Philo du langage Introduction à la « rhétorique » Le livre premier de

Philodulangage
Introductionàla«rhétorique»
Lelivrepremierdela«Rhétorique»apportedenombreuxéclaircissementssurlavisionqu’Aristote
adecettediscipline,dontonauraitpucroirequ’illabannissait,puisqu’elleaétél’objetdevives
critiquestantdesapartquedecelledePlaton.Maispourl’avoircritiquée,iln’enreconnaîtpas
moinssanécessité.C’estque,ditil,onnepeutpastoujoursrecouriràlasciencequandunequestion
seposeetqu’ondoittrancher(cettequestionsurgitdenosjoursdansdenombreuxdébatsoù,
commeondit,«lasciencen’apasencoretranché»,alorsqu’ilfautprendreunedécision,par
exemplesurlesOGM,lenucléaireetc.).Larhétoriqueestutile,ditAristote,parcequelevraietle
justesontpréférablesàleurscontraires:iladmetainsiqu’ilyaun«vrai»etun«juste»etquel’on
abesoindeméthodespourlesdégager.Larhétoriquesertdoncenpremieràcela.
Elleesttrèsprochedeladialectique.Ainsi,ditil«larhétoriqueserattacheàladialectique»,c’est
direaussiqueladialectiqueestplusgénérale.Danslesdeuxcas,ils’agitdel’artoratoire(Aristotedit
qu’aprèstout,puisquel’hommeatoutàfaitledroitd’utilisersesmembresdansl’action,onne
verraitpaspourquoiilseraithonteuxd’utiliserquelquechosequiluiestencoreplusproprequeses
membres,àsavoirsaparole),maisladialectiqueestunejouteoratoireuncontreunchacuntour
àtouressaiededémolirlesargumentsdel’autredanslebutd’arriveràmettreenévidencelavérité
d’unethèse,alorsquelarhétoriqueestplutôtdirigéeversunauditoiremultiple(thèmedela
plaidoirie)etsertàpersuader,mêmelorsqu’onestenfaced’unevéritéquin’estpasencoretoutà
faitétablie.
Laplaidoiriereposeengénéralsurtroisaspects:lapersonnalitédeceluiquiplaide(ildoitsemontrer
àsonavantage),celledujuge,qu’ils’agitdepersuader,etlesfaitseuxmêmesdontils’agitd’établir
lavérité.Contrairementauxsophistes,pourquitouslesmoyensétaientbonspourinfluersurlejuge
(appelàlapitiéetc.),Aristotepenseque,dansunbonEtat,ondoitlaisserlemoinspossible
d’arbitraireaujuge,c’estpourquoilapartiedelaplaidoirieliéeàl’actionsurlessentimentsdujuge
(lepathos)doitêtreréduite.Lapartielaplusgrandedoitdoncêtreoccupéeparlespreuves.
Unepreuvereposesurl’applicationd’uneméthode.C’estunedémonstration.Ellechercheàétablir
lavéritéd’unfaitdemanièreobjective.Pourcela,laméthodeidéaleseraitl’usagedusyllogisme,
maisonnepeututiliserceluiciquedanslecadredelascience.Or,nousavonsvuquelarhétorique
s’employaitquandlesrésultatsdelasciencen’étaientpasforcémentdisponibles.Aulieudesebaser
surlevrai,trèssouvent,enréalité,onseraobligédesebasersurlevraisemblable,ouleprobable.Le
syllogismecèdealorslaplaceàuneformeaffaiblie,qu’Aristotenomme«enthymème».Un
enthymèmeestdoncunsyllogismeoratoire.Afindetenircomptedufaitque,parlaparole,onne
peutpastoutdire(caronrisqueraitd’endormirl’auditeurparlerappeldechosesqu’ilsaitdéjà),
l’enthymème,entantquesyllogismeoratoire,feradoncl’impassesurcertainesprémisses.Onnedit
pascequiestévidentpourtoutlemonde.D’oùlefaitque,souventl’enthymèmereposesurdeux
propositions:uneprémisseetuneconclusion,lesyllogismenécessitetoujoursdeuxprémisses.
Parexemple,onpourradire:«Socrateadelafièvre,doncilestmalade»,attenduquetoutle
mondesaitque«siquelqu’unadelafièvre,ilouelleestmalade».Maisbienvite,onutiliserace
genred’argumentdansdessituationslaprémissemanquanten’estpasaussiassurée.Par
exemple,ondiraaussi:«Untelalarespirationprécipitée,donciladelafièvre»,alorsqu’onsait
bienqu’ilestpossibled’avoirunerespirationprécipitéepourd’autresraisons…D’oùlecaractèrede
plusenplus«probabiliste»del’enthymème.Enpassant,Aristotesoulignelaparentéquiexiste
entrel’enthymèmecommenousvenonsdelevoiretlanotiondesigne.Dire«siquelqu’unadela
fièvre,ilouelleestmalade»,c’estcommedire:«lafièvreestsignedelamaladie».Ilyadoncun
lienentreenthymèmeetsigne.Simplement,ilyadessignesnécessaireslesignequ’unetellea
accouché,c’estqu’elleadulait»)etdessignesréfutablesunteladelafièvrecarilaune
respirationprécipitée»).PourAristote,ilyaaussideuxtypesdesignes:ceuxquivontduparticulier
augénéraletceuxquivontdugénéralauparticulier.Danslepremiercas,onutiliseuneobservation
(ouunpetitnombre)pourfaireunegénéralité.Parexemple,uneobservationselonlaquelleunjuge
estsageetjustepeutservirdesigneàlajusticeetàlasagessedesjuges.Maisalorsc’estunsigne
hautementréfutable(onretrouveicilecasdel’exemple,cf.cidessous)!(commesilefaitd’observer
uncielrougissantunsoirprécédantunepanned’électricitéfaisaitipsofactoducielrougissantun
signeavantcoureurdepanned’électricité!).Lessignesquivontdansl’autresenssontplus
crédibles.Parexemple,onpeutétablirunliennécessaireentrelenombredecirconférencessurla
sectiond’untroncd’arbreetl’âgedel’arbre,onpeutalorsdéduirequelenombredecirconférences
estunsignedel’âgedel’arbre.C’estlaloiqui,ici,fondelarelationdesignification(celan’estpasdit
parAristote,biensûr).
Uneautrefigureutiliséeparceluioucellequiargumenteestl’exemple.Alorsquel’enthymèmeest
fondésurunerelationdepartieàtout(cf.quandondit«fièvre,doncmaladie»,onditque
l’ensembledesgensquiontdelafièvreestunepartiedel’ensembledesgensquisontmalades),
l’exempleestbasésurunerelationdepartieàpartie.Ainsiauratonvucertaindignitairedemander
unegarderapprochéelorsqu’ilavaitentêtededevenirtyran:celaneveutpasdireque
nécessairement,toutdignitairequidemandeunegarderapprochéefaitpartiedeceuxquidésirent
devenirtyrans…c’estjusteunoudeuxcas:ilsprocurentdesexemplesdecasundignitairea
demandéunegarderapprochéeavantdedevenirtyran,d’oùlessoupçonsqu’onpourraavoirpourla
suite.C’estunpeucommequandondit:«ilyaeudesprécédents»concernantdesassociationsde
faitsquel’onredoute.L’argumentn’estpasfondésuruneloi(mêmeprobabiliste)maisseulement
surunexemple.
Pourrevenirsurlaprémissemanquantedansl’enthymème,onnoteraquecertes,cetteabsence
peutsetrouverlégitiméeparlefaitquel’auditeursaitdéjàcequ’elleauraitditsielleavaitété
présente(parexemplequelafièvreindiquelamaladie),maiscelapeutnepasêtrelecas.Alors,on
ditquelepremierlocuteur(celuiquiénoncel’enthymème)introduitcetteconnaissancesupposée
dansl’arrièrefondsdesconnaissancescommunes.Ils’agitdumécanismed’accommodation(qu’on
verraàl’œuvreaussidanslemécanismedelaprésupposition).L’interlocuteurs’accommodesurle
proposdulocuteurafindemaintenirunfondscommundesavoirpartagé.Evidemment,iln’yestpas
obligé…maisonpeutnoterquececisepassesouventdansledébatquandonneveutpasdire
explicitementcesurquoionsefondedansl’enthymèmeprésenté.Onnesouhaitepasmettreen
lumièreunaspectdecequiestsupposéparceque,parexemple,c’estjustementincertain(!)ou
bienparcequec’estunevéritéinavouable.Lesdébatséconomiquessontsouventpleins
d’enthymèmesparcequebaséssurdes«lois»dontonn’estpastoutàfaitsûr.Lesdébatspolitiques
(ou«surlesvaleurs»)sontpleinsaussid’enthymèmesreposantsurdesvéritésinavouables.Direpar
exemplequ’ilfautréduirelesminimauxsociauxpourréduirelenombred’assistés(cf.MittRomney)
c’estunemanièredenepasdirequ’onpensequelespauvresetleschômeurssontdesgensquine
visentqu’àêtredesassistés.
Finalement,larhétoriqued’Aristoteouvrelavoieàuneconceptiondulangagebaséesurl’interaction
etlapragmatique.Parler,c’esttenterd’influersursonenvironnementetenparticuliersurles
arrièrefondsdesavoirpartagédesunsetdesautres.
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