Analyse des liens entre la crise financière et l`État américain

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 Analyse des liens entre la crise financière et l’État américain Christian Roy – 11071862 (Finance) Travail présenté à Yves‐Marie Abraham et Benoît Pépin Dans le cadre du cours Économie et organisation de l’entreprise (6‐001‐76) Section J‐03 Lundi 15 décembre 2008 Table des matières 1. Introduction ........................................................................................................................................................... 3 2. Cadre théorique ..................................................................................................................................................... 4 2.1 Laissez‐faire ...................................................................................................................................................... 4 2.1.1 Adam Smith ............................................................................................................................................... 4 2.1.2 Théorie du choix public ............................................................................................................................. 4 2.2 Interventionnisme............................................................................................................................................ 5 2.2.1 John Maynard Keynes ............................................................................................................................... 5 2.2.2 Richard Musgrave ..................................................................................................................................... 6 3. Analyse des liens entre la crise financière et le rôle de l’État américain .............................................................. 7 3.1 Laissez‐faire ...................................................................................................................................................... 8 3.2 Interventionnisme.......................................................................................................................................... 10 4. Conclusion ............................................................................................................................................................ 11 5. Bibliographie ........................................................................................................................................................ 12 2
1. Introduction La crise financière qui sévit présentement à l’échelle planétaire entraîne des conséquences importantes
dans la vie de millions d’individus qui perdent leur emploi ou voient leur caisse de retraite fondre à vue
d’œil. Certains analystes et politiciens prétendent que nous assistons à la fin du néo-libéralisme
(BAUMEL, 2008). D’autres, comme le président français Nicolas Sarkozy, proposent plutôt de refonder
le système capitaliste sur de nouvelles bases (THORNHILL, 2008). Devant cette conjoncture
inquiétante, la recherche des origines de cette crise devient plus que jamais une question pertinente afin
d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Nous nous proposons ainsi d’étudier les causes de la
crise financière actuelle en mettant l’accent sur le rôle joué par l’État américain.
Nous chercherons notamment à analyser dans quelle mesure l’État américain peut être tenu responsable
de la crise financière actuelle. Le cadre théorique introduira les deux pôles entre lesquels l’État se situe
normalement dans un contexte capitaliste, soit le laissez-faire et l’interventionnisme. L’analyse causale
n’aura pas pour objectif d’identifier lequel des deux modèles est supérieur à l’autre. Une telle réponse
normative n’est pas le but recherché puisque l’étude des faits nous mènera à des conclusions différentes
selon le point de vue théorique adopté.
Un parallèle peut ainsi être dressé avec la crise financière de 1929. De nombreux économistes, dont John
Maynard Keynes, ont longtemps affirmé que le laissez-faire économique, qui était la norme dans les
années 1920, avait mis en place des conditions propices à la dépression qui allait s’abattre au cours de la
décennie suivante. D’autres, comme Milton Friedman, croient plutôt que la réaction démesurée du
gouvernement suite à la crise financière et l’excès d’interventions sur la politique monétaire et sur la
réglementation du système de crédit a contribué à plonger les États-Unis dans un long marasme
économique. Encore aujourd’hui, le débat fait rage parmi les historiens et les économistes du monde
entier. Même s’il est presque impossible d’arriver à une réponse claire, nous considérons néanmoins
qu’une telle analyse est justifiée pour éviter de répéter les mêmes erreurs ultérieurement.
3
2. Cadre théorique 2.1 Laissez­faire Les adeptes du laissez-faire préconisent un rôle minimal de l’État, qui devrait intervenir le moins
possible dans les affaires courantes de la société. Au fil des ans, la doctrine du laissez-faire a été associée
au libéralisme économique. Les partisans du laissez-faire sont habituellement en faveur de la
déréglementation ainsi que de la privatisation de plusieurs secteurs de l’économie. Selon Bruno Amable,
il existerait cinq différents types de capitalisme (2005 : pp. 23-26). En se basant sur la typologie qu’il
propose et en adoptant le point de vue du rôle de l’État, on constate que le modèle libéral de marché
correspond davantage au laissez-faire alors que le modèle social-démocrate se rapproche plutôt de
l’interventionnisme. Parmi les pays de l’OCDE qui font partie de son étude, les États-Unis, le RoyaumeUni, le Canada et l’Australie sont liés au modèle libéral de marché, dit « décentralisé », alors que la
Suède, la Finlande et le Danemark sont pour leur part des représentants du modèle social-démocrate
(AMABLE, 2005 : p.29-32). Sur la base de cette typologie, on peut affirmer que le rôle traditionnel de
l’État américain se rapproche davantage du laissez-faire.
2.1.1 Adam Smith Adam Smith identifie principalement trois secteurs dans lesquels l’État doit jouer un rôle de premier
plan : la défense militaire de la nation, l’administration de la justice ainsi que les travaux publics. Les
deux premiers secteurs visent avant tout à assurer la stabilité sociale, qui est une condition essentielle au
développement et au maintien d’un environnement commercial florissant. Le troisième secteur, composé
des travaux publics et de l’éducation, joue également un rôle important dans l’activité économique d’une
nation (SMITH, 1776 : Livre V, chapitre I). Smith considère que ces secteurs doivent être sous un
contrôle étatique puisque le marché ne pourrait s’occuper seul de ces tâches, notamment en raison du fait
qu’ils ne sont pas profitables.
2.1.2 Théorie du choix public La théorie du choix public, développée par les économistes James Buchanan et Gordon Tullock, prétend
que les agents qui œuvrent au sein des gouvernements agissent de la même façon que ceux œuvrant dans
la sphère économique. Tullock affirme ainsi que : « Politicians can be expected to act in such a way as
to maximise their own well-being in terms of re-election prospects» (TULLOCK, 2000: p.6). Les bases
de cette théorie du rôle de l’État permettent à Tullock d’arriver à la conclusion que le rôle de l’État doit
être limité, voire minimisé. Les théoriciens du choix public préconisent ainsi une comparaison
systématique entre le marché et le gouvernement dans le but d’identifier le meilleur moyen de fournir un
service spécifique à la population.
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Cette application de la théorie du choix public à l’évaluation du rôle de l’État mène dans bien des cas au
phénomène de la sous-traitance : « Many government agencies can be contracted out instead of run by
government agencies » (2000 : p.16). Une seconde conséquence de la théorie des choix publics est la
déréglementation : « Regulatory agencies might make the market work less well » (2000 : p.13). Enfin, la
décentralisation est la troisième conséquence de l’application de la théorie du choix public à la question
du rôle de l’État. Tullock écrit ainsi que : « Most public choice students are in favour of much more
decentralisation of government » (2000: p.14).
2.2 Interventionnisme L’interventionnisme est une doctrine économique et politique qui préconise, comme son nom l’indique,
l’intervention de l’État afin de protéger et de soutenir l’économie. Pour un gouvernement, il existe de
nombreux leviers qui permettent d'avoir un effet sur l’économie. Par exemple, la réglementation du
travail par le biais du salaire minimum ou encore la réglementation du commerce par l’imposition de
normes plus ou moins sévères. Les tarifs douaniers constituent aussi une autre façon pour un État
d’intervenir dans l’économie en protégeant les industries locales de la concurrence étrangère. Il est
également possible pour un gouvernement de jouer un rôle actif dans l’identification de secteurs
prioritaires. Cette idée a été théorisée par Michael Porter en 1990 sous le nom de grappes industrielles
dans son ouvrage intitulé The Competitive Advantage of Nations. Au Québec, on a longtemps misé sur ce
type d’interventions en mettant l’accent sur un certain nombre d’industries prometteuses telles que
l’aéronautique et la biotechnologie, via, notamment, les subventions accordées à Bombardier et aux
multiples sociétés pharmaceutiques installées dans la couronne nord de Montréal.
Une autre façon pour un gouvernement de jouer un rôle important dans l’économie est de mener un
politique monétaire et budgétaire vigoureuse. Des mesures de ce type peuvent être conjoncturelles et
contre-cycliques afin de stimuler et protéger l’économie. Cette forme d’interventionnisme, qui cadre bien
dans un modèle libéral de marché, fera l’objet d’une description plus détaillée dans la section qui porte
sur John Maynard Keynes. Enfin, une des formes les plus fortes d’interventionnisme est souvent
désignée par le concept de l’État providence. Un État providence intervient par exemple sur la
redistribution des revenus et en mettant en place un important filet social. Ce type d’interventionnisme
est généralement associé au modèle social-démocrate.
2.2.1 John Maynard Keynes John Maynard Keynes est un des premiers économistes à promouvoir l’intervention du gouvernement
central pour mener des politiques monétaires et budgétaires conjoncturelles en fonction de la situation
économique. Il est souvent considéré comme étant le père de la macroéconomie. Pour lui, la mission
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principale de l’État est de diriger les forces économiques dans l’intérêt de la stabilité sociale et de la
justice, ce qui se rapproche en quelque sorte de la vision d’Adam Smith. Dans son essai intitulé The End
of Laissez-faire, publié en 1926, il présente le fruit de ses réflexions sur la doctrine du laissez-faire en
prédisant une transition prochaine vers une forme d’interventionnisme dans un contexte de libéralisme. Il
écrit ainsi que : « The important thing for government is not to do things which individuals are doing
already, and to do them a little better or a little worse; but to do those things which at present are not
done at all » (KEYNES, 1926: Section IV, Chapitre 2). En ce sens, il rejoint là aussi la pensée de Smith
qui croyait que l’État ne devait fournir un service que lorsque le marché n’était pas en mesure de le faire.
Keynes identifie principalement deux rôles que devrait jouer l'État. D’une part, l’État devrait contrôler le
crédit et la monnaie à l’aide d’une politique monétaire bien établie. D’autre part, il devrait être
responsable de déterminer un niveau d’épargne et d’investissement approprié à la situation économique :
« En ce qui concerne la propension à consommer, l'État sera conduit à exercer sur elle une influence
directrice par sa politique fiscale, par la détermination du taux de l'intérêt, et peut-être aussi par
d'autres moyens » (KEYNES, 1936 : Chapitre XXIV, section III).
2.2.2 Richard Musgrave Richard Musgrave, important économiste américain, a examiné le rôle que devrait occuper l’État dans
son ouvrage paru en 1959 qui s’intitule Theory of Public Finance. Selon lui, l’État doit être un acteur
économique prépondérant afin de rectifier les trop nombreuses défaillances du marché. Pour s’acquitter
de cette responsabilité, l’État devrait être caractérisé par un triple rôle : allocation des ressources,
redistribution des revenus et stabilisation macroéconomique (MUSGRAVE, 1987).
Ainsi, dans un premier temps, l’État devrait être responsable de l’allocation des ressources productives.
Pour atteindre des objectifs économiques ou sociaux différents de ceux que viserait normalement le
marché, l’État doit intervenir de manière à corriger la situation. Dans un second temps, l’État doit avoir
pour mission de redistribuer les revenus dans une optique de justice sociale. À l’aide de la fiscalité, l’État
est ainsi en mesure de modifier la répartition de la richesse dans le but d’atteindre une distribution plus
équitable. Il est à noter que cet objectif est souvent associé au modèle social-démocrate. Finalement, le
troisième rôle identifié par Musgrave est celui de la stabilisation économique à l’aide de politiques
monétaires et budgétaires. Ce dernier rôle est semblable aux mesures proposées par Keynes dans son
ouvrage Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Cette stabilisation vise à soutenir la
croissance économique en favorisant la création d’emplois et en assurant la stabilité des prix pour les
consommateurs.
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3. Analyse des liens entre la crise financière et le rôle de l’État américain Plusieurs causes ont été avancées au cours des derniers mois pour expliquer l’effondrement des marchés
boursiers du monde entier. Bien qu’il soit difficile d’analyser un événement de cette complexité avec
aussi peu de recul, nous nous proposons de mettre en lumière les causes qui ont un lien avec le rôle joué
par l’État américain au cours des dernières années. Bien entendu, l’ensemble des causes ne peut être
directement lié au rôle de l’État. Plusieurs autres facteurs permettent d’expliquer et de comprendre
l’origine de la crise financière qui secoue présentement le capitalisme à l’échelle mondiale.
Parmi les autres raisons qui sont parfois évoquées pour expliquer une crise financière, on mentionne
souvent la spéculation et l’appât du gain qui font en sorte qu’un grand nombre d’investisseurs cessent
d’analyser rationnellement la situation (GALBRAITH, 1955 : p.16 ; SOBEL, 1988 : p.356). Ainsi,
devant la possibilité de rater de belles occasions d’investissement, ce qui peut signifier la perte de profits
potentiels mirobolants, une grande quantité d’investisseurs posent des gestes irréfléchis et irrationnels,
allant ainsi à l’encontre de l’hypothèse de l’efficience des marchés.
Une autre cause souvent avancée pour expliquer la crise et qui n’a pas de lien avec le rôle du
gouvernement est celle de l’incompétence des agences de cotation du crédit (FELSENTHAL, 2008). En
effet, ces agences ont pour mandat d’attribuer une cote à des titres de dette en fonction de leur risque de
défaut. Les principales agences, soient Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, ont incorrectement évalué
les prêts hypothécaires adossés à des actifs immobiliers. Étant donné la nature particulièrement complexe
de ce type de produit financier, il semble que les professionnels à l’emploi de ces agences ont éprouvé de
grandes difficultés à attribuer une cotation qui reflétait réellement le niveau de risque du titre.
Conséquemment, ces agences n’ont pas été en mesure d’estimer avec précision le niveau de corrélation
entre les différents actifs financiers. Ils ont cru, à tort, que l’effondrement total du marché immobilier
présentait une probabilité très faible, voire nulle, de se produire. C’est donc pour cette raison qu’ils ont
attribué à des titres de dettes qui sont maintenant considérées comme étant « toxiques » des cotes
pourtant généralement associées avec des actifs présentant très peu de risques (FELSENTHAL, 2008). La majorité des experts s’entendent pour dire que la crise a réellement débuté lorsque le marché
hypothécaire s’est effondré aux États-Unis (KATZ et KATZ, 2008 ; FELSENTHAL, 2008). Dans les
sections qui suivent, nous étudierons d’abord les causes qui sont liées à un État qui agit sur la base du
laissez-faire. Ensuite, nous nous pencherons sur les causes qui sont davantage associées à des
interventions malheureuses du gouvernement américain. Notre analyse entend montrer que les actions
tout comme l’inaction du gouvernement ont contribué à créer la bulle immobilière qui a si brusquement
et violemment éclaté à l’été 2007. 7
3.1 Laissez­faire Une raison souvent évoquée pour expliquer la crise financière est l’absence de mise à jour du cadre
réglementaire aux États-Unis. En effet, depuis la crise financière des années 1930 et la mise en place
d’une réglementation visant notamment à empêcher qu’une telle situation se reproduise, bien peu de
modifications ont été apportées à ce cadre. Même le président George W. Bush, qui est pourtant
généralement associé au laissez-faire plutôt qu’à l’interventionnisme, a convenu que la réglementation
américaine était déficiente et dépassée : « Once this crisis is resolved, there will be time to update our
financial regulatory structures. Our 21st century global economy remains regulated largely by outdated
20th century laws » (BUSH, 2008). L’ancien président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, a
reconnu pour sa part devant le Congrès américain qu’il avait eu « partiellement » tort de croire que le
secteur financier était en mesure de s’autoréguler et que l’idéologie du laissez-faire qui avait guidé ses
actions tout au long de sa vie d’économiste comportait des failles dont il ne soupçonnait pas l’existence.
Il a aussi admis s’être « partiellement » trompé en s’opposant à la réglementation des produits dérivés.
Au cours du XXe siècle, le monde de la finance a vu l’apparition de produits financiers de plus en plus
complexes. Il est ironique de constater qu’on désignait avant la crise ces innovations comme étant des
produits sophistiqués. On célébrait alors les fonds de spéculation (« hedge funds ») pour leur habileté à
employer ces nouveaux produits afin de générer des rendements excédentaires très importants. Depuis
peu, un glissement sémantique s’est opéré et ces types d’instruments financiers sont maintenant
considérés comme étant des produits opaques et nébuleux. Par exemple, des produits dont l’origine
provient de la titrisation, qui est un procédé qui consiste à transférer à des investisseurs des créances en
les transformant en titres qui sont ensuite vendus sur les marchés financiers (BUCHAN, 2008, p.3), ont
pu échapper à toute forme de réglementation majeure.
Plusieurs produits financiers qui échappent à la réglementation gouvernementale sont présentement
utilisés par les institutions financières. En effet, la vaste majorité de la réglementation américaine
remonte au début des années 1930. À cette époque furent adoptés le Securities Act en 1933 et le
Securites Exchange Act en 1934 (ANAND, 2007 : p.6). Le Securities Act avait pour but de réinstaurer la
confiance des investisseurs dans les marchés boursiers en exigeant que toutes les entreprises cotées en
bourse divulguent leur information financière au public (ANAND, 2007 : p.6). Quant au Securities
Exchange Act, celui-ci établissait la Securities and Exchange Commission (SEC) (OSLON, 1999 : p.29 ;
WYATT, 1988 : p.20). Cet organisme fédéral américain fut créé dans le but de réglementer le secteur
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financier, notamment en encadrant la pratique des comptables via l’établissement de normes comptables
et de vérification des compagnies publiques (HUSSEY et ONG, 2005 : p.30).
Récemment, la SEC a souligné que l’autorégulation du secteur bancaire, qui est souvent prôné par des
adeptes du laissez-faire tels que les théoriciens du choix public, avait contribué à l’ampleur de la crise
(LABATON, 2008). À partir de 2004, la SEC a donné l’autorisation aux banques d’affaires d’augmenter
considérablement leur niveau d’endettement, ce qu’elles se sont empressées de faire en surpondérant
l’allocation de leur passif vers des titres adossés à des actifs hypothécaires qui offraient un rendement
légèrement supérieur à celui de titres sans risque tels que des bons du Trésor.
En plus de la réglementation qui n’était pas suffisamment à jour et qui ne tenait pas compte des
nouveaux produits financiers sur le marché tels que le papier commercial ou les produits dérivés
(options, swaps, futures, etc.), une autre cause connexe souvent avancée est celle de la déréglementation.
En effet, en plus de ne pas avoir actualisé le cadre réglementaire du secteur financier, les législateurs
américains ont assoupli le Glass-Steagall Act qui avait été introduit en 1933 afin d’encadrer le secteur
bancaire (FDIC, 2008). En 1999, le gouvernement américain a adopté le Gramm-Leach-Bliley Act (ciaprès GLBA), permettant ainsi aux banques d’affaires et aux banques commerciales de fusionner pour
consolider leurs activités, ce qui était strictement interdit auparavant (KUTTNER, 2007 ; LABATON,
2008). Les milieux associés à la gauche américaine ont vertement critiqué le GLBA puisqu’il a permis la
création d’institutions financières dont la taille est énorme (COWEN, 2008). Cela dit, le GLBA a permis
aux banques d’affaires, telles que JP Morgan Chase et Bank of America, qui ont consolidé leurs activités
avec des banques commerciales, de passer au travers de la tempête boursière alors que d’autres banques
d’affaires, telles que Bear Sterns et Lehman Brothers, qui demeuraient jusque là indépendantes, ont
disparu au cours de l’année 2008. En effet, en permettant aux institutions financières de se diversifier, le
GLBA a renforcé ces grandes institutions financières, les rendant beaucoup moins vulnérables aux
soubresauts des marchés financiers mondiaux (COWEN, 2008).
Un autre élément qui refait souvent surface comme étant une des causes de cette crise se rapporte à la
divulgation de l’information financière, principalement en ce qui a trait aux normes comptables
(BREWSTER, 2003 : p.234). Ces critiques se rapportent à trois principaux éléments : la comptabilité à la
juste valeur, la présentation et la comptabilisation des instruments financiers, ainsi que la lenteur des
autorités normalisatrices à réagir aux nouveautés et à émettre des normes pour répondre aux nouvelles
réalités. Cela dit, les plus vifs reproches se rapportent à la comptabilité à la juste valeur. Puisque
l’utilisation de cette forme de comptabilité permettait à de nombreuses entreprises de comptabiliser
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certains revenus plus rapidement, bon nombre de dirigeants d’entreprises ont vanté massivement les
mérites de la comptabilité à la juste valeur pendant plusieurs années (BENSTON et al., p.8 ;
BREWSTER, 2003 : p.229). Par contre, le contexte économique actuel a radicalement transformé le
point de vue des dirigeants des grandes institutions financières internationales et ceux-ci ont abruptement
fait volte-face. Ces piliers de la finance mondiale affirment maintenant que cette pratique comptable
constitue un des fondements majeurs de la crise économique actuelle et contribue grandement à sa
sévérité en les forçant à dévaluer plusieurs de leurs actifs afin de les ramener à leur juste valeur.
3.2 Interventionnisme Les causes associées au laissez-faire sont évoquées beaucoup plus souvent que celles qui font référence à
l’interventionnisme, mais on retrouve un nombre important d’analystes et de commentateurs qui croient
que certaines actions du gouvernement américain ont causé ou aggravé la crise financière qui sévit à
l’échelle planétaire.
Par exemple, le Community Reinvestment Act, qui a été adopté en 1977 et renforcé par Bill Clinton dans
les années 1990, oblige les banques à fournir du crédit à l’ensemble de la communauté sans
discrimination (FFIEC, 2008). En fait, cette loi a pour but d’éliminer les pratiques des banques qui
excluaient systématiquement les demandes de prêts des résidents qui habitaient certains quartiers moins
favorisés sans égard à leur situation financière. Par contre, les détracteurs de cette loi croient qu’elle a
encouragé les institutions financières à accorder des prêts hypothécaires à des emprunteurs qui n’avaient
pourtant pas la solvabilité requise pour supporter de tels prêts (LIEBOWITZ, 2008).
D’autres commentateurs de la crise actuelle croient plutôt que les actions passées de la Réserve fédérale
américaine ont pu contribuer à l’apparition d’aléas moraux chez certains intervenants du marché
(BROWN, 2008). Par exemple, en 1998, la Réserve est venue au secours du fonds spéculatif Long-Term
Capital Management qui était pourtant dans une situation critique et était menacée par la faillite suite à
de nombreuses décisions douteuses basées sur une prise de risque inconsidérée (McCool, 2000 : p.14).
Selon plusieurs, il est possible de croire que cette action du gouvernement, ainsi que d’autres sauvetages
tels que celui de Bear Sterns au début de 2008, a pu contribuer à donner aux administrateurs de grandes
institutions financières l’impression que le gouvernement serait toujours là pour les aider advenant une
situation difficile. Cela les aurait ensuite incités à prendre des risques beaucoup trop grands. Selon les
adeptes de cette théorie, l’État aurait dû laisser disparaître les entreprises qui étaient mal gérées, quitte à
nuire temporairement à l’économie, afin de faire en sorte que les autres institutions soient plus prudentes
avec le risque associé à certains titres financiers.
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4. Conclusion Ainsi, après des années de laissez-faire, nous devons nous demander si nous allons maintenant assister à
un retour en force de l’interventionnisme. En effet, les représentants du gouvernement américain et de
ses nombreuses autorités réglementaires risquent fort bien de vouloir se présenter auprès de la population
comme étant des hommes et des femmes d’action qui interviennent pour le bien de tous. Ces efforts sont
louables, mais il est préférable d’être prudent afin d’éviter que cet important retour du balancier à propos
de la réglementation soit disproportionné. Par exemple, une intervention trop sévère pourrait entraîner la
mise en place de mesures inefficaces et qui pourraient même s’avérer contreproductives.
Déjà, l’interventionnisme étatique semble effectuer un vif retour aux États-Unis, comme en témoignent
les actions prises récemment par le gouvernement américain. Ce dernier est maintenant un important
actionnaire de plusieurs grandes institutions américaines, dont plusieurs banques et compagnies
d’assurance. De plus, le gouvernement américain vient aussi d’annoncer qu’il portera secours à
l’industrie automobile du pays.
Avec l’arrivée de Barack Obama, qui est connu pour son penchant protectionniste, à la présidence des
États-Unis, il reste à voir jusqu’à quel point le vent d’interventionnisme soufflera sur ce pays. Puisque
les répercussions de ces nouvelles mesures seront ressenties partout à travers le globe, il est donc à
souhaiter qu’elles soient bien réfléchies.
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