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logique, révolte, poésie, désordre, pulsions. Précisément, les guerriers de la beauté
ont-ils pour mission de
modifier au moins durant le temps du spectacle, l’ordre des choses, de porter la vie à son point d’incandescence,
de stimuler et guérir
le spectateur, et notamment de lui faire vivre une expérience sensible, un choc lui
permettant d’échapper à la rationalité sociale. Cette notion d’expérience
est fondamentale chez Fabre ; c’est
par elle qu’il souhaite éveiller le spectateur, susciter chez lui une révélation, lui permettre de côtoyer la liberté. Et
ses pièces sont construites dans cette optique.
L’examen de la version publié du Pouvoir des folies théâtrales
est à ce titre révélateur. Bien que l’on ne soit pas
dans le mimodrame, la pièce comporte très peu de fragments parlés pour les 15 personnages eux-mêmes
désignés par des numéros ( acteur 1, acteur 2, acteur 3, acteur 4, etc.), une quasi absence de dialogues, des
insertions nombreuses d’extraits d’opéras ( Salomé de R. Strauss, Tristan et Isolde de R. Wagner, Electre de R.
Strauss, Carmen de G. Bizet, etc.), et surtout un texte majoritairement composé de didascalies tantôt intra-, tantôt
extradiégétiques, mais toujours d’un précision extrême : « L’Actrice 2 entre en scène par la droite. Elle marche en
ligne droite vers l’avant, prend un virage serré vers la gauche et traverse la scène en ligne droite, entre la rangée
d’ampoules 15 à 18 et la rangée d’ampoules 19 à 23. Elle va se placer à l’extrême gauche, face au public, dans
une posture neutre. (…) ». Il est évident que parmi les six fonctions définies par Anne Ubersfeld
comme
pertinentes dans le langage théâtral, chez Fabre, certaines dominent : la fonction poétique (qui met ici l’accent
sur le sensible grâce à l’utilisation de symboles ou de répétitions, par exemple), la fonction émotive (qui fait de la
représentation une véritable expérience), et la fonction métalinguistique (références constantes au théâtre, à ses
codes). Plus précisément il semble tout à fait pertinent d’étudier la transtextualité du Pouvoir des folies théâtrales
puisque s’y entremêlent références, citations, allusions etc. : références à des extraits d’opéras, citations et
évocations explicites des figures marquantes de l’histoire de l’art et de la mise en scène occidentale
(Aristophane
, Le Tasse, Molière, Beckett, Beuys ,Grotowski, Barrault, Wilson, Mnouchkine, Müller, Jourdheuil
…), accompagnées de projections de tableaux ; et enfin allusions, puisqu’en filigrane Fabre rend hommage au
Gesamtkunstwerk de Wagner via l’ Anneau des Nibelungen
, et se cite lui-même s’érigeant alors comme
créateur
d’un nouveau genre théâtral à travers sa propre pièce – précédente - : C’est du théâtre comme c’est à
espérer et à prévoir (1982).
Il est évident que le texte du Pouvoir des folies théâtrales - comme d’autres textes de théâtre postmoderne par
ailleurs - ne peut trouver réellement sa concrétisation que par le biais de la mise en scène et par la réception du
public. Il s’en explique lui-même : « Les textes écrits contiennent la promesse qu’ils peuvent être contaminés par
la voie de la parole. J’aime des choses qui se contaminent. Ainsi se créent des ouvertures nouvelles. Les
guerriers de la beauté et ma mise en scène, confèrent aux mots écrits de l’intonation, de l’expression et de
l’espace. »
Le rythme, les jeux physiques et vocaux, la chorégraphie, la musique, les images enfin, sur lesquels
Jan Fabre insiste minutieusement dans le texte, montrent à quel point la fable n’est plus conçue comme élément
central. « Le théâtre postmoderne, n’est plus », écrit Patrice Pavis, « qu’une pratique signifiante qui englobe entre
autre un texte linguistique. » Et si le texte narratif semble disparaître au profit du texte descriptif, il en va de même
pour les dialogues. Les acteurs, désormais ne dialoguent plus, ni ne monologuent (comme c’était encore le cas
chez Beckett ou Müller, par exemple). Le langage – « dénudé » - retourne à une forme de pré-langage,
énonciation d’un essentiel, le langage se fait minimaliste comme un « poème jeté » à la face du public (P. Pavis).
Or les textes récents de Jan Fabre – désormais dépourvus de didascalies - adoptent la forme de longs poèmes
débordants de références. La répétition, dont il fait une composante majeure de son théâtre (tant dans le texte
que dans les mouvements chorégraphiés) n’est – elle pas un des éléments les plus anciens de la poésie ?
D’autre part les énumérations
, la double musicalité (geste et texte) du jeu d’habillage /déshabillage
dans les
Cette dénomination, choisie par Fabre, fait évidemment écho à l’ « athlète affectif » d’Artaud
Une performance de Jan Fabre avait pour titre Will doctor Fabre cure you ?
Voir à ce titre Gorgio Agamben, Enfance et histoire : sur la destruction de l’expérience, ainsi que les travaux de Mario Perniola sur les
expérience des avant-gardes
Jan Fabre, Le Pouvoir des folies théâtrales, L’Arche, 2009
Anne Ubersfeld, Lire le théâtre, T. 1, Belin, 1996, p 32
Notamment, Les Grenouilles d’Aristophane
Voir Appia, « Notes de mise en scène pour l’Anneau du Niebelung », dans le vol II des Œuvres Complètes
Voir une autre pièce de Fabre, plus récente, Le Roi du Plagiat, dans laquelle il fait son « autocritique » d’artiste plagiaire.
Jan Fabre, Le guerrier de la beauté, entretiens avec Hugo de Greef et jan Hoet, L’Arche, 1994, p127
Voir notamment L’Histoire des larmes ou encore Je suis sang - écrits en vers libres
par exemple, celle des mises en scènes marquantes de l’histoire du théâtre dans les scènes 12 et 15
Acteur 7 : « -Mettre chemise
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