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Que l'Écriture associe couramment les fonctions de l'esprit, comme la pensée, la volonté et
les émotions, à des organes corporels (le cœur surtout, mais aussi les reins)2, n'implique pas
non plus qu'elle enseigne la matérialité de l'esprit. Il faut éviter, en effet, de confondre les
mots employés avec les idées affirmées. Nous devrions autrement attribuer à nos
contemporains l'idée selon laquelle la pensée est portée par un principe immatériel (car on
l'associe couramment à des notions abstraites comme l'intelligence et la raison), alors que
l'affectivité et l'amour seraient des fonctions du corps (car on les évoque en parlant du
« cœur »). Il n'en reste pas moins vrai que la perspective biblique qui met en avant le
caractère terrestre de l'homme se situe à distance de l'option cartésienne et incline en faveur
d'une « incarnation » de l'ensemble des capacités humaines.
Quand on épouse la vérité biblique de l'homme comme créature terrestre, les résultats
neuroscientifiques selon lesquels toutes les facultés traditionnellement attribuées à l'âme ont
une base neurologique précise n'ont donc rien de vraiment surprenant. Bien entendu, on ne
peut pas déclarer que les chrétiens auraient pu prédire ces résultats : la Bible n'enseigne pas
les neurosciences. Mais on peut constater, avec bonheur, une harmonie entre la vision
biblique de l'homme, créature terrestre, et les découvertes neuroscientifiques.
Rappelons néanmoins que les résultats scientifiques ne montrent pas (et ne
démontreront jamais) que toute expérience mentale s'enracine dans le corps, car on n'aura
jamais fait toutes les observations possibles qui permettraient de prouver une telle
affirmation générale. Il existe même des expériences mentales (de mieux en mieux
documentées) pour lesquelles il semble difficile d'identifier un substrat cérébral, en particulier
certaines expériences de « mort imminente » (en anglais near-death experiences)3. Il me
semble néanmoins imprudent d'accorder trop de poids à celles-ci : elles se produisent dans
des circonstances exceptionnelles et leur interprétation soulève de vives polémiques. Le
chrétien devrait aussi garder à l'esprit la retenue biblique à ce sujet. Alors que la « mort
imminente » n'est pas la mort, plusieurs personnages bibliques sont effectivement morts et
revenus à la vie. Pourtant, aucun d'eux n'a jamais rapporté d'expérience vécue pendant ce
temps. L'enseignement du Christ ressuscité à ses disciples est parfaitement silencieux à ce
sujet et se concentre au contraire sur l'interprétation des prophéties messianiques et la
mission des disciples sur terre, qui prolonge le ministère du Maître (Lc 24.27,44-49). Même
quand Paul parle de son expérience mystique du « troisième ciel », il ne se prononce pas sur
la question de savoir si celle-ci s'est produite dans le corps ou hors du corps (2 Co 12.2).
Utiliser les expériences de mort imminente dans l'apologétique chrétienne, pour prouver
2 John W. COOPER, Body, soul, and life everlasting : biblical anthropology and the monism-dualism debate,
Grand Rapids (MI), Eerdmans, 20002, p. 41-43, 70. Cf. l'article d'Émile NICOLE, « L’Ancien Testament
enseigne-t-il la dualité du corps et de l’âme ? », p. ?? ci-dessus.
3 Mario BEAUREGARD, Denyse O'LEARY, The spiritual brain : a neuroscientist's case for the existence of the
soul, New York (NY), HarperCollins, 2007, p. 153-166 (trad. fr. Du cerveau à Dieu : Plaidoyer d’un
scientifique pour l’existence de l’âme, Paris, Guy Trédaniel, 2008). Cf. l'article de Peter CLARKE, « L’âme et les
neurosciences : le dualisme en question », p. ?? ci-dessus.