Disparitions
Jacques Barzun
L’éminent spécialiste de Berlioz s’est éteint le 25 octobre dernier, à San Antonio,
Texas, dans sa 105
e
année. Nous publions ci-dessous le témoignage de pénétrante
affection de notre ami Hugh Macdonald.
Au milieu des années soixante, Jacques Barzun fit, à ma grande joie, un
séjour en tant que chercheur invité à Churchill College, Cambridge (où il
côtoya un autre grand historien des idées, Georges Steiner). Venant alors
d’être nommé assistant à Pembroke College, j’avais le privilège d’inviter un
hôte à la fête annuelle du collège. Je n’oublierai pas les regards d’admiration
et de stupéfaction lorsque je présentai, comme mon hôte, l’un des plus grands
intellectuels, des plus grands maîtres de l’Occident, connu au moins de nom
et de réputation de nombre de mes collègues de la table d’honneur. Jacques
fut, comme toujours, un modèle de courtoisie et de modestie, et la
conversation, ce soir-là, d’un raffinement, d’une érudition et d’un charme que
les vieilles universités sont toujours censées cultiver, mais qu’elles pratiquent
bien trop rarement.
Admirateur enthousiaste de Berlioz, depuis Les Troyens de 1958 à Covent
Garden (je ne puis prétendre, hélas, avoir appartenu au club de 1957), je
connaissais bien la colossale biographie en deux volumes de Jacques. Mon
exemplaire porte la date du 30 mai 1959, journée riche en sensations fortes,
car, le livre étant déjà épuisé, j’avais dû faire les bouquinistes pour le trouver.
Jusque là je n’avais lu aucun livre qui traitât son sujet de manière aussi large
et pourtant aussi exhaustive, ouvrant des champs pour la compréhension de la
culture et de la musique, dont je n’avais pas auparavant la moindre idée. On
peut ouvrir le livre à n’importe quelle page et trouver des idées et des
suggestions stimulantes et enrichissantes. Son abondante bibliographie
incitait à trouver et à lire tous ces autres livres. C’est elle qui a guidé mes
premières recherches sur Roméo et Juliette, La Damnation de Faust et les
autres œuvres, grandes et petites.
Je me suis permis d’écrire à Jacques peu après, ou du moins lorsque j’ai
estimé avoir acquis une connaissance suffisante de notre sujet. Sa
correspondance a toujours été, comme l’ont signalé beaucoup d’autres, une
source de joie et d’enseignement et un modèle d’échange intellectuel