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09-a-Cohen-entretien-cor_Mise en page 1 22/09/15 13:41 Page67
ARTICLES
La croissance est-elle encore désirable ?
Entretien avec Daniel Cohen*
LE MONDE est clos et le désir infini1 s’inscrit dans la continuité de mon
précédent ouvrage, Homo economicus, prophète (égaré) des temps
nouveaux2. Le point de départ en était le paradoxe d’Easterlin, selon
lequel l’enrichissement des sociétés ne se traduit pas mécaniquement
par une augmentation du bien-être. Par exemple, en France, le
revenu a doublé en quarante ans sans pour autant provoquer une
hausse visible du bien-être. Les économistes l’expliquent à partir
d’un phénomène psychologique : la richesse donne lieu à un phénomène d’« habituation ». Certains psychologues disent que c’est la
trace de l’évolution. Les humains auraient une capacité d’adaptation
forte grâce au fait que tout état ambiant tend à devenir normal de
manière que seules les nouveautés nous tiennent en éveil.
L’autre facteur qui explique ce paradoxe est social. Toute
richesse est relative et se calcule en fonction de la place de l’individu dans la société. Elle ne se définit que par comparaison entre
la position dans laquelle on se trouve et notre vision des autres
niveaux sociaux présents dans la société. On trouve ici un trait que
les sociétés démocratiques encouragent : aucune comparaison n’est
indue, aucune d’entre elles n’est illégitime : la rivalité mimétique
est portée à son comble… La richesse, dès qu’elle devient comparative, tend à devenir un jeu à somme nulle. Elle se résume à la
question : suis-je plus riche ou plus pauvre que mon voisin ?
* Directeur du département d’économie de l’École normale supérieure et du Cepremap
(Centre pour la recherche économique et ses applications).
1. Daniel Cohen, Le monde est clos et le désir infini, Paris, Albin Michel, 2015.
2. Id., Homo economicus, prophète (égaré) des temps nouveaux, Paris, Albin Michel, 2012.
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Octobre 2015
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