l’Université du Mirail, de ce temps libre entre deux cours, de ces plages vides que la lecture
remplissait si bien. Je découvrais, volontairement seul, la puissance de l’esprit. Les
professeurs de philosophie que j’ai pu rencontrer depuis m’ont tous fait part, avec une
certaine nostalgie, du charme évanoui de leurs premières découvertes philosophiques. A la
prairie des filtres, non loin du Pont neuf – le pont le plus ancien de la ville – j’ai compris que
la nouveauté du jour était déjà en ruine à côté des textes de Platon ou de Nietzsche. C’est là
aussi que j’ai su clairement que j’enseignerais la philosophie afin de transmettre à d’autres
ces trésors de puissance imprimée.
•Vingt ans après, dont dix-sept à enseigner la philosophie, le meeting de Jean-Luc Mélenchon
avait pour moi des allures de pèlerinage. Un pèlerinage à rebours. Inutile de chercher ce
jour-là un banc libre et isolé. « Un seul troupeau, tous sont égaux » – Nietzsche. Curieux
troupeau tout de même. Qu’aurait pensé Platon de tous ces φ ? Affiches, autocollants,
boudins gonflables, drapeaux, jusqu’au φ géant projeté sur la scène de l’orateur comme les
objets artificiels le sont dans la caverne du Livre VII de la République ? Du discours ensuite,
de cette référence à la philosophie grecque, aux origines de la démocratie sur un grand écran
à simulacres. Tous ces yeux tournés vers la scène. Tous ces bras portant des φ multicolores.
Toutes ces oreilles attentives qui apprennent que Giordano Bruno fut brulé il y a quatre
siècles, à Toulouse, pour des histoires de scarabées et d’univers infini. Pas un bruit, aucun
chahut pendant la leçon dans cette classe surchargée. Il m’a suffit pourtant d’un petit effort
d’imagination pour repenser à ma lecture de Platon, il y a vingt ans, à deux pas de cette
scène politique. Non pas pour me demander sottement si Mélenchon était un sophiste ou un
philosophe mais pour me rappeler, en pratique, qu’il n’y avait jamais eu hier de politique
sans éducation et qu’il n’y aura pas demain d’éducation sans une forme de transcendance.
Un air de Platon et de Gorgias chez Jean-Luc Mélenchon. Un mélange peut-être. Le φ de sa
campagne électorale n’est pas simplement un logo facile à dupliquer qui évoquerait, en clin
d’œil, les origines grecques de la démocratie mais une contestation par le signe de la
prétention révolutionnaire de faire table rase. Quoi de plus conservateur que d’en appeler
aux grecs anciens ?
•Le discours de Jean-Luc Mélenchon n’est justement pas révolutionnaire mais romantique
utopiste. Révolution ! – dois-je le rappeler ? – c’est Emmanuel Macron. Contrairement à
ceux qui sont en marche vers leur propre néant, il met en avant les ruines du passé, un autre
lieu, il s’accroche à la possibilité utopique d’élaborer encore, depuis notre fond gréco-
occidental, une transmission qui ne soit pas simplement une soumission au présent. En ce
sens, son discours touche nécessairement tous ceux qui ont encore suffisamment de jugeote
pour comprendre que les progressistes du jour font désormais commerce de
l’uniformatisation et de la désintégration du monde commun sous couvert d’un
jugement éclairé pour rembourser la dette. Ce en quoi Emmanuel Macron, la fausse queue,
devrait être ciblé comme le véritable ennemi de la démocratie. Au lieu de cela, il en devient
le héros, sous les coups répétés d’une mise en spectacle médiatique devenue l’ennemi mortel
de la pensée.