Introduction À partir de la fin du XIXe siècle, les tensions entre les pays européens deviennent de plus en plus importantes, sous la conjonction de trois phénomènes qui s’alimentent les uns les autres. Il s’agit d’abord du nationalisme qui se mue progressivement en un patriotisme belliqueux. Ensuite, les pays européens, forts de la reprise économique de la fin du XIXe siècle (appelée postérieurement la « Belle Époque » en France), se livrent à une compétition commerciale importante. En outre, hors d’Europe, les États-Unis et le Japon constituent de nouvelles puissances émergentes. Enfin, la compétition européenne se livre aussi sur le terrain colonial. Cette question est d’autant plus importante que certains pays européens estiment être lésés dans le « partage du monde », notamment l’Italie et l’Allemagne. Avec l’accroissement des tensions, des blocs se forment. Tandis que la Triple Entente regroupe la Grande-Bretagne, la France et la Russie, la Triplice englobe l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie. En Europe orientale, les grands empires centraux s’opposent sur le partage des Balkans lors de deux guerres. L’assassinat de l’archiduc d’Autriche, François-Ferdinand, en juin 1914, déclenche une réaction en chaîne qui conduit à faire entrer l’Europe en guerre. Au départ, ce conflit n’est pas à proprement parler mondial mais davantage européen, d’où le nom de « Grande Guerre » qui lui est parfois préféré. En revanche, cette guerre marque une rupture historique et constitue l’entrée dans le XXe siècle. En effet, elle est d’un type radicalement nouveau, les découvertes scientifiques ayant contribué à accroître l’efficacité des armes. La mobilisation devient totale : l’économie est entièrement tournée vers la satisfaction des besoins guerriers et les sociétés sont mises à contribution dans l’effort de guerre. Les combats sont extrêmement durs. Les violences de guerre sont fréquentes, à tel point que des historiens comme George Mosse évoquent une « brutalisation » des sociétés lors de la Grande Guerre, en particulier pour les soldats qui s’habituent au contact quotidien de la violence et des crimes de masse, les rendant davantage enclins à la brutalité. Un des événements les plus marquants de cette brutalisation des sociétés est le génocide arménien de 1915 et 1916 ; il se déroule pratiquement en même temps que naît le XXe siècle. 11 Il convient toutefois de noter que la violence n’est pas systématiquement acceptée. Les mutineries de l’année 1917 marquent ainsi un refus important de poursuivre la guerre, même si différentes raisons les ont motivées. Plus largement, les populations et les soldats sont exaspérés par la poursuite de la guerre bien que la volonté de victoire soit toujours importante. Le Reich allemand s’écroule à la fin de l’année 1918, au plan militaire mais aussi au plan politique et social, l’agitation gagnant le pays et se muant en révolution. De manière plus générale, presque partout en Europe, des troubles sociaux secouent les pays avant la fin de la guerre, en particulier du fait des restrictions alimentaires, voire des famines. Les émeutes touchent la France, l’Allemagne, mais particulièrement la Russie. En février 1917 éclate la première révolution russe, de base populaire, suivie en octobre par une seconde révolution, politique cette fois, qui porte les bolcheviques à la tête du pouvoir. L’avènement du communisme en Russie – qui devient l’URSS en 1922 – constitue aussi l’un des événements majeurs du XXe siècle, le traversent de part en part, avec des conséquences importantes tant sur le plan international que dans la vie des nations. Le communisme éprouve des difficultés à s’installer jusqu’en 1921, les dirigeants russes écrasant leurs opposants au prix d’une « Terreur rouge », jetant les bases non démocratiques de leur régime. Mais l’avènement du communisme en Russie donne l’espoir d’un monde égalitaire. Cette bouffée d’optimisme mêlée à la situation catastrophique des pays à la fin de la guerre entraîne des poussées révolutionnaires en Allemagne et en Hongrie en particulier, sans qu’elles puissent aboutir. La Première Guerre mondiale bouleverse d’un point de vue général les données : alors que l’Europe sort ruinée du conflit, les États-Unis sont les grands vainqueurs de la guerre. La volonté pacifique, qui conduit à la création de la Société des Nations (SDN), est importante et amène notamment un renouvellement de l’expression artistique. La période peut aussi être considérée comme l’apogée du colonialisme, illustrée en France par l’exposition coloniale de 1931, bien que les contestations des peuples colonisés contre la domination européenne s’accroissent, que ce soit en Inde, en Algérie ou en Indochine. Parallèlement, les ressentiments et l’instabilité des régimes politiques, renforcées par les difficultés économiques après le Krach boursier de 1929 et la crise en résultant, conduisent à l’instauration de régimes autoritaires ou totalitaires en Europe : d’abord en Hongrie en 1919, puis en Italie avec Mussolini (1922), au Portugal en 1926 et en Allemagne, avec l’avènement d’Hitler en 1933. En URSS, l’accession de Staline au pouvoir amène un durcissement du régime, dont les méthodes et les crimes amènent une dérive totalitaire. Au cours des années 1930, la montée de l’extrême droite touche en particulier la France où les ligues fascistes font peser une menace extrémiste (6 février 1934). 12 En réaction, les forces de gauche forment le Front populaire aux réalisations sociales novatrices. Les tensions sociales sont encore plus nettes en Espagne : les camps républicain et nationaliste entrent dans une guerre civile à partir de 1936. Cette guerre illustre le triomphe progressif des totalitarismes : en effet, le camp nationaliste espagnol, emmené par Franco qui a reçu l’aide des fascistes et des nazis, supplante les républicains, qui n’ont obtenu aucun soutien des États démocratiques. En Asie, les velléités du Japon autoritaire et impérialiste entraînent un conflit avec les Chinois. Les Japonais occupent les territoires conquis et y installent des camps de concentration aux pratiques des plus cruelles. La brutalisation fait son chemin. Les États démocratiques semblent assister, impuissants voire insouciants, à la montée des périls totalitaires, en particulier allemand. De fait, la guerre éclate en 1939. Les conquêtes hitlériennes sont importantes et rapides (« guerre éclair »). En France, la débâcle amène l’instauration du régime de Vichy, qui entreprend de collaborer avec les occupants, allant même au-devant des attentes allemandes. En revanche, une minorité, refusant la défaite, décide de résister à l’occupant. Ce clivage se retrouve dans les autres pays européens, jusqu’en Allemagne, avec cependant des intensités différentes. Par ailleurs, la guerre est véritablement mondiale dès son départ, même si les États-Unis et l’URSS n’interviennent pas directement dans le conflit dès ses premières heures. Cependant, progressivement, les théâtres d’opérations de la guerre s’élargissent vers l’Atlantique, la Méditerranée, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. Enfin, le conflit trouve son extension presque maximale avec l’attaque hitlérienne contre l’URSS puis le raid japonais contre la base américaine de Pearl Harbor (7 décembre 1941). En 1942, l’Europe est sous la domination nazie mais, à la fin de l’année, les victoires alliées renversent la donne, à Stalingrad, dans le Pacifique et avec le débarquement en Afrique du Nord. Bien que l’Italie mussolinienne s’écroule en 1943, l’événement décisif est l’ouverture d’un nouveau front contre l’Allemagne, en Normandie en juin 1944. Après de très durs combats, le Reich tombe en mai 1945. La Libération et la victoire plongent la France dans une fête, parfois expiatoire avec les pratiques extrajudiciaires d’épuration ou l’humiliation des femmes tondues. Cependant, toute l’horreur de l’entreprise nazie apparaît au monde : l’extermination des Juifs, qui constitue le fait majeur du siècle et même bien au-delà. Au nom d’une idéologie, tout un appareil d’État aidé par des civils s’est mobilisé afin d’éliminer une population de façon systématique : sans exception possible et sans limitation de lieu. Aucun autre génocide n’a – jusqu’à présent – réuni toutes ces caractéristiques dans un tel systématisme. La brutalisation des sociétés européennes semble avoir trouvé son acmé. Introduction 13 La défaite nazie libère l’Europe du joug totalitaire et génocidaire. Quelques ombres ternissent cependant la victoire alliée. En Algérie, le jour de la capitulation allemande, une manifestation dégénère en une vaste répression conduisant au massacre de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Ensuite, il s’agit de la bombe atomique, larguée à deux reprises sur le Japon en août 1945. Ces bombes hâtent bien entendu la fin de la guerre et la capitulation japonaise, mais au prix de centaines de milliers de morts. Cette nouvelle arme jette aussi le monde dans « l’ère nucléaire », faisant peser la menace de la disparition radicale de l’humanité. De façon plus générale, la guerre a une nouvelle fois ruiné l’Europe, les États-Unis sont tout-puissants et l’URSS sort grandie du conflit pour ses victoires contre l’Allemagne hitlérienne. La volonté de maintenir la paix aboutit à la création de l’Organisation des Nations unies (ONU), dont le fonctionnement, bien qu’imparfait, est cependant plus solide que la SDN. Trois conséquences politiques majeures découlent de la Seconde Guerre mondiale. D’abord, la « guerre froide » oppose les États-Unis et l’URSS. L’expression est inventée par le journaliste américain Walter Lippmann, dès 1947, moment où les blocs se forment. Les tensions entre les blocs sont vives, notamment au sujet de la question allemande. « L’équilibre de la Terreur » se transforme parfois en guerre, en particulier hors d’Europe. En Corée, les craintes d’un conflit nucléaire généralisé laissent la population mondiale dans une attente angoissante. Le basculement de la Chine dans le communisme, en 1949, joue d’ailleurs un rôle important dans ce conflit. Après la mort de Staline en 1953, les relations deviennent moins tendues entre les États-Unis et l’URSS, Krouchtchev instaurant une politique de « coexistence pacifique ». Pour autant, les crises localisées ne disparaissent pas : la construction du mur de Berlin en 1961, notamment, entraîne de vives tensions et donne corps au « rideau de fer » (Winston Churchill, 1946). Après la crise des missiles de Cuba en 1962, une « détente » s’installe entre les deux blocs mais la bipolarisation du monde perdure. Ensuite, le mouvement de décolonisation est favorisé par l’ébranlement des puissances coloniales durant la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle l’idée du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » est réaffirmée. Ainsi, les revendications indépendantistes suivent de près la fin du conflit : en Algérie, à Madagascar, en Indochine ou encore en Inde. Les conflits de la décolonisation, se déroulant dans les pays du Sud, sont parfois appelés les « guerres chaudes », en comparaison avec la guerre froide. La construction européenne constitue la troisième conséquence majeure de la Seconde Guerre mondiale. En effet, les pays européens estiment que 14 leur regroupement pourrait permettre d’éviter de nouveaux conflits et l’instauration de régimes autoritaires. Cette idée de départ a effectivement permis un rapprochement de plus en plus poussé au niveau supranational, jusqu’à regrouper aujourd’hui vingt-sept pays membres. Au niveau économique, l’après-guerre se divise en deux périodes. Après la reconstruction, l’économie mondiale entre dans une ère de prospérité qualifiée de Trente Glorieuses par Jean Fourastié en 1979. Ces années se distinguent par un accroissement démographique important (baby-boom) et par une croissance économique forte. Les échanges commerciaux internationaux s’accroissent très rapidement, au point que l’on évoque actuellement une « mondialisation » ou une « globalisation » économique. La croissance entraîne de nombreux bouleversements sociaux : une ère d’abondance voire d’opulence (expression de l’économiste Galbraith) et une croissance urbaine importante induisant de nombreux changements dans nos comportements quotidiens (transports, modes de vie). Ces bouleversements favorisent une contestation sociale, notamment en France et aux États-Unis en 1968. Ainsi, les femmes et les Noirs américains revendiquent leur émancipation, les étudiants et les ouvriers également protestent. Le premier choc pétrolier en 1973 constitue un coup d’arrêt brutal à une économie occidentale qui rencontrait déjà des problèmes de « surchauffe » (inflation). Quelques pays parviennent cependant à profiter d’un développement économique : ce sont les nouveaux pays industrialisés (NPI) d’Asie. Mais, globalement, la période des années 1970 et 1980 est volontiers qualifiée de « vingt piteuses », voire de « trente piteuses » par certains auteurs (Nicolas Baverez, Denis Clerc). De nouvelles donnes politiques caractérisent aussi cette époque : alors que les Américains subissent un dur revers au Viêt-nam, les fissures du bloc soviétique se multiplient. Parallèlement, un regain des tensions internationales est sensible entre les deux Grands, notamment en Afghanistan. Les Khmers rouge, en commettant un génocide au Cambodge, montrent qu’une idéologie est encore capable de conduire aux pires désastres. Enfin, le dernier chapitre ouvre la question de la fin du siècle. La proximité des événements rend d’autant plus difficile, voire impossible, de répondre avec assurance à cette question. En 1994, l’historien britannique Éric Hobsbawm affirmait que « le court XXe siècle » s’achevait en même temps que la chute du régime communiste en URSS, en 1991. Cette proposition ne manque pas de séduire : en effet, le communisme étatique s’installe en Russie en 1917, trois ans Introduction 15 seulement après le début du XXe siècle, et meurt dans les dernières années du découpage séculaire. Il recouvre donc la quasi totalité de la période et constitue l’un des faits les plus marquants de la période nous intéressant. Il est également possible de considérer la décennie des années 1990 comme une période charnière, de changements, avant la mise en place de nouvelles donnes internationales. Les attentats du 11 septembre 2001 constituent-ils un événement certes marquant mais dont les répercussions s’inscrivent dans le court terme ? Au contraire, contribuent-ils à l’instauration d’un nouvel ordre mondial ? Nous tenons particulièrement à remercier Stéphanie Bégaud, Hervé Brun, Hervé Guillemet, Guillaume Hoibian, Laurence Kundid, Jean-Philippe Mazaud, Hervé Naveau, Delphine Petit et Sterenn Quemeneur pour leurs conseils, leurs suggestions et, plus largement, pour leur aide précieuse dans leurs domaines de compétence. 16