76 NÉCROLOGIE
Voilàdonc ce qui figure d’ores et déjàdans les manuels. Mais les scientifiques
offrent souvent de l’histoire des sciences une reconstruction formelle, bien différente
de l’histoire tout court, qu’ils sont malhabiles àrestituer. Leur reconstitution
constitue parfois une regrettable approximation de laréalité vécue. Dans le cas de
JeanDausset, elle est tout simplement erronée.
Né en 1916 à Toulouse, il fait ses études de médecine, mais en 1939, il est
rattrapé parlaguerre. Mobilisé, il peut en 1940rejoindre Paris pour préparer
l’internat, qu’il obtient en 1941. Ensuite, àlalecture d’une petite affiche postée à
l’hôpitalSaint-Louis, il s’engage et part en Afrique du Nord. D’ambulancier, il
devient transfuseur et réanimateur. Levoilaconfronté àdes affluxde blessés qu’il
faut, dans des conditions difficiles et incertaines, réanimer, opérer, transfuser.
Transfuseur il restera, puisque, de retour àParis en 1945, il est affecté auCentre
de transfusion sanguine de l’hôpitalSaint-Antoine. C’est en 1961 qu’il rejoindra
le Centre Hayem de l’hôpitalSaint-Louis auxcôtés de JeanBernard.
Pour transfuser, il faut du sang. Ilfaut que les hommes donnent leur sang pour
d’autres hommes. La transfusion est l’expression d’un lien humain, dont Jean
Dausset devient porteur. Ill’exprime àson tour dans toutes ses activités, non
seulement scientifiques et médicales, mais tout aussi bien sociales et sociétales.
Dans son goût pour les artsparexemple : en 1946, il aouvert àParis, rue du
Dragon, dans le VIearrondissement, une librairie qui vadevenir une galerie
d’avant-garde, fréquentée parAndré Breton et beaucoup d’autres. Fernand Léger,
Yves Tanguy,Pierre Alechinsky, etc., yseront exposés. Dans savolonté de service
public : de 1955 à1958, JeanDausset est membre du cabinet du ministre de
l’Éducation nationale, où il défend et planifie les réformes « Debré » des études
médicales et du système hospitalo-universitaire, qui vont permettre le temps plein
àl’hôpitaletl’essor de larecherche médicale. Dans son engagement pour la
responsabilisation des scientifiques : de 1984 à2001, il présiderale Mouvement
universel pour laresponsabilité scientifique (MURS). Dans ses activités de
recherche, enfin, carc’est aussi sous cet angle qu’il faut relire son œuvre scientifique
et médicale, puisqu’elles furent largement fondées sur le lien humain.
JeanDausset n’aurait probablement pas été en mesure de mener ses travauxet
de faire ses importantes découvertes s’il n’avait paseuaccès auxpatients bien sûr,
mais aussi auxdonneurs de sang et plus tard auxdonneurs d’organes. Ilrespecte
les donneurs, les donneurs le respectent. Pour laremise du prixNobel, il tient à
être entouré de deuxd’entre eux.Ilreçoit, mais est animé parlavolonté de rendre,
non seulement dans l’acte médical individuel, mais aussi dans l’organisation de la
mutualisation des connaissances et des ressources au service de lacollectivité. Les
conférences internationales ou « workshops » sur le HLA en témoignent, de même
que lacréation de France-Transplant en 1969, puis celle de France-Greffe de
Moelle en 1987. Cette culture de lamutualisation trouve un débouché
particulièrement remarquable dans un secteur strictement scientifique où elle était
àpeu près absente. La création du CEPH en 1984 fut rendue possible grâce àla