SYMPOSIUM À LA RENCONTRE D’UNE AUTRE CULTURE Aider l’Autre sans oeillères Elle entend la voix de son défunt père, qui trône près d’elle dans le cabinet de la psychologue. Dans le bureau d’un confrère, le nouveau patient psalmodie à répétition une prière. Puis cette autre patiente annonce qu’elle consomme désormais des aliments bienfaiteurs pour son foie, afin d’apaiser la colère qui l’assaille chaque jour. beaucoup d’autochtones croient que leurs proches qui sont morts leur parlent... », indique Mme Jourdain. _ALLAH ET LE PSY À l’âge de 17 ans, Chirine Dakkak a quitté le Liban pour s’établir au Canada avec sa famille, en raison de la guerre civile. « Chez les arabes, il existe toutes sortes de croyances populaires, comme le “mauvais oeil”, c’est-à-dire la crainte de malheurs si l’on dit à haute voix que tout va bien », indique la psychologue clinicienne. Psychologie Québec / Reportage volume 26 / numéro 01 / janvier 09 « Certaines pratiques, comme la récitation répétitive d’une prière lors de situations particulières, ne doivent pas entraîner un diagnostic de trouble obsessif compulsif! » enchaîne-t-elle. 26 « En outre, ajoute Mme Dakkak en souriant, en réponse au patient qui conclut la séance de psychothérapie en lançant “Inch’Allah” – “Si Dieu le veut” en arabe –, le psychologue pourrait répondre “Oui certainement, on se voit mardi, si vous le voulez aussi”, afin de s’assurer qu’il y aura une prochaine entrevue. » De gauche à droite : les trois psychologues invitées, Chirine Dakkak, Dre Nicole Cheeung et Francine Jourdain. Ces trois « cas » de patients en psychothérapie sont fictifs et pourtant réalistes. Ils constituent quelques exemples des particularités propres aux cultures autochtone, arabe et orientale. Les psychologues Francine Jourdain, Chirine Dakkak et Nicole Cheung les ont démystifiées dans le but d’aider leurs pairs à bonifier leur intervention auprès des patients de ces origines, dans le cadre du symposium À la recherche d’une autre culture, animé par le Dr Luc Granger, psychologue. Abus de drogues et d’alcool, familles dysfonctionnelles, adultes victimes de sévices qui deviennent à leur tour abuseurs; les séquelles du traumatisme non résolu des abus sexuels et physiques commis dans les pensionnats indiens sont nombreuses et transmises de génération en génération, souligne Francine Jourdain, membre de la nation innue et première psychologue à oeuvrer dans sa langue d’origine dans les communautés du Labrador et de la Côte-Nord. « Bien avant les pensionnats, il y a eu dès 1780 l’arrivée des missionnaires européens qui ont contribué à l’assimilation de la langue et de la culture de mon peuple, et de là à l’annihilation du soi », relate-t-elle devant une trentaine de personnes. Selon Mme Jourdain, il faut tenir compte de ce lourd héritage lorsqu’on intervient auprès d’un patient d’origine autochtone. Il peut également être utile de connaître certaines pratiques culturelles telles que la pensée concrète (le besoin de verbaliser), mais également l’influence de la spiritualité. « Il ne faut pas confondre les croyances et la maladie mentale; par exemple, _DE CORPS ET D’ESPRIT Système patriarcal et interdépendance des membres de la famille, suppression du bien-être individuel au profit du bien-être de la famille, difficulté à identifier et exprimer ses émotions : ces caractéristiques des peuples orientaux auront sans doute un poids substantiel dans le succès d’une psychothérapie avec un patient chinois. « Il vaut mieux opter pour un traitement directif et structuré et focaliser sur les symptômes somatiques et sur la résolution de problèmes plutôt que de faire verbaliser la personne. Présentezvous comme un expert (les Chinois sont très sceptiques par rapport aux bénéfices de la psychothérapie mais valorisent les connaissances des experts, peu importe le domaine) », explique Nicole Cheung. « Certaines pratiques, comme la récitation répétitive d’une prière lors de situations particulières, ne doivent pas entraîner un diagnostic de trouble obsessif compulsif », précise la psychologue Chirine Dakkak. La psychologue d’origine chinoise estime en outre nécessaire de connaître les traditions et croyances chinoises. Par exemple, dans la médecine traditionnelle, les cinq émotions primaires telles que la joie et la colère sont le produit des organes majeurs : ainsi, la peur provient des reins. Guérir l’esprit par le corps ou la guérison du corps par l’esprit? Josée Descôteaux, journaliste indépendante