Sortir du regard européen
À propos de la Prospérité du vice de Daniel Cohen
Jean Molino*
No man is an island, entire of itself.
John Donne
LEdernier livre de Daniel Cohen, la Prospérité du vice. Une intro-
duction (inquiète) à l’économie1, offre une grande fresque, aussi claire
et brillante que ses précédents ouvrages et qu’on lit toujours avec le
même intérêt et le même plaisir. De quoi s’agit-il ? De rien moins que
d’une brève histoire économique de l’humanité, des chasseurs-
cueilleurs à la crise économique et financière d’aujourd’hui et aux
défis qui attendent la planète. Pourtant, malgré ses grandes qualités
ou précisément à cause d’elles, l’ouvrage laisse insatisfait. Résumons
en une formule ce qui peut gêner un « citoyen du monde » : l’Occident
y apparaît comme le seul sujet de l’histoire, l’histoire du monde n’est
plus que le monologue intérieur de l’Europe.
L’Occident, seul sujet de l’histoire?
Dans son ouvrage The Wealth and Poverty of Nations, David Landes
proposait, pour symboliser l’opposition entre riches et pauvres, de
substituer à l’ancien couple Nord-Sud2l’opposition de l’Ouest au
« Reste » (du monde), qui offrait l’avantage d’avoir, outre sa force de
slogan rimé, une portée non seulement géographique mais surtout
Octobre 2010
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* Professeur honoraire à l’université de Lausanne. Voir son précédent article dans Esprit :
« Les métamorphoses de l’Europe culturelle », juillet 2000.
1. Daniel Cohen, la Prospérité du vice. Une introduction (inquiète) à l’économie, Paris, Albin
Michel, 2009.
2. David Landes, The Wealth and Poverty of Nations, Londres, Little, Brown and Company,
1998 (“The West and the Rest”, p.xx-xxi).
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