ij > z ) = 1 si x ij ≤ z j j Avec ξDj est une fonction croissante des quantités xij La principale limite adressée à cette méthode est qu'elle ne nous renseigne que sur la présence ou l'absence d'un item. Elle ne nous informe ni sur la qualité, ni sur la quantité de l'item (Perez-Mayo (2003)). II.2.2. La théorie des ensembles flous La théorie des ensembles flous est issue de travaux de Zadeh (1965). Elle est, ensuite, développée par Dubois et Prade (1980) (Véro et Verquin, 1997; Berenger, 2008). Pour les initiateurs de cette théorie, la vision dichotomique (pauvre / non pauvre) constitue une représentation trop abusive de la réalité: la pauvreté n’est pas un item qu’un individu dispose ou non, mais plutôt une situation vécue et réelle dont l’intensité diffère d’un individu à un autre "plus souvent qu'on ne le pense, les classes d'objets rencontrées dans le monde physique n'ont pas de critère d'appartenance précisément définis mais sont plutôt caractérisés par un continuum de degré d'appartenance" (Lemmi et al. (1994) 101 Revue europénnee du droit social La théorie des ensembles floues part du constat qu'il existe des ensembles pour lesquels l'identification de l'appartenance ou non ne repose pas sur des critères précis et offre un outil mathématique adéquat pour traiter les phénomènes pour lesquels il n’existe pas de critère clairement identifiable pour définir l’appartenance à un groupe. L’utilisation de cette méthode en économie est relativement récente et ses applications les plus connues s’attachent notamment à l’analyse multidimensionnelle de la pauvreté (Bérenger et Chouchane, 2004). Elle semble apporter à l’approche des capabilités de Sen un appui empirique rigoureux pour l’implémentation d’une analyse multidimensionnelle de la pauvreté en termes de fonctionnements. Deux principales raisons justifient l'utilisation de l'analyse en termes d'ensembles flous à la mesure multidimensionnelle de la pauvreté. Tout d'abord, le passage au multidimensionnel implique la prise en compte de dimensions par essence floues, telles que les dimensions sociologiques ou psychologiques. Ensuite, l'utilisation de plusieurs dimensions entraîne la possibilité que des individus soient pauvres par rapport à une dimension et pas par rapport à d'autres. Il y a donc une ambiguïté qui ne permet pas de bien apprécier la situation des individus au sein de leur société. La construction de mesures floues repose sur quatre étapes indispensables: l’identification de la population pauvre, la détermination de degré d’appartenance, le calcul de ratio de pauvreté d’un ménage, et l’agrégation de ratio de pauvreté de la population. (pour plus de détails voir Alperin et Mussard, 2005; Alperin et Terreza, 2007). II.2.3. L’approche totalement floue et relative Cheli et Lemmi (1995) soulignent que leur nouvelle approche met de coté les assertions de type normatif concernant les seuils de pauvreté et permet de collecter des informations sur la nature multidimensionnelle des conditions de vie d'une population donnée, du moins autant que faire se peut en fonction des informations contenues dans les enquêtes auprès des ménages ou par les gouvernements. Cette approche est totalement floue du fait qu’elle évite la spécification de seuils critiques inférieur et supérieur. Elle est totalement relative, car le degré de déprivation de chaque individu sur un item donné va dépendre de sa place dans la distribution de l'item. Ainsi cette méthode permet de dépasser les deux objections que ces auteurs formulent à l’ encontre de Cerioli et Zani (1990). A l’instar Cerioli et Zani (1990), Cheli et Lemmi (1995) distinguent trois cas des variables: dichotomiques, quantitatives et ordinales. Dans le cas des variables dichotomiques, le principe est le même que précédemment. Dans le cas des variables quantitatives, on peut dépasser la linéarité de la fonction d'appartenance. Pour le cas des variables ordinales, l'hypothèse d'équidistribution des modalités et donc d'équidistance entre elles, présente chez Cerioli et Zani, est relâchée. 102 Revista europeană de drept social Comme tout à l'heure, Cheli et Lemmi (1995) désignent par xij la mesure de la déprivation de l'individu i par rapport à l'indicateur j. Les variables étant rangées en ordre croissant de déprivation, ils notent par xmj les m = 1..s modalités que xj peut prendre. x 1j étant la modalité à plus faible risque de pauvreté et Fj est la fonction de distribution cumulative de j, ils définissent la fonction d'appartenance comme suit: ξiD (i) = 0 si x ij = x1j Fj ( x mj ) − Fj ( x mj −1 D D m −1 ξ = ξ ( x ) + si x ij = x mj i j j 1 1 − F ( x ) j j Cette approche est moins arbitraire car on n'a plus à définir de seuils et elle est cohérente avec une approche relative de la pauvreté. Qizilbash (2003) considère que les travaux de Cerioli et Zani ou Cheli et Lemmi sont des contributions importantes à la mesure de la pauvreté et de la vulnérabilité. Néanmoins, il reproche à ces auteurs de déterminer le degré d’appartenance pour chaque individu via la moyenne pondérée des degrés d'appartenance sur chaque dimension. Pour Qizilbash (2003), les implications de cette méthode sont les suivantes: pour être considéré comme pauvre de manière non ambiguë (la proposition "l'individu est pauvre" est vraie à un degré 1), un individu doit l'être dans toutes les dimensions; pour être considéré comme non pauvre de manière indiscutable (la proposition "l'individu est pauvre" est vraie à un degré 0), un individu ne doit l'être sur aucune dimension pour un seuil donné; si un individu est pauvre de manière non ambiguë sur certaines dimensions et non pauvres de manière non ambiguë sur d'autres, alors il est pauvre à un certain degré. Pour Qizilbash (2000), ce raisonnement est incompatible avec une vision selon laquelle un individu est pauvre si un de ses besoins essentiels n'est pas satisfait. Si on se situe dans une approche absolue ou les dimensions sont toutes indispensables et font toutes partie d'un noyau de pauvreté, cela n'est pas satisfaisant. Il en déduit que la multidimensionnalité ne peut pas être un argument de justification de l'utilisation de la théorie des ensembles flous car cette méthode ne permet pas de tenir compte de certaines intuitions que la multidimensionnalité soulève. II.2.4. Les méthodes d'agrégation et le critère de déprivation global L'agrégation consiste à étudier la manière dont on peut rassembler l'information dans un indice sommaire ou en une liste de dimensions. Au niveau de cette phase, différentes méthodes s'offrent à nous. On en étudie deux ici. La première méthode consiste à utiliser une batterie d'indicateurs 103 Revue europénnee du droit social élémentaires représentatifs des diverses dimensions sans procéder à leur agrégation. La seconde solution consiste à mettre au point, à partir de cette batterie d'indicateurs élémentaires, un indicateur agrégé global. III.2.4.1.Une batterie d'indicateurs élémentaires La première stratégie définie par Brandolini et D'Alessio (1998) est la stratégie complémentaire (supplementary strategy). Elle a pour objet de compléter l'information issue de la distribution des ressources, mesurée par le revenu ou un autre indicateur, par les indicateurs de niveau de vie. L'avantage de cette option est la simplicité. Son inconvénient majeur est le manque de synthèse et la difficulté d’en tirer une image unitaire bien définie. En effet, une pluralité d'indices évoluant dans des sens différents peut générer une certaine confusion. De plus, dans le cas d'une batterie d'indicateurs, il est fort probable que l'on obtienne uniquement un ordre partiel lorsqu'on essaie de comparer des observations dans la mesure où une observation peut en dominer une autre sur un indicateur mais être dominée sur un autre (Fusco, 2007). Cherchye et alii (2004) considèrent que ce dernier point est une sévère limite dans le cadre de l'évaluation des performances sur différentes dimensions. Cela constitue leur argument en faveur de la construction d'indices agrégés qui constituent un moyen de synthétiser l'information. III.2.4.2. L'indice agrégé Il s’agit d’une approche entièrement agrégative qui consiste à construire un indicateur composite global ξ P (i) pour chaque individu i. On suppose, dans ce cadre, que les divers attributs d'un individu peuvent être agrégés en un seul indice cardinal de bien-être et que la pauvreté peut être définie en termes de cet indice (Dickes, 1989). La construction d’un tel indice se déroule en plusieurs étapes. En effet, il faut d’abord déterminer les degrés normalisés de déprivation sur chaque variable ainsi que les règles par lesquelles on va lier ces informations. Ainsi, si on repart d’une matrice X, cela revient à appliquer une fonction d'agrégation h aux j=1..m degrés de déprivation ξD j (i) de l'individu i tel que: ξp (i) =h(ξD1 (i),ξ D2(i),....ξDm(i)) Il faut noter, cependant, que La fonction h peut être spécifiée de diverses manières, pour Chiappero (1994), il est souhaitable que l'opérateur d'agrégation h soit compris entre les valeurs minimales et maximales des degrés de déprivation et puisse permettre des interactions entre les différents indicateurs de déprivation. 104 Revista europeană de drept social Une possibilité pour satisfaire ces conditions est d'utiliser la moyenne m D D α h (..., ξ ( i ),...;..., w ,...) = w ( ξ ( i )) j j j j pondérée d'ordre α suivante: α j=1 ∑ 1 α Où wj est le poids attribué à chaque indicateur au sein du processus d'agrégation, wj ≥ 0 et m ∑w j = 1 ; et α est un paramètre qui détermine le niveau de j=1 substitution entre les attributs L'interprétation de ce type d'indice est aisée (Cherchye et Vermeulen, 2004). Une bonne (mauvaise) performance dans une dimension donnée implique une plus grande (faible) valeur sur l'indice composite. Pour un indice de déprivation, cela signifie que plus un individu sera pauvre dans une dimension, plus la valeur de l'indice sera forte. Pour un indice de bien-être, plus le bien-être d'un individu sera élevé sur une dimension, plus l'indice global de bien-être sera élevé. Dans le cas de l'utilisation de poids, l'effet global dépend de la structure de pondération. Plus le poids attribué à un indice élémentaire (ou une dimension) est élevé, plus son impact sur l'indice synthétique sera important. Ce type d'indicateur présente bien entendu des avantages et des inconvénients. L'atout principal réside certainement dans le classement complet que cette méthode permet. Egalement, cet indice est utile pour cibler les politiques du fait qu’il permet de comparer les différents groupes socio -économiques tels que les hommes et les femmes, les enfants et les personnes âgées, etc. Néanmoins plusieurs limites sont adressées à cet indice agrégé. Mickelwright (2001) en relève trois; En premier lieu, la simplicité de ce type d'indice est un désavantage notable car une grande quantité d'information est perdue dans le processus d'agrégation. En second lieu, cet indice ne permet pas de tout retranscrire et communiquerait moins d’information que les indicateurs pris séparément de chaque dimension du bien-être. Finalement, le classement complet et les résultats peuvent se révéler très sensibles aux hypothèses sousjacentes à la construction de l'indice. En effet, différentes structures de pondération impliquent différentes valeurs de l'indice et ce, même si le classement est préservé. Dès lors, le fait qu'il y ait rarement une structure de poids qui soit plus appropriée qu'une autre, implique que les classements complets issus de ce type d'indice ne seront pas robustes (Cherchye et Vermeulen, 2004). Cette méthode a également été critiquée par d'autres auteurs. Bourguignon et Chakravarty (2003), par exemple, la considèrent comme restrictive. Pour eux, elle revient à considérer la pauvreté multidimensionnelle comme un simple indice de pauvreté monétaire sur la base d'une généralisation appropriée du concept de "revenu". Or, "la question de la multidimensionnalité de la pauvreté 105 Revue europénnee du droit social apparaît des lors que les individus, les observateurs sociaux et les politiciens veulent définir une limite de pauvreté sur chaque attribut individuel: revenu, santé, éducation, etc." III. LE PNUD ET LES MESURES MULTIDIMENSIONNELLES DE LA PAUVRETÉ: VERS L’INSTAURATION DE NOUVELLES MESURES DE BIEN-ÊTRE Le caractère multidimensionnel de la pauvreté est largement reconnu par le PNUD. Cette reconnaissance de la limite de la mesure monétaire et de l’importance de l’approche multidimensionnelle s’est traduite par le développement de divers indices de bien-être qui essayent de tenir compte de plusieurs dimensions pour refléter une mesure - qui approxime le plus réellement que possible- le niveau de bien-être des individus. En effet, les rapports sur le développement humain du PNUD ont instauré diverses mesures de bien-être et de pauvreté. Il s’agit de l’IDH et de l’IPH qui sont conçus dans les années quatrevingt dix et des deux nouvelles mesures très récemment introduites dans le rapport du développement humain de l’an 2010: l’indice de pauvreté multidimensionnelle et l’IDH ajustés aux inégalités. III. 1. L’indicateur de développement humain (IDH) Créé en 1990 par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), l'indicateur de développement humain, noté IDH, est un indice composite destiné à évaluer le niveau de développement humain des pays du monde. Il s’agit d’un indice composite qui varie entre 0 (exécrable) et 1 (excellent et qui synthétise le niveau de la vie humaine moyennant le calcul d’une moyenne de trois indices. C’est un indicateur qui fait la synthèse de trois séries de données: la santé, le savoir et la qualité de vie. Ces composantes de l’IDH sont définis par: la santé /longévité: mesurées par l'espérance de vie à la naissance. Il s’agit d’une mesure indirecte de la satisfaction des besoins matériels essentiels tels que l'accès à une alimentation saine, à l'eau potable, à un logement décent, à une bonne hygiène et aux soins médicaux. le savoir ou niveau d'éducation: mesuré par le taux d'alphabétisation des adultes (pourcentage des 15 ans et plus sachant écrire et comprendre aisément un texte court et simple traitant de la vie quotidienne) et le taux brut de scolarisation (mesure combinée des taux pour le primaire, le secondaire et le supérieur), il traduit la satisfaction des besoins immatériels tels que la capacité à participer aux prises de décision sur le lieu de travail ou dans la société. 106 Revista europeană de drept social le niveau de vie: quantifié à partir du logarithme du produit intérieur brut par habitant en parité de pouvoir d'achat, il cherche à tenir compte des éléments de la qualité de vie qui ne sont pas décrits par les deux premiers indices. Nombre de limites est adressé à l'IDH. En effet, cet indicateur suppose que ses composantes sont commensurables. Autrement dit, il suppose, par exemple, qu’une augmentation de l'espérance de vie est substituable à une augmentation de la production marchande. Encore plus, le choix de pondérations pour construire l’IDH n’est pas sans critiques: On reproche souvent au calcul de l’IDH l’ajout du logarithme au PIB par habitant du fait qu’il a pour effet de minorer les écarts considérables de richesse entre pays. De même, étant basé sur des moyennes nationales, il ignore la corrélation significative entre les différents aspects de la qualité de vie et ne dit rien sur la distribution des conditions individuelles dans chaque pays. En conséquence, l'indice combiné ne change pas si les performances moyennes dans chaque domaine restent inchangées alors que la corrélation des conditions individuelles entre domaines décline. Egalement, l'IDH est fondé sur des statistiques nationales officielles, dont la fiabilité est très inégale, par exemple pour ce qui concerne le taux d'alphabétisation, surestimé dans certains pays. Enfin, calculé à partir de chiffres généralement collectés deux ans plus tôt, l'IDH est toujours publié avec un certain retard. III.2. L’indicateur de pauvreté humaine (IPH) Pour pouvoir mesurer l’ampleur de la pauvreté dans un pays ou une région donnée et tenir compte de la situation des pauvres, nous avons besoin d’identifier et d’agréger les pauvres. De ce fait, l’indicateur de pauvreté humaine est crée en 1997 sous l’égide du PNUD. Il indique et reflète les pénuries des capacités des individus. En effet, l’un des principes indispensables qui préside à la construction de l’IPH est le postulat que la pauvreté est vécue comme un ensemble de « privations fondamentales » et que cette pauvreté existe et persiste même dans les économies industrielles. Les privations fondamentales diffèrent, cependant, selon le degré de développement des pays et une dimension spécifique aux privations potentielles est ajoutée à l’IPH- réservé aux pays développés: chômage de longue durée. En somme, le PNUD a spécifié deux indicateurs de pauvreté humaine: l’IPH-1 pour les pays en développements et l’IPH-2 pour les pays développés (Padayachy, 2008). Le premier, l’IPH-1, adapté au pays en voie de développement synthétise plusieurs indicateurs représentatifs des manques ressentis par la population dans trois domaines: la longévité (P1) (le taux de décès avant quarante ans), d’instruction(P2) (le taux d’analphabétisme) et de conditions de vie (P3) (la moyenne de trois sous indices: le taux de personnes qui n’ont pas d’accès à l’eau potable (P31), le taux de personne qui ne peuvent pas 107 Revue europénnee du droit social accéder aux services de santé (P32) et le pourcentage d’enfants de moins de cinq ans qui souffrent d’insuffisance pondérale (P33)). Ainsi l’IPH-1 est calculé à partir de la relation suivante: IPH − 1 = 3 Avec: P3 = P11 + P22 + P33 3 P31 + P32 + P33 3 S’agissant du second indicateur, l’IPH-2, utilisé pour classer les pays riches, il reprend les variables relatives aux capacités (survie, instruction et niveau de vie) qui doivent refléter les conditions de vie économique et sociales des pays de l’OCDE, et il ajoute l’exclusion sociale appréhendée par le chômage de longue durée. Il est, ainsi, calculé à partir de la moyenne cubique de quatre paramètres: le taux de décès avant soixante ans (P1), le pourcentage d’illettrisme (P2), le manque de conditions de décentes, représenté par le taux de personnes vivant avec moins de la moitié de médiane du revenu disponible (P3) et le taux de chômage de longue durée (P4). Pratiquement, l’IPH-2 se calcule comme suit: IPH − 2 = 3 P13 + P23 + P33 + P43 3 A l’instar de l’IDH, l’’IPH n’est pas sans limites. On reproche à ce dernier de ne pas couvrir l’ensemble des dérivations dont souffrent les pauvres. Il s’agit, d’une part, des manques qu’ils subsistent en termes de biens matériels et d’autre part, des insatisfactions psychologiques qu’ils ressentent par rapport au milieu auxquels ils appartiennent (famille, village, pays). Encore, les enquêtes de terrains qui permettent aux pauvres de faire état de leur situation font apparaître plusieurs difficultés dont l’IPH n’est pas en mesure de les traduire objectivement: être frappé par un handicap, ne pas posséder de terres, des bétails, d’outils, ne pas pouvoir envoyer des enfants à l’école, être mal logé, manquer de relations sociales, être contraint d’accepter des emplois dégradants, …En outre, les pauvres disent souffrir d’un manque de considération de l’Etat et plus globalement des collectivités publiques (d’Agostino, 2008) III.3. Indice de la pauvreté multidimensionnelle L’indice de pauvreté multidimensionnelle est initié par l'organisation Oxford Poverty and Human Development Initiative (OPHI), relevant de l'Université d'Oxford dans un Rapport intitulé « Acute Multidimensional Poverty: a new index for developing countries ». Cet indice est élaboré par les deux auteurs Alkire et Santo (2010) sur la base d'une approche conçue en 2007 par Foster et Alkire. L’importance de cette nouvelle mesure de la pauvreté est davantage appuyée par le 108 Revista europeană de drept social PNUD. En effet dans son rapport publié en octobre 2010 l’IPM remplace l’indice de pauvreté humaine IPH qui figurait dans les rapports du développement humain depuis 1997 témoignant ainsi et reconnaissant l’importance, l’utilité et la rigueur de cet indice comme nouvelle mesure de bien-être. Le IPM est une des trois nouvelles mesures introduites dans le rapport du PNUD 2010, avec l’Indice de Développement humain ajusté aux inégalités et l’Indice des Inégalités entre les Sexes - Gender Inequality Index. Il se réfère aux trois dimensions considérées par l’IDH pour identifier les manques graves dont souffrent les individus. En effet, Alkire et Santos (2010) choisissent 10 composantes pour la construction de l’indice de pauvreté multidimensionnelle; deux pour la santé (malnutrition et mortalité infantile), deux pour l’éducation (années de scolarisation et inscription scolaire) et six visant à capturer le niveau de vie (accès au services et bien-être du ménage). La pauvreté est mesurée séparément sur chacune de ces 10 dimensions et chaque composante est lui attribué un propre poids. Conformément à l’IDH, les trois composantes principales- santé, éducation et niveau de vie - sont également pondérées (un tiers chacun) pour former l’indice composite. Egalement, les indicateurs introduits dans chaque dimension ont le même poids; pour la santé, chaque indicateur a une pondération égale à 1/6, même chose pour les deux indicateurs de la dimension éducation et pour les six indicateurs de niveau de vie chacun pèse 1/18. Le MPI révèle, donc, la combinaison des privations qu’un ménage batte en même temps. Un ménage est identifié comme multidimensionnellement pauvre si et seulement si, il est privé dans une certaine combinaison d'indicateurs dont la somme pondérée est 30 pour cent ou plus. Les dimensions introduites, les indicateurs utilisés et les pondérations respectives sont résumées dans le tableau ci-dessous: Dimensions, indicateurs et pondération des indicateurs dans l'Indice de pauvreté multidimensionnelle (IPM) Dimensions 1. Santé 2. Éducation Indicateurs Mortalité infantile - Un enfant est mort dans la famille. Nutrition - Un adulte ou un enfant dans la famille souffre de malnutrition. Année de scolarité - Aucun des membres du ménage n'a au moins 5 ans de scolarité complète. Inscription des enfants à l'école - Un enfant d'âge scolaire n'est pas à l'école entre 1 an et 8 ans. Pondération 1/6 1/6 1/6 1/6 109 Revue europénnee du droit social 3. Niveau de vie Electricité - Les ménages ne disposent pas de l'électricité. Accès à l'eau potable - L'accès ne répond pas aux définitions des OMD ou le ménage ne dispose pas d'un accès à l'eau à moins de 30 minutes à pied de son domicile. Assainissement - L'assainissement ne répond pas aux définitions des OMD ou les toilettes sont partagées. Sol et qualité du logement - Le sol de l'habitation est sale, composé de sable, de bouse, de fumier. Combustible de cuisson - La cuisson des aliments est effectuée au bois, au charbon de bois ou à la bouse. Biens de transport ou de communication possédés - Parmi les biens possédés, le ménage n'a pas plus d'un poste de radio, de télévision, de téléphone, d'un vélo ou d'une moto. 1/18 1/18 1/18 1/18 1/18 1/18 Alkire et Santos (2010) avancent plusieurs arguments pour justifier et appuyer le choix de différentes dimensions. Premièrement, tandis qu'il pourrait y avoir un peu de désaccord de la convenance d'inclusion du travail, l'autorisation, ou de la sécurité physique dans une mesure de pauvreté, la valeur de santé, l’éducation et des variables de niveau de vie de base sont largement reconnus. Deuxièmement, il y a des littératures substantielles et des domaines d'expertise sur chacun de ces sujets, qui rendront l'analyse du MPI plus facile. Troisièmement tandis que quelques données font défaut, la validité, la robustesse et les limites des différents indicateurs sont bien documentées; une telle documentation n'est pas développée dans d’autres domaines. Quatrièmement, le développement humain apprécie les valeurs intrinsèques ainsi qu’instrumentales de ces dimensions. Ces mêmes dimensions sont soulignées dans les approches du capital humain qui cherchent à clarifier comment chaque dimension contribue fortement à la croissance de revenu. Cinquièmement l’introduction de trois dimensions uniquement simplifie des comparaisons avec des mesures de pauvreté de revenu: les auteurs de l’indice de pauvreté multidimensionnelle comparent leur mesure avec les mesures de la pauvreté fournie par la Banque mondiale à un seuil de l’ordre de 1.25$ par jour 110 Revista europeană de drept social pour 104 pays. Il faut noter, également, que l’IPM renforce sa pertinence et sa robustesse à partir du rapport qu’il établi avec les OMD. En effet, les auteurs de l’indice de pauvreté multidimensionnelle emploient des indicateurs qui sont étroitement liés aux OMD: nutrition (OMD 1), scolarisation (OMD 2), mortalité infantile (OMD 4), accès à l’eau potable et aux installations sanitaires, (OMD 7). En somme, l’IPM est une nouvelle mesure visant à représenter les privations graves dont endurent des individus de manière synchronique. Il reflète des manques dans des services très rudimentaires et des fonctionnements humains principaux pour les gens. Il peut être exploité pour donner une idée exhaustive sur les individus pauvres et permet d’effectuer des comparaisons entre groupe d’individus au sein d’un même pays ainsi qu’entre pays, régions et au niveau mondial. Bien que profondément contraint par la disponibilité de données, l’IPM révèle un modèle de pauvreté nettement différent de la pauvreté de revenu, comme il reflète différents types de privations. Le Rapport sur le Développement humain 2010 (RDH) s’appuie sur les données les plus récentes et les plus fiables disponibles depuis 2000 et présente des estimations pour 104 pays couvrant une population totale de 5,2 milliards de personnes (92 pour cent de la population des pays en développement). Environ 1,7 milliards d’individus dans les pays concernés – un tiers de leur population globale – vivent dans une situation de pauvreté multidimensionnelle. Le calcul de l’IPM pour 104 pays montre qu’environ 1,75 milliard de personnes − un tiers de leur population − vivent dans une situation de pauvreté multidimensionnelle; il s’agit là des pays où au moins un tiers des indicateurs indiquent une déprivation sévère en termes de santé, d’éducation ou de niveau de vie. Ce chiffre dépasse les 1,44 milliard d’habitants de ces pays vivant avec moins de 1,25 $ par jour (bien que cela soit inférieur à la proportion de personnes vivant avec 2 $ ou moins). Comme toute mesure, l’IPM n’est pas sans limites. Selon ses propres auteurs et les spécialistes de la Banque Mondiale différentes critiques peuvent être adressées à cette nouvelle mesure de la pauvreté. Nous pouvons classer ces dernières en trois: des limites portant sur les données, d’autres liées aux dimensions et indicateurs retenus et des limites adressées au seuil et aux pondérations. Pour les données, leur non disponibilité ou leur manque pour un grand nombre des pays fait que les approximations de l’IPM 2010 sont présentes uniquement pour 104 pays. Egalement, les années de référence diffèrent considérablement d'un pays à un autre; Pour soixante-quatre pays elles remontent à 2005 ou plus récemment; pour trente pays à 2003 ou 2004, et pour dix pays à 2000-2002. Cette différence rend difficile la comparaison de niveau de pauvreté entre pays et ne permette en aucun cas de classer les pays selon le niveau de cet indice. Concernant les dimensions et les indicateurs retenus, les auteurs du rapport sur le développement humain 2010 avancent que l’IPM se heurte à plusieurs limites tant empiriques qu’analytiques. En premier lieu, les dimensions introduites dans le calcul de l’IPM renferment des indicateurs dont le choix a été dicté par des contraintes attachées beaucoup plus à la nature des données collectées par les 111 Revue europénnee du droit social enquêtes DHS qu'aux priorités et aspirations des individus. Donc, elles ne tiennent pas compte de toutes les priorités socio-économiques dont celles qui renforcent l’aptitude des individus à s'auto-protéger contre le fléau de la pauvreté. Autrement dit, les indicateurs d'apport qui reflètent la capacité des gens à se prendre en charge sont tous écartés. C'est le cas notamment des facteurs de revenu tels que l'emploi, la couverture sociale, l’accès aux moyens de financement… Deuxièmement, les données concernant la santé ne sont pas précises et omettent les insuffisances de certains groupes, en particulier, pour l’alimentation. Troisièmement, pour être considéré comme « multidimensionnellement » pauvre, un ménage doit endurer des insuffisances concernant au moins six indicateurs de niveau de vie ou trois indicateurs de niveau de vie et un indicateur de santé ou d’éducation, ce qui rend l’IPM moins sensible aux petites imprécisions. Quatrièmement, l’IPM ne tient pas compte des inégalités à l’intérieur d’un même ménage, même si elles sont marquées. Par conséquent, même si l’IPM va bien audelà d’un simple recensement des pauvres et mesure l’intensité de la pauvreté subie, il ne reflète pas les inégalités entre les dépourvus. Les critiques adressées au seuil et aux pondérations retenus sont les suivantes: les variables utilisées pour mesurer l’IPM sont définies et subjectivement pondérées de sorte que tout déficit sanitaire, nutritionnel ou scolaire d'un membre du ménage augmente le risque pauvreté des autres membres et ce, indépendamment des ressources dont dispose le ménage. En termes de substituabilité, le fait de ne pas disposer d’un certains nombre de biens est pareil, en termes de risque de pauvreté, à l'absence totale d'un système scolaire de base. Encore plus, la mesure de la pauvreté d'après l’IPM se fonde sur un seuil subjectif arbitrairement fixé à 30%. III.4. L’indice de développement humain ajusté aux inégalités L’IDH ajusté aux inégalités (IDHI) est l’une de mesures novatrice du PNUD (2010). Comme son nom l’indique, il permet de mesurer le développement humain tout en tenant compte des disparités entre individus à travers les différentes dimensions. En effet, l’IDHI perçoit les déficits de développement humain dus aux inégalités dans les trois dimensions constitutives de l’IDH: la santé, l’éducation et le revenu et permet de dissimuler les disparités marquées entre individus au sein d’un même pays. De ce fait, contrairement à l’IDH, l’IDHI ne tient pas compte uniquement des réalisations moyennes d’un pays en matière de santé, d’éducation et de revenu, mais aussi de la répartition desdites dimensions parmi les différents membres de la communauté; il escompte la valeur moyenne de chaque dimension en fonction de son niveau d’inégalité permettant, ainsi, d’instaurer un rapport direct entre les inégalités dans les dimensions de l’IDH et les pertes résultantes en matière de développement humain (PNUD 2010). L’IDHI d’un pays est généralement inférieur à l’IDH et l’écart entre les deux variables est dû aux inégalités attribuées aux différentes dimensions. La première mesure peut être considérée, compte tenu des disparités, comme un indice reflétant 112 Revista europeană de drept social le niveau réel du développement humain tandis que la seconde peut designer le développement humain « potentiel » qui pourrait être obtenu lorsque les différentes dimensions sont équitablement réparties. Il s’ensuit, donc, que l’IDH s’égalise à l’IDHI dans un contexte de parfaite répartition de différentes réalisations. Dans le cas contraire, l’IDHI est inférieur à l’IDH et la perte de développement humain potentiel due aux inégalités se creuse au fur et à mesure que les inégalités s’accentuent; plus les disparités sont importantes, plus l’IDHI est bas et plus l’écart entre les deux indices s’amplifie. La différence entre IDH et IDHI correspond, ainsi, au « déficit » de développement humain potentiel dû à l’inégalité L’indice de développement humain ajusté aux inégalités (IDHI) est calculé en se basant sur un ensemble d’indicateurs composites sensibles à la répartition. Tout en préservant les mêmes dimensions introduites pour le calcul de l’IDH, l’IDHI est calculé comme la moyenne géométrique des indices relatifs à la santé, l’éducation et le niveau de vie ajustés en fonction des inégalités. Les dimensions retenus, les indicateurs respectifs et l’ensemble des indices intermédiaires utilisés afin d’aboutir à une mesure de l’IDHI sont résumés dans la figure ci-dessous: Ainsi, l’IDHI ne tient pas compte uniquement du développement humain moyen des pays mais également de la manière dont ce développement est réparti. Il prend en compte les inégalités en calculant, en premier lieu, pour chaque dimension puis, en second lieu, entre les dimensions. Le calcul de l’IDHI se déroule en trois étapes: mesure des inégalités, ajustements des trois dimensions – éducation, santé et niveau de vie- aux inégalités et calcul de la valeur de l’IDHI. Ces différentes étapes sont explicitement développées dans ce qui suit. 113 Revue europénnee du droit social Étape 1. Mesure de l’inégalité dans les répartitions sous-jacentes Soit X1, … , Xn la répartition sous-jacente dans les dimensions d’intérêt et soit A = 1– g/µ la mesure de l’inégalité pour chaque variable avec représente la moyenne géométrique et m la moyenne arithmétique de la répartition. Pour chaque variable, -à savoir l’espérance de vie, la durée de la scolarisation et le revenu disponible ou la consommation par habitant- l’expression de Ax peut s’écrire ainsi: Ax = 1− n X 1 .....X n X (1) La moyenne géométrique de l’équation 1 ne peut pas comporter de valeurs nulles. En effet, pour la durée de scolarisation, une année additionnelle est ajoutée à toutes les observations afin de calculer les inégalités. En ce qui concerne le revenu par habitant, les valeurs négatives ou nulles sont remplacés par la valeur minimale du percentile inférieur égal à 0,5 % de la répartition des revenus positifs tandis que, pour les valeurs aberrantes obtenues, l’exercice consiste à tronquer un percentile supérieur égal à 0,5 % de la répartition dans le but de d’atténuer l’incidence des revenus extrêmement élevés (pour plus de détails voir Alkire et Foster (2010)). Étape 2. Ajustement des indices dimensionnels par rapport aux inégalités Cette étape consiste à ajuster la valeur moyenne X de chaque dimension en fonction des inégalités présentes dans la répartition. Le niveau moyen atteint suite à l’ajustement au niveau des inégalités est: X * = X (1 − A x ) = n X 1 ...X n (2) La multiplication des différents indices de l’IDH, notés Ix, par (1-Ax), permet d’obtenir des nouveaux indices qui tiennent compte des inégalités. Les indices ajustés aux inégalités II est ainsi x IIx = (1 − Ax ) I x (3) Pour la dimension revenu, nous devons noter, cependant, que l’indice du revenu ajusté aux inégalités, I* I , repose sur l’indice RNB (et non pas son logarithme), I*Revenu. Il permet ainsi à l’IDH ajusté aux inégalités de tenir compte de l’impact total dû aux inégalités de revenu. Revenu Étape 3. Calcul de l’IDH ajusté aux inégalités Une fois, les différentes dimensions de l’IDH sont ajustées aux inégalités, l’IDHI peut être facilement calculé. Il correspond à la moyenne géométrique des ces dernières: 114 Revista europeană de drept social IDHI ∗ = 3 I I Longévité . I I Instructio n . I* I Re venu = 3 (1 − A Longévité ).I Longévité .(1 − A Instructio n ) I Instructio n .(1 − A Re venu ) I*Re venu Egalement, nous calculons l’IDH sur la base de l’indice de revenu (et non pas son logarithme). L’IDH* est donc: IDH∗ = 3 Ilongévité.IInstruction .I*Revenu La perte en pourcentage de développement humain, due à la présence des inégalités dans chaque dimension, est calculée de la manière suivante: Perte = 1 − IDHI ∗ = 1 − 3 (1 − A Longévité ).(1 − A Instructio n ).(1 − A Re venu ) IDH ∗ Sous l’hypothèse que le déficit en pourcentage en raison des disparités, en termes de répartition des revenus, est identique au revenu moyen et à son logarithme, l’IDHI se calcule comme suit: IDHI ∗ IDHI = ∗ IDH .IDH = 3 (1 − A Longévité ).(1 − A Instructio n ).(1 − A Re venu ) .IDH Il est donc clair que l’IDHI, fondé sur une classe d’indices composites sensibles à la répartition, tel que proposée par Foster, Lopez-Calva et Szekely (2005), permet de refléter les inégalités existantes au niveau de chaque dimension. Par conséquent, il peut être utile pour repérer l’origine de sous-developpement, rendre compte des déficits du niveau de développement humain potentiel dus aux inégalités et orienter les politiques publiques afin d’améliorer le niveau de développement économique d’un pays quelconque. Le calcul de l’IDHI au niveau régional permet de détecter l’origine des déficits du développement humain. Il ressort, à partir du graphique, que l’Afrique subsaharienne subit les déficits les plus considérables en raison d’une inégalité accrue sur l’ensemble des dimensions de l’IDH, suivie de l’Asie du Sud puis, des États arabes. Pour l’Asie du Sud, le déficit de développement est d’une à une forte inégalité en matière de santé et l’éducation. Concernant les États arabes, les pertes en termes de bien-être sont généralement expliquées par une répartition inégale de l’éducation; A titre illustratif, l’IDH de l’Égypte et le Maroc baisse de 28 point de pourcentage en raison principalement d’inégalités dans le domaine de l’éducation. Pour les autres régions, les déficits sont globalement imputables plus directement à l’inégalité dans une seule dimension. Il s’ensuit, donc, que ce sont les pays à faible niveau de développement humain qui enregistrent les disparités multidimensionnelles les plus 115 Revue europénnee du droit social marquées. En revanche, les pays développés connaissent moins d’inégalités en matière de développement humain. Encore plus, ce sont les inégalités non monétaires qui importent dans les pays à faible IDH. Pour les continents pauvres, l’inégalité est plus prononcée pour les deux dimensions éducation et santé. Elle représente, par conséquent, un défi à surmonter par les responsables politiques afin de réduire l’inégalité d’accès aux services publics et d’améliorer, par voie de conséquence, le niveau du développement du pays CONCLUSION Les critiques formulées à l’encontre de l’approche de la pauvreté monétaire ont conduit à proposer une approche alternative qui intègre en plus des indicateurs monétaires d’autres non monétaires. L’approche multidimensionnelle permet par conséquent, de tenir compte, au-delà de l’insuffisance de revenu, d’autres aspects de bien-être omis par les mesures classiques de niveau de vie. L’approche multidimensionnelle est donc un concept plus riche qui permet de tenir compte des différentes facettes de la pauvreté et de fournir par conséquent une idée plus claire et plus réelle de niveau de vie et de l’état de privation et de dénuement. Cependant, bien que cette dernière est plus riche en information et reflète plus clairement l’état de précarité des individus et des nations, elle n’est pas sans limite. En effet, bien que les mesures de la pauvreté multidimensionnelle présentent des nouvelles méthodologies récentes et très prometteuses, la difficulté fondamentale rencontrée lors d’une définition d’une mesure multidimensionnelle de la pauvreté est d’apprécier l’étendue de la liberté de choix de dimensions à retenir. En effet, les économistes n’ont pas atteint un consensus sur les dimensions qui importent le plus et justifient très rarement leurs choix des dimensions introduites dans le calcul d’une mesure multidimensionnelle (Duclos et alii, 2002). Egalement, le choix des dimensions retenues peut être contraint par la disponibilité des données. Reste à signaler que la recherche empirique sur la multidimensionnalité de la pauvreté ne vise pas l’élaboration des mesures parfaites mais plutôt de fournir des mesures suffisantes, reflétant le mieux que possible le niveau de vie et permettant, par conséquent, aux décideurs politiques de prendre les mesures les plus pertinentes pour lutter contre la pauvreté. Bibliographie ACCARDO, J. (2007), "Du bon usage des échelles d’équivalence: L’impact du choix de la mesure", Informations sociales 2007/1, N° 137, p. 36-45. AKOETE, E. & A D. KOSSI (2009), "Profil de la pauvreté infantile dans quatre pays de l’UEMOA: une analyse comparative basée sur l’approche multidimensionnelle de la pauvreté", Revue africaine de l’Intégration, Vol. 3, No. 1, janvier 2009 ALCOCK, P. (2006), “Understanding Poverty”, Third edition, Palgrave Macmillan. 116 Revista europeană de drept social ALESINA, A. & E. L. 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Qualifications in home care services are confronted with recent legal reforms of qualifications in France and the central role now given to the public authority in charge of this issue. Home care services are there always a free professional activity? Sometimes related to health and safety of people, do they not gradually become a regulated profession, for which possession of a certification becomes legally binding? Key words: home care services; legal reforms of qualifications; free professional activity Introduction Se pencher sur le sujet des certifications professionnelles de l’aide à la personne soulève deux difficultés majeures pour un juriste2. D’une part, il parait ardu de cerner avec précision ce que l’on qualifie de « services d’aide à la personne » (SAP). Les diverses sources officielles, juridiques comme informatives3, contribuent à entretenir une incertitude sur la détermination des frontières de ce champ professionnel. Il est ainsi bien difficile de trouver une définition précise de la notion de « services à la personne » dans la législation afférente4. La communication de l’agence, créée ad hoc en 20055, n’est guère plus 1 5 allée Jacques Berque - BP 12105 - 44021 NANTES CEDEX 1 - [email protected] Ce texte est issu d’une communication à la journée d'étude du Centre associé au CEREQ des Pays de la Loire, « Le développement de l'aide à la personne : pour quelle professionnalisation ? », Nantes, 19 novembre 2009. 3 Comme le site internet de l’Agence nationale des services à la personne : www.servicesalapersonne.gouv.fr. 4 Loi n°2005-841 du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. 5 Agence nationale des services à la personne, Décret 2005-1281 du 14 octobre 2005. 2 122 Revista europeană de drept social utile : la typologie des services qu’elle fait entrer dans son champ de compétences s’apparente à un véritable inventaire à la Prévert qui vise aussi bien les activités concernant les humains, les animaux et les végétaux !6 Cette difficulté à identifier les frontières du secteur de l’aide à la personne a été unanimement soulignée par les nombreux rapports publics, antérieurs comme postérieurs à la loi Borloo de 2005. Faisant référence à la « convention nationale pour le développement des services d’aide à la personne », signée le 22 novembre 2004 entre l’Etat et les différents acteurs de l’aide à domicile, le rapport de l’Assemblée nationale, préparatoire à la loi de 2005, définit les SAP comme « l’ensemble des services contribuant au mieux-être de nos concitoyens sur leurs lieux de vie, qu’il s’agisse de leur domicile, de leur lieu de travail ou de loisirs » et les catégorise en cinq grandes familles : les services à la famille, les services associés à la promotion de la santé à domicile ou sur le lieu de travail, les services associés à la qualité de vie quotidienne à domicile ou sur le lieu de travail, les services associés au logement et au cadre de vie et les services d’intermédiation (Giro, 2005). Toutefois, comme le souligne le rapporteur de la loi, cet ensemble extrêmement vaste d’activités ne coïncide pas avec la nomenclature plus précise de l’INSEE sur la branches des « services aux particuliers » qui regroupent les services domestiques (ménages pour les personnes privées par du personnel domestique), les services personnels (blanchisserie, coiffure, soins de beauté et entretien corporel, services funéraires) mais aussi les hôtels restaurants, les activités récréatives, culturelles et sportives (Giro, 2005). Les années qui suivirent l’adoption de la loi Borloo furent prolifiques en termes de rapports publics sur le sujet, qu’il s’agisse du rapport Verollet pour le Conseil économique, social et environnemental (Verollet, 2007), du rapport du CERC (CERC, 2008) ou du rapport Debonneuil pour l’IGAS (Debonneuil, 2008). Tous s’accordent sur un certain nombre de constats. D’abord, les contours de ce secteur sont relativement indéfinis : la liste des activités établie par la « convention nationale pour le développement des services d’aide à la personne » de 2004 ne se retrouve pas dans celle du décret du 29 décembre 20057 plus limitative qui exclut toutes les activités de soins du régime d’agrément qu’il instaure et n’y fait pas figurer non plus les assistantes maternelles. Ensuite, ce n’est pas tant la nature des activités professionnelles qui caractérise ce secteur que le régime fiscal et social dont il bénéficie : réduction d’impôt pour les ménages utilisateurs de ces services dès lors qu’ils sont assurés en emploi direct 6 7 Le site internet de l’ANSP catégorise trois types d’activités entrant dans son champ de compétence : les services à la famille (de la garde d’enfants à l’assistance informatique), les services à la vie quotidienne (de la préparation des repas et des commissions à la collecte et la livraison du linge repassé ou au jardinage) et les services aux personnes dépendantes (du garde malade aux soins et promenades aux animaux de compagnie). Décret n°2005-968 du 29 décembre 2005 fixant la liste des activités mentionnées à l'article L. 129-1 du code du travail. 123 Revue europénnee du droit social ou par un intermédiaire agréé, taux réduit de TVA (5,5%), régime spécifique de cotisations sociales pour les entreprises agréées8 et recours au Chèque emploi service universel (CESU) déclaratif ou préfinancé pour la rémunération des professionnels (CERC, 2008). L’hétérogénéité, voire le morcellement des activités de l’aide à la personne, se retrouve également dans la diversité des conventions collectives applicables aux salariés de ce secteur, soulevant, par là même, des questions portant sur la représentativité des organisations d’employeurs. Si le plan gouvernemental de développement des SAP ne cachait pas sa volonté d’entrainer les partenaires sociaux dans la négociation d’une « convention collective commune aux prestataires de services à la personne, déterminant un socle de règles s’appliquant à l’ensemble des salariés du secteur, qu’ils relèvent de l’économie privée de droit commun ou de l’économie privée associative »9, force est de constater que cette unification conventionnelle n’est pas en voie de réalisation. L’accord national professionnel conclu dans « le secteur des services à la personne » le 12 octobre 2007 par la seule Fédération des entreprises à la personne (FESP)10 a, dans un premier temps, fait l’objet d’une extension le 1er avril 2008, avant que, dans un second temps, l’arrête ministériel y procédant soit annulé par le Conseil d’Etat le 23 juillet 2010, après un recours de la Fédération des entreprises de propreté et services associés (FEP) et le Syndicat national des établissements et résidences privées pour personnes âgées (SYNERPA)11. Subsistent donc aujourd’hui plusieurs conventions collectives pouvant couvrir les activités de l’aide à la personne : d’une part, les trois conventions signées par la FEPEM12, relatives aux salariés des particuliers employeurs, aux jardiniers et gardiens de propriété et aux assistantes maternelles du particulier employeur, d’autre part, celles du secteur non lucratif (conventions collectives des organismes d’aide ou de maintien à domicile, des travailleuses familiales, des aides familiales rurales et personnels de l’aide à domicile en milieu rural (ADMR), de l’hospitalisation privée à but non lucratif …) et enfin celles du secteur lucratif dont la nature des activités peut être assimilée à l’aide à la personne comme les coiffeurs à domicile (CERC, 2008). Cette première difficulté –l’indétermination des frontières des SAP- en soulève, en corolaire, une seconde : comment identifier les certifications professionnelles existantes, attestant des capacités et aptitudes des intervenants de ce secteur et par là même, analyser les droits que ces certifications procurent à leurs titulaires ? 8 Article D.7231-1 du Code du travail. Cette convention devait être déclinée, en tant que de besoin, par des conventions spécifiques applicables aux différentes catégories de métiers des services à la personne ; Ministère de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale, Plan de développement des services à la personne pour la constitution d’un pôle d’excellence national dans le secteur des services à la personne, 16 février 2005, p. 36. 10 Et par la CFDT, la CGT-FO, la CFTC et la CFE-CGC. 11 Conseil d’Etat, 23 juillet 2010, n° 316953. 12 Fédération des particuliers employeurs. 9 124 Revista europeană de drept social Or, sur ce point également, tous les rapports officiels consécutifs à la loi Borloo de 2005 considèrent que la professionnalisation de ce secteur se heurte à un « morcellement des titres et des diplômes » (Verollet, 2007), « une offre de qualification peu lisible » (CERC, 2008) et la nécessité de mettre en place « un système de formation initiale lisible et articulé avec des systèmes efficaces de formation professionnelle » (Debonneuil, 2008). Face à ces constats, notre propos ne consistera pas à étudier avec précision chaque certification professionnelle pouvant entrer dans le champ bien flou de ce secteur, mais plutôt à les confronter aux grands principes qui gouvernent actuellement le droit des certifications. Dans quel cadre juridique s’inscrivent les titres et diplômes de ce secteur depuis sa structuration en 2005 ? Ne peut-on pas considérer certaines activités de l’aide à la personne comme des professions réglementées dans lesquelles la possession d’une certification est obligatoire ? A contrario, dans le cas d’activités libres, les conventions collectives entrant dans la sphère de l’aide à la personne, ont-elles toutes la même appréhension des certifications, notamment quant à la place qu’elles leur accordent dans les classifications d’emploi, qui y figurent nécessairement ?13 Dans un premier temps, nous présenterons l’influence qu’ont eue les récentes évolutions du paysage national de la certification professionnelle sur les certifications de l’aide à la personne (I). Dans un second temps, nous analyserons la diversité des effets juridiques de ces certifications pour leur titulaire, en termes de droit d’accès aux activités professionnelles ou de rémunération (II). 1. Un secteur soumis aux évolutions du paysage national de la certification professionnelle La création du répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et de la Commission nationale de la certification professionnelle (CNCP) chargée de le gérer, par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, ont eu un impact sur le paysage français des titres et diplômes qu’il est encore difficile de mesurer complètement. Au motif d’une meilleure et nécessaire information des individus face aux méandres du paysage de la certification professionnelle14, les pouvoirs publics ont fortement contribué à modifier les règles et principes juridiques gouvernant le droit national des diplômes et des titres. 13 14 Article L.2261-22 du code du travail. On pourra se référer aux constats du Livre blanc de Nicole Péry, "La formation professionnelle : diagnostics, défis et enjeux", contribution d secrétariat d’État aux droits des femmes et à la formation professionnelle, Paris, 1998, 229 p. 125 Revue europénnee du droit social Le diplôme de l’Etat, mètre étalon de la qualification individuelle15, a laissé sa place à la notion de certification professionnelle dont il n’est aujourd’hui plus qu’une des composantes avec les titres à finalité professionnelle et les certificats de qualification professionnelle (CQP) des partenaires sociaux16. Si la certification professionnelle est ainsi devenue aujourd’hui un objet juridique autonome, accessible aussi bien par la formation scolaire, universitaire, continue, l’apprentissage ou la validation des acquis de l’expérience17, cette autonomisation s’est accompagnée d’une normalisation de son régime juridique en termes de construction et de délivrance, sous le contrôle de la CNCP dont la nature et le régime juridique font aujourd’hui l’objet de débat18. Les certifications du secteur des SAP s’inscrivent évidemment dans cette évolution. 2. L’aide à la personne face à la normalisation de la certification professionnelle Tout en créant le RNCP, le législateur n’a pas apporté de définition organique de la notion même de certification professionnelle, qu’elle intègre pourtant dans le langage juridique. Cette notion ne peut être identifiée que par ses composantes : « les diplômes et titres à finalité professionnelle, ainsi que les certificats de qualification figurant sur une liste établie par la commission paritaire nationale de l’emploi d’une branche professionnelle »19 Ainsi, l’ensemble des certifications a donc vocation à entrer dans le nouveau cadre normatif établi par le RNCP et doit dorénavant respecter des conditions juridiques, imposées par le Code de l’éducation aux certificateurs, qui traduisent une extension du modèle du diplôme de l’Etat (Caillaud, 2010) : présence des institutions publiques et des partenaires sociaux dans le processus de construction ou d’officialisation de la certification20, structuration de la certification autour de référentiels21 (y compris pour les certificats de qualification professionnelle – CQP22) , reconnaissance de la certification sur l’ensemble du territoire national23, 15 « Il ne suffit pas de déterminer les différentes catégories professionnelles : encore faut-il que, lors de la formation des relations individuelles de travail, le salarié possède bien la qualification attendue de lui. Longtemps, la pratique y est parvenue au moyen du contrat à l’essai qui permet à l’employeur d’apprécier toute la capacité technique du salarié. Le droit moderne tend surtout à garantir cette aptitude par un diplôme qui sanctionne un enseignement ». (Durand, 1950). 16 Article L. 335-6 du code de l’éducation. 17 A l’exception des CQP. Article L. 335-5 alinéa 1 du Code de l’éducation. 18 Article 22.III de la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. 19 Article L. 335-6 du code de l’éducation. 20 Article L. 335-6 al. 4 du Code de l’éducation. Il s’agit d’étendre à tous les ministères, le modèle des Commissions Professionnelles Consultatives (CPC) de l’Education nationale 21 A l’exception notable des diplômes de l’enseignement supérieurs. 22 Article 22 de la loi du 24 novembre 2009 relative à « l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. 23 Article R. 335-12 du code de l’éducation, condition que l’on retrouve pour les diplômes : articles L. 331-1 (enseignement secondaire) et L.613-1 (enseignement supérieur) du code de l’éducation 126 Revista europeană de drept social présence d’un jury impartial24, obligation de reconnaitre la validation des acquis de l’expérience (VAE) comme mode d’obtention de la certification25… Comme il en était fait état précédemment, il parait donc bien difficile de déterminer précisément les certifications entrant dans le champ professionnel de l’aide à la personne. Selon les sources, ce nombre varie considérablement. Unanimes à considérer que les SAP recouvrent un champ extrêmement vaste d’activités pour lesquelles la professionnalisation est un impératif relativement important, les rapports publics postérieurs à la loi Borloo de 2005 n’abordent la question des certifications que de façon partielle, soit pour un seul pan d’activités comme l’aide à domicile (Verollet, 2007), soit par les seules certifications publiques (Debonneuil, 2008), soit par le seul niveau V de formation (CERC, 2008). Destiné à l’information des professionnels comme des consommateurs, le site officiel de l’ANSP propose un moteur de recherche des certifications du secteur de l’aide à la personne. 62 certifications y sont recensées, reflétant la diversité du paysage de la certification : 43 émanent de ministères, 3 de branches professionnelles (titres de l’institut FEPEM) et 16 d’autres certificateurs (Greta, CNAM, Ecole J. Blum, lycées professionnels privés, Chambres de Commerce et d’Industrie…)26. La nature des certificateurs, comme celle des niveaux, est souvent source de tension (Veneau, Maillard, 2008), et le secteur de l’aide à la personne, notamment dans le cas des « particuliers employeurs » à travers le statut juridique des titres délivrés par la FEPEM, en est une illustration. Organisation historique de la représentation des particuliers-employeurs, la FEPEM a été créée en 1948 à l’initiative d’employeurs pour contractualiser et donner un cadre juridique à la relation professionnelle entre les particuliers employeurs et leurs salariés27. Très longtemps seule organisation représentative des particuliers employeurs, elle s’est vue contester cette représentativité par une nouvelle organisation issue d’une scission interne. Se fondant sur sa qualité d’organisation représentative du secteur de l’aide à la personne et le recensement de 3,5 millions de particuliersemployeurs en 2008, employant 1,6 millions de salariés (et d’une masse salariale ainsi estimée à près de 9 milliards d’euros), la FEPEM affiche une volonté de siéger au sein des instances représentant les employeurs, telles que la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) ou la Caisse nationale d’allocation familiales (CNAF) 28. Toutefois, les pouvoirs publics considèrent que cette 24 Article R. 336-16 du Code de l’éducation, condition dont le non respect entraîne le retrait immédiat de l’enregistrement au RNCP. 25 Article R. 335-21 du Code de l’éducation. Seul le fait pour un certificateur de ne pas solliciter l’inscription de sa certification lui permet donc d’être dispensé de pratiquer la VAE (Conseil d'État, 4ème sous-section, 20 mai 2005, 266543) 26 Un recensement par niveau fait apparaître une domination du niveau V (19 certifications) et du niveau II (17 titres et diplômes). 9 certifications sont du niveau IV, 9 du niveau III et 8 du niveau I. 27 www.fepem.fr 28 Question écrite n° 07440 de M. Marcel RAINAUD (Aude - SOC) publiée dans le JO Sénat du 12/02/2009 - page 36. 127 Revue europénnee du droit social demande de siéger au sein de ces instances nationales entre dans la question du champ national interprofessionnel. Or, si l’importance de la FEPEM, « en termes d’emplois et de particuliers d’employeurs représentés, est indéniable », elle apparaît comme une organisation essentiellement sectorielle dont le périmètre ne lui permet pas de prétendre au caractère interprofessionnel : elle n’est en effet présente que dans deux branches et conventions collectives, sur les quelques 700 identifiées. La FEPEM ne peut donc par conséquence « bénéficier des mêmes prérogatives que les organisations d’employeurs qui bénéficient d’une représentativité au niveau de ces instances à caractère interprofessionnel »29. En réalité, les années 2009 et 2010 furent une période de « redistribution des cartes » dans la représentation du particulier employeur. En 2009, une scission du syndicat Ile-de-France de la FEPEM débouche sur la création du Syndicat des particuliers employeurs (SPE). Le 25 mars 2009, le Conseil d’Administration de la Fédération des Entreprises de Services à la Personne a entériné l’adhésion du Syndicat des particuliers employeurs (SPE). A cette occasion, elle est devenue la Fédération du service aux particuliers (FESP) et regroupe désormais l’ensemble des acteurs du secteur du service aux particuliers30. Avec cette fusion, la FESP, membre du MEDEF, devient ainsi l’organisation professionnelle représentative de l’ensemble des acteurs privés des métiers du service aux particuliers. Enfin, en décembre 2010, le Ministre du Travail, de l’Emploi, et de la Santé a reconnu la représentativité du syndicat des particuliers employeurs (SPE)31 dans le champ de deux conventions collectives32, qui permettront ainsi au SPE d’engager des négociations de réforme de ces textes sans que, nécessairement, la FEPEM ne signe, voire même ne participe aux négociations sauf si l’extension est demandée (Langlois, 2008). Cette reconnaissance de représentativité met donc fin à la situation de monopole de la FEPEM dans la représentation du particulier-employeur, et permet même, par ricochet, au MEDEF, de devenir représentatif dans ce secteur du fait de l’appartenance du SPE à cette confédération. Par la même occasion, c’est une recomposition de la représentation dans le secteur des services à la personne qui se profile. Ainsi, à l’occasion d’un renouvellement de poste du collège « personnes âgées », la FEPEM a-t-elle perdu son siège au conseil d’administration de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées (CNSA) où elle siégeait depuis 200533. 29 Réponse du Ministère du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville publiée dans le JO Sénat du 28/01/2010 - page 196. 30 Le Syndicat des Entreprises de Services à la Personne (SESP), le syndicat des particuliers employeurs (SPE), le Syndicat des Auto-Entrepreneurs (SAE) qu’elle vient de créer et les sociétés qui opèrent dans le développement de la profession (enseignes …). 31 Site internet de la FESP. http://www.sesp.asso.fr/pages.php3?rub=4&ssrub=25 32 "Convention Collective Nationale des salariés du particulier employeur" du 24 novembre 1999 et étendue depuis le 2 mars 2000 et convention collective des assistants maternels du particulier employeur est, depuis le 1er janvier 2005, d'application obligatoire pour tous les parents qui font accueillir leur(s) enfant(s) au domicile d'un assistant maternel agréée. 33 Le Journal du Domicile et des services à la personne, mai 2009 128 Revista europeană de drept social Toutefois, la FEPEM reste très active dans le champ de la certification professionnelle. Par l’intermédiaire de « l’Institut Fepem de l’Emploi Familial ». Créé en 1994, cet institut de formation professionnelle s’appuie sur 400 organismes de formation et délivre, sous sa responsabilité, trois certifications de niveau V (CAPBEP), figurant au Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP) jusqu’en juillet 2013 : AssistantFrance de vie dépendance ; Assistant maternel / Garde d’enfants ; Employé familial. La reconnaissance des effets juridiques de ces titres est un enjeu très important pour la FEPEM dont une partie de la stratégie s’est orientée vers une action contentieuse devant le juge administratif autours de ces certifications et de la défense des formations dispensées. Tel est l’origine du recours de la FEPEM contre le décret du 20 avril 2006 relatif à la formation des assistants maternels34. Ce décret introduit, dans le Code de l’action sociale, un article D. 421-27-6 aux termes duquel sont dispensés de suivre la formation prévue « les assistants maternels titulaires du diplôme professionnel d’auxiliaire de puériculture, du certificat d’aptitude professionnelle petite enfance, ou de tout autre diplôme intervenant dans le domaine de la petite enfance homologué ou inscrit au répertoire national des certifications professionnelles au moins au niveau III ». La FEPEM déposa un recours en excès de pouvoir au motif que certaines formations classées au niveau V n’avaient pas été prises en compte. Bien évidemment, l’objet de ce recours est la certification délivrée par l’Institut FEPEM « Assistant maternel / Garde d’enfants » et reconnu au Niveau V (CAP-BEP) par la Commission Nationale de la Certification Professionnelle (CNCP). Pour le Conseil d’Etat, le pouvoir réglementaire a fixé, « avec l’objectif de garantir la qualité des prestations pouvant être dispensées par les assistants maternels, une liste de qualifications professionnelles regardées comme équivalentes à celle prévue par le code de l’action sociale et des familles » sans entachée d’illégalité sa décision35. Si cette pluralité des certifications de l’aide à la personne apparait ainsi source de tensions, allant jusqu’au contentieux, elle permet également de consolider la place centrale de la CNCP, perçue comme organisme régulateur dans cette jungle des qualifications. 3. Les services aux personnes fragiles: la consécration du rôle central de la CNCP Il aurait été erroné de considérer que la suppression, en 200236, de la liste d’homologation des titres et des diplômes de l’enseignement technologique et le remplacement de la Commission Technique d’Homologation (CTH) par la CNCP n’étaient que des changements sémantiques (Caillaud, 2010). Certes, la 34 35 36 Décret n° 2006-464 du 20 avril 2006 relatif à la formation des assistants maternels C.E., 1er décembre 2008, FEPEM, n° 294566. Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale. 129 Revue europénnee du droit social composition de ces deux instances parait similaire, fondée sur le quadripartisme (représentants de l’Etat, des employeurs, des salariés et des personnalités qualifiées). Cependant, les missions dévolues par le législateur à la CNCP dépassent celles de la CTH. Ainsi, veille-t-elle à la cohérence, à la complémentarité et au renouvellement des diplômes et des titres et réalise l’évaluation publique qu’elle juge nécessaire des CQP. Elle peut également émettre des recommandations à l’attention des institutions délivrant ces certifications et, en vue d’assurer l’information des particuliers et des entreprises et leur signale les éventuelles correspondances entre les certifications enregistrées dans le RNCP37. Depuis la loi de modernisation sociale en 2002, l’opportunité d’accroitre le rôle de la CNCP dans la régulation du paysage national de la certification a été plusieurs fois suggérée. Ainsi, la contribution de la promotion René Cassin, des élèves de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), en 2002, à l’occasion d’un séminaire portant sur la formation professionnelle, proposait de donner à la CNCP la mission de coordonner l’activité des CPC, supposant de réunir régulièrement celles-ci pour leur donner les grandes orientations de leurs activités mais également de leur enjoindre, le cas échéant, de créer, rénover ou supprimer un diplôme (ENA, 2002) Plus récemment, le rapport Besson de 2008 proposait de dépasser cette mission de coordination pour consacrer un réel pouvoir normatif de la CNCP à qui il reviendrait de définir les règles gouvernant l’inscription des certifications de l’État, et « d’évaluer l’intérêt du diplôme dans le métier » (Besson, 2008). C’est dans ce contexte qu’en 2009, le Premier ministre a confié au Président de la CNCP une mission de proposition d’une « démarche opérationnelle de simplification de l’offre de certification dans le domaine de l’aide aux personnes fragiles ». Le rapport, remis en novembre 2009 (Asseraf, 2009) émet des préconisations sur la nécessité de poursuivre cette démarche pour aboutir à l’élaboration d’un référentiel commun de certification de niveau V, ainsi que de niveau IV, de dresser des passerelles entre ces certifications et de conduire une expérimentation régionale de mise en œuvre de cette simplification. Au-delà des seules certifications relatives aux services aux personnes fragiles, ce rapport de mission préconise également d’évoluer vers une coordination interministérielle des Commissions Professionnelles Consultatives (CPC)38 ainsi qu’une véritable régulation du paysage des certifications, par la création d’un 37 38 Article L. 335-6 du code de l’éducation. Créées par chaque ministre responsable d'établissements ou d'actions de formation professionnelle continue ou d'enseignement technologique, les CPC formulent, à partir de l'étude des qualifications professionnelles, des avis et propositions (Article D335-33 et suivants du Code de l’éducation) : 1°) sur la définition, le contenu et l'évolution des formations dans les branches professionnelles relevant de leur compétence ; 2°) sur le développement des moyens de formation en fonction de l'évolution des débouchés professionnels et des besoins de la branche d'activité considérée ; 3°) sur les questions d'ordre technique et pédagogique ayant trait à l'élaboration et à l'application des programmes, des méthodes de formation et à leur sanction. 130 Revista europeană de drept social secrétariat ad hoc dont l’animation pourrait être confiée, soit à l’un des certificateurs, soit à la CNCP elle-même. Secteur en pleine évolution, les SAP, en général, et les services aux personnes fragiles en particulier, sont donc un terrain idéal pour mener des chantiers d’expérimentations des évolutions du système national des certifications professionnelles. Si, aux yeux de pouvoirs publics, des partenaires sociaux et des usagers, ces évolutions peuvent paraître souhaitables pour rendre plus lisible l’offre de titres et de diplômes de ce secteur, il nous parait nécessaire de rappeler un certain nombre de principes juridiques actuels du droit des certifications, qu’il conviendrait de repenser si de telles préconisations étaient retenues. En effet, la seconde préconisation du rapport suppose que soient accrues les compétences de la CNCP (Asseraf, 2009). C’est justement ce qu’a fait le législateur, au moment même de la publication de ce rapport. L’article 22 de la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation tout au long de la vie renforce ainsi la portée des avis de la Commission. D’une part, préalablement à l’élaboration de diplômes ou de titres de l’Etat, l’opportunité de leur création fait l’objet d’un avis public de la CNCP dans un délai de trois mois. D’autre part, les Certificats de Qualification Professionnelle (CQP), délivrés par les branches professionnelles, peuvent également être enregistrés au RNCP, après avis conforme de la même commission. Ces évolutions sont-elles suffisantes ? La CNCP a-t-elle la légitimité et les moyens d’assurer ces tâches ? Quelles formes juridiques peuvent alors être envisagées ?39 D’une part, la notion d’autorité administrative indépendante (AAI) définie par le Conseil d’État (Conseil d’Etat, 2001), comme « organisme administratifs qui agissent au nom de l’État et disposant d’un réel pouvoir, sans pour autant relever de l’autorité du gouvernement » peut être utilisée40. En tant qu’autorité, elle pourrait ainsi prendre des décisions exécutoires, sans que son caractère administratif ne soit contesté. D’autre part, la notion d’agence, de plus en en plus répandue en France pour participer à la transformation des relations entre l’État et ses établissements publics41, pourrait également être invoquée. Sans aller plus en avant dans ces projections, il nous parait nécessaire de mettre l’accent sur leurs enjeux. A la différence d’une AAI, la notion d’agence participe à un mouvement qu’Alain Supiot qualifie de « reféodalisation du lien contractuel » contribuant à l’affaiblissement des États et à la séparation du pouvoir et de l’autorité (Supiot, 2005). 39 Article 22.III de la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie : « Dans un délai d'un an après la date de publication de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur l'opportunité d'adapter le régime juridique de la Commission nationale de la certification professionnelle au regard de ses missions ». 40 Comme la CNIL, le CSA, la CADA, la HALDE… 41 Agences régionales d’hospitalisation, du médicament, de la sécurité alimentaire…. 131 Revue europénnee du droit social 4. L’aide à la personne: entre liberté professionnelle et activité réglementée par la certification La vertu recherchée d’une certification, qu’il s’agisse d’un diplôme, d’un titre à finalité professionnelle ou d’un CQP est incontestablement le bénéfice d’une gamme étendue de droits pour celui qui en est le titulaire, principalement en matière d’accès à l’emploi, d’exercice professionnel ou de rémunération. L’analyse juridique des droits du certifié, en selon cette trilogie, peut paraître séduisante, mais ne traduit qu’imparfaitement leur nature. En effet, il apparaît que d’un côté, certains de ces droits sont garantis par l’Etat, notamment lorsqu’il s’agit d’accéder à certaines professions que la puissance publique a jugé bon de limiter aux titulaires de certifications, le plus souvent des diplômes (Caillaud, 2000). D’un autre côté, les professions non réglementées par l’Etat ont une appréhension juridique différente de la certification : même si l’on tient compte des diplômes possédés par un individu, ceux-ci ne sont qu’un indicateur d’un niveau de formation et n’accordent pas à eux seuls, l’attribution de droits. On peut les analyser comme des droits éventuels, leur réalisation dépendant de la volonté de l’employeur, seul juge de la capacité de ses salariés, dans le respect des classifications des conventions collectives42. A ce niveau également, les certifications des SAP se caractérisent par leur diversité. 5. La certification pour classer les emplois de l’aide à la personne Un des principaux soucis de tous les rapports publiés après la loi de 2005, est de renforcer la professionnalisation des intervenants de l’aide à la personne, notamment par un effort massif de qualification et de simplification de l’offre de certification existante (CERC, 2008). Ces préoccupations montrent ainsi, s’il en était besoin, que toutes les professions entrant dans le champ de la loi Borloo ne sont pas juridiquement limitées aux titulaires de certifications. Ainsi, l’article D.7231-1 du Code du travail n’établit-il une liste que de professions libres d’accès. Notre attention se portera sur la place qui est accordée à ces certifications par les partenaires sociaux dans le cadre de la réglementation conventionnelle de l’emploi. En effet, depuis la loi du 16 juillet 1971 d’orientation de l’enseignement technologique, les conventions collectives de branches, pour être étendues, doivent obligatoirement intégrer «les éléments essentiels servant à la détermination des classifications professionnelles et des niveaux de qualification, notamment les 42 Soc. 4 janvier 1980, Bull., V, n°6 : « L’employeur est juge sauf détournement de pouvoir, de l’aptitude de chacun de ses salariés pour atteindre ses résultats ». Ce droit a été consacré par le Conseil constitutionnel, le 20 juillet 1988, Droit Social, 1988, p. 762. 132 Revista europeană de drept social mentions relatives aux diplômes professionnels ou à leurs équivalences». En l’espèce, l’adverbe notamment est très important puisqu’il rend juridiquement obligatoire la présence des diplômes professionnels dans la classification43. La lecture des débats parlementaires44 montre qu’il s’agit de garantir des droits aux salariés diplômés en contraignant les négociateurs à intégrer les diplômes professionnels, notamment les nouveaux, tels le DUT45 dans les classifications. Soulignons toutefois que ce lien entre le diplôme et les classifications professionnelles a été subrepticement supprimé à l’occasion de la réécriture du Code du Travail46. La lecture du nouveau code, applicable depuis le 1er mars 200847, montre que l’obligation de recodifier à droit constant, c’est-à-dire sans modifier le sens de la norme juridique, n’a pas été entièrement respectée48 puisque le nouvel article L.2261-22 n’impose plus la mention obligatoire des diplômes professionnels, ou d’une quelconque certification professionnelle (Caillaud, 2010). Dans le cas de l’aide à la personne, la difficulté réside dans le fait qu’il ne s’agit pas d’une branche ou d’un secteur couvert par une unique convention collective mais d’un ensemble disparate d’activités professionnelles, surtout marquée par un régime fiscal et social commun. En principe, c’est donc une pluralité de conventions collectives qu’il conviendrait d’analyser pour étudier la façon dont les employeurs et les salariés de l’aide à la personne appréhendent les certifications. La convention collective nationale « des aides familiales rurales et personnel de l’aide à domicile en milieu rural (ADMR) » du 6 mai 1970 ainsi que celle « des organismes d’aide ou de maintien à domicile » du 11 mai 1983, accordent une place importante aux certifications. Dans ces classifications, l’accès à certaines catégories se fait sur la base de la possession d’un diplôme ou d’un titre énuméré par l’accord collectif comme le classement B1 d’employé de maison ou C.1 d’auxiliaire de vie sociale49. Les diplômes et titres professionnels sont donc appréhendés comme des attributs du salarié, dont la possession ouvre directement des droits à classement et rémunération. 43 Cette disposition de la loi de 1971 fut intégrée en 1973 dans l’article L. 133-5 du Code du travail. 44 Assemblée nationale, Séance du 8 juin 1971, J.O. Débats parlementaires, 9 juin 1971. p. 2490. 45 Décret 66-27 du 7 janvier 1966 portant création d’instituts universitaires de technologie, JORF 9 janvier 1966, p. 274 46 Loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, JORF du 10 décembre 2004 page 20857. 47 Loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail, JORF, n°0018 du 22 janvier 2008 page 1122. 48 La particularité du processus législatif par voie d’ordonnance est de se dérouler sans débats parlementaires. 49 Pour B1 Employé de maison : BEP carrière sanitaire et sociale, BEPA option services, spécialité services aux personnes, BEPA option économie familiale et rurale, CAP agricole, option économie familiale et rurale CAP agricole et para-agricole employé d'entreprise agricole, option employé familial, CAP petite enfance, CAP employé technique de collectivités, titre assistant de vie du ministère du travail, titre employé familial polyvalent sous réserve de l'homologation du ministère et brevet d'aptitudes professionnelles assistant animateur technique. Pour C1 auxiliaire de vie sociale : diplôme d'Etat d'auxiliaire de vie sociale, CAFAD et BEP sanitaire et sociale mention aide à domicile à condition d'en avoir obtenu l'équivalence au diplôme d'auxiliaire de vie sociale (AVS). 133 Revue europénnee du droit social Le cas de la convention collective nationale des « salariés du particulier employeur » du 24 novembre 1999 illustre parfaitement les mouvements d’évolution des grilles de classifications des dernières décennies (Saglio, 1987). La classification initiale de cette branche était initialement fondée sur la même méthode que celles de l’ADMR ou des organismes d’aide à domicile, et présentait un lien fort entre fonction occupée et diplôme. Ainsi, le niveau II était-il accessible par la possession du certificat d’employé familial polyvalent (titre homologué), le niveau III par l’acquisition d’un certificat de qualification professionnelle (CQP) reconnu par la branche50. Un accord signé le 8 avril 2010 (et non encore étendu) a refondu cette grille dans l’objectif affiché de « prendre en compte les métiers traditionnels et d’introduire de nouvelles activités ». Jugée « obsolète et rigide » par le préambule du nouvel accord, l’ancienne grille a donc été abrogée pour une méthode de classification à « critères classants » permettant au particulier employeur de définir l’emploi adapté à ses besoins. Dans un premier temps, les différents emplois font l’objet d’une description précise et commune afin d’identifier les missions principales, les conditions d’exercice, les compétences, les connaissances et les aptitudes, et les prérequis permettant d’y accéder. Dans un second temps, chaque emploi est positionné sur la grille traduisant une hiérarchisation des emplois repères les uns par rapport aux autres. Au nombre de cinq, les critères classants retenus (les connaissances requises, la technicité, l’autonomie, la résolution des problèmes et la dimension relationnelle) sont déclinés pour permettre l’attribution de points en fonction d’un système de pondération. Le critère des connaissances requises prend en compte l’ensemble des savoirs, compétences et aptitudes nécessaires pour exercer l’emploi ou les activités effectuées par le salarié. Or, comme la plupart des grilles à critères classants, le critère des connaissances est structuré en degrés dans lesquels l’emploi est mis en relation avec un niveau de formation (du niveau V bis au niveau I). Si ces niveaux sont étalonnés par des diplômes professionnels nationaux51, ceux-ci servent uniquement à classer l’emploi et non directement attribuer une rémunération au salarié (Caillaud, 2003). Enfin, dans l’annexe de l’accord relatif aux services à la personne, signé le 12 octobre 2007, et dont l’extension a été annulée par le Conseil d’Etat52, les négociateurs ont voulu rappeler l’existence d’une qualification minimum des intervenants auprès des personnes âgées. Celle-ci est établie par la possession d’un diplôme de l’Etat ou d’un titre inscrit au RNCP53, une expérience professionnelle de trois ans ou le bénéfice d’un contrat de formation aidé par l’Etat54. 50 Accord du 9 juillet 2007, BO n° 2007-38, arrêté du 26 novembre 2007, JO du 28 novembre 2007. Nomenclature approuvée par décision du groupe permanent de la formation professionnelle et de la promotion sociale, le 21 mars 1969, s’appuyant sur la circulaire no 11-67-300 du 11 juillet 1967, BO no 29 du 20 juillet 1967. 52 Cf. Supra 53 Des diplômes visés par le code de l’action sociale, de la santé publique, aux certificats délivrés par l’institut FEPEM. 54 Article 3 de l’annexe à l’accord professionnel du 12 octobre 2007 relatif aux services à la personne. 51 134 Revista europeană de drept social Ainsi est-il difficile de considérer l’existence d’un modèle unique de classification commun aux différentes conventions collectives existantes dans le secteur des SAP. Celles-ci oscillent entre faire de la certification l’attribut du salarié, entrainant son classement et sa rémunération, ou considérer titres et diplômes seulement comme les indicateurs d’un niveau de connaissances nécessaires à la tenue d’un emploi. Cependant, l’accord du 12 octobre 2007 relatif aux services à la personne et ses exigences en matière de classifications nous rappellent que ce secteur est assez proche de certaines professions réglementées. 6. La certification pour réglementer juridiquement la profession Le flou portant sur les frontières du secteur des SAP peut légitimement permettre de s’interroger sur le caractère réglementé de certaines des activités qu’il recouvre. D’une part, si la loi Borloo de 2005 restreint le champ de l’aide à la personne aux emplois familiaux et aux nouveaux services (informatique, gardiennage…), le rapport du CERC de 2008 considère de son côté que peuvent entrer dans une acception large des « services de proximité aux ménages », la garde d’enfants hors domicile, les soins médicaux à domicile (CERC, 2008). Or, ces derniers relèvent du secteur médico-social et sont des professions réglementées par la possession d’un diplôme. Il en est de même des établissements et services d’accueil des enfants de moins de six ans. Bien qu’un récent décret55 ait réduit les exigences de qualification des intervenants, l’article R. 2324-4 du Code de la santé publique impose toujours que le personnel chargé de l’encadrement des enfants soit constitué, pour 40% au moins de l’effectif, de puéricultrices, d’éducateurs de jeunes enfants, d’infirmiers, de psychomotriciens, tous diplômés d’Etat ou d’auxiliaires de puériculture diplômés56. D’autre part, dans le cas de certaines activités de l’aide à la personne, le rapport à l’individu accompagné, à son corps ou son alimentation, peut légitimement soulever la question de la nécessité de les réglementer dans le cadre de la protection de la santé et de la sécurité physique. Rappelons en effet que la limitation de l’accès à une profession par la possession d’un diplôme ou de toute autre certification met en jeu la liberté professionnelle, liberté publique autonome, qui selon l’article 34 de la Constitution, relève de la compétence exclusive du législateur57, sous le contrôle du Conseil constitutionnel58 et surtout ne peut intervenir que lorsque l’intérêt général est en jeu. Or, parmi ces motifs d’intérêt 55 Décret n° 2010-613 du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de six ans. 56 Dans le cas de micro-crèches (moins de 10 places), cette exigence est satisfaite par la possession de certifications de niveau V. 57 Conseil Constitutionnel, 83-156, 28 mai 1983, AJDA 1983, p. 619. 58 « La liberté d’entreprendre n’est ni générale, ni absolue : elle s’exerce dans le cadre d’une réglementation instituée par la loi ». Conseil constitutionnel, 85-200, 16 janvier 1986, Recueil, p. 9. 135 Revue europénnee du droit social général justifiant une telle limitation, figure au premier chef, la protection de la santé et de la sécurité physique des personnes. C’est ce motif qui justifie juridiquement depuis longtemps la réglementation des activités médicales, paramédicales… et plus récemment, certaines activités artisanales et commerciales. Très longtemps libres59, ces dernières ont fait l’objet d’une réforme de leur exercice en 1996, dès lors qu’il s’agit d’activités mettant en jeu l’hygiène, la santé et la sécurité des consommateurs60. C’est ainsi que furent réglementées par l’exigence d’une qualification de niveau V, les soins esthétiques à la personne autres que médicaux et paramédicaux, ainsi que la coiffure à domicile. Or, le récent rapport du Président de la CNCP concernant les services aux personnes fragiles soulève des interrogations. Dans le cadre de la conception d’un référentiel commun aux diverses certifications de ce secteur, la CNCP fait figurer parmi les activités et tâches transverses, « la prévention et la sécurité des risques professionnels pour la personne comme pour l’intervenant », le respect de normes alimentaires comme le respect des circuits propres-sales… (Asseraf 2009) Le référentiel ainsi proposé, dégage quatre « process » parmi lesquels l’aide à l’approvisionnement et l’alimentation, ainsi que les soins d’hygiène, de confort et de bien. Or, les premiers mettent en avant « le respect des normes alimentaires, la préparation des repas et des collations, et le soutien à la prise de médicament », les seconds « la réalisation de soins de conforts hors prescription médicale »61. Autant de tâches en relation avec la personne et son corps. A ce titre, la CNCP relève d’ailleurs que la moitié des 19 certifications de niveau V ayant fait l’objet de l’étude ne prennent pas en compte le soutien à la prise de médicament. Par ailleurs, le rapport prend la précaution de préciser que dans le cadre de sa mission, elle a pris soin d’éviter les gestes professionnels réglementés, soumis à habilitation ou autorisation comme, justement, la prise de médicament. Seul est donc ciblée « l’aide » à cette prise. La frontière apparaît donc bien ténue et on peut se demander si les pouvoirs publics attendront les premiers incidents dans ce domaine, et les inévitables contentieux pénaux et en responsabilité civile, nés de la plainte possible de famille, avant d’envisager que ne soit réglementées de tels actes professionnels. * * * Les services d’aide à la personne illustrent parfaitement les évolutions contemporaines qui affectent le droit des certifications. Soumises à une normalisation depuis la loi de modernisation sociale de 2002, elles sont l’objet des 59 « La liberté et la volonté d’entreprendre sont les fondements des activités commerciales et artisanales ». Article 1 de la loi du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat. 60 Loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement du commerce et de l’artisanat. 61 Ibidem, p. 18. 136 Revista europeană de drept social premières manifestations du pouvoir croissant de la commission nationale de la certification professionnelle. Toutefois, la diversité les caractérise dès lors que l’on se penche sur la question des droits qu’elles confèrent à leur titulaire. Dans le cas de professions libres, il est difficile de dégager un modèle unique d’appréhension des diplômes, titres et certificats de ce secteur par les classifications des différentes conventions collectives qui les couvrent. Enfin, leur rapport à la santé et la sécurité des individus rend tout à fait plausible l’hypothèse d’une réglementation de certaines de ses activités. BIBLIOGRAPHIE Asseraf G. (2009), Pour une simplification de l’offre des certifications dans le champ des services aux personnes fragiles, Rapport au Premier ministre, Paris, 62 p. 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If producers cannot finance their operation it cannot be carried out, even when the resources are at hand. By subtracting the financial aspect – money – from the exchange of goods and services, we are then free to manage the earth's resources in an objective, ecological and fair manner. By abolishing money, the idea of a fair and social economy ceases to perform the task of social safety valve, or adjuvant, as it does today. In such an economy, managed by inventive and generous workers, fairness and solidarity would become the central principles of society. The part becomes the whole. Keywords: social economy; social price of money; financial profit. 1. Une rétrospective Risquons-nous à une rétrospective sommaire. Dans un premier temps, des individus se distinguent en prenant en charge une situation humaine triste, difficile, négative. L’engagement de ces volontaires a en général une dimension personnelle – parce que c’est lui et que c’est moi. On les regarde faire. On les trouve bien bêtes ou on admire leur dévouement. Les chiens aboient, la caravane passe. Leur volontariat fait école, au sens de « se répand » : il s’applique à des souffrances de plus en plus diverses et contrastées, les handicapés mentaux et physiques, les ventre creux et les obèses, les mendiants et les surendettés. A cette école n°1, celle de l’attention portée à son prochain s’en adjoint bientôt une seconde. Le volontariat se professionnalise.Il y a des choses qu’il vaut mieux savoir et des improvisations fatales. Et enfin troisième école : celle des moyens matériels, des appuis à trouver pour survivre, à commencer par vous, pour que ceux que vous aidez ne soient pas abandonnés à leur triste sort si vous disparaissez. L’engagement personnel peu à peu s’institutionnalise et toutes les institutions caritatives s’orientent comme naturellement vers une double autonomisation : celle 138 Revista europeană de drept social des personnes auxquelles on apporte un secours et celle de leurs ressources propres, en tant qu’institutions. L’Eglise nous donne un exemple de cette triple école : elle a attiré les volontaires, elle leur a appris à aider comme on apprend n’importe quel métier, et elle s’est peu à peu constitué tout un patrimoine de bonnes œuvres, qui vivaient de leurs terres, d’activités diverses, et se soutenaient les unes les autres. Son exemple a donc largement retardé le moment où la collectivité publique a cessé de se défausser sur elle du soin d’éponger les malheurs et douleurs. Il l’a retardé aussi pour une autre raison. Il a fallu en effet attendre le moment où les souffrances et les douleurs n’ont plus été vécues dans un certain rapport avec la volonté de Dieu ou avec la punition du péché originel ou personnel. L’autonomie morale des individus, conquête relativement récente, s’est croisée avec celle de l’autonomie politique dans son rapport à la puissance de l’Eglise. 2. Trois contraintes inhérentes au travail social dans les conditions actuelles De cette rétrospective on peut tirer au moins trois leçons. 1. La première, que plus on soigne plus il y a à soigner. Les « cas » sont de mieux en mieux connus, et les boîtes dans lesquelles les ranger, à qui les confier. Mais de ces « cas », on en invente toujours de nouveaux. Les différences deviennent de plus en plus sensibles, de plus en plus insupportables, d’autant plus insupportable qu’on connaît des gens à qui les confier, pour leur bien, évidemment… Des gens dont on exagère alors à dessein les compétences et dévouements. La triple obligation signalée par Marcel Mauss, celle de donner, de recevoir et de rendre, joue à fond, d’une manière qu’on peut tourner en dérision. Tous ces infirmes et laissés pour compte, dont on vous fait cadeau, vous devez les recevoir comme un signe de reconnaissance. On reconnaît votre utilité, et vous allez le « rendre » en le prouvant. 2. Deuxième leçon : celle de votre utilité, justement. A la place que vous occupez pour aider, sous la casquette que vous portez, celle de policier, de juge des enfants, d’éducateur de rue, vous n’avez aucun moyen d’intervenir au niveau des causes. L’enseignant spécialisé dans le rattrapage scolaire, par exemple, ne peut rien contre une course aux résultats de plus en plus sévères, qui distingue de plus en plus tôt ceux qui ne suivent pas. Il ne peut, comme le juge des enfants et tant d’autres travailleurs sociaux, qu’éponger les dégâts. Pour protester il faut changer de casquette. Et sous cette autre casquette d’ailleurs, il faut faire très attention aux dispositifs choisis pour freiner le débit des assistés. Attention à l’eugénisme, dans le cas des trisomiques, attention à ne pas détourner le contrôle des naissances, en Inde, par exemple, 139 Revue europénnee du droit social pour éviter de naître femme, attention de ne pas attenter aux libertés en enregistrant tous vos emprunts et prévenir avant que vous ne soyez trop endetté. Pour que votre protestation soit entendue, il faut jouer à fond l’argument de la contre-productivité, comme les incarcérations qui achèvent d’éduquer les jeunes à certaines pratiques et en font des héros à la sortie, et en général de toutes les interdictions, qui ont pour effet de créer ou d’entretenir des niches de distinction, ou de provocation, qui appellent au secours. 3. Ceci introduit à la troisième leçon, relative à la norme. Certaines normes, celles du mieux-vivre de base, ne se discutent pas. Par exemple tout faire pour qu’un infirme puisse saisir un objet, porter un aliment à sa bouche, pouvoir se déplacer, j’en passe. Il s’agit de normes physiques. Et puis il y a celles qui touchent indifféremment l’ensemble des usagers, les normes sociales, qui font remarquer les différences et engendrent des exclusions. Lire, écrire, compter, se présenter, créent des fractures sociales sur lesquelles il est inutile d’insister. Le travail social consiste alors à rattraper, « mettre à niveau ». Il ramène donc à la norme, ou le plus près possible de la norme, il fait en sorte que ce qu’il y a d’anormal dans la normale ne se voie pas. Mais il facilite aussi la production de nouvelles normes, de nouvelles exigences et un contrôle social de plus en plus sévère. Le travailleur social est fort mal placé pour critiquer le système, puisqu’il en vit. Le mot « collabo », qui s’appliquait à ceux qui acceptaient l’invasion des Nazis semble un peu fort pour qualifier l’attitude générale du travailleur social. Il serait pourtant pertinent d’en faire usage pour réveiller les bonnes consciences et rappeler que certaines conditions sont inacceptables et appellent à y résister. 3. Victoires à la Pyrrhus Le problème est que pas plus les travailleurs sociaux que les autres ne voient pas clairement par quoi ni par qui ils sont occupés. Comment la puissance qui les occupe leur apparaîtrait-elle comme étrangère ? Elle les tient à sa disposition depuis leur naissance et ils ne doivent de survivre qu’en s’adaptant à ses diktats comme s’ils étaient naturels. Qu’est-ce qui unifie pourtant tous les champs du travail social ? Le problème de l’argent. La dernière illustration vient de nous en être donnée par le président Sarkozy au sujet de la dépendance. Celle-ci se traduit en effet par un triple rapport à l’argent. Ceux qui ont en charge une personne dépendante n’ont pas l’argent et cette charge les gêne pour travailler dans des conditions normales. La personne dépendante ne gagne pas d’argent, ou sa retraite et les allocations ne suffisent pas à sa prise en charge convenable. Mais voyez comme le système économique est bien fait si on sait s’en servir: car s’occuper de ces gens peut créer des emplois, à condition bien entendu de créer des profits monétaires, mais on se garde bien de le dire et devinez qui les créera ? . 140 Revista europeană de drept social Toutes les situations douloureuses se ramènent à des questions d’argent. L’injustice par rapport aux soins, c’est de l’argent dont on n’a pas assez et qu’il va falloir trouver. Le chômage, c’est de l’argent, la retraite aussi. Et pourquoi faut-il prouver vos savoirs, attraper des diplômes ? Pour se valoriser sur le marché de l’emploi, garder son emploi ou en changer plus facilement. Une séparation, un deuil, un accident, c’est aussi de l’argent. Toutes les situations douloureuses aboutissent à déclarer des droits. Droit au travail, droit aux allocations familiales. Droit à une fin de vie décente, aux soins médicaux, le droit au logement. Chacun de ces droits est une conquête, que nous fêtons comme telle. Mais ils sont étroitement associée à leur financement. Ils n’ont d’ailleurs été reconnus que dans la mesure où on avait de quoi les financer, et où ça coûterait plus cher, physiquement et politiquement, si on n’intervenait pas à temps. Nous fêtons les droits sociaux comme des victoires. Ce sont pourtant autant de victoires à la Pyrrhus, dans la mesure où elles contribuent à réduire la condition humaine à un construit social artificiel qui ne connaît qu’un matériau : l’argent. La condition monétaire n’explique pas les handicaps physiques, les trisomiques 21, elle n’explique pas tous les malheurs conjugaux. Mais elle explique à 100% l’économie sociale, obligée de compter en argent pour vaincre les misères de l’argent. Nous multiplions les astuces pour protéger et créer des niches de protection. Il reste que ce sont des niches, et que nos qualités de dévouement, de gestionnaires, seraient mieux employées dans une économie sans argent. Mais une économie sans argent ? Est-ce possible ? 4. Le pivot du changement La preuve qu’elle est possible, elle nous est donnée tous les jours rien qu’en achetant votre journal. Les codes à barres dont tous les articles sont aujourd’hui munis activent deux circuits. Le premier, celui des prix, le seul auquel nous prêtons attention. Et puis celui des renouvellements. Si celui des prix tombait en panne, ce serait la catastrophe, pensons-nous, parce que le fournisseur ne serait plus remboursé et ne pourrait plus reproduire sa marchandise. Mais imaginons sérieusement ce qui se passerait s’il était supprimé. L’entrepreneur qui a fourni le produit recevrait, dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui le signal qu’il faut renouveler son produit, son service. Il répercuterait le signal à ses propres fournisseurs, et ceux-ci aux leurs. Dans une économie sans argent, où les données sont informatisées, l’entrepreneur n’est pas empêché de se réapprovisionner pour des questions de prix, comme aujourd’hui. Aujourd’hui, si les matières premières sont devenues trop cher, il ne peut pas suivre, il n’est plus suffisamment concurrentiel, il doit fermer boutique, et licencier. Seules les entreprises les plus performantes, en termes de profits monétaires, peuvent se les procurer, ou emprunter pour le faire. 141 Revue europénnee du droit social Nous touchons là les limites que l’argent lui-même impose à l’argent, sans parler de la chute des cours, quand les entrepreneurs ont si bien travaillé qu’il y a surproduction et chute des cours. Les prix descendent au-dessous du prix de revient, et alors on brade, on brûle, ou on porte la production à un organisme d’Etat qui vous donne une subvention et détruit au lieu de distribuer, et nous devons demander à la gendarmerie locale de cesser de surveiller les poubelles à la fin des marchés, pour les protéger contre les vols des SDF. La faisabilité de l’informatisation des données du plus proche au plus lointain ne pose pas de problème techniques insurmontables. Elle est certainement moins perverse que la titrisation des dettes ! De nouveaux problèmes surgiront (cf. prosperdis.org). Il faut déjà y penser, mais en fonction des avantages. Par exemple ? Dans une économie sans argent, si quelque part, tout à coup, en amont, les fournisseurs ne peuvent pas fournir, ce ne sera pas parce que c’est trop cher, mais parce que le renouvellement n’est pas possible. Il faudra y pourvoir dans de tout autres conditions, et la planète n’y perdra pas : son souci interviendra dès la création de l’entreprise. Dans le cadre d’une économie sans monnaie, les banques deviennent des banques de données. Elles enregistrent tout ce qu’il y a et calculent les seuils de renouvelablité au-delà desquels on ne peut aller sans menacer l’environnement. Elles donnent accès aux choses du plus proche au plus lointain et permettent donc de récupérer plein de ressources locales oubliées. Je vous laisse broder sur ce canevas, étudiez-le bien, et vous verrez que tout cela peut se mettre rapidement en place, aussi rapidement que l’euro. 5. La maîtrise des usages Les conséquences de l’abolition de la monnaie sont considérables. Reconquête des ressources locales, fin de la colonisation du Nord par le Sud et de celle qui s’annonce par l’ex-Empire du Milieu. La solidarité internationale prend le pas sur le profit qu’il faut absolument faire, fin de la financiarisation de l’économie. Les travailleurs ne devront plus travailler pour la croissance monétaire, dont une proportion de plus en plus étroite est reconvertie en salaires. Ils ne verront plus les conditions de travail sacrifiées aux profits monétaires ni les avantages sociaux à l’apurement des dettes. Ils auront un accès direct au fruit de leur travail et non plus par le truchement d’un salaire plus ou moins élevé. Ils retrouveront le droit de se nourrir eux-mêmes et renouvelleront les produits et services en fonction de leurs usages à eux et non plus des profits qu’il faut en faire sur le marché. C’est à la lumière de la maîtrise de leurs usages qu’il nous faut donc imaginer ce que deviendra le comportement des usagers et non plus des résultats d’une aliénation qui a forgé les comportements et ce qu’on prend pour la nature humaine. 142 Revista europeană de drept social L’idée d’abolir la monnaie provoque encore aujourd’hui une objection massive. C’est un peu comme « si Dieu n’existe pas, tout est permis ». Que vont faire les gens s’il n’y a plus la carotte et le bâton du salariat, s’ils n’ont plus d’instrument pour se comparer ? « S’il n’y a plus d’argent, ils ne voudront plus rien faire !! ». Rassurons-nous. A une enquête menée au sujet de l’attribution du revenu d’existence à tous 10% des personnes interrogées disent carrément non. 90% disent OUI. Dans l’hypothèse où il serait appliqué, 60% oui, sans réserve, parce que ça ne changerait rien pour eux, ils aiment ce qu’ils font. 30% oui, mais plus à plein temps ou pour faire autre chose. 10% disent dormir, puis voyager, reprendre des études. Ces 30 et 10% ne désirent pas être inactifs, juste pouvoir s’investir dans des activités choisies, et s’ils se reposent, puis voyagent, ou reprennent des études, ce n’est pas perdu pour la société. On les retrouvera tôt ou tard en pleine activité et même suractifs, papillonnant d’une activité à l’autre, comme beaucoup de retraités d’association en associations. Dans cette même enquête, à la question « est-ce que les autres iraient travailler », 80% disent NON. Ils pensent que les autres n’iraient pas. Mais eux, ils iraient, et à 80% ça fait une confortable majorité. Si donc vous associez cette majorité à l’intérêt renouvelé qu’ils auraient pour ce qu’ils font et les conditions dans lesquelles ils décideraient de le faire, l’objection « ils n’iront pas travailler » ne tient pas. 6. Le travail social, du fragment à la totalité Dans une économie démonétisée, le travailleur social n’est plus obligé d’aller au repêchage des laissés pour compte, il n’est plus obligé de les remettre à niveau pour assurer leur compétitivité, il n’est plus obligé de les inciter à prendre le premier boulot qui vient. L’économie sociale et solidaire n’est plus obligée de créer des poches de résistances capables de s’autofinancer et de conquérir des parts de marché dans des secteurs improbables comme la récupération. Dans une économie démonétisée, l’expérience acquise par les travailleurs sociaux, l’économie sociale et solidaire n’a plus à s’exercer en compensation, fragmentairement. Son éthique s’étend à la société tout entière. 143 Revue europénnee du droit social Le ciment du construit sociétal, national et international n’est plus l’argent mais la solidarité, précisément, des nationaux entre eux, des peuples entre eux, et des hommes avec les autres habitants de la planète, végétaux et animaux, dont ils ne font plus du profit mais de la vie. Abolir la monnaie n’abolira certes pas l’angoisse existentielle ni les aléas de la vie personnelle. Ils sont la vie même, mais compliqués, distordus par l’usage de l’argent. Privés de la référence à l’argent, nous ne pourrons imputer nos échecs, nos succès, qu’à nous-mêmes et à la qualité de nos liens sociaux. Dans ce nouveau cadre, le travailleur social, comme n’importe qui peut enfin faire son cœur de métier - d’homme. Nos capacités de don, d’attention à autrui, libérées des contraintes de l’argent, pourront s’exercer sans collaborer à une économie injuste par construction. 7. Appel La crise que nous traversons semble particulièrement favorable pour en finir avec l’ambiguïté de notre solidarité de rattrapage. Les travailleurs sociaux peuvent y jouer un rôle aussi important qu’au moment de l’adoption de chaque nouveau droits social. Ils sont les mieux placés pour faire les comptes, et montrer que l’argent dépensé pour corriger les handicaps créés par la course à l’argent pour créer des niches protectrices qui cachent les méfaits de l’argent cet argent ne paiera jamais le coût sociétal de l’argent. Nous les invitons donc à faire cause commune avec tous ceux qui ne se contentent pas de s’indigner des méfaits de l’argent. Au lieu d’en émettre par milliards pour sauver les banques et d’endetter par milliards les générations montantes,changeons plutôt de paradigme sociétal et abolissons l’argent. 144 Revista europeană de drept social LE FRANC CFA : UNE MONNAIE COLONIALE QUI RETARDE LE DEVELOPPEMENT DE L’AFRIQUE Séraphin Prao YAO Enseignant-chercheur à l’Université de Bouaké La-neuve (Côte d’Ivoire) [email protected] Abstract: Our study aims at establishing the bond between the adoption of CFA franc as currency of 15 African countries and their economic development. Our study shows that CFA franc is, for a great part, responsible of the underdevelopment of the African Countries of the CFA Zone. The study lets thus foresee a weak consideration for monetary dimension in the development process sin Africa. Key words: zone of monetary anchoring, Franc zone; growth and development, monetary sovereignty. INTRODUCTION Dans le monde contemporain, depuis que l’Asie du Sud a elle-même entamé son propre décollage économique, le constat est indiscutable, même s’il peut être atténué par nombres de réussites locales : la crise de développement de l’Afrique subsaharienne est unique. Elle touche le cœur et l’essentiel de l’Afrique subsaharienne : l’Afrique noire continentale tropicale (Jean-Pierre FOIRRY, 2006). Et en particulier, les Pays Africains de la Zone Franc (PAZF). La zone CFA ou Zone Franc, se divise en trois sous-régions monétaires dirigées par trois banques centrales respectives : l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) est dirigée par la BCEAO (Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest) et regroupe le Niger, le Togo, le Sénégal, le Mali, le Bénin, le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire; la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale) est dirigée par la BEAC (Banque des Etats d'Afrique centrale) et regroupe le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad; enfin, la BCC (Banque centrale des Comores) dirige la politique monétaire de la République fédérale islamique des Comores. Sur le plan théorique, la fixité des changes avec la monnaie française met les pays de la Zone Franc à l’abri des inconvénients d’un taux de change flottant, c'està-dire des incertitudes quant à la valeur de la monnaie par rapport à leurs principaux partenaires. Cela permet d’éviter les pertes de changes et les biais dans les décisions d’investissement. En effet, la monnaie de ces pays étant garantie par le Trésor français, leur assure une certaine crédibilité, par le truchement d’une discipline imposée. Le Franc CFA favorise les compensations entre pays et permet 145 Revue europénnee du droit social d’absorber des chocs de court terme sans oublier que la convertibilité externe facilite la mobilité des capitaux et les échanges commerciaux. En revanche, l’arrimage du Franc CFA, hier à la monnaie français, aujourd’hui, à l’euro, réduit ou retarde l’ajustement dans le cas des chocs durables. Il réduit également la flexibilité et conduit à un ajustement en termes réels. La convertibilité externe peut conduire à des fuites de capitaux liées aux échanges avec le pays à monnaie inconvertible. Du coup, cette Zone Franc fait l’objet depuis des décennies de vives interrogations. Le débat sur le franc CFA s’enfle, mobilise et inquiète les PAZF, dont la monnaie s’apprécie automatiquement suite à celle de l’euro par rapport au dollar, rendant ces économies moins compétitives sur le marché mondial. De plus en plus, les africains s’imprègnent des réalités monétaires et s’interrogent sur le bien-fondé du maintien du franc CFA, une monnaie coloniale. Philippe Hugon (1999) dans son livre intitulé « La zone franc à l’heure de l’euro », s’interroge, à juste titre, sur le statut de la zone franc : est-elle une zone monétaire ou une survivance néocoloniale ? Aujourd’hui, le Franc CFA est décrié par les africains, tant ses principes et mécanismes sont contraires à l’esprit du 21e siècle et à la volonté pour les pays de faire porter à la monnaie, le rôle de moteur du développement. Au-delà de l’intérêt que revêt ce sujet, il est également actuel, de notre point de vue, pour plusieurs raisons. Ce papier réactualise l’importance de la dimension monétaire dans les stratégies de développement en Afrique. Aussi présente-t-il un enjeu considérable en ce qui concerne la recherche des voies et moyens pour un financement du développement des PAZF. L’objectif du présent papier est justement de montrer comment le Franc CFA retarde le développement économique des PAZF et pourquoi cette monnaie doit disparaître pour faire place à une monnaie africaine au service du développement. Cela suppose en premier lieu de montrer l’importance de la monnaie : il s’agit de donner une définition élargie à la monnaie (I). Faisant suite à cette démarche définitoire de la monnaie, il sera utile en deuxième lieu, de présenter l’historique de la zone franc (II). Une telle présentation permettra en troisième lieu de dire pourquoi sortir de la zone franc (III). 1. UNE DEMARCHE DEFINITOIRE DE LA MONNAIE C’est faute d’avoir compris que la monnaie n’est pas banale, que le développement des pays africains de la zone franc (PAZF) se trouve aujourd’hui à la limite du paradoxe. Dans les lignes qui suivent, nous allons donner les fonctions et surtout la nature de la monnaie. 146 Revista europeană de drept social I.1. LES FONCTIONS DE LA MONNAIE Charles Rist se refusait à définir la monnaie parce qu’elle recouvrait un domaine très vaste. En effet, la monnaie est l’un des concepts les plus difficiles à définir de la théorie économique. La monnaie est de plus en plus présente à tous les niveaux de la vie quotidienne des agents économiques et, parallèlement, ses formes sont de plus en plus complexes et multiples. Depuis Aristote, la monnaie est définie par les trois fonctions qu’elle est supposée exercer : la monnaie comme intermédiaire des échanges, la monnaie comme réserve de valeurs et, enfin, la monnaie comme unité de compte. Considérée comme intermédiaire des échanges (unité de paiement), la monnaie est un instrument qui permet d’échanger deux biens, en évitant les contraintes du troc. Il s’agit de surmonter la contrainte de la double coïncidence exacte des besoins du vendeur et de l’acheteur en qualité et en quantité, sur un même lieu, contrainte propre au troc. En considérant une économie de troc, l'absence de double coïncidence limite les possibilités d'échanges et l'apparition d'un élément tiers, la monnaie, règle cette contrainte, elle "lubrifie" les transactions. La médiation monétaire serait une condition nécessaire au développement des échanges de biens et de services selon Jevons. Cette fonction suppose que la monnaie a un pouvoir libératoire, c’est-à-dire qu’elle garantie la possibilité d’effectuer des règlements et également d’éteindre des dettes. Or il est possible d’avoir des monnaies en circulation sans pouvoir libératoire. Comme le dit Feminas Laurent (2001), citant B. Courbis, E. Froment et J.-M Servet, si le paiement renvoie, selon, à « l’appartenance à une communauté de paiement dans laquelle les moyens de s’acquitter sont établis », alors, l’unité de paiement peut différer de celle de compte. La monnaie exerce également une fonction de réserve de valeur pour deux raisons : la non-synchronisation entre les recettes et les dépenses d’une part et l’incertitude sur les réserves futures d’autre part. Elles constituent deux motifs de « demande de monnaie ». Elle a une fonction de réserve de valeur parce qu’elle est acceptée par tous et surtout parce qu’elle est unité de compte. Mais, cette fonction n’est pas spécifique à la monnaie car les agents économiques disposent d’autres moyens pour conserver de la valeur, c’est-à-dire détenir de la richesse. Cette dernière a d’ailleurs plusieurs composantes : - la richesse non financière, qui est constituée des biens matériels (or, maison, bijou, usine…) et immatériels (comme, par exemple, un fonds de commerce, une qualification) ; - la richesse financière, qui est constituée des titres qui peuvent s’échanger directement contre des biens matériels ou qui, en général, doivent d’abord se transformer en monnaie pour s’échanger contre des biens matériels (actifs monétaires, actifs financiers). 147 Revue europénnee du droit social La monnaie a une troisième fonction : celle d’unité de compte. Sans monnaie, dans une économie marchande, il y a autant de prix que de paires de biens, de types d’échanges entre deux biens. S’il y a n biens, il y a n(n-1)/2 prix relatifs. Pour opérer ses arbitrages dans un système de troc, chaque consommateur doit avoir en tête tous ces prix. Si un de ces biens est utilisé comme étalon des valeurs, alors le système des prix est profondément simplifié. Il suffit alors de connaître les n-1 expressions de la valeur des autres biens dans le bien choisi comme monnaie pour connaître l’ensemble des rapports de valeurs des n biens. La monnaie permet donc d'établir une échelle de prix simple et unique, exprimée en unités monétaires. Mais une " vraie " unité de compte ne peut avoir de valeur par elle-même sauf à varier. Or, c'est bien ce que les hommes ont fait en utilisant, pendant de brèves périodes historiques, comme valeur monétaire, des biens ayant eux-mêmes un certain prix. Toutefois, durant la majeure partie du Moyen-Âge, le Prince demeurait le " maître des mesures " : il imprimait son sceau et fixait les valeurs monétaires qui différaient, la plupart du temps, de celles du métal incorporé. Il est donc difficile de se satisfaire de la définition fonctionnelle de la monnaie. Il nous faut approfondir la question monétaire en disant ce qu’elle est et non ce qu’elle fait. I.2. LA QUESTION DE LA NATURE DE LA MONNAIE Qu’est-ce que la monnaie ? Cette question par laquelle il fallait bien commencer, n’admet pas de réponse simple, acceptée par l’ensemble des économistes, ni sous l’angle empirique, ni sous l’angle théorique. Notre préoccupation à ce stade de notre réflexion, est de dissiper le « nuage épais » qui enveloppe les contributions sur la nature de la monnaie, qui revêt plusieurs dimensions. La monnaie est une créance à vue des agents économiques sur le système bancaire et une dette de celui-ci. De ce point de vue, il est impossible de dissocier la monnaie du système monétaire d’où d’ailleurs l’importance des banques dans une économie monétaire de production. Cette définition est complétée par l’approche institutionnelle de la monnaie : la monnaie est certes une technique mais c’est aussi un phénomène social qui met en jeu des relations humaines. L’enjeu principal de la monnaie est toujours l’appartenance à une communauté de valeurs. Or, cette appartenance s’inscrit dans des formes relativement différentes selon les époques et les sociétés. La monnaie est une institution qui exprime et conforte les valeurs globales de la société où elle existe. La monnaie a également une dimension conventionnaliste. Elle est générée par une convention marchande : j’accepte la monnaie car autrui l’accepte. La qualité d'une monnaie se mesurera, dès lors, à l'aune de son aptitude à conserver sa valeur d'une période à l'autre et de sa capacité à inspirer confiance à ses utilisateurs. Comme le rappelle Femenias Laurent (2008), citant Simmel, c'est donc bien la communauté dans son ensemble qui garantit que la monnaie soit acceptée aujourd'hui et dans l'avenir en règlement des échanges. 148 Revista europeană de drept social Ce minimum de cohésion sociale et de confiance, qui est au fondement même de toute monnaie, émane soit d'un acte de foi (acceptation générale du numéraire par la communauté), soit d'un édit des autorités qui l'établit comme cours légal dans un territoire donné. Dans le premier cas, la monnaie peut provenir soit d'une coutume immémoriale, soit d'une convention émergeante ou librement négociée, ou encore être le résultat d'une concurrence entre monnaies privées où une a fini par s’imposer dans un vaste réseau d’échange. Dans le second cas, la monnaie est la production d'un monopole d'État qui impose le médium d'échange et tente de le contrôler. La puissance publique tire profit de cette situation à divers échelons : la monnaie sert, à la fois, de source d'unité symbolique du pays, de source de revenu pour l'État et de moyen d'indépendance politique, le pays ayant sa propre devise. Suivant l’approche chartaliste, largement impulsée par Knapp, « la monnaie est une créature de la loi », c’est-à-dire du droit. Selon Desmedt Ludovic et Piégay Pierre (2007), Il s'agit pour lui de réfuter les approches métallistes et/ou quantitatives pour placer au premier plan l'aspect conventionnel de la monnaie. C’est l’État qui sélectionne et impose une forme-monnaie en choisissant une certaine unité et en lui donnant une validité sur un territoire qui correspond à son espace national. Ainsi, l’acceptation inconditionnelle de la monnaie par les individus est garantie par l’État. Il s’agit de dire que c'est l'autorité politique représentative qui, dans un espace national donné, fait battre monnaie et lui donne cours légal, un principe repris, après bien des vicissitudes, du droit romain. La monnaie a également une dimension politique : les nations se sont construites autour de la monnaie et autour d’un roi qui avait le pouvoir de battre monnaie. Au 19ème siècle, l’unification progressive de l’Allemagne s’est faite à partir du Zollverein, mais aussi par une monnaie commune : le Thaler. A l’heure actuelle, le pouvoir monétaire est perçu comme un élément de la souveraineté nationale : ses capacités régulatrices lui viennent de son aptitude à représenter les valeurs qui sont au fondement de la communauté d’échanges. La monnaie est envisagée comme un attribut de la puissance publique et un instrument de propagande au service de cette dernière. Le principe de la souveraineté mis en lumière par Jean Bodin a permis de dégager une souveraineté de l’Etat dont la souveraineté monétaire semblait être partie intégrante. L’époque romaine montre bien que la monnaie faisait partie des symboles qui exprimaient la personnalité, la puissance et permettait de situer le romain et tout ce qui n’était pas romain. A l’origine le « souverain » est une monnaie anglaise (pas un roi). Le « souverain » est une monnaie d'or anglaise qui a été frappée pour la première fois en 1489 par Henry VII d'Angleterre. Bien que la pièce ait une valeur nominale d'une livre sterling ou 20 shillings, le souverain était à l'origine une monnaie sur laquelle ne figurait aucune marque de valeur. La souveraineté est le pouvoir de 149 Revue europénnee du droit social battre (frapper) « le souverain » (monnaie de l’époque). Or seul le roi avait ce pouvoir de battre monnaie, d’où le parallélisme entre souverain et roi. On sait par ailleurs que dans un régime démocratique, le pouvoir de battre monnaie devrait être confié à des élus du peuple. Car le pouvoir de battre monnaie signifie la possibilité de définir une « politique monétaire », qui accompagne la politique économique. A contrario on ne peut financer une politique économique (par exemple le plein emploi), si on ne maîtrise pas la monnaie. Le pouvoir de battre monnaie a toujours été reconnu comme attribut de la souveraineté nationale. Et les banques en tant qu’intermédiaires financiers ont toujours eu pour vocation le financement de l’essor économique des nations. C’est la raison pour laquelle, l’exercice du pouvoir monétaire, c’est à dire l’orientation de la politique monétaire est une préoccupation constante des gouvernements. Pour autant, comme le souligne Blanc Jérôme (2005), on doit d’abord comprendre que la monnaie en elle-même n’est pas une marque de la souveraineté : le propre de la souveraineté est le pouvoir de modifier le cours légal et le contenu métallique des pièces. Mais si cette manipulation relève de la puissance de la loi, qui est celle du souverain, seul le droit de battre monnaie est de la même nature que la loi. « La monnaie renvoie au prince et plus généralement à une organisation politique de la société [...] La monnaie est inséparable d'un ordre ou d'un pouvoir. A tout système monétaire est assignée une limite, qui est celle de l'acceptation des moyens de paiement. L'aire d'extension du système de paiement se confond avec celle de la souveraineté de l'institution qui émet la monnaie légale. Monnaie et souveraineté sont donc étroitement liées ». D’ailleurs la zone franc a deux dimensions. Une dimension verticale du fait des liens monétaires et sociopolitiques entre la France et les pays africains, et une dimension horizontale compte tenu des relations d’intégration que nouent les pays africains de la zone entre eux. Cette orthogonalité de la zone l’éloigne d’une zone monétaire optimale. A partir de là, la monnaie franc CFA devient une monnaie rhizome. Cette monnaie rhizome qu’est le franc CFA a des racines en occident et en Afrique : c’est une monnaie qui dépayse les africains. La section ci-après présente l’évolution historique de la Zone Franc. Elle apparaît comme une extension de l’espace économique français. II. L’HISTORIQUE DE LA ZONE FRANC ET SON FONCTIONNEMENT Nous présenterons successivement l’évolution de la Zone Franc et ses principes puis les traits caractéristiques de son fonctionnement. 150 Revista europeană de drept social II.1. EVOLUTION HISTORIQUE DE LA ZONE FRANC La zone franc lato sensu, regroupe 26 entités territoriales ; elle comprend, outre 15 pays africains, la France, les DOM-TOM, la principauté de Monaco et Mayotte ; elle est depuis le 1er janvier 1999 liée à l’Union monétaire européenne puisque les francs de la zone sont arrimés à l’euro. Historiquement, même s’il est difficile de donner une datation exacte de la zone franc avant son officialisation, il est possible de lui trouver un ancrage. La dislocation progressive de l'espace monétaire et commercial international dans les années trente, la montée en puissance généralisée du protectionnisme et l'enchainement des dévaluations compétitives provoquèrent de la part des puissances coloniales une réaction de repli sur leurs empires. L'échec de la conférence de Londres en 1933, fit apparaître les zones monétaires. La formation d'une zone économique impériale, protégée de la concurrence extérieure et fondée sur la complémentarité des productions coloniales et métropolitaines, passait par la création d'un espace monétaire commun. Un grand nombre de pays d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud vont rattacher leur monnaie au dollar pour former la « zone dollar ». Tout comme la « zone sterling », la zone franc est donc née de la volonté initiale d’isoler l’empire colonial du marché international et de créer un espace préférentiel après la crise de 1929. Elle a été institutionnalisée le 9 septembre 1939, lorsque dans le cadre de mesures liées à la déclaration de guerre, un décret instaura une législation commune des changes pour l'ensemble des territoires appartenant à l'empire colonial français. La zone Franc, en tant que zone monétaire caractérisée par une liberté des changes, est formellement créée. Officiellement, le franc CFA est né le 26 décembre 1945, jour où la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire international (FMI). Il signifie alors « franc des colonies françaises d'Afrique ». Mais cette définition de la parité du Franc se fait avec une différenciation selon les secteurs géographiques1 : le Franc des Colonies Françaises du Pacifique (FCFP), un Franc des Colonies Françaises d'Afrique (FCFA) et un Franc de la métropole valable également pour l'Afrique du Nord et les Antilles (FF).C'est aussi l'occasion d'affirmer l'unité car le communiqué du ministre des Finances parle de « Constitution de la zone franc » et ce sera la première fois que le terme est utilisé officiellement. 1 Le FCFP valait 2,40 FF et le FCFA 1,70 FF. 151 Revue europénnee du droit social II.2. LES PRINCIPES ET LE FONCTIONNEMENT DE LA ZONE FRANC II.2.1. LES PRINCIPES DE LA ZONE FRANC Les principes de la coopération monétaire ont été rappelés dans les différentes conventions dont la convention de coopération entre les pays membres de l'Union monétaire ouest-africaine et la République française du 4 décembre 1973. Les principes fondamentaux sont au nombre de quatre : 1) La fixité des parités avec la monnaie ancre : la parité des monnaies de la Zone avec l’euro est fixe et définie pour chaque sous-zone. Les monnaies de la Zone sont convertibles entre elles, à des parités fixes, sans limitation de montants. 2) La garantie de convertibilité illimitée du Trésor français : la convertibilité des monnaies émises par les différents instituts d'émission de la Zone franc est garantie sans limite par le Trésor français. 3) La libre transférabilité : les transferts sont, en principe, libres à l’intérieur de la Zone. À l'intérieur de chaque sous-zone, et entre chaque sous-zone et la France, les transferts de capitaux sont en principe libres. 4) La centralisation des réserves de change : elle apparaît à deux niveaux puisque les États centralisent leurs réserves de change dans chacune des deux Banques centrales tandis qu’en contrepartie de la convertibilité illimitée garantie par la France, les banques centrales africaines sont tenues de déposer, auprès du Trésor français sur le compte d'opérations ouvert au nom de chacune d'elles, une fraction de leurs réserves de change (50 % pour les avoirs extérieurs nets de la BCEAO et 60% jusqu’au 30 juin 2008, 55 % jusqu’au 30 juin 2009 et ensuite 50% pour la BEAC). Depuis 1975, ces avoirs bénéficient d'une garantie de change vis-à-vis du DTS. II.2.2. LES MECAMISMES POUR LA MISE EN ŒUVRE DE LA COOPERATION MONTAIRE Pour l’essentiel, les comptes d’opérations et la concertation entre la France et les PAZF, constituent les piliers de la coopération monétaire entre la France et ses partenaires africains. Le fonctionnement des comptes d’opérations Les modalités de fonctionnement ont été formalisées par des conventions conclues entre le ministre français de l'Économie et des Finances et le représentant de chacun des instituts d'émission de la Zone franc. Les comptes d’opérations sont des comptes à vue ouverts auprès du Trésor français au nom de chacun des trois instituts d’émission : la BCEAO, la BEAC et la Banque centrale des Comores. Ces comptes sont rémunérés et offrent la possibilité d’un découvert illimité. 152 Revista europeană de drept social Ils disposent d’un dispositif de sauvegarde. Si les Banques centrales peuvent recourir sans limitation aux avances du Trésor français, cette faculté doit, dans l'esprit des accords, revêtir un caractère exceptionnel. Pour éviter que les comptes d'opérations ne deviennent durablement débiteurs, des mesures, dont certaines de nature préventive, ont été prévues. La concertation avec la France Outre les fréquentes rencontres informelles entre les responsables français et africains, une réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des États de la Zone franc se tient semestriellement. La première de ces réunions s'est tenue à Paris en mars 1965. Il a été décidé à cette occasion que les ministres se réuniraient deux fois par an, en avril, à la veille du Comité monétaire et financier international (CMFI) du FMI et du Comité du développement de la Banque mondiale, et en septembre-octobre, également à la veille des assemblées annuelles de ces deux institutions. III. POURQUOI LA ZONE FRANC DOIT DISPARAÎTRE: ELLE FAVORISE LE SOUS-DEVELOPPEMENT La question à laquelle nous répondons ici est celle de savoir pourquoi les pays africains de la zone franc doivent-ils sortir de cette zone ou du moins décoloniser le franc CFA pour la remplacer par une monnaie qui tiendra compte des réalités africaines. Notre thèse se justifie pour au moins deux raisons. Premièrement, le franc CFA et ses mécanismes sont des leviers qui perpétuent l’extraversion des économies africaines. Deuxièmement, le franc CFA est un instrument de domination et de la défense des intérêts de la France en Afrique. La monnaie Franc CFA, n’a jamais favorisé le développement. III.1. LE FRANC CFA ET SES MECANISMES FAVORISENT L’EXTRAVERSION DES ECONOMIES AFRICAINES • Les principes de la zone franc posent problème. Précisons ici rapidement ce point. En premier lieu, au niveau de la parité fixe, selon les enseignements de la théorie standard, elle se justifie d’autant plus que l’économie est petite, peu ouverte, faiblement diversifiée, polarisée sur le pays de monnaie d’ancrage, qu’il y a à l’intérieur des zones une mobilité forte du travail et faible mobilité du capital. La fixité du change peut également se justifier pour des motifs d’ordre microéconomiques (réduction des incertitudes sur des taux de change réels) et macroéconomiques (stabilité des prix, gestion saine des finances publiques). Et ceci 153 Revue europénnee du droit social d’autant plus que les petites économies africaines sont fortement ouvertes et qu’elles sont fortement intégrées au niveau des importations et des capitaux à l’Europe. Cependant, ces arguments favorables à la fixité du change sont contrecarrés par l’existence de chocs réels et nominaux, intérieurs et extérieurs. Des économies fortement exposées à des chocs comme les pays de la zone franc, ont intérêt à stabiliser l’économie par la flexibilité de change. Dans le cas de chocs externes, le taux de change flexible neutralise les effets des chocs. Dans le cas de chocs interne réels (comme la sécheresse), il permet de stabiliser le produit national réel. Le taux de change flottant permet théoriquement une autonomie de la politique monétaire et joue un rôle de stabilisation automatique. Le régime de change fixe a pour conséquence de ne pas s’adapter aux réalités économiques. La parité fixe du franc CFA contre l’euro (1 euro valant 655,957 francs CFA) nous conduit à nous intéresser à la parité de l’euro contre le dollar puisque le dollar constitue l’unité de cotation du cours des matières premières sur le marché mondial. L’appréciation de l’euro est partiellement défavorable à la zone franc puisqu’elle correspond à une appréciation parallèle du franc CFA par rapport au dollar, et donc à des recettes d’exportations et des recettes fiscales en francs CFA plus faibles. En deuxième lieu, au sujet de la libre transférabilité, cette disposition favorise la fuite des capitaux. Selon la CNUCED, la fuite des capitaux en 30 ans des pays africains depuis les indépendances dépasse 400 milliards de dollars américains. Selon Hugon (1999, p.99), on estime l’hémorragie des capitaux hors UEMOA à 3 milliards de francs en 1991, à 4,6 milliards en 1992 et à 5 milliards de francs durant les 6 premiers mois de l’année 1993. Les placements spéculatifs effectués en francs Cfa en France entre janvier 1990 et juin 1993 s'étaient élevés à 928,75 milliards de francs Cfa, soit environ 1,416 milliards d’euros. Le montant des transferts sans contrepartie des ménages non africains sortis des PAZF en direction de la France et le RDM est passé de 89 millions de dollars (en 1970) à 434 millions de dollars (en 1993). Le montant cumulé de ces transferts est estimé à 3783,6 millions de dollars (soit 2200 milliards de franc CFA). En 2004, l’Afrique noire (sans l’Afrique du Sud) a reçu 0,4% des IDE dont la moitié a été au bénéfice de l’Angola et du Nigeria. En troisième lieu, concernant la convertibilité illimitée, elle est virtuelle. La convertibilité revient à dire simplement que tout étranger détenteur de cette monnaie doit avoir la possibilité, à tout instant, de l’échanger librement contre d’autres monnaies ou contre de l’or. La convertibilité revêt plusieurs formes et on en distingue le plus souvent les degrés de convertibilité par rapport aux opérations, aux pays, et aux agents. Pour les petites économies que sont les pays africains de la zone franc, il n’est pas bon d’avoir des monnaies convertibles. Dans la remuante histoire du franc français, l’échange de francs contre des devises n’était pas libre, mais réglementé. Cette convertibilité externe du franc, rétablie en 1958 pour les non-résidents, n’était pas totale pour les résidents. Par exemple, ceux-ci ne pouvaient pas sortir des capitaux hors des frontières sans autorisation administrative. La Tunisie par exemple a une politique qui s’appuie sur le maintien 154 Revista europeană de drept social de contrôles des capitaux, c’est-à-dire sur une « convertibilité » partielle de la monnaie, certaines opérations sur les mouvements des capitaux avec l’extérieur restant soumises à restrictions. Cela permet à la Banque centrale de conserver une certaine marge de manœuvre sur sa politique intérieure. Quant au géant chinois, la grande fragilité de son système bancaire étatique (créances douteuses) ne l’autorise pas aujourd’hui à libéraliser son marché des changes et à rendre sa monnaie librement convertible sous peine de faire peser des risques importants sur la croissance économique chinoise. Le Naira n’est pas une monnaie convertible pourtant le Nigeria est un géant économique ; la Roupie également n’est pas convertible pourtant l’Inde est une puissance économique. La convertibilité du franc CFA est d’autant plus virtuelle que les francs CFA de la BCEAO et ceux de la BEAC ne sont pas convertibles entre eux, ce qui n’encourage pas le développement des échanges entre les deux zones. Au contraire, les mécanismes de la zone franc facilitent les relations financières et commerciales entre la métropole et les territoires, tout en supprimant le risque de change entre les deux monnaies (Euro et franc CFA). • Le franc CFA n’a pas apporté le développement aux africains Déjà, parmi les 49 pays moins avancés (PMA), 35 sont en Afrique subsaharienne (ASS). La zone franc, elle, représente 12% de la population africaine, 12% du PIB et 1,5% des exportations. Avec une population de 25% supérieure à celle de la France, les PAZF représentent 4,5% du PIB français ou 1,5% de masse monétaire. Sur les 15 Etats de la Zone franc, 10 sont classés parmi les pays les moins avancés, 3 parmi les pays à faible revenu (Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire) et 2 parmi les pays à revenu intermédiaire (Gabon, Guinée équatoriale). A titre de comparaison, le PIB des 15 pays de la Zone franc représente moins de 3% du PIB de la France. La masse monétaire de la Zone franc représente 1,2% de la masse monétaire de la France. La zone franc n’a pas apporté le développement aux pays membres mais le développement du sous-développement. Pour atténuer cette pauvreté, l’aide française est venue comme une bouée de sauvetage. En effet, les pays de la zone Franc sont des principaux bénéficiaires de l'aide publique au développement française. En 1997, ils ont reçu environ la moitié de l'APD bilatérale française aux pays d'Afrique sub-saharienne, ce qui représente 23 % des apports bilatéraux de la France aux pays en développement (6,5 milliards de franc (MdF) sur 27,8 MdF d'aide bilatérale en 1997). Dans le cadre du traitement de dette au sein du Club de Paris, 10 pays de la Zone franc2 ont bénéficié d'annulations pour un montant total rééchelonné de 23 MdF. La France a apporté près de 50 % de l'effort ainsi consenti par les créanciers. En plus des accords 2 Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Tchad et Togo. 155 Revue europénnee du droit social conclus dans le cadre du Club de Paris, la France a pris des mesures bilatérales exceptionnelles de réduction de dettes, en annulant en 1989, les crédits d'aide publique au développement (Dakar I), puis en procédant à une nouvelle annulation en 1994 (Dakar II), soit une annulation de dette de 55 MdF au profit des pays de la zone Franc. Entre 1993 et 1996, l'effort de réduction de dettes a représenté en moyenne une contribution annuelle de la France de 3,2 MdF, soit plus du tiers de l'aide bilatérale française à la zone Franc. En tout état de cause, les pays de la zone franc ne sont pas mieux lotis en termes de performances macroéconomiques à comparer aux pays africains hors zone franc. Une synthèse de nombreux travaux comparant les performances est présentée chez Hadjimichael et al. (1995). Lorsqu’on compare les taux de croissance du PIB des pays africains de la zone franc et des pays hors zone, il apparait que les années 60 et 70 sont marquées par des résultats supérieurs pour les pays de la zone franc (5% contre 4,4%) alors qu’il y a inversion au cours de la décennie 80, plus précisément entre 1985 et 1991(1% contre 3,7%), sur l’ensemble des trois décennies, les résultats sont, en revanche, comparables3. On note également une plus grande instabilité des taux de croissance au sein de la zone. L’écart-type du taux de croissance a été entre 1971 et 1987 de 7% contre 4,5% pour les pays voisins. De 1980 à 1994, les écarts du PIB réel par rapport à sa tendance à long terme ont été supérieurs. Selon le rapport du PNUD (2007,2008), l’indice de développement humain (2005), pour les PAZF est égal à 0,468 (moyenne) contre 0,493 (moyenne) pour l’Afrique subsaharienne. L’indice de développement humain (indice composite reposant sur l’espérance de vie, le taux d’alphabétisation et le niveau de vie exprimé à parité de pouvoir d’achat) des pays de la Zone franc n’est que légèrement inférieur à celui de la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne. Toutefois, au niveau mondial, les pays de la Zone franc font partie des pays dont le développement humain est considéré comme faible, à l’exception du Cameroun, du Congo, du Gabon et de la Guinée-équatoriale qui appartiennent à la catégorie intermédiaire. Le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, la RCA et le Tchad, en particulier, étaient classés parmi les 10 derniers sur une liste de 177 pays. En 2010, la situation n’est guère reluisante pour les pays de la zone franc. La Côte d’Ivoire demeure en dépit de la crise militaro-politique qu’elle traverse depuis 2002, le premier pays africains de la zone franc en termes de PIB réel. Pourtant, le franc CFA n’a pas permis à ce pays de faire mieux que les pays hors zone franc (Tableau 1). 3 Source : Guillaumont, 1995 p.105 et 106. 156 Revista europeană de drept social Tableau 1: Le classement des pays africains de la zone franc en termes de PIB réel en 2010. Rang Pays 1er 2e 3e 4e 5e 6e 7e 8e 9e 10e 11e 12e 13e 14e Côte d'ivoire Cameroun Guinée-Equatoriale Sénégal Gabon Congo Mali Burkina-Faso Tchad Benin Niger Togo Centrafrique Guinée-Bissau PIB réel (en milliards de dollars) 22,4 21,9 14,5 12,7 12,6 11,9 9,1 8,7 7,6 6,5 5,6 3,1 2,1 0,8 Source : Le Monde : bilan du monde, la situation économique internationale, 2011, p. 91. Les pays comme l’Algérie, l’Angola, l’Ethiopie, le Kenya, le Maroc, le Nigeria, le Soudan, la Tanzanie, la Tunisie, pour ne citer que ces pays, ont chacun un PIB réel supérieur à celui de la Côte d’Ivoire (le premier en termes de PIB réel en 2010 de la zone franc), comme l’indiquent les tableaux 2 et 3 ci-dessous. Certains de ces pays font mieux en matière d’espérance de vie. Au sein des PAZF, le Togo (63), le Benin (62) et le Gabon (61) occupent le peloton de tête en termes d’espérance de vie. Les pays qui ont accédé très tôt à leur souveraineté monétaire ont des espérances de vie plus élevées que les trois pays cités ci-dessus. Il s’agit par exemple de la Tunisie (74), de l’Algérie (73), du Maroc (72), de Maurice (72) et du Cap-Vert (72). 157 Revue europénnee du droit social Tableau 2: Le classement des pays africains de la zone franc en termes de PIB réel/ habitants en 2010 Rang Pays 1er 2e 3e 4e 5e 6e 7e 8e 9e 10e 11e 12e 13e 14e Guinée-Equatoriale Gabon Congo Cameroun Côte d’Ivoire Sénégal Tchad Bénin Mali Burkina-Faso Guinée-Bissau Centrafrique Togo Niger PIB réel/habitants (dollars) 11081 8395 3075 1071 1016 964 743 673 649 590 498 469 441 383 Source : Le Monde : bilan du monde, la situation économique internationale, 2011, p. 91. Tableau 3 : Le PIB réel et le PIB réel/habitants de quelques pays hors zone franc. Pays Algérie Angola Botswana Ethiopie Ghana Kenya Maroc Maurice Mozambique Namibie Nigeria Ouganda Soudan Tanzanie Tunisie Zambie PIB réel (milliards de dollars) 159 85,8 12,5 30,9 15,3 32,4 91,7 9,4 10,2 11,5 206,7 17,1 65,9 22,4 43,9 15,7 PIB réel/Habitants (dollars) 4478 4812 6796 365 646 888 2868 7303 473 5454 1324 504 1643 543 4160 1286 Source : Le Monde : bilan du monde, la situation économique internationale, 2011, p. 91. 158 Revista europeană de drept social III.2. LE FRANC CFA EST UN INSTRUMENT DE DOMINATION ET DE DEFENSE DES INTERETS DE LA FRANCE EN AFRIQUE L’intérêt économique pour la France est très significatif, car, l’enjeu principal de la zone franc pour la France n’est pas seulement de nature matérielle, économique ou comptable, mais réside également dans la reproduction continue d’un ensemble de relations qui, en effaçant la « perte » survenue en 1960, préserve son statut de puissance internationale. Le dispositif de la zone franc, conservateur dans son essence, entretient en Afrique l’ossature des Etats et leur survie dans un système économique et social figé. Ensuite la zone franc développe l’extraversion de nos économies. Avec le franc CFA, les PAZF sont des réservoirs de Matières premières et des déversoirs de produits manufacturés. L’empire colonial français, qui absorbait 10% des exportations françaises à la fin du 19e siècle et 17% à la veille de la crise de 1929, devint dans les années trente, et jusqu’à la constitution de la communauté économique européenne, un débouché majeur pour les entreprises métropolitaines. Elles y écoulaient 42% de leurs exportations en 1952. Selon la commission européenne (2002), en 1999, 40% des exportations de l’espace UEMOA étaient destinées à l’Europe. Les importations en provenance de l’UE et en direction de l’UEMOA la même année se situent à 43%. Les exportations de la zone UEMOA en direction de cette zone représentent 12% et 10% pour les importations. Les avantages présentés aux Africains sont quant à eux des plus artificiels : outre l'attrait des investissements directs à l'étranger (IDE), le franc CFA est censé épargner les risques de change avec la zone euro et donc faciliter l'accès au marché unique européen. Les monnaies coloniales encourageaient l’intégration économique avec la puissance de tutelle, et, dans une moindre mesure, avec le reste du monde. En effet, les grands pays exportateurs dans le commerce intra UEMOA sont la Côte d’Ivoire et le Sénégal qui ont exporté vers la zone respectivement 11 et 6,5% de leurs exportations totales entre 1990 et 2003 (Boogaerde et Tsangarides, 2005). Ces pays sont de ce fait de loin les grands offreurs de biens manufacturiers dans la zone en détenant respectivement 74 et 14% des exportations intra zone. Cependant, la France domine les flux d’investissement entre la Zone Franc et l’Europe. Selon la Banque de France (2002), sur la décennie 1989-1998, la France a contribué à 71 % des flux nets d’investissements des pays de l’OCDE vers la Zone franc. Le poids de la France dans le stock des investissements directs étrangers en Zone franc est estimé à 40 %. Au total, la Zone franc accueille plus de 40 % du total du stock des investissements français en Afrique. 159 Revue europénnee du droit social Enfin la zone franc et ses mécanismes maintiennent un système bancaire oligopolistique dominé par les banques françaises. Les banques sont des maillons importants du système financier. Elles remplissent un double rôle. D’une part, elles sont des entités privées qui recherchent le profit ; d’autre part, elles constituent des réseaux qui fournissent à l’économie globale un bien collectif : les systèmes de paiement et de règlement. Or les systèmes financiers africains en général et ceux de la Zone Franc, en particulier, sont peu profonds, étroits, peu diversifiés et n’assument pas leur rôle dans le financement du développement (Popiel ,1995). La création d’un embryon de système financier au sein des pays de la zone franc pendant la période coloniale avait pour seul dessein de répondre aux besoins de financement des sociétés d’import-export et d’exploitation des produits primaires agricoles (Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali), miniers (Niger, République centrafricaine, Sénégal, Togo) et pétroliers (les pays de la CEMAC aujourd’hui). Les banques ne trouvaient pour ainsi dire aucun intérêt à développer un réseau d’agences à l’intérieur de ces pays ou à établir des contacts avec les populations locales. Le taux de bancarisation dans l’UEMOA est très faible (moyenne de 4%). Ce taux était en 2001 de 99% en France. Hier, les banques commerciales proposaient surtout des crédits à court terme permettant de s’adapter au caractère cyclique de la production et de la commercialisation des produits tropicaux et aux délais d’acheminement des produits manufacturés entre la métropole et l’Afrique. Aujourd’hui encore, le crédit bancaire ne facilite pas la formation du capital car il finance plutôt les affaires commerciales et d’import-export. Le financement bancaire en Côte d’Ivoire est de l’ordre de 16% contre environ 70% en Tunisie. Il est d’ailleurs lié au système commercial mis en place par l’économie de traite et non au système de production. La stratégie bancaire postindépendance est restée identique à celle de la période coloniale. Le maintien, après les indépendances, des schémas d’organisation spatiale et sectorielle de l’activité économique (spécialisation sur le commerce et l’exportation de matières premières brutes) cumulé à l’échec des politiques de diversification industrielle expliquent aujourd’hui encore la perpétuation des structures économiques héritées de la période coloniale et les caractéristiques financières qui en découlent. Par ailleurs, les centres de décision de ces grandes firmes bancaires sont situés à l’étranger. Autant de facteurs qui réduisent leur impact sur les pays où elles sont installées : elles paient des impôts, sans pour autant s’embrayer sur l’économie nationale. Au total, sur le plan bancaire, le système bancaire postcolonial ne tranche guère avec la logique coloniale, celle qui consistait à financer l’échange et la production de matières premières exportées. Finalement, avec le franc CFA, la France domine économiquement, commercialement et politiquement les Pays Africains de la Zone Franc, cette monnaie n’apportant rien au développement économique de ces derniers 160 Revista europeană de drept social CONCLUSION Ce n’est pas sans hésitation que les gouvernants des pays africains de la zone franc traitent le sujet du franc CFA. En dépit de la lassitude, qui, épisodiquement, gagne ces sphères politiques, il faut une plus grande volonté politique pour décider du sort du Franc CFA et partant de la Zone Franc. Au cours de ces pages, nous avons voulu être méthodique afin de faire ressortir le thème dominant de notre argumentation : le Franc CFA n’a pas permis aux Africains d’amorcer un véritable développement autocentré. Les structures et les principes de fonctionnement de la Zone Franc constituant un handicap sérieux pour le développement économique des pays membres. L’organisation monétaire hiérarchique de la zone franc, vu comme le reflet d’un système politique de domination coloniale s’oppose à un processus de développement qui tienne compte des réalités africaines. La monnaie « Franc CFA », en tant que fait social total semble étranger aux africains. Une des principales caractéristiques du colonialisme fut de remplacer les monnaies primitives par les monnaies européennes en les imposant pour le paiement des impôts. Or ces liens sociopolitiques ont eu historiquement tendance à se distendre alors que la superstructure monétaire demeurait. La monnaie « franc CFA » s’est imposée. En s’imposant historiquement par la violence, et en s’étendant au sein de la société notamment par la traite négrière, par le commerce import-export et par l’impôt, la monnaie, signe CFA, issue de cette histoire, apparaît souvent comme extérieure à la société qu’elle veut normer. Du coup, il semble impossible qu’une telle monnaie participe au développement économique des pays africains. 161 Revue europénnee du droit social Références bibliographiques Banque de France, La Zone Franc : note d’information n°127, 2002. Blanc Jérôme, «Les monnaies de la république. Un retour sur les idées monétaires de Jean Bodin », Cahiers d’économie politique, février 2005.) Boogaerde van den Pierre, and Tsangarides Charalambos, Ten Years After the CFA Franc Devaluation: Progress Toward Regional Integration in the WAEMU, IMF Working paper, WP/05/145, 2005. 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