Lex-voto : une approche historique et anthropologique
Une enquête en coopération entre le CéSor et le Groupe d’anthropologie historique de
l’Occident médiéval, Centre de recherches historique, coordonnée par Pierre-Olivier Dittmar,
Pierre Antoine Fabre et Marie-Anne Polo de Beaulieu (avec la participation pour le CéSor
d’Isabelle Brian, Anne Lepoittevin, Marie Lezowski et Bernadette Roberjot).
Ces recherches s’inscrivent d’abord dans le prolongement d’une longue série d’enquêtes
conduites par le Centre d’anthropologie religieuse européenne (aujourd’hui CéSor) sur les
sanctuaires chrétiens. On pourrait dire qu’à la manière du photographe de Blow Up de
Michelangelo Antonioni, le Care a progressivement découvert par approximations successives
des objets (et les pratiques qui leur étaient ou leur sont liées) dans les lieux saints chrétiens, en
commençant par l’approximation par excellence que représente le pèlerinage lui-même comme
départ vers ces lieux puis retour à partir de l’expérience de leur fréquentation. Cette première
enquête qui était elle-même ancrée dans les travaux d’Alphonse Dupront, fondateur du Care en
1975, a donné lieu à la publication de Rendre ses Vœux, en 2000 (sous la direction de Philippe
Boutry, Pierre Antoine Fabre et Dominique Julia) puis à Pèlerinages et pèlerins à Rome, en
2003 (sous la direction de Philippe Boutry et D. Julia). Le photographe s’est ensuite inquiété
des très nombreuses reliques qu’il avait repérées dans ces lieux saints et a consacré une dizaine
d’années à leur exploration, d’abord dans une série de travaux historiques et historiographiques
réunis dans Reliques Modernes en 2007 (sous la direction de Philippe Boutry, Pierre Antoine
Fabre et Dominique Julia), puis dans une vaste enquête sur la diffusion des Corps saints des
catacombes dans l’Europe et le monde catholique entre le XVIIe et le XIXe siècle, enquête qui
vient tout juste de paraître (sous la direction de Stéphane Baciocchi et Christophe Duhamelle)
et auquel le CéSor consacrera l’un de ses jeudis dans les prochains mois. Enfin, depuis deux
ans, c’est un nouveau type d’objet qui a retenu l’attention, un objet lui aussi souvent quelque
peu perdu dans les pénombres des sanctuaires : l’ex-voto. Les explorateurs de l’ancien Care ont
ici rencontré des alliés précieux avec les membres du GAHOM, familiers de longue date des
recherches sur les choses visuelles.
Comment peut-on définir en quelques mots les traits saillants de ces trois grands cycles de
recherche (je ne rappelle évidemment pas ici les très nombreuses publications auxquelles ils
ont donné lieu par ailleurs par les uns et par les autres, en forme de préparation,
accompagnement ou prolongement des quatre grands livres cités) :
1. un tropisme spatial très fort, partant de l’hypothèse que les foyers d’intensité des cultes
chrétiens sont d’abord des lieux, inscrits dans des espaces ;
2. un temps long que ces lieux viennent empiler et sédimenter, et qui contribue lui aussi à faire
de la coopération avec le GAHOM une alliance décisive, entre spécialistes du monde médiéval
et des époques modernes et contemporaines ;
3. un ensemble de pratiques, souvent issus d’une religion « populaire », mais en même temps
d’où les guillemets toujours portés, contrôlés, exaltés ou réprimés par les institutions
ecclésiales (paroissiales, régulières, etc.) : la « sainteté » dont procèdent aussi bien les
pèlerinages, que les reliques et les offrandes votives étant la manifestation par excellence de
cette polarité, locale et globale, spontanée et décrétée, etc ;
4. un ensemble d’objets, toujours inscrits dans les pratiques qui leur sont liées : cultuelles, mais
aussi usuelles, fonctionnelles, bureaucratiques, patrimoniales, etc., et qui permettent d’élaborer
une sorte d’archive pragmatique des cultures religieuses dans lesquelles ces objets ont prospéré,
ou dans lesquelles ils se sont dévitalisés.
Comment se développe l’enquête sur les ex-voto ?
D’abord dans le cadre d’un séminaire partagé et soutenu par les Ateliers du Campus Condorcet,
dont la prochaine séance aura lieu le 6 décembre salle Dupront (le programme complet sera
publié sur les sites du CéSor et du GAHOM dans les prochaines semaines). L’atelier Condorcet
est coordonné par Pierre Antoine Fabre et Isabelle Brian (Université de Paris I Panthéon
Sorbonne).
Ce travail régulier sera complété par une rencontre à Francfort avec des collègues allemands
engagés sur les mêmes travaux en janvier 2017, à l’invitation de Pierre Monnet, directeur de
l’Institut français d’histoire en Allemagne. Avec ces mêmes colgues, dont Rudolf Haensch et
Ulrike Ehmig, nous avons déposé un projet de rencontres triennal et trinational, allemand,
français et italien, à la Villa Vigoni, près de Milan, pour lequel nous attendons des réponses en
novembre prochain.
L’objectif de ces expansions progressives est de parvenir, pour la première fois dans l’histoire
de l’anthropologie religieuse, à une approche globale d’une pratique de très longue durée et
d’une très grande plasticité (les ex-voto de peinture des XVIIIe et XIXe siècles, s’ils sont
passionnants dans l’histoire de leur gestation et parfois spectaculaires, n’étant qu’une pointe de
l’iceberg) : celle qui consiste à adresser à des puissances surnaturelles l’expression d’une
gratitude ou/et d’une attente pour des bienfaits reçus et/ou espérés ; la distance et la force
d’englobement anthropologiques étant justement seules à même de ressaisir dans leur part
commune et dans leur part singulière des phénomènes trop souvent éparpillés dans une
littérature ou un collectionnisme locaux, et dont nous voudrions faire apparaître la centralité
bien au-delà des traditions chrétiennes : cette transversalité est aujourd’hui, à tous égards, un
enjeu essentiel, qui nous invite à revisiter, avec les outils des sciences sociales, en particulier
du point de vue des pragmatiques linguistiques et des logiques d’action, l’immense domaine
des « sciences des religions ».
Bien d’autres travaux, portés par l’ancien CARE puis par le nouveau CéSor, entreraient dans
ce cadre épistémologique rapidement esquis : je pense en particulier à l’ensemble des dossiers
réunis sur la période révolutionnaire, qui présentent sans doute la singularité de prendre à revers
les grands traits saillants que je viens de rappeler, en s’intéressant à des pratiques religieuses
dans un temps de crise institutionnelle majeure, en retenant un temps court comme ligne de
fracture sismique entres grandes plaques de longue durée, etc. Nous retrouverons aussi ces
chantiers dans l’avenir, mais je voulais seulement ici mettre l’accent sur l’enquête en cours sur
les ex voto en la situant dans une pratique historiographique plus générale.
Pierre Antoine Fabre
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