Rapport de Recherche Halieutique ACP-UE Numéro 11

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Rapport de Recherche Halieutique ACP-UE Numéro 11
Initiative de recherche halieutique ACP-UE
Compte-rendu du séminaire de travail:
La recherche halieutique et le développement durable des
ressources naturelles marines de l'Afrique de l'Ouest:
quels enjeux?
Conakry, Guinée, 24-26 septembre 2001
Sous la direction de
Pierre Failler
Centre for the Economics and Management of Aquatic Resources (CEMARE)
Université de Portsmouth, Royaume Uni
Moctar Bâ
Unité de coordination du Projet SIAP, Conakry, Guinée
Alkaly Doumbouya
Centre National des Sciences Halieutiques de Boussoura (CNSHB), Conakry, Guinée
et
Nicolas Lécrivain
Centre for the Economics and Management of Aquatic Resources (CEMARE)
Université de Portsmouth, Royaume Uni
Bruxelles
Juin 2002
Le contenu et la présentation de ce document ne reflètent pas nécessairement l’opinion de la
commission européenne quant à la légitimité d’un quelconque pays ou territoire ou d’une
quelconque ville ou région ou de ses autorités ou quant à la délimitation de ses frontières.
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ouvrage dans un but éducatif, scientifique ou pouvant servir le développement, sauf à des fins
commerciales et sur aucun support que ce soit, à la condition expresse (1) que la source soit
citée dans son intégralité et (2) que la Commission européenne en soit informée par écrit à la
Direction Générale du développement, 200 rue de la loi, B-1049 Bruxelles, Belgique
Cet ouvrage peut être obtenu gratuitement sur demande auprès du Bureau d’information de la
Direction Générale de la Recherche, Relations internationales, 8 Square de Meeûs, B-1049
Bruxelles, Belgique
Collection des rapports de recherche halieutique ACP-UE
Les rapports de recherche halieutique ACP-UE forment une collection d’ouvrages dont le but
est de diffuser des informations sur les progrès réalisés dans le cadre de l’Initiative de
recherche halieutique ACP-UE ainsi que les résultats de ses travaux, de manière à en renforcer
l’impact. Cette collection comprend des comptes-rendus d’ateliers et de réunions, des analyses
sur les politiques sectorielles et des rapports d’activités menées dans le cadre de cette
initiative.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page ii
Résumé
Ce rapport présente les résultats du séminaire de travail intitulé «La recherche halieutique et le
développement durable des ressources naturelles marines de l'Afrique de l'Ouest: quels
enjeux?», qui s’est tenu du 24 au 26 septembre 2001 à Conakry. L’objectif du séminaire était
de s’interroger sur les enjeux présents et futurs de la recherche halieutique, compte tenu des
changements économiques, institutionnels et environnementaux qui ont, depuis ces trente
dernières années, bouleversé le secteur des pêches en Afrique de l’Ouest. Pour ce faire, le
programme de ce séminaire a été structuré autour de trois grands thèmes. Le premier thème,
intitulé «La question de l’accès: examen sous différents angles», a permis de brosser un état
des lieux de la situation du secteur des pêches et des déficiences actuelles des systèmes de
régulation de l’accès aux ressources halieutiques. Le deuxième thème, «Les besoins de la
recherche en sciences sociales et sa place dans le cadre actuel de la recherche halieutique en
Afrique de l’Ouest», a retracé les besoins de la recherche halieutique identifiés par les
chercheurs eux-mêmes ainsi que par les professionnels et administratifs. Enfin, le troisième
thème, «de nouveaux champs de recherche», a dégagé plusieurs axes de travail à partir
desquels les changements contextuels qui affectent le secteur des pêches sont intégrés à
l’analyse. Le séminaire a également démontré que la collaboration scientifique à l’échelle de
la région était la clef de voûte de l’avancement des sciences sociales.
Ce rapport doit être cité de la manière suivante:
Failler, P., M. Bâ, A. Doumbouya et N. Lécrivain (Eds.), 2002. Initiative
de recherche halieutique ACP-UE. Compte-Rendu du séminaire
de travail: La recherche halieutique et le développement durable
des ressources naturelles marines de l’Afrique de l’Ouest: quels
enjeux? Conakry, Guinée, 24-26 septembre 2001. Bruxelles,
Rapp.Rech.Halieut. ACP-UE, (11):160 p.
ISSN 1026-699
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page iii
Liste des abréviations
ACP
Afrique-Caraïbes-Pacifique
AFD
Agence française pour le Développement
CEMARE
Centre for the Economics and Management of Aquatic Resources, Portsmouth
CNROP
Centre National de la Recherche Océanographique et des Pêches, Nouadhibou
CNSHB
Centre National des Sciences Halieutiques de Boussoura, Guinée
CNUED
Conférence des Nations Unies pour l’Environnement et le Développement
CSRP
Commission Sous-Régionale des Pêches
DFID
Department For International Development
FAO
Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture
FED
Fond Européen de Développement
FMI
Fond Monétaire International
GATT
General Agreement on Tariffs and Trade
GTZ
Agence allemande de coopération
IRD
Institut de Recherche et de Développement, France
OCDE
Organisation de Coopération et de Développement Economique
OMC
Organisation Mondiale du Commerce
ONG
Organisation Non Gouvernementale
PIB
Produit Intérieur Brut
PMEDP
Programme pour des Moyens d’Existence Durable dans la Pêche
PNBA
Parc National du Banc d’Arguin, Mauritanie
PVD
Pays en Voie de Développement
SIAP
Système d'Information et d'Analyse des Pêches, projet de coopération
SIG
Système d’Information Géographique
UE
Union Européenne
UICN
Union Internationale pour la Conservation de la Nature
UNESCO
United Nations Educational Scientific and Cultural Organisation
WWF
World Wildlife Fund
ZEE
Zone Economique Exclusive
ZMP
Zone Marine Protégée
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Remerciements
Nos plus vifs remerciements sont tout d’abord adressés aux participants qui ont bien voulu
faire le déplacement depuis les pays de l’Afrique, de l’Europe et de l’Amérique pour venir
assister au séminaire de travail ENJEUX. La qualité de leur présentation et leur engagement
dans les débats ont été fort appréciés.
Un grand merci également à toutes les personnes appartenant au Centre National des Sciences
Halieutiques de Boussoura (CNSHB) et au Projet «Système d’Information et d’Analyse des
Pêches» (SIAP). Toutes ont activement participé à l’organisation du séminaire et contribué,
par leur dynamisme et leur enthousiasme à sa réussite.
Enfin, nos remerciements vont à la Direction de la Recherche de la Commission Européenne
qui a permis, grâce à son support financier, la tenue du séminaire.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page v
Table des matières
CONTEXTE ET OBJECTIFS DU SEMINAIRE DE TRAVAIL........................................................................... 1
Contexte............................................................................................................................................................. 1
Objectifs ............................................................................................................................................................ 2
COMPTE RENDU DES PRESENTATIONS ET DISCUSSIONS ........................................................................ 4
L’élargissement du cadre habituel de la recherche ............................................................................................ 5
La question de l’accès........................................................................................................................................ 6
La re-définition de l'objet de recherche ............................................................................................................. 7
Le rapprochement des objectifs des différents acteurs....................................................................................... 8
Le rôle de l'information et de la communication................................................................................................ 9
La coopération ................................................................................................................................................. 10
Les besoins en termes de recherche en sciences sociales................................................................................. 10
L’approche pluridisciplinaire........................................................................................................................... 11
Les ENJEUX de la recherche halieutique en sciences sociales en Afrique de l’Ouest .................................... 14
TEXTE D’INTRODUCTION............................................................................................................................... 16
Contexte international et politiques des pêches en Afrique de l’Ouest ............................................................ 16
Pierre Failler et Nicolas Lécrivain
LA QUESTION DE L’ACCES : EXAMEN SOUS DIFFERENTS ANGLES..................................................... 25
Les implications du commerce international et des contraintes monétaires sur la gestion publique des
ressources halieutiques des pays de l’Afrique de l’Ouest ................................................................................ 25
Moustapha Deme et Karim Dahou
Régulation de l’accès et priorités de recherche................................................................................................ 32
Jean-Paul Troadec
Représentations, conceptions et appropriations de la nature ; note synthétique et prolongement des textes de
Catherine Larrère, Raphael Larrère et Serge Collet......................................................................................... 50
Pierre Failler
Régulations et liens entre acteurs..................................................................................................................... 63
Joseph Catanzano
Un bon exemple de coopération fructueuse sud-sud et sud-nord..................................................................... 68
Moctar Bâ
L’importance des jeux de pouvoirs dans la gestion des ressources naturelles ................................................. 74
Eyolf Jul Larsen et Nicolas Lécrivain
LES BESOINS DE LA RECHERCHE EN SCIENCES SOCIALES ET SA PLACE DANS LE CADRE
ACTUEL DE LA RECHERCHE HALIEUTIQUE EN AFRIQUE DE L'OUEST ............................................... 77
Apport de la recherche halieutique au développement durable des pêches en Guinée. ................................... 77
Alkaly Doumbouya, Mamadou Moussa Diallo, Youssouf Hawa Camara, François Domain et Jean Le Fur
Programmes actuels et besoins de la recherche en sciences sociales en Mauritanie ........................................ 83
Ismaila Thiam et Mika Diop
Les besoins en matière de recherche des organisations de pêcheurs................................................................ 87
Aliou Sall
Contributions de l’enseignement nord-américain aux défis de la recherche en Afrique de l’Ouest................. 92
James R. Wilson
DE NOUVEAUX CHAMPS DE RECHERCHE ? ............................................................................................... 99
La coopération scientifique internationale au profit du développement durable: enjeux et perspectives; avec
un accent particulier sur le domaine halieutique.............................................................................................. 99
Cornelia E. Nauen et Jacques Prade
Problématique et enjeux de la recherche halieutique dans le contexte du PMEDP en Afrique de l’Ouest. ... 104
Jean Calvin Njock
Construction et mise à disposition par la recherche d’un savoir commun : enjeux et application au secteur des
pêches guinéen............................................................................................................................................... 110
Jean Le Fur, Alkaly Doumbouya, Moussa Diallo, Youssouf Camara et François Domain
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Gouvernance et options de politique publique des aires marines protégées : concilier conservation des
ressources et développement économique et social ....................................................................................... 116
Jean-Yves Weigel, Pierre Failler, François Féral et Jean Worms
La détermination d'espace-ressource comme clef de lecture et d'analyse pour une gouvernance de
l’environnement maritime et côtier ................................................................................................................ 122
Olivier Barrière
Le Système d’Information Géographique comme outil d’aide à la décision des aires marines protégées ..... 127
Sonia Carrier
Ecopath, un outil pour l’exploration de scénarios de gestion ........................................................................ 128
Sylvie Guénette, Ibrahima Diallo
Perspectives d’extension économique et sociale du modèle ECOPATH....................................................... 133
Pierre Failler et Sophie des Clers
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 144
LISTE DES PARTICIPANTS ............................................................................................................................ 151
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Contexte et objectifs du séminaire de travail
Le séminaire de travail ENJEUX s’inscrit dans le cadre d’un exercice de réflexion et de
dialogue. Il a pris, pour l’occasion, la forme d’une mesure d’accompagnement, financée par la
Direction de la Recherche de la Commission européenne. Sa mise en œuvre est le fruit d’une
collaboration entre le Centre for the Economics and Management of Aquatic Ressources
(CEMARE), le Centre National des Sciences Halieutiques de Boussoura (CNSHB) et le Projet
«Système d’Information et d’Analyse des Pêches» (SIAP). Ce séminaire doit se concevoir
comme un tremplin à la réflexion et un nouveau prétexte pour nourrir le dialogue de plus en
plus effectif entre les centres de recherche de la Mauritanie, du Sénégal, du Cap Vert, de la
Gambie, de la Guinée Bissau et de la République de Guinée ainsi que les échanges entre les
institutions de l’Afrique de l’Ouest et celles de l’Europe.
Contexte
La pêche en Afrique de l’Ouest a subi des mutations considérables depuis ces trente dernières
années. Tout d’abord, le secteur des pêches s’insère chaque jour un peu plus dans un système
international marqué par une intensification des échanges. Ensuite, l’exploitation et la
valorisation des ressources halieutiques sont devenues un enjeu de développement national
tant économique que social1. Ainsi, la pêche, épicentre des politiques de développement en
Afrique de l’Ouest, est de moins en moins maître de son présent et encore moins de son
avenir. Intégrée dans un débat institutionnel de complexité croissante, elle doit aujourd’hui
conjuguer la création tous azimuts de richesse nationale et la conservation des ressources
halieutiques.
Quelle est la position actuelle de la recherche en sciences sociales face aux changements sans
précédents dont le secteur des pêches est aujourd’hui l’objet? En d’autres termes: la recherche
en sciences sociales a-t-elle intégré, dans la formulation et la réalisation de ses programmes,
(i) les changements induits par l’exposition de plus en plus forte des secteurs des pêches
nationaux aux forces des marchés internationaux, (ii) l’influence croissante des politiques
internationales dans la conduite des opérations de production et de valorisation des ressources
et (iii) les objectifs de contribution au développement économique et social national?
De prime abord, la réponse est négative, d’où la raison d’être de ce séminaire. La recherche
halieutique en sciences sociales en Afrique de l’Ouest (comme ailleurs) demeure encore
dirigée vers la compréhension des mécanismes d’accès aux ressources. Si les questions de
nature institutionnelle sont apparues récemment, ce n’est que pour tenter d’expliquer, depuis
l’intérieur, les défaillances des systèmes mis en place afin de maximiser la rente halieutique.
Mais l’extérieur, celui qui provoque l’émergence de pêcheries et l’abandon de certaines autres
est, à y regarder de près, le catalyseur des dynamiques de fonctionnement du système et à la
base même des stratégies des acteurs privés.
1
Notamment en raison de la chute des recettes provenant des cultures de rente et de l’exploitation minière.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 1
Ainsi, adapter la recherche halieutique à ce nouveau contexte pour permettre l’instauration de
politiques appropriées d’aménagement des pêches et de développement des filières
halieutiques, est sans aucun doute l’impératif du jour des chercheurs en sciences sociales.
Objectifs
Globalement, l’objectif du séminaire ENJEUX est de s’interroger sur les enjeux présents et
futurs de la recherche halieutique dans un cadre de développement durable des ressources
naturelles marines en Afrique de l’Ouest. Plus spécifiquement, les objectifs assignés au
séminaire de travail sont les suivants:
1- Renforcer le dialogue entre la recherche halieutique et les acteurs concernés par le
développement durable des ressources renouvelables marines en Afrique de l’Ouest. Le
séminaire se positionne directement dans le sillage des réunions de dialogue de l’Initiative
ACP-UE et des efforts de la Commission Sous-Régionale des Pêches qui vise le renforcement
de la collaboration entre les institutions de recherche et la redéfinition de la place de la
recherche halieutique dans la société civile en général. Il prolonge la volonté d’échanges
continus, mise en avant lors des réunions de dialogue de l’Initiative et des trois conférences de
l’Exposition de Lisbonne de 1998, en ouvrant la porte, sur une base de participation
volontaire, à un échange de points de vue sur une question primordiale soulevée lors du
Sommet du Caire, à savoir trouver de «nouvelles formes de dialogue et de coopération
scientifique et technique»2. Afin de réfléchir de concert aux défis actuels de la recherche
halieutique en Afrique de l’Ouest dans un contexte où le rythme des changements a tendance à
s’accélérer, le séminaire offre une plate-forme de rencontre réunissant:
- Les institutions de recherche halieutique;
- Les structures de support ou de renforcement des capacités de recherche;
- Les administrations publiques gouvernementales et régionales;
- Les acteurs privés
socioprofessionnelles;
par
leurs
représentations,
fédérations
ou
organisations
- Les intervenants dans les domaines de la conservation de la biodiversité et de la protection
de l’environnement en général (ONG et organismes internationaux).
2- Porter une réflexion de fond sur les défis de la recherche halieutique face à des
changements contextuels intensifiés et les volontés publiques de développement durable des
ressources naturelles. Ce second objectif prolonge les intentions de la Commission qui
stipule que les «programmes de coopération de l'UE en matière d'économie et de
développement devraient appuyer les efforts des pays en développement pour protéger leur
2
Conseil européen, Déclaration du Caire, Sommet Afrique-Europe sous l’égide de l’OUA et de l’UE, Le Caire, 3
et 4 avril 2000, Ref. Conseil/00/901.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 2
propre environnement et l'environnement planétaire commun3». Le séminaire réunit à une
échelle régionale une masse critique suffisante de personnes-ressources qui réfléchissent
ensemble sur trois thèmes majeurs qui engagent aujourd’hui la recherche halieutique:
- L’aménagement des pêches au regard des principes de pêche responsable et de précaution
dans un contexte d’intensification des échanges internationaux des produits de la mer, de
pilotage des pêcheries depuis les marchés extérieurs, de «fuite» du poisson vers les
marchés des pays développés (via les accords de pêche ou l’organisation de filières
d’exportation);
- La décision publique en matière de politique d’aménagement dans le contexte
international de promotion du concept de développement durable des ressources naturelles
(un point fait l’objet d’un examen plus approfondi: le réceptacle qu’offre actuellement la
politique publique à la recherche halieutique);
- La construction commune d’un savoir à partir du regroupement des éléments de savoirs
propres à la recherche, aux professionnels de la mer, aux organisations de protection de
l’environnement et aux institutions publiques afin d’aller plus loin dans la compréhension
des dynamiques naturelles et humaines qui affectent le fonctionnement des écosystèmes.
Ainsi, les enjeux de la recherche halieutique sont observés à trois niveaux: depuis
l'élargissement de son cadre de recherche du fait de l’insertion de la pêche dans le contexte
international, jusqu’à la redéfinition de l’objet de recherche devant désormais intégrer la
décision publique, sans oublier la nécessité de la construction d’un savoir commun.
3
Commission des Communautés européennes, Intégrer l’environnement et le développement durable dans la
politique de coopération en matière d’économie et de développement ; Éléments d'une stratégie globale.
Bruxelles, le 18.05.2000, COM(2000) 264 final, Communication de la Commission au Conseil, au Parlement
européen et au Comité économique et social.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 3
Compte-rendu des présentations et discussions
Globalement, les débats ont porté sur trois aspects:
- Le premier est celui de l’impératif de résoudre la question de l’accès à la ressource.
L’idée dominante est que les systèmes actuels ne sont pas efficaces et ne permettent pas
une exploitation rationnelle et pérenne de la ressource. La définition de l’objet de la
recherche en sciences sociales se concentre alors sur l’adéquation de la capacité de pêche à
la disponibilité dans le temps et l’espace des ressources marines. L’objectif qui y est
assorti est dès lors de proposer des mécanismes qui puissent faire en sorte que la relation
«Homme – Ressources» soit la plus harmonieuse possible au sens que les objectifs de
conservation de la ressource et ceux de la maximisation des bénéfices obtenus de son
exploitation soient concomitants.
- Le deuxième est celui de l’obligation d’élargir considérablement le cadre habituel des
recherches en sciences sociales. Etant donné que le domaine des pêches se situe
aujourd’hui dans un contexte d’intensification des échanges internationaux des produits de
la mer4 et qu’il est de plus en plus extraverti du fait de l’influence majeure des marchés
internationaux dans les processus de production et de commercialisation, il apparaît
comme une évidence d’intégrer dans les programmes de recherche ce qui jusqu’à présent
n’était considéré que comme une donnée exogène. De plus, les pressions des institutions
internationales et nationales pour la protection des écosystèmes marins et la préservation
de la biodiversité se traduisent au plan national par la définition de politiques de gestion
des pêches qui sont de plus en plus exposées à l’expression de la satisfaction de la société
civile, qu’elle soit nationale ou internationale. Par ailleurs, le secteur de la pêche est
aujourd’hui partie intégrante des politiques macro-économiques qui le dépassent: lutte
contre la pauvreté, participation à la croissance économique, maintien de l’emploi, paix
sociale, etc. Autant de considérations qu’il devient impossible de traiter comme de simples
données exogènes.
- Le troisième, qui se trouve quelque peu en toile de fond, est la nécessité de la
construction d’un savoir commun, à partir du regroupement des savoirs propres à la
recherche, aux professionnels de la mer, aux organisations de protection de
l’environnement et aux institutions publiques afin d’aller plus loin dans la compréhension
des dynamiques naturelles et humaines qui affectent le fonctionnement des écosystèmes.
Ces trois aspects se trouvent en filigrane des présentations faites par les participants et des
discussions et débats qui ont été engagés. La synthèse qui suit ne reprend pas de façon
systématique la chronologie des présentations et des discussions mais tente de rendre compte,
de manière plus compacte, des points majeurs qui ont fait l’objet d’échanges entre les
participants.
4
Près de 40% de la production mondiale fait l’objet d’une transaction internationale.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 4
L’élargissement du cadre habituel de la recherche
Le séminaire s’est dans un premier temps orienté vers la présentation du contexte dans lequel
évoluent les pêcheries depuis trois décennies. L’idée centrale de la présentation de Pierre
Failler et Nicolas Lécrivain était de montrer la nécessité d’intégrer le problème central de
l’accès dans un cadre de réflexion plus large. Confinée à la seule question de l’aménagement
et en particulier celle de la création de la rente halieutique (ou de sa dissipation!), la recherche
halieutique en sciences sociales doit maintenant s’ouvrir sur l’extérieur afin d’intégrer les
éléments qui façonnent le secteur des pêches et les choix de politiques d’aménagement. Il
convient en particulier de tenir compte de la libéralisation croissante des marchés, de la
pression environnementaliste en constante augmentation et de la participation de plus en plus
active des sociétés civiles nationales et internationales dans les débats politiques et la
définition des options de gestion des ressources5. En clair, les secteurs nationaux des pêches
sont de moins en moins aux commandes de leur propre avenir.
Ce même constat d’aliénation des pêcheries ouest-africaines a été mis en avant par Karim
Dahou et Moustapha Deme qui ont montré de quelle façon le commerce international a
profondément modifié le visage de la pêche artisanale au Sénégal, et continue de le faire.
Ainsi la pêche africaine, fortement connectée au marché européen6, risque, à cause des
mesures de libéralisation7 attendues, de voir la compétitivité de ses exportations8 remise en
cause. En outre, les objectifs assignés à ce secteur répondent de plus en plus à des
préoccupations différentes: sécurité alimentaire, équilibre de la balance des paiements et des
recettes publiques, emploi et lutte contre la pauvreté. Cette caractéristique multifonctionnelle
a engendré l’intérêt croissant d’un grand nombre d’acteurs pour ce secteur, devenu un enjeu
majeur de développement.
D’un point de vue monétaire, différentes hypothèses d’évolution des régimes de change
(parité fixe ou taux de change flottant) ont été présentées et ont montré qu’elles étaient
susceptibles de bouleverser les conditions d’exploitation des ressources. Pour toutes ces
raisons, il est nécessaire que la recherche analyse les impacts économiques, sociales et
écologiques des chocs externes car tout système d’aménagement, aussi performant soit-il se
trouve très vite pris à défaut par un choc extérieur qui introduit une incitation très forte à
exploiter telle ou telle ressource au mépris des règles communément admises à l’échelle du
secteur et considérées comme des valeurs sures. La recherche halieutique devrait donc
5
Que ce soit par l’intermédiaire des politiques publiques de décentralisation, de l’attention de plus en plus
manifeste accordée à la société civile ou encore le renforcement des principes démocratiques.
6
La part des pays ACP dans les exportations totales de produits de la mer a régulièrement baissé depuis une
vingtaine d’années, passant de 5.3% en 1975 à 3.8% en 1995 alors que sur le marché européen leurs parts de
marché sont passées de 6.1% en 1976 à 13.2% en 1996. On estime aujourd’hui que le marché européen absorbe
jusqu’à 80% des exportations africaines de produits de la mer.
7
Les règles de l´OMC condamnent le régime préférentiel accordé aux pays ACP par la convention de Lomé et de
nouveaux accords d'échange entre ACP et UE se mettent en place dans le cadre des accords de Cotonou.
8
A titre d'exemple, le différentiel de coût de production d'une conserve de thon thaïlandaise par rapport à une
conserve sénégalaise (70 à 90 FCFA) représente presque exactement le montant des droits de douane qui
frappent les conserves de thon thaïlandaises.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 5
focaliser son attention sur l’analyse de la perméabilité des systèmes et leur faculté à absorber
les contraintes, incitations, et chocs extérieurs.
La question de l’accès
L’inscription dans les carnets de travail des chercheurs de ce thème a fait l’objet de
nombreuses discussions.
Selon Jean-Paul Troadec et Joseph Catanzano, il s’agit pour l’essentiel de s’interroger sur la
capacité des institutions régissant l’accès, à définir tout d’abord les conditions d’exploitation
des ressources qui optimisent la rente halieutique, et ensuite les mécanismes leur permettant
de se restructurer face aux nouvelles conditions de rareté des ressources. Les institutions
dédiées à la régulation de l’accès ne semblent pas pour le moment en mesure de procéder à
une gestion rigoureuse des activités de pêche pour la simple raison qu’il n’a pas encore été
décidé de procéder à une définition et une mise en place d’un système de régulation de l’accès
qui soit basé sur une rationalité économique. Ainsi, le laisser-faire qui caractérise la gestion
des pêches en Afrique de l’Ouest est de moins en moins approprié au contexte actuel du fait
de son incapacité à rationaliser la pêche, conserver les ressources, minimiser les conflits et
assurer la cohésion sociale et l’intégration des collectivités. Il s'agit dès lors de s'interroger sur
la faiblesse de l’État dans la région tant du point de vue de ses institutions que dans ses
rapports avec l'Union Européenne et les différentes instances internationales. On pense ici au
rôle ambigu des accords de pêche, et plus généralement des politiques de coopération que les
Etats entretiennent avec l’Union européenne.
En conséquence, alors que l'ensemble des intervenants s'accorde sur la nécessité d'améliorer la
régulation d'accès, deux conceptions apparaissent dans l'explication des problèmes de
régulation actuelle. Une première conception, veut que les problèmes rencontrés par les
pêcheries soient récurrents. L’accent est ainsi porté sur la défaillance récurrente des
institutions et sur la nécessité de s'interroger sur les méthodes d'application des idées et
concepts formulés par le passé et qui ont non seulement conservé toute leur pertinence dans le
présent, mais se trouvent plus que jamais les seuls à même de résoudre le problème de l’accès.
Aussi, tant que la question de l’accès ne sera pas résolue il ne sert à rien de tenter d’intégrer de
nouveaux facteurs dans la problématique, car cela ne fait que compliquer inutilement une
question qui demeure relativement simple dans sa formulation: définir des mécanismes de
gestion de l’accès qui permettent une adéquation entre les capacités de pêche et la
disponibilité spatiale et temporelle des ressources.
Une deuxième conception veut que les problèmes soient de nature différente en fonction des
époques et du contexte, et met ainsi l'accent sur un élargissement du cadre habituel de la
recherche. Cette vision dynamique soutient que les problèmes auraient été endogènes aux
pêcheries jusque dans les années soixante dix et seraient maintenant à la fois endogènes et
exogènes. Le développement important des pêcheries nationales au temps de la volonté
politique de nationalisation des pêcheries s’est en effet traduit par la mise à l’eau d’une flotte
industrielle imposante, mais très vite réduite à peu d’unités viables, faute d’avoir affichée des
résultats économiques significatifs. En parallèle du développement de flottes industrielles,
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 6
orientées vers les marchés étrangers et destinées à prendre la place des flottes étrangères à
long rayon d’action, la pêche artisanale a littéralement explosé. Supportée par les pouvoirs
publics qui voyaient en elle un pourvoyeur de protéines animales (en une période de
sécheresse sans pareil), d’emplois et de créations de revenus, la pêche artisanale s’est dans les
faits peu à peu substituée à la pêche industrielle nationale dans son rôle d’exportateur,
délaissant par là même la tâche d’approvisionnement des marchés locaux et nationaux. A tel
point que la Mauritanie connaît actuellement une situation des plus paradoxale puisque
l’approvisionnement des marchés nationaux se fait depuis les débarquements de la pêche
industrielle; l’intégralité de la production artisanale étant directement conditionnée dans les
usines à terre pour être exportée.
La formulation de la question de l’accès ne peut donc plus se soustraire à l’intégration des
facteurs qui façonnent jour après jour les secteurs nationaux des pêches. Il convient des lors de
se pencher sur la compréhension globale du système afin de pourvoir formuler des options de
gestion qui soient suffisamment souples pour absorber les changements extérieurs qui
conduisent à des modifications significatives des conditions d’exploitation des ressources. Si
le projet est louable, sa formulation sous la forme de programmes de recherche et notamment
de formulations de politiques publiques demeure en revanche balbutiante. A l’opposé de la
recherche qui se focalise sur les conditions d’accès à l’aide d’outils théoriques et de modèles
déjà présents (mais perfectibles), la volonté d’élargir le cadre actuel de la recherche nécessite
un recours à des outils théoriques et analytiques qui ne sont pas encore à la disposition des
chercheurs. Il s’agit en effet de faire cohabiter des notions et théories de développement
international, de commerce international, de régulation de l’accès, de politique publique, pas
nécessairement issues du même moule théorique (et donc dans certains cas tout simplement
incompatibles). Une affaire à suivre…
La re-définition de l'objet de recherche
Les discussions se sont ensuite orientées vers la définition et l'intégration de la décision
publique en tant qu'objet de recherche. Lors de sa présentation, François Féral a montré que la
décision publique ne devait pas se résumer à l'intervention des administrations publiques mais
être perçue comme une interaction entre l'appareil d'état et la société civile. Cette même
présentation a mis aussi en exergue le rôle prépondérant de l'administration dans l'instauration
du modèle de pêche industrielle et l'avènement de la recherche en tant qu'aide à la décision.
Dans cette situation, pour comprendre la crise profonde traversée par la pêche dans le monde
et dans une optique de développement durable, il est indispensable d'étudier l'évolution et les
méthodes de l'administration et le rapport entre la société civile, l'Etat et la recherche. La
recherche en sciences sociales doit donc, selon Joseph Catanzano, analyser les liens entre les
différents acteurs, d'autant qu’actuellement émergent de nouvelles institutions aux niveaux
international et national dans la régulation de l'espace halieutique. Il s'agit dès lors de
s'interroger sur les modalités de modification de ces liens car certains sont devenus incapables
de produire des résultats permettant de gérer les ressources naturelles. La difficulté
d'adaptation de ces liens a été expliquée par le processus de formation de chacun de ces
groupes. Ainsi chaque sphère formant la décision publique, se fonde sur des échelles de
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 7
valeurs qui lui est propre et est soumise à des influences externes qui accentuent la distance
entre les acteurs et rendent difficile l'insertion de nouveaux acteurs.
A ce titre, plusieurs interventions et la présentation de Eyolf Jul Larsen, ont mis en exergue
l'importance de comprendre les jeux de pouvoir dans la gestion des ressources naturelles. Les
anthropologues présents ont, par exemple, montré que les systèmes locaux de gestion ne sont
pas des systèmes stables où plusieurs pouvoirs coopèrent mais sont formés par une multitude
d'institutions basées sur des valeurs et des logiques ambiguës, souvent contradictoires et
maintenues pour des raisons d'intérêt d'accès à la ressource. Il est donc important pour la
recherche en sciences sociales de comprendre comment une stabilité institutionnelle peut
s'établir.
L'aménagement des pêcheries dans une optique de gestion durable des ressources passera
donc nécessairement par la compréhension des liens entre acteurs et par le développement des
aptitudes à intégrer les nouveaux intervenants et les nouvelles formes de représentation.
Le rapprochement des objectifs des différents acteurs
Les discussions qui ont suivi ont montré que les liens entre les communautés, les politiques et
la recherche halieutique étaient faibles. Ainsi les politiques qui sont centralisées dans la
plupart des pays offrent peu d'opportunités aux communautés de pêche de participer aux
processus de prise de décisions. Les programmes de recherche ne sont de plus généralement
pas décidés en fonction des attentes des usagers. Cette situation engendre un climat de
méfiance de la part des communautés de pêcheurs envers les politiques d'aménagement mises
en place. L'implication des usagers dans la décision, accompagnée de la capitalisation de leur
savoir et de leur expérience, assurerait la pérennité des systèmes d'aménagement.
La présentation de Jean-Calvin Njock, portant sur le programme PMEDP9, montre les efforts
considérables déployés pour améliorer la participation des communautés de pêche à la prise de
décision. Cela peut être fait, par exemple, en élaborant des projets communautaires10 où les
usagers sont associés à la collecte de l'information et à la définition des thèmes de recherche,
tenant compte de leurs préoccupations. Deux ateliers11, durant ce programme, ont également
permis l'ébauche d'un projet de recherche visant une plus grande participation des usagers
dans la définition des politiques qui agissent sur leurs moyens d'existence.
A la suite de cette présentation, une série de discussions a ensuite montré la complexité des
liens entre la recherche et l'administration. Ainsi, chacun a exprimé, dans un premier temps,
9
Le Programme pour des Moyens d'Existence Durable dans la Pêche, financé par le DFID (Department For
International Development), vise à réduire la pauvreté au sein des communautés côtières et continentales par
l'amélioration de leurs moyens d'existence.
10
Exemples: Gestion de la pêcherie du crabe des lagunes (Côte d'Ivoire); Évaluation de l'impact écologique des
sennes de plage (Bénin, Togo, Ghana).
11
L'atelier de Dakar en 1999 a été organisé par l'Unité de Support pour les Pêches et la Recherche Aquatique
Internationale (SIFAR) à l'attention des membres de la Commission sous Régionales des Pêches (CSRP) sur
Financement du PMEDP; la deuxième session du comité directeur du PMEDP réuni en février 2001 à Cotonou.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 8
son mécontentement vis-à-vis de l’autre partie: les pouvoirs publics trouvant que la recherche
ne répond pas suffisamment à leurs besoins et la recherche estimant que les pouvoirs publics
n’utilisent pas assez leurs travaux. A ce sujet, François Féral a expliqué que le rôle des
gouvernants est de prendre des responsabilités et des décisions, et des pressions peuvent les
amener à prendre en compte les résultats de la recherche.
Dans un deuxième temps, la question de l’autonomie de la recherche vis-à-vis de la décision
publique a été abordée. Certains estiment que la recherche dispose d’un trop faible degré de
liberté par rapport à la décision publique et sa crédibilité ainsi que son autonomie en sont
affectés. D’autres estiment que les objectifs de la recherche doivent user de pragmatisme car
plus elle est proche de la décision, plus elle est autonome.
Dans une telle situation, les intervenants ont exprimé leur souhait de travailler pour un
rapprochement des objectifs des différents acteurs. Il s'agit dès lors de développer des
initiatives de cogestion afin de déboucher sur une définition commune des objectifs de gestion
et un partage de responsabilité et d’autorité entre les décideurs publics et les usagers. Seule
issue, semble-t-il à l’impasse actuelle dans lequel se situe le secteur des pêches, le
rapprochement des acteurs pourrait conduire à une exploitation durable des ressources
halieutiques.
Le rôle de l'information et de la communication
Maintes fois soulevés par les participants tout au long du séminaire, le renforcement et
l’amélioration des liens entre les parties prenantes semblent être un pré-requis à toute tentative
de s’attaquer à la question de la régulation de l’accès aux ressources. A cet égard, il a été
souligné la nécessité de la création d'un flux d'information effectif et pertinent. En cela, la
recherche doit communiquer d'une façon plus lisible ses analyses et ses résultats en
conceptualisant l'interface de communication envers les publics ciblés. En effet, à l'heure
actuelle, il est admis que le déficit d'information peut conduire les acteurs à des actions
inadaptées12 et l'asymétrie d'information crée un déséquilibre de force entre les catégories
d'acteurs notamment dans la résolution des conflits d'accès à la ressource.
Dans cette optique, le rôle de l’information dans la prise de décision a été souligné par Moctar
Bâ, lors de sa présentation du projet SIAP13. Ce projet a pour but de rassembler, harmoniser et
analyser les données disponibles en vue de communiquer ces connaissances à l'ensemble des
acteurs et décideurs du secteur. Dans un premier temps basé sur les aspects biologiques, il
devrait ensuite intégrer des données socio-économiques. De façon unanime, les participants
ont exprimé, pour l’avenir, le souhait de produire davantage d'informations dans les domaines
biologiques et socio-économiques pour permettre l'instauration de politiques d'aménagement
plus fiables.
12
Utilisation inadaptée de l'environnement marin telle la surexploitation de certains stocks de poissons.
Le projet Système d'Information et d'Analyse des Pêches comprend trois grands modules techniques, Fishbase
(informations biologiques et écologiques), Trawlbase (informations historiques) et Statbase (bilan de l'existant et
des besoins en données).
13
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 9
Ainsi, en Guinée, la construction d'un centre d'information doit être entreprise. Mais il faut,
selon les chercheurs guinéens, accompagner la création de ce centre, dans un premier temps
d’un renforcement significatif des compétences de la recherche et dans un deuxième temps
établir des relations bidirectionnelles entre recherche et opérateurs pour parvenir à un domaine
élargi de connaissances mutuelles. Il s'agit donc d'améliorer, selon Jean Le Fur et les
chercheurs du CNSHB, les liens entre les acteurs en construisant un savoir commun et les
structures pour les communiquer et les restituer aux acteurs et aux gestionnaires.
La coopération
La mise en commun des savoirs sera optimisée en accentuant la coopération entre les instituts
de recherche du Nord et du Sud mais aussi entre les instituts des pays du Sud et les différents
acteurs publics et privés concernés par la gestion des ressources. La présentation de Cornélia
Nauen et Jacques Prades met fortement l’accent sur la «multi-dimentionalité» de la
coopération. En effet, la forte similarité des problèmes de gestion des ressources aquatiques
nécessite un dialogue soutenu entre chercheurs et institutions et la consolidation de la
coopération avec la communauté européenne afin de faire bénéficier les institutions africaines
du soutien des scientifiques communautaires et de faire partager tant au nord qu'au sud le
savoir accumulé par les institutions du sud.
En cela, la Commission Européenne est un pionnier de la coopération scientifique puisqu'elle
est pratiquée entre instituts de recherche en Europe et dans les pays en développement depuis
1983. A l'heure actuelle, le programme INCO-DEV doit stimuler ce partenariat Nord-Sud en
ne favorisant plus uniquement un simple transfert de technologie mais en permettant
l'acquisition de technologies adaptées. Le projet SIAP est à ce titre un exemple en ayant pour
but de fournir un mécanisme adapté afin de renforcer la collaboration scientifique14 sousrégionale, régionale et internationale en matière de recherche halieutique.
L’intervention de James Wilson a ensuite montré un autre tenant de la coopération Nord-Sud
qui est la formation des chercheurs et décideurs du secteur des pêches dans les pays
développés. Ainsi, ces acteurs sont généralement formés en Europe du fait des liens
historiques mais la valorisation des filières universitaires nord-américaines en gestion des
ressources marines15, contribuerait à augmenter la diversité des idées sur la gestion des
ressources. Toutefois, la principale contrainte de cette initiative reste le financement des
études.
Les besoins en termes de recherche en sciences sociales
Pendant longtemps, les programmes de recherche n'ont couvert que le suivi de la ressource et
les considérations technologiques, reléguant au second plan les considérations socio14
Le projet SIAP se déroule en partenariat avec des institutions de recherche africaines et européennes, la FAO
(Food Agricultural organisation) et la Commission Sous Régionale des Pêches (CSRP).
15
Le Master en Gestion des Ressources Marines de l'Université du Québec à Rimouski est le seul programme de
ce type en langue française sur le continent nord-américain et accueille un certain nombre d'étudiants africains.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 10
économiques de même que les aspects environnementaux. A titre d'exemple, les présentations
de Ismaila Thiam et de Alkaly Doumbouya relatives aux programmes de recherche en
Guinée16 et en Mauritanie17 ont montré que la recherche en sciences sociales a débuté dans les
années quatre vingt et est renforcée actuellement par une série de programmes
pluridisciplinaires. Néanmoins, la principale contrainte que rencontre cette initiative, dans les
centres de recherche en Afrique, est le manque de personnel qualifié.
Les besoins en termes de recherche en sciences sociales sont de plus en plus forts, du fait
notamment de la mise en place de programmes pluridisciplinaires, tel le programme INCO
CONSDEV, présenté par Jean-Yves Weigel (voir ci-après). Toutefois, les instituts de
recherche, tout en reconnaissant l’urgence de se doter de personnes qualifiées dans les
domaines de l’économie, de la sociologie, du droit et de l’anthropologie, travaillent encore en
une sorte de vase clôt biologique. La biologie, qui dispose certes d’une longueur d’avance, en
termes de structuration des programmes de recherche (imputables en grande partie aux efforts
significatifs des institutions internationales comme la FAO depuis les années soixante dix), ne
peut à ce jour répondre aux questions qui lui sont posées pour faute de compétences.
Aliou Sall a, lors de sa présentation, dans un premier temps exposé les besoins de recherche
exprimés par les organismes de représentation de la profession. Les questions des pêcheurs
sont dans leur formulation relativement simples : quel est le meilleur moment pour pêcher
telle espèce ? quel est le schéma de migration ? le cycle de reproduction de telle autre ? ou
encore la meilleure façon de valoriser telle espèce de poisson, d’une faible valeur
commerciale dans sa forme brute ? Si dans nombre de cas, l’attende de la profession se limite
à des questions très circonscrites dans le temps et l’espace, cela ne semble pas susciter
l’intérêt des centres de recherche qui préfèrent poursuivre leur propre route indépendamment
du fait que leurs travaux ne soulèvent que très peu l’intérêt des professionnels. C’est pourquoi,
dans un deuxième temps, Aliou Sall a souligné l’inadéquation de la recherche à la réalité du
terrain. Il suggère à ce titre l’implication des ONG et des organisations socioprofessionnelles
dans la définition des programmes de recherche ainsi que la nécessité de formuler des
réponses adaptées en temps réel, soulignant par-là l’incapacité de la recherche à apporter des
éléments de réponse au moment idoine. La distance entre la recherche et la profession est trop
grande (sans compter l’administration) pour que l’on puisse parler d’applicabilité des résultats
scientifiques. La prise en compte des besoins de la profession et des connaissances des
pêcheurs est un préalable obligé à l’élaboration de tous programmes de recherche mais aussi
un gage de réussite.
L’approche pluridisciplinaire
Les intervenants se sont entendus sur la nécessité d'orienter la recherche de façon à accentuer
la coopération entre les différentes disciplines, afin d'élargir le champ des actions. Il faut que
cette collaboration permette de définir un cadre commun autour des problèmes perçus dans la
perspective d'une gestion durable des ressources halieutiques.
16
17
Centre National des Sciences Halieutiques de Boussoura (CNSHB).
Centre Nationale de la Recherche Océanographique et des Pêches (CNROP).
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 11
En effet, à cause de l'implication du secteur des pêches dans les sphères économiques,
biologiques, et sociales il est nécessaire d'utiliser toutes les disciplines des sciences exactes et
sociales qui apportent une pierre à la compréhension des problèmes de régulation. A titre
d'exemple, des intervenants, et notamment Pierre Failler en présentant de façon synthétique
les textes de Catherine Larrère (philosophie de la nature), Raphael Larrère (sociologie et
philosophie de la nature) et Serge Collet18 (anthropologie et philosophie de l’éthique au regard
de la nature), ont montré l'importance de comprendre les différentes représentations de la
nature qui conditionnent les modalités de protection environnementale et par conséquent la
nécessité d’une collaboration avec des disciplines peu présentes dans la sphère de la gestion
des ressources naturelles. Il a également été souligné la nécessité d'étudier l'histoire des pêches
pour donner des repères aux chercheurs afin d’éviter de répéter continuellement les mêmes
erreurs et de refaire sans cesse la même chose.
Plusieurs interventions ont rappelé que la démarche pluridisciplinaire était intégrée dans des
programmes de recherche actuels. Le programme de recherche CONSDEV19, présenté par
Jean-Yves Weigel, introduit, par exemple, les dimensions économiques, sociales et politiques
en vue de définir le concept de gouvernance des Aires Marines Protégées et des options de
politiques publiques. Ce programme est accompagné d'un volet Système d'Information
Géographique (SIG)20 présenté par Sonia Carrier. Il se voit de plus enrichi par la notion
d'espace-ressources21 qui constitue une façon de conjuguer plusieurs lectures à la fois
géographique, écologique et juridique de l’usage de ressources naturelles dans un espace
géographique et temporel. La présentation de Olivier Barrière a montré l’intérêt de son
application par la capacité du concept à représenter la multi-dimentionalité de l’exploitation
des ressources dans le temps et l’espace et les systèmes d’accès à ces ressources qui leur sont
associés. Au lien entre les ressources et l’espace, se superpose un lien entre les ressources,
l’espace et les mécanismes sociaux et économiques qui en permettent la reproduction (avec
tous les gradients de modes d’accès qui vont de l’accès libre à la propriété privée).
La présentation de Sylvie Guénette a, par ailleurs, montré à quel point la collaboration entre
les disciplines et entre les pays était à la clé de l’élaboration du modèle Ecopath. Si dans sa
forme actuelle, le modèle demeure essentiellement articulé autour des liens trophiques au sein
des écosystèmes, il a pour vocation future d’intégrer des considérations aménagistes afin de
mesurer les impacts des mesures de gestion des pêcheries sur la chaîne trophique. Il pourrait
donc se révéler être un outil d’évaluation de scénarios alternatifs de gestion des pêches.
L’obtention des informations nécessaires qui sont la plupart du temps dispersées dans des
centres de recherche, prendra du temps à rassembler et représentera un coût. Les données
d’effort de la flotte artisanale, ou du moins son évolution, sont déjà étudiées au CNHSB.
18
Ces trois personnes n’ont malheureusement pas pu faire le déplacement jusqu’à Conakry.
Ce projet concerne trois pays : la Mauritanie à travers le banc d'Arguin; le Sénégal à travers le Sine Saloum; la
Guinée Bissau à travers les îles Bijagos.
20
Le volet SIG permettra la production de cartes thématiques à partir de plusieurs couches superposables qui
pourront être l'histoire des peuplements, la migration humaine, la densité et la structure des populations, les flux
commerciaux ou les modes de régulation.
21
Le concept d’espace-ressources renvoie à l’idée d’une utilisation d’un espace.
19
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 12
Sophie des Clers et Pierre Failler, ont, à la suite de cet exposé, proposé une extension
multidisciplinaire à ce modèle dans le but d'élargir ses capacités d'outil d'aide à la décision.
Cette initiative, qui s’appuie sur la notion de coût social et du phénomène des externalités,
part du constat actuel de l’absence d’analyse d’impact de l’implantation de tout projet de
pêche et encore moins de plan d’aménagement et de mesure de gestion. Les maigres études
qui tentent de recenser les impacts s’arrêtent à la sphère de production et finissent toutes en
concluant que le projet va avoir un impact positif sur l’augmentation de la production,
l’emploi, etc. Mais pas un mot sur les conséquences de l’augmentation des crédits, des engins
de pêches ou des navires, sur non seulement les ressources ciblées, mais de façon plus large
sur les écosystèmes dans lesquels ses ressources se trouvent jouer un rôle particulier. L’idée
est donc d’établir un lien entre l’économique et l’écologique en suivant du doigt la trace que
peuvent laisser les projets de pêche et les plans d’aménagement sur le milieu marin. Et de
façon plus étendue l’idée est d’intégrer dans le calcul du coût social, l’ensemble des coûts
directs et indirects induits par les activités de pêche mais aussi les incidences monétaires des
choix politiques. Il est en effet extraordinaire de constater que les coûts de gestion de
nombreuses pêcheries, pour l’essentiel industrielles, dépassent les revenus qui découlent de
l’exploitation des ressources halieutiques. Il est donc impératif de construire des outils d’aide
à la décision qui permettent d’intégrer le coût social des mesures prises dans des objectifs
aménagistes ou de développement du secteur. La performance de l’outil est certes primordiale,
mais l’est plus encore la réflexion qui est insufflée par l’obligation de mesurer la conséquence
de ses actes.
Des intervenants ont par ailleurs exprimé le souhait de voir la recherche halieutique, qui
demeure une structure spécialisée, intégrer des structures plus généralistes. Ainsi, le chercheur
doit tenter d’établir des ponts entre sa discipline et les disciplines connexes qui peuvent, en ce
qui concerne la théorie et la méthode, apporter des éléments significatifs pour nourrir la
réflexion dans le domaine de l’halieutique. Si l’ensemble des intervenants s'accorde sur la
nécessité d'accentuer la démarche pluridisciplinaire, deux conceptions apparaissent dans sa
mise en application. Certains participants ont ainsi exprimé leur souhait d'associer à la
multidisciplinarité la notion de transdisciplinarité. Il ne faut pas seulement, selon eux,
décloisonner les disciplines relatives à la gestion des ressources halieutiques mais participer
au décloisonnement du chercheur lui-même et faire de sorte qu’il s’ouvre et aille vers les
autres disciplines. D’autres participants estiment que les questions d'aménagement sont
pluridisciplinaires mais les étapes de réflexion doivent demeurer disciplinaires. A ce sujet, la
recherche halieutique a été comparée à la construction d'une maison. Ainsi, «un plan
d'architecte» est dans un premier temps élaboré en collaboration avec l'ensemble des
disciplines afin de donner la cohérence et la solidité nécessaire à «l'édifice». Dans un
deuxième temps, chaque métier (ou chaque discipline) retourne à ses travaux pour contribuer
à sa manière et selon l'expertise dont il dispose, à la réalisation du projet. Ceci nécessite des
concertations à mi-parcours pour apporter des corrections éventuellement nécessaires.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 13
Les ENJEUX de la recherche halieutique en sciences sociales en Afrique de
l’Ouest
Les présentations et les débats qui ont animé le séminaire ont permis de dégager plusieurs
enjeux de la recherche en sciences sociales. De nature différente, ils concernent autant l’objet
de recherche que l’organisation de la recherche. Quelle recherche et comment? Le postulat de
départ est que les programmes de recherche doivent apporter des éléments pertinents à la
formulation des politiques de gestion des ressources halieutiques. Le constat émis est que dans
sa forme et son contenu, la recherche est aujourd’hui incapable de faire face à la mission qui
lui est dévolue. Pourquoi? Manque de moyens, de capacités, de volontés politiques. Bien sûr.
Mais doit-on baisser les bras pour autant? Les collaborations et les moyens financiers
potentiellement à la disposition de la recherche sont légions. L’examen de ces questions,
conduit tout au long des trois journées de travail, a permis de définir deux enjeux majeurs et
concomitants.
Le premier enjeu majeur de la recherche halieutique est d'améliorer la définition des
conditions de la régulation de l’accès à la ressource. La question de l’accès était en toile de
fond de toutes les discussions et présentations et faisait office de garde-fou, en rappelant
constamment à tout un chacun de ne pas tenter de résoudre d’autres problèmes tant que ce
point ne sera pas réglé. Les solutions techniques qui garnissaient jusqu’à présent les rapports
et les recommandations de la recherche à ce qui était considéré comme un simple problème
technique de mauvaise adéquation de la capacité de pêche à la disponibilité de la ressource ont
toutefois été critiquées car trop loin de la réalité de pêcheries dynamiques. Ainsi, le
réductionnisme mécanistique a montré jusqu’à présent son incapacité à proposer quoi que ce
soit qui inscrive l’exploitation des ressources dans la durabilité. A la manière du courant néoinstitutionnel22, la recherche en sciences sociales doit ouvrir aujourd’hui la boîte noire des
institutions et désormais intégrer la décision publique comme processus institutionnel au sein
duquel se trouvent en interaction différents acteurs (recherche, professionnels, administration)
et divers mécanismes de prise de décision. Lieu de négociation, de contrat, d'échange et
d'opportunisme, la décision publique qui s’exprime d’autant mieux sous le vocale à la mode
de celui de gouvernance, devient ainsi un élément central dans le processus d’allocation des
droits d’accès aux ressources. Autrement dit, l’ajustement de la capacité de pêche à la
disponibilité de la ressource cesse d’être une solution mécanique mais devient un objet
d’étude institutionnelle.
Aussi, le deuxième enjeu majeur de la recherche est d’élargir son cadre de réflexion,
prenant en compte les interactions «système pêche – extérieur». Le séminaire a permis de
mesurer à quel point la recherche en sciences sociales s’était laissée enfermée dans des
schémas réducteurs, contrairement à d’autres disciplines qui ont ouvert leurs champs
d’analyse et puisé dans les disciplines proches ou lointaines, de précieux matériaux pour leur
renouvellement. Les pressions extérieures poussent aujourd’hui les portes du secteur des
pêches des pays de la sous-région. A ce titre, les pêcheries nationales semblent actuellement
22
Courant de pensée apparue au milieu des années soixante dix, dont le représentant le plus connu est Olivier
Williamson.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 14
se développer à l’image des cultures de rente, avec toutefois quelques décennies de retard,
pour n’avoir su plutôt susciter l’intérêt des investisseurs, politiques et bailleurs de fonds.
Aussi, maladroite serait la tentative d’analyse du secteur cacaotier de la Côte d’Ivoire depuis
l’analyse du fonctionnement du système de production, sachant que toutes les décisions
importantes se prennent depuis le marché à terme de Londres. Les chercheurs qui œuvrent
dans le domaine de l’agriculture l’on compris, pour avoir bien entendu été confrontés plutôt
au problème. C’est donc une invitation qui est faite ici aux chercheurs en sciences sociales qui
travaillent dans le domaine maritime de dialoguer avec leurs homologues du domaine de
l’agriculture et de se pencher sur leurs travaux.
La recherche doit donc appréhender désormais le secteur des pêches comme faisant parti d'une
entité plus grande, intégré de plein pied dans une logique internationale, et pas seulement des
échanges mais aussi de production et de transformation. Les objectifs de plus en plus
discordants qui sont formulés à l’endroit du secteur des pêches au niveau national, que ce soit
en connivence avec les institutions de Breton Woods ou les bailleurs de fonds classiques, ou
au seul sein du ministère des Pêches, conduisent à de telles impasses qu’il est urgent que la
recherche apporte des options qui concilient le développement économique, la conservation
de la ressource et l’équité sociale.
En ce qui concerne la forme de la recherche, l’enjeu consiste à développer de nouvelles
coopérations entre instituts de recherche du Sud et du Nord, acteurs publics et privés ainsi
que des approches pluridisciplinaires afin de créer un savoir commun autour des
problématiques communes. Sur ce dernier point il sera nécessaire de conceptualiser un plan
donnant une cohérence d'ensemble au projet multidisciplinaire. L'amélioration de la gestion
des ressources halieutiques doit ainsi passer par le rapprochement des objectifs des différents
acteurs du processus de décision et par le développement des aptitudes à intégrer les nouveaux
intervenants et les nouvelles formes de représentation. Ces objectifs seront atteints à travers
des programmes favorisant le dialogue et la création de flux d'information entre les différents
acteurs ainsi que le rapprochement des savoirs.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 15
Texte d’introduction
Contexte international et politiques des pêches en Afrique de l’Ouest
Pierre Failler et Nicolas Lécrivain (CEMARE, Université de Portsmouth, Royaume-Uni)
Introduction
L’objectif de ce texte est de présenter le contexte dans lequel évolue le secteur de la pêche en
Afrique de l’Ouest. Est exposé dans un premier temps, le contexte créé par les politiques de
développement et celles relatives aux commerces. Ensuite, dans un deuxième temps, sont
présentées les nouvelles politiques environnementales et institutionnelles et leurs répercutions
sur la gestion de la ressource halieutique. Enfin est montré dans un troisième temps,
l'importance accrue de la pêche dans les économies africaines et l'augmentation du nombre
d'acteurs impliqués dans ce secteur.
Politiques de développement et accords commerciaux
La coopération ACP-UE et les accords du GATT
Le modèle de coopération de Lomé qui débute en 1975 se concrétise par des aides financières
directes et par des privilèges commerciaux. Le régime commercial permet aux pays ACP
d’exporter la quasi-totalité de leurs produits sans rencontrer les barrières douanières (tarifaires
ou non tarifaires) imposées aux autres pays fournisseurs de l’Europe. Les produits de la pêche
bénéficient de ce régime de préférence, depuis 1982. Les aides financières pour le secteur de
la pêche se sont focalisées dans un premier temps sur l’amélioration des infrastructures et de
la pêche industrielle pour permettre de développer une filière à l’exportation. Durant les
années 1980, les programmes se sont concentrés sur le développement du secteur artisanal des
petites et moyennes entreprises pour permettre l’approvisionnement des marchés locaux.
Depuis, les accords de Lomé III, la coopération européenne accorde des prêts spécifiques au
secteur de la pêche. Avec la conférence de Lomé IV, l’accent est mis sur une croissance
durable des bénéfices du secteur sans engendrer une plus grande dégradation de
l’environnement.
Le GATT «Accord Général sur les Tarifs Douaniers» est entré en vigueur lors de la
convention de 1947. Les parties signataires, de plus en plus nombreuses, ont mené jusqu’en
1995 des négociations multilatérales pour promouvoir mais aussi réglementer la libéralisation
du commerce international afin d’en assurer la sécurité et la stabilité. En 1995, l’Organisation
Mondiale du Commerce (OMC) a été mise en place pour faire respecter les règles du GATT.
La règle qui résume à elle seule le concept de ces accords d’échanges multilatéraux est celle
de la clause de «la nation la plus favorisée». Tout avantage commercial accordé par un pays
membre de l’OMC à un autre, doit automatiquement être étendu à l’ensemble des parties
contractantes. Une différence est faite en fonction du degré de développement des pays. Le
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 16
système de préférences généralisées (SPG) prévoit que les mêmes préférences commerciales
sont accordées à l’ensemble des pays de même développement.
Dans ces conditions, les accords de Lomé rentrent en contradiction avec ces nouvelles règles
et une révision de la politique de coopération a été amorcée dès 1998 et un accords fut conclut
en juin 2000. Ce nouvel accord de partenariat, d’une durée de vingt ans, unit l’Union
européenne avec 77 Etats du groupe ACP. L’accord de Cotonou est centré sur l’objectif de
réduction de la pauvreté et repose sur le dialogue politique, l’aide au développement et une
coopération commerciale renforcée. L’Union européenne veut déplacer cette nouvelle
coopération, du simple régime préférentiel vers le soutien à des politiques de
commercialisation au niveau local national mais aussi régional. En ce qui concerne l’aide au
développement, la Communauté appuiera les efforts des Etats ACP en vue du rétablissement
des équilibres macro-économiques et du développement du secteur privé. L’accent sera
également mis sur l'amélioration de l'accès et de la qualité des services sociaux. Pour être en
accord avec les règles de l’OMC, le régime de préférences commerciales accordé par la
Communauté aux Etats ACP sera, à terme, remplacé par de nouveaux accords de partenariat
économique basés sur l'abolition réciproque et progressive des entraves aux échanges
commerciaux. Ces accords feront partie d'une stratégie générale d’amélioration de la capacité
des pays ACP à accroître leur compétitivité et à attirer les investissements privés.
Les accords préférentiels de la convention de Lomé ont permis de dynamiser les exportations
africaines de produits de la mer en direction de l’Europe qui sont passées de 60 millions
d’euros en 1976 à plus d’un milliard d’euros en 1996. Ces accords ont donc contribué
favorablement au développement de ce secteur. Toutefois, ils ont accentué la dépendance des
pêcheries ouest-africaines vis à vis du marché européen puisque ce dernier absorbe près de
80% des exportations africaines de produits de la mer. Dans ce contexte, les exportations des
pays africains sont extrêmement dépendantes des décisions prises par les pays ACP et l’UE.
De plus, selon l’OMC, les avantages commerciaux accordés par Lomé ont fragilisé la
structure des exportations africaines et ont freiné les gains de productivité, gages de
compétitivité. La part de plus en plus marginale des pays ACP dans le commerce mondial
semble l’attester. Un accroissement de la compétitivité est un enjeu primordial pour le secteur
car la disparition des avantages comparatifs va laisser place à une rude concurrence entre pays
africains et pays asiatiques producteurs de poisson.
L’intensification des échanges commerciaux provoquée par les accords du GATT, ont
également eu des effets sur la ressource halieutique, la gestion de l'accès et
l'approvisionnement des marchés locaux. En effet, la plus grande perspective de revenu sur les
marchés étrangers a engendré un intérêt croissant pour les espèces exportées et a eu pour
conséquence une surexploitation dangereuse de certain stock comme le poulpe, la raie ou le
requin. Par effet d’enchaînement, d’importants conflits d’accès sont apparus pour les
ressources destinées à l’exportation qui sont accentués par la baisse du volume des captures
du fait de la surexploitation. En outre, le développement de cette filière d’exportation s’est
effectuée au détriment de l’approvisionnement des marchés nationaux car la grande partie des
captures de la flotte locale se trouve dirigée vers les pays de l’Union européenne. Ce
phénomène est visible localement par une substitution de consommation des poissons nobles
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 17
vers des poissons de moindre coût. Une substitution du poisson pour la viande blanche se fait
également sentir dans les plats familiaux.
Ajustement structurel et lutte contre la pauvreté
La fin des années 1970 est marquée par les transformations de l’environnement international
et la montée de la crise. Les pays en développement qui se sont endettés fortement tout au
long des années 1970 se retrouvent en position d’insolvabilité. La situation est imputée à la
structure même de l’économie des pays africains et dans la faillite instrumentale de l’Etat,
maître d’œuvre du modèle interventionniste. Sous l’impulsion du FMI et de la Banque
Mondiale, les programmes d'ajustement, formés par deux volets, sont mis en place. Le
programme de stabilisation financière du FMI vise à réduire les déséquilibres intérieurs et
extérieurs par des mesures macro-économiques et les politiques d’ajustement structurel de la
Banque Mondiale réalisent des réformes sur les marchés et les institutions pour obtenir les
conditions d’une croissance soutenue. Ces réformes structurelles mettent en marche la
libéralisation des marchés et orchestrent la dérégulation et la privatisation de l’économie.
En 1999, face à la montée de la pauvreté, ce programme a été remplacé par le programme
PRGF (Poverty Reduction and Growth Facility). Les pouvoirs publics et l’ensemble de la
société civile des pays concernés se trouvent davantage intégrés dans le processus. La
recherche d’une croissance rapide et soutenable reste l’objectif fondamental. Néanmoins, la
pauvreté perçue comme un obstacle à la croissance doit être au centre des politiques. Une
croissance continue, favorable aux pauvres, s’appuyant sur un niveau élevé de l’activité et de
l’investissement privé est la clé de voûte de cette nouvelle stratégie.
Les politiques d’ajustement qui ont pour but de réduire les déséquilibres et essentiellement de
résorber le déficit de la balance commerciale en vue d'attirer les capitaux extérieurs, façonnent
le paysage des économies maritimes africaines. Des subventions à l’exportation ont été
octroyées et des zones franches ont été créées pour doper les exportations halieutiques. Tout
comme les accords préférentiels de Lomé, ces principes d’incitation ont dynamisé les
exportations mais ont eu un impact négatif sur l’état de la ressource marine. La dévaluation du
FCFA, en 1994, a permis une amélioration de la compétitivité extérieure mais a eu pour
conséquence la surexploitation de certains stocks de poissons à forte valeur marchande. La
dévaluation provoquant également une baisse du pouvoir d’achat local a engendré un
glissement de l’effort de pêche vers les captures d’exportation bien plus rémunératrices. Ces
situations orientant la production vers l'extérieur ont créé des économies de plus en plus
extraverties. Les politiques de privatisation ont modernisé les pêcheries et ont permis la
diffusion du progrès technique du nord vers le sud. Les principales formes d’intervention ont
été d’introduire des changements technologiques comme le moteur ou la senne tournante.
Ceci a permis d’augmenter l’effort de pêche mais a abouti à la surexploitation de la ressource
halieutique. Dans la nouvelle forme de l’ajustement, l’aide au secteur doit permettre de lutter
contre la pauvreté. Mais cette nouvelle stratégie risque d’amplifier une situation déjà
catastrophique. Ces politiques basées sur des critères macro-économiques ont hypothéqué les
ressources naturelles et mis en danger la sécurité alimentaire des pays qui ont accepté de s’y
soumettre. Depuis quelques années, face à cette situation, de nouveaux concepts tentent
d’infléchir cette tendance.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 18
Les politiques environnementales et institutionnelles
Le développement durable
L’activité économique puise dans la nature les matériaux qu’elle utilise, comme elle y rejette
les déchets qu’elle engendre. Le développement économique des pays du Nord,
particulièrement depuis la deuxième guerre mondiale, a suivi des modèles surexploitant les
ressources naturelles. En Afrique, au lendemain des indépendances, la classe politique
africaine a suivi ce modèle de développement occidental. L’exploitation des ressources
naturelles devait permettre le «décollage» des économies en développement. Jusque dans les
années 1970, ces ressources étaient considérées inépuisables mais en 1972, le Club de Rome
mit pour la première fois l’accent sur l’épuisement des ressources pouvant freiner la
croissance économique. Ce rapport faisait référence à l’épuisement des ressources
énergétiques mais aussi à celles des ressources renouvelables comme les ressources
halieutiques qui au-delà d’un certain seuil peuvent se raréfier. Ainsi, l’idée que la nature et
l’économie sont en interdépendance, s’est peu à peu développée. Le choc pétrolier de 1974 et
les différentes catastrophes environnementales (couche d’ozone, effet de serre) ont montré que
les actions humaines sur l’environnement pouvaient être irréversibles et que la surexploitation
d’une ressource pouvait entraîner leur rareté. Ces notions ont débouché sur le concept de
développement durable23. Les interactions entre l’économie et l’environnement doivent
désormais être gérées de façon à répondre aux besoins actuels sans sacrifier la satisfaction des
générations futures.
La notion de développement durable commence à affecter l’exploitation, la valorisation et la
gestion des ressources halieutiques africaines. Les nouvelles politiques internationales dans ce
domaine suivent un principe de précaution impliquant une certaine prudence dans l’utilisation
du capital naturel. Le Code de Conduite pour une pêche responsable de la FAO dicte des
mesures que doivent suivre les différents acteurs du secteur pour permettre une gestion
durable de la ressource halieutique. Le système des Zones Marines Protégées (ZMP) qui est
assimilable à une mise en jachère d’un espace halieutique est un outil de gestion issu de ce
principe de précaution.
WWF et Unilever une multinationale de l'agro-alimentaire24 se sont unis en 1996 pour lancer
un label (the Marine Stewardship Council logo) pour les produits issus d’une pêche
responsable. Ce principe paraît promis à un bel avenir, puisqu’il ne heurte pas les règles de
l’OMC25 et malgré la persistance des problèmes scientifiques pour déterminer les critères
d’une pêche responsable, il peut limiter la surexploitation de la ressource maritime. Toutefois,
23
Le principe du développement durable a influencé les décisions issues de la conférence internationale sur la
pêche responsable (Cancun, 1992), celle du sommet de Rio (CNUED, 1992), celle des Nations Unies sur les
stocks chevauchants et grands migrateurs (New York agreement, 1995) et l’adoption du Code de conduite pour
une pêche responsable (FAO, 1995). Le dernier accord de Lomé et actuellement le nouvel accord de Cotonou
mettent l’accent sur la notion de durabilité et les préoccupations environnementales. Les derniers textes de
l’Union Européenne et notamment le traité de Maastricht (article 130) font également état de ces nouvelles
orientations.
24
Unilever est propriétaire des marques Findus, Birds Eye, Iglo en Europe et Gorton’s aux USA.
25
L’OMC accepte des normes sur les marchandises si elles se portent sur la nature et non pas sur la manière dont
elles ont été fabriquées.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 19
au-delà de la question environnementale, l’écolabélisation pourrait marginaliser et extravertir
d’avantage les économies africaines. En effet, du fait de la mondialisation des échanges, il
existe un risque de voir ce label accordé uniquement aux flottes des pays industrialisés tandis
que les flottes artisanales seraient tenues à l’écart du processus.
Dans un autre cadre, le développement durable a influencé les réflexions sur le droit de la mer
dont le sommet de Río a donné les derniers jalons. Cette convention a modifié
considérablement le droit maritime en établissant pour chaque Etat une zone d’exclusivité
territoriale (ZEE) qui contient le plus souvent la grande partie de la ressource halieutique. Les
pays africains possédant une façade côtière se sont vus conférer un droit exclusif
d’exploitation de la ressource sur cette zone. En contrepartie, il est de leur devoir de mettre en
œuvre des mesures de gestion pour en éviter la surexploitation. Les Etats côtiers contrôlent
l'accès de la ressource halieutique par la délivrance de droit de pêche aux flottes étrangères.
Ces accords de pêche représentent une importante source de captation d’une rente financière
pour des pays qui sont astreints à gérer un service de la dette important. Cette situation
engendre donc, une gestion qui rentre en contradiction avec l’objectif du développement
durable puisque les pays sont davantage incités à accorder des droits de pêche qu’à protéger le
capital naturel.
Ces différentes conventions tentent de corriger plusieurs décennies d’exploitation voire de
surexploitation de la ressource naturelle, mais il manque une stratégie claire pour les mettre en
œuvre. L’influence de l’économie mondiale telle la libéralisation des échanges et le poids de
la dette s’avère souvent difficilement compatible avec une gestion durable des ressources
naturelles.
Participation publique
La crise financière des pays en développement a été en partie expliquée par les carences
institutionnelles de l’Etat. Les mesures de l’ajustement structurel ont visé le démantèlement de
l’appareil étatique, devant permettre de réduire les gaspillages et de rationaliser les ressources.
Les institutions de Bretton Woods ont accompagné ces mesures d’ajustement par le principe
de la «good governance» qui est une réflexion sur la manière par laquelle le pouvoir est exercé
au service du développement. Les Etats n’ont plus le monopole de la décision publique, il
existe d’autres acteurs qui participent à la régulation économique et sociale. Ce concept soustend l’idée d’une responsabilisation accrue des populations dans l’entreprise de leur
développement et dans la gestion et la conservation du milieu naturel qui les fait vivre.
Les nouvelles directives des instances de Washington, de l’OMC et les politiques issues des
conventions de Lomé IV ont donc mis en avant une participation accrue de la société civile et
des acteurs économiques et sociaux. Ce phénomène s’est notamment accompagné de
politiques de décentralisation26 permettant une plus grande participation des pouvoirs locaux.
Les accords de Cotonou encouragent aussi la diversification des acteurs dans la décision
publique. Cette nouvelle dimension du partenariat ACP-UE est de nature à contribuer aux
26
La décentralisation désigne le transfert d’une partie du pouvoir de l’Etat national à des instances régionales ou
locales.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 20
processus démocratiques et devrait assurer une meilleure viabilité des actions de coopération,
à travers l'information et la consultation.
En ce qui concerne, la gestion des ressources halieutiques, les institutions locales et les
populations sont mieux à même de définir leurs besoins et de gérer leur milieu de façon
rationnelle. Toutefois, la propension des individus à s’organiser en institution en vue d’une
gestion du capital halieutique est fonction de la répartition des droits de propriété existants.
Ainsi, le risque est de déléguer la responsabilité de gestion à des entités qui peuvent être
antidémocratiques et contrôlées par des élites locales. Ce nouveau champ institutionnel
permet également d’exercer un meilleur contrôle sur la ressource halieutique et facilite
l’incitation au respect des règles. Néanmoins, cette situation qui renvoie à une certaine
territorialisation des décisions publiques rentre en contradiction avec la gestion halieutique
dans le cas des stocks migrateurs ou des migrations de pêcheurs. En outre, cette
décentralisation des pouvoirs doit s’accompagner des transferts financiers, techniques et
humains suffisants pour permettre une gestion efficace de la ressource halieutique.
La labélisation expliquée plus haut s’inscrit également dans ce phénomène de participation
accrue des acteurs économiques et sociaux. Le consommateur se trouve impliqué, avec cet
outil, au premier rang, dans la conservation de la ressource halieutique. La sauvegarde de
l’environnement mais aussi son coût financier qui autrefois étaient dévolus aux seuls Etats se
voient progressivement transférer au niveau du consommateur qui doit désormais choisir un
produit issu d’une exploitation durable. Ce transfert est problématique car le consommateur
est souvent sous-informé et son intérêt pour la sauvegarde de la ressource risque d’être
fonction des fluctuations du revenu.
Une plus grande participation des acteurs ne doit donc pas signifier un désengagement total de
l’Etat central sous peine d'hypothéquer d’avantage l’état de la ressource halieutique. Il s’agit
de décentraliser la gestion vers les communautés tout en reconnaissant un rôle de coordinateur
et de soutien à l'échelon central.
Le résultat notable de l’ensemble de ces politiques environnementales et institutionnelles est
de favoriser un élargissement du nombre d’acteurs impliqué dans ce secteur.
Elargissement de la gamme des acteurs
Importance accrue de la pêche sur les économies africaines
Le marché des minerais et celui des grandes cultures de rente ont commencé à décliner avec la
crise de 1974. La pêche qui était considérée comme un secteur sans intérêt est devenue un des
secteurs les plus rémunérateurs des économies africaines. Les Zones Economiques Exclusives
de l’Afrique de l’Ouest sont, de plus, parmi les plus poissonneuses au monde et sont donc
fortement convoitées. A titre d'exemple, la pêche est le deuxième secteur de l’économie pour
la Mauritanie, le Sénégal, la Guinée Bissau et est prépondérante pour les économies du Cap
Vert, de la Guinée et de la Gambie. Il a contribué en 1996 à plus de 52% des entrées
Mauritaniennes de devise et il occupe depuis 1986 le premier poste des exportations
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 21
sénégalaises. En Guinée Bissau, ce secteur représente 14% du PIB27 et couvre au Cap Vert,
50% des recettes d’exportation. Ce secteur participe donc fortement à la réduction des
déséquilibres et a un rôle croissant dans l’attraction des capitaux extérieurs.
Les gouvernements sont également de plus en plus conscients de la contribution de la pêche à
la satisfaction des besoins alimentaires, aux revenus et à l’emploi. La pêche participe en effet
à la création d’emplois dans les différents sous-secteurs (production, transformation et
commercialisation) et est une source de revenus pour les populations les plus démunies. A ce
titre, la pêche couvre 75% des besoins en protéines animales de la population sénégalaise et
occupe environ 600 000 personnes. Au Cap Vert, le poisson est la principale source de
protéine animale et son prix est plus accessible que les autres viandes. Les communautés de
pêcheurs deviennent alors au fur et à mesure des centres stratégiques pour le développement
économique local.
Cette importance du secteur, dans le développement économique et social a engendré un
accroissement du nombre d’acteurs concernés par les pêches tant dans la société civile que
dans les gouvernements et les organisations internationales et multilatérales.
Augmentation du nombre d’acteurs concernés par les pêches
Une étude récemment publiée par la FAO montre que l’effectif mondial des pêcheurs a doublé
depuis 1970. A l’époque de ce premier recensement, le nombre de personnes vivant de la
ressource halieutique en tant que source de revenu et de vivres s’élevait à 13 millions. En
1980 ce nombre atteignait 17 millions et en 1990 il était de 28.5 millions. En 1996 la FAO
estimait à 8 millions le nombre de pêcheurs en Afrique Subsaharienne, soit environ 20% des
emplois du secteur agricole. Cette évolution est due entre autre à l’accroissement
démographique mais également à l’affaiblissement de certains secteurs qui a engendré un
report des emplois vers le secteur des pêches.
L’importance de la pêche dans le développement économique a encouragé les ONG
internationales à lancer des programmes de soutient au secteur. L’Union Internationale pour la
Conservation de la Nature a ainsi développé des projets pour préserver la ressource
halieutique en Mauritanie, au Sénégal et en Guinée Bissau. Ces projets visent la promotion de
Zones Marines Protégées28, la diversification des sources de revenu des pêcheurs29 et une plus
grande sensibilisation des populations locales aux problèmes d’environnement. L’ONG
internationale WWF participe également à la promotion de Zones Marines Protégées et avec
Unilever, elle est impliquée dans la création d’un marché spécifique de la pêche durable. Son
projet «Gift to the Earth» récompense les gouvernements qui mettent en œuvre des politiques
respectant l’environnement30. L’ONG française FIBA31 est présente en Mauritanie depuis
27
Source: FAO (Fishery Country Profile).
Parc national du Delta du Saloum (Sénégal), Parc National du Diawling, Parc National du Banc D’Arguin
(Mauritanie).
29
Projets d’éco-tourisme (boutiques artisanales, musée…) dans la gestion du Parc National des oiseaux de
Djoudi (Sénégal).
30
La Mauritanie pour sa loi sur la pêche dans le Banc d’Arguin et la Guinée Bissau pour la création d’une aire
protégée dans l’archipel de Bijagós ont reçu le «Gift to the Earth 2001».
31
La Fondation Internationale du Banc d'Arguin.
28
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 22
plusieurs années et est un acteur important du secteur des pêches mauritaniennes. Elle appuie
des actions programmées sur le littoral et notamment dans le Parc National du Banc d’Arguin
et du Diawling. De nombreuses autres ONG sont impliquées dans le secteur des pêches en
Afrique de l’Ouest comme l’organisation la Mon 3 (Espagne), ENDA Tiers-Monde (Sénégal),
CAFOD (Royaume Uni) ou encore CIDAC (Portugal). L’ensemble de ces organisations, par
leur reconnaissance internationale, deviennent des partenaires de poids dans la gestion du
secteur en Afrique de l’Ouest. Des pays doivent composer avec ces ONG, comme la
Mauritanie et la FIBA ou la Guinée Bissau et l’IUCN, pour l’élaboration de politiques
environnementales.
Les Etats africains, avec l’instauration des ZEE et le droit de la mer de 1982, se sont vus
concernés au premier chef par la conservation et la gestion de la ressource halieutique. De
plus, sous l’impulsion des politiques de décentralisation, des partenaires locaux se sont
ajoutés aux acteurs nationaux dans la prise de décision.
De nouveaux acteurs apparaissent aussi au niveau régional comme la Communauté
Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), créée en 1975 et qui a pour
objectif essentiel la coopération en matière de développement de l’agriculture, de la foresterie,
de l’élevage et des pêches. Des commissions régionales des pêches ont été mises en place
pour tenter de résoudre les problèmes des poissons migrateurs et la gestion de la haute mer. A
ce titre, la Mauritanie, le Sénégal, la Gambie, la Guinée Bissau, la Guinée et le Cap Vert ont
créé en 1985 la Commission Sous Régionales des Pêches (CSRP). Elle a pour objectif
d’harmoniser les politiques des pays membres en matières de conservation et d’exploitation
de leurs ressources halieutiques32.
Les organismes internationaux mais aussi les coopérations des pays développés ont un intérêt
croissant pour le secteur de la pêche et financent de nombreux projets pour développer ce
secteur. L'Union européenne, intervient ainsi, dans le développement de la pêche à travers des
projets d'appui au secteur artisanal, notamment en Guinée, en Guinée Bissau et au Sénégal. En
Gambie, l’Union Européenne collabore avec les gouvernements japonais et italien à des
projets sur la pêche artisanale. En Guinée Bissau, elle est en collaboration avec les
coopérations canadienne et portugaise pour la formation de fonctionnaires. L’Union
Européenne finance également plusieurs projets de recherche par le biais du programme
Initiative de Recherche Halieutique et du programme INCO-DEV (INCO-Céphalopodes,
INCO-CONSDEV, par exemple) ou encore le projet (SIAP) relatif à la mise en place d’un
système d’information et d’analyse des pêches en Afrique de l’Ouest. La France favorise la
coopération technique et scientifique au travers de l’IRD (Recherche) et par le biais de l’AFD
(développement), a par exemple financé le programme de réhabilitation et de structuration du
Port Autonome de Nouadhibou (Mauritanie). Au Sénégal elle finance un projet d’appui à la
restructuration de la filière industrielle. La coopération allemande (GTZ) finance, quant à elle,
des projets de protection et de gestion des ressources naturelles au Sénégal et en Mauritanie.
Elle participe aussi au développement de la pêche artisanale au Cap Vert. La coopération
britannique (DFID) participe avec l’appui de la FAO (Gestion du projet) au Programme pour
32
la CSRP a établit une banque de données maritimes, un registre des navires de pêche, un système d’évaluation
de l’effort de pêche et de surveillance aérienne et la mise en place de programme de recherche halieutique.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 23
des Moyens d’Existence Durable dans la Pêche33 (PMEDP) qui concerne vingt-cinq pays
d’Afrique de l’Ouest. Elle finance également de nombreux projets de recherche sur la
protection et la gestion des ressources halieutiques, notamment le projet relatif à
« l’application de principe de responsabilité aux politiques de pêche ». La Norvège est aussi
présente en Afrique de l’Ouest, à travers le programme Nansen, relatif à l’évaluation des
stocks. Tout récemment, les Pays-Bas ont développé des activités de recherche en Mauritanie
autour des petits pélagiques. Le Département des pêches de la FAO, développe un projet
(FIGIS) sur un système d’information mondial sur les pêches. Il assiste aussi, par le
programme FISHCODE, les Pays en voie de développement pour l’application du Code de
Conduite pour une Pêche Responsable. Enfin, la Banque mondiale participe au
développement du secteur privé des pêches et à travers le PCPEA (Projet cadre de promotion
des exportations agricoles) finance le développement de la filière d’exportation des produits
halieutiques guinéens.
Conclusion
Le visage de la pêche en Afrique de l’Ouest a subi des mutations considérables pendant les
trente dernières années. Ces changements sont dus à l’insertion du secteur dans un contexte
internationale d’intensification des échanges des produits de la mer, de pilotage de puis les
marchés extérieurs, de «fuite» du poisson vers les marchés des pays développés et de pression
environnementaliste accrue. De plus, pour bon nombre de pays de l’Afrique de l’Ouest,
l’exploitation et la valorisation des ressources halieutiques est devenu un enjeu de
développement national tant économique que social. La pêche, se trouvant alors au centre des
politiques de développement, n’est plus maître de son avenir, elle est intégrée dans un débat
institutionnel de plus en plus complexe. Il s’agit dès lors d’adapter la recherche halieutique à
ce nouveau contexte pour permettre l’instauration de politiques appropriées d’aménagement
des pêches et de développement des filières halieutiques.
33
Le PMEDP vise à réduire la pauvreté dans les communautés de pêche côtières et continentales par
l’amélioration des moyens d’existence des personnes dépendant de la pêche et des ressources aquatiques.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 24
La question de l’accès : examen sous différents angles
Les implications du commerce international et des contraintes monétaires
sur la gestion publique des ressources halieutiques des pays de l’Afrique de
l’Ouest
Moustapha Deme et Karim Dahou (CRODT, Sénégal, ENDA tiers monde, Sénégal)
Introduction
Les pêcheries ouest-africaines présentent la caractéristique d’être multifonctionnelles, c’est-àdire de répondre à différentes préoccupations qui concernent aussi bien l’emploi ou la sécurité
alimentaire que les changes extérieurs. Dans un contexte d’ajustement des économies de la
région, les politiques des pêches ont cependant davantage poursuivi des buts commerciaux
visant à la consolidation des comptes extérieurs que répondu à des préoccupations sociales et
environnementales. L’exportation s’est partout développée, sous l’effet d’un certain nombre
de mesures internationales (Convention de Lomé, dévaluation, accords de pêche…) ou
nationales (subventions à l’exportation, zones franches, statuts d’entreprise franche,
d’exportation…). Dans les pays traditionnellement consommateurs, cette évolution a parfois
compromis la sauvegarde de la sécurité alimentaire. A l’intérieur de ceux qui disposaient de
flottes artisanales ou industrielles tournées vers le marché domestique, l’emploi et la valeur
ajoutée locale ont pu s’en trouver affectés. Quasiment partout, les ressources exportées ont été
soumises à une pression de pêche telle qu’on craint, à l’heure actuelle, que leurs conditions de
reproduction ne soient durablement ébranlées.
Sur le plan commercial, les contraintes les plus importantes semblent découler d’une
dépendance très forte vis à vis du marché européen, alors que la libéralisation du commerce
international remet en cause la compétitivité des exportations ouest-africaines sur ce marché.
Dans le domaine monétaire, la dévaluation n’a pas eu un impact aussi favorable qu’on le
pense généralement sur les pêcheries de la zone franc. Les changes flottants ne sont peut être
pas non plus la panacée, surtout parce qu’ils pourraient retarder des ajustements structurels
pourtant nécessaires. De nouveaux régimes de changes pourraient être plus favorables. Toutes
ces raisons conduisent à estimer que des recherches sur l’impact d’une libéralisation
commerciale à l’œuvre, sur les plans social et environnemental, ainsi que celui des politiques
de changes, devraient être développées.
Commerce international et gestion des pêcheries
Dépendance accrue vis à vis du marché européen
La principale contrainte commerciale des pays d’Afrique de l’Ouest, relativement à leurs
filières halieutiques, réside dans la dépendance de leurs exportations vis à vis du marché
européen. Alors que ces filières sont, depuis une vingtaine d’années, de plus en plus
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 25
extraverties, les résidus de cette extraversion sont majoritairement écoulés, en effet, dans les
pays européens. Cette extraversion croissante est par ailleurs liée à certains dispositifs
commerciaux. Tel est notamment le cas des accords de Lomé, associant l’Europe aux pays
ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Conclue en 1982, la Convention de Lomé a institué un
régime d'exonération de droits de douane à l'entrée du marché européen pour la plupart des
produits des pays ACP. Ces produits entrent sur le marché européen sans rencontrer les
obstacles tarifaires (droits de douane) ou non tarifaires (quotas) imposés aux autres pays
fournisseurs. Les produits halieutiques étant couverts par ce régime, leur compétitivité s’est
nettement améliorée.
Ainsi, tandis que la part des ACP dans les exportations totales de produits de la mer a
régulièrement baissé depuis une vingtaine d'années, passant de 5,3 % en 1975 à 4,5 % en 1985
et 3,8 % en 1995, leurs exportations sur le marché européen ont augmenté plus rapidement
que celui-ci. Cette situation s'est traduite par des gains de parts de marché, la part des ACP
atteignant 13,2 % du marché européen en 1996, alors qu'elle se situait respectivement à 6,1 %
et 9,3 % en 1976 et 1986. De sorte que la dépendance des pays ACP vis à vis du marché
européen, déjà importante pour des raisons historiques tenant aux délocalisations d'unités de
transformation en Afrique et à la présence d'une flotte européenne destinée à les
approvisionner, s'est encore accrue. On estime aujourd'hui que le marché européen absorbe
jusqu'à 80 % des exportations africaines de produits de la mer (et 66 % des exportations de
produits halieutiques sénégalais). Ces dispositifs commerciaux ont généré des tensions aussi
bien sur la sécurité alimentaire que sur les ressources.
Impacts sur la sécurité alimentaire et sur la ressource
L’attraction de la demande extérieure a fortement déterminé l’évolution des secteurs
halieutiques des pays de l’Atlantique Centre-Est. Provoquant des conséquences différentes
selon la morphologie des pêches dans les différents pays, elle s’est systématiquement traduite,
cependant, par une extraversion croissante et des tensions sur les ressources.
Les pêches mauritaniennes exportent actuellement près de 80% de leur production. La
demande locale est relativement faible, la pêche artisanale traditionnellement peu développée,
si bien que les tensions sur la sécurité alimentaire et l’emploi ne sont pas aussi fortes que dans
d’autres pays de la sous-région. Il reste que la valeur ajoutée locale aurait probablement sans
doute été plus développée qu’elle ne l’est actuellement, si davantage d’attention avait pu être
accordée au développement de capacités de pêche nationales. Il convient également d’ajouter
que les espèces exportées sont manifestement soumises à des tensions croissantes résultant
d’un effort de pêche soutenu, tensions qui sont d’ailleurs à l’origine de l’institution de repos
biologiques sur un certain nombre d’espèces. Ces perturbations se doublent, au Sénégal, de
problèmes affectant la sécurité alimentaire. Face à un marché extérieur solvable, demandeur
de fortes quantités de produits halieutiques, un nombre croissant d'opérateurs spécialisés dans
la capture d'espèces destinées au marché domestique, notamment de petits pélagiques, se sont
tournés vers la pêche démersale côtière. Ainsi les conditions d'une diminution de l'offre sur le
marché interne étaient-elles réunies, provoquant une augmentation des prix qui est dangereuse
pour la sécurité alimentaire du pays. Les politiques commerciales ont non seulement
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 26
encouragé les reports d’effort de pêche en direction des espèces exportées, mais également la
transformation industrielle d’espèces pouvant approvisionner la transformation artisanale.
Les conséquences de ces exemptions de taxes pèsent manifestement sur les conditions de
reproduction des espèces exportées. Un certain nombre d'espèces sont à la limite de la rupture
biologique. Si l'exploitation devait se poursuivre en l'état, on peut craindre que l'évolution
observée sur le segment de la transformation se répète au niveau de la capture. Ainsi la
modification du rapport de la production à l'investissement traduit-elle une baisse des
rendements que la vigueur de la demande a jusqu'à présent masqué. Cette tendance ne saurait
cependant se poursuivre sans conséquences graves sur la ressource et, partant, sur l'équilibre
financier des unités de pêche. Dans l'hypothèse la plus pessimiste, la croissance des
investissements se poursuivrait au niveau des unités spécialisées dans la capture de
démersaux, crustacés et céphalopodes, accélérant ainsi la déplétion des stocks. Une demande
soutenue ne parviendrait plus à compenser la baisse des rendements et les comptes
d'exploitation de nombreuses entreprises de pêche se dégraderaient. Ce n'est pas encore le cas,
mais les conditions qui président à l'avènement d'un tel scénario, comme le montre l'évolution
du segment transformation, sont déjà réunies.
Exportations de produits halieutiques et libéralisation commerciale
Tandis que les privilèges commerciaux afférents à Lomé ont renforcé la dépendance des
pêcheries ouest-africaines vis à vis du marché européen, la position de leurs exportations sur
ce marché est à présent menacée par la libéralisation commerciale entreprise dans le cadre de
l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les règles de l’OMC condamnent en effet le
régime préférentiel accordé aux pays ACP. Les avantages consentis ne sont pas réciproques et
ils contreviennent au principe de non-discrimination entre pays de même niveau de
développement. Le système de préférences généralisées (SPG) prévoit en effet que l'ensemble
des pays en développement doivent bénéficier des mêmes avantages commerciaux. La
Convention de Lomé devait donc faire l’objet d’une révision. L'alternative qui s'offrait aux
européens et aux pays ACP consistait à choisir entre un basculement de ces derniers dans le
SPG et un nouvel accord de libre échange. C'est finalement cette dernière option qui a été
retenue. Au terme d’une période transitoire allant jusqu’à 2008, l’Europe devrait conclure des
accords de libre échange avec les pays ACP.
Pour évaluer l'impact que pourrait avoir une remise en cause des avantages commerciaux
prévus par la Convention de Lomé, il convient d'examiner le marché européen des produits
transformés et celui des produits non transformés. Sur le marché des produits non transformés,
les pays ACP occupent une place plus réduite que les autres pays en développement, bien
qu'ils aient gagné des parts de marché. En revanche, sur celui des produits transformés, ils ont
non seulement gagné des parts de marché depuis une trentaine d'années, mais ils occupent
également une meilleure position par rapport aux autres pays en développement. Les pays
asiatiques demeurent les mieux placés, mais les pays ACP les ont presque rattrapés et, surtout,
ils ont conquis 12% de parts de marché entre 1976 et 1996. Cette situation s'explique par le
phénomène « d'escalade tarifaire ». Les tarifs douaniers ont en effet tendance à augmenter en
fonction du degré de transformation des produits, ce qui pénalise les exportations de produits
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 27
transformés en provenance des pays en développement. Cette situation est cependant
favorable aux exportations de produits transformés des pays ACP.
Ainsi, toute remise en cause de Lomé serait susceptible d'entraîner des conséquences très
négatives sur les exportations ouest-africaines de produits halieutiques transformés, à
commencer par les conserves de thon. Le différentiel de coût de production entre une conserve
de thon thaïlandaise et son homologue sénégalaise, par exemple, oscille d'ailleurs entre 70 et
90 F CFA, à l'avantage de la première. Cette différence représente presque exactement le
montant des droits de douane qui frappent les conserves de thon thaïlandaises (près de 25%).
Contraintes monétaires et gestion des pêcheries
Contraintes monétaires et financières et échanges de produits halieutiques
Bien qu’elles revêtent une importance substantielle, les distorsions tarifaires et non tarifaires,
tels que quotas, contingentements, normes techniques, environnementales, sanitaires et
phytosanitaires égalent rarement d’autres distorsions aux échanges, beaucoup moins sujettes à
un effort de régulation internationale. Les fluctuations des taux de change induisent en
particulier des distorsions très importantes, parfois bien plus substantielles que les normes
tarifaires, sans pour autant faire l’objet de tentatives concertées et permanentes, de la part de
la Communauté internationale. Plusieurs chocs monétaires récents sont à l’origine de
changements importants sur différents marchés, notamment européen. Dans les années 1990,
la dévaluation du F CFA, la crise financière asiatique et les conséquences de la «dollarisation»
en Amérique Latine, dont les monnaies sont tantôt surévaluées et parfois dévaluées, ont
considérablement influencé la conquête de parts de marché. L’influence des contraintes
monétaires internationales sur la gestion publique des ressources halieutiques des pays de la
Sous-Région: les facteurs monétaires sont le principal déterminant de l’évolution des
exportations; que la valeur du F CFA diminue et ces dernières connaîtront une hausse
importante, qu’elle augmente et les ressources exportées seront immédiatement «soulagées».
Plusieurs hypothèses peuvent être faites concernant l’impact de l’arrimage à l’euro ou, au
contraire, l’existence d’un régime de changes flottants (Ghana), sur la compétitivité externe et
la gestion des ressources halieutiques des pays d’Afrique de l’Ouest.
Si l’on se penche sur la relation entre la parité fixe et le marché des ressources halieutiques,
dans la sous-région, on doit reconnaître que, jusqu’à présent, les avantages d’un tel régime de
taux de change ont été réduits, tandis que ses inconvénients se sont faits durement ressentir.
D’un côté, les investissements européens dans la région, notamment dans le segment de la
transformation, mais aussi dans celui de la capture via les accords de pêche, ont été
relativement importants; de l’autre, la dévaluation a considérablement réduit l’avantage
d’ajustement par les structures de production qui aurait pu résulter du maintien de parité, les
investissements de capacité ayant eu tendance à prendre le pas sur ceux de transformation. Les
charges en capital ont quant à elles augmenté, reflétant l’acuité de la dépendance
technologique. Simultanément, des taux d’intérêt élevés, même dans les pays où il sont
bonifiés grâce à l’appui du gouvernement (Sénégal), ont pesé sur la gestion des entreprises de
pêche et expliquent les difficultés qu’elles rencontrent tant dans le domaine de l’exportation
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 28
(coûts en capital élevés; charges du crédit d’autant plus importantes; croissance par les
volumes privilégiée, mais raréfaction et augmentation du coût de la matière première…) que
sur le marché domestique (rémunérations insuffisantes pour couvrir les coûts
d’investissement; modification du partage de la valeur ajoutée en faveur du travail…). La
parité fixe a également empêché l’ajustement rapide des économies ouest-africaines à la
nouvelle donne issue, notamment sur le marché européen, de la dévaluation des monnaies
asiatiques en 1997. Or, les pays est-asiatiques mais aussi latino-américains sont des
concurrents directs des pays d’Afrique de l’Ouest sur le marché européen, notamment dans le
domaine des activités halieutiques. Face à de telles menaces, et alors que l’érosion tarifaire
fait déjà ressentir ses conséquences, la dépendance des exportations ouest-africaines vis à vis
du marché européen semble être une source d’inconvénients au moins autant que d’avantages.
Est-ce à dire pour autant, qu’un régime de changes flottants eut été préférable? Cela n’est pas
évident, d’abord parce que les changes fixes favorisent la réalisation des investissements de
transformation indispensables à la restructuration du segment transformation-conditionnement
de la filière halieutique ouest-africaine. Encore faut-il qu’une dévaluation ne vienne pas
perturber cet effort en donnant une prime aux structures les plus frustes dont les charges en
capital sont peu élevées. Mais un régime de changes flottants présenterait de surcroît
l’inconvénient de compliquer l’intégration capitalistique des structures de production ouestafricaines, à l’heure où l’atomicité de l’offre semble occasionner des difficultés financières,
dans un contexte de rareté des ressources, et hypothéquer les investissements de
modernisation nécessaires à une croissance basée sur la valeur davantage que sur les volumes.
De ce point de vue, les changes fixes pourraient, dans la douleur certes, c’est à dire aux prix
de nombreuses faillites et restructurations, favoriser l’ajustement de structures de production
vétustes qui peinent à dégager les marges de profit indispensables à leur fonctionnement.
Leçons de la dévaluation du F CFA et options de changes pour le futur
Il est indéniable que la dévaluation a d’abord eu un effet très positif sur les exportations
sénégalaises de produits halieutiques. Tandis que le taux de change du F CFA était
manifestement trop élevé pour permettre une bonne pénétration des exportations sur leur
principal marché d’appui, celui de l’Union européenne, la situation s’est nettement améliorée
après la dévaluation, à tel point que la valeur des produits échangés a quasiment doublé en
quelques années, passant de 90 à près de 180 milliards de F CFA entre 1993 et 1998. Si l’on
examine les effets de la dévaluation d’après un point de vue suffisamment large, on doit
cependant nuancer ce succès apparent. D’abord, tous les opérateurs n’ont pas été logés à la
même enseigne. En particulier, les opérateurs échangeant leur production sur le marché
domestique n’ont pas bénéficié d’une augmentation des prix d’achat à la production, comme
leurs homologues orientés vers l’exportation, de sorte que l’augmentation de leurs coûts
d’investissements (moteurs et matériels de pêche importés) n’a pas été compensée par une
augmentation proportionnelle de leur chiffre d’affaire. Il en est résulté une dégradation de
leurs comptes d’exploitation qui menace leur pérennité, donc le maintien d’une offre
suffisante sur le marché interne et, par suite, compte tenu de l’importance du poisson dans
l’alimentation des populations, la sécurité alimentaire. Ensuite, si les unités de capture
tournées vers l’exportation ont vu leurs profits augmenter, ces derniers n’ont pas été
également répartis entre toutes les parties au contrat d’entreprise. Le facteur travail a eu
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 29
tendance à absorber, en effet, la quasi-totalité des augmentations. Enfin, au sein du soussecteur d’exportation, le segment captures doit être soigneusement distingué du segment
transformation-conditionnement, celui-ci ayant dû faire face à des difficultés
d’approvisionnement et à une flambée des cours de la matière première.
En vérité, de même que l’échec des politiques de croissance par les exportations est moins dû
à des facteurs intrinsèques qu’à la faiblesse des mesures d’accompagnement, la dévaluation
souffre d’avoir constitué une politique macro-économique relativement déconnectée de ses
enjeux sectoriels et micro-économiques. Les exportations auraient notamment pu «tirer» le
marché interne si, autour de l’extraction et de la vente de produits primaires, des méso ou
semi industries ou artisanats de stockage, de conditionnement ou de transformation avaient
existé ou, à tout le moins, été développés. Ce sont de telles activités qui eussent été
susceptibles de faire en sorte que la relance des exportations se traduise par une demande
nouvelle significative de biens d’équipements et de travail. A contrario, en l’absence d’un tel
réseau secondaire, de faibles investissements de capacité complétés par l’emploi d’une main
d’œuvre journalière se sont souvent avérés suffisants pour tirer bénéfice du surcroît de
demande externe. La valeur ajoutée, dès lors, n’a pas augmenté aussi significativement que le
chiffre d’affaire. Les ajustements nécessaires à la pérennité de l’activité n’ont pas non plus été
nécessairement opérés.
En somme, tandis que les avantages de la parité fixe ont été réduits par l’avènement de la
dévaluation, dont certains facteurs structurels pourraient occasionner la répétition, les changes
flottants pourraient également retarder les ajustements structurels dont ont besoin les
pêcheries ouest-africaines. Il semble qu’un régime de changes fixes mais ajustables autour de
bandes de fluctuations dont l’amplitude devrait être discutée (10 à 15 % seraient a priori
raisonnables) cumulerait certains avantages des changes fixes et flottants. En particulier, des
dévaluations brutales pourraient être évitées, ce qui permettrait de couper court aux
comportements spéculatifs qu’elles occasionnent (investissements rapides de capacités se
substituant aux efforts tendant à faire croître l’intensité capitalistique des firmes). Dans le
même temps, la régulation monétaire se poursuivrait, ce qui est susceptible de réduire le
risque d’ajustements «de conjoncture» (liés par exemple à des dévaluations dans d’autres
zones monétaires) et, partant, de favoriser l’adaptation structurelle des pêcheries ouestafricaines aux marchés internationaux.
Conclusions et perspectives de recherche
La connexion du secteur aux marchés extérieurs a présenté des avantages à la fois microéconomiques, contribuant à améliorer les comptes d'exploitation des pêcheries, et macroéconomiques, étant donné son importance pour l'équilibre des balances commerciales. Mais
elle est menacée par la libéralisation multilatérale des échanges. La nouvelle Convention de
Cotonou prévoit une suppression progressive des avantages commerciaux dont bénéficiaient
les pays ACP. Entre temps, la réduction des tarifs douaniers, mise en œuvre sous l'égide de
l’OMC, devrait accélérer leur érosion. Alors que des facteurs de crise sont déjà identifiés, il
importe de vérifier si l’échéance de la libéralisation ne risque pas de les aggraver, d’en faire
surgir d’autres ou, au contraire, si elle est susceptible de favoriser, pourvu qu’on l’anticipe, la
recherche de solutions.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 30
Un risque évident des mesures de libéralisation attendues peut déjà être identifié au niveau de
la position à l’export des productions halieutiques ouest-africaines. Alors que ces dernières
sont extrêmement dépendantes du marché européen, et que leur compétitivité par rapport à
certains de leurs concurrents est fragile, la remise en cause des avantages dont ils disposent
sur ce marché pourrait s’avérer coûteuse. Les tensions sur l’environnement et la sécurité
alimentaire pourraient dès lors se doubler de tensions sur les changes et sur les coûts et
revenus des professionnels du secteur. Ainsi la donne nouvelle de la libéralisation du
commerce, de même que les hypothèses d’évolution des régimes de changes sont susceptibles
de bouleverser les conditions d’exploitation des ressources, alors que ces dernières sont déjà
perturbées. Cette situation ouvre des pistes de recherche concernant l’impact environnemental
des politiques commerciales de soutien à l’exportation, celui de la libéralisation sur la
compétitivité des exportations, ainsi que celui, enfin, de politiques de changes dont la stabilité
est rien moins qu’assurée.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 31
Régulation de l’accès et priorités de recherche
Jean-Paul Troadec (France)
L’introduction rappelle qu’avec l’épuisement des possibilités d’expansion, l’ajustement des
capacités de capture au potentiel des stocks - c’est-à-dire que la régulation de l’accès – est
devenu critique pour la rationalisation de la pêche et la conservation des ressources. Pour
résoudre ce problème, le statut juridique des ressources doit être ajusté à leur nouvel état
économique. De nouveaux mécanismes de régulation sont nécessaires. La seconde partie
montre comment les innovations institutionnelles adaptées aux nouvelles conditions et aux
spécificités des différents types de pêcheries peuvent être identifiées à partir de l’analyse de la
structure de ces dernières. La conclusion souligne le caractère général de l’enjeu: la durabilité
écologique et sociale de la pêche, comme le développement de nouveaux systèmes de
production, dépendent de l’ajustement des régimes de régulation aux nouvelles conditions.
Le nouvel enjeu de la pêche: la régulation de l’accès
Pendant la phase d’expansion de la pêche, les programmes de recherche halieutique étaient
concentrés sur la prospection et l’évaluation des stocks. Ces investigations permettaient, en
effet, aux administrations nationales et aux armements d’identifier et d’évaluer les possibilités
d‘expansion. Les engorgements locaux pouvant être résorbés par le redéploiement des
surcapacités, les besoins de régulation se limitaient à la conservation de la productivité des
stocks. La préservation des juvéniles et d’une biomasse reproductrice nécessaire pour assurer
le recrutement était classiquement effectuée par l’application de mesures techniques
(régulation de la sélectivité, et arrêt de la pêche chaque année lorsque le prélèvement global
autorisé était atteint), définies à partir des évaluations de stocks (production par recrue, et
relation entre le recrutement et la biomasse féconde; Figure 1).
Conservation des capacités
productive et reproductive par
l'application réglementaire
de mesures techniques :
Régulation de l'accès :
partage de la production par
des mécanismes économiques
sélectivité
de la pêche
limitation de la
capture totale
fixation des parts
des flottilles
et des armements
sélection
des armements
Taux d'exploitation
Figure 1: Les deux composantes de la régulation de la pêche : la conservation des ressources et la
régulation de l’accès.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 32
Le paradigme qui prévalait à l’époque admettait que, dans la mesure où ces mesures étaient
également applicables à tous les pêcheurs, elles pouvaient être mises en œuvre par la voie
réglementaire (normes et décisions).
L’épuisement des possibilités d’expansion a révélé les limites du paradigme classique de
régulation. Pour rationaliser le secteur et conserver les ressources, les capacités de capture
doivent maintenant être ajustées au potentiel des stocks. Pour cela, leur production doit être
partagée, entre les flottilles d’abord, entre les pêcheurs ensuite. Les fortes surcapacités, la
dégradation générale des stocks, et la mauvaise application des réglementations que l’on
constate dans la majorité des pêcheries mondiales montrent que la voie réglementaire convient
mal pour réaliser la sélection des armements que suppose ce partage. Les pêcheurs s’opposent
régulièrement aux mesures de réduction des surcapacités. Les réglementations sont mal
appliquées. Même lorsque l’existence de fortes surcapacités et d’une surpêche caractérisée est
scientifiquement établie, les déséquilibres ne sont pas résorbés. Conscientes de leur faible
marge de manœuvre, les administrations de tutelle sont parfois conduites à ne pas tenir
compte des avis scientifiques disponibles (Figure 2).
Ainsi, le mauvais état actuel des pêcheries s’explique par les insuffisances des mécanismes
classiques de régulation, plus que par les objectifs affichés des politiques sectorielles ou la
compréhension du problème par les acteurs publics et privés. Pour ajuster effectivement les
capacités de capture au potentiel des stocks dans les pêcheries commerciales, de nouveaux
instruments de régulation sont nécessaires: le régime de contrôle des ressources (souveraineté
nationale, propriété des ressources, droits de pêche) doit être clarifié; d’autres mécanismes de
régulation de l’accès aux pêcheries (marché ou redevance) doivent être conçus, adoptés et mis
en œuvre; cela suppose une révision des organes chargés d’assurer les fonctions qui relèvent
de la propriété des ressources: collecte des statistiques, évaluation et suivi des ressources,
application des mécanismes de régulation de l’accès et des mesures techniques de
conservation des stocks, contrôle de l’application des droits et des obligations des pêcheurs
(Troadec, 2001).
Conflits
Carences
insitutionnelles
Surcapacités
Surpêche
Crises
Mauvaise application des réglementations
Mauvaise utilisation des connaissances scientifiques
Figure 2: Enchaînement des causes de la surexploitation
Le problème étant nouveau, la recherche peut contribuer à l’identification et à l’évaluation
d’instruments de régulation adaptés. Si, conceptuellement, le problème de la régulation de
l’accès est maintenant bien compris, l’élaboration de systèmes fonctionnels est moins
évidente. Des solutions pratiques doivent être trouvées pour surmonter différentes contraintes:
différence d’échelle entre les ressources unitaires et les prélèvements des pêcheurs, disparité
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 33
des mécanismes utilisés par les armements industriels et artisans pour mobiliser leurs intrants
humains et commercialiser leurs produits, d’une part, et par l’autorité publique pour limiter
l’accès, capacités différentes des acteurs à tirer profit de nouveaux mécanismes de régulation
de l’accès, et attitudes contrastées des pêcheurs face à l’éventualité d’une réforme des
systèmes de régulation, … Parce que ces contraintes diffèrent selon la nature des pêcheries
(artisanale, industrielle, étrangère), et que les possibilités de réforme dépendent du statut
juridique des ressources (nationales, partagées, chevauchantes, et de haute mer), le problème
n’a pas de solution unique.
La nature politique des processus d’émergence de nouvelles règles du jeu exclut aussi la
transposition mécanique de solutions étrangères. L’ajustement des institutions s’opère, en
effet, à l’intérieur de chaque pays, où il obéit au jeu des interactions et des conflits et à leur
régulation par les règles de l’action collective. Dans ces conditions, chaque pays a besoin de
disposer d’une connaissance propre des données techniques du problème. Si la nature
politique de ces processus exclut que la recherche fournisse des solutions optimales ou édicte
des normes, cette dernière peut néanmoins aider les acteurs privés et les pouvoirs publics dans
leurs négociations, en facilitant l’identification de solutions adaptées aux spécificités des
diverses pêcheries nationales et l’évaluation de leurs mérites potentiels.
Quelques questions de recherche prioritaires pour la régulation de l’accès
Ajustement des systèmes de régulation à la structure des pêcheries
Si les analyses quantitatives permettent d’évaluer les bénéfices potentiels escomptables d’une
régulation de l’accès, elles ne permettent pas de les réaliser. Leur concrétisation dépend, en
effet, des systèmes de régulation en vigueur. Par contre, l’identification des contrôles
nécessaires à l’optimisation des régimes d’exploitation peut être abordée par l’analyse de la
structure des pêcheries et des mécanismes qui articulent leurs principaux éléments (Figure 3).
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 34
Écosystème
Ressource :
Système de régulation
(régime d'exclusivité, mécanismes de régulation
de l'accès, instances d'application)
Unité :
le stock halieutique
Unité :
structure publique ou privée,
ajustée à la distribution des ressources unitaires
Système pêche
(couple stock/technique
= métier)
Système d'exploitation
(allocation des intrants humains)
Unité :
le coup de filet,
la pose d'un engin, …
Unités :
l'unité artisanale,
l'armement industriel, …
Figure 3: Structure schématique d’une pêcherie: la régulation de l’accès aux ressources passe par leur
contrôle
Le schéma ci-dessus montre que le décollage et l’optimisation des systèmes d’exploitation des
ressources naturelles dépendent de l’évolution synchrone d’un double jeu de contrôles:
- les contrôles physiques qui déterminent la faisabilité technique (le système pêche dans le
cas présent);
- les contrôles légaux qui, au niveau du système de régulation, conditionnent l’ajustement
des capacités de capture au potentiel de la ressource et la maximisation de sa productivité.
L’analyse de la structure (échelle des variables de contrôle au niveau des systèmes de
production, d’exploitation et de régulation) des différents types de pêcheries (artisanales,
industrielles, étrangères) permet d’identifier les contrôles juridiques et les mécanismes de
régulation potentiellement bénéfiques. Pour cela, l’analyse examinera les deux interfaces des
systèmes de régulation:
1. articulation du système de régulation avec les ressources unitaires :
La régulation de l’accès étant conditionnée par le contrôle des ressources, l’efficacité de la
régulation dépend de la plus ou moins bonne coïncidence entre (i) la structure des ressources
(écosystèmes et stocks), (ii) celle du système de contrôle des ces dernières (souveraineté
nationale, propriété des ressources, et droits de pêche), et (iii) celle des organes chargés de sa
mise en œuvre ; la question de la cohérence de ces systèmes se pose à trois niveaux:
§
Unités de production:
- Sur quels fonds et quels stocks pêchent les différentes flottilles industrielles et groupes de
pêcheurs artisans?
- Compte tenu de la distribution des opérations de pêche – et des migrations des pêcheurs par rapport aux schémas de distribution et de migration des stocks, l’attribution à des
groupes de pêcheurs artisans définis de territoires de pêche exclusifs (y compris
transversalement à la côte) est-elle souhaitable et possible?
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 35
- Compte tenu de la variabilité de la ressource, quelle peut être la meilleure période de
validité des droits de pêche?
§
ZEE:
- Compte tenu de la structure des ressources, pour les pays disposant d’une ZEE étendue, la
mise en place de structures décentralisées de régulation est-elle potentiellement bénéfique
et possible?
§
Région:
- Quelles sont les conséquences de la dilution de la souveraineté nationale sur la régulation
de la pêche des stocks partagés (petits pélagiques notamment) et chevauchants (thonidés)?
- Quels bénéfices attendre d’une coopération entre les États co-propriétaires de stocks
partagés, et quelles formes pourraient prendre cette coopération?
- L’extension des ZEE par rapport à l’aire de distribution des stocks chevauchants est-elle
suffisante pour que les États riverains puissent peser suffisamment pour obtenir une
réforme du système de régulation de leur pêche?
2. Articulation du système de régulation avec les systèmes d’exploitation:
§
Sur quelles variables (captures, bateaux, territoires de pêche) les droits de pêche peuventils être le mieux exprimés et appliqués?
§
Quelle peut être l’incidence de la durée d’amortissement des investissements et de la
mobilité géographique et professionnelle des pêcheurs sur la période de validité de droits
temporaires de pêche?
§
A qui, dans la pêche artisanale, devraient être attribués les droits de pêche: unités
artisanales, groupes locaux de pêcheurs (sites de débarquement), groupes ethniques?
§
Quelle incidence peut avoir l’organisation économique et sociale des groupes de petits
pêcheurs et des armements industriels sur le choix des mécanismes de régulation de
l’accès: réservation de territoires de pêche exclusifs de durée indéterminée à des groupes
de pêcheurs artisans et conditions d’appartenance à ces groupes et de transmission des
droits d’appartenance, allocation marchande de droits de pêche, imposition d’une
redevance sur les quotas, les licences ou les exportations, … ?
§
Dans la pêche industrielle, faut-il envisager un échange de droits de pêche permanents
entre les armements ou l’allocation de droits pluriannuels par l’intermédiaire d’une
autorité publique?
§
Quelle serait la formule la plus acceptable pour la première allocation des droits?
Les réponses à ces questions peuvent être évaluées en fonction d’une batterie de critères
préétablis: efficience, applicabilité, acceptabilité, équité et durabilité (conservation des
ressources).
Cette analyse de la structure des pêcheries permet d’identifier les questions de recherche
prioritaires pour la régulation de l’accès. Les deux sections suivantes en donnent quelques
exemples.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 36
Structure des ressources
Identité et schémas de distribution et de migration des populations
Dans la section précédente, plusieurs questions ont montré l’intérêt d’une meilleure
connaissance de l’identité (populations et espèces) et de la distribution spatiale des stocks.
Tant qu’existaient des possibilités d’expansion, la distribution des opérations de pêche par
rapport aux stocks n’était pas critique. De plus, en dehors de la bande des eaux territoriales,
l’ancien régime juridique de l’océan ne facilitait pas l’exercice de ce contrôle. Ces conditions
expliquent que les connaissances sur la composition et la répartition des stocks soient restées
relativement imprécises. Le flou qui en résulte affecte le pouvoir discriminant des évaluations
comme des régulations.
Aujourd’hui, la régulation de l’accès suppose que les liens entre les activités des armements
titulaires de droits de pêche et les stocks soient plus strictement définis. Par ailleurs,
l’extension des juridictions nationales donne aux États riverains la possibilité de contrôler
l’accès aux stocks nationaux, ainsi que, par le truchement d’une coopération entre États, aux
stocks partagés.
Au niveau des ZEE, il s’agit:
- D’affiner la délimitation de zones de pêche interdites (nourriceries, aires marines
protégées) ;
- De délimiter la bande littorale réservée à la pêche artisanale, et son fractionnement
éventuel en territoires de pêche exclusifs attribués aux groupes de pêcheurs qui se
succèdent le long de la côte, de façon à minimiser les interactions entre flottilles par
l’intermédiaire des stocks;
- D’étudier l’intérêt et la faisabilité d’une décentralisation des structures de régulation, afin
de faciliter l’internalisation par les pêcheurs du problème de la surpêche, et de faciliter
leur participation à des activités nouvelles (tourisme écologique, dispositifs de
concentration du poisson, conchyliculture, …).
Au niveau de la région, il s’agit de disposer de connaissances sur la répartition des stocks et
des principales phases de leur cycle de vie qui pourraient être utilisées dans la négociation
entre les pays de formules de partage de la production des stocks partagés et chevauchants, et
de schémas de coopération pour la régulation de leur pêche.
Variabilité temporelle
De même, une meilleure connaissance de la variabilité temporelle des stocks permettrait
d’affiner les périodes de repos biologique ou d’analyser l’incidence de cette variabilité sur la
période de validité des droits de pêche. Il s’agit là de voir comment les besoins des pêcheurs
pour lesquels des droits de longue durée sont plus intéressants dans la mesure où ils leur
permettraient de mieux planifier leurs investissements, et ceux de l’instance régulatrice pour
laquelle des droits de courte durée offrent plus de souplesse, peuvent être équilibrés.
Si les recherches sur les relations entre le succès du recrutement et les conditions
environnementales sont complexes et coûteuses, les connaissances sur la variabilité du
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 37
recrutement peuvent être améliorées à un coût plus acceptable par la comparaison de
l’évolution respective de séries historiques de données sur le recrutement et les conditions
climatiques, ainsi que par l’analyse de la structure de variabilité de groupes d’espèces inféodés
à des écosystèmes particuliers (petits pélagiques et upwelling, communautés lagunaires et
littorales et régime de pluies et débits fluviaux, par exemple).
Processus et conditions d’émergence de nouvelles institutions
Si le problème de la régulation de l’accès dans la pêche est maintenant bien compris, les
processus d’émergence des innovations institutionnelles le sont encore assez mal. En effet, la
nature politique de ces processus fait que les réformes procèdent rarement d’un dessein
centralement conçu et planifié. Le plus souvent, elles sont promues par des individus ou des
groupes privés mus par les conflits et les crises, et l’anticipation de bénéfices stratégiques.
Cependant, leur adoption dépend finalement des décisions des autorités juridiques, et surtout
politiques qui disposent du pouvoir souverain (Bazzoli, 1999). La complexité de ces processus
fait que leur issue n’est pas déterminée. Comme l’histoire dont elle est un moteur majeur
(North & Thomas, 1973), l’évolution des institutions, même si elle est orientée, emprunte des
trajectoires variées qui ne débouchent pas sur un état stable prédéterminé.
L’examen des conditions prévalant dans les pays qui ont entrepris de réformer leurs
institutions, comme dans ceux qui n’ont pas encore attaqué le problème, permet déjà
d’identifier certains facteurs déterminants: extension des juridictions nationales, poids de la
pêche dans les économies nationales, isolement géographique des pays et petit nombre de
stocks partagés, décentralisation politico-administrative, crises économiques et changement
des politiques économiques nationales.
En desserrant les blocages, les crises créent des conditions favorables au changement. En
Afrique de l’ouest, le renouvellement des accords de pêche amène pouvoirs publics et
organisations professionnelles à comparer les recettes que les pays riverains tirent de ces
accords pour leurs finances publiques, et leur coût pour la pêche nationale, ainsi qu’à
s’interroger sur les bénéfices qu’ils pourraient retirer de la mise en place de systèmes de
régulation de l’accès adaptés aux nouvelles conditions – y compris pour la pêche artisanale et
l’attribution de droits de pêche aux armements étrangers. L’analyse des initiatives prises à
cette occasion par les acteurs publics et privés dans les pays de la région apporterait des
enseignements sur les processus d’évolution des systèmes de régulation. Il s’agit là d’étudier
le rôle des organisations professionnelles, celui des notables dans l’intermédiation entre les
groupes qu’ils représentent et les pouvoirs publics (politiques et administrations), les réponses
de ces derniers, ainsi que les influences extérieures (recommandations des organisations
internationales, actions des ONG, diffusion de nouveaux concepts par la communauté
scientifique internationale).
Conclusion
La pleine exploitation des ressources a profondément modifié les perspectives d’exploitation
des ressources naturelles de la mer. La rationalisation de la pêche et la conservation des
ressources halieutiques et de l’environnement, comme le développement d’activités nouvelles,
ne pourront pas progresser significativement tant que les administrations nationales ne
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 38
disposeront que des outils existants pour réguler l’accès aux ressources naturelles et à l’espace
maritime. Pour cela, le statut juridique des ressources naturelles doit être ajusté à leur nouvel
état économique.
Les perspectives de la pêche artisanale illustrent le caractère général du nouvel enjeu.
Jusqu’ici, les politiques de soutien aux collectivités de petits pêcheurs ont privilégié la
réduction du coût de la pêche pour les pêcheurs (aides à l’acquisition de biens d’équipement,
détaxation du carburant, etc.). La plupart des ressources côtières étant maintenant
surexploitées, ces aides contribuent à l’engorgement des pêches littorales, et donc à la baisse
des rendements et des revenus des pêcheurs. En réduisant l’abondance des stocks, la
concession à des flottilles étrangères de droits de pêche sur les stocks côtiers a des effets
comparables. À l’inverse, la réservation aux pêcheurs artisans de l’exploitation des ressources
littorales que beaucoup de pays en développement ont adoptée peut contribuer à maintenir la
cohésion sociale indispensable au développement économique des groupes de petits pêcheurs.
Mieux que les aides techniques et financières à la pêche, l’attribution à ces groupes de droits
d’exploitation exclusifs faciliterait leur participation au développement de nouveaux systèmes
de production dont ils sont actuellement souvent exclus, mais qui est seule capable de leur
fournir de nouveaux emplois et de nouvelles richesses. Le développement de nouvelles
activités – de l’aquaculture notamment – suppose l’attribution de concessions privées sur le
domaine public maritime, le contrôle de leurs cheptels par les aquaculteurs, et celui de la
qualité de l’environnement. Dans les élevages extensifs comme la conchyliculture, la
biomasse des cheptels doit être ajustée à la capacité trophique des écosystèmes cultivés. Ces
exemples montrent que l’ajustement des régimes de propriété et des droits d’accès à l’espace
et aux ressources côtières est le fondement du développement économique.
La recherche peut aider les gouvernements à relever ce nouveau défi. Pour cela, elle a besoin
de construire un nouveau paradigme. Les priorités de recherche devraient être fixées par
rapport au nouvel enjeu de la durabilité écologique et sociale de la pêche, et aux conditions de
décollage de nouvelles activités. Les travaux classiques – notamment le suivi des stocks – ne
sont pas devenus obsolètes. Mais leur programmation doit maintenant s’inscrire dans cette
nouvelle perspective. Les recherches en sciences humaines (économie, économie des
institutions, anthropologie économique, droit et histoire) demandent à être significativement
renforcées. Par le passé, les instituts de recherche de la région ont su acquérir des compétences
éprouvées en écologie des pêches. Il leur faut aujourd’hui acquérir des capacités comparables
dans le domaine des sciences de l’homme.
Dans la mesure où elle contribue à la rationalisation de la pêche, la recherche halieutique peut
prétendre à une part adéquate des recettes qu’une régulation effective de l’accès est
susceptible de produire. La plupart de ces problèmes se posent en des termes similaires dans
les principaux ensembles de pêcheries ouest-africaines (artisanales, industrielles, étrangères),
tandis que la régulation de la pêche des stocks partagés passe par la négociation et
l’application d’accords de coopération. Les pays de la région peuvent donc escompter
progresser plus rapidement en conjuguant leurs efforts. Pour cela, leurs structures et leurs
mécanismes de coopération ont besoin d’être renforcés.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 39
Analyse des politiques publiques des pêches, administrations et sociétés
maritimes de la Méditerranée occidentale34
François Féral (Université de Perpignan, France)
La difficulté d’appliquer les méthodes des politiques publiques aux pêches maritimes
La politisation du champ de recherche et la domination des sciences « dures » font obstacle à
ce que s’engage une analyse critique de l’administration scientifique et étatique des pêches
maritimes. C’est pourquoi il faut proposer une opérationnalité des sciences sociales ; c’est ce
que j’ai essayé de faire avec le droit et la science administrative sur les pêcheries de
Méditerranée.
Le problème d’opportunité du champ de recherche
A l’exception de quelques grands organismes financiers, les administrations n’utilisent pas
explicitement la méthodologie des politiques publiques pour leurs programmes. Observons
pourtant que dans les pays émergeants, en transition ou en développement, les administrations
économiques ont été étrillées, les entreprises publiques ont été privatisées ou liquidées, les
bureaucraties de la plupart des administrations centrales ont été déconcentrées et elles
travaillent désormais avec des structures décentralisées. Or, les méthodes d’intervention,
l’histoire du développement et des transformations des pêcheries, les processus de décision
ayant présidé à la définition de ces politiques, les bilans de l’interventionnisme des années
passées, l’évaluation du système administratif… sont pratiquement inconnus aujourd’hui dans
le secteur des pêches. On ne peut s’expliquer que l’administration des pêches ne s’interroge
pas sur la manière dont elle assure ses missions, d’autant que celles-ci ont été profondément
réévaluées depuis une vingtaine d’années. Pourtant la question de l’administration des pêches
n’est pas plus déplacée que le comptage des navires ou l’évaluation des stocks de ressources
halieutiques. En effet, la pêche n’a pas échappé au phénomène de « suradministration ». Au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale les interventions publiques se multiplient dans ce
secteur, et on peut leur appliquer les méthodes d’observation utilisées pour le secteur public
industriel ou la bureaucratie économique.
Les méthodes des politiques publiques pourraient aujourd’hui aider les responsables engagés
dans la mise en place d’une pêche responsable pour laquelle il s’agit de modifier les rapports
entre l’appareil d’Etat et les acteurs de la société. L’interrogation n’est donc pas manichéenne:
il ne s’agit pas de faire le procès des personnes, mais d’évaluer l’efficacité des systèmes
conçus dans le passé et de s’interroger sur leur paradigme. Immergées dans un nouveau
contexte, ces structures doivent peut être se réformer. C’est en particulier le sens de la
décentralisation recommandée aujourd’hui qui invitent les gouvernements à se tourner vers les
acteurs les plus impliqués dans la dynamique du secteur. Les caractères de l’organisation
34
Cette communication s’appuie sur une visite scientifique effectuée auprès de la FAO entre juillet 2000 et
janvier 2001. Elle a fait l’objet d’une étude à paraître aux publications officielles de cet organisme « Sociétés
maritimes droit et administration des pêches en Méditerranée occidentale ».
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 40
sociale des groupes de pêcheurs sont au cœur des politiques publiques des pêches. Or, on ne
sait pas non plus grand-chose de ces groupes spontanément constitués sur les côtes et qui
exploitent les ressources halieutiques. Mais en s’interrogeant sur les capacités de la société
civile à gérer elle-même les ressources halieutiques, on aborde la question des institutions
responsables de la conception et de la mise en œuvre de la gestion des pêches. Par ailleurs, les
systèmes de gestions qui existent aujourd’hui bénéficient à certains acteurs de la société
civile : ainsi, les acteurs de la pêche industrielle ne sont pas favorables à une modification des
règles d’accès aux ressources et à la mise en place de mécanismes de responsabilisation.
En fait, ces méthodes d’évaluation affleurent dans les discours et les pratiques des Etats ou
des organisations internationales. Ainsi l’habilitation récente (et énigmatique…) du terme de
« bonne gouvernance » : ce néologisme ouvre la voie à l’analyse des contenus des décisions
publiques. De même il ne fait pas de doute que les opérations « d’ajustements structurels » des
années quatre-vingt ne soient d’abord l’application à la dette des Etats débiteurs des principes
de gestion tirés de ces mêmes démarches. Au quotidien, on peut voir que les transformations
de l’action publique sont inspirées par les travaux des universitaires américains : ainsi en est-il
désormais des évaluations liées à tout programme. Plus précisément pour ce qui concerne le
secteur halieutique, à la suite de la conférence de Rio, les Etats ont été invités à « mettre en
œuvre des politiques adaptées » pour aboutir à des objectifs convenus. Un exemple plus
proche encore : celui du « code de conduite pour une pêche responsable » élaboré par la FAO
et qui fait référence à la nécessité d’engager des politiques de gestion de la ressource.
Le poids des sciences «dures» dans la conduite des politiques publiques des pêches
Les rapports entre la gestion publique et les sciences sont fondamentaux : les données
scientifiques constituent théoriquement les bases des décisions politiques, même si en réalité
ces données sont en définitive peu ou pas utilisées. Face à des sciences exactes et
économiques qui produisent des données chiffrées, qui développent des méthodologies
quantitatives éprouvées, les sciences sociales apparaissent comme des «disciplines de
saltimbanques», peu faites pour pénétrer le cercle de la décision… et pourtant…
On peut rattacher les politiques des pêches à la catégorie des « politiques économiques », c’est
à dire à l’interventionnisme économique engagé au lendemain de la seconde guerre mondiale,
dont l’objectif était l’accumulation de richesses et les augmentations de productivités. En
raison de ces conceptions et de cet environnement, les sciences exactes et expérimentales ont
joué un rôle fondamental dans l’administration des pêches. De même, l’application
d’algorithmes économiques simplistes a donné lieu à ce que l’on désigne sous le terme de
« bioéconomie ». Sciences exactes et économie semblent donner aux responsables politiques
une opérationnalité mécanique : ne faut-il pas d’abord évaluer les ressources pour organiser
rationnellement la pêche? La recherche du profit et la rentabilité des entreprises de pêches ne
résument-elles pas expressément la stratégie de la société civile ?.. Deux domaines où l’on
peut « compter », ressources et richesses, à la grande satisfaction des gouvernants. Il en
découle aujourd’hui une administration scientifique et des interventions financières inspirées
par les modèles des politiques agricoles et industrielles des années soixante. La bioéconomie
et la suradministration d’Etat ont effacé la dimension sociétale des pêches, faisant oublier que
la pêche est un fait de civilisation aussi ancien que l’histoire des hommes.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 41
Durant les dernières décennies, les sociétés maritimes ont été déconsidérées dans les
politiques des pêches. Pour l’administration, la société civile qui est animatrice du secteur est
désormais vue à travers « l’entreprise de pêche » mise en scène sur le modèle agricole ou
industriel. C’est ainsi que les communautés de pêcheurs sont peu connues des administrations
et les recherches effectuées sur elles sont peu utilisées par les responsables des politiques des
pêches. L’identité et la légitimité de ces sociétés sont contestables : dans une société moderne,
il n’y a rien entre l’individu et l’Etat. Les communautés n’ont donc aucun droit et aucune
place dans les institutions. Le caractère conservateur et tutélaire des sociétés maritimes
construit une image négative et dévalorisée. Dans un contexte bureaucratique, où l’Etat est
considéré comme un monument mythique, la place des sciences sociales apparaît beaucoup
plus énigmatique que celle des sciences « dures ». En fait, l’utilisation opérationnelle et
pluridisciplinaire des sciences sociales ne trouve de sens que si nous utilisons une analyse
dialectique de l’administration35. Dans ce cadre, l’étude des institutions administratives
détermine à quel niveau se situe ce rapport à un moment donné de l’histoire .
Par ailleurs l’administration, en tant que système d’action et d’organisation, apparaît comme
la synthèse dynamique entre les aspirations de la société civile et de l’appareil d’Etat. Ce sont
pour celle-là, les objectifs des groupes d’intérêts, pour celui-ci les objectifs et les intérêts du
groupe social des élites. Ainsi, dans le cas des politiques des pêches, il est probable que les
intérêts des sociétés maritimes traditionnelles, faibles et atomisées, n’ont pas pesé lourd face à
un appareil administratif d’Etat démesuré au regard du poids économique de ce secteur. Ce
n’est que dans ce rapport dialectique que la place des sciences sociales prend tout son sens et
que les politiques publiques constituent pour elles une perspective. La géographie,
l’anthropologie, l’histoire, la sociologie, le droit et la science administrative permettent alors
de contextualiser l’administration, de mieux comprendre ses systèmes de conception et de
décision. Ils permettent également d’interpréter les résistances des acteurs et de donner un
sens aux dysfonctionnements des interventions opérées dans un secteur. En contrepartie, les
politiques publiques sont un sujet fédérateur pour des disciplines souvent considérées comme
contemplatives et inopérationnelles. Convoquées pour répondre à l’analyse des politiques et
pour contribuer à la décision collective, ces disciplines hétéroclites reprennent ensemble sens
et crédibilité hors de leur tour d’ivoire. Elles agrègent autour d’un objet leurs données et leurs
méthodes pour comprendre et, le cas échéant, éclairer à la décision. C’est, à titre expérimental
et en dehors de toute prétention d’effectivité, la piste que j’ai essayée d’explorer pour les
pêches maritimes en Méditerranée occidentale. Dans cette perspective on peut considérer
plusieurs objets qui invitent les sciences sociales à se compléter et à s’interpénétrer : (i) le
sujet de l’organisation sociale lato sensu, qui exprime la capacité de la société civile à gérer et
à contrôler un secteur ; (ii) le sujet des institutions et du droit en tant que révélateurs des liens
dialectiques de la société et de l’appareil d’Etat.
C’est pourquoi j’ai réparti le rôle des sciences sociales dans les politiques publiques des
pêches autour des thèmes de la société et des institutions. Cette analyse m’a conduit à
35
Cf. notre essai sur cette approche dialectique L’Harmattan Paris 2000.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 42
examiner trois fondamentaux des politiques des pêches : société maritime, droit et institutions
des pêches
La question marginalisée des sociétés maritimes
Les politiques publiques économiques se représentent le secteur des pêches à travers la
stratégie individuelle de l’entreprise industrielle et commerciale. D’autres approches ne nient
pas cette dimension essentielle, mais elles la contextualisent dans l’histoire et dans la
mouvance des groupes, des représentations, des cultures et des faits de civilisation. En fait,
cette question sociétale tourmente depuis longtemps les responsables des pêches maritimes.
Comme les groupes villageois ou forestiers, les pêcheurs dans le monde en général et en
Méditerranée en particulier sont regroupés dans des ports, dans des villages, dans des douars,
des « bourgs marins », des hameaux. Le groupe de pêcheurs est donc un fait de civilisation
social, historique et politique presque universel.
Parallèlement, on souligne aujourd’hui que la responsabilité de la gestion durable des pêches
maritimes n’est pas l’affaire des fonctionnaires des ministères et des centres de recherche,
mais c’est avant tout l’affaire des pêcheurs… Cette vérité d’évidence butte immédiatement
sur de nombreuses difficultés. Lorsque l’on parle des « pêcheurs » on ne sait pas exactement
ce que ce terme désigne, tant les situations sont diverses et les définitions confuses.
L’observateur se rend compte qu’il ne sait pas grand chose sur ce « groupe » ou sur ces
groupes, sur leur qualification, leurs parcours collectif et individuel, sur leur Histoire (et leurs
histoires…). Nous savons peu de chose également sur leurs transformations, leur organisation
sociale, leur démographie, leurs représentations et leurs valeurs collectives, leurs stratégies
économiques, leurs conflits et leurs solidarités… Dès lors il est clair que nous sommes
aujourd’hui incapables d’évaluer la capacité de ces « groupes » à participer aux politiques
nouvelles. Nos connaissances sont souvent intuitives, parcellaires, émotives alors que dans un
même temps de nombreuses séries statistiques informent les pouvoirs publics sur les
ressources biologiques.
Pour mieux comprendre ces phénomènes, les analyses de politiques publiques donnent une
dimension utilitariste aux travaux de géographie, d’anthropologie, de sociologie, d’ethnologie,
d’histoire, que l’on peut rassembler sur un sujet. Par définition ces travaux sont hétéroclites,
incomplet, inégaux ; leur fonction initiale n’était pas de contribuer aux politiques des pêches.
Il est donc nécessaire d’agréger ces connaissances pour les « recycler » autour de
problématiques. Cette méthode d’assemblage n’est pas nouvelle : elle a souvent été mise en
œuvre par les géographes qui ont investi les premiers le secteur des pêches en essayant de le
présenter dans sa dimension humaine et environnementale. Parfois aujourd’hui, dans les
travaux de géographie, les données humaines sont marginalisées par les aspects de biologie,
de morphologie ou sous le conformisme économique. Manque également de temps à autre la
dimension institutionnelle : à cet égard le travail des anthropologues fournit une contribution
essentielle sur les stratégies des groupes qui constituent les acteurs des sociétés maritimes. J’ai
retrouvé de nombreuses recherches effectuées sur les sociétés maritimes méditerranéennes en
sociologie et ethnographie : elles s’intéressent avec intimité aux groupes de pêcheurs… mais
elles sont le plus souvent décentrées du politique ; leur utilisation est donc délicate en raison
de l’inégalité des sources et des centres d’intérêt. J’ai pu y puiser de nombreuses pistes de
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 43
réflexion et bien des éclairages, qui affermissent nos savoirs et relativisent nos certitudes.
Enfin, l’histoire dans les politiques publiques peut être abordée d’une part de « l’histoire en
mouvement », perception dans laquelle l’histoire se prolonge au présent et fournit des clefs et
des liens en rapport avec nos problématiques actuelles. En second lieu il s’agit autant de
l’histoire des faits que de l’histoire des représentations, et plus exactement de leurs
interrelations, sans que les uns prévalent sur les autres36…
L’utilisation du droit et de la science administrative dans les politiques des pêches
La réévaluation des disciplines juridiques constitue un apport de la méthodologie des
politiques publiques. En général la représentation du droit et son utilisation dans les politiques
publiques reste très en deçà des recherches en sciences sociales : la fonction du droit s’y
résume à l’habillage juridique de normes techniques. Ainsi pour la pêche le droit des pêches
est-il réduit à la police des pêches consistant dans la pénalisation d’un ensemble de
prescriptions techniques qui encadrent les opérations de pêche. Le droit est donc représenté
comme une discipline « lisse », dont la fonction est de donner précision, force et légitimité à
des prescriptions elles-mêmes objectives et scientifiques.
Bien sûr, le droit est une technique de régulation, c’est donc un art et un instrument
d’interdiction et de normalisation. Mais le droit est également l’image de la société et de son
histoire : c’est la science de l’observation du droit en tant que phénomène. Cette observation
nous informe en particulier sur les rapports de force noués entre l’Etat et la société civile37.
L’ensemble des règles juridiques opérant à un moment donné est le révélateur de la réalité
sociale, figé dans un langage et un système de normes. L’analyse dialectique du contenu
donne ainsi des informations sur la genèse de la décision. Le droit est également l’expression
d’un projet social et politique dont l’objet est de redistribuer les richesses et d’assurer l’ordre
social. Les réglementations de pêcheries sont de cette nature. Dans le même registre, l’analyse
de l’appareil administratif et réglementaire des pays du Maghreb m’a permis de voir le
phénomène de « droit importé » et de « modélisation » implantés pendant et après la
colonisation. C’est un facteur de déterminisme important dans la définition des politiques de
cette région dans le secteur des pêches.
Pour la science administrative, l’administration des pêches est un ensemble d’institutions
inextricablement imbriquées et interdépendantes, elle réagit et se modifie sans cesse en
fonction de son environnement socio-économique. La première tâche dans ce champ est de
retracer l’histoire des institutions administratives et de les mettre en perspectives des
politiques qui, initialement, leur ont servi de creuset. Cette administration lato sensu n’est pas
un ensemble juridique neutre et figé, obéissant d’une manière mécanique aux responsables
politiques, renseignant les décideurs avec une objectivité scientifique. L’administration
répond à des organigrammes mais c’est également un ensemble de structures représentant des
hommes et des groupes porteurs d’intérêts et de représentations. Ces groupes participent plus
36
Méthodologies de l’école des Annales particulièrement illustrée par Marc Bloch et Fernand Braudel pour notre
cas particulier.
37
Ainsi, la pénalisation des opérations de pêche est d’abord la marque de « l’étatisation » des pêcheries, et le
transfert relativement récent de la responsabilité de la pêche entre les mains d’un pouvoir central reconnu comme
responsable de ce secteur.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 44
ou mois activement au processus de décision et il en assure l’application. Dans ce cadre
méthodologique, la question des institutions des pêches et des groupes constitués soulève
plusieurs types de problèmes. La question administrative s’intéresse d’abord à la légitimité
des institutions qui participent à la politique des pêches. Pour les institutions de la société
civile cette légitimité peut être liée à la représentativité. Mais la représentation est souvent
difficile à définir et à vérifier. Bien souvent la représentativité effective du groupe est
renforcée ou remplacée par une représentativité juridique établie par les pouvoirs publics.
Pour les institutions étatiques la légitimité repose en théorie sur l’institutionnalisation
juridique : l’administration est légitime parce qu’elle incarne l’appareil d’Etat et l’intérêt
général. Mais la constitution des corps techniques de l’Etat fait émerger également une
compétence technique et scientifique corporatiste. Ces deux niveaux de légitimation que sont
le droit et la compétence technique existent donc respectivement pour les administrations
étatiques et pour les institutions de la société civile. La science administrative s’intéresse
également à la fonctionnalité réelle des institutions : à quoi servent–elles ? en quoi
contribuent-elles effectivement aux objectifs des politiques publiques ? On s’intéresse alors à
la discipline interne du groupe, et il s’agit de savoir si l’institution répond effectivement aux
misions qui lui ont été assignées soit par la corporation qu’elle représente, soit par le
fondateur qui l’a créée. A titre externe, il s’agit de savoir en quoi ces différentes institutions
en interaction contribuent effectivement aux objectifs politiques du secteur ; dans beaucoup de
cas ces objectifs peuvent être dévoyés ou carrément oubliés au bénéfice des intérêts
catégoriels. Dans ce champ d’étude on s’interroge sur l’opposabilité des droits collectifs des
groupes, leur marginalité ou leur intégration, leur résistance ou leur adhésion aux politiques de
modernisation, leurs capacités de revendication et d’évolution.
Similitudes des données et inspirations communes des politiques publiques des pêches en
Méditerranée occidentale
J’ai retenu la Méditerranée occidentale comme champ géographique dans mon étude pour la
FAO. En soulignant les similitudes des données et des caractères de l’interventionnisme j’ai
essayé de démontrer que les sciences sociales permettent de renouveler l’approche de ce
secteur. La zone présente l’unité dans la diversité : un espace où les similitudes historiques,
administratives et sociétales sont nombreuses et qui permettent justement d’agréger de
nombreuses connaissances autour de la problématique de la décentralisation de la gestion des
pêches. Ces similitudes sont perceptibles tant au niveau socio-économique qu’au niveau
juridique et institutionnel.
Une problématique socio-économique partagée en Méditerranée occidentale
Les pêches maritimes de la Méditerranée s’intègrent dans le monde méditerranéen des pêches
qui se définit par l’unité de son histoire et de sa géographie. Mais aujourd’hui le monde
méditerranéen de la pêche a également un parcours économique partagé.
Fernand Braudel parle de monde méditerranéen et consacre de longs développements à ce
concept énigmatique : une sorte d’unité et de convergence dans la diversité, un destin
commun, un héritage identique et partagé de civilisations assemblées dans une histoire
commune conflictuelle et mouvementée… Certes, la Méditerranée est un espace complexe et
hétérogène et les groupes de pêcheurs n’y sont pas identiques ; il y a bien sûr diversité
culturelle, à travers des ethnies, des religions, des langues et des civilisations différentes. Mais
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 45
ce « monde méditerranéen » dont parle Braudel est perceptible à travers des liens
énigmatiques et implicites qui les unissent. On retrouve ces convergences dans l’exercice de la
profession de pêcheur, l’organisation sociale des communautés, la pratique des
techniques…C’est probablement l’unité historique et géographique qui détermine ces
similitudes et ces convergences. La Méditerranée est un espace dans lequel d’innombrables
échanges se sont réalisés entre les populations qui ont en outre en commun de partager un
espace géographique unique et fortement caractérisé.
Aujourd’hui encore, parce qu’elles sont inscrites dans une tradition historique forte héritant
d’échanges démographiques et culturels intenses, les pêcheries artisanales en Méditerranée
sont importantes sur le plan social et numérique. Il s’agit des échanges démographiques et
culturels propagés par le commerce des marchandises de la Méditerranée, les guerres, les
rapts, l’esclavage, les colonisations, les migrations économiques, les fuites devant les batailles
ou la misère… C’est à ces occasions le plus souvent douloureuses qu’ont été colportées les
techniques de pêche et de navigation, que se sont brassés les représentations, les langages et
les stratégies des groupes de pêcheurs. Dès lors on peut comprendre l’unité relative des modes
de production des pêcheurs artisans de la Méditerranée occidentale : techniques, calendriers
de pêche, définition des territoires halieutiques, organisation communautaire des pêches de la
Méditerranée…
Mais l’unité géographique de la Méditerranée renforce ces convergences. Dans un même
bassin géologique les pêcheurs des deux rives opèrent dans le même environnement de sites et
de paysages, subissent des rythmes saisonniers et un climat semblable qui renforcent
objectivement la similitude des exploitations. On peut rapprocher les étangs salés du
Languedoc, de l’Adriatique ou du golfe de Gabès ; comparer les côtes rocheuses de Catalogne,
de Provence, du Rif marocain ou d’Algérie… Comment ne pas souligner l’étroitesse fréquente
des plateaux continentaux qui font du chalutage un compétiteur lancinant des
communautés d’artisans? Et surtout au quotidien, on voit bien que ces pêcheurs traquent les
mêmes espèces halieutiques : anguilles des étangs, rascasses et labres des herbiers de
posidonies, rougets des gravières, merlus des fonds meubles, sardines et chinchards
pélagiques… Et pour finir, ils se disputent les mêmes stocks de thons rouges et d’espadons …
Pour les pêcheurs de la Méditerranée, on peut aussi dessiner un même parcours économique.
On peut d’abord évoquer une même problématique industrie/artisanat enclenchée au
lendemain de la seconde guerre mondiale et qui a également bouleversé les communautés
maritimes de cette région. Partout apparaît la dualité récente de la société maritime
méditerranéenne et la problématique de l’interventionnisme étatique : petites embarcations
polyvalentes face à des unités semi-industrielles spécialisées. Ce modèle imposé à partir des
années cinquante a partout propagé les mêmes crises et les mêmes conflits, pour provoquer à
peu de choses près les mêmes recettes post-industrielles… C’est ensuite l’unité du marché
méditerranéen des produits de la mer qui nous interpelle. Ceux-ci ont d’abord auprès du
public la même réputation fortement valorisée : il y a unité d’image des poissons, crustacés et
coquillages de la Méditerranée; mais les dernières années ont montré qu’ils étaient distribués
dans le même champ et qu’ils circulaient sur les mêmes marchés : anguilles du Languedoc
achetées pour l’Italie, merlus marocains expédiés vers l’Espagne… L’irruption de la
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 46
pisciculture marine, polarisée sur des espèces emblématiques de la Méditerranée, renforce
plus encore cette unité marchande de la zone.
Les convergences juridiques de la Méditerranée occidentale
Le secteur des pêches de la zone est marqué par deux spécificités qui constituent son héritage
juridique et institutionnel: la pêche maritime se réalise sur un espace frontalier au régime
juridique exorbitant ; en second lieu, les richesses de la mer sont en principe en libre accès. Il
en découle un régime des biens et des personnes tout à fait particulier qui rattache les
politiques des pêches aux politiques réglementaires et diplomatiques. C’est pourquoi le
secteur des pêches est suradministré et que la place de la centralisation et du droit pénal y est
fondamentale A travers le système romano-germanique, les grandes nations du nord de la
Méditerranée orientale ont la même inspiration juridique générale. Celui-ci a été puisé dans la
fameuse ordonnance de la marine de Colbert lors de la construction des Etats européens
centralisés. Ce système se caractérise par une séparation métaphysique entre la sphère
publique et la sphère privée : il en résulte une grande formalisation des institutions
administratives, une définition stricte des compétences juridiques. Ce système offre à la loi
une place prééminente en tant que source formelle du droit : statuts, obligations civiles,
pénales et administratives présentent une densité particulière. Par ailleurs, comme héritage des
Etats nations continentaux, la zone participe à un régime juridique dualiste : régime de droit
privé qui s’oppose au de droit public. Le droit administratif de l’ensemble de ces pays
organise les privilèges de l’administration de l’Etat. Ajoutons que la France et l’Espagne (et à
un degré moindre l’Italie) en tant que puissances coloniales, ont « exporté » ce modèle vers le
Maghreb. Ces trois pays ont été par ailleurs de grandes puissances maritimes : ils ont implanté
codes, lois, règlements, systèmes juridictionnels, institutions administratives…et le concept
même d’Etat moderne et interventionniste. Bien que les droits des pays du Maghreb
présentent de nombreuses spécificités, tenant en particulier au droit privé en relation avec la
religion, on ne peut nier une grande unité juridique des administrations organisée par la
colonisation. Cette unité juridique se prolonge par la transmission des principes de
fonctionnement des administrations de l’Etat unitaire lors de l’indépendance des pays du
Maghreb. Dans la gestion des ressources halieutiques de la Méditerranée, un certain nombre
de catégories de droit relèvent d’une même conception du droit maritime méditerranéen. C’est
d’abord une même conception patrimoniale des richesses et des espaces maritimes qui établit
le principe de la liberté des pêches maritimes, le principe d’une propriété collective des
richesses, le principe d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité du domaine public maritime et de
la mer. On retrouve ainsi des emprises patrimoniales héritées des périodes féodales qui font
l’objet d’interminables chicanes entre les particuliers et les administrations. C’est pourquoi on
retrouve partout l’organisation de droits patrimoniaux sous forme de concessions domaniales
et une évolution fréquente de leur emprise C’est ensuite des similitudes dans le statut social et
administratif des gens de mer : un statut de la profession de pêcheur lié à la navigation
maritime auquel est ajouté un statut de l’embarcation de pêche. Dans toute la zone ces deux
statuts jouent le rôle de « filtre d’accès » aux richesses halieutiques et constituent le moyen
principal de privatisation des richesses communes. En effet, le statut maritime de la personne
et du bien est une condition pour avoir le privilège d’utilisation des engins de pêche les plus
performants ou le droit de concession domaniale d’un établissement de pêche fixe ou de
conchyliculture.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 47
Les similitudes institutionnelles de la Méditerranée occidentale
C’est le dernier point de similitude important qui peut nourrir notre démarche. Cette
convergence institutionnelle s’établit autour de l’administration de l’Etat et de l’organisation
professionnelle. Dans toute la zone, le poids de l’administration d’Etat est considérable dans
la surveillance de l’espace, la tutelle des biens et des personnes et dans l’organisation
économique du secteur des pêches. Partout la pêche se trouve au centre d’une double tutelle
administrative :
- Une tutelle d’origine militaire, fondée sur la tradition régalienne du droit maritime et sur
les enjeux de souveraineté. Cette administration souvent rattachée aux transports est
centralisée, unilatérale, parfois paternaliste ; elle est responsable de la police des mers et
de la navigation. Son objet est bien plus large que les opérations de pêche ou le statut de
pêcheurs mais c’est traditionnellement l’interlocuteur administratif des pêcheurs ;
- Une tutelle économico-scientifique beaucoup plus récente et mise en place à l’occasion de
l’industrialisation du secteur des pêches. Constituée dans un premier temps auprès de
l’administration de la marine cette administration est souvent constituée selon un modèle
de gestion scientifique et centralisée. Un même nomadisme ministériel affecte le secteur
des pêches des deux cotés de la Méditerranée car c’est désormais le ministère chargé de
l’agriculture qui est responsable de ce secteur : partout dans la zone, on a donc basculé
d’une administration de police maritime vers une administration économique.
Enfin la Méditerranée a depuis longtemps des institutions internationales des pêches dont
l’objet est d’établir une gestion internationale du bassin. On évoque ici bien sûr le travail et les
initiatives du Conseil Général des Pêches pour la Méditerranée. La Commission Internationale
Thon de l’Atlantique est également un lieu d’échange et de négociation. Ces deux instances
ont probablement joué un rôle important d’homogénéisation des politiques des différents pays
et ont favorisé la mise en place de structures et d’outils d’intervention similaires. Elles ont en
tout cas porté au niveau des Etats la responsabilité de la gestion des pêcheries
méditerranéennes. La Méditerranée se caractérise également par une très ancienne tradition
d’institutions professionnelles décentralisées. La présence des prud’homies, cofradias et
confréries de Saint-Pierre s’inscrit dans des pratiques communautaires et corporatistes
multiséculaires dans les pays du nord de la Méditerranée occidentale : ces organisations font
immédiatement penser par analogie aux communautés de pêcheurs des côtes du Japon. Pour le
sud, la décentralisation administrative professionnelle est moins visible et elle a été beaucoup
moins étudiée. Elle a parfois été implantée par la colonisation comme au Maroc d’une façon
éphémère. Mais cette tradition pourrait être relevée dans le cadre des villages, des quartiers et
des tribus. Si l’existence d’une discipline communautaire se confirmait, la hisba pourrait être
un modèle maghrébin des corporations maritimes des pêches.
Conclusion
Ces très rapides développements démontrent que l’on peut analyser la situation des pêches
maritimes à travers des problématiques totalement différentes des celles normalement utilisées
dans le cadre des paradigmes étatiques, industriels et scientifiques. Ces démarches nouvelles
sont d’autant plus légitimes que l’on ne peut que constater l’incapacité de ces systèmes à
réaliser une gestion des pêches durable et responsable. L’autre observation, c’est la modernité
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 48
et le renouvellement institutionnel des groupements professionnels traditionnels. Leur
résistance aux politiques industrielles revêt aujourd’hui un sens particulier dans la perspective
des pêches responsables. En effet les consortiums italiens, les coopératives, les prud’homies,
les associations de pêcheurs font aujourd’hui des propositions pour participer à la gestion des
pêcheries… ces premières expériences sont encourageantes.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 49
Représentations, conceptions et appropriations de la nature; note
synthétique et prolongement des textes de Catherine Larrère, Raphael
Larrère et Serge Collet
Pierre Failler (CEMARE, R.U.)
Introduction
L’approche mécanistique appliquée à la régulation de l’accès aux ressources naturelles est
communément admise de tous. Les ressources halieutiques, tout comme les autres ressources
naturelles renouvelables, doivent faire l’objet d’une exploitation rationnelle. En clair, il convient
de prélever les poissons qui constituent un surplus et dont le prélèvement d’entrave en rien la
pérennité du stock. Les captures doivent donc être composées des poissons qui ont déjà œuvré à
la reproduction de leur espèce et qui vont mourir de leur belle mort. Le concept de prélèvement
du surplus est très simple dans sa définition. Son application est tout autre. Pour preuve: 70% des
stocks exploités sont mal-en-point. Certains, à un niveau tel, que leurs chances de survie sont
maigres (cabillaud au Canada, en mer du Nord, par exemple).
En quoi la question de la représentation de la nature intervient ici ? La lecture du texte de
François Féral ci-avant donne quelques pistes. Il propose que l’histoire des politiques publiques
en tant qu’objet d’étude s’attache autant à l’histoire des faits qu’à celle des représentations et plus
exactement à leurs interrelations, sans que les uns prévalent sur les autres. Dans un autre texte, F.
Féral présente clairement la problématique de la représentation dans le cadre des politiques
publiques et montre que la décision publique ne peut se comprendre qu’à partir du moment où la
notion de représentation est prise en compte:
Ainsi, en relation avec les tissus évènementiels, le personnel politique se fait des
représentations du monde, de l’économie, du pouvoir, de la légitimité…: se sont là
les éléments essentiels qui constituent l’environnement de la décision et de
l’interventionnisme. La rationalité de l’interventionnisme ne peut se concevoir qu’à
l’intérieur de ce paradigme et non par référence à une rationalité absolue qui n’est
qu’une métaphysique.(Anonyme, 2001)
Les textes de Catherine Larrère (2001) «comment peut-on, aujourd’hui, penser les rapports de
l’homme et de la nature», Raphael Larrère (1999), «Les différentes conceptions de la nature ;
conséquences sur la manière d’en envisager la protection», et Serge Collet (2002), «Appropriation
of halieutical resources: from management to the ethical approach of the fisheries’s governance»,
ont pour intérêt premier de présenter l’évolution des représentations de la nature par l’homme et
en particulier de montrer que ces représentations ont pour toile de fond la compréhension du
monde et la manière dont l’homme se situe dans le monde. La question de nos rapports à la nature
cesse dès lors d’être limitée à la relation homme-nature pour acquérir une dimension plus large
d’homme dans le monde. Les trois textes ont ensuite le mérite de proposer un dépassement de la
dualité classiquement admise du rapport de l’homme et de la nature: celle qui restreint le champ
de la moralité à l'humanité, et celle qui accorde une valeur intrinsèque à la nature. La notion
d’écocentrisme développée par C. Larrère et R. Larrère met l'accent sur le rapport interactif de
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l'homme et de la nature. On retrouve la même orientation chez S. Collet, développée à partir des
concepts Spinoziens de pars natura, de causalité immanente naturante et coopération et du
concept Jonasien de responsabilité entendu comme «être en charge de», tels que les parents le
sont à l’endroit de leurs enfants (Collet, 1998, 1999a, 1999b, 2001). Pour les deux premiers
auteurs, en reprenant leur ouvrage en commun, «la nature, comme extériorité radicale, est
certainement morte», dissolvant de fait le clivage entre naturel et artificiel (Larrère & Larrère,
1997). C'est pourquoi ils plaident pour un naturalisme écocentrique, où ni l'homme et ses artifices
ni la nature n'occuperaient de place prééminente, mais coexisteraient au sein d'un système fondé
sur une éthique de l'appartenance. L'homme est situé dans la nature, mais il ne saurait l'être au
même titre que n'importe quelle autre espèce. Seul à pouvoir établir artificiellement des valeurs
éthiques, c'est à l'humain qu'il revient d'être vigilant tant au niveau local que global. Mais la
liaison entre ces deux impératifs est problématique. Elle ne saurait passer que par un «bon usage
de la nature», combinant la prudence des anciens et l'exigence de rationalité des modernes.
Les lignes qui suivent présentent, à partir des trois textes, l’évolution des représentations de la
nature et le besoin d’une nouvelle éthique. L’importance de la représentation de la nature dans le
cadre des politiques publiques destinées à la gestion des ressources marines et à la gouvernance
des aires marines protégées est ensuite soulignée et développée. L’examen des représentations
dans les trois textes est limité au monde occidental38 et à la chrétienté (dans ses références à la
modernité et les dépassements de la modernité).
Evolution des représentations de la nature39
Notre perception de la nature est quelque chose d’hérité. Depuis toujours, les hommes se sont
attachés à formuler des représentations de la nature en fonction de leurs croyances et de leurs
intérêts. Au fil du temps, sur fonds de changements politiques, religieux et scientifiques, la
représentation de la nature s’est modifiée. Si le développement des sciences semble lui tracer un
chemin linéaire40, les débats religieux et philosophiques introduisent une récurrence où ce qui
précède peut resurgir sous une nouvelle forme ou au sein d’une nouvelle théorie.
R. Larrère introduit la notion de conception de la nature en présentant les notions de Natura
naturata: nature créée, nature artifice (nature naturée) et Natura naturans: auto-création, natureprocessus (nature naturante). La première notion renvoie à la création de la nature par une ou des
forces divines tandis que la deuxième met en avant la finalité intrinsèque de la nature au sens de
son développement en marge de toute intervention humaine ou divine. Le tableau qui suit
présente les différentes représentations ou conceptions de la nature dont font mention les trois
auteurs en fonction de la perspective dans laquelle elles se situent: Natura naturata ou Natura
naturans.
38
Pour une présentation des représentations asiatiques et plus particulièrement chinoises, voir Jenkins (1998).
Reprend la trame du texte de R. Larrère qui en retrace les grandes étapes historiques.
40
Au sens où une nouvelle représentation de la nature condamne définitivement celle qu’elle remplace.
39
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Tableau 1: Synthèse des représentations de la nature
Époque
Mésopotamie
Egypte
Grèce
Rome
Chrétienté
Modernité
Nature comme
Natura Naturata (N. Na)
Nature comme
Natura Naturans (N. Ns)
La nature est d’origine divine.
Platon:
Nature tirée du démiurge
Démocrite:
Nature infinie, incréée, univers composé
d’atomes et de vide
Arsitote: la nature a ses propres lois et
évolue selon un processus qui lui est sien
Epicure, Lucrèce: univers infini, composé
d’atomes et de vide; corps = rencontre
d’atomes
Nature créée par Dieu; ordre harmonieux. Homme
(H.) créé à l’image de Dieu à appartient au règne
de la grâce. 2 positions:
1°, H. dominateur de la nature à Nature = chose
de l’H. ; 2°, H. = gérant et responsable devant le
créateur à H. = usufruitier
Copernic, Newton; mécanique classique: Equilibre, atomicité,
attraction. Le monde a été créé mais ne tient que parce qu’il y a
une N. Ns.
Linné à Réaumur; biologie: étude des formes et
processus de la N. Ns à utilité de toues les formes
de la vie; diversité rejoint l’harmonie de la création
Descartes à Kant ; développement des sciences
expérimentales: artifices (humains) sont d’origine
naturelle à parallèle entre la N. Na d’origine
divine et la N. Na d’origine humaine. H. est sujet
et nature est objet
Locke à Marx; Paradigme industriel : séparation
de l’H. à la nature. Histoire de l’humanité = effort
pour s’arracher des contingences naturelles. N
Na. anthropogène et anthropocentrée à techno
sphère. Volonté d’extension et de maîtrise de la
N. Ns car les ressources naturelles sont
considérées comme illimitées.
Position de
l’homme v.-à-v. de
la nature
L’homme fait partie
de la nature
Atomiste
Protection de la nature
Anthropocentrisme
finaliste
Atomiste infini
Extériorité de
l’homme v.-à-v. de
la nature
Devoir de préserver ce que la créateur à
mis à la disposition des hommes
Infinitude de
l’univers et monde
non finalisé
Respect de l’œuvre du créateur:
protection des espèces menacées ou en
voie de disparition
Extériorité et
supériorité de l’H.
par rapport à la
nature
Séparation de l’H.
et de la nature.
Vision utilitariste de
la nature.
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Instrumentalisation de la nature pour
l’utilité de l’homme à protection des
espèces en dépit de l’absence de valeur
présente (valeur potentielle future)
Espèces à Espaces: Protéger les espèces
et les milieux associés
H. extérieur: autorégulation naturelle ;
idée du climax et du développement de la
nature à un stade ultime sans l’H. à
Préservation de la nature hors de l’H.
Époque
Fin de la
modernité
Hyper-modernité
A-modernité
Nature comme
Natura Naturata (N. Na)
Nature comme
Natura Naturans (N. Ns)
Darwin; théorie de l’évolution: H. issu de
la N. Ns. Lois de la sélection naturelle
s’appliquent aussi à l’H. Remise en cause
de la N. Na. d’origine divine
Théorie de la relativité et théorie quantique: les avancées en termes de connaissances révèlent les
lacunes en termes de compréhension du monde et de ce qui le fait tenir. Processus naturels
comprennent de l’aléatoire ; déterminisme imprédictible si processus non linéaire (théorie du
chaos)
Situationnisme relatif et sociocentrisme: la nature
est une extension de la sphère sociale; la N. Na
devient une nature artifice composée pour
répondre aux besoins sociétaux.
Post-darwinisme (évolutionnisme): inscription de la N. Na
dans la N. Ns; techno sphère = techno nature car objets
hybrides (culturels et naturels) ; diversité biologique;
hétérogénéité des systèmes écologistes; notion d’équilibre
remplacée par stabilité puis remplacée par adaptabilité avec
diversité biologique; nécessité d’une éthique à construire
Position de
l’homme v.-à-v. de
la nature
H. dans la nature.
Protection de la nature
Nature = ensemble
de représentations
sociales
Protection = recréer la nature en fonction
de la demande sociale = nature artifice
Réintégration
de
l’homme dans la
nature
Protection concerne les espèces et les
habitats pour la préservation de la
diversité du vivant.
Inventer une gestion du complexe,
d’espaces plus ou moins anthropisés.
Source: textes de C. Larrère, R. Larrère et S. Collet.
Note: - Les expressions natura naturata et natura naturans ont, d’après A. Jacob (1998), leur origine chez Averoes. Spiniza les
réinterprétera plus tard afin de bien marquer la symétrie du panthéisme et du panenthéisme. Aussi par natura naturans,
Spinoza entend ce qui est en soi et est conçu pour soi, autrement dit les attributs de la substance; par natura naturata, il faut
comprendre ce qui suit la nécessité de la nature de Dieu.
- Il existe d’autres manières de représenter les conceptions de la nature et la place de l’homme. J._L. Peyron (2001) propose par
exemple le découpage suivant : représentation duale ou séparative où l’idée de nature exclut l’espèce humaine, conception
englobante où l’idée de nature inclut l’espèce humaine, et une approche dialectique où l’idée de nature concerne aussi
l’homme. Pour une revue historique des représentations de la nature, se reporter à D. Wiggins (1999) qui présente une
intéressante revue historique des conceptions de la nature depuis le 17e siècle, à C. Duflo (1996), pour une étude de la finalité
dans la nature de Descartes à Kant, à R. Lenoble, pour une histoire de l’idée de nature au 17e siècle, à A. Faivre (1996) pour
une revue des philosophies de la nature au 18e et 19e siècle, et à C. Larrère (1997) pour une revue de l’émergence des
représentations de la nature dans le monde anglo-saxon
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 53
Prémodernité
R. Larrère et C. Larrère montrent qu’en essayant de répondre à un certain nombre de questions
métaphysiques, Platon (~428-~348) a développé une conception de la nature en tant que naturecréée (natura naturata) et donc d’essence divine dans laquelle la terre occupe une position
centrale dans l’univers. Aristote (~384-~322) propose quant à lui une représentation où la nature a
ses propres lois et évolue selon un processus qui lui est sien (natura naturans). Malgré ces
divergences quant à l’essence de la nature, la position des philosophes grecques est la même en ce
qui concerne le rôle central de l’homme dans l’édifice naturel : l’homme est dans la nature,
conçue et qui se reproduit pour lui. L’appartenance à la nature se juxtapose ici d’un
anthropocentrisme fini. Se dégage par la suite une vision atomiste de la nature, notamment chez
Epicure (~341-~270) et ensuite chez le poète Romain Lucrèce (~98-~55), sur les bases de la
théorie atomiste41 de Leucippe (~460-~370) développée par Démocrite (~460-~370). Ils se
proposent d’éliminer la crainte des Dieux en fournissant de l’univers physique une explication
matérialiste: les objets et les êtres vivants sont constitués par la combinaison d’atomes et de
matière qui s’assemblent en raison d’une déviation fortuite. Tout n’est donc que combinaison
d’atomes, y compris l’homme. Cette perception de la nature s’avère de tout danger pour les
religions du moment puisqu’elle donne le primat à la matière au détriment de l’esprit sensé établir
un lien entre l’homme et l’animal.
A partir des ses travaux d’ethno-archéologie sur les modes d’appropriation halieutiques en
Méditerranée (1995,1999b), S. Collet revient, dans sa contribution de 2002, sur l’opposition
paradigmatique en deux modes de représentation de l’univers marin : la mer mangeuse d’hommes
et la mer source de divinité. La peur viscérale du monde grec archaïque du 9ème A.C. à l’endroit
de la mer et le dégoût pour ses êtres s’opposent à la sacralisation du milieu et des êtres marins
dans l’Egypte du Bronze Moyen, dans l’univers de la Mésopotamie, ou de la côte SyroPalestienne du début de l’age du fer. Ainsi, la conception grecque d’une nature au service de
l’homme n’exclut pas le sentiment de peur de la nature ; ce que la philosophie atomiste tentera de
dénoncer en affirmant que les qualités sensibles sont purement subjectives.
Chrétienté
La religion chrétienne va s’attacher à modifier la conception de la nature en excluant l’homme de
la nature. L’homme, comme le rappelle R. Larrère, ne fait pas parti du règne de la nature mais
appartient à celui de la grâce. De ce postulat découle toutefois deux conceptions de la nature: la
première, place la nature au service de l’homme dans une relation de domination et la deuxième,
considère la nature comme une entité confiée par Dieu au soin des hommes, installant dès lors
l’homme dans le rôle de gérant et d’usufruitier (conception développée ensuite par Bacon (14611526) et présentée par C. Larrère). L’homme acquiert avec la chrétienté une responsabilité vis-àvis d’une nature abordée sous l’angle de natura naturata42.
41
La théorie atomiste de Leucippe constitue la première physique franchement matérialiste qui exclut
l’intervention des Dieux dans l’explication de l’univers.
42
Il l’acquiert d’autant mieux que la manière de penser l’existence s’est modifié avec la chrétienté: St Thomas
d’Aquin montre que la philosophie grecque faisait abstraction de l’individualité alors que la chrétienté tente d’en
expliquer sa réalité en s’attachant à y inclure l’intentionnalité de Dieu (Nicolas, 1979). Grizzle & Barrett (1998)
proposent une présentation actualisée de la représentation chrétienne de la nature. 43 C. Larrère entend par
Modernité: 1°, une époque historique (XVIIe et XVIIIe siècles) marquée par des développements scientifiques et
philosophiques renouvelant les cadres de pensée antérieurs; 2°, le prolongement de la période précédente jusqu’à
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Modernité43
Le développement des sciences et notamment de la physique de Copernic (1473-1543) et Newton
(1642-1727) engendre, de par ses résultats, des modifications de la perception de la nature.
L’infinitude de l’univers, la place non centrale de la terre dans cet univers, en contradiction avec
la natura naturata d’origine divine de la chrétienne, contribue à formuler une vision du monde où
les forces en action conduisent à un équilibre perpétuel. La question de la création de l’univers et
du monde n’étant pas encore résolue, on voit cohabiter une natura naturata d’origine divine et une
natura naturans composée d’atomes et de vide et ordonnancée selon des lois physiques, qui fait
selon R. Larrère tenir le monde. Cette conception duale de la nature sera renforcée par les travaux
des biologistes44 qui précisent que la diversité des formes et des êtres vivants ne peut se concevoir
qu’au regard du maintien de l’ordre harmonieux initié par le créateur. La distinction entre la
nature-objet et l’homme-sujet sera scellée par Descartes puis Kant qui montre le caractère naturel
de l’ensemble des artifices humains: à la natura naturata d’origine divine peut être juxtaposée une
natura naturata d’origine humaine. Le paradigme industriel, que S. Collet qualifie de paradigme
Cartésien-Baconien, place l’homme au centre d’une technosphère autour de laquelle s’ordonne
une nature à son service, nature qui n’est somme toute qu’un réservoir de ressources. La position
de l’homme vis-à-vis de la nature doit alors se comprendre comme un anthropocentrisme non
plus de la nature mais de la technosphère (ce que R. Larrère évoque par natura naturata
anthropogène et anthropocentrée). Say45 (1767-1832) puis Marx (1818-1883) en mettant en avant
le caractère illimité des ressources naturelles entrevoient l’extension infinie de la technosphère.
La complémentarité des deux perceptions de la nature (nature-artifice et nature-processus)
prendra fin avec les travaux de Darwin (1809-1882) qui démontre que l’homme est parent du
singe et au même titre que les autres espèces animales et végétales subit la loi de l’évolution et se
trouve par conséquent dans la nature. La nature a donc un développement qui lui est propre et une
histoire qui jusque lors lui avait été refusée: son évlotuion se fait sans intervention supranaturelle
et sans téléologie déterminée d’avance46. Le développement des sciences physiques, en particulier
la physique quantique et la thermodynamique ainsi que le développement des connaissances va
poursuivre le processus de révision des perceptions de la modernité. La mécanique classique
comme idéal de l’organisation du monde (et de la rationalité) est remis en cause par les travaux
sur la relativité et la physique quantique. Le recours aux probabilités afin d’expliquer les
phénomènes naturels de caractère aléatoire et la démonstration d’un déterminisme imprédictible
rendent caduques les visions du monde linéaire et finalisé. L’irréductibilité des phénomènes et
systèmes (l’impossibilité d’expliquer le tout par les propriétés des parties) et l’impossibilité de
réduire à des causes physico-chimiques des manifestations condamnent le réductionnisme propre
à la modernité. Les propriétés émergentes des systèmes demandent à ce que soit pris en compte
les interactions des systèmes avec leur environnement plus large, ce qui signifie que la vision
autocentrée n’est plus valide. Enfin, le caractère fini des ressources a contingenté l’expansion de
la sphère industrielle et cela d’autant plus fortement que la modernité n’avait pas intégré le fait
que la production et la consommation d’artifices humains s’accompagnent de rejets dans la
nos jours en cela que le cadre de pensée demeure sensiblement le même malgré les avancées scientifiques et le
discours philosophique.
44
Le biologiste Suédois Linné (1707-1778) introduit en sus le concept d’utilité réciproque des êtres vivants.
45
Voir le texte qui suit de J. Catanzano.
46
Voir Kerszberg (1998).
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 55
sphère naturelle (souvent non assimilables). Leur accumulation, selon les circonstances et les
niveaux atteints peuvent d’ailleurs, selon les avis scientifiques, compromettre la vie sur terre.
Après la modernité …
R.Larrère présentent deux formes de représentation de la nature qui émergent de la fin de la
modernité: l’hyper-modernité et l’a-modernité. L’hyper-modernité se caractérise par le fait que
tout y est artifice et que la nature n’est qu’une représentation sociale. Cette conception rejoint le
post-modernisme en s’appuyant sur le relativisme qui dénie la possibilité d’avoir une vérité
universelle47. La question de la nature devient dès lors une question sociale qui doit être traitée de
manière sociologique. L’hypermodernité conçoit la nature comme une natura naturata non plus
divine, humaine ou industrielle mais sociale.
L’a-modernité rejette le postulat d’une extériorité de l’homme de la nature pour lui substituer
celui de continuité. Les artifices produits par l’homme ont un contenu culturel mais aussi naturel,
inscrivant la natura naturata (nature-création) dans la natura naturans (nature-processus). La
biologie et notamment des théories évolutionnistes ainsi que de l’écologie ont montré
d’indivisibilité du développement de l’espèce humaine et de ce qui constitue son habitat,
renforçant de la sorte la conception d’une nature en mouvement dont les histoires, humaines et
naturelles, sont liées. Malgré tout, il reste encore à construire une éthique de la relation de
l’homme à la nature, ce que S. Collet appelle par exemple une bioéthique.
Besoin d’une éthique? Oui, mais laquelle?
Les différentes perceptions de la nature ont conduit à la production de mesures de protection qui
différaient tant par leur objectif que leur forme (cf. tableau 1). Par respect pour l’œuvre du
créateur, la protection de la nature s’est, dans le cadre de la modernité, tout d’abord attachée à la
protection des espèces utiles pour l’homme. A ces mesures de protection utilitaire, se sont ensuite
adjointes des mesures qui visaient le maintien de l’intégrité des espèces et leurs habitats. La
vulnérabilité croissante des milieux de vie, à cause des pollutions, de l’utilisation abusive de
pesticides et herbicides, et de leur morcellement du fait de l’urbanisation et l’expansion des
infrastructures, a sensiblement contribuée à la prise de conscience publique de la nécessité de
protéger l’existant. Aux côtés de la protection d’espaces anthropisés ou des espèces utiles s’est
développée une protection de la nature vierge afin d’en tenir l’homme éloigné et de préserver
ainsi l’intégrité de milieux naturels considérés comme remarquables car inimitables par l’homme
(grands parcs américains par exemple48). Dans le cadre de l’hyper-modernité, la protection de la
nature se conçoit comme un espace de conciliation des différentes demandes sociales (ludiques,
éducatives, sportives, etc.) et donc d’arbitrage des conflits qui en découlent. Tout autre est la
conception a-moderne de la protection de la nature puisque l’homme étant inscrit dans la nature
naturante, il s’agit dès lors de trouver des moyens d’une cohabitation de l’homme avec les
espèces végétales et animales vivantes afin de prendre en compte l’adaptabilité du vivant et la
diversité biologique (ce que s’attache à faire l’écophysiologie (Vincent, 2002)). La régulation de
l’action humaine nécessite alors l’établissement d’une éthique qui puisse guider ses pas.
47
Le monde ne possède pas de caractéristiques intrinsèques, il existe seulement différentes manières de
l’interpréter (Pojman, 1999).
48
Le parc du Yellowstone, emblématique d'une nature «vierge» , a pu être créé au XIXe siècle, c'est parce que le
Congrès américain a été convaincu de la beauté du site en examinant les photographies de William H. Jackson.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 56
C. Larrère insiste sur l’urgence et la gravité de la crise environnementale qui obligent à prendre
des décisions alors même que l’on ne dispose pas de tous les éléments de certitude scientifique
sur les risques encourus. La décision cesse dès lors d’être l’application d’un simple devoir
scientifique, elle fait appel à des normes morales, de prudence et de précaution. D’où l’idée de ne
pas s’en tenir à la seule valeur instrumentale des entités naturelles, mais de rechercher leur valeur
intrinsèque. Considérer que les êtres humains n’étaient pas les seuls sujets moraux, mais que le
fait de sentir (donc de souffrir) permet de prêter un intérêt propre à chaque être sensible et
nécessite de prendre en compte le bien-être animal et reconnaître aux animaux, sinon des droits,
du moins une valeur propre qu’il faut respecter. D’où le besoin d'une éthique qui définisse notre
relation à la nature et justifie le contrôle et la limitation de nos actions. L'attitude technique, de
neutralité éthique, situe l'homme à l'extérieur de la nature. L'attitude environnementale ou
écologique, situe l'homme à l'intérieur de la nature et considère que ses actions sont parties
intégrantes des processus naturels qui se déroulent dans un milieu donné.
L’échec des théories éthiques de type déontologique ou utilitariste à fournir une réponse éthique
construite à face à la crise environnementale des dernières décennies du 20e siècle a
considérablement ouvert le débat sur la nature de la relation entre l’homme et la nature.
Toutefois, comme le rappelle C. Larrère, les éthiques de la nature ont émergées dans le monde
anglo-saxon ; le monde francophone, encore imprégné de la représentation du monde de
Descartes, continue de concevoir son rapport à la nature sous l’angle de la technique. Mais de
manière générale et comme le soulignent C. Larrère et Serge Collet les politiques envers la nature
demeurent encore d’inspiration anthropocentrique (en particulier en Europe) mettant en avant le
décalage entre le développement de la pensée scientifique et philosophique qui proposent de
nouvelles éthiques et les pratiques gouvernementales de conservation de la nature. Aujourd’hui
trois grandes éthiques de la nature peuvent guider l’action humaine. Selon le Tableau 2, le
déplacement de la gauche vers droite, traduit un élargissement des responsabilités des hommes
vis-à-vis de la nature mais toujours dans un contexte de rationalité dans la mesure où les actions
humaines s’appuie sur les connaissances scientifiques.
Les trois auteurs sont unanimes pour reconnaître dans l’éthique écocentrée, héritée de Aldo
Léopold (1949), un cadre de structuration de l’action de l’homme dans un contexte qui n’est plus
celui de la modernité. Assignant une place de membre ordinaire à l’homme au sein de la
communauté biotique (au même titre que les autres êtres vivants), l’éthique écocentrée s’attache à
reconnaître le respect des autres membres de la communauté ainsi que de la communauté comme
telle. Malgré tout, il reste encore à construire une éthique de la relation de l’homme à la nature, ce
que S.Collet appelle «une éthique du Commun», incluant fondamentalement au moyen de la
coopération interdisciplinaire des sciences du vivant et des sciences de la société, comme de celle
élargie aux forces de la société civile, la construction d’un nouveau bio-communalisme ou bioéthique postmoderne parce que déjà a-moderne.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 57
Tableau 2 : Synthèse des éthiques de la nature
Ethique anthropocentrée
Éthique biocentrée
Éthique écocentrée
L’homme reste le centre des valeurs morales. C’est à partir de lui, de la
spécificité de son existence, que des obligations envers la nature s’imposent
à lui.
Point de vue utilitaire
Point de vue non utilitaire
Éthique centrée sur les êtres vivants en
général.
Éthique centrée sur les systèmes
écologiques.
Intérêts humains
au sens étroit, à
court et moyen
termes.
La nature à des intérêts
qui peuvent prétendre à
entrer dans le calcul
général du plus grand
bien-être de tous
Les être vivants ont
une valeur dès lors
qu’ils sont en état de
se fixer eux-mêmes
comme but, comme
fin.
Les êtres naturels
ont des droits parce
qu’ils ont des
intérêts particuliers,
et un minimum
d’autonomie
d’action.
Le cadre naturel
doit être
sauvegardé dès
lors que cette
sauvegarde
concerne l’avenir
de l’homme.
Economie
d’énergie,
limitation des
rejets de gaz
carboniques,
lutte contre
l’érosion, la
déforestation,
protection
d’espèces en
voie de
disparition.
L’utilitarisme (le plus
grand bonheur pour le
plus grand nombre)
doit être élargi aux
êtres vivants, en
particulier à ceux
susceptibles de
sensibilité
(plaisir/douleur). Or les
animaux supérieurs
sont manifestement des
êtres sensibles. On doit
les intégrer dans le
calcul utilitariste :
maximiser le plaisir,
minimiser la douleur.
Si le principe est
valable pour l’homme,
aucun argument
n’interdit de l’étendre
aux animaux en
proportion de leur
sensibilité.
Or les êtres vivants
sont des êtres
téléonomiques
(télos : fin, but): ils
ne sont pas de
simples machines, ils
sont disposés pour
accomplir un but,
assurer leur propre
subsistance ou celle
de l’espèce. Pour
cela, ils posent des
valeurs (ce qui est
bon, ce qui est
mauvais pour eux).
Et c’est cette capacité
de créer des valeurs,
qui leur donne
précisément de la
valeur. Il y a donc
une valeur inhérente
dans tout organisme,
qui interdit d’en faire
un simple instrument.
Cette thèse fait la
synthèse des deux
premières ; mais elle
concerne surtout les
animaux supérieurs,
ceux qui sont sujetsde-leur-vie: capable
d’une certaine
conscience de soi,
de concevoir
l’avenir, de désirer
…
Cela aboutit à
interdire, ou à
limiter l’élevage, la
chasse, les
expérimentations
scientifiques, les
emprisonnements
d’animaux
sauvages…
Utilitarisme
Valeurs en soi
Les êtres vivants
n’existent pas en
dehors des systèmes
qui les lient les uns
aux autres. Ce sont
ces systèmes qui ont
une valeur L.
Johnson (1991)
La possession
d’intérêts est la
propriété qui
confère de la valeur.
L’éthique consiste à
aller dans le sens de
l’équilibre, de la
stabilité, de la
beauté de ces
systèmes, en les
hiérarchisant:
communautés
humaines (famille,
voisinage, nations,
humanité);
communautés
hommes/vivants
domestiqués ;
biosphère.
Multiplicités de
devoirs diversifiés et
hiérarchisés.
Les être vivants s’efforcent
d’atteindre des fins qui
leurs sont immanentes P.
Taylor (1986), H. Rolston
(1988).
Les devoirs directs
envers les hommes
impliquent des
devoirs indirects
envers la nature.
Valeur gratuite et
désintéressée de la
nature aux yeux de
l’humanité.
Le cadre naturel doit être
sauvegardé
inconditionnellement, car
on ne peut jamais savoir ce
qui sera utile ou pas
demain. La plus petite
bactérie peut porter des
gènes susceptibles d’être
utilisés dans plusieurs
siècles. Par ailleurs, les
évolutions
environnementales sont
trop complexes pour être
gouvernées à la manière de
projets techniques,
économiques, politiques
traditionnels.
Le respect moral
(argument kantien)
ne peut porter
directement que sur
des hommes ; mais
l’homme ne peut pas
se respecter luimême s’il accepte
des comportements
dégradants envers
les animaux, s’il se
montre insensible
envers la beauté ou
la grandeur de la
nature. C’est un
devoir envers soimême que de
développer sa
sensibilité et sa
réceptivité aux
plaisirs gratuits.
-Valeur religieuse:
caractère sacré de la
création.
-Valeur esthétique:
beauté, harmonie du
monde.
-Valeur intellectuelle:
grandeur et perfection
des lois de la nature,
d’un ordonnancement
qui mérite d’être
reconnu pour lui-même.
-Valeur mystique,
romantique: présence
de l’homme, face à face
avec l’univers.
Source: d’après Marchall et al. (2000), Callicott (1996),
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 58
Droits
Liaison
homme/systèmes
Prolongements
L'attitude dominante à l'égard du monde naturel semblait, dans le cadre de la modernité,
tenir pour acquise la distinction kantienne entre les êtres de liberté et de rationalité, que
l'on ne doit jamais utiliser comme des moyens seulement, et les êtres de nature, dont on
peut disposer à sa guise. Sa remise en cause dans la pensée contemporaine à propos des
questions d'éthique environnementale49 et du statut éthique de l'animal50 est certes
notable, mais reste encore confinée au domaine de la philosophie.
Les sciences économiques, de plus en plus étroitement associées à la prise de décision
publique pour la gestion des ressources halieutiques, perdurent la conception moderne de
la nature51. Les outils utilisés par les économistes sont issus de l’époque où l’économie
voulait être élevée au rang des sciences en s’inspirant des formulations de la mécanique
classique pour laquelle l’équilibre constituait l’objectif à atteindre. A ce titre, Alfred
North Whitehead (1925) a décrit l'effet de ce mimétisme sur le développement de la
discipline des sciences économiques, observant que «it riveted on men a certain set of
abstractions which were disastrous in their effect on modern mentality». Plus près de
nous, Daly & Cobb (1989) dénoncent un certain nombre de ces abstractions et des
réductions conceptuelles telles: la nature en tant que «terr» ; les humains en tant que
«homo economicus» ; la dynamique sociale en tant que «marché» ; et le bien-être social
en tant que «PNB». Il s’en est suivi que l’écologie économique s’est en grande partie
consacrée à adresser ces erreurs en développant une vision et une compréhension des
problèmes qui soient les plus larges possibles, écologique, interdisciplinaire, et holistique
(Costanza, 1989).
Malgré ces efforts, les développements de l’écologie écologiques restent encore hors du
champ de l’économie des ressources halieutiques, encore occupée à maximiser la rente
sous les contraintes de production. Autrement dit, la vision réductionniste qui prime dans
la gestion des ressources halieutiques esquive l’obligation de la compréhension du
système halieutique pour se réfugier dans un espace de sophistication des techniques de
gestion: le système est organisé selon des lois qu’il est possible de modifier en
introduisant des mesures techniques pour parvenir au résultat escompté. Le primat de la
solution technique sur toute autre forme d’organisation des rapports de l’homme à
l’environnement marin est toutefois de plus en plus dénoncé, notamment par S. Collet et
d’autres anthropologues maritimes tels, par exemple, Y. Breton et A. Dieges. Les
tentatives actuelles d’ouverture de l’espace des solutions grâce à la participation publique
et notamment celle des professionnels demeurent encore timide et font d’avantage penser
à un exercice de bonne conscience des autorités publiques qu’à l’élaboration d’un
partenariat.
49
Voir par exemple Larrère (1997) et Callicott & Michael (1998).
Voir par exemple Singer (1993) ou Larrère & Larrère (1997).
51
A l’instar des autres domaines économiques où les politiques publiques affectent la production basée sur
l’exploitation des ressources naturelles. J.-P. Maréchal (1999) souligne l’inapplication de la théorie
économique standard à apporter des réponses aux problèmes de pollution et d’épuisement des ressources.
50
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 59
Autre tentative pour sauver le monde des pêches: élargir la gestion des ressources
halieutiques à la gestion des écosystèmes52 marins. Ce que l’on pas su faire pour à
l’échelle des espèces on pense pouvoir le faire à l’échelle de l’écosystème: voilà en
raccourci ce qui sous-tend le changement d’échelle proposé lors de la conférence de
Reykjavik relative à la pêche responsable. Mais qu’en est-il d’un changement de niveau et
de complexité sans modification de la perception des ressources marines et de leurs
usages ainsi que de la manière d’aborder la relation homme-milieu marin? Ni le
renoncement à l’approche mécanistique actuelle, ni une ouverture vers une
compréhension n’était à l’ordre du jour de cette grande conférence sur les pêches. Un
parallèle peut être établi entre la promotion du développement durable comme moyen de
sortir de l’ornière dans laquelle les développeurs s’étaient enfoncé et la promotion
actuelle de la gestion des pêches par la gestion des écosystèmes. Le changement d’échelle
opéré est un leurre qui évite de plus de s’interroger sur la viabilité des systèmes
d’exploitation actuels. Que l’on gère une espèce ou un écosystème, si l’on ne change pas
les pratiques de pêche, quel en est l’intérêt?
Le changement d’échelle révèle par ailleurs l’inefficacité des tentatives d’application du
code international de conduite pour une pêche responsable adopté par la Conférence de la
FAO en 1995 (FAO, 1995). Les principes généraux et l’article 6.5 du Code prescrivent
l’application d’une approche de précaution53 à toutes les formes de pêche et à tous les
systèmes aquatiques, quelle que soit la nature de leur juridiction (FAO, 1997). Le principe
de précaution stigmatise ici l’insuffisance de prévoyance dont font preuve les acteurs du
système compte tenu de l’incertitude élevée qui caractérise, non seulement l’activité de
production mais aussi les systèmes naturels marins (variabilité spatiale et temporelle des
ressources). Il aurait pu faire le lien entre les visions anthropocentrique et nonanthropocentrique de la nature, en cela qu’il offrait pour la première fois une opportunité
institutionnelle internationale de se pencher sur la question de nos rapports avec la mer.
Mais en restant engoncé dans un schéma de pensée unique, il n’a fait que rajouter un
élément discursif supplémentaire à la panoplie des principes d’action des gestionnaires
modernes.
Enfin, les velléités de gestion des écosystèmes en temps et lieux des espèces et selon les
mêmes méthodes réductionnistes montrent clairement que le principe d’illusion du
contrôle54 issu de la modernité est encore vivant (Foucault, M., 1977). Sans même
aborder la difficulté intellectuelle et technique de passer de la gestion des espèces à la
gestion d’écosystèmes, on aurait pu penser que l’effondrement des principales pêcheries
aurait instauré un doute quant à la pertinence de l’outil réductionniste pour atteindre les
52
Voir le site Internet de la FAO : www.ftp://ftp.fao.org/fi/document/reykjavik/default.htm, ou Anon.
(2002).
53
Pour une description et des applications du principe de précaution à d’autres domaines que la pêche, se
reporter à Godard (1999) et C. Larrère et R. Larrère (2001). Voir également H. Jonas pour une
compréhension de ce qui sous-tend le principe de précaution dans une société industrialisée.
54
Voir Failler (2000) pour une présentation de l’application du Panoptique de Jeremy Bentham et du
contrat social de Rousseau à la gouvernance des ressources halieutiques.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 60
fins recherchées. Tout au contraire, les gestionnaires et les scientifiques qui proposent des
mesures de plus en plus sophistiquées, sont persuadés que la nouvelle mesure va
solutionner55 tous les problèmes que les mesures précédentes n’ont pas pu résoudre et
annihiler en même temps les effets indésirables de celles-ci. Les économistes expliquent
le fossé entre les desiderata et les résultats par le manque d’information ou son
asymétrie56. Aussi, c’est sur le plan du renforcement du contrôle par le biais de
l’amélioration de la qualité de l’information que se situe l’espoir des gestionnaires
(Stigler, G., 1961; Akerlof, G., 1970) (Alchian, A. A.andH. Demsetz, 1972). Une
meilleure information (en temps réel, comme par exemple avec le système de géopositionnement des navires) est la clé de la réussite afin, comme le pensait Bentham, de
continuer à tenter d’exercer un contrôle de l’esprit sur l’esprit (en l’occurrence sur les
producteurs).
Le désir de contrôle est encore plus fort dans les espaces associés à des modes de mise en
valeur respectueux de la diversité biologique ou de conciliation entre développement et
conservation : les aires protégées côtières et marines57. Dans les pays de l’Afrique de
l’Ouest, les tentatives d’exclusion d’inspiration naturaliste des populations hors des
limites des aires protégées ayant dans de nombreux cas échoué, il a fallu trouver des
modes de cohabitation où les activités de l’homme étaient compatibles avec la
conservation de la nature. Plus récemment, avec la reconnaissance du rôle primordial joué
par les populations résidentes dans la conservation des milieux érigés en aires protégées
et la reconnaissance d’une culture en osmose vis-à-vis de la nature, est apparu un souci
d’associer développement humain et conservation de la nature58. La conception amoderne de la nature semble ainsi prédominée59 alors même que les mesures de gestion
demeurent d’inspiration moderne car la référence au concept d’équilibre est permanent.
55
C’est oublier le mot d’Einstein « The problem that exist in the world today caonnot be solved at the same
level of thinking that created them », repris dans Maxwell (2002).
56
Ils oublient aussi un concept important énoncé par Montesquieu dans l’Esprit des lois. J.-P. Courtois, en
analysant le livre I, souligne que « la nécessité d’une régulation et l’existence d’une régulation sont posées
en même temps qu’est constaté le « viol » et le « changement » perpétuel des lois qui sont censées assurer
cette régulation » (Anonyme1997). Montesquieu pose ainsi les rapports de l’homme avec son propre agir en
définissant l’agir comme le fait de faire les lois, de se donner des lois et dans le même temps de ne pas les
suivre tout le temps.
57
On entend ici aire protégée au sens de réserves extractives où les populations exercent des activités
économiques à partir de l’exploitation des ressources naturelles. Ne sont pas mentionnées ici les aires
marines protégées qui sont créées à des fins de gestion des ressources halieutiques (comme en fait mention
Sylvie Guénette plus loin dans le texte).
58
Mais comme le mentionne justement C. Larrère, les différences culturelles entre les pays rend inhabile
l’exercice de projection des perceptions occidentales à d’autres mondes.
59
Voir J. Lecomte (2002) pour un questionnement sur le caractère naturel ou artificiel des grands parcs
nationaux en Afrique et les motifs de création de ces parcs avec entre autres l’idée de la nature vierge qu’il
fallait préserver des populations résidentes (d’où les nombreux déplacements constatés dans toute
l’Afrique). À lire R. Larrère (1994), il semble que la « Leçon de Rousseau » n’ai pas été entendue ou
comprise des instigateurs de la protection de la nature en Afrique où l’homme et son bétail se devaient d’en
être absents car pour Rousseau, l’état de nature n’existe plus, n’a peu être jamais existé et n’existera
probablement jamais.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 61
Conclusion
S’il existe, pour sortir de la modernité, une éthique à construire afin d’instruire une
relation de l’homme avec la nature, il existe dans le domaine de l’économie des
ressources halieutiques une méthode à construire afin de prendre en compte la dynamique
des interrelations entre l’homme et le milieu marin. Au même titre que nous construisons
la réalité, il n’existe aucune raison pour qu’il n’y ait qu’une seule manière d’entrevoir
cette dynamique ou une seule instrumentalisation pour se donner accès à une
connaissance qui soit pertinente. Cela nécessite une stratégie par définition éclectique
dans le choix des moyens et qui bannit tous les dogmatismes sans pour autant tomber
dans l’anarchisme méthodologique. Les approches environnementales volontaristes60 sont
sans doute un des chemins possibles afin d’opérer le passage d’un anthropocentrisme fini
à une éthique écocentrée61. Mais qui a pour le moment la volonté de s’engager sur de tels
chemins sinueux et semés d’embûches ?
L’affrontement qui devient imminent entre les partisans d’une conception nonanthropocentrique de la mer (écologistes et groupes de pressions environnementaux) et
les tenants de la perception anthropocentrique moderne risque de condamner
définitivement les pratiques actuelles de pêche et les méthodes de gestion censées les
encadrer. Les timides inclusions des considérations environnementales dans les politiques
des pêches des pays européens et africains tentent, tant bien que mal, de retarder
l’échéance de la confrontation. Mais comme le montre S. Collet, se pose également la
question de l’émergence d’une vision commune de la relation homme-nature à partir des
différentes perceptions62 et intérêts présents63, qui nécessite une stratégie par définition
multiple dans le choix des moyens, sans pour autant tomber dans le pur pragmatisme
méthodologique. Mais cela ressemble quelque part à l’hyper-modernité décrite par R.
Larrère, où la mer s’apparente à un espace de projection sociale...
60
Pour un compte rendu de ces approches, se rapporter à C. J. Higley et F. Levêque (2001).
K. Kortenkamp et C. F. Morrre (2001) montrent que la disponibilité de l’information relative à l’impact
des dommages écologique à une influence sur les perceptions de la nature (classifiées comme
anthropocentriques et écocentriques). P. Kaltenborn et T. Bjerke (2002), font une revue de la littérature au
sujet des changements de perceptions qui se modifient en fonction de l’age, de la catégorie sociale, du lieu
de vie, etc.
62
Il faut également, comme le soulignent P. Kaltenborn et T. Bjerke (2002), prendre en compte le
différentiel de perception entre les acteurs qui se situent à l’intérieur et ceux qui se situent à l’extérieur de la
sphère d’utilisation des ressources naturelles.
63
Voir R. Chuenpagdee et al. pour une présentation d’une tentative de conciliation des différents intérêts
dans le cadre de la gestion des zones côtières en Thailande, ou encore E. Ruijgrok et P. Goosen (1999)m
pour la définition des instruments de la concertation.
61
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 62
Régulations et liens entre acteurs
Joseph Catanzano (IDDRA64, France)
Avant propos
Ce texte vise à avancer quelques idées à propos de la question des liens entre acteurs au
sein du système halieutique. Les liens utiles à la régulation des usages et notamment ceux
qui mettent en jeu la recherche. Les expériences sur lesquelles se fonde ce document de
discussion sont liées aux travaux effectués dans des Etats de l'UE et dans les pays de
l'Afrique de l'Ouest et du Nord ainsi que des échanges et coopérations entretenus avec les
institutions internationales agissant dans le secteur des pêches (FAO, FAO/SIFAR,
Banque Mondiale, UE, OCDE, CSRP, CIEM, ICCAT notamment). Les échanges
réguliers avec des centres de recherches nationaux et des administrations des pêches de
pays développés ou en développement ont contribué à nourrir également certains
éléments de cette discussion.
Quelques repères pour comprendre65
Les principes modernes de l'aménagement des pêches sont connus depuis maintenant plus
d'un quart de siècle alors que les mécanismes qui conduisent à la surexploitation des
ressources étaient déjà énoncés et expliqués dans leur dynamique un quart de siècle
encore avant eux. On peut sélectionner quelques dates pour illustrer cette réalité dont on
verra ensuite qu'elle pose problème dans la mise en œuvre de ces savoirs.
D'abord les hésitations à propos du rôle de la nature, de sa place en quelque sorte : quand
pour Jean Jacques Rousseau en 1775 il n'y a pas d'ambiguïté et la notion d'harmonie très
moderne encore est évoquée dans son livre « Du contrat social » où traitant des
Fondements de l'inégalité entre les hommes, il suppose « un âge d'or où l'Homme était en
harmonie avec la Nature ». Au même moment l'économiste Adam Smith (1776) énonce
quant à lui que « la nature ne fait rien, la main de l'homme fait tout ». Malthus plus tard
en 1819 ouvre une voie qui lui survivra longtemps et publie ses Principes d'économie
Politique en proposant des thèses qui marqueront les consciences à propos de la
surpopulation et ses effets sur les ressources naturelles disponibles. C'est la naissance de
la solution d'attente. Plus radical en 1829, Jean-Baptiste Say enfonce le clou en disant que
« la nature est inépuisable ». C'est la négation du rôle de la nature dans le développement
et le bien être. C'est le renoncement à calculer ce qu'il en coûte de l'utiliser. Plus tard à
propos de cette relation Homme-Nature, la question se porte sur le rôle de la propriété et
en 1833 William Foster Lloyd avance que « la propriété commune conduit à être
imprévoyant dans l'utilisation de la ressource ». Un premier pavé dans la marre est lancé
qui fera encore échos jusqu'à aujourd'hui en matière de pêche. Comme avec Malthus
64
Institut du Développement Durable et des Ressources Aquatiques
Dont éléments extraits de Gestion des ressources naturelles : les chaînons manquants, Courrier de la
Planète (n°60-2000).
65
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 63
auparavant, on continue encore en 1948 à s'interroger sur le bien fondé d'une solution
attentiste et John Stuart Mill fait l'apologie d'un « état stationnaire respectueux de la
société et de la nature ».
Dans ce contexte d'hésitations et de doutes, les premières décisions de protection
effective d'espaces naturels naissent en France (1858) avec la mise en protection de
quelques sites dans la forêt de Fontainebleau. Il faudra attendre 18 ans pour voir se créer
le premier parc américain (Yellowstone), puis 1885 pour la création de la réserve des
chutes du Niagara et du Yoseminte park. En 1898 seulement, cette idée est exportée dans
les colonies britanniques (Ouganda) et 1952 pour la création des parcs naturels au Kenya
et en Ouganda. L'intérêt des classes riches explique sans doute la chronologie des
décisions. Cela doit nous amener à nous questionner aujourd'hui sur la mise en scène de
l'écologie internationale par les pays les plus avancés.
On verra que l'idée de geler la croissance et le développement survivra au temps
puisqu'elle sera à la base des travaux et publications du Club de Rome en 1972 (conforté
par l'appui scientifique du MIT). L'erreur est toujours la même, elle consiste à ne pas
considérer les prix et notamment ceux de la nature. Ceux-ci sont ignorés ou mal calculés.
Alors sans référence de prix, les tendances d'évolution des quantités (ressources
naturelles, production industrielle, pollution, ressources alimentaires, population…)
effraient les institutions internationales. Pourtant au même moment des économistes
comme A. Sauvy en France (1973) expliquent clairement que les « nuisances résultent
toutes de fausses comptabilités, le plus souvent à base de gratuité ». Pour illustrer ces
propos il explique dans une société en plein développement et à la veille du premier choc
pétrolier, que: « Si les arbres disparaissent des villes, c'est parce qu'ils ne rapportent
apparemment rien et qu'il est impossible de faire payer leurs avantages par ceux qui en
profitent. Les voitures se multiplient, au contraire au-delà de la norme, parce que l'espace
qu'elles occupent est gratuit, en dépit du coût pour la collectivité ».
Mais revenons à l'évolution des idées notamment en économie, par rapport à cette
question d'exploitation des ressources naturelles. En 1919, Pigou explique que certains
effets de l'activité économique provoquent des dommages environnementaux ou sociaux
sans qu'ils soient pénalisés (Economics of Welfare). En 1954, H. Scott Gordon revient sur
la question de la propriété et conforte l'idée selon laquelle « le libre accès ne permet pas
de respecter le renouvellement d'une ressource naturelle ». Cela sera encore repris par
Hardin en 1968 dans la Tragédie des communaux.
En 1957 la question de l'écologie politique est abordée du point de vue de la comptabilité
des effets de la croissance sur l'environnement. Il faut selon Bertrand de Jouvenel mieux
approcher les coûts par lesquels on doit recalculer la croissance réelle des économies dès
lors qu'elles mettent en jeu l'utilisation des ressources naturelles. On verra plus tard que
cela peut se faire par destruction directe ou par effets polluants portant atteinte aux biens
environnementaux non productifs. La question est enfin posée clairement en 1960 par R.
Coase s'agissant du rôle que peuvent jouer les droits de propriété combinés aux
mécanismes de régulation des marchés (coûts sociaux et environnementaux). Dès lors
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 64
comment expliquer que les régulations actuelles perpétuent des solutions si peu
efficientes?
Les liens actuels entre acteurs
- Des liens existent déjà entre les acteurs. Ils sont le fruit de rapports sociaux fondés sur
la base de mécanismes et de représentations des régulations dans des contextes le plus
souvent de non-régulation de l'accès et donc de compétition quand il ne s'agit pas déjà
de conflits pour l'accès aux ressources halieutiques (problèmes entre flottilles, entre
communautés sédentaires et migrantes, problèmes aux frontières des ZEE…) ;
- Les mécanismes de régulation ne sont pas efficients et souvent encore pas efficaces au
sens d'une exploitation durable des ressources halieutiques ;
- Les schémas et travaux de réflexion sur le développement ou l'ajustement de ces liens
sont fondés sur les mécanismes en place qui conservent aux institutions existantes
leur format actuel ainsi que leurs rapports de dépendance et de pouvoir dans le
contexte d'un aménagement inefficient. Tout se passe comme si on construisait sur les
fondations peu solides et peu adaptées des mécanismes et institutions antérieures.
Pourquoi est-il difficile de changer ces liens ?
Dans ce contexte d'absence de régulation de l'accès, le système et les liens actuels entre
les acteurs (recherche, profession, administration) ont été détournés des questions de
l'aménagement pour devenir simplement des supports d'expression de sphères
d'influences ou groupes de lobbying auprès des pouvoirs discrétionnaires: pour des
ressources financières, des postes, plus largement des liens directs au pouvoir politique.
Chacune des sphères est elle-même soumise à des influences externes qui sont autant de
facteurs d'extraversion (recherche, professionnels et politiques) qui accentuent les
distances entre les acteurs en présence. Cela rend difficile l'expression de nouveaux
acteurs au sein des sphères de décision. Cela modifie les échelles de représentation des
faits socio-économiques, politiques ainsi que la représentation des processus naturels. On
passe sans ne plus pouvoir les lier, du local au global, car les sphères de pouvoir
s'expriment sur la scène internationale à l'échelle globale.
- Au sein de la recherche par une programmation internationale qui prend la relève ou
assure une sorte de tutorat scientifique qui remplace les anciens modes de coopération
post coloniaux ;
- Au sein de l'administration par l'obligation d'application des normes et conventions
internationales ;
- Au sein de la profession par les mécanismes de marché et les intérêts de groupes
internationaux (substituts d'intérêts d'Etats) là où la sanction est immédiate pour ceux
qui ne peuvent s'adapter (le marché les élimine). Cela entraîne un effet de
détournement de part publique de la rente halieutique et un renversement de
dépendance des administrations d'Etat vis-à-vis d'acteurs économiques devenus trop
important sur le plan social et politique à l'échelle du pays.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 65
Chaque groupe d'acteur est lui-même le lieu de processus de compétition internes pour
des pouvoirs de représentation, d'intérêt construit chacun sur des échelles qui leurs sont
propres. Il en résulte une segmentation des sphères d'intérêts dans chacun des groupes
d'acteur:
- Au sein de la recherche entre domaines de compétences et d'expertise ou même entre
disciplines ou méthodes scientifiques;
- Au sein de l'administration entre central et local, entre pêche et autres secteurs
intéressés au littoral ou autres domaines de compétences ministérielles (économie,
commerce, emplois, sécurité alimentaire, pauvreté, aménagement, tourisme,
transports…);
- Au sein de la profession entre segments professionnels (artisans industriels,
transformateurs, exportateurs, mareyeurs…).
Comment améliorer les liens entre acteurs ?
- Revoir les régulations en place pour produire des plans d'aménagement tenant compte
de tous les facteurs agissant sur les comportements et notamment les facteurs
économiques (considérer la gestion du surplus, les obligations de réguler l'accès…) ;
- Prendre en compte les facteurs d'extraversion au sein des groupes d'acteur réorganisés
prenant en compte eux-mêmes de nouveaux acteurs afin de corriger les effets négatifs
qu'ils produisent dans des systèmes non maîtrisés à l'échelle nationale. Cela permettra
progressivement de redonner la parole aux Etats en développement dans le cadre des
institutions internationales notamment à l'occasion des conventions internationales sur
les pêches mais aussi au moment de la définition des priorités pour la recherche ;
- Faire de la question de l'aménagement durable la question centrale des échanges entre
acteurs publics et privés et ajuster ainsi les institutions aux échelles sociales,
économiques, politiques et écologiques adéquates ;
- Rendre les institutions vitales pour la régulation de l'accès et la surveillance des
marchés au vu des politiques publiques nationales.
Approche économique et amélioration de ces liens
L'approche économique peut apporter quelques améliorations aux liens entre acteurs des
systèmes halieutiques. Les contributions de cette discipline peuvent porter sur :
- Le diagnostic sur la valeur des ressources en jeu et sur le surplus économique ;
- La contribution du secteur à l'économie et au développement ;
- La définition d'un plan d'aménagement efficient (affectation des ressources) ;
- La définition des priorités de recherche (adapter les objectifs, éviter la confusion
recherche et décision, allouer de façon efficiente les moyens rares pour la recherche,
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 66
orienter le surplus dégagé, rendre durable le surplus par le renforcement des
connaissances sur les milieux…)66 ;
- La définition et la prise en charge des moyens de suivi et d'adaptation de ce plan ;
- L'évaluation des conditions pour un développement durable : équité, durabilité,
emploi, équilibres macro-économiques conjugués aux objectifs de sécurité
alimentaire…
66
Voir l'article de S. Cunningham à paraître dans les collections FAO et intitulé : « Towards the increased
policy relevance of fisheries research ».
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 67
Un bon exemple de coopération fructueuse sud-sud et sud-nord
Moctar Bâ (Unité de coordination Projet SIAP, République de Guinée)
Contexte
Les ZEE des pays membres de la Commission Sous-Régionale des Pêches (CSRP)
couvrent environ 1.375.000 km2. Elles renferment des ressources halieutiques abondantes
qui font de la pêche un secteur clé des économies de ces pays et attirent des flottilles
étrangères. La contribution du secteur aux économies nationales varie selon le pays mais
il représente :
- Une source importante de revenus et d’emplois pour les pêcheurs artisanaux et les
armements industriels ;
- Une contribution majeure de protéines pour les populations locales ;
- Une source majeure de devises ;
- Des recettes publiques élevées.
C’est pourquoi la Commission Européenne a décidé d’apporter son soutien financier au
Projet avec des fonds prélevés sur le 7ème FED pour montant total de 3.000.000 euros. La
durée du Projet est prévue pour trois ans (décembre1999-décembre2002). Mais il n’a
démarré qu’au mois mai 2000. Son siège est à Conakry (République de Guinée). Il est
piloté par une Unité de Coordination avec l'appui d'un Conseiller scientifique. Ainsi la
coopération dans le cadre du projet SIAP représente un pas concret vers la mise en œuvre
des grands principes de Rio (Agenda 21 adoptés par le Sommet de la Terre en 1992) et le
Code de conduite pour une pêche responsable adopté à l’unanimité par la Conférence de
la FAO en 1995.
Toutefois, les performances du secteur halieutique ne sont pas bonnes. L’existence de
fortes surcapacités entraîne la dissipation de rentes économiques considérables, qui
atteignent plusieurs centaines de millions de dollars pour l’ensemble de la sous-région.
De plus, toutes les ressources nobles sont surexploitées et l’environnement côtier se
détériore. Les premiers résultats sur le renforcement des capacités analytiques dans la
sous-région et d’analyse de données montrent une dégradation forte des écosystèmes dont
dépendent les pêcheries. Les conflits sont fréquents, tant entre la pêche artisanale et la
pêche industrielle, qu’entre les pêcheurs nationaux et étrangers. Enfin, partout les
réglementations sont mal appliquées.
Dans tous les pays, la régulation de la pêche, qui suppose un ajustement de moyens de
production à la productivité des stocks, se heurte à des contraintes majeures :
- La faiblesse actuelle des politiques sectorielles dans la mise en œuvre des mécanismes
et des méthodes adaptées à une régulation efficace et équitable de l'accès à la
ressource. De plus, jusqu’ici, ces politiques se sont surtout intéressées à la production
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 68
et ont relativement négligé les activités de transformation et de commercialisation,
ainsi que les activités amont (approvisionnement, entretien des navires) ;
- Les liens entre la profession, l'administration et la recherche souffrent de
l’insuffisance des structures et des mécanismes de concertation ;
- Le manque de personnel bien formé et expérimenté pour gérer la recherche handicape
à la fois le développement des programmes de recherche et celui de la coopération
avec les pays de la région comme ceux du Nord.
- La faiblesse des ressources humaines et financières allouées à la gestion de la
ressource ;
- Les carences des données statistiques nécessaires au suivi des ressources, qui tiennent
à la fois aux faiblesses de la recherche, aux méthodes de régulation en vigueur, et aux
faibles capacités de gestion des entreprises de pêche. En outre, de nombreuses
données restent dispersées, difficiles d'accès, et de ce fait inexploitées ou mal
valorisées ;
- Le manque de diagnostic de l'impact de la pêche sur les écosystèmes marins et le
manque de recherche pertinente capable de découvrir une approche globale de la
gestion durable des ressources halieutiques.
Fort de ce constat, les six pays membres de la CSRP ont décidé de renforcer leur
coopération au niveau sous-régional et leur collaboration avec les instituts de recherche
européens selon des principes discutés et adoptés d'un commun accord, qui respectent de
l'égalité des partenaires et veillent à leur être mutuellement bénéfiques. Le Projet SIAP est
la concrétisation de cette volonté.
Défis et opportunité
Les défis se situent au niveau socio-économique et écologique pour ce qui est du secteur
de la pêche et de la gestion des zones côtières. Le SIAP, actuel contribuera à démontrer
que la plupart des stratégies d’exploitation actuelles ne sont pas durables. Il faudra ainsi
réfléchir à des options complémentaires ou alternatives de gestion pour, d’une part,
restaurer au moins une partie du patrimoine marin dégradé et, d’autre part, augmenter la
valeur ajoutée tirée de l’exploitation des ressources halieutiques qui reste dans les pays et
d’en assurer un partage équitable.
La Déclaration du Caire et son Plan d’action ont clairement identifié la recherche comme
un axe prioritaire de coopération en faveur du développement durable. La création de
nouvelles connaissances et nouveaux concepts pour mettre en œuvre les grands principes
de Rio et du Code de conduite, ainsi que le partage et même le transfert des
connaissances, ont été reconnus comme stratégique. Une poursuite et un
approfondissement du SIAP seraient déjà une mesure concrète pour contribuer à la
réalisation du Plan d’action du Caire. De même, les forums de préparation du Sommet de
Johannesburg se multiplient et créent une dynamique favorable à des actions plus
déterminées pour la mise en œuvre de l’Agenda 21.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 69
Du côté SIAP, nous envisageons une conférence internationale en juin 2002 pour (i) la
restitution des résultats déjà obtenus auprès des acteurs du secteur, (ii) l’ouverture de
nouvelles pistes de réflexion et (iii) l’augmentation de la visibilité scientifique et
politique de notre sous-région en ce qui concerne les exigences du développement
durable.
La communication de la Commission européenne intitulée «Pêcheries et lutte contre la
pauvreté » que la Présidence belge veut mettre œuvre, offre concrètement une opportunité
pour la poursuite des projets tels que le projet SIAP.
Objectif et bénéficiaires du projet
Ce projet vise à :
- Rassembler, harmoniser, traiter et analyser les données disponibles en vue de mettre à
la disposition des décideurs et des acteurs du secteur les connaissances ainsi acquises,
ainsi que les savoirs et l’expérience de la recherche ;
- Développer des capacités nationales et régionales capables de fournir aux décideurs
des avis scientifiques permettant de mieux apprécier les enjeux du secteur, les
conditions de son développement durable, et les impératifs de conservation du
patrimoine naturel ;
- Fournir un mécanisme pour le renforcement de la collaboration scientifique sousrégionale, régionale et internationale en matière de recherche halieutique.
À cette fin le projet développe et met en œuvre un système interdisciplinaire
d’information et d’analyse des données de la pêche. Ses résultats seront mis à la
disposition des décideurs et des acteurs du secteur. Ils devraient contribuer à améliorer
l’efficacité économique du secteur, un partage équitable des bénéfices entre les différents
acteurs socioprofessionnels, et la conservation de la diversité biologique.
Les bénéficiaires finaux du Projet sont les pêcheurs, transformateurs/ trices,
commerçants(e)s et les investisseurs du secteur de la pêche des six pays membres : Cap
Vert, Gambie, Guinée Bissau, Guinée Conakry, Mauritanie et Sénégal.
Actions menées par le Projet SIAP
Les activités du projet SIAP sont menées aussi bien dans des modules techniques
(orientation outils) qu’analytiques (orientation question). Les modules techniques
comprennent :
Module FishBase : dissémination de l’information existante sur la taxonomie, la biologie
et l’écologie des espèces halieutiques de la sous-région. Résultats attendus:
Enrichissement de la base de donnée globale FishBase et le module a dressé une liste de
référence de poissons marins pour la sous-région, liste publiée prochainement.
Module TrawlBase : collecte, archivage et traitement des informations historiques sur
l’état des ressources halieutiques tirées des campagnes scientifiques de chalutage
expérimental. Résultats attendus: développement d’un logiciel « FIRST » qui permettra
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 70
la gestion des données de campagnes de chalutage, l’identification et le stockage des
données d’un très grand nombre de campagnes scientifiques effectuées dans la sousrégion ;
Module StatBase : amélioration de l’accès et de l’analyse des statistiques de pêche pour
une meilleure compréhension des conditions d’une exploitation raisonnable des stocks
halieutiques. Résultats attendus : outil informatique pour la gestion des statistiques de
pêche au niveau national et sous-régional ; identification et stockage des statistiques de
pêches (capture, effort) à un niveau de résolution appropriée pour chaque pays. Les outils
développés et l’information obtenue par l’exécution des modules techniques sont utilisés
pour les évaluations des ressources monospécifiques et multispécifiques et la
modélisation des écosystèmes afin de fournir aux décideurs des informations nécessaires
pour une gestion mieux adaptée aux exigences de l’approche de précaution applicable à
l’aménagement des pêches.
Un groupe StatBase/TrawlBase – Analyses analyse l’effet de la pêche sur l’abondance
des espèces individuelles (approches monospécifiques) et des groupements écologiques
des espèces (approches multispécifiques). Résultats attendus: Analyses des
changements, dans le temps, des biomasses d’un nombre d’espèces de poisson qui sont
d’importance économique dans la sous-région.
Un module Ecopath développe des modèles écosystémiques pour analyser l’impact des
pêcheries sur l’ensemble d’un écosystème et recherche (à l’aide des simulations) des
meilleures politiques applicables à la gestion d’un écosystème. Résultats attendus : des
modèles nationaux préliminaires existent pour chacun des pays et sont améliorés
progressivement pour être présentés au symposium international qui sera organisé au
mois de juin 2002 à Dakar. Un modèle (Sénégal/Gambie) a été utilisé pour chercher
l’impact de la pêche artisanale sur les espèces ciblées (présenté lors d’une conférence
internationale.)
Un Système d’Information Géographique (SIG) développe un outil informatique pour
la visualisation et l’analyse des données pêches en fonction des paramètres
environnementaux (température, salinité, production primaire). Une application SIG
spécifique pour le projet SIAP est développée et distribuée sur CD-ROM y incorporant
des paramètres océanographiques émanant des données de télédétection spatiale.
Réalisation
Le Projet concentre son activité sur (i) la collecte et l’analyse des données existantes afin
d’arriver à valoriser pleinement les efforts passés, (ii) la restitution des connaissances
tirées de leur analyse aux «utilisateurs» dans un format adéquat, et (iii) la formation des
personnels de recherche des pays membres de la CSRP. Cette information doit permettre
de connaître directement l’état des ressources à partir de différents stades de référence et
de proposer des réponses à différents scénarios d’exploitation, y compris différents cadres
juridiques aux niveaux internationaux, régionaux et nationaux. Ceci implique que le
Projet :
- S’appuie sur les structures nationales ;
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 71
- Donne la priorité à l’utilisation des données disponibles tant dans la sous-région qu’à
l’extérieur, avant de s’engager dans l’acquisition de nouvelles données ;
- Collabore avec les partenaires intéressés et tienne compte des collaborations en
cours ;
- Développe la capacité d’analyse de l’ensemble des partenaires et leur capacité de
coopération grâce à la normalisation des procédures de collecte, d’archivage et de
traitement des données.
Les partenaires collaborant dans ce projet ont à vérifier des hypothèses sur l’exploitation
des ressources halieutiques. Ils doivent notamment analyser, les changements dans la
composition spécifique des stocks exploités, les effets à long terme de la pêche
(notamment la baisse possible du niveau trophique des captures) et les effets sur le
volume total et la valeur moyenne des captures d’une pêche qui surexploite plus
fortement les espèces nobles et les niveaux trophiques supérieurs.
Partenaires du projet
a. Les partenaires dans la Commission Sous-Régionale des Pêches :
- Centre National de Recherches Océanographiques et des Pêches (CNROP),
Mauritanie ;
- Centre de Recherches Océanographiques de Dakar Thiaroye (CRODT), Sénégal ;
- Centre National des Sciences Halieutiques de Boussoura (CNSHB), Rép. de Guinée ;
- Centro de Investigaçao Pesqueira Aplicada Pescas (CIPA), Guinée Bissau ;
- Instituto Nacional do Desenvolvimento Das Pescas (INDP), Cap-Vert ;
- Fisheries Research Unit (FRU), Gambie ;
Ces institutions consolident actuellement leur collaboration avec des institutions
européennes et la FAO afin de bénéficier de leur expertise.
b. Partenaires en Europe :
- Institut de Recherche pour le Développement (IRD) ;
- Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Rennes (ENSAR) ;
- Institut Portugais de Recherches en Sciences et Technologies de la Mer (IPIMAR) ;
- Instituto Espanol Oceanografia (IEO), Tenerife ;
- Institut des Applications Spatiales (SAI), Unité de l’Environnement Marin (MEU),
Italie ;
- Centre Commun de Recherches (CCR), Institut des Applications Spatiales (SAI),
Italie (pour les aspects de coordination).
c. Partenaires Institutions internationales
- Commission Sous-Régionale des Pêches ;
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 72
- FAO, Département des Pêches.
Restitution et communication : Dans quel but ?
Pour améliorer les liens entre l'administration, la profession et la recherche, pour que les
décideurs et les acteurs du secteur prennent mieux conscience de la nécessité d'ajuster les
capacités de capture au potentiel de reproduction des ressources, les résultats des
investigations demandent à pouvoir être largement débattues. La recherche n'est viable
que si elle est conçue et comprise mais surtout voulue localement par ceux qu'elle est
destinée à servir. Aucune décision d'aménagement ne peut être sérieusement appliquée si
elle n'est pas perçue comme nécessaire et génératrice de progrès. Le point de vue des
acteurs enrichit et complète utilement celui des scientifiques. C'est pour toutes ces raisons
que les résultats – même partiels – des différents travaux, leur analyse et les activités
engendrées par le projet seront présentés par les institutions partenaires une fois par an
lors d’une ‘table ronde’ auprès des acteurs du secteur (administration, recherche et
profession). Par la même occasion le feed-back des acteurs du secteur servira de guide
pour ajuster au besoin, les activités du projet en fonction des priorités de ces derniers.
Compte tenu de son mandat en amont des politiques de développement et
d’aménagement, et sa dimension sous-régionale, le Projet SIAP s’appuiera aussi tout
particulièrement sur la CSRP. Ce dernier peut lui fournir un forum pour discuter avec
l’ensemble des décideurs de la sous-région les problèmes communs du secteur. L’appui
scientifique du Projet peut aider la Commission dans ses analyses des perspectives et des
contraintes prioritaires du secteur, et dans ses débats par l’ensemble des responsables
nationaux. Outre les moyens habituels, le véhicule principal pour mettre les résultats de la
recherche à la disposition des décideurs et acteurs du secteur se fera à travers des visites
d’information et d’appui, des sites web, des publications, et d’autres moyens modernes de
communication.
Démarrage du projet
L'atelier de démarrage s'est tenu à Dakar du 22 au 24 mai 2000. Il a été suivi des réunions
techniques des différents modules pour élaborer leur plan de travail. La présence sur place
à Dakar de tous les partenaires a permis de faire le point sur l’évaluation de l’état
d’avancement du Projet SIAP, son organisation, ses procédures et les mécanismes de
collaboration les mieux adaptés à mettre en place de façon à rendre son fonctionnement
efficace et transparent.
Conclusion
Nous espérons que le Projet SIAP contribuera à la mise en place des mécanismes de
collaboration les mieux adaptés pour les instituts de recherche et d'une politique concertée
sous régionale de développement des pêches. Aussi de faciliter la mise en valeur des
ressources halieutiques communes avec, un profit équitable et durable pour les pays
membres de la CSRP. Nous espérons également que le Projet fera la preuve de son
efficacité et de l’intérêt pour l’ensemble des partenaires de formes repensées de
coopération.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 73
L’importance des jeux de pouvoirs dans la gestion des ressources
naturelles
Eyolf Jul Larsen et Nicolas Lécrivain (Christian Michelsen Institute, Norvège et
Université de Portsmouth, Royaume Uni)
La pêche artisanale dite aussi «piroguière», a connu et continue de connaître en Afrique
de l’Ouest une vigueur économique remarquable à bien des égards. D’abord elle semble
peu affectée, au moins relativement, par le contexte général de crise des économies
nationales. Ensuite le dynamisme de ce secteur d’activité est associé à un ensemble de
caractéristiques économiques, sociales et politiques dont la configuration est, sur un
aspect ou un autre, assez différente de celles des secteurs également connus pour leur
vitalité passée (ex : le « success story » de la cacaoculture).
Caractéristique de la pêche artisanale
Les principales caractéristiques de la pêche artisanale, d’un point de vue économique sont
les suivantes : une croissance sectorielle marchande forte tant du point de vue de la
production que du revenu relatif des producteurs et des agents concernés par la filière ;
une croissance soutenue tant par le marché de consommation intérieure que par une
importante participation de la production artisanale, aux exportations vers les pays du
nord ; une forte diversification des activités au sein des filières de pêche comme au sein
des groupes locaux de pêcheurs ; et une distribution géographique de l’importance
économique de la pêche très inégale, selon les pays et les micro-régions au sein des pays.
Du point de vue de l’organisation sociale, culturelle et politique des pêcheurs, les
caractéristiques de ce secteur sont : une mobilité géographique spectaculaire, par des
migrations qui peuvent être proches ou lointaines, saisonnières ou durables, régulières ou
non ; un engagement très inégal des groupes socioculturels de pêcheurs dans la pêche
commerciale (on estime que 90% des débarquements commercialisés sont le fait de 10%
des pêcheurs, parmi lesquels quelques groupes de pêcheurs originaires du Mali, du
Sénégal et du Golfe de Guinée tiennent une place prééminente) ; et la place importante
dans les communautés de pêcheurs, de nombreuses institutions, organisation et
associations, de nature tant économique et professionnelle que sociale, culturelle et
politique.
La dimension institutionnelle
Le secteur de la pêche artisanale abrite une très forte dimension institutionnelle qui
concerne la plupart des registres d’activité sociale et économique. Par dimension
institutionnelle, Il faut entendre l’ensemble des règles, normes, conventions,
arrangements institutionnels, formes de coordination et procédures d’information et de
prise de décision à partir desquels les différents acteurs locaux, individuels et collectifs,
entrent en interaction pour organiser l’accès aux ressources, asseoir leur contrôle sur
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 74
celles-ci et se ménager des marges de manœuvre, en fonction de leur position, des enjeux
qu’ils ressentent comme vitaux et du contexte particulier dans lequel ils évoluent.
Ces organisations peuvent coordonner l’activité productive immédiate comme : Les
conventions qui régissent le recrutement des équipages, la division technique des tâches
ou le partage du produit ; L’organisation des migrations lointaines par des unités de pêche
importante, comme les compagnies ; Les formes de coordination verticale entre les
pêcheurs et les autres agents de la filière (transformateurs ou transformatrices, mareyeurs
ou mareyeuses, usiniers et agent d’exportation) ; Les organisations de nature
professionnelle, qu’elles soient suscitées ou non par les autorités publiques ou les agences
d’aide (coopératives, organisations officielles diverses, collectifs de type syndical,
associations locales impliquées dans les services d’assurance, dans l'accès au crédit et
dans l’organisation des diasporas de pêcheurs migrants ou encore dans la régulation de
l’effort de pêche).
Mais bien d’autres institutions ou organisations collectives, auxquelles participent les
pêcheurs pour accéder aux ressources biologiques et économiques, ne concernent pas
directement la coordination de la production ou ne concernent pas seulement les
pêcheurs : organisations de migrants de même nationalité, associations culturelles,
organisations villageoises, religieuses et politiques locales et nationales, sans oublier les
réseaux familiaux organisés à l'échelle internationale.
Ainsi entendu, la dimension institutionnelle des activités de pêche va bien au-delà des
institutions directement liées à l’exploitation du milieu et des ressources biologiques, Elle
concerne non seulement la régulation (formelle ou informelle) de l'accès aux ressources
matérielles, environnementales et économiques, mais aussi les ressources et les
contraintes politiques, sociales, identitaires et symboliques qui conditionnent cet accès.
Le cas des pêcheurs migrants béninois à Pointe Noire (Congo)
La recherche sur la pêche des migrants en Afrique de l’Ouest ne s’est intéressée que dans
une très faible mesure à l’organisation politique des communautés de pêcheurs en
question ainsi qu’aux relations que cette organisation entretient avec les autres
institutions politiques, comme, par exemple, celles des communautés locales ou les
relations avec les Etats d’origine et d’accueil. L’analyse des pêcheurs Popo et de leur
communauté à Pointe Noire a porté sur ces aspects institutionnels.
L’analyse a notamment montré que les formes spécifiques d’organisation politique des
pêcheurs migrants et les relations particulières qu’ils entretiennent avec les institutions
politiques nationales, dans les centres migrants et dans les Etats du Bénin et Congo, ont
joué et continuent à jouer un rôle primordial dans la compétition pour l’accès aux
ressources et, par conséquent, également dans la forte croissance observée dans
l’économie Popo.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 75
Apports des études sur le secteur de la pêche artisanale
Le développement de la pêche, les trajectoires des communautés de pêcheurs et
l’insertion même des acteurs dans l’activité de pêche, plutôt que d’être déterminés par les
seuls paramètres de la production et du travail halieutique dans des contextes isolés, sont
le produit de processus économiques, politiques, sociaux et identitaires extrêmement
divers et qui concernent de vastes espaces de relations.
Ces aspects qui s’imposent comme particulièrement fondamentaux pour une approche
compréhensive et empirique de la pêche artisanale, ne sont pas spécifiques à celle-ci.
C’est précisément en cela que l’étude des comportements stratégiques des acteurs et des
dynamiques institutionnelles dans le domaine de la pêche est en mesure d’apporter une
contribution aux débats plus généraux sur les conditions contemporaines du changement
social et économique en Afrique.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 76
Les besoins de la recherche en sciences sociales et sa place dans
le cadre actuel de la recherche halieutique en Afrique de l'Ouest
Apport de la recherche halieutique au développement durable des
pêches en Guinée.
Alkaly Doumbouya, Mamadou Moussa Diallo, Youssouf Hawa Camara, François
Domain et Jean Le Fur (CNSHB, Guinée et IRD, France)
Introduction
La recherche halieutique était, il y a environ 17 ans, une Division Recherche auprès de la
Direction Générale des Pêches de Guinée. L’évaluation directe des ressources
halieutiques, principal objet d’étude ainsi que les volets aménagement et exploitation,
étaient alors réalisés ponctuellement, principalement grâce à la coopération soviétique de
l’époque, selon les besoins de la cause et en fonction des opportunités sous-régionales et
internationales. En 1984, le secteur des pêches est vite apparu pour le nouveau
gouvernement de la République de Guinée, comme porteur d’un grand espoir, en termes
de satisfaction des besoins alimentaires, de développement d’entreprises sectorielles, de
marché du travail et d’apport de devises. Cette approche a accéléré le changement de
comportement envers la recherche halieutique. Aujourd’hui, l’histoire récente de cette
recherche halieutique guinéenne peut être résumée en trois phases.
La première, consacrée à la connaissance des ressources halieutiques, remonte à 1985 au
lendemain de l’ouverture de la Guinée sur l’extérieur. Ensuite, une deuxième phase, au
moyen d’un programme pluridisciplinaire, fut axée sur la compréhension des conditions
d’exploitation et de valorisation du potentiel évalué. La troisième phase, plus récente,
s’inscrit dans une vision plus globale du secteur des pêches par le biais d’un programme
de recherche qui vise à établir les modalités (compétences, méthodes et outils) d’un
développement durable des pêches guinéennes fondé sur l’usage avisé des écosystèmes
marins (Anon., 1999).
Connaissance des ressources halieutiques de la ZEE guinéenne
De nombreuses campagnes d'évaluation ont été exécutées dans les eaux guinéennes, dans
le cadre des accords bilatéraux entre la Guinée et l'ex URSS (Cissé et al., 1985).
Cependant, malgré les estimations favorables à la richesse des eaux guinéennes, les
résultats obtenus n'avaient pas permis de se faire une idée précise sur l'état des stocks de
l'ensemble de la ZEE. C'est ainsi que dès l'avènement de la deuxième République et
l'identification du secteur de la pêche comme l'un des secteurs qui constitueront les
assises économiques de la nation, la première question des autorités à l'endroit de la
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 77
recherche halieutique a été de connaître les ressources qui existent dans la ZEE guinéenne
(systématique des ressources) et leur localisation (zones d’abondance des ressources).
Les chercheurs guinéens, en partenariat avec leurs homologues de l'Orstom (actuellement
IRD) se sont attachés à apporter des éléments de réponse à la première interrogation de
l'administration sur le potentiel exploitable accessible à la pêche artisanale, dans le cadre
d’un projet intitulé « Etudes des ressources halieutiques accessibles à la pêche artisanale »
(Cissé et al., 1985, Domain et al., 1999). La priorité accordée à ce projet découle du fait
que cette pêcherie, à cause de ses effets bénéfiques immédiats de ravitaillement de la
population locale en protéines animales, de création d’emplois et de plus en plus à cause
de sa forte contribution à la rente nationale mérite une attention particulière de
l’administration du secteur. Des études ont été ainsi réalisées sur les paramètres
biologiques (Camara et al., 1992, Bah et al., 1991) et hydroclimatiques des principales
espèces commercialisées de poisson de la communauté à scianidés (Sidibé et al., 2000), la
communauté la plus importante des ressources évaluées sur le plateau continental
guinéen.
L’ampleur des travaux (plus de 15 campagnes d’évaluation directe) a conduit en 1987 1988 à la création du Centre de Recherche Halieutique de Boussoura (CRHB) dont la
mission principale est de « contribuer à la connaissance du secteur des pêches et aider
l’administration des pêches à la prise de décision en matière de développement et
d’aménagement conformément aux objectifs macro-économiques nationaux ».
Dès 1992, un second projet d’évaluation des ressources démersales et pélagiques de toute
la ZEE guinéenne (Etude de la pêche industrielle), volet scientifique du Projet
« Surveillance et Protection de la ZEE guinéenne » viendra compléter les acquis des
premières études qui avaient concerné exclusivement la pêche artisanale (Fontana et al.,
1995).
Les études réalisées dans le cadre de ces deux programmes de recherche sur les
ressources accessibles à la pêche artisanale et à la pêche industrielle ont abouti à:
- La mise en évidence du caractère original et très productif de la zone côtière
guinéenne ;
- La description des différents stocks exploités ou susceptibles de l'être par les
pêcheries maritimes artisanales et industrielles, leur répartition spatio-temporelle, leur
abondance ainsi que les biomasses respectives ;
- La localisation des principales zones de pêche des pêcheries artisanale et industrielle ;
- La réalisation de la carte sédimentologique des fonds marins du plateau continental
(Domain et Bah, 1993) ;
- L’élaboration d’une typologie des stratégies de pêche observées en Guinée ;
- L’étude des paramètres biologiques des principales espèces exploitées : reproduction,
recrutement, croissance, détermination de l’âge à partir des pièces dures.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 78
Au regard des facteurs environnementaux marins (hydrologiques, bathymétriques et
sédimentologiques), ces résultats ont par ailleurs permis de regrouper les espèces
démersales de Guinée en trois communautés de ressources poissonnières démersales:
- La communauté à Sciaenidés, la plus riche et la plus accessible, avec ses deux
composantes d'estuaire (Pseudotolithus elongatus, Pentanemus quinquarius,
Cynoglossus monodi,…) et côtière (Pseudotolithus senegalensis, Galeoides
decadactylus, etc.) ;
- La communauté à Sparidés (Sparus caeruleostictus, Dentex canariensis, etc.) ;
- La communauté à Lutjanidés (Lethrinus atlanticus, Balistes punctatus).
De même, un fort potentiel de ressources céphalopodières (composées à 90% de seiches)
et de crevettes (principalement P.notialis) a pu être apprécié, bien que ces deux
ressources n’aient pas été l’objet des évaluations directes côtières (Cissé et al., 1985,
Domain et al., 1999, Fontana et al., 1995).
Suivi des exploitations halieutiques
La deuxième phase a été axée sur la compréhension de l’exploitation et de la valorisation
du potentiel évalué. Ceci a été effectué au moyen d’un programme pluridisciplinaire
d’étude des conditions de développement de la pêche maritime, dont l’objectif était la
mise en évidence de contraintes liées à la ressource, à la société et à la pêche, pour
évaluer les capacités de développement de la pêche maritime.
La mise en œuvre de ce programme de recherche a notamment permis d’organiser un
séminaire international sur les acquis et les perspectives interdisciplinaires en halieutique
marine au CNSHB67. Ce séminaire déboucha sur la conception et la mise en place d’un
dispositif de suivi et de compréhension des ressources et des exploitations halieutiques de
type Observatoire des Pêches (Chavance et Diallo, 1994, 1995, Chavance, 1997,
Doumbouya, 2000). L’objectif de ce dispositif consiste entre autres, à mettre à la
disposition des utilisateurs (gestionnaires et opérateurs notamment) des données
statistiques fiables sur la ressource et les exploitations et les aspects socio-économiques
du secteur des pêches. Ceci inclut les premières tentatives d’études socio-économiques
qui concernent aussi bien les flux de commercialisation du produit pêché, le suivi des
aspects concernant la valeur ajoutée, l’évaluation économique des contraintes du
développement de la pêche artisanale ainsi qu’une première estimation grossière de
l’apport du secteur pêche à l’économie nationale (Lootvoet et Millimono, 1989, Diallo et
al., 1996, Diallo et al., 1997, Diallo et Fautrel, 1997).
Conçu comme outil d’aide à la décision et au-delà des réponses données à
l’administration des pêches, à la recherche et aux bailleurs de fonds du secteur,
l’observatoire demeure en même temps une «boîte de référence» pour les exploitants
industriels et les pêcheurs artisans. Il contribue à :
67
En 1995 le CRHB deviendra CNSHB - Centre National des Sciences Halieutiques de Boussoura.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 79
- La prise en compte des données scientifiques de la recherche dans l’élaboration du
plan annuel des pêches ;
- L’élaboration et la diffusion d’un bulletin statistique annuel des pêches, d’un rapport
scientifique et technique de conjoncture à l’adresse du Ministère des pêches ainsi que
d’un atlas des pêches de Guinée réalisé en 1996 ;
- La formation scientifique des observateurs maritimes du Centre de surveillance;
- L’utilisation de l’information produite au niveau de la recherche par les organismes
gouvernementaux et non gouvernementaux dans la formulation des projets d’appui à
l’amélioration des conditions de travail et de vie des communautés de pêche.
Vision globale du secteur des pêches
La phase actuelle part de 3 grands axes d’études (bio-écologie, dynamique de
l’exploitation et socio-économie) qui se retrouvent dans les projets en cours de réalisation
au Centre : les projets Appui aux recherches agronomiques zootechniques et
halieutiques – Composante Halieutique des Fonds d’Aide à la Coopération (FAC), le
Système d’Information et d’Analyse des Pêches développé à l’échelle sous-régionale
(SIAP) ainsi que le programme Pêche Ecologique en Guinée.
Conscient que les pêcheries doivent être considérées comme un système global, de
l’environnement marin jusqu'à l'assiette du consommateur, le CNSHB a donc privilégié
l'approche systémique68 pour mieux comprendre le fonctionnement du système pêche. Ce
système englobe aussi bien les ressources maritimes que les volets capture,
transformation/valorisation
et
commercialisation
combinés
aux
facteurs
environnementaux marins, biologiques, économiques, sociaux, politiques, institutionnels,
culturels.
Le projet Pêche Ecologique de Guinée69, qui s’inscrit dans cette vision globale, se
propose de considérer l’écosystème marin comme la ressource à exploiter. Il aborde le
développement durable comme la co-viabilité simultanée de la composante naturelle et de
la composante socio-économique. Il se fonde sur l’intégration de cette problématique à
l’ensemble des composantes du secteur, considéré dans son sens le plus élargi. L’enjeu de
ce programme consiste à positionner la recherche halieutique comme un instrument actif
du développement du secteur des pêches. Il doit pour se faire :
- Rassembler et/ou acquérir la connaissance nécessaire pour aborder le problème précis
de la durabilité simultanée des écosystèmes et des exploitations;
- Construire des outils suffisamment conviviaux et synthétiques pour permettre aux
bénéficiaires d’accéder à cette connaissance en vue d’atteindre l’objectif général;
68
L'approche systémique englobe la totalité des systèmes étudiés ainsi que leurs interactions et leurs
interdépendances.
69
Convention CE B7-6200 /99-03/ DEV/ EWV.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 80
- Elaborer une relation bidirectionnelle continue et pérenne entre le CNSHB et le reste
du secteur pour un échange mutuellement profitable de connaissances et
d’informations.
Programmes de recherche complémentaire
Au cours des trois phases successives de la recherche halieutique au CNSHB, des
activités de recherche extra pêche maritime ont été également développées. Il s’agit
notamment d’un programme de recherche de 3 ans en pêche continentale sur la faune
ichtyologique de certains fleuves de Guinée maritime (CNSHB-Orstom, 1994). Les
résultats de ce programme ont été l’inventaire des espèces et la compréhension du rôle de
l’environnement physique et biologique sur les ressources ichtyologiques des fleuves,
l’établissement d’un modèle statistique et empirique reliant la structure des peuplements
des poissons aux caractéristiques des rivières, l’évaluation de l’incidence des
perturbations anthropiques sur la faune ichtyologique, la collecte des données de base sur
les cycles biologiques des espèces rencontrées ainsi que l’estimation des potentialités par
l’utilisation des indices d’abondance.
Enfin, compte tenu de l’importance capitale du littoral guinéen fortement recouvert de
forêts de mangroves pour l’enrichissement des zones côtières maritimes, un programme
de Polder expérimental est intégré au CNSHB depuis 1996, grâce à l’appui de la
Coopération française et de l’IRD. Ce programme vise l’étude des conditions
d’amélioration des rendements dans les plaines rizicoles côtières et de sédentarisation des
superficies cultivées, réduisant de fait la destruction du couvert végétal côtier. La gestion
alternative conséquente de l’eau de mer et des eaux de pluies a multiplié les rendements
par 4 et conduit depuis 2 ans à des essais de rizi-pisciculture utilisant des souches
d’espèces endogènes (Sow, 2000).
Les résultats appréciables de ce projet ont conduit à la domiciliation au CNSHB d’un
programme similaire de gestion côtière dénommé Observatoire Mangrove dont le produit
final a été un Atlas géoréférencé de l’occupation spatiale côtière avec une cartographie
détaillée (Rossi et al., 2000).
Conclusion
L’évolution de la recherche halieutique en Guinée s’est donc construite autour du
CNSHB. A travers les phases successives de son développement, le centre de recherche a
constitué un cycle d’évolution dans lequel les résultats obtenus à une période donnée, ont
été analysés et mis à profit pour faire évoluer le questionnement (Figure 4).
Le centre de recherche progresse ainsi de façon adaptative en s’adaptant à l’évolution :
- Des questions posées sur le secteur ;
- De la façon dont on peut traiter ces questions ;
- Des instruments que l’on peut utiliser ;
- Des caractéristiques du domaine proprement dit.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 81
Cette approche permet de tenir compte d’une attribution essentielle du centre de
recherche qui est la possibilité d’assurer la compréhension et le suivi dans le temps de
l’exploitation étudiée, condition première de sa gestion et de sa viabilité.
T
EN
M
E
PP
O
L
VE
DE
TEMPS
situation du CNSHB
Questions sur
le domaine
Questions sur
le domaine
Questions sur
le domaine
01/95
Acquisition des
informations
Acquisition des
informations
Gestion des
informations
Restitution des
informations
12/01
06/01
Restitution des
informations
Gestion des
informations
Gestion des
Restitution
informations des
informations
01/99
Acquisition des
informations
Gestion des
informations
Figure 4: Cycle de développement du Centre National des Sciences Halieutiques de Boussoura
(d’après Le Fur et Chavance, 1998).
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 82
Programmes actuels et besoins de la recherche en sciences sociales en
Mauritanie
Ismaila Thiam et Mika Diop (CNROP, Mauritanie)
Créé en 1978, en lieu et place du Laboratoire des pêches, qui existait depuis 1954, le
Centre National de Recherches océanographiques et des pêches (CNROP), est le seul
organe public au niveau national chargé de la recherche scientifique dans le domaine de
l'océanographie et de l'économie des pêches. Il s'est assigné comme objectifs depuis sa
création à répondre aux différentes questions prioritaires des politiques de développement
du secteur des pêches définies par le gouvernement. Le CNROP n’a intégré dans ses
programmes, la recherche en sciences sociales, qu’en 1988 avec le recrutement d’un
économiste.
L’année 1988 correspondait avec l’instauration par le CNROP d’une programmation
quinquennale destinée, d’une part à définir la stratégie de développement de l'institution,
mais aussi et surtout à inscrire les activités de recherche dans le cadre de la politique
conduite par le Gouvernement mauritanien en matière de pêche pour le court et le moyen
terme. Dans ces plans quinquennaux, un programme intitulé Economie des pêches,
partant des objectifs du CNROP et des priorités du Gouvernement y a été intégré. La mise
en place du premier plan quinquennal en 1988 a permis effectivement au Programme
Economie des Pêches de s’intégrer dans le reste des programmes du CNROP Une
réflexion de fond sur l’adéquation des activités scientifiques et les priorités
gouvernementale avait permis d’identifier le Programme Economie des Pêches comme
programme prioritaire.
Le Programme Economie des Pêches s’est fixé comme objectif l’étude des mécanismes et
déterminants économiques et sociaux du secteur des pêches en vu d’être un instrument de
prise de bonnes décisions. Il doit en complément avec la sociologie, la biologie et les
statistiques permettre à l’administration et la profession de trouver des réponses à
certaines de leurs questions et transformer en action de recherches les questions que
celles-ci se posent.
Adéquation
Les objectifs des politiques sectorielles des pêches sont restés principalement les mêmes
dans leurs grandes lignes depuis la Nouvelle Politique des Pêches (NPP) de 1979 à nos
jours, à savoir la protection des ressources, l’optimisation des revenus créés par le secteur
et la création de l’emploi. Ainsi, à l’instar de tous les autres programmes du CNROP, les
actions du Programme Economie des Pêches exécutées dans le cadre des différents plans
quinquennaux étaient orientées vers les objectifs prioritaires du gouvernement définis
dans ses politiques sectorielles dans la Nouvelle Politique des Pêches (NPP) de 1979, la
Déclaration de politique de développement du secteur de la pêche d’avril 1987, la Lettre
de Stratégie de Développement du Secteur des Pêches de 1994 et la Stratégie
d'Aménagement et de Développement du Secteur des Pêches et de l'Economie Maritime
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 83
de juin 1998, qui accordent la priorité au développement de la pêche artisanale et aux
filières intégrées et l’accroissement de la valeur ajoutée locale résultant des activités
halieutiques. Il s’agissait pour le programme de répondre aux attentes des uns et des
autres en visant avant tout à comprendre le système pêche par l’amélioration des
connaissances sur les pêcheries industrielles et artisanales (organisation, fonctionnement
acteurs de ces systèmes). Cette approche devrait permettre de :
- Etablir les caractéristiques des différents systèmes d’exploitation et leur évolution ;
- Analyser les gains pour le pays à attendre d’une amélioration des mécanismes
d’allocation des droits de pêche ;
- Evaluer les perspectives de développement de certaines pêcheries émergentes ;
- Analyser les déterminants et les rapports investissements-emploi au sein des
différents systèmes et leurs relations avec l’effort de pêche ;
- Mesurer l’impact des divers systèmes d’exploitation dans l’économie nationale.
Il importe de noter que le Gouvernement s’est engagé dans une politique explicite pour la
lutte contre la pauvreté conformément au programme PPTE (Pays Pauvre Très Endettés)
de la Banque Mondiale et ce thème domine désormais les priorités de développement du
pays.
Les résultats atteints :
Les connaissances acquises à ce jour au niveau de ce Programme Economie des Pêches
ont permis de faire:
- La caractérisation de certaines pêcheries de la ZEE mauritanienne (cépalopodières,
pélagiques et artisanales ;
- La caractérisation de certaines filières de pêche ;
- L’estimation de certains apports socio-économiques du secteur.
Elles ont aussi permis de faire la description de certaines pêcheries et filières, notamment:
- La description des emplois à terre et en mer ;
- La description des circuits de commercialisation des produits de la pêche du pays ;
- La description des sociétés agréées à l’exportation notamment leurs capacités de
congélation, de stockage, les coûts de stockage, les emplois qu’elles génèrent et leurs
sources de ravitaillement en produits ;
- La collecte des prix au débarquement dans les principaux sites de débarquement.
Enfin elles ont permis de faire des analyses sur :
- La rentabilité sur les unités artisanales ;
- Les exportations ;
- Les organisations socioprofessionnelles ;
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 84
- La migration des pêcheurs ;
- Les modes de régulation de l'accès aux ressources (pêche artisanale et pêche
industrielle).
Contraintes et orientations futures
Contexte et justification
Parmi les contraintes qui handicapent le Programme Economie des Pêches, on peut citer
le déficit des moyens humains et surtout le manque d'expérience de l'équipe, entraînant la
limitation de ce programme principalement à la pêcherie céphalopodière et
accessoirement à la pêcherie pélagique.
Le programme, doit s’orienter, d’abord vers la constitution d’une base de données socioéconomiques conséquente et l’analyse des données déjà existantes. Il doit ensuite
s’organiser en focalisant ses moyens humains sur les pêcheries les plus importantes.
Ce programme qui a aussi pour objectif d’apporter des éléments d’information requis
pour un développement harmonieux et durable de la pêche artisanale, prendra en compte
les limitations de ce développement sur le plan des contraintes socio-économiques,
conformément à la nouvelle loi adoptée récemment (en 2000) par le Gouvernement
mauritanien qui déclare l’obligation d’établir des plans d’aménagement et de gestion des
pêcheries.
Orientations et perspectives : Besoins de la recherche en sciences sociales en Mauritanie
En Mauritanie en dehors du CNROP, il n’y a pas de cadre de recherche orienté vers la
pêche. Le CNROP étant confronté à un sérieux problème de moyens humains en
socioéconomique, ne peut résoudre ces problèmes qu’à travers la mise en place des
programmes en collaboration avec les centres de recherche et universitaires du pays et
ensuite avec ceux de la sous-région.
Le Programme Economie des Pêches du CNROP, doit répondre aux attentes exprimées
par la nouvelle loi qui déclare l’obligation d’établir des plans d’aménagement et de
gestion des pêcheries et expose les grandes lignes pour ce travail et qui a également
précisé que, lors de l’élaboration de ces plans, les organisations professionnelles
concernées doivent être consultées, doit s'orienter vers la réalisation des actions suivantes:
- Procéder à l’étude de L’influence de la commercialisation, sur le développement de la
filière des exportations et son rôle de financier du sous-secteur productif, (pêche
artisanale) ;
- Initier des études pour avoir une meilleure compréhension du réel pouvoir de décision
au sein du secteur qui permettra d’identifier quelles mesures de régulation et
d’aménagement des ressources sont plus adaptées aux réalités de la Mauritanie ;
- Faire une analyse historique de l’évolution de la rentabilité des différents métiers ;
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 85
- Faire une analyse des valeurs ajoutées créées par les différentes sous-filières de
secteur. Cette analyse doit être faite aussi bien « horizontalement », c’est-à-dire en
faisant une comparaison entre les différents métiers de pêche, que « verticalement »
pour identifier où dans la chaîne de distribution et commercialisation les bénéfices
sont créés et qui en profitent` ;
- Examiner la perception des professionnels de l’état des ressources et la logique des
stratégies et du comportement adoptée par les professionnels du secteur par rapport à
cette perception. Il s’agit d’un dialogue avec les groupes d’intérêt et les intervenants
dans le secteur pour mieux comprendre leurs stratégies et leurs processus de prise de
décision. L’objectif sera également d’avoir un échange de points de vue sur la gravité
– ou non gravité – de la situation actuelle en ce qui concerne l’état des ressources et
les raisons qui l’expliquent.
Conclusion
Comme on le voit les objectifs assignés à la pêche sont très ambitieux et, parfois
contradictoires. Il est difficile pour les sciences sociales de répondre à toutes ces attentes.
Donc il est important d’être prudent et réaliste pour la définition des priorités pour le
Programme Economie des Pêches.
- Pour mieux évaluer les options relatives aux objectifs et priorités choisis, par le
Gouvernement, il est essentiel de faire des analyses sur les contributions économiques
et sociales des différents sous-secteurs. Il apparaît important d’évaluer ces retombées
économiques et sociales de manière précise et continue pour que les décideurs
puissent baser leurs décisions stratégiques sur des informations scientifiques, réelles
et objectives ;
- Les capacités de la recherche dans le domaine de la socioéconomique des pêches sont
loin d’être suffisantes. Vu l’importance des analyses économiques et sociales pour
l’aménagement des ressources et des pêcheries, un renforcement de ses compétences
et capacités est indispensable.
Dans l'ensemble, la recherche en sciences sociales en Mauritanie est très en retard par
rapport à la biologie. La principale explication est que le principal objectif du CNROP
était orienté essentiellement vers la connaissance de l'importance des stocks. Les sciences
sociales n'ont pas été prises au sérieux, par conséquent, il n'y a pas une réelle politique de
renforcement de ses capacité pour aider à la conception de systèmes de régulation de
l'accès adaptés aux particularités économiques, sociales et politiques des différentes
pêcheries au même titre que les sciences naturelles (biologie et écologie). Aujourd'hui,
tout doit être fait pour combler ce retard, en s'appuyant d'abord sur les institutions
nationales, ensuite sur la coopération sous-régionale, régionale et internationale.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 86
Les besoins en matière de recherche des organisations de pêcheurs
Aliou Sall (CREDETIP, Sénégal)
Il faut reconnaître que la conduite et 1'utilité de la recherche n'ont cessé d'être
questionnées par les organisations de pêcheurs. Mais ceci ne pourrait être interprété
comme une remise en cause de la compétence des chercheurs et par conséquent de la
qualité de leurs travaux. Il s'agit plutôt d'un déficit sur le plan communicationnel entre
chercheurs et usagers des ressources.
Dans des cas où un effort est déployé pour une meilleure communication entre la
recherche et les organisations de pêcheurs, c'est la difficulté rencontrée par la recherche à
apporter des réponses en temps réel sur des questions du moment ; d'où 1'intérêt d'une
recherche de proximité. Un autre problème rencontré par la recherche réside dans son
incapacité à toujours faire participer les communautés de pêche dans 1'application de ses
résultats. Le manque de volonté de ces dernières à participer activement dans la phase
«application des résultats sur le terrain» s'explique par le fait quelles ne sont pas
impliquées en amont : c’est à dire lors de la conceptualisation des problématiques posées
par les chercheurs. Si de 1'avis des communautés de pêcheurs, la recherche en tant
qu'institution publique a le devoir de répondre à une demande sociale en temps réel, elle
doit savoir que le manque de contrôle sur les institutions de recherche ne leur accorde
aucune perspective en vue de peser sur les orientations et la conduite des programmes mis
en œuvre.
A travers cette modeste contribution, je voudrais à partir de ces quelques contraintes
exprimer les besoins des organisations de pêcheurs en matière de recherche.
Les problèmes de communication entre les organisations de pêcheurs et la recherche et
l’impératif à assurer un échange permanent d'informations
Il est vrai que si le chercheur ne communiquait pas avec le pêcheur, il n'aurait pas la
possibilité de collecter les informations basiques indispensables pour ses travaux. Par
déficit, en matière de communication, je voudrais faire allusion à des canaux de
communication qui assurerait un lien permanent entre la recherche et les communautés. Il
n’en existe pas à ma connaissance dans la sous région, Nous avons des bulletins diffusés
par des institutions à caractère régional mais soit les priorités de ces institutions soit la
périodicité de ces supports ne permettent aux organisations d'avoir des réponses sur des
questions actuelles quelles se posent.
Au Sénégal, des tentatives ont eu lieu en vue d'améliorer la communication entre les
organisations de pêcheurs et la recherche. Ceci a amené le CRODT à mettre sur place des
comités de plage qui sont des espaces de rencontre, d'échanges et de concertation entre
chercheurs et pêcheurs. Mais en dépit des résultats enregistrés par le CRODT, à travers
cette initiative assez originale, il faut reconnaître qu'il y a quelques limites : certains
pêcheurs se lassent après quelque moment de coopération avec les chercheurs faute de
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 87
voir les retombées de leurs efforts. Une autre limite réside dans le fait que ces comités
sont très restreints dans la mesure où les membres sont choisis à partir de critères éslectifs
; ce qui limite les possibilités de faire participer les autres acteurs périphériques de la
communauté en les aidant à s'imprégner de 1'actualité de la recherche : les thématiques en
cours, les méthodologies, les résultats.
La pêche est en retard de deux guerres par rapport à 1'agriculture dans ce domaine.
Actuellement dans la sous région, il existe plusieurs bulletins spécialisés dans
1'agriculture qui met à la disposition des paysans et de tous ceux qui ont un intérêt dans
ce secteur, des informations «chaudes» selon 1'expression québécoises. II s'agit
d'informations très utiles et très diversifiées sur les filières et sous filières, les
opportunités de marchés, les méthodes nouvelles de conservation, les moyens de lutte
contre telle ou telle maladie, etc. La chose la plus préoccupante est que la recherche
halieutique a en effet quelques opportunités -mais malheureusement inexploitées- pour
systématiser un dispositif permanent de communication avec les organisations, voire les
communautés dans un sens plus large. En effet, I'Isra au Sénégal a un bulletin de
communication très bien é1aboré et diffusé à très grande échelle au Sénégal. Alors que la
recherche halieutique est sous la tutelle de I'Isra, les questions touchant la pêche n'y sont
discutées que de façon plus que sommaire. Je me rappelle avoir lu un numéro de cette
revue d'il y a environs deux mois, seul un quart de page était consacré au CRODT.
L'amélioration de la communication entre la recherche et les organisations de pêcheurs
peut se faire en s'inspirant des acquis enregistrés dans d'autres domaines, à travers
plusieurs stratégies qu'on peut combiner, à savoir :
- La mise en place d'un bulletin de liaison permanent entre les instituts de recherche et
les organisations. L'initiative doit partir du local (échelle des pays ) tout en s'accordant
des perspectives sur le plan régional. Eu égard au caractère migratoire des pêcheurs et
de certains stocks que les pays partagent, la production et la circulation de
1'information scientifique à 1'échelle sous régionale participerait pleinement à aider à
la prise de décision économique pour les pêcheurs mais aussi à leur éducation pour
des perspectives aménagistes. Il y a certes quelques limites qu'on peut rencontrer avec
un bulletin d'informations scientifiques qui veut s'adresser à des populations qui n'ont
pas fait 1'école (française par exemple pour la partie francophone). Malgré le faible
taux «d'alphabétisation» de ces populations, ce problème est en partie réglé par le fait
qu'il y a au sein des communautés quelques personnes scolarisées, notamment les
jeunes qui, dans bon nombre de localités, choisissent 1'école au détriment de la pêche.
Au Sénégal, entre 1989 et 1991, nous avons essayé de parer à ce problème de langue
en introduisant un bulletin d'informations entre communautés de pêcheurs mais à
partir des réalités locales. Cette importance accordée aux réalités nous a amenés à
faire le constat comme quoi la majeure partie des ménages sénégalais écrive et lise le
Wolofal, un alphabet légèrement modifié à partir de 1'alphabet arabe. Ce bulletin a été
largement diffusé et apprécié par les communautés du littoral. Cependant
1'impossibilité à trouver un imprimeur adapté permettant une diffusion à large échelle
nous a poussés à abandonner. Il faut rappeler que les deux numéros que nous avons
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 88
pu produire avec cet alphabet 1'ont été de façon artisanale (manuscrit dans une
première phase puis multiplication par les moyens d'une photocopieuse) ;
- L'implication des usagers dans la définition des programmes de recherche. Mais ceci
suppose au préalable de profonds changements au niveau de 1'orientation de la
recherche. En effet, il faut se dire que les thématiques ne sont pas décidées en
fonction de la demande des usagers, d'ailleurs peu connue par la recherche. Il ne s'agit
pas de communiquer seulement les résultats de la recherche mais plutôt de
communiquer dans le sens d'une co-responsabilisation, d'une responsabilisation
mutuelle. Il est évident que des acteurs qui sont associés à la définition des
programmes de recherche se sentiront plus responsables et comptables vis à vis des
chercheurs et dans la nécessité à participer à une meilleure vulgarisation des résultats
de la recherche.Il y a un climat de méfiance entre certains pêcheurs et la recherche.
Dans bon nombre de cas, à moins que la tendance soit renversée, certains instituts de
recherche ont perdu du terrain. L'association des organisations dans le processus
décisionnel aidera à faire évoluer ce climat de méfiance vers un climat de confiance
mutuelle.
Au-delà de 1'améIioration de la communication par la réhabilitation d'un climat de
confiance entre la recherche et les organisations qu'accordent 1'implication et la
responsabilisation des organisations de pêcheurs dans la décision, un système de
communication utilisant les organisations comme relais présentent les avantages
suivants :
- Ceci participe à une réduction considérable des conflits de transaction de la
recherche ;
- C'est un moyen de s'assurer d'une application des résultats de la recherche dans la
mesure où indispensable dans nos pays où aussi bien les autorités publiques que les
chercheurs ont fait leur aveu d'impuissance face à des communautés qui font recours
au pouvoir de la culture face à ceux qui font la culture du pouvoir Au Sénégal, on a
1'impression que 1'usage du mono-filament a eu tendance à se généraliser à partir du
moment où le Code de la pêche renforcé par un décret 1'a prohibé.
Les difficultés de la recherche à répondre en temps réel à une demande sociale très
précise du moment
Certains travaux de recherche requièrent quelques mois voire plusieurs années suivant les
thématiques. Je pense que la recherche fondamentale a ses droits d'exister. Les théoriciens
ont leur place dans la recherche scientifique. On dit d'ailleurs qu'une bonne théorie est
pratique. Mais pour les organisations de pêcheurs, il y a assez souvent un besoin urgent à
pouvoir s'expliquer un phénomène qu'il juge «nouveau» : réduction de la taille d'une
espèce donnée, implosion d'un nouveau potentiel donné, etc...
De nos jours les orientations de la recherche et les intérêts en jeu, ne donnent aucune
possibilité aux organisations de pêcheurs à faire accepter leur demande comme une
priorité de la part de la recherche. En même temps, on sait que la pêche industrielle
(secteur du thon par exemple) commandite des travaux de recherche qui sont réalisés
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 89
grâce à leur pouvoir financier dont la frontière avec le pouvoir politique est de plus en
plus floue.
Ceci m'amène à poser la question de savoir quelles perspectives pour le pêcheur artisan à
faire travailler le chercheur sur des thématiques, un sujet correspondent à une demande
explicitement exprimée. A mon avis, les organisations de pêcheurs ne pourraient de façon
efficace amener la recherche à inscrire leurs demandes dans les priorités même s'il s'agit
d'institutions d'utilité publique. Ce semblant de pessimisme qui m'anime est nourri par
1'environnement englobant des instituts de recherche qui a comme synonyme :
privatisation graduelle de la recherche, fuite massive de cerveaux humains vers le privé,
les organismes à caractère régional ou international mais aussi vers le Nord. Dans ce
contexte, les organisations de pêcheurs ont une alternative qui pourrait être porteuse de
dynamique à savoir recruter des chercheurs sous leur responsabilité. Une telle démarche
est la seule à pouvoir aider les organisations à disposer d'informations chaudes sur des
questions qui les intéressent. Quelques limites /contraintes hypothèquent pour le moment
une telle ambition. On peut citer entre autres :
- L'absence d'une culture chez les communautés à même d'aider à la prise de conscience
d'un tel impératif à recruter des chercheurs et à mettre les moyens requis pour
conduire des programmes de recherche. En effet, les communautés de pêcheurs ne
peuvent s'expliquer les coûts induits par la recherche : salaires des chercheurs, coûts
des équipements, etc. ;
- Le manque de crédits destinés à des organisations de pêcheurs et alloués
exclusivement à des programmes de recherche. Il y a quatre ans de cela, à la demande
d'une organisation de pêcheurs sénégalaise, nous les avions aidés à formuler une
demande de financement pour démarrer une base de données opérationnelles mais
aucun bailleur n'était intéressé ;
- L'attitude des ONG du Nord partenaires des organisations du Sud n'est pas favorable
au financement de la recherche. Le misérabilisme qui préside aux actions des ONG
fait qu'elles refusent en général de s'investir dans toute forme d'appui institutionnel
encore moins dans la recherche ;
- Le manque d'esprit de créativité et d'innovation de la part des chercheurs qui se sont
trop fonctionnarisés. Aussi, ne voulant pas courir de risque, les chercheurs se sentent
sécurisés sous bon nombre d'angles (couverture médicale, assurance de 1'emploi, etc.)
même s'ils ne sont pas parfois bien rémunérés ;
- Aussi, sur le plan social, il y a un problème de représentation (sociale) dans la mesure
il peut paraître plus valorisant et prestigieux de travailler dans un édifice public que
dans un local parfois mal peint d'une organisation de pêcheurs.
Le fait d'avoir des chercheurs travaillant sous leur supervision permettra aux
organisations de développer une contre expertise qui ne peut qu'enrichir la recherche par
le biais du débat d'idée. Depuis la dévaluation le besoin d'avoir une contre expertise s'est
fait ressentir chez les pêcheurs sénégalais. La raison en est simple : ils trouvent que les
travaux d'économistes tendant toujours à conclure que la dévaluation a été un ballon
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 90
d'oxygène pour les pêcheurs ne résistent pas à 1'analyse des faits. En effet, nous sommes
dans un secteur où tout est importé sauf la main d'œuvre. L'idée consistait donc à faire
travailler d'autres économistes avec d'autres perspectives. C'est le même problème pour
les 1égislations. Avec le nouveau Code de la pêche, les pêcheurs à travers leur
organisation nous avait contacté pour les aider à décoder le contenu du nouveau Code de
la pêche. N'étant pas compétent en la matière, nous avons saisi un juriste camerounais qui
nous avait aidé à discuter dans quatre zones de pêche (Mbour, Kayar Saint Louis et Hann)
avec les pêcheurs afin de les permettre de s'approprier pleinement, le contenu du Code.
C'est sur cette base que 1'organisation a pu émettre son avis à l'administration centrale des
pêches. Mais il s'agit d'un appui ponctuel qui ne pourrait se répéter dans la mesure où cela
coûte.
Même quand les données sont publiées de façon périodique, elles sont trop macro
Dans la sous région, il existe des supports qui publient périodiquement des données
scientifiques. Mais nous devons tous reconnaître qu'il s'agit de données macro. Les
organisations ont besoin de disposer des données (qui me semblent é1émentaires) sur
1'état des ressources. Je dois m'excuser de ne pas être diplomatique mais les données (par
exemple celles de la FAO qui a consenti beaucoup d'efforts dans ce sens)sont trop
globales. Il n'y a pas de données spécifiques à des pays pris individuellement. Quand ces
données existent, elles sont peu précises et souvent il y a de grandes différences entre les
données fournies par deux institutions de la pêche d'un même pays. On a le droit de se
demander s'il est opportun de proposer des plans de pêche et des mesures aménagistes si
au préalable on n'est pas en mesure de fournir des données plus précises sur l'état des
stocks.
Les connaissances ethno-scientifiques des communautés de pêcheurs ne sont pas
valorisées de façon à rendre plus opérationnelle et efficace la recherche
Au même titre que 1'environnement 1'implication des femmes dans les décisions,
1'approche participative est très à la mode. Dans la conduite des projets, une réelle
approche participative consisterait non seulement à impliquer les pêcheurs dans la
formulation de certains programmes mais aussi de capitaliser leurs connaissances et
expériences si on veut faire l'économie des risques d'échec. Pour les biologistes par
exemple, il est très important de prendre en compte ces connaissances car s'ils
connaissent la biologie du vivant marin, les pêcheurs connaissent mieux qu'eux leur
mouvement. Au-delà, il me paraît aussi indispensable pour la recherche de s'imprégner de
la dimension sociologique des pêcheries. La représentation que les usagers se font d'un
potentiel donné est à prendre en compte si on veut éviter que les gros efforts consentis au
niveau de la recherche pour aider la planification et la gestion ne soient une vaine
entreprise. Les investissements consentis ces dernières années pour une meilleure gestion
des stocks de céphalopodes (poulpe surtout) n'avaient pas pris en compte la représentation
que se font les pêcheurs d'une telle espèce. Alors que la gestion et la planification sont
préoccupées par la durabilité de ce potentiel, les pêcheurs quand eux restent encore
convaincus qu'il s'agit d'une espèce éphémère (à 1'instar des stocks de balistes qui ont
envahi les côtes ouest africaines dans les années 80) vouée un jour à disparaître ; donc
pourquoi ne pas 1'exploiter pleinement avant qu'elle ne disparaisse.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 91
Contributions de l’enseignement nord-américain aux défis de la
recherche en Afrique de l’Ouest
James R. Wilson70 (Université du Québec à Rimousky, Canada)
Introduction
La gestion des ressources halieutiques est importante en Amérique du Nord pour d'autres
raisons que la contribution économique du secteur halieutique. Le secteur de ressources
maritimes, selon la définition utilisée, représente moins de 1 % de l'économie entière de
l'Amérique du Nord. La demande en éducation dans la Gestion des Ressources Maritimes
(GRM) en Amérique du Nord existe, mais il est limité par la taille du secteur. Par contre,
plusieurs pays en voie de développement possèdent des ressources naturelles importantes,
mais ils ont des problèmes aigus en gestion. Il est donc de leur intérêt d’acquérir une
formation en gestion en GRM, la meilleure possible. En outre, l'Amérique du Nord
exporte des services éducatifs, et cette exportation est assistée par des programmes d'aide
à l'étranger.
De plus, la GRM est devenue un domaine plus large et plus complexe. Les problèmes
environnementaux, les problèmes de gestion des écosystèmes, et les aspects globaux de
gestion des stocks multiples sont plus importants, aussi bien que des analyses spatiales et
temporelles. Les spécialistes se tournent, parfois dans la mi-carrière, aux autres
disciplines qu'ils trouvent nécessaires pour mieux comprendre les problèmes en gestion.
Des programmes de gestion de ressources maritimes essayent de satisfaire ces besoins et
entraînent l’émergence de nouveaux domaines en sciences environnementales. Ainsi, les
meilleurs programmes, deviennent de plus en plus difficile car l'étudiant doit apprendre et
utiliser de nouveaux outils, notions et méthodes, pour analyser les problèmes de gestion.
En Amérique du Nord, quelques enseignants renommés en gestion de pêche s’approchent
de la fin de leur carrière. Ils seront remplacés par des enseignants qui voient la pêche
comme une partie d'un plus grand domaine d'étude. L'expertise plus vieille est cependant
toujours enseignée, et contribue encore à la littérature. Il existe donc une forte capacité
d'enseignement et certains pourraient même soutenir qu'il y a une surcapacité du corps
enseignant dans la GRM. Ainsi les besoins des pays en voie de développement pour
développer le capital humain dans la gestion des pêches, devrait rencontrer les capacités
de formation d’Amérique du Nord. Les universités en Amérique du Nord continueront
donc, probablement, à exporter des services éducatifs en GRM, en raison de la demande
des pays et de la capacité excédentaire des services.
70
J'aimerais remercier (sans impliquer) les personnes suivantes qui ont partagé leurs idées durant des
entrevues personnels ou par voie de l'Internet sur les listes de l'IIFET et de FISHFOLK : William Aron,
Menachem Ben-Yami, Peter Britz, Parzival Copes, Michel DeSan, Mamadou Diallo, Oussynou Dieng,
Mamadou Gaye, John Gates, Michael Harte, Mark Herrmann, Daniel Huppert, Heather James, James
Kirkley, Gunnar Knapp, Ousman N’daye, Chris Paterson, Jeffry Povolny, Omar Saar, Pavel Salz, Gary
Sharp, Aboucar Savanné, Oumar Sy, Richard Taylor, et James A. Wilson.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 92
Cependant, dans ce nouvel environnement interdisciplinaire, une bonne qualité d'étudiant,
aussi bien que l'intérêt et la compétence des professeurs, deviennent importants. En même
temps que les problèmes de gestion deviennent plus complexes, les étudiants des pays en
voie de développement doivent être fortement motivés pour faire face à cette complexité.
Les professeurs d'Amérique du Nord doivent faire aussi quelques ajustements en matière
de priorité de recherche pour intégrer les nouvelles problématiques en GRM. Déjà, les
approches analytiques ont cédé aux méthodes d'étude en utilisant l'ordinateur. Cette
tendance est plus marquée en bioéconomie.
Rimouski : un exemple typique (et atypique) d'un Programme nord-américain
L'Université à Rimouski abrite le premier et le seul programme francophone en GRM en
Amérique du Nord. Les États-Unis et le Canada sont deux sources importantes de
littérature dans la gestion des ressources. Bien que le programme soit francophone, les
étudiants étrangers trouvent (parfois à leur chagrin) que la littérature est largement en
anglais. En plus de l'orientation éducative, la plupart de l'inspiration théorique, et
beaucoup d'exemples en gestion sont pris de l'expérience nord-américaine.
Durant les quinze ans d'expérience du programme, nous avons eu en moyenne dix
admissions étrangères par an. Jusque récemment, ces admissions ont constitué une partie
importante de nos inscriptions. Avec une diversification plus importante des moyens de
financement, la proportion d'étudiants étrangers par rapport aux étudiants domestiques
sera probablement plus égale. De plus, les associations avec nos étudiants aînés
continuent à apporter des dividendes importants, en termes de projets et d'autres moyens
d'échange. Le programme à Rimouski a eu tendance, comme d'autres programmes, à
souligner la pluridisciplinarité, mais les défis pour la maintenir dans une petite université
ne sont pas négligeables. Le développement du programme exigera probablement des
investissements importants par l'Université et peut impliquer une réorientation des
départements vers des études environnementales et la gestion des ressources naturelles.
Cependant, le fait que le programme soit francophone, est un avantage. Une éducation de
2e cycle en français en Amérique du Nord ouvre une fenêtre importante vers deux
mondes. Notre objectif est de former des spécialistes ayant une certaine connaissance des
sciences naturelles, du droit, et des sciences sociales, incluant l'économie et la gestion.
Mes collègues dans d'autres programmes ont ajouté à mes points de vue plus régionaux,
plusieurs constats. Des professeurs ont des difficultés pour trouver le financement pour
les étudiants étrangers intéressés par la gestion des pêches. Dans plusieurs universités
américaines par exemple, les demandes d'inscription dépassent de loin les postes financés
pour les assistants de recherche de 2e cycle. Cependant, même si un étudiant étranger
trouve un financement, quelques professeurs sont réticents pour prendre la responsabilité
de ces étudiants à cause de mauvaises expériences avec d'autres étudiants venant des
mêmes pays. Quelques professeurs (à titre privé) ne veulent pas diriger un étudiant
étranger, en considérant que le risque de ne pas finir un programme est important. Les
professeurs viennent à cette conclusion pour trois raisons. D'abord, la langue et la culture
peuvent jouer un rôle. Les étudiants ont tendance à sous-estimer les efforts nécessaires,
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 93
pour être fonctionnels dans une autre langue et culture. Les étudiants africains se
plaignent souvent qu'il faut prendre une année entière avant d’être bien intégrés.
Deuxièmement, des étudiants étrangers n'ont pas nécessairement le même accès aux
ordinateurs et aux outils assistés par ordinateur dans leurs pays, ce qui peut affecter leur
performance au début de leurs études. Enfin, quelques professeurs se demandent si c'est le
sujet qui attire l'étudiant (et l'occasion de travailler avec le professeur) ou la disponibilité
d'une bourse dans un pays développé. Il y a donc souvent de l'incertitude concernant les
motivations des étudiants; leurs habitudes de travail, leurs objectifs à long terme et leur
volonté pour suivre un programme jusqu’à la fin. Les professeurs en Amérique du Nord
(et ailleurs) ne regardent pas les étudiants étrangers comme des projets de développement,
mais plutôt comme des collègues potentiels. Cela est une approche rafraîchissante et
stimulante pour quelques étudiants. D'autre part, l'étudiant sera probablement jugé par
cette norme aussi.
Perspectives des étudiants Africains
Mes explorations incluent aussi les commentaires des étudiants Africains qui ont étudié
dans notre programme. Un des aspects difficiles d'une formation dans un autre pays est
l'ajustement au climat et à la culture. En Amérique du Nord, où il y a un hiver dur, ces
difficultés peuvent être significatives. Ajouté à cela, les programmes sont très orientés
vers l'utilisation d'ordinateur et l'étudiant doit se familiariser rapidement avec ces outils.
Les étudiants signalent souvent que les cours sont très denses et couvrent une période de
temps trop courte. L'évaluation de l'étudiant est faite par des sessions de quatre mois. Des
étudiants africains habitués à un style français d'instruction trouveront les cours plus
orientés vers la résolution de problèmes appliqués et moins formels avec plus de
discussion en cours. Beaucoup de ces cours essayent de présenter à l'étudiant, la « vraie
vie » en même temps que d'enseigner les notions théoriques. Donc, les sorties éducatives
et les orateurs invités de l'industrie ou du gouvernement sont souvent employés pour
motiver l'étudiant. Des étudiants africains constatent aussi qu'ils ont un contact plus
personnalisé avec les professeurs. Cette situation pourrait varier d'une université à une
autre, mais l'absence de formalité et le pragmatisme sont deux observations centrales.
D'autre part, des étudiants ont mentionné que le cycle éducatif financé par quelques
agences de développement Nord-américaines n'est pas bien adapté aux besoins éducatifs.
Ils soutiennent qu'un cycle normal éducatif doit être le même pour un étranger que pour
un étudiant du pays. En effet, un programme de maîtrise, par exemple, peut prendre entre
16 et 24 mois à un étudiant pour absorber et appliquer les connaissances acquises,
simplement d'un point de vue cognitif. Néanmoins, quelques agences cherchent à financer
des programmes accélérés. Quelques étudiants ont mentionné que l'éducation qu'ils ont
reçue et les contacts faits au Canada, par exemple, ne peuvent pas être entièrement
exploités, pour des raisons institutionnelles et politiques. Chaque agence de
développement semble avoir son propre agenda et groupe d'experts locaux. La visibilité
des pays comme le Canada ou les États-Unis peuvent être restreints dans quelques pays
pour des raisons historiques ou géopolitiques. Cela peut laisser l'étudiant avec
l'impression qu'il est un peu seul après son expérience éducative. Il pourrait y avoir une
place pour plus de préparation d'un étudiant avant son arrivée en Amérique du Nord.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 94
Même pendant le séjour, l'appui institutionnel de son pays est essentiel. Il pourrait être
intéressant d'utiliser les programmes nord-américains comme une sorte de consultation à
l'inverse. Plutôt que d'envoyer des experts à l'étranger, les experts resteraient sur place et
l'étudiant viendrait avec un problème spécifique, pouvant faire l'objet d'un rapport de
recherche appliquée. Le processus éducatif deviendrait alors une façon de profiter des
cours et de l'infrastructure au Canada pour répondre à une problématique de recherche
spécifique identifiée au pays.
Une expérience éducative nord-américaine : est-elle différente ?
À bien des égards, les programmes Nord-américains dans la gestion des ressources
maritimes ressemblent à d'autres programmes. Tout programme cherche à inciter un
esprit de réflexion critique concernant les décisions sur l'utilisation de ressources rares.
Les programmes encouragent de plus en plus la production d'articles publiés au lieu d'un
format de thèse. Une forte motivation, l'accès à la littérature à la bibliothèque et par
Internet, et un bon environnement de travail soutient ces objectifs. Cependant, il y a des
différences. Si nous parlons des relations entre l'Afrique et l'Amérique du Nord, les
études en Amérique du Nord amèneront l'étudiant hors du contexte historique et politique
qui définit les relations européennes et africaines. Les Nord-américains ont moins
d'expérience avec la colonisation en Afrique, et leur connaissance de l'histoire ou des
problèmes expérimentés par l'Afrique pourraient être limités. D'autre part, l'Amérique du
Nord a ses propres relations historiques avec l'Afrique, dont beaucoup d'Africains
peuvent seulement avoir une connaissance superficielle. Les étudiants dans ce nouvel
environnement rencontreront probablement des collègues qui, dans leur ignorance,
poseront des questions différentes, ou regarderont les problèmes un peu autrement. Ce
nouvel environnement amènera de nouvelles façons de résoudre des problèmes.
Quelques collègues européennes croient que les systèmes d'éducation nord-américains
semblent être moins rigides en termes de discipline d'étude. Ce sont des avis bien sûr
personnels, mais il est vrai que, même en économie, les universitaires Nord-américains
semblent vouloir mélanger les idées. Par exemple, en économie, un étudiant trouvera des
liaisons importantes entre des anthropologues et des économistes, particulièrement si l’on
est dans un département ayant plusieurs partisans de l'économie institutionnelle.
Beaucoup de ces idées forment la base théorique de la cogestion, discutée actuellement
comme une autre approche à la résolution des problèmes d'utilisation des ressources. Un
étudiant peut trouver des groupes qui étudient des modèles de gestion sous les hypothèses
d'incertitude forte ou de chaos. Les racines économiques de ces sciences sont trouvées
dans les écritures des économistes « autrichiens » et plus tard, des économistes
évolutionnistes. Les économistes nord-américains ont contribué de façon importante à la
théorie des choix publics. Ces idées aident les managers à tourner leur attention vers « les
faiblesses du gouvernement » (au lieu des « faiblesses du marché »), qui peuvent être
aussi une source majeure d'inefficacité dans une économie. Les études de Droit et
d’Economie aussi bien que la théorie des contrats sont les développements modernes de
l'école de l'économie institutionnelle, traitant les questions d'échange et d'organisation de
l'échange par des règles sociales. Finalement, les économistes sont devenus de plus en
plus actifs dans l'application de la géographie quantitative aux problèmes économiques.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 95
Les économistes écologiques ont aussi apporté leur contribution aux débats durant ces 20
dernières années. Ces thèmes sont vastes et un programme en GRM n'exposera pas
nécessairement à l'étudiant, toutes ces idées. Néanmoins, l'échange libre d'idées fournit un
environnement riche pour faire de la recherche appliquée en GRM. Ce mélange des idées
a comme résultat l'absence d'un point de vue dominant et monolithique en économie.
Cette situation permet un niveau de débat intéressant et stimulant pour un étudiant. Il a
aussi été dit que les Nord-américains sont pragmatiques. Pour les pragmatistes, la
recherche est un outil pour résoudre des problèmes pratiques, et la théorisation est le
résultat plutôt que la genèse de la recherche sur le terrain. Par exemple, quelques
programmes de recherche importants en GRM sont fortement orientés sur des problèmes
pratiques, mais peuvent avoir aussi quelques significations théoriques. Le fait qu'un
problème soit « pratique » ne signifie pas qu’il est « simple » ou « facilement résolvable ».
Au contraire, la résolution des problèmes pratiques en gestion peut exiger une
connaissance assez vaste et flexible, avec une intuition très aiguë. Ces programmes de
recherche sont discutés dans les écoles dans le monde entier. Cependant, l'Amérique du
Nord est un pôle où le mélange des idées est particulièrement actif. Il est fort possible que
le pragmatisme ne soit pas nécessairement une particularité de la culture Nordaméricaine, comparé à une autre culture. Cependant, Charles Sanders Peirce, un logicien
célèbre, a élevé la pragmatique à une branche de la philosophie : et il s’avère qu'il était
Américain.
Les problèmes avec l'exportation de l'enseignement supérieur
Il existe des inconvénients à l'exportation de l'enseignement supérieur. Les objectifs des
enseignants ne sont pas les mêmes que ceux des agences de développement. L'objectif
d’un enseignant est d'augmenter la valeur du capital humain. Nous espérons que l'objectif
pur et simple des agences de développement est d'assister un pays pour améliorer le bienêtre de ses citoyens. Bien que ces deux objectifs ne soient pas en désaccord, ils sont
différents.
Puisque l'éducation implique l'augmentation des coûts d'opportunité des étudiants, des
programmes d'éducation couronnés de succès changent les rapports professionnels. Notre
but, essentiellement, est de changer la relation de pouvoir décisionnel en développant
l'expertise chez nos étudiants, afin qu'ils puissent être responsables de la gestion de leurs
propres ressources. Cependant, cette volonté peut engendrer des impacts déstabilisant sur
le plan social et économique. Parfois, on déstabilise les mêmes institutions que nous
cherchons à aider. Les étudiants retournant dans leur pays, peuvent découvrir que leurs
connaissances acquises ne peuvent pas être appliquées pour plusieurs raisons techniques,
politiques et institutionnels. De nouveaux diplômés peuvent devenir frustrés, parce que «
le système » ne peut pas (ou ne veut pas) les utiliser à leur plein potentiel. Il peut aussi y
avoir des occasions d'augmenter le bien-être économique de sa propre famille, en entrant
dans les affaires ou en continuant son éducation. D'autre part, les diplômés des PVD se
plaignent parfois de leur disqualification pour des contrats importants. Parfois, ils
reçoivent une paie inférieure pour un travail qui est égal ou mieux que le travail d'un
consultant étranger. Ces problèmes peuvent entraîner l'exode du capital humain. De
nouveaux diplômés dans notre programme ont parfois des offres attirantes d'autres
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 96
universités ou d'employeurs. Pourquoi doivent-ils supporter un système qui ne les
emploie pas et qui ne leur paye pas à un salaire compétitif ? Quand un ancien étudiant
Africain trouve un travail à l'extérieur de son pays, je suis heureux pour lui. Mais cela
peut signifier que nos programmes éducatifs et nos programmes de développement ne
répondent pas aux besoins fondamentaux du pays. Les établissements éducatifs doivent
aussi partager ce blâme parce que nous n'utilisons pas nos contacts pour aider les
étudiants après leurs études.
D'un point de vue du développement stratégique, le capital humain s'enfuyant d'un pays
n'est pas forcément souhaitable. On peut se demander si la politique éducative Nordaméricaine envers les PVD aborde la question de la formation du capital humain et le
développement de façon cohérente. Le problème de l'exode du capital humain est
probablement dû aux incitatifs économiques et institutionnels. Dans un tel cas, nous
devrions développer des approches de formation plus innovatrices.
D’autres problèmes liés aux programmes de formation doivent être mentionnés, mais
ceux-ci ont plus de liens avec les méthodes d'incitation économique des gouvernements
pour l'utilisation de programmes éducatifs. Par exemple, la formation fait partie de
plusieurs accords de pêche avec les PVD. Si nous estimons les bénéfices nets
économiques que les pays d'accueil peuvent tirer de ces programmes, dépasseraient-ils
vraiment les dépenses économiques des accords ?
Conclusion
Cet essai soutient que le développement de la capacité en GRM en Afrique occidentale
implique la formation de capital humain. Les programmes de formation Nord Américains
forment des gens plus mobiles, avec des préférences plus labiles pour des carrières. Nous
espérons que les étudiants que nous formons reviennent dans leur pays pour continuer
leur carrière. Cependant, nous ne pouvons pas simplement faire appel au patriotisme et au
sacrifice. Des économies nationales qui ne peuvent pas satisfaire les attentes des
individus, parce que ces individus ont augmenté leur valeur et donc leurs coûts
d’opportunité, inciteront la fuite du capital humain. Si l'économie est affaiblie et si la
structure institutionnelle du service public et du secteur privé incitent les diplômés à
quitter le pays, les vrais enjeux sont donc d'assister la construction d'institutions pouvant
rendre l'économie performante et « étanche ». Les développements des outils de recherche
en GRM ne peuvent pas facilement combler ce besoin fondamental. Cette problématique
est plutôt reliée à la question de comment les résultats de l'éducation et de la recherche
contribuent (ou ne contribuent pas) au bien-être économique et social des citoyens du
pays. Ailleurs, j'ai beaucoup insisté sur l'idée que les lois d'un pays doivent
spécifiquement déclarer, que le but de la gestion est d'augmenter le bien-être économique
et social des citoyens du pays, de façon durable. On peut interpréter ces propos comme
idéalistes. Mais, si par la parole, nous pouvons inciter des managers à concentrer même
une partie de leur attention sur cet objectif central, tant mieux. Si l'éducation produit des
spécialistes en accord avec cet avis, les enseignants et les agences de développement
doivent aussi encourager le développement d'environnements propices pour ce type de
gestionnaire. Et nous devrons être plus préoccupés par les questions d'efficacité
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 97
institutionnelle et par la construction de capacité de gestion durable. Mais en acceptant le
principe, nous serons peut-être appelés à réduire l'espace économique que nous occupons,
afin de donner place à nos anciens étudiants.
Le système éducatif Nord-américain n’est pas qualitativement mieux que ceux des autres
régions du monde. Cependant, ce système particulier contribue significativement à la
diversité des idées sur la gestion de ressources maritime. Peut-être une éducation nordaméricaine est avantageuse pour des spécialistes Africains parce que les universités sont
relativement neutres, et elles résident dans des pays relativement neutres. Par contre, le
style d'éducation différent, rend la formation souvent stimulant et parfois difficile. Pour
un pays comme le Canada et certainement pour les États-Unis, des motivations
économiques et politiques existent pour l'exportation de programme de formation. Mais si
nous parlons de la formation des spécialistes africains en GRM, cela peut être intéressant
d’obtenir une formation dans un pays qui est moins impliqué dans l’exploitation des
ressources halieutiques en Afrique.
Les universités nord-américaines auront peut-être un avantage comparatif (toujours
discutable) dans la promotion du pragmatisme en gestion. Nous pouvons même vanter
ces approches pour des raisons culturelles, même si notre « avantage » est largement
fictif ! Les disciplines en Amérique du Nord ne sont pas monolithiques, même au sein de
disciplines comme l’économie, permettant des débats de fond. De plus, ces débats
contribuent à l'enrichissement de l'étudiant. En effet, notre plus importante contribution
est l'aide que l’on donne pour garder les débats en GRM vivant. Cependant, il reste le
difficile problème de la re-intégration des ressources humaines dans un contexte
institutionnel efficace, afin que les ressources formées soient capables de contribuer
réellement au bien-être du pays.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 98
De nouveaux champs de recherche ?
La coopération scientifique internationale au profit du développement
durable: enjeux et perspectives; avec un accent particulier sur le
domaine halieutique
Cornelia E. Nauen et Jacques Prade (Direction Générale de la Recherche et
Direction Générale du Développement, Commission européenne, Bruxelles)
L’intervention est structurée autour de quatre axes: (a) Pourquoi fait-on la recherche ? ;
(b) Pour qui cette recherche est-elle faite ? ; (c) Comment orienter cette recherche ? ; (d)
La coopération de l'Union européenne avec les régions en développement en vue de leur
participation dans la société des connaissances émergentes et la transition vers le
développement durable.
Pourquoi la recherche?
La recherche a pour but de créer, d’accumuler, de structurer et de partager des
connaissances (par ex. Feoli & Nauen, 2001) afin de mieux comprendre la nature, les
sociétés qui y vivent et l’interaction entre les deux. Ces dernières années, une attention
plus particulière a été prêtée à des types de recherche orientés vers la résolution de
problèmes. A l’échelle globale, on estime que déjà environ 25% de la croissance
économique dépend directement ou indirectement de la recherche scientifique et de
l'innovation technologique. Ceci vaut particulièrement pour la recherche scientifique mais
aussi pour les sciences sociales. Les résultats apportent ensuite des options qui permettent
aux acteurs de la société de faire leur choix d’une façon plus judicieuse. Celles-ci revêtent
les formes les plus diverses, par ex :
- Ouvrir de nouvelles perspectives tant du côté de l'innovation technologique que dans
l’utilisation soutenable des ressources renouvelables (par une diversification de
l'utilisation des ressources en combinant des usages extractifs et non-extractifs
générateurs de bénéfices socio-économiques) ;
- Améliorer la sécurité alimentaire et la sûreté des aliments ;
- Créer de nouveaux équilibres dans la répartition des bénéfices permettant la réduction
des conflits et une réponse aux attentes de développement des sociétés en
développement.
Dans la région, la pêche artisanale a connu un développement fulgurant et s'est avérée
plus performante que la pêche industrielle locale. Elle a pu également piloter une
intégration surprenante avec la chaîne de valeurs internationale, ce qui devrait faire
réfléchir quant aux leçons à retirer en termes de politiques et des approches
d'aménagement (Chauveau et al., 2000).
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 99
Pour qui cette recherche est-elle faite ?
La problématique de la conservation, de la reconstitution et de l'aménagement des
écosystèmes aquatiques a plusieurs dimensions, écologique, économique, sociale,
culturelle… Sont concernés plusieurs types d'acteurs qui sont directement ou
indirectement intéressés par ces écosystèmes. Toute politique publique de soutien à la
recherche doit permettre d'impliquer ces acteurs tout en faisant des arbitrages entre les
intérêts en jeu. Mais ces opérateurs économiques qui font usage de la ressource
halieutique sont très divers:
- Certains acteurs de dimension mondiale sont considérés comme les gagnants du
«modèle productiviste» en cours, ils contrôlent des activités de pêche et/ou de
transformation organisées à l'échelle de la planète. Ils ont atteint un très haut niveau
de performance technique et maîtrisent des réseaux importants de distribution. Ils se
heurtent cependant aux limites de la ressource et veulent influencer les politiques
publiques envers de nouvelles règles qui assurent leur compétitivité future. Ils
disposent de moyens pour orienter la recherche dans un sens "productiviste" qui serait
plus "raisonnable" vis à vis de la ressource ;
- D'autres opérateurs pêchant sur de grandes distances sont confrontés à une baisse
tendancielle de leur profitabilité en raison de leur faible productivité aggravée par la
raréfaction de la ressource et par la concurrence avec leurs compétiteurs (notamment
de nouveaux acteurs dans les PED). Dépendant de soutiens publics ils tenteront
d'orienter la recherche afin qu'elle les aide à retrouver des avantages qu'ils avaient
antérieurement ;
- Dans les PED, le secteur national de la pêche est souvent un secteur extrêmement
dynamique où se côtoie une grande variété d'opérateurs: pêcheurs occasionnels qui
complètent ainsi d'autres activités afin d'assurer un meilleur revenu et/ou leur sécurité
alimentaire, pêcheurs artisans dont les captures sont orientées vers des marchés
locaux ou au contraire en direction des pays industrialisés, pêcheurs industriels
notamment en association avec des sociétés de pays industrialisés. Les stratégies de
ces acteurs ainsi que leurs centres d'intérêt pour la recherche sont très différents. Leur
développement est limité par la faiblesse des infrastructures et des systèmes
d’apprentissage et d’innovation et des politiques d'aménagement de la ressource dont
un des facteurs limitant est justement la faiblesse des capacités de recherche ;
- Il y a d’autres acteurs, notamment mais pas exclusivement dans le secteur du
tourisme, qui basent leurs stratégies économiques sur l’utilisation non-extractive ou
peu extractive des ressources halieutiques et de leurs écosystèmes. Ils n’interviennent
pas traditionnellement dans la recherche, mais les mouvements de conservation de la
nature et d’orientation en faveur du développement durable ont des affinités
thématiques, même s’il n'y a pas toujours de coopération. Il existe également de telles
affinités avec les premier et troisième groupes mentionnés ci-dessus.
La recherche halieutique dans toutes ses dimensions est donc d'abord faite pour des
acteurs impliqués dans le secteur concerné, de la production jusqu'aux usages nonextractifs. Mais comme les ressources marines et côtières renouvelables sont un
patrimoine partagé au niveau national (certains diraient même, mondial) et que les
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 100
stratégies de ces acteurs ne sont pas nécessairement compatibles, il est légitime et
nécessaire que d'autres groupes de la société s'y intéressent. Il est aussi indispensable que
les choix stratégiques concernant la recherche soient validés dans des institutions
publiques aptes à arbitrer entre différents intérêts particuliers en fonction de l'intérêt
général. Cet intérêt général commande des choix qui maximisent la valeur sociale ajoutée
et qui ne compromettent pas les générations futures.
Face à ce défi de générer durablement des bénéfices permettant de répondre à des besoins
reconnus, la recherche doit être au service de toute la société afin d'apporter sa part aux
solutions des problèmes. En effet, pour faciliter des choix dans l'intérêt de tous, les
connaissances de base doivent être disponibles pour tous. Par ex. le système
d'informations FishBase sur toutes les espèces de poissons du monde fait des efforts en ce
sens et renseigne chaque mois plus de 100.000 personnes de tous horizons (25% des pays
en développement - www.fishbase.org).
Néanmoins, le degré de profitabilité que les acteurs retirent de la recherche dépend de
nombreux facteurs tels que leurs niveaux d’éducation, la disponibilité de services
d'information et de vulgarisation, l'existence d'institutions de formation technique et
d'innovation dans chaque pays. Cette «profitabilité de la recherche pour les autres
acteurs» sera conditionnée par la qualité des liens qu'entretient la recherche avec ces
acteurs. Il s'agit par exemple d'améliorer l'écoute mutuelle entre chercheurs et ces acteurs.
Il s'agit aussi d'accepter que la finalité de la recherche soit d'alimenter un corpus partagé
des connaissances indispensables pour que chaque type d’activité et de politique concerné
puisse répondre aux exigences toujours plus explicitement intégrées et moins sectorielles
qu'il doit relever (lutte contre la pauvreté, balance des paiements, emplois, sécurité
alimentaire) (Cury & Cayré, 2001, Dahou & Deme, ce vol.).
Comment orienter cette recherche?
La recherche étant une des activités les plus internationales, aucun pays ne peut maintenir
bon niveau de qualité et pertinence sans échanges (coopération et compétition) entre
institutions aux échelles nationale, régionale et internationale.
Dans la crise mondiale des modes prévalants d'utilisation des ressources naturelles, la
recherche doit contribuer à renverser la tendance destructrice et s’orienter vers des
stratégies durables ne compromettant plus les intérêts légitimes des générations futures.
Les recherches orientées vers des nouvelles approches de reconstitution de productivité
perdue par la surpêche (par exemple les aires de protection et de nouveaux dispositifs
institutionnels - Nauen, 1996; Pitcher et al., 1998; Pauly et al., 1999; Roberts et al., 2001)
offrent des analyses d'ouverture pour la région. Il est désormais clair que les trois axes
majeurs du savoir - l'écologie, les dimensions sociale et économique - doivent être
attaquées de façon concomitante, pour que la recherche soit à la hauteur du défi des
systèmes naturels et socio-économiques de plus en plus interdépendants et complexes
(Hollings, 2000).
Il est alors important de se poser les bonnes questions et en particulier celles concernant
les enjeux et les actions à mener. Car la compétition accrue pour accéder aux fonds
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 101
publics nécessite de démontrer l’efficacité et la pertinence des thèmes de recherche. Ceci
est d'autant plus important dans des pays en développement où le secteur privé n'investit
pas ou peu dans la recherche scientifique et technologique.
Mais il est aussi important de reconnaître que la recherche à elle-seule ne peut pas
résoudre tous les problèmes, surtout pas ceux de nature gestionnaire au quotidien. Elle
travaille au mieux dans les horizons d'anticipation à moyen et long terme. D'où la
remarque mentionnée plus haut que son efficacité dépend également du contexte
institutionnel, des interfaces de vulgarisation mis en place et de façon plus générale, des
politiques en faveur d'une culture du savoir et de l’apprentissage à différents niveaux avec
les investissements y afférent.
Enfin, la recherche doit communiquer d’une façon plus claire ses analyses et résultats en
conceptualisant l’interface de communication envers le public cible.
La coopération de l'Union européenne avec les régions en développement en vue de
leur participation dans la société émergente des connaissances et la transition vers le
développement durable
La Commission européenne a été un pionnier en matière de coopération scientifique pour
le développement. Elle pratique ce partenariat entre instituts de recherche en Europe et
des pays en développement depuis 1983 (suite aux recommandations de la Conférence
des Nations Unies pour la science et le développement en 1979). Depuis le Sommet de la
Terre à Rio en 1992, des équipes africaines, asiatiques et latino-américaines en tandem
avec leurs partenaires européens, sont financées sur des thèmes focalisés sur le
développement durable, notamment par rapport au développement de concepts permettant
d'opérationaliser les grands principes de l'Agenda 21. Plusieurs projets de coopération
scientifique avec la sous-région ont ainsi touché le secteur halieutique.
La politique et les instruments de coopération pour le développement, y compris dans le
secteur de la pêche, doivent continuer à évoluer (Nauen, 1998). En ce qui concerne la
coopération en matière de pêche, la Commission européenne avait déjà donné une suite
concrète à une résolution de l'Assemblée Paritaire ACP-UE (composée de parlementaires
et d'autres représentants des pays d'Afrique, des Caraïbes, du Pacifique et d’Europe) par
l'instauration d'un dialogue soutenu sur une initiative de recherche halieutique ACP-UE
(par ex. Anon, 1996).
L'Accord de Cotonou, qui fixe le nouveau cadre politique de cette coopération avec les
pays ACP, met l'accent sur un dialogue politique fort et l'intégration à terme des pays
dans l'économie mondiale. Une attention particulière est accordée à la lutte contre la
pauvreté, condition préalable au développement durable. Elle est articulée spécifiquement
pour le secteur de la pêche dans une Communication au Conseil et au Parlement européen
de 2000 (Commission européenne, 2000).
Vu le rôle des connaissances pour la création de richesses durables et compte tenu des
investissements dans les ressources humaines et institutionnelles qui doivent y être
associés, la Commission européenne a également confirmé la nécessité d'une continuation
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 102
et évolution ultérieure de la coopération scientifique internationale (Commission
européenne, 2001). Le suivi du Sommet Afrique-Union européenne du Caire en avril
2000 ainsi que la préparation du Sommet de la Terre pour le Développement Durable qui
est envisagé en septembre 2002 à Johannesburg offrent des opportunités importantes pour
renforcer la synergie et la complémentarité entre les différentes politiques et leurs
instruments tels que les politiques de développement et de la recherche.
S'il y a eu de bons exemples ponctuels de ces synergies de par le passé dans le secteur de
la pêche, il est temps de les rendre plus systématique et de les porter à un niveau
supérieur par une nouvelle initiative conjointe en faveur de la participation des pays
d'Afrique dans la société des connaissances, voie plus prometteuse pour achever les
objectifs politiques de développement durable qu'ils se sont fixés. Cette initiative
demandera des efforts conséquents de part et d'autre accompagnés d’un dialogue à
différents niveaux entre les deux régions. Il est surtout important que de tels
investissements soient stables et se situent dans une période longue pour générer les
impacts recherchés.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 103
Problématique et enjeux de la recherche halieutique dans le contexte du
PMEDP en Afrique de l’Ouest.
Jean Calvin Njock (Projet PMEDP, Bénin)
Présentation du Programme pour des Moyens d’Existence Durables dans la Pêche
Le Programme pour des Moyens d’Existence Durables dans la Pêche (PMEDP) est
financé par le Département pour le Développement International du Royaume-Uni
(DFID) et exécuté depuis novembre 1999 par l’Organisation des Nations Unies pour
l’Alimentation et l’Agriculture (FAO). Son siège se trouve au sein du Département des
Pêches de la FAO à Rome, Italie et l’Unité de Support Régional est basée à Cotonou,
Bénin. Le Programme représente un partenariat de 7 ans entre la FAO, DFID et 25 pays
ouest-africains, dont 20 pays côtiers (l’Angola, le Bénin, le Cameroun, le Cap Vert, le
Congo, la Côte d’Ivoire, la République Démocratique du Congo, la Guinée Equatoriale,
le Gabon, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée Bissau, la Mauritanie, le Nigeria, la
République de Sao Tomé et Principe, le Sénégal, la Sierra Leone, le Libéria, le Togo) et 5
pays sans littoral (le Burkina Faso, le Mali, le Niger, la République Centrafricaine, le
Tchad) où les moyens d’existence d’environ 7 millions de personnes dépendent de
l’utilisation des ressources aquatiques. Le Programme est représenté au niveau de chaque
pays associé par une unité de coordination nationale (UCN).
Le PMEDP vise à réduire la pauvreté au sein des communautés côtières et continentales
par l’amélioration de leurs moyens d’existence. Cet objectif sera atteint essentiellement à
travers l’amélioration du capital social et humain de ces communautés, en consolidant les
atouts naturels de ces dernières et par le développement d’un environnement politique et
institutionnel adéquat. A travers les UCN, le Programme assiste les gouvernements dans
l’élaboration des politiques et des plans qui prennent en compte les principes du Code de
conduite pour une pêche responsable (CCPR) en utilisant l’Approche pour des moyens
d’existence durables (AMED), et les communautés de base pauvres pour le
développement de leur capacité à participer plus efficacement à la planification et à
l’aménagement des pêches.
Les bénéficiaires
Les bénéficiaires primaires du Programme sont les utilisateurs des ressources au sein des
communautés de pêche, en particulier les groupes les plus pauvres constitués de pêcheurs,
de petits marchands, de transformateurs de poisson et de consommateurs. Les
bénéficiaires secondaires comprennent les directions des pêches, les services
gouvernementaux connexes, les ONG, les planificateurs sectoriels et d’autres personnes
ayant une certaine responsabilité dans l’aménagement efficace du secteur de la pêche. En
suivant les principes et les directives du CCPR, le Programme utilise une «approche de
processus» c’est-à-dire que les bénéficiaires sont encouragés, de manière progressive et
participative, à identifier, mettre en œuvre et évaluer les activités de développement qui
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 104
correspondent à leurs propres besoins et aspirations. Avec cette participation active des
bénéficiaires eux-mêmes, leur intérêt et leur aptitude à contribuer à la gestion efficace des
ressources halieutiques se trouveront renforcés et les aideront ainsi à assurer la durabilité
de leurs moyens d’existence.
La stratégie du Programme
Afin de réduire la pauvreté et son incidence dans les communautés de pêche, il importe
d’appuyer ces communautés à la base. Cependant, leur participation dans des activités
destinées à améliorer leurs moyens d’existence dépendra de leur propre perception de la
pauvreté ou de la vulnérabilité à la pauvreté, ses causes et les possibilités qui leur sont
offertes d’y remédier. Partant de là, le PMEDP promeut l’AMED qui place les personnes
au centre, comme bénéficiaires et acteurs du processus de développement. En prenant ces
facteurs en considération, le PMEDP aide à créer les conditions nécessaires pour que ces
communautés soient en mesure d’évaluer leur environnement et leur situation. Afin de
promouvoir cette prise de conscience, le PMEDP entreprend des actions de sensibilisation
et de renforcement des capacités afin de développer la réflexion, l’analyse et les débats au
sein des institutions existantes. L’AMED requiert également le développement d’un
système effectif de suivi pour assurer un flux d’informations constant, l’identification de
façon précoce des problèmes et tirer rapidement les leçons de l’expérience lors de
l’exécution des projets.
Le PMEDP offre son appui par la promotion d’initiatives locales et régionales dans le
secteur de la pêche qui soient respectueuses de l’équilibre du milieu naturel. Ces
dernières sont articulées à travers deux types d’interventions : (i) les ‘Petits Projets’
exécutées au niveau national sous la responsabilité des Unités de coordination nationales
(UCN) ; ce type d’initiative vise à renforcer les atouts et à améliorer les structures et
processus qui, au sein des communautés, influencent les moyens d’existence ; et (ii) des
Projets pilotes qui sont des initiatives plus importantes destinées à résoudre d’importants
problèmes ou à lever des contraintes qui se posent au niveau régional ou sous-régional et
qui sont d’évidence liés à la sécurité des moyens d’existence de nombreuses
communautés de pêche pauvres. Les acteurs et les gouvernements identifient ces
questions à travers un processus participatif. Les solutions à ces problèmes et contraintes
visent la durabilité des actions tant du point de vue environnemental que social,
institutionnel et économique.
Contexte de la pêche dans la zone d’intervention du Programme
Les ressources aquatiques des 25 pays participants constituent une source importante de
nourriture pour toutes les couches sociales. Elles fournissent aussi du travail et des
revenus aux populations côtières et à celles riveraines des plans d’eau continentaux. De
par les quantités débarquées (plus de 2 millions de tonnes) et le nombre d’acteurs
impliqués, la pêche artisanale constitue le mode d’exploitation le plus dynamique. Pour la
plupart des hommes et des femmes qui y sont impliqués, elle est aussi un mode de vie et
une expression culturelle qui, depuis plusieurs décennies, subit malheureusement de
multiples pressions liées à la vie moderne. Ces menaces ont pour principale origine la
croissance démographique et l’urbanisation poussée ayant entraîné la dégradation du
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 105
milieu, conséquence d’un développement incontrôlé des activités anthropiques. Les
mauvaises pratiques agricoles ont précipité la dégradation des bassins versants, entraînant
l’envasement des cours et plans d’eau où prolifèrent des plantes aquatiques envahissantes,
rendant le milieu peu propice à la navigation et à la pêche. La pêche intensive, combinée
aux pratiques illicites, a conduit à la surexploitation des principales ressources
halieutiques, aux baisses des rendements et de la rentabilité des activités de pêche, ce qui
a compromis les moyens d’existence des populations qui en vivent. C’est dans ce
contexte que le PMEDP a été mis en place dans le but d’aider les pays à définir des
politiques de pêche durables et équitables largement reproductibles.
Politiques d’aménagement des pêches en vigueur
Les politiques mises en place par les différents pays de la région n’ont pas pu aider à
surmonter la précarité de la situation, cela étant dû à leur inadéquation avec les besoins du
secteur. De surcroît, ces politiques ont été orientées principalement vers l’augmentation
de la production et favorisé les pratiques de libre accès aux ressources, ce qui dans
beaucoup de cas, a conduit à des situations de surcapacité des flottilles ayant accentué les
problèmes liés à la gestion des ressources en raison de la faiblesse des moyens
disponibles, notamment en matière de suivi, de contrôle et surveillance, ce qui est une
fonction essentielle dans l’aménagement. Dans la plupart des pays, les stratégies et les
systèmes d’aménagement en vigueur confèrent à l’administration centrale, les principales
prérogatives en matière de planification et d’aménagement des pêches, offrant peu
d’opportunités aux communautés de pêche à participer au processus de formulation des
politiques et de prise des décisions. Les contraintes liées à cette gestion ‘centralisée’ des
pêches ouest africaines sont liées à la faiblesse des moyens logistiques humains et
financiers mis en œuvre par les pouvoirs publics. Ainsi, malgré la contribution importante
de la pêche dans l’approvisionnement des populations en nourriture, emplois et bien-être,
les politiques, institutions et processus (PIP) ayant un impact sur les moyens d’existence
des communautés de pêche sont inexistantes ou inadaptés. Par ailleurs, dans les rares pays
où des politiques de gestion décentralisée des ressources naturelles ont été initiées, les
résultats restent encore mitigés quant à l’efficacité des mesures prises au niveau local.
Les systèmes traditionnels d’aménagement ont montré leur efficacité dans les
écosystèmes continentaux naturels. Par contre, dans les pêcheries maritimes côtières et
dans les réservoirs nouvellement créés, la gestion coutumière des activités a montré des
limites. Cet échec est expliqué en partie par le fait que la pêche y est souvent pratiquée
par des pêcheurs migrants originaires de différents pays et ethnies. Actuellement, il est
généralement admis que les systèmes traditionnels d’aménagement sont compromis par la
pression démographique, l’influence de l’économie de marché et la dégradation de
l’environnement.
Compte tenu des contraintes actuelles, il y a un besoin urgent d’améliorer les systèmes
d’aménagement, aussi bien traditionnels que modernes, pour réduire la surexploitation et
par conséquent, la vulnérabilité des acteurs. Cette amélioration passe par la création des
conditions propices au développement de partenariats entre l’Etat et les communautés de
pêche pour la gestion des ressources. Cette cogestion devrait permettre en particulier une
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 106
meilleure prise en compte des besoins et aspirations des communautés et un renforcement
des capacités de l’Etat à assurer ses fonctions fondamentales qui sont entre autres, fournir
un cadre législatif approprié, garantir la formation des acteurs, assurer la collecte et
l’analyse des informations aussi bien biologiques qu’économiques, sociales et
environnementales.
Enjeux de la recherche dans l’aménagement des pêches
Cette dernière fonction relève en particulier de la recherche halieutique. Or celle-ci est
l’un des domaines qui est le plus confronté aux contraintes institutionnelles dont souffre
la pêche, et particulièrement le sous-secteur artisanal. Pendant longtemps, les
programmes de recherche n’ont couvert que le suivi de la ressource et les considérations
technologiques, reléguant au second rang les considérations socio-économiques liées aux
communautés de pêche, de même que les aspects environnementaux qui régissent dans
une large mesure, la durabilité des ressources sans laquelle la vulnérabilité des acteurs
prendrait des proportions inquiétantes. Il est également admis que la réalisation d’un
objectif de durabilité dépend aussi de l’acquisition de nouvelles connaissances par le biais
de la recherche et de l’utilisation de ces connaissances en appui aux politiques nationales
qui, elles-mêmes, doivent prendre en compte les intérêts des acteurs de la pêche. Par
manque de moyens financiers, les pays de la région disposant d’institutions de recherche
fonctionnelles sont rares. Dans bien des cas, ces dernières ne doivent leur survie que
grâce à la coopération internationale, ce qui constitue un obstacle à la durabilité.
Les liens entre les communautés de pêche artisanale, les politiques qui influencent leurs
moyens d’existence et la recherche sont faibles. Cette faiblesse marginalise aussi bien la
politique que la recherche et ne leur permet pas de répondre aux besoins des
communautés. C’est dans ce contexte qu’un atelier a été organisé à l’attention des pays
membres de la Commission Sous Régionale des Pêches (CSRP), par l’Unité de Support
pour les Pêches et la Recherche Aquatique Internationale (SIFAR) sur financement du
Programme pour des Moyens d’Existence Durables dans la Pêche en Afrique de l’Ouest
(PMEDP), en novembre 1999, à Dakar, Sénégal. Cet atelier a porté sur l’amélioration des
liens entre la recherche, la politique et les usagers. La deuxième session du Comité
Directeur du PMEDP, réunie en février 2001 à Cotonou, Bénin, a recommandé que les
futures activités du PMEDP prennent en compte les conclusions de l’atelier de Dakar
pour les intégrer dans le plan de travail de l’Unité de Support Régional (USR) du
PMEDP. Cet atelier a reconnu les articulations qui doivent exister entre la recherche, les
acteurs et les politiques publiques. Il a abouti à l’élaboration d’une ébauche de projet de
recherche dont l’objectif principal est de maximiser la participation des membres des
communautés de pêche, notamment les plus pauvres, dans le développement des
politiques qui influent sur leurs moyens d’existence, et dans la définition des
connaissances nécessaires à l’élaboration de ces politiques. Cela va dans le même sens
que le résultat 2 du cadre logique du PMEDP qui met l’accent sur l’amélioration de la
capacité des communautés à et de leurs partenaires participer à la planification et à la
gestion des pêches, à travers le développement d’un cadre institutionnel participatif
approprié favorisant la cogestion communautaire (résultat 3 du PMEDP).
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 107
Depuis le démarrage du PMEDP, des efforts considérables ont été déployés par l’USR et
les Unités de Coordination Nationales (UCN) du PMEDP pour le renforcement des
capacités en vue d’une meilleure participation des acteurs dans la planification et la
gestion, à travers des diagnostics participatifs s’appuyant sur la Méthode Accélérée de
Recherche Participative (MARP) et l’Approche pour des Moyens d’Existence Durables
(AMED). Ces diagnostics ont permis l’élaboration de plans d’action communautaires et
l’identification de petits projets. Certains petits projets identifiés sont des initiatives de
recherche à caractère participatif où les acteurs seront associés à la collecte de
l’information et à la définition des thèmes de recherche qui tiennent compte de leurs
préoccupations. C’est dans ce contexte que les études suivantes vont être menées :
- Appui à la gestion de la pêcherie du crabe des lagunes (Calinectes amnicola) en
lagune Aby
Ce projet a été formulé pour permettre aux pêcheurs de crabes et aux administrateurs des
pêches de disposer de données biologiques, économiques et sociologiques. Le projet
aboutira à la création d’un réseau de pêcheurs-repères de crabe autour de la lagune Aby et
à la formulation des mesures de gestion durable de la ressource. Ceux-ci participeront à la
collecte des statistiques de production, de données biologiques et socio-économiques.
- Evaluation de l’impact écologique et socio-économique des sennes de plage sur les
moyens d’existence des membres des communautés de pêche.
A la demande du Bénin, du Togo et du Ghana, le PMEDP a financé une étude pour faire
le point des connaissances disponibles sur la pêche à la senne de plage. L’étude a permis
de collecter les données de base sur la pêche artisanale dans chaque pays, ce qui a permis
de mener une analyse des moyens d’existence des communautés de pêche impliquées
dans la pratique de la senne de plage. Elle a confirmé et souligné l’important rôle que
joue cet engin dans la réalisation des moyens d’existence des communautés tout en
reconnaissant les dégâts qu’occasionne sur la ressource, l’exploitation intensive de la
fraction juvénile des stocks due à l’emploi de filets à petites mailles. L’une des voies
salutaires qui semble s’ouvrir aux acteurs de cette filière serait l’instauration des pratiques
responsables (augmentation du maillage, réduction de l’effort de pêche, développement
des activités alternatives), dans un contexte de cogestion. L’étude a recommandé de
conduire avec la participation active des communautés bénéficiaires pour une durée de 18
mois, un suivi biologique et socio-économique des sennes de plage basé sur les points
d’entrée identifiés par l’analyse des moyens d’existence réalisée dans les trois pays. Il est
attendu que ces investigations donneront l’occasion de disposer d’éléments pertinents
pour l’élaboration d’un plan d’aménagement à base communautaire réglementant
l’utilisation de la senne de plage. Les dispositions sont en train d’être prises par le
PMEDP pour le démarrage des travaux.
Contribution actuelle et potentielle de la recherché à l’amélioration des moyens
d’existence des communautés de pêche
A travers cette étude on cherchera à élucider des points d’ombre par rapport à certaines
préoccupations des communautés d’une part et par rapport au type d’informations
requises par les décideurs d’autre part. Ces interrogations visent la durabilité, domaine
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 108
dans lequel la recherche peut apporter beaucoup de solutions. Or, la recherche reste
fortement marginalisée. Afin de briser cet isolement par rapport aux deux entités que sont
administration et communautés, et lui permettre de jouer pleinement son rôle de
catalyseur dans le développement, la planification et l’aménagement des pêches
artisanales, il est nécessaire de conduire une évaluation de sa contribution passée dans le
processus décisionnel en matière de gestion des ressources et de lutte contre la pauvreté
au sein des communautés de pêche artisanale. Ceci devra déboucher sur l’identification
des actions à mener et proposer des procédures pour une meilleure prise en compte de la
recherche dans la définition des politiques de pêche. Ce travail sera confié aux institutions
de recherche et à d’autres organismes de développement de certains pays de la région
(Sénégal, Guinée, Mauritanie, Nigeria, Cameroun, Mali). Le PMEDP supervisera
l’ensemble des travaux, apportera un appui technique et organisera l’atelier de restitution
et de validation des résultats de l’étude qui comprendra les activités suivantes :
1. Evaluer le potentiel disponible en matière de recherche, son évolution au cours des
dernières années et son apport éventuel à l’AMED ;
2. Etudier l’impact des politiques, institutions et processus (PIP) en matière de recherche
sur les moyens d’existence des communautés de pêche, en utilisant la méthodologie
développée par le PMEDP, et en mettant l’accent sur la participation des acteurs dans
la prise de décision, y compris les mécanismes de gestion ;
3. Analyser les liens qui existent entre la recherche halieutique, les politiques publiques,
les communautés et les autres institutions qui mènent des recherches en sciences
sociales (centres de recherche, ONG, universités, etc.);
4. Evaluer la contribution de la recherche, dans le processus décisionnel relatif à
l’aménagement des pêches et à l’amélioration des moyens d’existence des
communautés de pêche;
5. Sur la base des résultats des travaux conduits dans chaque pays étudié, élaborer un (ou
des) petit(s) projet(s) sur le renforcement de la contribution de la recherche dans la
lutte contre la pauvreté dans les communautés de pêche artisanale.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 109
Construction et mise à disposition par la recherche d’un savoir
commun : enjeux et application au secteur des pêches guinéen
Jean Le Fur, Alkaly Doumbouya, Moussa Diallo, Youssouf Camara et
François Domain (IRD, CNSHB, Guinée)
Place de l’information dans le développement des pêches
La disponibilité d’information apparaît aujourd’hui comme une clé essentielle de la prise
de décision et de l’action (Stephenson et Lane, 1995, Rivard et Talbot, 1999). Ainsi
l’information, qui peut être perçue comme une ressource, joue a priori un rôle important
pour le bon fonctionnement d’un secteur productif tel que le secteur des pêches guinéen,.
Le centre de recherche de Boussoura2 s’est intéressé à ce problème et a cherché à y
apporter quelques réponses. Les questions que soulève la problématique de l’information
sont multiples ; elles concernent par exemple :
- La qualité de l’information disponible qui conditionne étroitement la qualité des
décisions qu’elle permet ;
- Les modes d’accès à l’information pour lesquels, par exemple, les acteurs ne sont pas
égaux selon qu’ils disposent ou non, de radio, TV, téléphone, journaux, qu’ils peuvent
lire ou non dans une langue ou dans une autre, qu’ils disposent ou non du niveau
d’éducation nécessaire à la compréhension d’une information donnée, etc. ;
- Les modalités de circulation de l’information ; circulation formelle et informelle,
officielle et officieuse, ponctuelle ou régulière, etc. ;
- La formation de groupes plus ou moins distincts entre producteurs et détenteurs
d’information ou entre destinataires et utilisateurs d’information ;
- L’existence d’écarts entre l’offre et la demande d’information, etc.
Nature des problèmes liés à la circulation de l’information
Présentée ici à titre d’illustration, une enquête a été réalisée du 06/06/00 au 09/07/00 sur
la circulation de l’information au sein et entre les structures du département des pêches en
Guinée. Le choix des personnes à interroger s’est effectué sur la base de l’organigramme
de l’administration centrale des pêches. Du fait d’une forte concentration de l’information
au niveau des chefs de services et départements, constatée lors des premiers entretiens, le
questionnaire d’enquête a été principalement soumis à ces derniers. Au total 34 personnes
dans 32 services ont été interrogées. Au cours de l’enquête, les personnes interrogées ont
notamment eu à préciser les types d’informations qu’elles détenaient sur le secteur et à
exprimer leurs besoins en information.
S’agissant d’une enquête aux dires d’experts, les résultats obtenus sont très incomplets et
ne produisent pas une image exhaustive de l’information disponible et de sa circulation.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 110
Ils fournissent cependant une indication sur la circulation de l’information, telle qu’elle
était à l’époque de l’enquête.
On observe de grandes disparités au sein des services en termes d’information détenue et
dans le détail, certaines incohérences dans les modalités de circulation telles que par
exemple :
- Des services fournisseurs d’information très sollicités sont peu dotés (ou diffusent
mal) l’information qu’ils détiennent ;
- Certains services produisent et consomment de l’information en interne sans la
diffuser ;
- D’autres services déclarent disposer de beaucoup d’information mais ne sont pas
sollicités ;
- Des services très dépendants d’un autre en terme d’information ne sont, dans la
pratique quotidienne, pratiquement pas en relation ;
- Certains services a priori très liés n’échangent pas d’information ;
- La plupart des personnes qui expriment des besoins en information non disponible au
sein du département des pêches ne savent pas où acquérir cette information ;
- On notera aussi que certains services au sein de ces structures ne sont pas concernés
par la circulation d’information et déclarent ne pas avoir de besoin dans ce domaine.
En ce qui concerne les informations détenues par chaque institution, le résultat présenté
reflète la perception qu’ont les acteurs de l’information qu’ils détiennent et non pas
l’information réellement détenue. Ce point indique que le principal problème vis à vis de
la circulation de l’information n’est pas tant la disponibilité de l’information que la
connaissance par chacun de l’existence de cette information. Ce point est particulièrement
accentué dans l’administration des pêches en Guinée. En effet, lors de l’enquête, il est
apparu que nombre des personnes interrogées avaient des difficultés à préciser le rôle et
les attributions du service au sein duquel ils étaient employés.
Finalement, l’étude réalisée traduit la circulation formelle de l’information telle qu’elle
apparaît au sein de l’administration des pêches. La pratique montre en fait que ce circuit
déséquilibré ne constitue qu’une faible partie de la réalité : une quantité, a priori
conséquente, d’information circulerait à travers un réseau de relations personnelles,
beaucoup plus efficace, dans et hors de l’administration des pêches. Ce circuit apparaît
difficile à appréhender par des enquêtes standard, il semble cependant que la nature de
l’information (officielle, officieuse) ne serait pas la même dans les deux circuits.
Si l’on constate une situation à améliorer au sein d’une structure telle que le département
des pêches, les problèmes existent aussi à l’échelle générale du secteur. Sur ce vaste
domaine, la question de l’information soulève divers enjeux.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 111
Enjeux liés à la circulation de l’information
Exemple 1 : le déficit d’information peut conduire les acteurs à des actions
inappropriées : des modifications écologiques liées à la construction d’un barrage ont
conduit à la recrudescence de lamantins (mammifères, siréniens) dans certaines zones à
mangrove. Les pêcheurs, ayant déploré des destructions de filet par ces animaux ont
sollicité la recherche pour limiter leur présence, invoquant la compétition avec ces
mammifères pour la ressource halieutique. Or les siréniens sont des organismes
principalement herbivores, rarement omnivores et donc rarement piscivores. La seule
mise à disposition de cette information permet de replacer le problème dans une
perspective plus réaliste. Pour des questions de cet ordre, dont certaines peuvent être plus
lourdes de conséquences, la diffusion des connaissances de la recherche peut contribuer à
l’exploitation plus judicieuse d’un écosystème marin complexe.
Plus généralement, l’échange d’information peut contribuer à améliorer les activités de
l’une et l’autre partie : par exemple la fourniture de carte des reliefs sous-marins, de la
structure et la composition des fonds marins par la recherche peut être utile aux pêcheurs
dans la découverte de nouvelles zones de pêche. Inversement les connaissances des
opérateurs peuvent être profitables à la recherche : des enquêtes réalisées récemment sur
le savoir écologique des pêcheurs ont montré que dans certains domaines (zones de ponte
et de nourriceries) les pêcheurs, par leur pratique quotidienne, disposent de connaissances
précises utiles à la recherche et pour lesquelles les moyens à mettre en œuvre pour les
obtenir scientifiquement seraient longs et coûteux.
Exemple 2 : l’accès inégal à l’information crée des asymétries dans les rapports de force
entre catégories d’acteurs : pour la résolution des conflits pour les zones de pêche (dans
lesquels les principaux acteurs sont les pêches artisanale et industrielle, la surveillance
des pêches, l’étage décisionnel), les activités de lobbying réalisées par certains groupes
créent des déséquilibres et empêchent la négociation. La mise en place de plate-formes
d’information commune à tous les acteurs peut ici contribuer à des débats équilibrés, et
favoriser la découverte de solutions consensuelles vis à vis des problèmes qui concernent
plusieurs types d’acteurs71.
Exemple 3 : l’absence de circuit de transmission provoque des dysfonctionnements dans
la gestion : récemment, lors d’une enquête72 conduite par le CNSHB, la direction des
pêches maritimes a regretté l’absence d’indications de la part de la recherche sur les zones
de frayère alors qu’au cours de la même enquête, le Cerescor73 signalait la non utilisation
par l’étage décisionnel des résultats de recherche sur les zones de nourriceries et la
reproduction des poissons.
71
On doit ici nuancer les attendus d’une telle approche : la réduction du déséquilibre d’information peut
déplacer les points de conflits entre groupes sur d’autres problèmes auparavant non connus. Il semble
cependant raisonnable de supposer que la réduction de l’asymétrie d’information peut, a minima, favoriser
les débats qui, pour la résolution de certains problèmes actuels, n’ont pas lieu.
72
Enquête sur la contribution de la recherche aux moyens d’existence durable des communautés de pêche
artisanale maritime en Guinée. Projet régional PMEDP.
73
Cerescor : Centre de Recherche Scientifique de Conakry-Rogbané.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 112
Il apparaît ainsi que chaque groupe d’acteur (administration, recherche, pêche, commerce,
investisseurs, ONG, bailleurs de fonds, etc.) dispose d’informations dont certaines
peuvent être utiles au développement d’autres groupes. Accentuer la circulation
d’information entre groupes d’acteurs devrait permettre d’obtenir une amélioration
simultanée des connaissances de chacun, de mieux articuler les activités, de mettre à
disposition une base commune d’information utile à la négociation.
Il s'agit donc d'améliorer les liens entre les acteurs en construisant (i) un savoir commun
disponible à tous et rassemblant les connaissances de tous, ainsi que (ii) les structures
pour les communiquer et les restituer aux opérateurs et aux gestionnaires.
Dans le concert des acteurs gravitant dans le secteur, la recherche semble disposer
d’atouts décisifs pour réaliser cet objectif :
1. La rigueur qui permet d’assurer la fourniture d’une information de qualité ;
2. Le désintéressement qui lui permet de se positionner comme médiateur impartial ;
3. La pluridisciplinarité qui lui permet d’aborder de façon identique la multiplicité des
groupes d’acteurs et des domaines d’activité ;
L’enjeu ici n’est pas de diffuser seulement les connaissances de la recherche mais toutes
les informations mises à disposition par les différentes parties prenantes dans le secteur et
dont la recherche ne constitue qu’un élément.
Contraintes méthodologiques
La réalisation d’une plate-forme commune d’information soulève plusieurs contraintes
d’ordre méthodologique :
1. Dans une perspective intégrée du développement durable, toutes les composantes du
secteur doivent être prises en compte. Il est alors nécessaire de pouvoir traiter de
façon équivalente toute information, quelle que soit sa nature. Cela implique une
représentation de l’ensemble du secteur sous une forme qui permette d’intégrer
n’importe quelle information sans remise en cause de l’outil utilisé ;
2. Il est nécessaire de tenir compte des perceptions et des objectifs des différents
acteurs : à la diversité des acteurs impliqués correspond en effet une diversité
équivalente des perceptions ; perception du secteur, de ses caractéristiques, de ses
domaines d’intérêt. Par exemple, selon les acteurs, un poisson pourra être considéré
comme une espèce, une ressource, une capture ou un produit. Certains mettront
l’accent sur l’usage des ressources, d’autres sur les aspects culturels, sur les
contraintes environnementales, etc. Construire une plate-forme commune
d’information suppose de tenir compte de ces différentes perceptions, toutes légitimes
et concomitantes ;
3. Compte tenu des différences d’accès à l’information selon les acteurs, il est nécessaire
de concevoir des modalités d’accès diversifiées à l’information et donc des formes de
restitution adaptées aux différents types d’utilisateurs potentiels.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 113
Tentative d’application au secteur des pêches guinéen
Un projet en cours de développement74 au CNSHB vise à développer des outils
permettant d’aller dans ce sens. La mise en place d’un flux d’information alimenté en
continu et géré par la recherche constitue la finalité de cette démarche.
L’outil prend la forme d’un centre d’informations sur les pêches en Guinée ; il s’agit d’un
outil de stockage et de restitution d’information avec un cahier des charges axé sur la
simplicité pour assurer la polyvalence, ainsi que sur la possibilité d’évolution et de
maintenance.
L’information y est définie, de la façon la plus générale possible, comme : « un ensemble
de données codées fournissant un renseignement sur le domaine ». Hors de cette
définition, on cherche à ce qu’aucune contrainte n’existe sur la nature ou la forme de
l’information. La personne qui propose une information n’est pratiquement tenue d’en
préciser que la source et le renseignement qu’elle fournit. La référence à la notion de
codage fournit la passerelle nécessaire à la formalisation technique (domaine, date et
lieux, constituants concernés) des outils de stockage et de représentation.
L’outil est ainsi conçu pour que tout acteur, même hors de la recherche, ait la possibilité
de soumettre une information qu’il souhaite rendre disponible. Le processus d’intégration
de l’information est construit et amélioré au sein du centre de recherche qui a la charge de
la gestion de la base d’information.
Les informations sont stockées les unes à la suite des autres selon leur ordre d’arrivée
sous la forme d’une base de données manipulable. Les données peuvent être ensuite
restituées à la demande et selon diverses modalités. Les techniques informatiques sont ici
mises à contribution pour pouvoir rechercher des informations selon divers critères.
Les informations qui s’accumulent dans le centre d’informations sont conçues pour
pouvoir être restituées sous différentes formes. Actuellement les supports en cours
d’élaboration sont des documents papiers qui peuvent prendre la forme de notes
d’informations avec listes de diffusion, des posters didactiques présentés dans le cadre
d’expositions itinérantes sur le terrain (débarcadères, marchés, administrations,...), des
bulletins radiodiffusés et une plate-forme Internet permettant de faire connaître le secteur
des pêches guinéen.
Selon les contextes et les besoins, les informations à diffuser peuvent être sélectionnées à
partir de la base d’information par un comité pluri-sectoriel (pêche artisanale et
industrielle, commerce, administration, recherche) en cours de constitution.
74
Projet « centre d’informations (CI) sur les pêches en Guinée » : partenariat CNSHB-IRD, financement
Coopération Française (FAC/92/CD/98/GUI) et Commission Européenne (projet « pêche écologique en
Guinée, convention CE B7-6200/99/03/DEV/ENV) sur une requête du Ministère des Pêches et de
l’Aquaculture en Guinée (chantier n°1, système d’information).
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 114
Conclusion
L’approche présentée met en place un processus permettant la mise en circulation d’un
flux d’information de type « acteurs -> recherche -> acteurs »; la recherche jouant ici le
rôle de gestionnaire, intégrateur puis diffuseur de l’information. On ne construit pas
d’information, on la révèle et la rend disponible au plus grand nombre.
Ce projet est en cours de mise en place mais n’a pas encore reçu de validation par les
opérateurs. Dans le cours de son déroulement, plusieurs contraintes ont été relevées et des
objectifs ont été établis dont les deux principaux sont:
- Renforcer les compétences de la recherche (rigueur, méthode, etc.) pour avoir une
information de qualité et pouvoir en faire une appréciation fiable et objective ;
- Etablir des relations bidirectionnelles entre recherche et opérateurs pour parvenir à un
domaine élargi de connaissances mutuelles (transmettre ce que l’on sait, connaître ce
qu’ils savent).
Théoriquement idéale, cette approche peut cependant soulever de nouveaux problèmes.
Le plus immédiat est le pouvoir et les pressions qu’est susceptible d’avoir à supporter
l’institution qui concentre et maîtrise ainsi l’information disponible. Dans le cadre
particulier de cette problématique, l’impartialité de la recherche reste alors une condition
essentielle d’un progrès pour le secteur.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 115
Gouvernance et options de politique publique des aires marines
protégées : concilier conservation des ressources et développement
économique et social
Jean-yves Weigel, Pierre Failler, François Féral et Jean Worms (IRD, Sénégal,
Université de Portsmouth, Royaume-Uni, Université de Perpignan, France et PNBA,
Mauritanie)
Justification et présentation
En matière d’exploitation des ressources halieutiques, l’Afrique de l’Ouest ne fait pas
exception : ici comme ailleurs, les écosystèmes marins subissent une forte pression
halieutique que l’on peut attribuer à l’appel pressant des marchés, à une démographie non
maîtrisée des populations de pêcheurs et côtières, à la mise en œuvre de politiques
publiques ayant conduit à une augmentation continue de l’effort de pêche. Les nombreux
indices ou constats de surexploitation des ressources halieutiques marines ont pu amener
les responsables ouest-africains à introduire des mesures de gestion en référence au
corpus théorique et méthodologique standard de l’aménagement des pêches : mises en
défens d’aires protégées, définition de TAC (total de prises admissibles), allocation de
QIT (quotas individuels transférables) en référence à une modélisation bio-économique
des stocks de poisson et de l’effort de pêche. Or, à l’image de la mise en défens d’aires
marines protégées, les nombreux échecs des mesures d’aménagement conventionnel
conduisent à un élargissement de la problématique de l’aménagement des pêches. Sous
l’emprise également du principe de précaution, les objectifs de préservation des stocks et
d’efficacité économique cèdent progressivement le pas à l’objectif de préservation des
écosystèmes dans le cadre élargi du développement durable qui assurerait croissance
économique, amélioration des conditions de vie des populations concernées, équité
sociale.
Sous l’influence d’une pensée hétérodoxe à la confluence de plusieurs courants de
pensée, ce changement d’objectifs implique une réorientation de la recherche se
traduisant par l’émergence de la notion de gouvernance qui met l’accent sur la dynamique
institutionnelle. Cette réorientation nécessite un élargissement d’une part des référents
théoriques et disciplinaires, d’autre part du champ d’investigations de manière à sortir
l’halieutique de son confinement. Dans cette perspective, une relecture des aires
protégées marines et côtières qui concilie conservation des ressources et développement
économique et social est devenu un des thèmes clefs dans le monde de l’halieutique.
L’opportunité d’une telle relecture est offerte par la Direction générale de la Recherche de
la Commission européenne qui a confié à un consortium d’institutions de recherche la
responsabilité d’un programme axé sur la gouvernance des aires protégées marines en
Afrique de l’Ouest et la définition d’options de politique publique. Ce programme intitulé
«cohérence des politiques de conservation et de développement des aires protégées
marines et côtières en Afrique de l’Ouest» (CONSDEV) associe l’IRD au Centre for
Economics and Management of Aquatic Resources (CEMARE) de l’Université de
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 116
Portsmouth (Royaume-Uni), au Centre d’Analyse Politique (CAP) de l’Université de
Perpignan, au Parc National du Banc d’Arguin (Mauritanie), à la Direction des Parcs
Nationaux du Sénégal et à l’UICN (Guinée-Bissau). Trois aires protégées marines et
côtières majeures d’Afrique de l’Ouest ont été retenues comme champ d’investigation :
- La Réserve de Biosphère de l’Archipel Bolama Bijagos (Guinée-Bissau), dont la
gestion est confiée à l’UICN et qui englobe plus de 80 îles dont 20 habitées, est
particulièrement riche en ce qui concerne la faune marine (raies et requins, tortues et
lamantins, mammifères marins, etc.) et abrite une population d’environ 25000
habitants, composée de Bijagos et d’immigrants plus récents qui ont deux approches
différentes de la gestion des ressources naturelles renouvelables ;
- Le Parc National du Banc d’Arguin, qui est une des plus anciennes aires marines
protégées ouest-africaine, a été crée pour gérer 12000 km2 présentant une interface
remarquable désert-océan. Le PNBA abrite une biodiversité marine et littorale très
importante (notamment en ce qui concerne la faune marine et les oiseaux) grâce en
particulier à l’importance de ses vasières. Une population permanente d'environ 1500
personnes, répartie dans neuf villages côtiers, pratique la pêche et le pastoralisme ;
-
La Réserve de Biosphère du Delta du Saloum, qui couvre une superficie marine et
continentale de 180000 hectares, supporte une pression anthropique attribuable pour
l’essentiel à l’augmentation de la densité de la population (200000 habitants répartis
dans 150 villages) et une gestion chaotique contribuant à expliquer la forte
dégradation de l’environnement naturel.
Focalisé sur la gouvernance comprise non seulement comme l’organisation des rapports
de pouvoir en termes politiques, institutionnels et juridiques, mais également comme un
processus interactif de légitimation des décisions, ce programme de recherche rassemble
des compétences disciplinaires de sciences sociales (économie des ressources
renouvelables et économie institutionnelle, science politique et droit public,
anthropologie sociale et juridique, géographie et géomatique, histoire et démographie) et
de sciences naturelles (biologie des pêches, écologie). Il a un double objectif : la
définition d’un cadre conceptuel et analytique de la gouvernance d’aires protégées
marines et côtières à partir de l’exemple ouest-africain, la définition d’options de
politique publique applicables à ces aires et l’analyse des conditions de leur applicabilité
en dehors de leur périmètre. Ce programme est organisé en six axes.
Le rôle des aires protégées marines et côtières comme vecteur de conservation des
ressources renouvelables
C’est l’objet du premier axe de recherche. Alimenté par des contributions d’historiens
africains (Université de Dakar, Université de Nouakchott, INEP de Guinée-Bissau) et
d’une anthropologue du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, cet axe s’attachera en
priorité à analyser l’état du processus de construction des aires protégées marines et
côtières concernées en objet patrimonial et identitaire grâce d’une part à une présentation
de l’histoire et de l’évolution du peuplement et d’autre part à un inventaire et à une
représentation des savoirs naturalistes. Mais cet axe s’attachera également à une
évaluation de l’état des ressources naturelles renouvelables au regard de leur exploitation
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 117
à la fois dans les aires protégées marines et côtières et à leur périphérie, évaluation
permise par les contributions de bio-écologistes. L’exploitation des ressources tant
marines (sélaciens, poissons de fond, petits pélagiques, mammifères marins, tortues,
autres) que terrestres (mangroves, pâturages, élevage, etc.), fera l’objet d’une analyse
s’appuyant sur la dynamique des populations animales et du couvert végétal en fonction
des pressions anthropiques et des contraintes naturelles qui pèsent sur le milieu. Les
résultats de ce travail devraient permettre d’estimer les niveaux d’exploitation des
ressources naturelles en fonction de leur capacité de support et de mettre en exergue, sur
des bases comparatives, la spécificité des aires protégées en matière d’exploitation. Enfin
cet axe s’attachera à analyser la contribution biologique et écologique de ces aires
protégées à l’environnement marin et côtier. D’une part en recueillant des données
générales concernant des résultats des recherches passées, d’autre part en appliquant les
modèles Ecopath et Ecospace susceptibles d’aider à répondre à cette question grâce à une
collaboration avec l’équipe de recherche Sea around us de l’Université de Colombie
Britannique (Canada).
Les dynamiques d’exploitation et de valorisation des ressources renouvelables
Un deuxième axe de recherche se focalisera sur les dynamiques d’exploitation et de
valorisation des ressources renouvelables des aires protégées concernées de manière à
confirmer leurs réponses à la marchandisation croissante des ressources naturelles
renouvelables. A ce titre cet axe rassemblera des compétences principalement en
économie, démographie et anthropologie sociale.
Dans un premier temps, l’effort de recherche s’attachera à caractériser la structure et
l’évolution des économies des aires protégées marines et côtières afin de faire ressortir
leurs caractéristiques ou leurs similitudes vis-à-vis des économies adjacentes ainsi que
l’importance des ressources disponibles dans les limites des aires protégées tant sur le
plan marchand que sur celui de l’autoconsommation. Cet effort permettra également
d’évaluer le niveau d’intégration aux marchés locaux et internationaux. Dans un
deuxième temps, ce programme de travail portera sur la dynamique démographique de
ces aires protégées à partir des caractéristiques de la structure et de la répartition spatiale
des populations et des flux migratoires de manière à mesurer leur capacité d’attraction et
à questionner leur spécificité démographique. Dans un troisième temps, l’effort de
recherche se focalisera sur la dynamique des systèmes d’exploitation pour mettre en
évidence dans quelle mesure et comment le statut d’aire protégée modifie la rationalité
économique face aux risques et incertitudes liées à l’exploitation des ressources naturelles
renouvelables. Pour ce faire, l’accent sera mis tout d’abord sur l’inventaire des modalités
d’exploitation des ressources naturelles renouvelables en particulier sur les pratiques
traditionnelles, puis seront étudiées les modalités de mobilisation des facteurs de
production et les contraintes de cette mobilisation liées au statut d’aires protégées, enfin
sur les effets de ces contraintes quant à la rentabilité des unités économiques. Dans un
quatrième temps, ce programme de travail analysera les dynamiques de valorisation des
ressources naturelles renouvelables des aires protégées pour saisir les modalités
particulières de réponse à la demande extérieure et à la mondialisation des marchés que
les résidents des aires marines protégées initient. Tout d’abord en inventoriant les
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 118
modalités de valorisation des ressources naturelles renouvelables, puis en étudiant
l’organisation des filières sectorielles et leurs interconnexions de manière à mettre en
exergue les segments stratégiques, les instruments de maîtrise des filières, les
conséquences en matière d’équité sociale.
Les modes de régulation de l’accès aux espaces et ressources renouvelables
Un troisième axe de recherche concernera l’analyse des modes de régulation de l’accès
aux ressources naturelles renouvelables et aux espaces, de manière à saisir la spécificité
des aires protégées concernées et à formuler des éléments d’une gestion patrimoniale des
ressources et des espaces dont la légitimation par les acteurs sociaux concernés (résidents
et habitants de la périphérie) est particulièrement importante pour la gouvernance des
aires protégées. Les espaces seront appréhendés dans leur multifonctionnalité, c’est à dire
en prenant en compte toutes les formes d’utilisation (pêche, agriculture et élevage,
pastoralisme, foresterie, chasse, etc.), et l’échelle de régulation retenue sera l’organe
décisionnel local (unité économique de base, communauté, village). Cet axe sollicitera
essentiellement juristes, géographes, anthropologues, sociologues et économistes.
La première étape de cette recherche s’attachera à l’étude des stratégies respectives des
acteurs sociaux des aires protégées marines et côtières et à la réalité des pouvoirs établis
afin de décrypter les rouages et les pôles de décision locaux agissant d’une façon directe
ou indirecte sur l’usage des ressources naturelles renouvelables et de l’environnement.
L’accent sera mis sur la marge de manœuvre concédée aux acteurs locaux qui va
conditionner la capacité de responsabilisation des usagers des ressources naturelles
renouvelables dans ces aires particulières et donc leur avenir. La deuxième étape
s’orientera sur l’étude des systèmes de droits en présence en prenant en compte la
pluralité des droits existants. L’identification de l’ensemble des sources de normes et de
règles aboutira à intégrer à la fois les droits traditionnels, les droits issus des pratiques
locales, les interprétations judiciaires, le droit législatif et réglementaire. Une troisième
étape appréhendera les logiques de territorialisation des espaces situés dans les aires
protégées, en étudiant les dynamiques foncières et en rapport avec l’organisation politique
effective ; à cet effet seront mis en exergue les effets de la décentralisation ou de la
concentration des pouvoirs.
La cohérence des politiques publiques
Un quatrième axe s’attachera à analyser le degré de cohérence des politiques publiques
relatives aux aires protégées marines et côtières et plus particulièrement l’articulation
entre les trois objectifs de développement durable (conservation des ressources,
développement économique et social, équité) de manière à formuler par la suite des
options de politique publique adéquates. Jusqu’alors principalement limitées au seul
objectif de conservation, les politiques publiques se trouvent aujourd’hui écartelées entre
ces trois pôles et tentent par des mécanismes de délégation de responsabilité et d’autorité
d’impliquer les acteurs sociaux et économiques. L’échelle d’analyse retenue sera donc les
organes décisionnels des Etats. Cet axe rassemblera des compétences principalement en
science politique et droit public. En premier lieu, le travail de recherche se focalisera sur
l’examen de la façon dont les États bissau-guinéen, mauritanien et sénégalais se sont
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 119
approprié le concept composite de développement durable et l’ont traduit en termes
concrets de politique publique appliquée aux aires protégées en se positionnant vis à vis
des normes internationales. En deuxième lieu, l’étude de la politique des Etats comme
élément charnière entre les volontés internationales et des desiderata nationaux propres
mettra en lumière les contraintes auxquelles est soumis l’exercice de la politique
publique, contraintes qui sont de nature à modifier considérablement les objectifs de
développement durable affichés par les politiques nationales.
En troisième lieu, l’analyse des mécanismes de prise de décision et de transmission des
décisions permettra la compréhension des rouages décisionnels avec la mise en exergue
des canaux formels et informels de transmission des décisions publiques. L’accent sera
mis sur les supports à la prise de décision et notamment l’information, sur les modalités
de la transmission de ces décisions, sur leur effectivité ainsi que sur leur application
réelle. En quatrième lieu, les efforts de recherche porteront sur la traduction dans les faits
de la décentralisation des pouvoirs, sur les modalités de transcription de la
décentralisation au niveau juridique et institutionnel, enfin sur les modalités
d’appropriation de cette subsidiarité par les régions et les collectivités locales.
Le cadre conceptuel et analytique de la gouvernance
C’est l’objet du cinquième axe de recherche. La définition du concept de gouvernance des
aires protégées marines et côtières nécessite un travail de construction théorique à partir
des référents des différentes disciplines (économie des ressources renouvelables et
économie institutionnelle, science politique et droit public, anthropologie sociale et
juridique, géographie et géomatique, histoire et démographie, biologie des pêches et
écologie) afin de dépasser la définition institutionnelle actuellement admise qui prend en
compte des référents beaucoup plus restreints. L’analyse de la gouvernance des aires
protégées marines et côtières prendra la forme d’une synthèse des travaux réalisés sur le
processus de leur construction en objet patrimonial et identitaire, sur leurs dynamiques
d’exploitation et de valorisation des ressources renouvelables, sur leurs modes de
régulation de l’accès à ces mêmes ressources, sur leurs réponses aux politiques publiques.
Par le choix de l’interdisciplinarité, cette analyse prendra en compte un ensemble de
facteurs déterminants et jusque là peu considérés tels que la pluri-fonctionnalité des
espaces et leur pluri-régulation (étatique et traditionnelle) qui conditionnent les activités
économiques. Cette approche proposera, sous couvert d’un réalisme pragmatique, des
schémas de gouvernance aux aires protégées concernées qui devraient se révéler plus
appropriés pour élaborer des options de politique publique que les approches sectorielle et
unidirectionnelle classiques.
A ce stade de la réflexion, l’association étroite de décideurs publics aura pour double
objectif d’une part de sensibiliser ces derniers à l’approche préconisée, et d’autre part de
prendre en compte leurs remarques et considérations relatives à l’applicabilité d’une telle
méthode globalisante. Les discussions insisteront sur l’intégration dans les schémas
d’application de la gouvernance aux aires protégées marines et côtières du contexte actuel
caractérisé par un désengagement de l’État, par la pénétration chaque jour plus marquée
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 120
des forces du marché international, enfin par la volonté politique de rendre opérationnel
le concept de développement durable.
Les options de politique publique
Le sixième axe s’attachera à la définition d’options de politique publique applicables aux
aires protégées marines et côtières et les conditions de leur applicabilité en dehors de ces
mêmes aires. En effet, la labellisation d’aires marines protégées en « réserve de
biosphère » dans le cadre du programme MAB de l’UNESCO ou en « site du patrimoine
mondial » implique que les enjeux des aires marines protégées ouest-africaines dépassent
le strict cadre national et sont d’ordre mondial : un des enjeux est donc de savoir si les
aires protégées marines et côtières peuvent jouer un rôle catalyseur dans la mise au point
d’options de politique publique appliquées à la gouvernance des ressources naturelles
renouvelables. Cet effort de recherche s’appuiera sur les acquis relatifs au cadre
conceptuel et analytique de la gouvernance des aires concernées.
Dans un premier temps, le choix des options de politique publique se limitera à la gestion
des aires protégées marines et côtières stricto sensu. Il se fera dans un contexte à la fois
de régionalisation de leur gouvernance et de subsidiarité concrétisée par une plus grande
implication des populations résidentes aux prises de décisions. Les options à envisager
requièrent des politiques publiques des Etats concernés non seulement leur insertion dans
un espace plus vaste qui est celui de la région du fait d’interrelations très fortes entre les
trois aires protégées concernées, mais aussi la participation des populations en raison de
la volonté de plus en plus manifeste des populations résidentes de prendre en main leur
propre destinée dans un contexte de démocratisation de la vie publique. Dans un
deuxième temps, la définition d’options de politique publique, transposables aux activités
économiques en périphérie des aires protégées, implique un changement d’échelle des
compétences décisionnelles. Ce deuxième temps de la définition des options de politique
publique nécessitera donc une audience élargie et devra se concentrer sur les modèles de
gestion qui ont fait leur preuve dans les aires protégées et qui peuvent trouver des
réceptacles favorables hors de leurs frontières : l’accent sera mis sur l’analyse
institutionnelle et celle des modes de régulation de l’accès. Dans un troisième temps, un
regard particulier sera porté sur les capacités et potentialités des aires protégées marines
et côtières à constituer des laboratoires d’expérimentation et sur leur exemplarité à
l’échelle mondiale du fait des labels de réserve de biosphère ou de site du patrimoine
mondial. D’un côté, leur cadre relativement contraint limite l’introduction de nouvelles
technologies et des savoir-faire afférents, de l’autre la structure sociale encore
relativement cohérente facilite l’introduction de principes communautaires dans la
gestion d’activités : les aires protégées peuvent en cela se révéler être d’excellents
laboratoires pour mettre au point tant des méthodes de gestion, que des formes
d’exploitation et de valorisation des ressources, ou bien encore des systèmes de
répartition de la plus-value.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 121
La détermination d'espace-ressource comme clef de lecture et d'analyse
pour une gouvernance de l’environnement maritime et côtier
Olivier Barrière (IRD, Sénégal)
Notre intervention a pour objet de présenter un concept qui est le fruit de travaux
effectués sur plusieurs terrains africains qui ne sont pas spécifiquement marins. L’objectif
est de poursuivre la démarche en milieu maritime et côtier en développant l’aspect SIG.
On part du constat que l’espace a souvent un caractère multifonctionnel, c’est à dire qui
recouvre plusieurs objets d’intérêts : différents type de pêche (selon les engins, les
espèces, les zones spécifiques, l’époque), protection d’espèces, de biotope (aire protégée,
mise en réserve…), activités de chasse, agriculture, élevage, foresterie, prélèvement ou
exploitation de coquillage, etc., tourisme. Dans ce cadre, la gestion de cet espace va
nécessiter une approche intégrée qui ne peut se focaliser sur un seul système
d’exploitation mais va prendre en compte l’ensemble des acteurs intervenant sur la zone
du littoral.
Notre réflexion porte sur la recherche de clefs de lecture dans le but de participer à
l’analyse des relations entre les sociétés et leur environnement. L’option d’une approche
éco-géographique et juridique va contribuer à la définition d’unités de paysage qui nous
permettra d’effectuer le passage à la notion d’espace-ressource en transitant par celle de
l’espace foncier. Car en fait, ce qui est en jeu c’est essentiellement la stratégie
comportementale qu’une société doit adopter envers son environnement, contenant de
ressources renouvelables et d’écosystèmes. Cette stratégie va se déterminer comme une
relation entre acteurs autour de centres d’intérêts, face à l’état même du milieu [niveau de
dégradation ou d’évolution régressive, densité de la couverture végétale, qualité des sols,
érosions, biodiversité, etc.]. Le droit intervient à différents niveaux et à différents stades
des processus décisionnels pour réguler la pression sur les ressources, les comportements
sociaux et environnementaux ; il reflète ainsi un rapport au monde qui s’intègre aussi
dans un rapport à l’invisible.
Définition
De l’espace à la ressource, la notion d’espace-ressource
L’existence de plusieurs usages simultanés ou successifs sur un même espace, qui devient
ainsi multifonctionnel, implique que chaque système d'exploitation ou type de
prélèvement se réfère à l'espace lié à la ressource visée. Apparaît ainsi la notion
d'espace/ressource correspondant à la combinaison d'un lieu avec un élément naturel
renouvelable, faisant potentiellement ou effectivement l’objet d’un prélèvement, d’une
exploitation ou d’une protection. Les espaces se chevauchent donc d'autant plus que les
dynamiques naturelles font varier l’abondance et la localisation des ressources selon les
saisons.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 122
L'espace-ressource s’avère une notion essentielle pour appréhender la multifonctionnalité
de l'espace, permettant en outre de considérer l’hétérogénéité et la spatialisation des
ressources, les conséquences des activités humaines sur la structuration de l’espace ainsi
que le fonctionnement des systèmes écologiques.
La définition de l’espace-ressource a pour préalable celle de l’espace foncier, qui est la
traduction sociale d’un milieu naturel, une sorte de parcellisation fonctionnelle en rapport
avec un intérêt donné (par exemple, celui d’exploiter du bois, de pêcher telle ou telle
espèce avec tel engin, de faire pâturer son troupeau ou de cultiver). Cependant, la
fonction sociale d’un espace va dépendre de sa grammaire géomorphologique et de son
état écologique.
Unités de paysage
Unités écologiques
Espaces fonciers
(usage de l’espace)
Ressources
(situées dans l’espace
foncier)
Espaces/Ressources
(identification de l’espace
par rapport à son intérêt)
Figure 5: Des espaces aux ressources, les espaces-ressources
Une lecture fine permet d’aboutir à une classification précise en soulignant le type
d’espace forestier, agraire, cynégétique, pastoral ou halieutique. Chacun des espaces se
définit par les ressources qu’il contient, ce qui donne lieu à une classification
d’espaces/ressources.
La cartographie des espaces/ressources permet de faire ressortir la présence plus ou moins
couvrante de chacun d’eux.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 123
L’objectif de la démarche n’est pas de s’arrêter à la formulation d’une “nomenclature”
mais de partir d’un tel substrat pour dégager les formes de régulations juridiques
participant à une gouvernance de l’environnement. Nous partons ainsi du local ou du
micro-local pour effectuer une analyse plus globale.
Les enjeux de la notion d’espace/ressource
- Une lecture géographique de l’emprise des sociétés sur leur milieu (une approche en
écologie du paysage ) ;
- Une cartographie des espaces territorialisés. On dégage les différentes formes de
territorialités : chaque espace-ressource fait l’objet d’enjeux de pouvoirs entrant dans
une dynamique de stratégie des acteurs. On peut ici faire ressortir les centres de
conflits existants et passés ;
- Une cartographie des différents droits d’accès et de gestion via un mode de lecture
endogène sur lequel se plaque le régime législatif de chaque pays.
La clef de détermination des rapports juridiques aux espaces et aux ressources découle
des pratiques locales. Cette approche relève ici davantage de l’anthropologie juridique
que du droit classique.
La situation de base est celle du droit de passage, du simple accès. Puis, vient le droit de
prélever, de cueillette et de ramassage, la pêche de subsistance. L'emprise sur le milieu
s'accroît avec son exploitation par le droit de pêche commerciale, de culture, de pâture, de
chasse et d'exploiter la forêt sur un espace bien déterminé. Ce droit d'exploiter le milieu
aquatique, la terre et ses ressources renouvelables dépend lui-même du contrôle de l'accès
à ces espaces de production. Celui qui contrôle l'espace décide qui va pouvoir pêcher,
cultiver, pâturer, chasser, exploiter la forêt ou les arbres. Il dispose du droit d'affecter
l'espace en question à quelqu'un, qui peut être soit lui-même, soit quelqu'un d'autre par le
biais de prêt, de location, d'échange, etc. Celui qui dispose du droit d'affecter un espace
maritime ou la terre à quelqu'un dispose donc en retour du droit d'exclure l'accès à
l'exploitation du lieu déterminé. Enfin, certaines institutions interviennent pour orienter le
comportement des acteurs dans un souci de pérenniser les ressources ou les écosystèmes.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 124
Contrôle de l'espace
ESPACE
(Ecosystème)
Droit de passage
Droit exclusif
Droit de gestion intentionnel
Accès à la ressource
RESSOURCE
(Elément biotique)
Droit de prélèvement
Droit d'exploitation
Droit de gestion intentionnel
Appropriation de la ressource
FRUIT/PRODUIT
(Bien)
Droit de disposition
Figure 6: De l'espace à la ressource: les niveaux de relation à la ressource avant son appropriation
On trouve ainsi cinq types de droit vis-à-vis de l'espace ou du milieu :
- Un droit de passage : il correspond à la circulation et au stationnement ; c'est l'usage
d'un espace comme voie d'accès ;
- Un droit de prélèvement d'une ressource naturelle spontanée ou de résidus de récolte
: c'est le droit de ponction réalisée sur le milieu (pêche viatique, cueillette, vaine
pâture, pâture forestière, chasse viatique, affouage, ébranchage, glanage ...) ;
- Un droit d'exploitation correspondant à un faire valoir de la ressource, dont l'objet est
d'en tirer profit au travers d'une production halieutique, agricole, sylvicole, pastorale
ou cynégétique. Il donne lieu à une gestion de la ressource sur un court ou moyen
terme ;
- Un droit d'exclusion permettant le contrôle de l'espace qui conduit à l'exclusion et à
l'affectation de l'accès à la ressource. Il se traduit ainsi par une gestion de sa
régénération sur le long terme ;
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 125
- Un droit de gestion intentionnelle qui consiste à orienter le comportement des
acteurs locaux dans deux sens : celui d'un développement économique et celui d'une
préservation de la capacité de régénération du milieu et de la conservation de la
Acteurs/Institutions
Modes de Régulation
- locaux (autorités traditionnelles,
associations, élus, comités, etc.)
- étrangers
- Etat (ads centrale déconcentrée, services)
- ONG
- etc.
Modes d’accès
- Local : pratiques, représentations,
règles locales, …
- National : régimes droit public/privé,
normes législatives/regl.
Espaces de pouvoirs
- droit de passage
- droit de prélèvement
- droit d’exploitation
- droit d’exclusion
- droit de gestion intentionnelle
Espaces des systèmes juridiques
Espaces de droits
SIG
Couches Espaces-ressources
biodiversité.
Figure 7: Lecture juridique sur les espaces-ressources
Une méthodologie à développer
- Enquêtes et parcours de terrain avec un GPS ;
- Intégration des données
écologique/géographique ;
(points
et
polygones)
sur
un
fond
de
carte
- Base d’un SIG ;
- Bases de données juridiques relationnelles : législation (grille de lecture) et pratiques
(3 questionnaires relevant de 3 échelles – Unité d’exploitation, village, région).
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 126
Le Système d’Information Géographique comme outil d’aide à la
décision des aires marines protégées
Sonia Carrier (Dept of Geography, University of Portsmouth, UK)
Science de l’espace, de sa logique et de son organisation, la géographie le conçoit dans
ses aspects variés et variables, complexes quels qu’en soient l’échelle et le groupement.
Ses méthodes sont les mêmes que celles des disciplines voisines, physiques ou humaines,
qui en étudient les aspects particuliers. Mais, science des différenciations spatiales,
qualitatives et quantitatives, des modes d’organisation et de groupements régionaux, de
leurs inégalités et de leur dynamique, éventuellement de leur aménagement, la géographie
diffère par ses points de vue de toutes les autres sciences.
De conception relativement récente (fin des années soixante dix), le système
d'information géographique (SIG) offre un ensemble simple et exploitable d'outils
analytiques qui fournit aux scientifiques et décideurs publics ou privés l'occasion
d'approfondir l'étude des phénomènes humains et leurs interactions avec les
environnements culturels et physiques. Le GIS est actuellement appliqué pour
représenter, à partir de support informatique, des informations stockées sous la forme de
données spatiales géographiquement référencées et de données sociales, économiques ou
autres pour lesquelles il existe un attribut géo-référencé correspondant. Les données
spatiales se présentent généralement sous la forme de couches, qui peuvent dépeindre la
topographie, la disponibilité de l'eau, les types de sol, les forêts et les prairies, le climat, la
géologie, la population, le régime de propriété, les frontières administratives et les
infrastructures (routes, chemins de fer, électricité ou systèmes de communications).
Dans le cadre du programme de recherche CONSDEV (Cf. Texte de J.-Y. Weigel et al.),
le SIG vient en complément des analyses économiques, sociales et anthropo-juridiques
(Cf. Texte de O. Barrière). Son intérêt réside principalement dans sa capacité à intégrer à
la fois les informations de l’environnement naturel et humain. Il s’agira par exemple de
montrer par juxtaposition de couches d’information la multi-fonctionnalité de l’espace
marin, côtier et terrestre (pâturage pour le Banc d’Arguin et mangroves, forêts et terres
arables pour les réserves de la biosphère du Saloum et des Bijagos). L’utilisation du SIG
aura dès lors comme principal résultat la présentation combinée et juxtaposée de l’usage
des ressources naturelles et des droits qui sont attachés à l’accès aux espaces ainsi qu’à
l’utilisation des ressources qui vont, par exemple, de la simple cueillette en accès libre
à la propriété de l’espace et l’usufruit de l’usage des ressources. La représentation spatiale
sera par ailleurs d’un grand recours pour illustrer les différences de représentations de
l’usage des espaces-ressoures entre le pouvoir central de l’Etat (par le biais des lois) et les
pouvoirs traditionnels qui les précèdent certaines fois mais leurs sont coexistant dans tous
les cas. Enfin, le SIG pourra être très utile pour les représentations de conflits d’usage des
ressources entre différents usagers en montrant les juxtapositions de droits, d’usages
traditionnels et étatiques et dans certains cas leur incompatibilité.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 127
Ecopath, un outil pour l’exploration de scénarios de gestion
Sylvie Guénette, Ibrahima Diallo (Fisheries Centre, University of British Columbia,
Canada ; CNHSB, Guinée)
Le but de la présentation est de montrer comment on peut utiliser le modèle Ecopath pour
l’évaluation de scénarios de gestion de pêche. Nous décrivons d’abord brièvement les
principes de la construction d’un modèle de base avant de parler des possibilités et
options plus avancées d’Ecopath. Le lecteur intéressé pourra se référer à Walters et al.
(1998) et Walters (1997) pour une description plus détaillée.
Le programme Ecopath permet de construire un modèle écosystémique à partir de
groupes fonctionnels, composés d’espèces similaires quant à leur production et leur diète.
Ces compartiments sont reliés entre eux par des liens trophiques ; il est donc nécessaire
de déterminer la proportion que chaque proie (ou groupe fonctionnel) occupe dans la
composition alimentaire d’un prédateur ainsi que la quantité globale de nourriture qui lui
est nécessaire par année. Au minimum, il est nécessaire d’estimer la biomasse des
producteurs primaires et des prédateurs du haut de la chaîne alimentaire pour équilibrer le
modèle. Les biomasses additionnelles pour d’autres groupes permettent de contraindre le
modèle à un plus petit registre de modèles possibles.
La construction d’un modèle d’écosystème a plusieurs avantages. Elle permet
d’assembler les données éparses dans un cadre cohérent. De plus, elle permet d'amorcer la
réflexion sur l’écosystème et d'évaluer l’impact de scénarios de gestion sur celui-ci au
lieu de ne considérer qu'une espèce à la fois. A titre d’exemple, nous présentons ici un
modèle préliminaire de la côte guinéenne construit pendant un atelier de travail à Dakar.
Le modèle, pour l’année 1995, est constitué de 24 compartiments dont 13 représentants
les poissons (Figure 8). Nous avons défini 2 flottilles de pêche, artisanale et industrielle,
auxquelles nous avons attribué les débarquements, captures accessoires, prix aux
débarquements. Il également possible d’ajouter les prix fixes et ceux reliés à l’effort, ce
qui permettrait de calculer le revenu net.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 128
5
T.G.démersaux
Requins
4
G.pélagiques
3
Démersaux moyens (7)
G.Zooplancton
2
Zooplancton
1
Phytoplancton
Oiseaux
Mammifères
G.démersaux
Céphalopodes (2)
Petits pélagiques
Machoirons
Crevettes
Macrobenthos
Mugilidés et fourrages
Macrophytes
Source: Diallo et al. 2001
Figure 8: Modèle préliminaire de Guinée, 1995
Après l’obtention d’un modèle équilibré, l’utilisation d’Ecosim permet de simuler
l’application d’une perturbation, comme une brusque augmentation de la pression de
pêche, pour vérifier la stabilité du modèle. Dans ce cas, notre modèle réagit comme prévu
et les biomasses se rétablissent au niveau de départ, un certain temps après la fin de la
perturbation.
Mais de tous les modèles possibles du point de vue thermodynamique, comment
reconnaître le modèle qui correspond le mieux à la réalité? Une solution est de comparer
l’évolution du modèle avec les données historiques. Pour ce faire, on construit un modèle
pour le début de la période d’observation (ici 1985) couplé avec les séries temporelles de
captures, biomasses et effort. Pour le présent modèle, nous avons utilisé les données de la
FAO qui devront être remplacées, dans une prochaine version, par les données locales,
plus précises. L’évolution des débarquements (Figure 9) au cours de cette période sont
problématiques car elles sont incomplètes et montrent une très forte croissance. Est-ce
que l’accroissement est dû à une amélioration au niveau de la collection des statistiques
et/ou de l’accroissement de l’effort ?
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 129
Millers tonnes
70
Chinchards
Sparidés
Sardinelles
Disques
60
50
40
30
Poissons osseux
20
Ethmalosa
10
0
1980
Machoirons
1985
1990
1995
Figure 9: Les captures 1985
La prochaine étape consistera à comparer les profils d’effort et de capacité pendant cette
période. Ces données sont déjà disponibles au centre de recherche de Boussara. Les séries
temporelles de biomasses pour au moins sept groupes de poissons, disponibles à partir de
1985 (Domain, 1999), ont été comparées avec les résultats du modèle (Figure 10). La
comparaison montre que le modèle nécessite plusieurs modifications. L’emphase devra
être mise sur la définition des groupes fonctionnels ainsi que l’acquisition de données
plus précises sur certains groupes.
Il est réconfortant de constater que les problèmes de notre modèle sont soulignés par
l'utilisation d'Ecosim et la comparaison aux séries temporelles de biomasses. Pour les
besoins de la présentation par contre, les possibilités d’Ecosim/Ecopath seront illustrées à
l’aide d’autres modèles. Le golfe de Thaïlande constitue un exemple réussi de
comparaison avec les séries temporelles de biomasse tirées de campagnes
d'échantillonnages, indépendantes de la pêche. Pendant la période 1973-1992, le modèle
réussit à reproduire la grande majorité des variations de biomasses observées pour chaque
groupe en utilisant exclusivement la pêcherie et les relations trophiques (Christensen
1998).
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 130
2
Bars
Bobo
1.5
Petit capitaine
Grondeurs
1
Machoirons
Capitaine royal
0.5
Disques
0
1985
1990
1995
Figure 10: Séries temporelles
Dans certains écosystèmes par contre, ces deux facteurs ne suffisent pas en raison de
l'influence prépondérante des changements climatiques à moyen terme. Ecosim permet de
forcer ces changements de climat et de leur conséquence sur la production primaire. A
titre d'exemple, l’inclusion de la baisse de production primaire de 40-50% observée au
début des années 1990 dans le Pacifique a permis d’expliquer pourquoi le homard de
French Frigate Shoals n’a pas récupéré après que la pêche ait presque cessé et ce,
beaucoup mieux que la seule relation trophique avec son prédateur le phoque moine (Carl
Walters, UBC, comm. pers.).
Un modèle capable de reproduire le passé est un bon outil pour évaluer les scénarios de
gestion et leurs impacts sur l’écosystème. L’augmentation ou diminution de la mortalité
par la pêche définie pour chaque flottille peut être simulée facilement comme on l’a vu
précédemment et permet d’évaluer les conséquences écologiques et économiques. On
peut également chercher les scénarios de gestion qui nous permettraient d’optimiser les
objectifs économiques, écologiques et sociaux en utilisant la routine d’optimisation. Il
s’agit de définir quelles flottilles devraient partager la même évolution d’effort pour
arriver à une solution optimale. Une éventuelle solution devra tenir compte du poids
relatif donné aux composantes économique, sociale et biologique. Ces impératifs incluent
le nombre d’emplois générés par chacun de secteurs de pêche et l’importance «sociale»
donnée à certaines espèces, comme par exemple, conserver les populations de
mammifères marins. Cette procédure a fait l’objet d’un atelier de travail en juillet 2000.
Le compte-rendu, qui sera publié sous peu ( http://www.fisheries.ubc.ca/Reports/fcrr.htm ), inclut
une description de la méthode et les résultats de l’exploration de l’outil dans plusieurs
écosystèmes.
Les réserves marines sont souvent proposées pour aider à prévenir la surexploitation et/ou
rebâtir les stocks. Ecosim/Ecospace permet de construire un modèle à structure spatiale,
organisé en plusieurs habitats. On peut y inclure plusieurs types de réserves et vérifier
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 131
leur efficacité biologique ainsi que certains impacts économiques. Toutefois, le modèle
ne permet pas d’inclure de migrations saisonnières. Cette procédure a été utilisée pour
évaluer l’impact des réserves marines autour de Hong Kong. Le lecteur intéressé pourra
se référer aux nombreux articles et rapports décrivant la technique de modélisation
(Pitcher et al. 1998, Pitcher et al. 2000, Pitcher et al. 2001a,b, Buchary et al. 2001).
Ecopath, couplé avec Ecosim/Ecospace , permet d’évaluer les scénarios de gestion des
pêches en tenant compte de l’ensemble de l’écosystème au lieu de quelques espèces
d’importance commerciale comme il se fait couramment. Les considérations
économiques qui y sont rattachées sont les conséquences immédiates des variations en
biomasses et en effort de pêche. Les conséquences macro-économiques de ces scénarios
ainsi que l'influence de traités internationaux sur les décisions régionales des pêcheurs
seront mieux étudiés au moyen d’autres outils. En fait, Ecopath ne vise pas à intervenir
dans la gestion annuelle des stocks en établissant des quotas annuels et en estimant les
stocks. Au contraire, les données découlant de ces activités sont intégrées au modèle. Le
rôle d'un modèle d'écosystème est de donner une vue d'ensemble cohérente et des points
de références à moyen et long terme, et de ce fait, les deux approches se complètent. De
même, les composantes socio-économiques du modèle ne visent pas à remplacer toute
autre étude économique nécessaire à la bonne gestion des ressources d'un pays, mais elles
apportent l’information économique du point de vue d’un modèle étroitement lié à la
ressource.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 132
Perspectives d’extension économique et sociale du modèle ECOPATH
Pierre Failler et Sophie des Clers (CEMARE, University of Portsmouth ;
Environment and Society Research Unit, UCL, UK)
Entre développement et conservation
Lorsque l’on décide de construire un barrage ou tout autre ouvrage d’art, on effectue une
étude de faisabilité économique assortie d’une analyse d’impact environnemental.
Lorsque l’on décide de réaliser un projet de pêche on se contente d’une analyse de
faisabilité financière et économique. Pourquoi n’y a-t-il pas d’évaluation
environnementale des effets qui seront induits par le projet ? Le projet de pêche va
concourir à l’amélioration de la production entraînant une valeur ajoutée supplémentaire,
des emplois en amont et en aval , etc. Il est a priori « bon », au contraire du barrage qui
peut léser à la fois les populations humaines mais aussi animales et végétales dont la
montée des eaux induit des déplacements ou une extinction. Sans reprendre les premières
lignes provocatrices du livre de F. Ost (1997), où il demande si les arbres ont le droit de
voter, il semble opportun de poser la question de la légitimité de la protection des
écosystèmes ou celle de la représentativité de l’écosystème dans le processus de
définition d’un projet de pêche. Que pense l’écosystème de la construction d’un nouveau
débarcadère, d’une nouvelle usine de conditionnement du poisson, de l’arrivée de navires
plus performants, d’engins plus sélectifs ? Sans une étude d’impact environnemental, il
semble que la voix de l’écosystème ne puisse se faire entendre des développeurs.
Est-ce à dire que la protection et la conservation des ressources sont des aspects oubliés
des politiques de pêches ? Apparemment non, puisque chaque politique des pêches se
presse de montrer que la santé de l’écosystème est ce qui tient lui tient le plus à cœur.
Alors pourquoi formuler des politiques de conservation et ne pas concevoir des projets de
développement qui s’articule autour de la conservation des ressources et de leur
écosystème ? Dans les faits, la préoccupation de la conservation se situe en aval du
processus de gestion : le développement ou le maintien de l’industrie est prioritaire75, la
conservation des écosystèmes n’est qu’un épouvantail auquel plus personne ne fait
attention.. Ne s’étant jamais trouvé en amont du processus de gestion, le principe de
conservation n’a jamais pu jouer son rôle de garde-fou des activités de production et donc
permettre l’intégration des volontés de développement dans un cadre de protection des
écosystèmes.
Comment se fait-il, qu’en dépit de l’application des principes de développement durable,
de pêche responsable, de précaution, que le monde des pêches se trouve aujourd’hui
autant en porte-à-faux avec les principes de gestion des pêches en « bon père de
75
Voir (Failler, P., 2002) pour les effets induits par les politiques de facilité de la croissance et de réduction
de la pauvreté sur l’aménagement des pêches et la conservation des ressources naturelles en Afrique de
l’Ouest.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 133
famille » ? La réponse se trouve sans doute dans les logiques de gestion des pêcheries qui
sont appliquées. Aliou Sall ci-avant, a montré que les politiques de pêche en Afrique de
l’Ouest opéraient encore selon une logique de développement, notamment industrielle,
considérant que la pêche artisanale, forme archaïque, était appelée à disparaître. Il s’agit
d’un phénomène classique de « path dependence » où le passé et son histoire
(institutionnelle) conditionne fortement le présent et l’avenir (idiosyncrasie des actifs).
Les décideurs publics sont ainsi tiraillés entre la volonté de moderniser et de développer
leur pêcherie et l’astreinte d’une protection utilitaire des ressources. Face au déclin des
pêcheries dans la plupart des régions du monde et notamment en Afrique de l’Ouest76 la
question de la conciliation du développement (ou maintien) d’un secteur des pêches avec
le bien être des écosystèmes devient centrale.
Est-il possible de développer des outils d’aide à la décision et d’évaluation des effets des
projets de pêche, de la venue de nouveaux navires, etc. en établissant un lien entre
l’écologie et l’économie ? Les lignes qui suivent présentent successivement
l’impossibilité du marché des coûts privés à intégrer l’écosystème dans les politiques de
développement des pêches ; les diverses notions de valeur ; l’intérêt du recours à une
notion de coût social pour la prise en compte de l’écosystème et enfin la pertinence du
couplage de la notion de coût social au modèle écologiste Ecopath.
Marché, coûts privés et coûts externes
Les techniques de modélisation bio-économique des pêcheries, développées à partir des
années cinquante, font essentiellement appel à la théorie économique standard. Si leur
utilisation a permis d’importantes avancées théoriques dans le domaine de
l’aménagement des pêches, leur portée pratique est demeurée toutefois en deçà des
espérances des économistes (Meuriot, E., 1987). Maximisation du profit individuel et de
la rente à l’échelle de la pêcherie, sous des contraintes techniques de production et des
contraintes de rareté de la ressource et ajustement de l’offre à la demande par le
mécanisme des prix : tels sont en résumé ce que les modèles bio-économiques peuvent
apporter comme information à des fins de gestion.
L’idée de faire coïncider les notions d’équilibre du marché et de la ressource avec le
« Maximun Sustainable Yield » et le « Maximun Economic Yield »77 a été au cours du
temps appliquée à la gestion des espèces commerciales, et dans la majorité des cas pour
en expliquer le déclin. Malgré la sophistication et l’utilisation de capacités de calcul de
plus en plus fortes (ordinateur), les modèles sont restés attachés à l’analyse de stocks
mono-spécifiques. Il s’agit du hareng de la mer du Nord, du cabillaud de Terre-Neuve, de
la sardine du Maroc, du thon du Golfe de Guinée, etc. Faisant fi des interactions entre les
76
Voir les résultats du Projet de coopération « Système d’Information et d’Analyse des Pêches » en Afrique
de l’Ouest : http://www.ird.sn/activites/sih/symposium/
77
Les économistes s’enorgueillissent à cet égard du fait que le MSE se situe à gauche du MEY :
l’économie apparaît ainsi plus protectionniste que la biologie puisqu’elle considère la situation d’équilibre
avant le point d’inflexion, point d’équilibre biologique. Elle semble ainsi appliquer avant la lettre le
principe de précaution .
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 134
espèces78, et des espèces avec le milieu marin, les modèles bio-économiques ont conduit,
de par leur utilisation, a :
-
-
-
-
la réduction de la réalité à un simple problème de maximisation de la rente où les
effets déviants peuvent être corrigés à l’aide de mesures techniques : la gestion
des pêches est un problème technique d’ajustement de l’effort de pêche à la
disponibilité de la ressource
l’illusion de la simplicité du fonctionnement du milieu marin : la situation
d’équilibre est la situation de référence, elle ne tient pas compte de la variabilité
des ressources dans le temps et l’espace ainsi que des modifications physicochimiques des zones de pêche ; au contraire des approches centrées sur la stabilité
et adaptabilité des milieux et le maintien de la diversité du vivant ;
le compartimentage de la réalité : le biologiste ne s’occupe que de telle espèce et
ne connaît que trop peu de chose sur une autre espèce ; le gestionnaire traite
séparément la gestion de stocks pourtant localisés dans les mêmes zones (sous
prétexte de quotas différents) ; l’économiste intègre les données fournies par le
biologiste sans ne rien connaître de l’espèce ou de l’écosystème ;
la méprise de l’objet de la gestion des pêches : gérer les espèces de valeur
commerciale sans considérer la place de ces espèces au sein d’un écosystème.
Au total, le réductionniste des modèles de gestion à conduit à une impasse, et il semble
peu probable que la formule de gestion des écosystèmes proposée actuellement puisse en
sortir le monde des pêches. Le schéma suivant présente, en simplifié, la réalité d’une
pêcherie telle qu’elle peut être perçue par les gestionnaires, économistes et biologistes
classiques. Les relations entre les entités sont unilatérales. Le gouvernement agit sur les
flottilles par les mesures de gestion qui contraignent leurs activités. Il agit aussi sur le
marché par le biais des réglementations relatives à la salubrité, la qualité ou au contrôle
des prix79. L’écosystème est réduit à un stock de poisson selon une vision monospéficique des pêcheries.
Un tel schéma de perception de la réalité80, induit que seuls sont considérés les coûts de
production, de transformation et de mise en marché du poisson (mentionnés plus
simplement coûts de production dans la suite du texte). Ces coûts sont de nature privée.
Ils ne sont supportés que par les producteurs. Mais les activités de production génèrent un
ensemble d’effet, tant sur le milieu marin et les écosystèmes que sur la société en général.
78
Voir P. Curry et al. (2002) pour un exposé récent du fonctionnement des écosystèmes et des diverses
relations entre les espèces.
79
Ne sont pas mentionnées ici les relations flottilles-gouvernement et marché-gouvernement qui peuvent se
réduirent aux recettes publiques obtenues à partir des impôts sur les bénéfices, les taxes à l’exportation, etc.
80
A noter également le rôle central que s’attribuent les gestionnaires dans l’ordonnancement des pêcheries.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 135
Flottiles
Gouvernement
Stocks
Ecosystème
Marchés
Figure 11: Réalité des pêches telle que perçue par les gestionnaires, économistes et biologistes
classiques.
Ces effets sont qualifiés en économie d’externalités. Sans entrer dans le détail des
externalités81, on constate qu’il existe un certain nombre de coûts externes qui ne sont pas
intégrés dans la sphère de production :
Sphère économique et sociale
- les coûts de la gestion des pêches82 : ils atteignent 30% de la valeur des
débarquements aux USA, 25% à Terre-Neuve (Anonyme1999) ;
- les coûts de l’investissement public sous la forme de subvention à la production
(support financier à la construction et modernisation des navires, exemption de
taxes, tarifs douaniers, droits d’accès aux ZEE des pays tiers, etc.) ( OECD, 2000)
;
- les coûts de la destruction des petites tailles d’espèces marchandes de
l’écosystème rejetées mortes à la mer ;
- les coûts d’opportunité liés à la renonciation de l’utilisation des ressources
marines à d’autres usages que ceux de la pêche ;
- les coûts de la formulation de politiques cohérentes qui contribuent à la fois à la
stabilité sociale, à la réduction de la pauvreté et au mieux être des populations
résidentes (UCN Sénégal, 2001).
Sphère naturelle
- les coûts de la destruction des espèces – principalement non-marchandes - de
l’écosystème, par exemple, 14 kg de poisson et crustacés sont rejetés morts à la
81
Influences, non compensées par le marché, qu’exerce l’action d’un agent sur le bien-être d’autres agents.
Elles peuvent être positives (fertilisation des eaux côtières par les engrais chimiques par exemple), ou
négatives (effets toxiques par exemple) (Boncoeur, J. and G. Olivier, 1996).
82
Essentiellement : recherche, conception et application des mesures de gestion, contrôle et surveillance.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 136
-
-
mer pour la production d’un kilo de crevettes ; 7 kg dans le cas des poulpes et plus
globalement évalué à 26% des débarquements mondiaux (Anonyme1999b) ;
les coûts de la destruction des services naturels (non-marchand) que livre le
patrimoine marin (stabilité des milieux, climat par la limitation de l’effet de serre,
absorption des pollutions, etc.) ;
les coûts de destruction des propriétés et fonctions de l’écosystème (la surpêche
de certains niveaux de la chaîne trophique génère des perturbations qui se
répercutent sur l’ensemble de l’écosystème ; voir Pauly, D., V. Christensen et L.
Coelho, 1999) ;
les coûts de l’irréversibilité des dommages naturels causés (la capacité de
résilience des milieux et écosystèmes est très variable, certains systèmes comme
les récifs coralliens sont ainsi condamnés à la suite de pressions trop fortes) ;
les coûts de renonciation des générations futures au patrimoine naturel marin
(sans relier cela à des considérations de calcul de bien-être, on peut considérer que
les générations futures ont un droit à un état convenable du patrimoine naturel).
Le prix de marché est censé, dans la théorie économique standard, faire office
d’indicateur de la rareté (valeur) et de signal comportemental. Dans le cas présent, il rend
généralement compte de la rareté croissante de la ressource tout en n’étant pas à même de
prémunir l’écosystème contre la surpêche d’une espèce. Dans son rôle de signal, le prix
de marché ne joue pas son rôle puisque les comportements des producteurs et des
consommateurs restent inchangés. Il ne constitue pas une mesure correcte de l’incidence
de la pêche tant au plan sociétal que naturel stigmatisant les coûts externes et requerrant
dès lors des changements comportementaux. Les limites du modèle bio-économique sont
atteintes.
Les diverses notions de valeur
L’absence d’indicateur de prix génère une asymétrie entre usage des ressources marines
comme produits de consommation et comme générateurs de services environnementaux.
Une telle situation interpelle les autorités publiques car leur inertie se traduirait par une
allocation de l’environnement où l’agent qui utilise les ressources de la manière la plus
destructrice se l’approprie de fait (Point, P., 1998). Il s’agit dès lors d’orienter l’allocation
de certaines composantes de l’environnement marin grâce à des mécanismes
interventionnistes. La création d’un marché de quotas négociables consiste, à partir d’une
contrainte quantitative globale, à révéler un prix de marché qui renseigne sur le coût
marginal d’opportunité auquel il tente de se rapprocher. Le coût d’opportunité ne reflète
cependant pas l’opportunité d’une utilisation autre de l’écosystème, il fournit seulement
une information sur une autre utilisation possible des moyens de production. Il existe
ainsi un fossé entre ce que peut faire valoir le coût d’opportunité (marginal), sur lequel les
gestionnaires s’appuient pour optimiser l’allocation des ressources, et les coûts externes,
tels que présentés ci-avant. L’absence de prix associé aux effets externes sociétaux et
naturels requiert une connaissance des différentes valeurs qui peuvent être assignées au
milieu marin. Le schéma ci-dessous tente d’en rendre compte.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 137
Valeur éc onomiq ue totale
Valeur s
d’usage actuel
Valeurs d’usage
actif direct
Valeur d ’usage
actif induit
Valeur s de
préservation
Valeur d’usage
indirect
Valeur s
d’option
Valeurs non
liées à l’usage
(prix
d’option)
Consommation
directe
Facteur de
production
(aquaculture)
Avantages
écosystémiques
Pêche
Activités récréatives
Eau et ses
composés
Fonctions
écologiques
Santé
Climat
Valeurs
d’usage
futur
Va leurs
de legs
Biodiversité
Habitats
préservés
Valeur s de
disponibilité
désintéressée
Valeurs
d’existence
Valeur s
intrinsèques
Espèces
phare
Espèces
symbole
menacées
Valeur de
disponibilité pour
les
contemporains
Figure 12 : Valeur économique attribuée au patrimoine marin (adapté de P. Point (1998)).
L’environnement marin délivre plusieurs services qui sont la production de ressources
marchandes, de facteurs de production, et d’avantages écosystèmiques83. Si les deux
premières fonctionnalités sont mesurables à l’aide d’indicateurs de prix, il en va
différemment pour les avantages écosystémiques et des valeurs de préservation84 qui sont
difficilement réductibles à un indicateur de mesure. La demande pour les services
écosystémiques est imputable aux entités naturelles et demeure hors de contrôle de
l’activité humaine. Elle ne fait pas l’objet d’une prise en compte ni lors de la formulation
des politiques de gestion ni lors de l’élaboration de projets de développement. Pourtant ce
service est primordial pour la fonctionnalité de l’environnement marin et notamment la
production de ressources halieutiques.
En d’autres termes, l’absence de prix associé à un service naturel rendu par une espèce,
un écosystème, s’oppose à sa prise en compte. Pourtant, il semble qu’il existe une
possibilité d’intégrer les coûts externes à la production qui conduisent à une dégradation
de la fonctionnalité des écosystèmes dans les politiques des pêches (gestion et projets de
développement). La notion de coût social, exprimée par Pigou en 1920 et développée par
Coase en 1960, donne quelques pistes pour traiter de ce phénomène.
Coût social et droit de faire
Le coût social se défini comme la somme des coûts privés et des coûts externes. R. Coase
(1960), en reprenant les formulations de A. Pigou (1920) recadre l’analyse des
externalités et du coût social dans laquelle il faut :
83
Pour une revue des diverses notions de valeur, se reporter à Faucheux et Noel (1995).
Dans le cadre d’une finalité humaine de la préservation, certaines méthodes d’évaluation contingentes
tentent d’en définir une valeur. Mais le caractère subjectif imprègne fortement les résultats obtenus.
84
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 138
1- repenser l’analyse des externalités dans un contexte, non plus simplement
d’interventionnisme correctif, mais d’utilisation optimum de facteurs de production en
ayant recours à un arbitrage en termes de coûts d’opportunité. L’analyse porte alors sur
l’évaluation des gains obtenus par différentes combinaisons possibles de facteurs de
production, ce qui induit un élargissement de l’analyse à la sphère sociale.
2- Renoncer à l’analyse de la situation présente en référence à une situation idéale fournie
par le cadre théorique. Autrement dit, il vaut mieux commencer l’analyse des externalités
à partir d’une situation qui semble calquer au plus près la situation réelle, poursuivre en
étudiant les effets probables de telle ou telle mesure correctrice et finalement porter un
jugement pertinent sur la situation résultante qui, selon, peut être meilleure ou pire.
3- Reconsidérer les facteurs de production par rapport aux droits qu’ils engendrent.
L’économie orthodoxe considère les facteurs de production comme des entités physiques,
quantifiables, divisibles, et utilisables à des fins économiques. Or, en présence
d’externalités, cette définition, trop restrictive, conduit à une impasse. Il faut donc définir
« les facteurs de production comme des droits ». À partir de là, il devient selon Coase
« facile de comprendre que le droit de faire quelque chose qui a des effets nuisibles
constitue également un facteur de production. »
La prise en compte des effets externes entraîne un changement de la compréhension de la
dynamique de fonctionnement d’une pêcherie. Le schéma suivant illustre la complexité
de l’utilisation de l’environnement marin. A la demande de production de la pêcherie se
greffe une demande sociale qui s’exprime par le prisme des valeurs d’usage nonmarchand actuel et futur (comprenant la gamme de valeurs mentionnées à la droite de la
figure 12). Fait également son entrée dans ce nouveau paysage, l’écosystème. Jadis réduit
aux divers stocks exploités par les différentes pêcheries, l’écosystème se trouve dans le
cas présent assorti de fonctions et de propriétés qu’il convient de préserver.
L’analyse en termes de droits à faire ou ne pas faire conduit à définir la fonction de
production comme un ensemble de droits dont on peut distinguer :
-
celui de pêcher des poissons et de rejeter morts ce qui ne sont pas désirés ;
celui de contribuer à la dégradation des stocks s’il existe des signes de mauvaise
santé : qui se répercute directement sur la fonction de production de la pêcherie ;
- celui de concourir à la perte de fonctionnalité de l’écosystème en en détruisant
certaines propriétés, fonctions ou éléments.
La question est maintenant la suivante : comment est-il possible de limiter, voire
annihiler les droits des armateurs à dégrader les stocks et les écosystèmes ? Le couplage
d’un modèle qui prend en compte les coûts sociaux avec un modèle d’écologie
dynamique qui propose des relations entre les différents niveaux trophiques et intègre
certaines caractéristiques de sa fonctionnalité permet de représenter une partie de la
réalité des effets non-marchands de l’activité de pêche.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 139
Secteur Pêche
Communautés,
espèces, fonctions et
niveaux tropiques
Gouvernement
Marchés
Ecosystème
Société civile
Autres utilisations
de l’ écosystème
Autres secteurs
Autres marchés
ONG
Environnement
Figure 13 : Complexification de la réalité des pêches telle que perçue par les gestionnaires,
économistes et biologistes classiques.
Extension multi-disciplinaire d’ECOPATH-ECOSIM
Le modèle Ecopath, exposé ci-avant par S. Guenette et I. Diallo, est un outil de
représentation d’un écosystème qui peut être utilisé dans le cadre de l’évaluation du coût
social des activités de pêche, et plus particulièrement de l’implantation de projets de
développement.
L’idée de base est de recourir au processus itératif qu’offre Ecopath afin de mesurer de
façon incrémentale ce qui se passe dans l’écosystème lorsqu’un pêcheur cale un engin de
pêche ou vire un chalut. La figure suivante montre les coûts sociaux qui résulte d’une
première marée.
Les coûts liés aux activités de gestion, de financement public, et autres, sont des coûts qui
peuvent être exprimés sous forme monétaire. Ils s’ajoutent ainsi facilement aux coûts
privés. En revanche, la diminution de la fonctionnalité de l’écosystème ne s’exprime que
très mal selon un étalon monétaire. S’il est possible d’en attribuer une valeur monétaire,
cela demeure parcellaire au sens que seules certaines fonctions rattachées à la production
de services et de biens ayant eux une valeur marchande (ou pouvant en faire l’objet avec
le recours à des techniques d’évaluation particulière) peuvent par ricochet en revêtir. Par
exemple, un écosystème en très bonne santé fournira une rente significative exprimée en
unité monétaire, un écosystème en très mauvaise santé sera abandonné par les pêcheurs,
la rente sera donc nulle
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 140
Coûts privés auquels s’ajoutent :
1- Activités de support et gestion du secteur
Recherche, surveillance, contrôle y compris
sanitaire, statistiques, gestion/admin.,
commercialisation
Ecosystème
4 : coûts de diminution
de la fonctionnalité de
l’écosystème
2- Subventions à la production
Détaxe fuel, engins, crédit, droits
d’accès
3- Autres coûts
Espaces réservés à la pêche
/aquaculture &c
Figure 14 : Coûts sociaux liés à une première marée
Il est bien sûr possible de comparer ce que produit l’écosystème en bonne santé (situation
avant la pêche) à ce qu’il produit en situation de pêche et de surpêche et de faire la
différence de revenus obtenus. Cependant une réduction de niveaux trophiques peut
conduire à une augmentation de la productivité biologique (Villanueva et al. 2002) ou
même à la production d’espèces crustacés ou céphalopodes à plus grande valeur
marchande. Mais ce serait là voir en l’écosystème une entité naturelle destinée à produire
du poisson pour la consommation humaine (anthropcentrisem finaliste) et omettre de la
sorte une grande partie des fonctions de l’écosystème marin (régulation des climats,
absorption du CO2, réserve de biodiversité, résilience etc.). Aussi, le coût écologique lié à
la dégradation de la fonctionnalité de l’écosystème doit –il s’appréhender en terme
qualificatif assorti de mesures quantitatives (pertes de capacité d’intégration des effluents
par exemple).
Le renouvellement d’activités de pêche sur le même écosystème va se traduire, comme le
présente la figure 15 par, non seulement une augmentation des coûts privés du fait de la
rareté accrue de l’espèce ciblée (rareté compensée ou non par l’augmentation des prix du
fait de l’élasticité de la demande à la marge décroissante), mais aussi par une
modification de l’écosystème. Les impacts directs et indirects s’ajoutant signifient une
perte de la capacité de l’écosystème à remplir les fonctions qui lui sont propres.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 141
L’intensification de l’effort de pêche sans tenir compte
des coûts sociaux se manifeste par :
1- Modification des coûts privés (taille
du poisson, rareté…)
2- Modification de l’écosystème
(impacts directs : effets de certains
engins sur l’habitat, pêche fantôme)
3- Modification de l’écosystème (impacts indirects :
diminution de la complexité trophique, rejet, disparition des
prédateurs clés de voûte, réduction de la biodiversité, de la
résilience de l’écosystème)
Figure 15 : Coûts sociaux liés à une deuxième marée et suivantes en situation de pêche non durable
La conséquence immédiate d’une telle situation, que l’on rencontre d’ailleurs un peu
partout aujourd’hui, est le renoncement à l’exploitation privée d’une espèce ou d’un
niveau de la chaîne trophique au profit d’un autre situé à un niveau inférieur. Autrement
dit, on pêche des poissons de plus en plus petits ou détritivores situés à des niveaux
trophiques chaque fois plus bas. Dans de telles conditions, les coûts privés de production
d’une espèce démersale de forte valeur ajoutée dépassent les bénéfices liés à la mise en
marché. Mais plus grave encore: par effets d’enchaînement, c’est l’ensemble de
l’écosystème qui est touché, ce qui se répercute sur les autres éléments et sur la société
entière du fait des valeurs de protection qui lui sont attribuées.
Conclusion
Le phénomène de « path-dependence » et de mimétisme et l’illusion technologique ont
fortement contribué au développement aveugle des principales pêcheries mondiales. Les
mesures de gestion prises ces dernières années sur fond de rationalité économique ont
peut être limité la dégradation des écosystèmes mais n’ont pas encore réussi à instaurer
des régimes de pêche qui soient viables. L’absence de prise en compte des coûts sociaux
est sans aucun doute une des raisons d’achoppement des méthodes réductionnistes
actuelles.
Le modèle de représentation de l’écosystème que constitue Ecopath offre aujourd’hui la
possibilité de simuler l’implantation d’un projet de pêche, l’incidence de telle ou telle
mesure de gestion sur la fonctionnalité de l’écosystème. En rendant compte des coûts
écologiques externes des activités de production, ce modèle livre une information capitale
pour la conservation des environnements marins. Un modèle exprimant les coûts
sociétaux induits par la pêche peut être couplé à Ecopath afin de représenter l’ensemble
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 142
des coûts sociaux (privés et externes) qui résultent de la pêche. Un tel modèle global
aurait l’intérêt supplémentaire, de par son caractère dynamique, de dégager des bilans
écologiques et sociaux de différents scénarios d’utilisation de l’environnement marin. Il
permettrait par exemple de comparer différents scénarios de développement des pêches,
des pratiques ludiques, de consrevation du patrimoine naturel etc.
L’importance de la pluri-disciplinarité afin d’aborder la question de la gestion des pêches
et de nouveau sur la table avec la nécessité d’aborder l’activité de production tant sur le
plan des sciences sociales que naturelles. Grâce à une collaboration multi-disciplinaire, il
est fort à parier qu’une telle entreprise puisse faire bénéficier la fonction publique d’un
outil majeur d’aide à la décision.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 143
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exploitation of multi-species resources. Fisheries Centre Res.Rep., 6(2).
Walters, C.J., V. Christensen, and D. Pauly, 1997. Structuring dynamic models of
exploited ecosystems from trophic mass-balance assessments. Reviews in Fish
Biology and Fisheries, 7:139-172.
Weigel, J-Y., 1998. La pêche en Afrique: enjeux et défis. Afrique contemporaine. La
documentation Française.
Whitehead, A.N., 1925. Science and the Modern World. New York, Mac Millan.
Notes: available as of August 2002
Wiggins, D., 1999. Nature, respect for nature, and the human scale of values. Oxford.
Wiium, V., 1999. Reducing highgrading of fish: what can be done? Galway, Ireland,
National Univesity of Ireland.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 150
Liste des participants
NOM
Moctar Bâ
ADRESSE
Unité de coordination
Projet SIAP
BP 3739
Conakry
République de Guinée
TELEPHONE/FAX
+224 407354
+224 409216
EMAIL
[email protected]
[email protected]
Olivier Barrière
IRD
BP 1386
Dakar
Sénégal
+221 849 33 01
+221 832 16 75
[email protected]
René Bosman
Délégation UE
BP 730
Conakry
République de Guinée
+224 13404870
[email protected]
Youssouf Camara
CNSHB, Boussoura
BP 4334
Conakry
République de Guinée
+224 464491
+224 463066
[email protected]
Sonia Carrier
CEMARE
University of Portsmouth,
Locksway Road
Portsmouth, PO48JF
Royaume Uni
+44 2392844333
+44 2392844037
[email protected]
Joseph Catanzano
IDDRA
195, rue Saint Jacques
75005 Paris
France
+33 1 443 1073
+33 1 40517316
[email protected]
Fatouma Chérif
Unité de coordination Projet
SIAP, BP 3739, Conakry
République de Guinée
+224 407354
+224 409216
[email protected]
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 151
NOM
Emily Corcoran
ADRESSE
Programme SFLP
01 BP 1369
Cotonou 01
Benin
TELEPHONE/FAX
+229 33 09 25
+229 33 05 19
EMAIL
[email protected]
Karim Dahou
ENDA Tiers Monde
5 rue Kleber
BP 3370
Dakar
Sénégal
+221 823 53 47
+221 822 26 95
[email protected]
Moustapha Deme
CRODT
BP 2241
Dakar
Sénégal
+221 832 39 64
+221 834 27 92
[email protected]
Sophie des Clers
University College London
Geography Departement/
ESRU, Remax House
3132 Alfred Place
WC 1E7DF, London
Royaume Uni
+44 207 370 1149
[email protected]
Ibrahima Diallo
CNSHB, Boussoura
BP 4334
Conakry
République de Guinée
+224 464491
+224 463066
[email protected]
Moussa Diallo
CNSHB, Boussoura
BP 4334
Conakry
République de Guinée
+224 464491/ 461415
+224 463066
[email protected]
François Domain
IRD
BP 1984
Conakry
République de Guinée
+224 409242
+224 404800
[email protected]
+224 464491/ 461415
+224 463066
[email protected]
m
Alkaly Doumbouya CNSHB, Boussoura
BP 4334
Conakry
République de Guinée
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 152
NOM
Pierre Failler
ADRESSE
CEMARE
University of Portsmouth
Locksway Road
Portsmouth, PO48JF
Royaume Uni
TELEPHONE/FAX
+44 23 92844085
+44 23 92844037
EMAIL
[email protected]
François Féral
Université de Perpignan
Faculté de Droit et des
Sciences Economiques
52 av. De Villeneuve
66860 Perpignan Cedex
France
+33 4 68 66 21 65
+33 4 68 66 20 19
[email protected]
André Fontana
IRD
BP 1984
Conakry
République de Guinée
+224 404422
+224 409242
[email protected]
Sylvie Guenette
Fishery Centre
University of British
Columbia
2204 Main Mall
Vancouver V6T 1Z4
Canada
+ 604 822 6348
+ 604 822 8934
[email protected]
Eyolf Jul-Larsen
Christian Michelsen Institut
PO Box 6033
5892 Bergen
Norvège
+ 47 55574154/74000
+ 47 55574166
[email protected]
Abdourahmane
Kaba
CNSHB, Boussoura,
BP 5291
Conakry
République de Guinée
+ 224 463066/464491
+ 224 463066/451926
[email protected]
Mory Kaba
Secrétariat d'Etat à la Pêche
BP 1210
Conakry
République de Guinée
+224 43 10 75
+224 41 11 63
Fax: +224 41 10 24
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 153
NOM
Jean Le Fur
TELEPHONE/FAX
+ 224 404635
+ 224 409107
EMAIL
[email protected]
+ 44 2392844333
+ 44 2392844037
[email protected]
Cornélia E. Nauen Commission Européenne
DG Recherche, SDME 1/20
8, Square de Meeûs,
1049 Bruxelles
Bélgique
+ 32 2 99 25 73
+ 32 2 96 62 52
[email protected]
Jean-Calvin Njock Programme SFLP
01 BP 1369
Cotonou
Bénin
+ 229 33 09 25
+ 229 33 05 19
JeanCalvin.Njock@sflppme
dp.firstnet.bj
Aliou Sall
CREDETIP
BP 3916
Dakar
Sénégal
+ 221 821 9462
+ 221 821 9463
[email protected]
Mansa Moussa
Sidibe
Ministère de la pêche et de
l’aquaculture
BP 307
Conakry
République de Guinée
+224 415228
+224 414310
[email protected]
Mohamed Sidime
Ministère de la pêche et de
l’aquaculture
BP 307
Conakry
République de Guinée
+224 415228
+224 414310
[email protected]
Ismaila Thiam
CNROP
BP 22
Nouadhibou
Mauritanie
+ 222 245 124
+ 222 245 081
[email protected]
Nicolas Lécrivain
ADRESSE
IRD
BP1984
Conakry
République de Guinée
CEMARE/
University of Portsmouth
Locksway Road
Portsmouth, PO48JF
Royaume Uni
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 154
NOM
ADRESSE
Jean-Paul Troadec Menez Perroz
29880 Plouguerneau
France
TELEPHONE/FAX
+ 33 2 98 04 61 77
+ 33 298 04 72 80
EMAIL
Jean-Yves Weigel
IRD, Bel Air
BP 1386
Dakar
Sénégal
+ 221 849 33 00
+ 221 832 43 07
[email protected]
James Wilson
Université Québec
300 allée des Ursulines
Rimousky, G5L 7B5
Canada
+ 418 7231986/1814
+ 418 724 1840
[email protected]
ec.ca
[email protected]
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 155
Failler, P., M. Bâ, A. Doumbouya et N. Lécrivain (Eds.), 2002. Initiative de recherche
halieutique ACP-UE. Compte-rendu du séminaire de travail: La recherche halieutique et le
développement durable des ressources naturelles marines de l’Afrique de l’Ouest: quels enjeux?
Conakry, Guinée, 24-26 septembre 2001. Bruxelles, Rapp.Rech.Halieut. ACP-UE, (11):160 p.
Ouvrages sur des thèmes voisins
Anon, 1996. ACP-EU Fisheries Research Initiative. Actes de la Deuxième Réunion de Dialogue
sur l’Afrique centrale et occidentale et l’Union européenne. Dakar, Senegal, 22-26 avril 1996.
Bruxelles, Rapp. Rech.Halieut. ACP-UE, (2):178 p.
Anon, 1997. ACP-EU Fisheries Research Initiative. Proceedings of the Third Dialogue Meeting,
Caribbean and Pacific and the European Union. Belize, Belize City, 5-10 December 1996.
Brussels, ACP-EU Fish.Res.Rep., (3):180 p.
Anon, 1997. Initiative de Recherche Halieutique ACP-UE. Actes de la Quatrième Réunion de
Dialogue sur toutes les régions ACP et l’Union européenne. Bruxelles, Belgique, 9-11 juillet
1997. Bruxelles, Rapp.Rech. Halieut. ACP-UE, (4):50 p.
Pauly, D., V. Christensen & L. Coelho (eds.), 1999. Actes de la Conférence sur les Réseaux
trophiques et productivité économique des océans, Lisbonne, Portugal, 1-3 juillet 1998.
Bruxelles, Rapp.Rech.Halieut. ACP-UE, (5):87 p.
Pullin, R.S.V., R. Froese and C.M.V. Casal (eds.), 1999. Initiative de recherche halieutique
ACP-UE. Actes de la Conférence sur l’Utilisation durable de la biodiversité aquatique: Données,
outils et coopération. Lisbonne, Portugal, 3-5 septembre 1998. Bruxelles, Rapp.Rech.Halieut.
ACP-UE, (6):71 p. + CD ROM
Feoli, E. & C.E. Nauen (eds.), 2001. Proceedings of the INCO-DEV International Workshop on
Information Systems for Policy and Technical Support in Fisheries and Aquaculture, Los Baños,
Philippines, 5-7 June 2000. Brussels, ACP-EU Fish.Res.Rep., (8):135 p.
Wittmer, H. & Z. Hassan (eds.), 2001. Proceedings of the INCO-DEV International Workshop
on Policy Options for the Sustainable Use of Coral Reefs and Associated Ecosystems, 19-22
June 2000, Mombasa, Kenya. Brussels, ACP-EU Fish.Res.Rep., (10):239 p. EUR20186
L’Initiative de recherche halieutique ACP-UE
L’Initiative de recherche halieutique ACP-UE a été lancée à la demande de l’Assemblée
paritaire ACP-UE, assemblée composée de membres du Parlement européen et de représentants
des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) suite à une résolution sur les pêches
prise dans le cadre de la coopération ACP-CEE et adoptée en octobre 1993. Plusieurs réunions
de dialogue auxquelles ont participé des chercheurs et gestionnaires des ressources aquatiques
des pays européens et ACP, ainsi que des représentants de la coopération européenne, ont été
organisées sur la base d’un document directeur préparé pour l’Initiative en concertation avec des
acteurs européens.
L’Initiative vise à lancer des actions susceptibles de procurer des bénéfices économiques et
sociaux pour les utilisateurs de ressources et autres acteurs tout en limitant la dégradation de
l’environnement, voire en assurant sa restauration. L’Initiative a élaboré un programme de
recherche en collaboration reposant sur le principe de partage des responsabilités et des
bénéfices. Elle encourage les acteurs concernés à s’engager dans la réhabilitation des systèmes
complexes de ressources et dans la restauration de leur productivité écologique et économique,
permettant ainsi de contribuer de façon plus directe, par une recherche de qualité et proactive, à
des prises de décision avisées en matière politique et économique.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 156
Ces principes ont été mis en œuvre avec succès dans le cadre d’une coopération scientifique plus
large avec d’autres pays et régions en développement, comme la résultante d’un dialogue birégional, notamment avec l’Asie de l’Est et du Sud-Est (ASEM), la Méditerranée (MOCO) et
l’Amérique latine et les Caraïbes (ALCUE).
Les instruments permettant de financer de tels projets comprennent le Fonds européen de
développement FED), la Coopération scientifique internationale (INCO) dans le cadre des
programmes-cadres pour la recherche de l’UE, le Fonds pour l’Environnement mondial
(FEM), les programmes bilatéraux de coopération et de recherche des Etats membres
européens et les propres ressources des institutions ACP.
Rapport de Recherche halieutique ACP-UE (11) – page 157
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