Mélenchon, derrière l'homme le projet. Dominique Seux, Les Échos. Le 11/04
La formule est connue pour définir ce qu'est l'élection présidentielle française : c'est la rencontre
d'un homme ou d'une femme et d'un peuple. Le risque est que le projet disparaisse derrière le
profil. Depuis peu, Jean-Luc Mélenchon a policé son image, on ne chante plus « L'Internationale »
dans ses meetings, son site Internet est séduisant en diable, et voilà qu'un courant se dessine en sa
faveur. Hier relégué par les sondages bien au- dessous de Benoît Hamon, il engrange désormais le
double du score du candidat socialiste. Sa veste d'instituteur rassure, dit-on, les images ensoleillées
de la Canebière, dimanche, sont tombées à pic le même jour qu'une enquête d'opinion favorable, et
cela a suffi pour qu'une idée s'installe : le héraut de La France insoumise est un candidat
« normal », juste un peu plus à gauche que les autres. Il est temps, vraiment temps, que les yeux se
dessillent. Jean-Luc Mélenchon défend un projet insensé que peu de gens ont apparemment lu. En
politique étrangère, son anti-américanisme est aussi fort que son engouement pour la Russie et le
Venezuela. En économie, il manie les centaines de milliards d'euros quand d'autres se contentent
de chiffres avec un zéro. Avec lui, les dépenses nouvelles ordinaires grimperaient de 173 milliards
(évaluation minimaliste), avec, en sus, un plan d'investissement de 100 milliards. Les dépenses
publiques, déjà supérieures à 55 % du PIB aujourd'hui, franchiraient donc la barre des 60 % - avec
quelques économies comme rien de moins que l'arrêt des subventions à l'enseignement privé. Peut-
être un record mondial, à coup sûr un record parmi les pays développés. Les prélèvements
obligatoires bondiraient, eux aussi, nettement, et pas seulement avec une imposition à 90 % des
plus hauts revenus, ce qui est bien plus sévère que ce qu'avait mis en oeuvre Roosevelt dans les
années 1940.
Cette vision hydraulique de la politique économique, qui fait croire qu'il suffit d'injecter de l'argent
public pour qu'il en sorte de la croissance et de l'emploi, est si répandue en France qu'elle ne
surprend presque plus, hélas. Depuis trente ans elle a échoué, mais elle continue de perdurer. Le
candidat insoumis y ajoute une nouveauté pour faire croire que cette fois cela va marcher : la sortie
de l'euro. Car il ne faut pas s'y tromper. Les conditions que Jean-Luc Mélenchon pose au maintien
de la monnaie unique sont telles (reprise en main politique de la BCE, capacité pour les banques
centrales de financer directement la dette publique) qu'elles ne sont pas acceptables par notre
grand partenaire qu'est l'Allemagne, qui a la stabilité monétaire et l'autonomie de la politique
monétaire dans son ADN depuis l'hyperinflation d'avant-guerre.
Reposant sur une double illusion économique, ce projet radical aurait le même destin que le
Programme commun de 1981 : l'échec.