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Pas un magazine féminin ne sort en kiosque sans une page consacrée à la publicité
d’un parfum. A la télévision, même topo ! Les marques sortent l’artillerie lourde
pour séduire le consommateur à coups de stars de cinéma et de mannequins
renommés. Aujourd’hui, entre 400 et 500 fragrances sortent en magasin
par an, avec ou sans gros plan de communication. Mais les grandes maisons
de ce secteur ne sont plus les seules à se partager le marché. Les parfums
de niche ainsi que les marques de textile casual tirent leur épingle du jeu. Dossier réalisé par Diane Leprince
Neuf femmes sur dix et un homme
sur deux se parfument. Avec de tels
chiffres, le secteur attise les convoiti-
ses. Et nombreux sont les industriels
sireux de croquer à pleines dents
ce marché juteux. Dans les anes 1980, les fabri-
cants de lessives se sont lancés dans l’aventure.
Leur objectif : compléter leur gamme par des pro-
duits de luxe. Ainsi, Procter & Gamble, Unilever,
Johnson & Johnson et Benkiser ont investi un
domaine jusqu’alors réservé aux grandes maisons.
Pour faire leur entrée dans la cour des grands, ces
groupes spécialis dans les produits d’hygiène et
de beauté acqurent, à tour de bras, des marques
de cosmétiques et des licences. Unilever achète
les groupes Faber-Elisabeth Arden et Calvin
Klein, ainsi que les licences Scherrer et Lagerfeld.
Procter & Gamble fait ses armes dans le secteur
avec les marques moyen de gamme Oil of Olaz et
Vidal Sassoon. Puis avec l’achat de groupe de cos-
métiques aricain Max Factor, il se lance dans le
haut de gamme avec Hugo Boss. Larrivée de ces
ants de l’industrie des produits d’hygiène a révo-
lutionné le marché du parfum. La concurrence sest
largement intensifiée. Linflation des coûts de lance-
ment na cessé de grimper. Et ces mastodontes ont
importé, sur ce secteur, des thodes de ventes
aux antipodes de celles des grands parfumeurs.
Alors que nagre Guerlain ne voulait entendre par-
ler que de distribution sélective, de véritables fra-
grances sont dorénavant vendues en grandes sur-
faces aux côtés d’eaux de Cologne bon marché. De
quoi faire grincer des dents plus d’un puriste...
MARKETING TOUT-PUISSANT
Depuis cette révolution, la communication demeure
omniprésente. Tels des marionnettistes, les servi-
ces marketing des difrents groupes tirent les ficel-
les du marché. Ils décident de la création d’un par-
fum ainsi que de la manière de communiquer autour
du produit. Et pour susciter l’engouement des con-
sommateurs, tous les moyens sont bons : égéries
glamour et mannequins tendance, campagnes d’af-
fichage offensives, insertions dans la presse maga-
zine, sites Internet... Sur ce marcembouteil
chaque nouveauchasse l’autre, les premiers mois
du lancement sont fatidiques. Le marketing joue
un rôle de plus en plus important dans la course
au sucs. Dernier exemple en date, une licence
l’Oréal, Fuel for Life de Diesel. A l’automne dernier,
à l’occasion de la sortie de son parfum, la marque
a donné la possibilité à ses clients de customiser
leur flacon sur son site Internet. Et pour créer un
buzz d’envergure, le nombre de bouteilles transfor-
mables était limià 20 000 exemplaires. Ce parfum
constitue l’un des plus gros lancements de l’Oréal
Parfums de ces dix dernières anes. Lobjectif est
limpide : Fuel for Life souhaite se glisser dans le
top 10 des parfums femme les plus vendus. Pour
cela, tout a été mis en œuvre : budget de lancement
colossal, lms publicitaires à gogo, orations de
street-marketing en pagaille... Et l’Oal Parfums ne
s’est pas trompé : Fuel for Life est devenu l’un des
parfums à succès de l’ane 2008. Il vient d’ailleurs
de recevoir le Prix Marie-Claire.
RENAISSANCE DU LUXE
A force de multiplier les lancements et de cou-
rir après les plus gros volumes, les industriels du
secteur ont quelque peu oublié l’essence même
du parfum : le luxe. Les consensus olfactifs et les
économies sur les éléments d’emballages ont égra-
tig son image glamour. Conséquence : le mar-
ché a payé pour ses excès et s’est essoufé. Les
consommateurs avertis ont commencé à s’éloigner
des marques trop commerciales. Une véritable
segmentation du secteur s’est opérée avec, d’un
côté, la parfumerie de masse et, de l’autre, la par-
fumerie de niche. Cette dernière redonne au par-
fum tout ce qui a fait son sucs. Sans compromis
marketing, elle propose des fragrances engaes,
surprenantes, rivalisant d’appellations créatives.
Serge Lutens invite au voyage avec Fumoir Turque
et À la Nuit. Electron libre, l’Etat Libre d’Orange va à
l’encontre des ies reçues et n’hésite pas à nom-
mer l’une de ces cations Putain de Palace. Les
marques de niche misent avant tout sur la qualité
et l’originalité de leurs produits. Les bouteilles sont
travailes comme de ritables objets d’art. The
Different Company propose, par exemple, des a-
cons en verre lourd et des capots en tal mas-
sif. A l’heure du « prêt à parfumer », les marques de
niche duisent des passionnés qui ont l’impres-
sion d’acquérir des produits rares. Ces labels mar-
quent la renaissance du vrai luxe dans le secteur
du parfum. Les sultats s’en ressentent. En 2006,
la société d’études NPD a noté une progression de
3,3 % en valeur et de 0,4 % en volume sur ce seg-
ment. De leur côté, les grandes maisons ont aussi
senti le vent tourner. C’est pourquoi elles ont sou-
haité revenir à des produits plus en phase avec leur
image de marque, quelque peu galvaudée par la
recherche de volume. Certaines ont ainsi lancé des
collections de fragrances uniquement disponibles
dans leur boutique état-major. D’autres ont édité
de vieux parfums.
LE TEXTILE SE MET AU PARFUM
Ces derniers mois, des marques inattendues sur
le marché du parfum ont investi le secteur. Les
consommateurs peuvent dorénavant retrouver,
chez les distributeurs, des parfums Oxbow, Roxy,
Kanabeach et Quiksilver. Leur arrie sur un mar-
ché jusqu’alors ser aux marques créateurs et
aux grandes maisons n’est pourtant pas si surpre-
nante. Le parfum demeure un produit à forte valeur
ajoutée. Malgré les excès passés, il reste un ra-
teur de luxe. Il donne une image premium à ce type
de marques. Dans les années 1980, lorsque Jean-
Paul Gautier investit le marcdu parfum, il voulait
avant tout toucher un grand nombre de consom-
mateurs avec un produit accessible. Les marques
comme Oxbow et Kanabeach adoptent une autre
marche. Certes elles souhaitent récurer des
parts de marché, mais elles veulent surtout injecter
du luxe dans leur image. Concernant leur distribu-
tion, elles ont plus de difcultés à se positionner en
magasin. Pour autant, certains distributeurs n’hési-
tent pas à tenter l’aventure avec elles. Ces marques
proposent des produits plus abordables et drainent
des consommateurs avec un pouvoir d’achat plus
faible les jeunes. Cela permet aux distributeurs
de diversifier leur clientèle, d’attirer en magasin des
personnes qui n’auraient peut-être pas o fran-
chir le seuil de la porte et, surtout, de fidéliser les
consommateurs de demain. Cependant, ces par-
fums ont une durée de vie éphére. Une fois les
campagnes publicitaires termies, l’engouement
s’amenuise et la nouveauté chasse au fond du
magasin les parfums à sucs marketté d’hier.
UN MARCHÉ
ENTRE DEUX EAUX
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MARQUES DE NICHE
À SUIVRE
Créatives et engagées, elles séduisent une
clientèle de passionnés, lassés de la parfu-
merie de masse et des concepts marketing.
Leurs fragrances sont plus capiteuses et
moins dans le compromis. Ces marques ont
réinjecté du luxe dans un marché qui était en
train de perdre ses lettres de noblesse. Sur
ce segment, quelques éditeurs et créateurs
de parfums se distinguent. Les Editions de
Parfums Frédéric Malle éditent des parfums
avec le nom des nez qui les ont créés. L’Etat
Libre d’Orange joue, lui, la carte de créati-
vité avec des noms très ludiques. Quant à
la maison Caron, elle possède 13 extraits
majeurs qu’elle distille uniquement en bou-
tique. La collection Hermessence créée par
Jean-Claude Ellena pour Hermès est dispo-
nible en exclusivité dans la boutique pari-
sienne de la rue du Faubourg-Saint-Honoré.
La collection de parfums L’Art et la Matière
de Guerlain est disponible uniquement à la
Maison Guerlain. Pour finir, Dyptic crée l’Eau
de Dyptic.
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JEAN-MARIE MARTIN-
HATTEMBERG, expert auprès
de la cour dappel de Versailles
art et patrimoine de la parfumerie
du XXe siècle, passe le marché
du parfum au crible. Une critique
sans concessions.
Quelles sont vos impressions sur
le marché actuel du parfum ?
Actuellement, on assiste à une révolte de certains
secteurs créatifs qui se mettent à faire des parfums
de très grande qualité et quelque peu confidentiels.
Et puis, on note un véritable ras-le-bol envers les
grands groupes. Depuis quelque temps, le con-
sommateur effectue une recherche d’identité. Il se
fie de moins en moins au nom qui figure sur la bou-
teille de parfum. Il tombe moins facilement dans
l’image. En revanche, il sire un produit de qua-
lité. Il ne veut plus qu’on se moque de lui. La ques-
tion du rapport quali/prix n’est pas la seule en jeu.
Le consommateur s’intéresse aussi à la créativité.
Certains grands groupes ont utilisé leur renom-
e pour vendre des jus très souvent vulgaires et
sans tenue. Les noms de parfums qu’on cline,
comme des films de cima, en numéro 1, 2 ,3, 4
sur des bouteilles dont on ne change que la cou-
leur... Forcément, ça fait moins rêver et ça lasse.
Alors c’est r, cela diminue les frais de dépôt de
marque et de mole. Le moule pour le flacon est
aussi amorti. Par conséquent, l’économie leur per-
met d’investir dans un important plan de communi-
cation. Mais la parfumerie de masse commence à
ressentir les effets pervers qu’elle a provoqués. Et
c’est dans ce contexte que des marques de niche
ont su tirer leur épingle du jeu comme les Éditions
Frédéric Malle ou encore l’Etat Libre d’Orange.
Que pensez-vous des marques de textile
qui se lancent sur le marché du parfum ?
Les marques de vêtements qui se lancent dans le
parfum utilisent des licences. Prenons l’exemple
de Morgan, une licence CofinLuxe. Ce parfum est
assez joli, frais et fin. Mais cela reste une fragrance
épre, car elle demande un travail constant
de promotion pour maintenir le consommateur en
éveil. Nous ne sommes plus dans le mythe des
parfums de couturiers des anes 1920, 1930 ou
1940. Diesel vient de recevoir le prix Marie-Claire
dans la catégorie Meilleure communication parfum,
pour Fuel for Life pour elle. La communication et un
énorme matraquage publicitaire ont fait son sucs
La créativité
passe au second plan pour
beaucoup de marques
et ce, malg un nom peu glamour... Aujourd’hui,
il est essentiellement question d’argent. La créati-
vité passe au second plan pour beaucoup de mar-
ques. Il faut dire que le parfum est un formidable
produit d’appel pour les marques de textile. Pour
les cateurs comme Armani, Escada ou Gaultier,
il leur permet de toucher une cible plus large. Pour
des marques comme Diesel, Morgan ou Oxbow, il
améliore leur image.
Peut-on parler de tendances
dans les parfums ?
À l’heure actuelle, on revient aux tons floraux, non
entêtants et gers. La mode est aux floraux aériens.
Mais, bien entendu, tout dépend de ce que l’on
cherche. D’un côté, il y a ce type de parfum. Et de
l’autre, vous avez des parfums de niche extrême-
ment capiteux, lourds qui sont plus dans le registre
du Moyen-Orient et de l’Inde. Aujourd’hui, les ten-
dances restent difficiles à identifier. Une sorte de
cacophonie rale règne sur le marcdu par-
fum. De nombreux produits sont lancés. Pour un
grand nombre, au bout de trois ou quatre mois, ils
tombent dans l’oubli. Dans ces conditions, la vraie
tendance reste la segmentation du marché en deux
les : la parfumerie de masse et la parfumerie de
niche. Propos receuillis par Diane Leprince
Les parfums féminins
les plus vendus au monde
1> CHANEL N°5
2> SHALIMAR DE GUERLAIN
3> ANGEL DE THIERRY MUGLER
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Quelle est votre fonction ?
Je suis la garante du style Guerlain et à l’origine de
la plupart des idées de cations de parfums. Je
travaille conjointement avec le département marke-
ting qui me demande de velopper des fragran-
ces avec un brief pour support. J’essaie alors de
trouver une ie olfactive, un concept qui soit en
adéquation avec ce qu’il recherche. Comme j’ai une
formation de parfumeur, je mentalise cela pour le
retranscrire de manière olfactive. Ensuite, je cher-
che le parfumeur avec lequel je pourrais travailler
en duo. En fait, je n’écris pas la formule. Mais mes
connaissances dans ce domaine me permettent à
la fois de choisir et de coacher le parfumeur, afin
d’obtenir ce que dont j’avais et ce que j’avais
« visualisé ».
Quel est votre parcours ?
Mon parcours est vraiment atypique. Avant d’évo-
luer dans le monde magique du parfum, j’ai exercé
plusieurs professions. J’ai débuté dans l’univers du
maquillage et du soin j’ai exercé la profession
de maquilleuse. Puis, j’ai travaillé dans le marketing
maquillage et j’ai également fait de la formation.
Quand je suis rentrée chez Guerlain, je me suis ren-
due compte que je posdais beaucoup de con-
naissances en matière de soins et de maquillages,
mais peu dans le domaine des parfums. Evoluant
dans la plus belle histoire de la parfumerie, j’ai eu
envie de parfaire mon savoir. J’ai demandé une for-
mation aux parfums. Et du jour au lendemain, ma
vie a changé. Je suis tome amoureuse de cet
univers. J’ai eu le déclic et l’envie de me lancer.
Comment créez-vous un parfum Guerlain ?
Le nez compose suivant un cahier des charges
très précis. Plus ce dernier est concis, plus il est
aisé, pour le nez, de composer. Moi, je dois coa-
cher à chaque étape. En amont, mon travail doit
être très rigoureux. D’abord, il faut trouver une idée
forte. Quand le brief est prêt, le nez passe à l’action.
Imaginons que l’on dise : « Je veux un cuir qui aurait
l’image dun daim blanc ; un cuir minin, poudré,
liotrope et vanile. » Avec le parfumeur, nous
parlons la me langue. Il visualise très bien ce
que j’imagine. Nos échanges sont quotidiens pour
obtenir ce que j’avais vraiment en tête. Et le par-
fum doit répondre à toute l’exigence de Guerlain au
niveau des matières premières et respecter l’ADN
de la marque. C’est-à-dire, son audace, sa qua-
liet sa minité. Dans le jus, on doit retrouver de
la ténacité, un côté audacieux. Laissez une trace
dans la mémoire des autres, c’est vraiment notre
leitmotiv !
Qu’est-ce qui différencie un parfum
Guerlain d’un autre ?
Tout d’abord, nous avons un sceau olfactif, une
empreinte commune à tous nos parfums. On peut
me parler d’air de famille car il y a un côté très
féminin et très sensuel inrent à toutes nos fra-
grances. Elles imprègnent la mémoire des autres
et ne laissent pas indifrent. Et puis, nos parfums
sont très qualitatifs. Nous choisissons avec soin
les matières premières. Notre savoir-faire et nos
secrets de fabrication garantissent la qualité de
nos fragrances. Nous travaillons dans le respect de
Le leitmotiv de Guerlain :
laisser une trace dans les mémoires
notre ADN et de notre histoire. Guerlain crée des
parfums de peau très naturels. Par conséquent,
ils évoluent différemment d’une femme à l’autre.
D’autre part, depuis cinq générations, nous som-
mes fidèles à certaines matres telles que la ber-
gamote, la vanille, la rose... Nous orchestrons nos
fragrances d’une certaine manre. Nous préfé-
rons les parfums avec des formules courtes, avec
beaucoup d’impact, des overdoses et des défauts.
Certains accidents maîtris sont à l’origine de
quelques sucs de la marque. Les senteurs trop
lisses, trop parfaites, ne nous conviennent pas. En
fait, quantid’éments pourraient expliquer pour-
quoi un parfum Guerlain est différent des autres.
Sincèrement, c’est un véritable sujet de disserta-
tion. Mais une chose demeure depuis des décen-
nies : chez Guerlain, nous sommes instigateurs de
tendances et nous ne suivons, en aucun cas, les
modes.
Quels sont vos objectifs en matière
de cation et de marché ?
J’ai la chance d’avoir une grande liberde création.
On me fait confiance. Par conséquent, je ne suis
pas figée dans un carcan. Nous avons déjà raconté
beaucoup d’histoires. Mais j’ai beaucoup d’envies
encore. Je souhaiterais créer une fragrance dans
l’air du temps, souriante, fraîche, mais respectant
nos valeurs.
En matière de marché, nous avons la chance d’être
dans un secteur en pleine expansion. Nous déve-
loppons nos parts de marché dans des pays émer-
gents où la population s’intéresse de plus en plus
au parfum grâce à un pouvoir d’achat en hausse.
Nous commençons à nous lancer en Chine, en
Inde, au Bsil... Notre cision de recentrer notre
offre, en 2000, porte ses fruits. En France, même si
le marcreste un peu morose, nos sultats pro-
gressent. Par conséquent, nous allons continuer
sur cette voie, en gardant toujours à l’esprit de don-
ner des ailes à nos racines !
Depuis des décennies, la
maison Guerlain, qui fête ses
180 ans cette année, demeure
l’une des références mondiales
en matière de parfums.
Sylvaine Delacourte, directrice
de création des parfums de la
marque, nous dévoile les clés
de cette réussite et évoque
les ficelles de son métier.
Rencontre avec une femme
qui a du flair !
Propos receuillis par Diane Leprince
PARFUM, EAU
DE TOILETTE OU
DE PARFUM, QUELLES
DIFFÉRENCES ?
Une fragrance est un mélange de
différentes matres premres auxquelles
on ajoute une certaine quantité de parfum,
d’eau et d’alcool. Selon le niveau de
concentration de ces trois composants,
le créateur définira l’appellation de sa
composition. Lorsque l’on dit qu’une
fragrance est concentrée à 12 %, cela
signifie, qu’il y a 12 % de parfum et 88 %
d’un mélange d’alcool et d’eau distillée.
Voici les taux habituels de concentration
selon les produits :
Eau de Cologne : 6 %
Eau de toilette : 8 à 12 %
Eau de parfum : 15 %
Parfum : 18 à 24 %
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Les parfums masculins
les plus vendus au monde
1> LE MÂLE DE JEAN PAUL GAULTIER
2> AZZARO POUR HOMME
3> EAU SAUVAGE DE DIOR
Le parfum possède une
forte valeur ajoutée et un côté
luxe indéniable
Comment transposez-vous l’univers de
marques de textile dans un parfum ?
Le processus de création est dirigé par le service
marketing parfum. Nous rencontrons notre client
qui décrit sa marque et ses valeurs. Il nous montre
des dossiers de presse. Nous nous abreuvons de
toute cette matière et nous essayons d’en faire une
retranscription auprès des créatifs et des designers
avec lesquels nous travaillons. Nous mettons à leur
disposition des éléments visuels. Les créatifs ten-
tent, à travers un concept board, de transmettre une
idée aux parfumeurs et les designers travaillent sur
un projet de flacon. En fait, le service marketing est
un relais entre le client et les créatifs. Ce processus
peut durer de quatre mois à un an. Tout dépend de
la complexité de l’univers de la marque.
Pourquoi les marques de textile se
lancent-elles dans cette aventure ?
Jusqu’à présent, les créateurs tenaient le haut du
pavé dans ce secteur. Mais depuis quelque temps,
des marques de sport ou de prêt-à-porter, plus mid-
dle class comme Lulu Castagnette et Oxbow, ci-
dent de tenter l’aventure. Elles veulent velopper
leur image. Et le parfum est un produit qui s’y prête
parfaitement. Dans les anes 1980, Jean Paul
Gaultier a eu la me envie. Il a souhaiprofiter
de l’émergence de sa marque pour toucher une
autre catégorie de consommateurs. Pour cela, il a
ployé de nombreuses licences dont celle du par-
fum. Pour les cateurs, les fragrances demeurent
un excellent produit d’appel. L’objectif n’est pas le
me pour Oxbow et Lulu Castagnette. Le parfum
posde une forte valeur ajoutée et un côté luxe
indéniable. Par conséquent, cela permet de faire
évoluer leur image vers un univers plus premium. Et
puis, de manière plus pragmatique et commerciale,
ce produit permet de toucher un plus grand nom-
bre de consommateurs.
Quelle place occupe la communication
dans le succès d’un parfum ?
Aujourd’hui, la communication est primordiale lors
du lancement d’un parfum, pour le faire conn-
tre. Nous, licenciés, devons à la fois travailler sur
la stratégie publicitaire affile au produit mais aussi
sur les canaux utilis pour communiquer. Dans ce
domaine, il faut redoubler de créativité pour mar-
quer l’esprit du consommateur. Pour autant, le fac-
teur qui provoque le succès d’un parfum demeure
la qualité du jus. Il n’y a pas de secret, il doit sentir
bon. Le design de la bouteille joue aussi. Mais la
recette du succès n’existe pas. La communication
est la partie visible de l’iceberg. La stratégie com-
merciale et la force de la marque jouent pour beau-
coup dans la réussite ou l’échec d’un parfum.
Comment se passe la distribution de ces
parfums ?
Les distributeurs s’intéressent à la force de la mar-
que. Ils raisonnent en termes de ux de consomma-
teurs. Lorsqu’ils voient le plan de communication
d’un parfum comme Fuel for Life de Diesel, ils se
disent qu’un tel produit va doper l’afuence. Alors,
forment, quand je présente mes parfums, c’est
un peu plus difcile. Mais nous avons un avantage
incontestable : Oxbow et Lulu Castagnette drai-
nent un autre type de clientèle. Ces marques alter-
natives attirent des consommateurs plus jeunes et
au pouvoir d’achat plus faible. Par conquent, les
distributeurs peuvent diversier leur clientèle et leur
offre produits. Propos receuillis par Diane Leprince
JÉRÔME GALINET,
directeur commercial de Lorience,
veloppe les parfums pour
Oxbow et Lulu Castagnette.
Il nous explique l’int, pour
ces marques casual alternatives,
d’associer leur image à des
fragrances de bonne qualité.
Un gros plan
de commu-
nication se
ressent dans
le prix dun
parfum
Comment avez-vous retranscrit l’univers de
Kanabeach dans un parfum ?
Kanabeach est une marque qui posde un uni-
vers ts large. Trois lignes de produits sont cli-
es : une assez jeune et colorée, une plus classi-
que et une biologique. Cette dernière a été lancée
il y a plus de dix ans et comporte des vêtements
ingralement bio. Pour nous, lenjeu était de u-
nir ces trois univers en un produit. Kanabeach est
une marque très punchy. Mais pour cer une fra-
grance, nous ne pouvions pas utiliser ce très
fun. Cela ne colle pas avec l’image d’un produit
comme le parfum. Nous sommes donc ress sur
une base assez classique. Nous avons repris les-
prit maori et surfeur que gage la marque. Nous
avons conçu un flacon commun au parfum femme
et homme. Seule sa couleur difre : le violet pour
la fragrance minine et le bleu-vert pour la mas-
culine. Quant au design de la bouteille, on retrouve
un tatouage blanc et le logo KB est de couleur
argent. Nous avons développé ce parfum avec
l’IFF, numéro 1 mondial du secteur, qui a ce le
parfum Victor and Rolf et travaille avec des mar-
ques comme Chanel ou Dior. Nous avons voulu
miser sur la qualité pour créer un produit dont
nous pouvons être fiers.
Comment se passe la distribution ?
Il ne faut pas se leurrer. Distribuer un produit de ce
type n’est pas facile. En plus, ces derniers mois,
Roxy, Quiksilver et Oxbow ont aussi sorti leurs par-
fums. Et certains lancements n’ont pas édes suc-
s. Par conséquent, les distributeurs sont plus réti-
cents à placer notre produit dans leurs boutiques.
En France, quatre enseignes se partagent le mar-
ché : Sephora, Douglas, Nocibé, et Marionnaud.
Pour toucher le maximum de consommateurs, on
doit passer par eux. À l’heure actuelle, le parfum
Kanabeach est distribué dans 70 points de vente et
sur le site de la marque. À l’étranger, en revanche,
nous rencontrons moins de difficultés. En ral,
un parfum « made in France » est bien accueilli.
D’ailleurs, nous sommes très bien implantés en
Arabie saoudite, à Dubaï, en Ukraine, en Russie...
Notre objectif des prochains mois : mettre en place
un réseau avec Kanabeach pour être présent dans
plus de points de vente !
Quelle est la place de la communication dans
le succès d’un parfum ?
Il faut avouer qu’aujourd’hui la communication
joue un rôle majeur dans le succès d’un parfum.
Disposer d’un budget de 5 millions d’euros comme
Diesel permet d’être inventif et surtout de laisser
une trace dans l’esprit du consommateur. Avec un
tel budget, nous ferions, je pense, le même car-
ton. Mais nous n’avons pas les mêmes moyens.
Du coup, nous sommes moins connus auprès des
clients. Pour communiquer, il faut également un bon
réseau. Sinon, ça ne sert à rien d’investir des som-
mes astronomiques pour faire de la publicité. Avec
de tels investissements, 200 à 250 points de vente
sont un minimum pour rentabiliser l’investissement.
Pour le moment, en France, nous ne pouvons pas
mettre en place une stratégie de communication de
grande ampleur. Notre réseau de distributeurs n’est
pas assez étendu. Et gardons à l’esprit qu’un gros
plan de communication se ressent forcément dans
le prix d’un parfum.
BRUNO LEGREVES
est directeur général d’ITAC
SA qui détient la licence du
parfum Kanabeach. Il revient
sur les étapes de création de
la fragrance imaginée pour
la marque punchy et déplore
les réticences de certains
distributeurs...
Propos receuillis par Diane Leprince
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à cette stagflation, des créateurs ont mis en place
des variantes, comme Escada, avec des parfums
saisonniers. Cela a permis de booster les résultats.
Puis, les parfums dits « de niche » ont fait leur appa-
rition. Ils marquent le retour d’un vrai luxe dans le
secteur, en réponse à une attente insatisfaite de bel-
les matres, à une volonde difrenciation, à un
regain pour la belle ouvrage. Ces parfums sont plus
recherchés, plus catifs et d’excellente qualité. Et
leur distribution demeure confidentielle par rapport
à leur notoriété. Des parfumeurs comme Fréric
Malle et Serge Lutens ont lancé des fragrances
plus radicales et engagées. Avec beaucoup moins
de compromis au niveau marketing pour attirer un
grand nombre de consommateurs. Cela ne les a
pas empêché de trouver une clientèle fidèle et pas-
sionnée. Face à cet engouement, les grandes mar-
ques ont décidé, elles aussi, de se lancer sur ce
segment en sortant des fragrances vendues uni-
quement dans leur boutique état-major. Elles ont
réédides parfums anciens ou cé des senteurs
très haut de gamme dans de beaux acons. Cela
a permis de réinjecter du luxe et de redorer certai-
nes images de marque qui en avaient bien besoin...
Une jolie façon de prouver qu’en ayant le courage
de créer sans compromis, et en ne prenant pas les
consommateurs pour des moutons de Panurge, on
peut sortir par le haut du marasme vers lequel se
dirigeait la parfumerie.
LE JEU DES DIX FAMILLES OLFACTIVES
Les parfums sont traditionnellement classés en familles
olfactives dont voici les caractéristiques.
LES FLORAUX sont composés d’une fleur ou d’un bouquet floral. Cette famille utilise de nombreuses
essences comme la rose, le jasmin, la violette, le freesia...
LES CHYPRÉS sont fors sur un accord de mousse de cne et de notes fleuries avec des
aspects cuirés ou fruités.
LES FOUGÈRES sont construits sur un accord de lavande et de notes boisées, parfois
accompages de mousses de cne et de bergamote. Cette famille est à la base de nombreuses
eaux de toilette masculines.
LES CUIRS se caractérisent par des odeurs dites sèches. Elles rappellent les odeurs de tabac, de
miel et de bouleau.
LES AMBRÉS sont dominés par un lange chaud et oriental de vanille et d’essences animales,
accompags de fragrances fleuries et poudes, de fleurs et de bois exotiques.
LES ÉPICÉS regroupent des fragrances relevées par les notes piquantes de la girofle, de la
coriandre, de la cannelle et du genévrier.
LES HESPÉRIDÉS sont des fragrances toniques à base de zestes d’agrumes comme la bergamote,
le citron, l’orange, la mandarine et le pamplemousse, ainsi que des produits de l’oranger (petitgrain,
neroli). Cette famille constitue en principe la dominante des eaux de Cologne.
LES AROMATIQUES sont composés principalement de sauge, de romarin, de thym, de lavande et
sont souvent accompagnés de notes hesries et épies.
LES ORIENTAUX mélangent des notes de fleurs, de bois ou d’épices à des notes vanillées et
balsamiques (sines et baumes).
LES FRAIS sont parfums modernes à odeurs fraîches (non hesris). Dans cette famille, on
retrouve des notes aquatiques et musquées.
PATRICK SAINT-YVES
est directeur commercial et
directeur de la communication
de Takasago Europe, société
japonaise de parfums et
d’arômes alimentaires.
Également vice-président
de la Socté française des
parfumeurs qui fédère tous
les nez et les professionnels
de la création de parfums,
cet expert analyse une
consommation et un marché
en pleine mutation.
Propos receuillis par Diane Leprince
Quelle est l’activité de votre société ?
Takasago est une entreprise de création et de
production de parfums et d’arômes alimentaires.
Nous créons des fragrances pour la parfumerie
fine aussi bien que pour les produits de soin, d’hy-
giène personnelle ou les cosmétiques : crèmes de
soin, lotions corporelles, shampoings, bains mous-
sants... Nous élaborons aussi des produits d’entre-
tien lessive, nettoyants divers, savons, parfums
d’ambiance... Ces dernières années, nous avons
renforcé notre présence dans la parfumerie fine.
Takasago réalise un chiffre d’affaires d’environ un
milliard de dollars. Nos centres de création et de
fabrication sont instals dans le monde entier
Japon, Chine, Singapour, Mexique et Brésil.
Comment devient-on nez ?
Se former au tier de parfumeur demande envi-
ron dix ans. En géral, lapprenti parfumeur com-
mence par étudier la chimie. Ensuite, il ingre
une école scialisée ou il rejoint une entreprise
pour assimiler ses gammes, comme un musicien.
Les matières premières ne doivent pas avoir de
secrets pour lui ! Il étudie leurs concordances et
doit pouvoir les reconntre dans les parfums et
évaluer leur dosage. Il faut effectuer un très long
travail avant de se lancer dans la création. Il y a
des milliers de matres premières à moriser.
Alors, pendant un bon moment, le parfumeur est
obligé de copier les autres, toujours à l’image des
musiciens. La formation est difcile, car la parfu-
merie ne posde pas de vocabulaire propre. Pour
crire les odeurs, elle emprunte des mots à la
musique, à la litrature, à l’architecture, à la philo-
sophie ou encore à la psychologie.
Comment crée-t-on un parfum ?
ralement, la marque nous contacte et
annonce qu’elle veut lancer un nouveau féminin ou
masculin. Elle définit la cible ainsi que l’âge et les
attentes des personnes vies. Elle choisit aussi la
direction dans laquelle elle veut aller, le concept et
son positionnement par rapport à l’existant de la
marque et de ses concurrents. Et elle nous con-
fie la réalisation de la fragrance qui correspondra
à son projet. Parfois, certains des éléments dont
nous disposons peuvent sembler bizarres aux non-
initiés. Concoctés par le service marketing de la
marque ou par le designer lui-même, ils prennent
la forme de concept boards avec des chires de
magazines, des dessins, des maquettes, des mélo-
dies, des couleurs, des échantillons de tissus... Un
grand couturier peut nous raconter son histoire ou
des souvenirs personnels et nous demander de les
transcrire au niveau olfactif. Pour le parfum Angel,
Thierry Mugler voulait des odeurs de barbe à papa.
Pour Le Mâle de Jean Paul Gaultier, le parfumeur
voulait retrouver des senteurs de son enfance.
Créer un parfum est un mélange d’intuitions, de
compréhension et de capacité à développer des
formes olfactives. Nous sommes un peu le porte-
plume de notre client tout en étant son guide dans
la galaxie des senteurs.
Existe-t-il des modes dans les senteurs ?
Oui, il y a ce qu’on appelle des trends. C’est un
peu comme la hauteur de l’ourlet des jupes dans
la mode. Certaines anes, le court a la cote. La
saison suivante, le long revient sur le devant de la
scène. Sur les cinq dernières décennies, on peut
dessiner une sorte de sinusoïde, avec des phéno-
nes de mode qui alternent successivement par-
fums frais et légers et fragrances plus capiteuses et
orientales. Mais cela reste relatif. Les lancements
sont tellement nombreux ces derniers temps, qu’il
est difficile de déterminer la mode du moment.
Actuellement, plus de 500 parfums sortent sur le
marché chaque année et la plupart ne survivent pas
plus de trois mois. Le sucs d’un produit pend
beaucoup du punch de sa communication, donc
des budgets mis en place. Fuel for Life de Diesel
marche très bien. Des dizaines de millions d’euros
ont été investis dans la communication. Sans cela,
le produit aurait-il marché ? Nous n’en savons rien.
ponse dans six à douze mois, quand la pression
publicitaire aura bais afin de récupérer d’hypo-
thétiques profits.
Observez-vous des changements dans le
mode de consommation du parfum ?
L’idée de porter le même parfum toute sa vie,
chère à nos mères, part révolue de nos jours.
Maintenant, on possède une garde-robe de par-
fums. Selon son état d’esprit, une femme ou un
homme choisira telle ou telle fragrance. D’ailleurs,
on ne porte pas le même parfum en journée et
en soirée, au bureau ou le week-end. Un rita-
ble changement s’est opéré dans la consomma-
tion. Selon les circonstances, on choisira quelque
chose de plus capiteux ou de plus frais, de plus
moderne ou de plus romantique.
Actuellement, comment évolue le marc
du parfum ?
Après la parfumerie de masse, la tendance est
aujourd’hui à la parfumerie hyper-sélective, aux par-
fums saisonniers, aux parfums de niche, voire au
sur-mesure. Le marché a beaucoup souffert de ses
excès. En recherchant des volumes de plus en plus
importants, il s’est amoindri, banalisé. En action
La création sans compromis
a permis à la parfumerie de sortir, par
le haut, dun probable marasme
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