à cette stagflation, des créateurs ont mis en place
des variantes, comme Escada, avec des parfums
saisonniers. Cela a permis de booster les résultats.
Puis, les parfums dits « de niche » ont fait leur appa-
rition. Ils marquent le retour d’un vrai luxe dans le
secteur, en réponse à une attente insatisfaite de bel-
les matières, à une volonté de différenciation, à un
regain pour la belle ouvrage. Ces parfums sont plus
recherchés, plus créatifs et d’excellente qualité. Et
leur distribution demeure confidentielle par rapport
à leur notoriété. Des parfumeurs comme Frédéric
Malle et Serge Lutens ont lancé des fragrances
plus radicales et engagées. Avec beaucoup moins
de compromis au niveau marketing pour attirer un
grand nombre de consommateurs. Cela ne les a
pas empêché de trouver une clientèle fidèle et pas-
sionnée. Face à cet engouement, les grandes mar-
ques ont décidé, elles aussi, de se lancer sur ce
segment en sortant des fragrances vendues uni-
quement dans leur boutique état-major. Elles ont
réédité des parfums anciens ou créé des senteurs
très haut de gamme dans de beaux flacons. Cela
a permis de réinjecter du luxe et de redorer certai-
nes images de marque qui en avaient bien besoin...
Une jolie façon de prouver qu’en ayant le courage
de créer sans compromis, et en ne prenant pas les
consommateurs pour des moutons de Panurge, on
peut sortir par le haut du marasme vers lequel se
dirigeait la parfumerie.
LE JEU DES DIX FAMILLES OLFACTIVES
Les parfums sont traditionnellement classés en familles
olfactives dont voici les caractéristiques.
LES FLORAUX sont composés d’une fleur ou d’un bouquet floral. Cette famille utilise de nombreuses
essences comme la rose, le jasmin, la violette, le freesia...
LES CHYPRÉS sont formés sur un accord de mousse de chêne et de notes fleuries avec des
aspects cuirés ou fruités.
LES FOUGÈRES sont construits sur un accord de lavande et de notes boisées, parfois
accompagnées de mousses de chêne et de bergamote. Cette famille est à la base de nombreuses
eaux de toilette masculines.
LES CUIRS se caractérisent par des odeurs dites sèches. Elles rappellent les odeurs de tabac, de
miel et de bouleau.
LES AMBRÉS sont dominés par un mélange chaud et oriental de vanille et d’essences animales,
accompagnés de fragrances fleuries et poudrées, de fleurs et de bois exotiques.
LES ÉPICÉS regroupent des fragrances relevées par les notes piquantes de la girofle, de la
coriandre, de la cannelle et du genévrier.
LES HESPÉRIDÉS sont des fragrances toniques à base de zestes d’agrumes comme la bergamote,
le citron, l’orange, la mandarine et le pamplemousse, ainsi que des produits de l’oranger (petitgrain,
neroli). Cette famille constitue en principe la dominante des eaux de Cologne.
LES AROMATIQUES sont composés principalement de sauge, de romarin, de thym, de lavande et
sont souvent accompagnés de notes hespéridées et épicées.
LES ORIENTAUX mélangent des notes de fleurs, de bois ou d’épices à des notes vanillées et
balsamiques (résines et baumes).
LES FRAIS sont parfums modernes à odeurs fraîches (non hespéridés). Dans cette famille, on
retrouve des notes aquatiques et musquées.
PATRICK SAINT-YVES
est directeur commercial et
directeur de la communication
de Takasago Europe, société
japonaise de parfums et
d’arômes alimentaires.
Également vice-président
de la Société française des
parfumeurs qui fédère tous
les nez et les professionnels
de la création de parfums,
cet expert analyse une
consommation et un marché
en pleine mutation.
Propos receuillis par Diane Leprince
Quelle est l’activité de votre société ?
Takasago est une entreprise de création et de
production de parfums et d’arômes alimentaires.
Nous créons des fragrances pour la parfumerie
fine aussi bien que pour les produits de soin, d’hy-
giène personnelle ou les cosmétiques : crèmes de
soin, lotions corporelles, shampoings, bains mous-
sants... Nous élaborons aussi des produits d’entre-
tien — lessive, nettoyants divers, savons, parfums
d’ambiance... Ces dernières années, nous avons
renforcé notre présence dans la parfumerie fine.
Takasago réalise un chiffre d’affaires d’environ un
milliard de dollars. Nos centres de création et de
fabrication sont installés dans le monde entier —
Japon, Chine, Singapour, Mexique et Brésil.
Comment devient-on nez ?
Se former au métier de parfumeur demande envi-
ron dix ans. En général, l’apprenti parfumeur com-
mence par étudier la chimie. Ensuite, il intègre
une école spécialisée ou il rejoint une entreprise
pour assimiler ses gammes, comme un musicien.
Les matières premières ne doivent pas avoir de
secrets pour lui ! Il étudie leurs concordances et
doit pouvoir les reconnaître dans les parfums et
évaluer leur dosage. Il faut effectuer un très long
travail avant de se lancer dans la création. Il y a
des milliers de matières premières à mémoriser.
Alors, pendant un bon moment, le parfumeur est
obligé de copier les autres, toujours à l’image des
musiciens. La formation est difficile, car la parfu-
merie ne possède pas de vocabulaire propre. Pour
décrire les odeurs, elle emprunte des mots à la
musique, à la littérature, à l’architecture, à la philo-
sophie ou encore à la psychologie.
Comment crée-t-on un parfum ?
Généralement, la marque nous contacte et
annonce qu’elle veut lancer un nouveau féminin ou
masculin. Elle définit la cible ainsi que l’âge et les
attentes des personnes visées. Elle choisit aussi la
direction dans laquelle elle veut aller, le concept et
son positionnement par rapport à l’existant de la
marque et de ses concurrents. Et elle nous con-
fie la réalisation de la fragrance qui correspondra
à son projet. Parfois, certains des éléments dont
nous disposons peuvent sembler bizarres aux non-
initiés. Concoctés par le service marketing de la
marque ou par le designer lui-même, ils prennent
la forme de concept boards avec des déchires de
magazines, des dessins, des maquettes, des mélo-
dies, des couleurs, des échantillons de tissus... Un
grand couturier peut nous raconter son histoire ou
des souvenirs personnels et nous demander de les
transcrire au niveau olfactif. Pour le parfum Angel,
Thierry Mugler voulait des odeurs de barbe à papa.
Pour Le Mâle de Jean Paul Gaultier, le parfumeur
voulait retrouver des senteurs de son enfance.
Créer un parfum est un mélange d’intuitions, de
compréhension et de capacité à développer des
formes olfactives. Nous sommes un peu le porte-
plume de notre client tout en étant son guide dans
la galaxie des senteurs.
Existe-t-il des modes dans les senteurs ?
Oui, il y a ce qu’on appelle des trends. C’est un
peu comme la hauteur de l’ourlet des jupes dans
la mode. Certaines années, le court a la cote. La
saison suivante, le long revient sur le devant de la
scène. Sur les cinq dernières décennies, on peut
dessiner une sorte de sinusoïde, avec des phéno-
mènes de mode qui alternent successivement par-
fums frais et légers et fragrances plus capiteuses et
orientales. Mais cela reste relatif. Les lancements
sont tellement nombreux ces derniers temps, qu’il
est difficile de déterminer la mode du moment.
Actuellement, plus de 500 parfums sortent sur le
marché chaque année et la plupart ne survivent pas
plus de trois mois. Le succès d’un produit dépend
beaucoup du punch de sa communication, donc
des budgets mis en place. Fuel for Life de Diesel
marche très bien. Des dizaines de millions d’euros
ont été investis dans la communication. Sans cela,
le produit aurait-il marché ? Nous n’en savons rien.
Réponse dans six à douze mois, quand la pression
publicitaire aura baissé afin de récupérer d’hypo-
thétiques profits.
Observez-vous des changements dans le
mode de consommation du parfum ?
L’idée de porter le même parfum toute sa vie,
chère à nos mères, paraît révolue de nos jours.
Maintenant, on possède une garde-robe de par-
fums. Selon son état d’esprit, une femme ou un
homme choisira telle ou telle fragrance. D’ailleurs,
on ne porte pas le même parfum en journée et
en soirée, au bureau ou le week-end. Un vérita-
ble changement s’est opéré dans la consomma-
tion. Selon les circonstances, on choisira quelque
chose de plus capiteux ou de plus frais, de plus
moderne ou de plus romantique.
Actuellement, comment évolue le marché
du parfum ?
Après la parfumerie de masse, la tendance est
aujourd’hui à la parfumerie hyper-sélective, aux par-
fums saisonniers, aux parfums de niche, voire au
sur-mesure. Le marché a beaucoup souffert de ses
excès. En recherchant des volumes de plus en plus
importants, il s’est amoindri, banalisé. En réaction
La création sans compromis
a permis à la parfumerie de sortir, par
le haut, d’un probable marasme”