CV ? Moi pas, je garde ma 2 CV. Le raisonnement est le même entre des titres de la dette grecque
et de la dette allemande ou entre une action Colruyt et une action Mithra.
Cette condition implique en fait qu’il y ait autant de marchés différents que de produits considérés
comme différents. Que le marché de la Mercédès soit différent du marché de la 2 CV, on peut le
concevoir. Mais faut-il distinguer le marché de la Mercédès du marché de l’Audi ? Oui peut-être si la
Mercédès ne triche pas au test de pollution… Mais jusqu’où faut-il fractionner les marchés ?
La quatrième condition pour que les marchés soient considérés comme parfaits suppose que les
facteurs de production (le travail et le capital) circulent librement. Pour le facteur travail par exemple,
la main-d’œuvre doit pouvoir se déplacer instantanément et sans coût de reconversion du secteur en
surplus de production vers le marché où la demande excède l’offre. Je devrais à tout instant pouvoir
quitter mon poste pour devenir Walter le libraire ou plombier polonais. Libraire, pourquoi pas, Walter,
j’en doute et plombière, je ne me risquerais pas à faire appel à mes services !
Enfin pour être parfaits, les marchés doivent disposer d’une information transparente, c’est-à-dire
exacte, gratuite et accessible instantanément à tous. Ici encore, quelle utopie. Puis-je boursicoter et
réaliser les mêmes gains qu’Albert Frère ? J’ai beau enseigner la finance, je pense qu’Albert Frère
aidé de son armada d’analystes financiers spécialistes de l’information aura toujours une belle
longueur d’avance sur moi.
Ces cinq conditions sont donc très rarement vérifiées. Pourtant elles sont le fondement de modèles
économiques déployés par les économistes néo-classiques. Puisque les hypothèses ne sont pas
rencontrées, les croyances de l’école néo-classique sont transformées en postulats.
Penser le monde autrement, c’est oser remettre en cause ces postulats. Même s’ils ne sont pas
majoritaires, nombreux sont les économistes qui adaptent les modèles compte tenu du non-respect
des hypothèses. Penser le monde autrement, c’est oser changer de paradigme. Les modèles passés
sont inutilisables, changeons-les, adoptons un autre point de vue, une autre posture, modifions notre
logiciel de pensée. Les académiques ont le devoir de contribuer à ces changements.
Aujourd’hui, je voudrais vous présenter un enseignant-chercheur qui n’hésite pas à penser le monde
autrement, un économiste pragmatique, comme il se définit lui-même, qui ne craint pas de remettre en
cause les schémas de pensée « mainstream ». Cet économiste, c’est le Professeur Daniel Cohen.
Il enseigne l’économie à l’école normale supérieure de la rue d’Ulm à Paris, section mathématiques. Il
exerce aussi une activité d’enseignement à l’université de Paris I - Panthéon Sorbonne. Il est l’actuel
vice-président de l’école d’économie de Paris dont il est l’un des co-fondateurs. Il est aussi le
directeur du CEPREMAP, centre spécialisé dans l’interface entre la recherche économique et les
administrations publiques.
Daniel COHEN a obtenu son premier diplôme en économie à Normale Sup en 1976 en même temps
qu’une agrégation en mathématiques. Il obtient son titre de docteur en sciences économiques en
1979 à Paris-X. Il a toujours travaillé sur les questions d’inégalités et sur la dette souveraine.
Son CV inclut de nombreuses publications scientifiques de très haut niveau mais aussi plusieurs
ouvrages de vulgarisation dont deux ont obtenu le prix du livre d’économie : « Nos temps modernes »
(2000 chez Flammarion) et « Homo economicus, prophète (égaré) des temps modernes » (2012 chez
Albin Michel). Il y a quelques jours, est paru son dernier ouvrage « Le monde est clos et le désir
infini » chez le même éditeur. Ses ouvrages grand public sont traduits en plusieurs langues. Son
pragmatisme se révèle notamment lorsque Daniel COHEN conseille le Premier Ministre grec,
Geórgios Papandréou ou le Président équatorien, Rafael Correa dans les opérations de renégociation
des dettes des Etats.