POUR LA CREATION D’UNE FILIERE DU GAZ NATUREL LIQUEFIE Par Eric BANEL, Délégué général d’Armateurs de France C’est une véritable décennie environnementale que viennent de vivre le transport et les services maritimes. En 15 ans, le nombre de pollutions par hydrocarbure a ainsi été réduit de 90%. En la matière, il convient de souligner l’action décisive de l’Union européenne à la suite de l’Erika en 1999. Intégrés en droit français, les « paquets Erika » ont en effet permis d’agir sur l’ensemble de la chaîne (le navire avec l’exemple des doubles coques, l’assureur, la société de classification et les Etats du port et du pavillon). Aux yeux des armateurs français, particulièrement en pointe sur ce sujet comme sur celui de la sécurité, cette évolution est tout à fait bénéfique. La raison en est simple : la compétitivité de notre filière passe par la qualité de nos prestations, y compris (et surtout !) en matière environnementale. Un cadre international unifié sur cet aspect est donc gage d’une loyale concurrence. Aujourd’hui, le monde du shipping doit relever un défi supplémentaire : celui d’une nouvelle réduction des émissions de soufre. Depuis 2006, des efforts sans précédent ont déjà été réalisés par la communauté internationale des armateurs puisqu’elle est parvenue à réduire de 80% ses émissions de soufre. Une performance industrielle et environnementale quasi unique dans le monde des transports ! C’est l’annexe VI de la Convention Marpol, élaborée dans le cadre de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), qui organise la réduction progressive des teneurs en soufre des combustibles. Dans les Sulphur Emission Control Areas (Manche, Baltique et mer du Nord), nous sommes passés en de 1 .5% à 1% en 2010. Hors SECAs, le taux est passé de 4.5% à 3.5% en 2012. Avec un nouveau challenge en ligne de mire : limiter ce taux à 0.1% dans les SECAs dès 2015, et à 0.5% en 2020 hors des SECAs. Si les armateurs ne contestent aucunement ce nouvel effort dans son principe, ils sont confrontés à une difficulté majeure : son calendrier d’application. En effet, ces nouveaux taux à horizon 2015 et 2020 ne s'appliquent pas seulement aux navires neufs, comme c'est le cas habituellement pour ce type de réglementation, mais également à tous les navires existants, quel que soit leur âge ou leurs spécificités. Les équipements attendus pour appliquer cette nouvelle réglementation ne sont pas disponibles ou très coûteux, et le prix du carburant proposé à 0,1% est deux fois plus cher que le carburant utilisé aujourd’hui. Le calendrier actuel menace ainsi l’activité et l’emploi des entreprises françaises opérant à partir de la Bretagne, de la Normandie ou du Nord-Pas-de-Calais. Face à cette périlleuse situation, les armateurs français font preuve d’une capacité de rebond tout à fait remarquable. Soucieux de respecter la réglementation tout en préservant l’emploi et la compétitivité de leur filière, notamment pour ce qui concerne l’activité des ferries du nord et de l’ouest de la France, les armateurs se tournent désormais vers le Gaz Naturel Liquéfié (GNL). Considéré comme LE carburant d’avenir pour le transport maritime, le GNL représente déjà 30 % des échanges gaziers mondiaux, avec une progression de 7 % par an. Il symbolise surtout l’archétype du carburant « vert » pour le transport maritime : il élimine les émissions de soufre et d’oxyde d’azote et réduit les émissions de CO2 d’environ 20% ! En outre, sur l’ensemble des solutions ou carburants alternatifs proposés, le GNL permettrait 10 à 30% d’économies supplémentaires. Qui dit carburant d’avenir, dit adaptation des équipements et des technologies tant sur les navires (changement des moteurs et des réservoirs des flottes) que dans les ports (mise en place d’infrastructures adéquates pour accueillir les navires propulsés au GNL). Le monde armatorial a accompagné depuis toujours l’Histoire du commerce mondial. Sa capacité à s’adapter à de nouvelles contraintes, voire à les anticiper n’est plus à démontrer. Cet esprit combatif et inventif est bien entendu un atout précieux quand il s’agit de soutenir le développement de technologies nouvelles. C’est précisément ce que font aujourd’hui les armateurs avec le GNL. Plaidant pour la poursuite de la dynamique initiée par la mission de coordination conduite par JeanFrançois JOUFFRAY, Emploi du GNL sur les navires, les armateurs français ont d’ores et déjà entrepris des expérimentations en matière de GNL. Ainsi, la compagnie BRITTANY FERRIES a lancé, dans le port de Roscoff, des tests d’alimentation de ferries par l’emploi de différents modes : par soutage, par camions citernes, par approvisionnement par stockage fixe terrestre avec canalisation cryogénique, ou enfin par navires ravitailleurs. Sur ce dernier mode, le groupe GDF Suez souhaite quant à lui développer le marché émergent du GNL « de détail ». Un monde où le gaz liquéfié se transporte en petites quantités : par petits méthaniers ou par camions de 40 m3. Ces petits volumes sont destinés à de nouveaux usages du GNL, notamment comme carburant. Le transport maritime étant perçu comme le marché le plus prometteur, le groupe développe un projet de navire d'avitaillement en GNL, qui permettrait d’approvisionner des navires arrivant ou repartant d'un port. Pour développer de telles initiatives, il est urgent de clarifier les financements que peuvent apporter les différents programmes européens (RTE-T - réseau transeuropéen de transport, Marco Polo ou FEDER - Fonds européen de développement régional) au développement des nouvelles infrastructures. De même, il convient que l'Etat et les collectivités s'engagent à soutenir la conversion ou l’achat de navires propulsés au GNL. Sans engagement financier conséquent de la part de la France, similaire à l’effort que vient de consentir la Finlande pour son industrie, le passage au GNL restera théorique. Un investissement significatif des Etats et de l’Union européenne semble la condition sine qua non pour concrétiser une « filière GNL », associant efficacement tous les acteurs de la chaîne logistique liée au transport maritime (les ports, les entreprises gazières, les industries de construction navale…). C’est la constitution rapide de cette filière que les armateurs français et européens appellent de leurs vœux et pour laquelle ils œuvrent activement !