Antoine Vitez Ecrits sur le théâtre L`Ecole

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Antoine Vitez
Ecrits sur le théâtre
L’Ecole (I)
Introduction
- Professeur au conservatoire d’art dramatique
- Directeur du théâtre national de Chaillot
- Administrateur de la comédie française
- Marginal car a été avant tout un pédagogue
- Marqué par l’enseignement de Tania Balachova au Théâtre de l’Atelier, qui
reposait sur le primat donné à l’acteur // Stanislavski qui cherche un
ensemble de moyens pour parvenir à l’inspiration créatrice
- Rejette progressivement l’illusion, la conception du théâtre comme « art de la
vérité de la vie ». Il choisit une convention consciente.
- Fait du système général de la non-identification des acteurs aux
personnages, la pierre angulaire de son travail
- Travail non seulement sur une mémoire du vécu, mais aussi sur une
mémoire de l’imaginaire.
- Formation s’adressant au groupe d’élèves en tant que tel.
- Ecole de la scène et des formes : formes de l’espace, relation de l’acteur au
public, histoire de l’espace.
- Grosse différence avec Stanislavski : Vitez demande aux acteurs de savoir
que le spectateur est là, qu’il ne les abandonnera pas. « Au fond, il ne s’agit
pas tant de jouer pour lui que de jouer devant lui et de le tromper sans
cesse. »
- Vitez refuse d’être considéré comme un professeur. Le nom de pédagogue lui
sied mieux. Il préfère encore ce mot de « maître ».
- « les amener à jouer avec l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes s’ils analysent
profondément.
- Par rapport aux autres :
• Stanislavski : apprentissage des personnages ou des rôles
• Meyerhold : remplace l’idée de nature par celle de convention,
l’illusion du personnage par le jeu des formes et des signes.
• Brecht met l’accent sur la responsabilité sociale de l’acteur au point
d’en rêver comme du modèle du citoyen de la cité à venir.
• Vitez reprend tous ces acquis.
La méthode des actions physiques de Stanislavski
- Copeau : « Chaque art a sa manière d’expression propre. Le théâtre est le
seul qui n’en ait point. Inféodé à la littérature ou au décorateur, il est une
sorte de matière inconsistante et sans loi définie. »
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Pour lui, le travail de l’acteur est créateur comme celui de l’auteur… mais il
est inconcevable que ce travail créateur ne repose sur aucune base solide.
Donner la possibilité d’atteindre au rôle en suivant une voie qui lui fût
propre.
Exige que l’acteur qui aborde un rôle soit vierge de toute idée de ce rôle.
Partition des rôles : analyse de chaque rôle en actions élémentaires,
élaboration du rôle en une chaîne d’actions différentes, en une ligne du
comportement du personnage : « Tu as rempli un acte, tu y as trouvé la
vérité et tu y as cru, et bien, remplis le suivant. »
Pour lui l’action ne se limite pas au mouvement ; l’action ne peut être
entendue comme isolée de la volition et non seulement de la volition mais de
la totalité des phénomènes psychiques qui l’accompagnent.
Problème de l’incarnation : les acteurs cherchent habituellement le
personnage, ensuite ils agissent dans leur personnage. Stanislavski utilise ce
procédé pendant de nombreuses années.
Débuter par la logique générale, par les processus organiques, partir de soi.
Dans partir de soi, il y a « soi » mais il y a surtout « partir » et construire la
logique du personnage.
Le « si magique »
Que les acteurs acquièrent une vie véritable sur scène, parviennent à une
incarnation juste des personnages, c’est essentiel, mais cela ne doit pas être
la seule qualité d’un spectacle… il faut s’orienter dans le sens d’une
expression de l’idée de la pièce.
La question que le metteur en scène se pose, c’est : « Qu’est-ce que je veux
dire par cette pièce ? »
Déterminer les deux ou trois lignes d’action qui traversent la pièce.
Journal de cours : Ecole Lecoq
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Dans La mouette : Tous les garçons jouent Tréplev, toutes les filles
jouent Nina.
Toujours des partenaires différents : jeu de briser l’accoutumance.
Nous découvrons toutes sortes de choses : l’importance des objets,
l’importance des citations.
Andrew incapable de ne rien faire. Dans les moments zéro, il montre le
zéro : debout, immobile comme une statue, l’œil fixe.
Marie-Thérèse joue comme un train électrique, avec des tournants
brusques et raides. Comment lui faire trouver de quelque chose de
vrai ? Un îlot de vérité ?
Travail de metteur en scène avec certains, avec d’autres, travail de
thérapeute.
Exercice : « Jouer la situation de La mouette, mais un écran de
plexiglas vous sépare de Nina, il faut être entendu à tout prix, votre vie
en dépend. Et pourtant, il vaudrait mieux que nous, qui sommes là,
nous ne comprenions pas trop bien ce que vous dites. »
La demande en mariage, de Tchekhov : les élèves ont peur de faire du
comique.
Monologue : imaginez que vous faites l’aveu de votre état à un mai, à
un médecin.
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Somme de digressions qui constitue un paysage mental à partir
duquel on peut revenir au personnage et à la pièce.
Ne pas se cacher derrière une attitude jouée.
Dans Antigone, « vous jouez les mots, vous ne jouez pas la situation. »
C’est la situation d’abord de l’acteur face au public. Il faut aussi
donner à voir un personnage, une histoire, mais la situation première,
c’est toujours moi, devant vous, qu’est-ce que je fais ? Qu’est-ce que je
viens vous raconter ? Seule façon pour l’acteur de retrouver une
dignité, de n’être pas un fou qui se prend pour un autre.
Prologue d’Antigone : il ne s’agissait que d’être là, disponible, mais
cherchant à se détendre et en même temps à se concentrer pour jouer
la pièce.
Il est très difficile de faire jouer un rôle de prostituée à une jeune fille
sans imagination.
Au début je pratiquais une sorte de thérapeutique de l’acteur, ou
plutôt du non-acteur se faisant acteur et mon travail reposait
uniquement sur la notion d’exercices. Aujourd’hui j’ai renoncé à
l’exercice pour lui-même ; je demande que le travail d’école mette en
œuvre le théâtre tout entier, et ce que dit le texte ou l’argument du jeu,
à chaque occasion nouvelle… tout ce travail est l’histoire d’une critique
lente de Stanislavski. Je suis contre l’idée d’un système progressif
complet de pédagogie.
Si le théâtre s’apprend
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Regrouper enseignement historique et théorique et enseignement du
jeu de l’acteur.
S’agit-il d’apprendre à jouer des rôles ou d’apprendre à être acteur ?
Meyerhold invente une typologie moderne, qui demande l’avènement
d’un théâtre du masque social. Dans la civilisation moderne, on
apprend à jouer avec des formes connues.
Tout l’effort de Stanislavski consiste à donner un langage commun aux
acteurs et au metteur en scène.
Carnet de notes 1969
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Le jeu de l’acteur
• On ne fait pas du théâtre avec sa tête mais avec ses tripes, ou
ses couilles. Opposition du spirituel et du viscéral.
• Tout le travail de l’acteur est dans cette recherche de l’état.
L’état est quelque chose comme la grâce.
• Nous ne sommes pas des intellectuels : décortiquent tout,
assèchent tout / Nous appartenons au mondes des humeurs.
• Stanislavski disait qu’il ne fallait pas chercher en soi-même,
parce qu’on n’y trouve rien, mais dans l’autre.
• Il n’y a pas de jeu possible sans un but.
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Conservatoire
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Les plus contestataires sont les plus réactionnaires.
Il est important que les élèves conçoivent que la forme du
théâtre est relative de même relatif le rapport du spectateur à
l’acteur ; que donc la scène à l’italienne (vue frontale) n’est
qu’une des possibilités du jeu.
Un cycle de cours techniques et un cycle de séminaires
théoriques et historiques.
Improvisation à partir de Dom Juan : la deuxième scène d’Elvire.
Elvire, une femme qui entre dans une pièce où un homme ( D.
J.) se tient sur le rebord de sa fenêtre, il va se suicider. Elle lui
parle pour qu’il ne meure pas.
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L’école Lecoq
• Son grand mérite, c’est son inutilité. On n’y vient pas seulement
pour être acteur. Ce n’est pas une école professionnelle. On n’y
apprend rien.
• Stage de réflexion sur l’idée de mouvement, la grammaire de la
vie en groupe.
• Les styles ne sont étudiés qu’à titre d’exemple.
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L’autorité
• Dans le fond j’ai m’ambition de devenir un maître, sous une
apparence non directive.
• Poète : celui qui porte une vision globale, un système cohérent.
• Je fonde l’enseignement de l’acteur sur la maïeutique : je ne
veux pas les transformer, mais les prendre tels qu’ils sont et les
amener à jouer avec l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes s’ils
analysent profondément.
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Ecole Lecoq
• Exercice sur Le Médecin malgré lui. Découpage de la scène en
parties arbitraires. A chaque numéro les acteurs doivent
improviser un jeu différent. Deux élèves inventent un jeu de
cache-cache, autour de la table. Le texte est ainsi délivré des
motivations psychologiques littérales. Les mots apparaissent
nus, et à partir des mots naissent des actions nouvelles.
• Créer des évènements inattendus qui leur font faire des
inventions nouvelles.
• Contrairement à Stanislavski, je demande aux acteurs de savoir
que le spectateur est là et qu’il ne les abandonnera pas. Au fond,
il ne s’agit pas tant de jouer pour lui que de jouer devant lui et
de le tromper sans cesse.
• Travail sur Roméo et Juliette : Faire revivre la mort, la relever. Je
lui demande de croire que Juliette dort, et ainsi de jouer avec
elle, comme avec une petite fille qu’il aimerait ; mais de savoir
qu’au fond elle est morte ; et alors d’entreprendre un affreux
travail : il relève Juliette, il essaie de la redresser, contre lui,
pour qu’elle soit, un moment, comme vivante. Enfin, parce que
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l’effort de la soutenir est trop grand, il la couche. Et boit le
poison. Il voudrait mourir allongé contre elle, comme quelqu’un
qui a vu Roméo et Juliette, mais l’effet du poison est trop
rapide ; il tombe en croix sur elle.
Propositions pour un enseignement différent
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Constatation
• Ajouter au conservatoire un enseignement différent, qui réponde
à des demandes esthétiques nouvelles.
• Une école du théâtre et non de l’acteur ou du metteur en scène.
Il faut retarder les spécialisations.
• Le professeur propose des exercices et enseigne à lire :exo
d’impro muette ou parlée, partir de textes connus, approche des
textes connus par des exercices de digression, critique constante
de ce qui est vu.
Contrôle continu avec des travaux d’atelier : spectacles ou fragments
de spectacles
• foyer de création expérimentale
• quatre par an
• exactitude, assiduité
Au moins permettre que le jugement sur chaque candidat soit fondé
sur plusieurs scènes.
Avoir des parrains envoyant des candidats
Importance de la continuité dans l’enseignement, parce que je ne me
contente pas du travail des scènes.
Description d’une pédagogie de l’acteur
- Citation : improvisation sur texte imposé, par exemple Le Cid sur la
plage. Le texte est détourné de sa fonction habituelle. Provocation qui
a valeur de choc. Le texte n’est pas joué pour lui-même mais comme
un collage dont certaines parties coïncident avec des sentiments vrais.
L’acteur est placé dans une possibilité contemporaine et personnelle.
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Libération de l’imagination :
• déconditionnement à l’égard des clichés de l’expression
• On se donne pour but la disponibilité
• Image imposée : Elvire voit Dom Juan à sa fenêtre près à
sauter ; Tartuffe poursuit Elvire de ses assiduités : il faut
prendre le verbe poursuivre au sens premier.
• Arbitraire : marge de long en large dans Bérénice, découpage
arbitraire
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Collage et rupture de la logique du comportement
• collage des citations, par exemple à partir de Tchekhov
• collage des stéréotypes
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Montage
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•
•
la fable est découpée
il n’y a pas de logique du comportement
L’acteur est un artiste conscient qui pratique un jeu de leurres, un mentirvrai qu’il expérimente sur lui-même.
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Genre
• on brise le classement connu des genres
• Feu la mère de madame, de Feydeau… jouée comme si c’était
une pièce de Strindberg.
• Quels éléments de lecture ou d’écriture donnent le comique ou le
dramatique ? Qu’est-ce qui fait basculer ?
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La mémoire : coller sur un texte un jeu qui éclaire au moins un des
éléments du texte.
Journal de cours (élèves : Mesguich, Huster)
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Exercice sur la syncope, coupure arbitraire dans des textes classiques.
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Exercice du cri tragique : un cri de théâtre en référence à la tragédie
grecque, un théâtre qui s’adresse à l’univers, par conséquent, on joue
devant soi. Il faut s’appuyer sur l’espace devant soi.
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Dans Electre : jouer en incise une mère s’efforçant de sauver son
enfant des soldats.
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Andromaque V,5 avec Francis Huster : Essayez de prendre les mots au
sérieux. Rêvez à partir des mots. Au lieu de croire à l’existence d’une
situation donnée conventionnellement une fois pour toutes et que les
mots habillent seulement. Et puis, la démence d’Oreste, pourquoi estil nécessaire qu’elle soit criée ? Il est allongé sur un banc, et seulement
quand il va croire voir Pyrrhus, il va allonger le bras pour le tuer. Cette
démence finale devient la représentation symbolique de toute la pièce :
velléité seulement, personne n’a rien voulu vraiment, on a tous rêvé.
-
Imposer aux acteurs des tâches concrètes.
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Phèdre, l’entrée de Phèdre : jouer seulement l’éblouissement, le soleil
intolérable. Soleil, brûlure, conscience, immanence, remords et
reproches. Elle se dresse au-dessus de son ombre comme si c’était un
gouffre. Elle se retourne et essaie de regarder le soleil en face.
Fantasme pasolinien d’un visage tout blanc dans le soleil, couvert de
larmes.
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Grammaire des mouvements indépendamment d’aucune motivation,
en se fondant seulement : sur quelques indications et sentiments
convenus (tristesse, amour tendre) ou situations élémentaires et
convenues (annonce d’une mauvaise nouvelle, confidence) et sur
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l’indication du registre de style dans lequel on joue : tragédie, drame
fin XIXè, Tchekhov.
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Scène d’Hermione à faire dans la cécité : elle trouve dans la nuit où
elle est, quelques mouvements grands. Puis appuyée sur le mur, elle
commence à parler lentement : « Je ne t’ai point aimé, cruel ? Qu’ai-je
donc fait ? ». Puis marche très lente vers Pyrrhus, et arrivée à lui, elle
tente de lui relever la tête pour voir ses yeux.
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Détourner l’attention de l’acteur de la petite chaîne de clichés et de
motivations psychologiques qu’il s’est construite. Il ne peut plus
penser à autre chose qu’à l’accomplissement d’une action physique
bien définie.
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Exercice de distance imaginée : les élèves travaillent à lancer leur
voix : à 20 cm, un mètre, 5 mètres, 30 mètres.
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Oreste, de dRitsos : Electre couchée à plat ventre sur une table sur
deux tréteaux. Oreste est assis au chevet. Elle laisse pendre ses bras
sur lui. Cette situation anormale, l’oblige à supprimer toutes nuances,
modulations de détail. Elle est trop occupée. Je demande à Oreste de
s’appuyer sur la présence certaine de Zeus. Je lui demande de voir
Zeus autour de lui.
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Les élèves en général, jouent les sentiments pour eux-mêmes, en se
regardant eux-mêmes. Qu’ils cherchent autour d’eux : je lève la tête et
je regarde intensément les objets autour de moi.
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Perdican parlant à Camille : Ce qu’il dit à Camille, je ne dis pas que ce
n’est pas sincère, mais c’est en attendant. Et soudain il entend le bruit
des roues sur le gravier du jardin ; il faut expédier Camille, mais ne
pas le lui montrer.
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Perdican est atteint d’une maladie honteuse qui se rappelle parfois à
lui par une douleur ou une sensation. Tous les mots pour lui font
allusion à cette honte, persuadé qu’il se trahit sans cesse, et que
Camille va savoir.
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Soumission du public comme à un dieu- jamais on ne se demande qui
est le public, ou s’il peut y avoir plusieurs sortes de public. La
soumission au public comme à un client et ici, le client est roi.
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Le Misanthrope Acte IV : Alceste éprouve un émerveillement
perpétuellement retrouvé devant Célimène. Le comique naît de la
contradiction entre les mots (colère et reproche) et son attitude mêlée
de désir. Un théâtre entièrement fondé sur la mauvaise foi et la
mauvaise conscience.
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L’usine de rêves
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Le théâtre, mon petit père, ça se fait pas avec la tête, ça se fait avec les
tripes.
Il y a beaucoup de gens pour dire que le théâtre ne s’apprend pas.
Culte de la spontanéité, culte de l’ineffable. Ce que cela nie, c’est le
travail du jeu.
Problème en France : le grand talent peut aussi bien se trouver au
chômage que le médiocre. Aucune réflexion sur l’art ne peut se
dispenser d’une réflexion sur l’argent.
Faut-il apprendre à jouer des rôles ou apprendre à être acteur ?
Importance de Stanislavski car il a posé les bonnes questions.
Un groupe d’élèves, peut devenir une usine de rêves au sens
technologique où l’entendait Maïakovski, c'est-à-dire un lieu où l’on
invente, où l’on produit et où l’on contrôle ce qu’on produit.
Notes sur l’atelier théâtral d’Ivry
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Exercice : une femme se rend chez un homme, elle pense qu’ils vont
dîner ensemble et que sans doute ils feront l’amour. Et justement non.
Elle est accueillie par une femme. D’autres gens arrivent et lui non.
-
Ce jeune homme joue faux. Devons-nous lui enseigner à jouer juste ?
Devons-nous le former dans notre forme, ou au contraire nous mettre
à son école ?
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Aider le groupe à critiquer le monde au moyen de cette culture.
Notes sur le conservatoire
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Tel qu’il est, le Conservatoire ne peut guère être qu’un bureau de
placement.
Décrépitude de l’interprétation des classiques – c’est qu’on les traite
avec respect. Toute imagination est stérilisée dans le code traditionnel.
Je suis professeur depuis cinq ans
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Ma pédagogie est fondée sur la notion d’exercice, de façon à développer
en chacun la disponibilité au jeu.
Cela implique l’exercice de style.
Mais je ne crois pas être là pour transmettre des recettes, des trucs.
C’est le travail du comédien qui, au premier chef, me préoccupe.
M’intéresser davantage à la personnalité de l’élève qu’à l’ouvrage
étudié : proposer des scènes qui obligent, même arbitrairement leur
interprète à une expression inhabituelle parce qu’on y a glissé un
élément supplémentaire.
Par exemple, Perdican jouera la grande scène de Badine en supposant
qu’il a un effroyable mal de tête. Chimène dialoguera avec Rodrigue,
présent mais invisible à ses yeux.
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Il s’agit d’accroître la liberté d’expression de l’élève.
Permettre aux élèves d’être eux-mêmes et de ne pas tricher pour
plaire.
A qui inspirons-nous de la peur ?
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Nous ne critiquons jamais assez la pratique de la modernisation sans
principe, et la recherche hâtive de ce qui convient aux goûts de
l’époque. C’est bien là, qu’on renie le patrimoine politique et, dirais-je,
langagier, du théâtre français.
On prosaïse le vers alexandrin parce qu’on croit qu’il est démodé.
Théâtre contemporain : nous réfléchissons sur le langage, et nous
nous interrogeons sur le sens des classiques.
Pierre Dux craint que le théâtre contemporain soit à l’avenir plus
largement représenté. Jusqu’à présent, au Conservatoire, nous ne
sommes que deux, Pierre Debauche et moi. A qui inspirons-nous de la
peur ?
Arlette Bonnard, l’Atelier théâtral et les enfants d’Ivry
- les détritus des spectacles précédents sont devenus notre matériel.
- Expérience du travail sans scène, au milieu du public et avec lui.
- Une louche devient une pelle, une raquette…une poubelle, la hotte du
père noël
- Juliette, debout sur une poubelle renversée, figure une statue.
Mon projet
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scène 6 de l’acte IV de Dom Juan : « La scène est imaginaire. Don Juan
et Sganarelle sont assis dans un fauteuil sur le sommet d’un rocher.
Autour d’eux c’est le vide. Concentriquement, un chemin de ronde à la
hauteur même du rocher où se trouve Don Juan. Et sur ce chemin de
ronde, Elvire, qui court en cercle, cependant que Sganarelle fait
tourner le fauteuil de Don Juan. Elle voudrait franchir l’abîme et ne le
peut pas. Elle prévient Don Juan de sa chute imminente, mais il est
tranquille et sans peur. A la fin elle se penche, se penche, et arrive à
saisir la main de Don Juan, comme plus tard le fera le Commandeur.
Alors Don Juan est frappé par le feu céleste, et tous deux tombent
dans le gouffre. »
Le récit : montrer que le théâtre peut se faire autrement qu’à la
première et à la deuxième personne, mais aussi au style indirect, et
qu’on peut faire du théâtre de tout.
Thèmes et séries
-
additions d’altérations à partir d’une situation élémentaire. Altérations
formelles (ralentissements arbitraires, toux, éternuements) qui
prennent un sens et deviennent politiques : on s’arrête pour écouter le
bruit d’une porte.
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-
Passage du jeu froid, au jeu bouillant ou pathétique… appliqué à un
texte tragique
Le récit : L’acteur peut-il jouer autre chose que des personnages, mais
aussi les rues, les maisons ?
Faut-il montrer l’universel ou le particulier, l’Eternel ou le
temporaire ?
Le grand langage : ce sont les mouvements de la phrase, les
enchaînements, les hiatus, les syncopes… qui commandent les
mouvements du corps.
La peur : exercice sur une émotion violente.
Le lit du théâtre : on joue comme des enfants dans un lit.
La tragédie de cinq minutes : tout Dom Juan dans la 2ème scène
d’Elvire.
Le souvenir des classiques : une scène bien connue est rejouée, mais
on en a oublié le texte. Il ne reste que des fragments de phrase et
d’idées : la fable, les relations entre les personnages, quelques mots
significatifs.
Tout fout le camp
- A quoi sert une école : lieu de l’exercice et de la recherche pour les
jeunes acteurs ou pépinière ?
- N’est pas un lieu où l’on vous mettra un métier en mains.
- Nous cherchons des gens pour inventer ensemble perpétuellement le
théâtre.
- Le théâtre n’est pas naturel. Il faut apprendre à faire de l’art et de
l’artifice, à jouir de ce jeu de leurres perpétuel qui ne cherche pas à se
faire prendre pour bon argent.
Thèmes et séries
- Permutation des rôles
- Tentative de reconstitution imaginaire des voix de Céline, Claudel,
Aragon.
- Innombrables variations sur la structure fixe du vers.
- Hugo, un théâtre qui ne renvoie qu’au théâtre, et non pas à l’Histoire,
ou plutôt si, à l’Histoire, mais à travers un rêve du théâtre.
- Le père Ubu : un jeune couple attend des amis autour d’une table,
C’est le père Ubu et la mère Ubu, ils sont élégants et propres, et seul
leur langage et ce dont ils parlent est sale et puant.
- On jouera toutes choses comme si les personnages représentés étaient
des enfants. Rêve d’Aragon de voir Phèdre représentée par une petite
fille.
- Un théâtre où l’on ne se touche pas. Tout devrait demeurer contenu.
Des désirs violents, des crimes épouvantables seraient seulement
esquissés du geste, sans recevoir le moindre assouvissement.
- Mélange entre le souvenir des classiques et la tragédie de cinq
minutes : reconstituer une légende (Jeanne d’Arc, le Christ) et la jouer
telle qu’elle revient à la conscience.
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Improvisations sur le thème de l’objet : prolifération des objets. Je
voudrais ne pas me cogner, mais je me cogne.
La gêne : je suis trop grand, trop laid, trop petit, nu, j’ai peur des
femmes
Textes lus avec syncopes
Exercices de narration de faits vrais
L’atelier théâtral d’Ivry
- n’est pas une école d’art dramatique… pas vocation professionnelle.
- Atelier dont la fin première est le plaisir théâtral lui-même
- Se faire à soi-même son théâtre.
- Pas de scènes apprises et données devant l’assistance.
- Mélange de personnes d’origines diverses, de cultures diverses…
- L’atelier est le lieu d’apprendre à raconter.
Lettre aux amis
J’aimerais que l’Atelier devienne une des raisons de la transformation du
Théâtre lui-même.
- doit demeurer un lieu de travail pour des jeunes d’origines diverses
- la fonction première de l’Atelier est de procurer un plaisir théâtral à
chacune de ses séances.
- Ce qu’enseigne l’Atelier ne peut pas être le grand art du théâtre, pour
lequel nous ne saurions avoir trop d’exigences techniques et éthiques,
mais un théâtre d’esprit proprement épique.
Carnet de notes
- pas de regard. On ne se regarde pas. Il y a quelque chose, un mystère.
Puis un acteur prend un autre acteur à bras le corps et le regarde, le
regarde éperdument et on comprend ce que c’était de ne pas se voir.
- Le théâtre de foire : une table sur la scène et les spectateurs assis en
rond, autour de la table, en contrebas.
- Ce petit lac de sueur au creux des clavicules, c’est un des plus beaux
tableaux érotiques que je puisse rêver. J’imagine ainsi Racine, le
théâtre enfermé, étouffant, les chemises blanches, la sueur.
- Question : Qu’est-ce que je vois réellement au théâtre ? Et si je
n’entendais pas la langue, qu’est-ce que je comprendrais de ce que je
vois ?
- Le nô japonais. Faire le théâtre de l’ailleurs. Le texte est lacunaire,
incomplet, incompréhensible : un grimoire à déchiffrer. Montrer que le
texte n’est jamais autre que cela : incomplet, obscur, à qui adressé.
C’est la mise en scène qui est recherche, la recherche n’est pas
préalable.
- Le petit théâtre. Construire un cadre exigu. On jouera là-dedans. Tout
ce qui dépasse du cadre ne jouira d’aucune vie. On ne joue que ce qui
peut être vu.
- Le grotesque politique : une conversation entre Pompidou et Mao
Zedong.
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-
Prendre Phèdre et écrire un nouveau texte comme le fit Cocteau avec
Ruy Blas.
Tragédie sous un lustre
J’ai compris ce matin
- Robin Renucci etLe regard du sourd : l’intelligence qui comptabilise
tout ce qui se passe sur la scène, dans le théâtre, dans la ville, dans la
tête des spectateurs.
Pour Hérold
- L’Atelier d’Ivry est un théâtre qui n’a pas besoin du théâtre pour vivre,
mais seulement que des gens soient rassemblés, alors il est là.
Lettre à Jacques Rosner
- Je suis contre le concours de sortie : si tu rétablis le concours, tu dois
démissionner et moi aussi.
- Il n’est pas souhaitable que les élèves aient la possibilité de choisir
leur professeur. En revanche, il est souhaitable qu’ils puissent en
changer au cours de leur scolarité.
- Technique pure : indépendante du jeu d’acteur : gymnastique, pose de
voix, acrobatie, enseignement littéraire.
- Technique de base du jeu : enseignement de l’imaginaire
- Mais aussi élévation du travail sur le sens des œuvres, les caractères,
la notion d’emploi, les codes, les conventions.
Lettre à Jack Lang
- Chaillot devrait devenir un Grand Théâtre d’Exercice
- Je souhaite envisager avec vous la création d’une école de Théâtre,
associée au Théâtre National de Chaillot.
- Cela obligerait à s’interroger sur la vocation du Conservatoire, les
méthodes de son enseignement.
Ecole d’exercice, et pas école d’apprentissage
- danger : que l’exercice se substitue à l’œuvre
Note
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pour l’Ecole de Chaillot
L’Ecole doit être inutile
On n’enseigne pas une chose comme propédeutique à une autre.
On s’entraînera à travailler pour les enfants ; on supposera un
auditoire d’enfants. Après cela, il faudra éprouver l’expérience devant
un public véritable.
Douze propositions pour une école
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Chaque théâtre aurait dans son sein une école. Ainsi la diversité des
expériences garantirait le renouveau perpétuel et la liberté de l’art.
L’activité de l’école est liée à celle même du théâtre : son travail est la
suite ou le laboratoire, la critique ou la préface, de l’œuvre accomplis
par le Théâtre.
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Rassemble des gens animés du désir d’accomplir en commun des
exercices pratiques de théâtre
L’enseignement n’a ni commencement, ni fin
N’est réservée ni aux professionnels, ni aux débutants
L’Ecole est inutile, elle ne promet nul débouché. Son objet est
l’exercice.
La discipline est extrême : ni retard, ni irrégularité
L’Ecole du théâtre, c’est l’Ecole de l’acteur. Tout est pour lui, tout vient
de lui. L’art de l’acteur est de refaire et non pas seulement de faire. Il
n’y a pas d’acteur sans espace, et sans conscience de l’espace du jeu.
C’est ainsi que l’Ecole de l’acteur est une Ecole de la scène et de ses
formes. L’acteur est un artiste conscient du jeu de leurres qu’il
propose.
L’Ecole est difficile. Les grands rôles, les grands poèmes dramatiques
plongent ceux qui s’y affrontent dans l’innocence qui permet seule
d’atteindre l’essentiel.
Leçons théoriques et historiques
L’Ecole explore le répertoire. Apprendre à construire un caractère fictif
redevient la grande affaire. Les acteurs découvrent qu’ils ont le droit de
s’égaler aux romanciers, aux poètes, aux peintres, et qu’on attendra
d’eux toujours la millième variation d’Hamlet… portent sur eux
l’Histoire et la mémoire, il faut les reprendre sans cesse et les
reconquérir.
Oscillation entre le texte et le spectacle : A l’exception de Jacques
Copeau, rares furent les maîtres qui donnèrent part égale au sens des
œuvres écrites et au théâtre comme tel. L’Ecole poursuit ce chemin.
La dernière classe
- Tout est polémique au théâtre
- Relativité du jeu des acteurs : tout est convention et donc, tout est
possible, rien n’est normal. Point de norme.
- 1968 : on casse le moule des formes.
- Extraire l’alexandrin racinien de la gangue : nous touchions au
monopole de la vraisemblance.
- Déplacement des formes et de quoi les formes sont signes.
- La société protège ses formes.
- Les rôles ne sont pas des outres et des dessins à colorier que vous
devriez remplir de vos corps et vos voix, ils n’existent pas avant vous,
ils sont vous-mêmes, ils sont à vous (tout est à nous), et il ne faut que
suivre – ou critiquer, mais au moins connaître – la trace d’une marche,
la partition d’un autre, imaginaire, appelé personnage.
- Je suis devant vous non point pour vous dire comment vous glisser
dans les boîtes des rôles, mais pour vous prier de chercher avec moi ;
je n’apporte qu’un mouvement et des demandes.
Notes journalières
- Chaillot : un lieu où l’on cultive le théâtre et où on en cultive la
science : Théâtre d’exercice.
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-
-
L’acteur encore inexpérimenté joue au bout de ses forces, il met tant
d’application à représenter les actions du personnage supposé, qu’il y
absorbe toutes ses possibilités d’incarnation ; il ne garde pas de
réserve.
L’acteur accompli est celui qui maintient une réserve d’incarnation ; il
ne montre que ce qu’il veut, laisse entendre qu’il pourrait en dire plus
et qu’on ne le saura jamais.
Hommage à Pierre-Aimé Touchard
- Touchard fut un réformateur du conservatoire.
- Il jouissait d’être regardé comme un bourgeois conservateur, alors qu’il
était un dangereux agitateur.
- Autre chose que la parole libératrice : lorsque le maître, ayant observé
l’élève dit le mot qu’il faut, et alors ce mot devient une clef qui ouvre la
conscience du jeune acteur.
Questionnaire de l’Art du théâtre
- Pourquoi enseignez-vous ? Pour apprendre auprès des élèves. Parce
que j’ai quelque chose à transmettre.
- A Ivry : caractère tout à fait hétéroclite du recrutement.
- J’aime l’invention, le sens de la démesure et une certaine
outrecuidance sans laquelle il n’y a pas d’artiste.
- J’ai fondé tout mon travail théâtral sur la jeunesse.
- Pourquoi pensez-vous qu’on peut enseigner le jeu et pas la mise en
scène ? On peut enseigner la mise en scène. Mais je pense qu’il est
plus juste de rassembler l’Ecole autour du seul enseignement du jeu.
Le cercle de l’attention se forme à la compréhension des mécanismes
intimes du jeu, à la lecture des textes (et par exemple, au choix de
l’interprétation littérale ou du détournement).
- L’Ecole n’a pas pour objectif de produire des objets finis, mais
d’explorer des voies. C’est un théâtre d’exercices, dont les réalisations
sont toujours et doivent toujours rester idéales.
Réflexions sur l’Ecole
- L’Ecole est le plus beau théâtre du monde, car l’Ecole est un théâtre
libre, exempt des contraintes de toute production et surtout de tout
accord avec l’opinion courante.
- La salle nue, le maître et les élèves, aucun objet de décoration, la
lumière crue, les murs, une table ou des chaises de rebut… et dans ce
lieu sans grâce la vie fictive se construit.
- Les usines de rêve que sont les salles de répétition et de cours sont
généralement laides.
- Liberté de l’Ecole : le monde ne pèse pas sur elle.
- Je me tiens au milieu des élèves, je les écoute et les regarde, la classe
se déroule, et soudain je sens, comme une valve de sincérité, le besoin
de dire à celui-ci ce que je vois exactement de lui, ce que j’ai compris
de lui
- Maître ou professeur. Je préfère ce vieux mot de maître. Des artistes
très jeunes se rassemblent autour d’un plus vieux. Il les entraîne dans
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-
son aventure singulière, et eux, en retour, lui font effectivement son
théâtre.
Je leur montre que le hasard et l’arbitraire peuvent être le matériau de
l’art.
Le rôle du maître n’est pas de dire comment il fat jouer, mais
d’entraîner le cercle à déchiffrer les signes qui sont donnés au centre.
Et naturellement on circule sans cesse du centre à la circonférence. La
formation de l’acteur est faite, ainsi, d’intelligence de soi-même.
L’atelier théâtral d’Ivry
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Le théâtre demeurera une activité un peu scandaleuse, difficile à
déterminer, à moins qu’il y ait transformation de la société,
transformation qui remettrait en cause la société technologique, la
notion de progrès même.
Gratuit, pas de sélection ni de sanction
Atelier de caractère extrêmement populaire.
L’essentiel du travail est fondé sur un jeu avec des petits fragments de
textes lus ou appris sur le champ.
Travail fondé sur l’improvisation du jeu.
Savoir de quelle manière comique ou peut traiter une tragédie de
Shakespeare / Voir que les farces ne sont pas autre chose que des
tragédies.
Je crois que le théâtre fait réellement partie de la littérature.
Le travail sur l’incarnation est impossible car c’est ce que font les
mauvais amateurs.
Malhabile comme un dessin d’enfant
L’obsession de la mémoire
- Importance de la transmission : l’enseignement du théâtre est de
l’ordre de la tradition orale.
- Les élèves sont rassemblés en cercle et, au centre, de jeunes artistes
jouent des fragments de scènes, font de l’improvisation…produisent
des signes d’acteur. Le maître est celui qui aide à déchiffrer les signes.
Il fait en sorte que l’ensemble du groupe, le cercle de l’attention,
renvoie à ceux qui sont au centre le sens de ce qu’ils ont fait. Travail
de maïeutique.
- Il me semble indispensable de raconter l’histoire de la représentation
du rôle. Donner conscience que ce que l’on joue n’est pas arbitraire.
- Il y a une limite objective à l’interprétation.
Confrontations
- Le travail du maître est d’organiser le passage de celui qui est vu à
celui qui voit.
- Apprendre le théâtre ce n’est pas comme apprendre une langue
étrangère, c’est apprendre sa propre langue.
- Apprendre le jeu d’acteur c’est apprendre à refaire.
- Souvent j’avoue que je ne sais pas.
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L’être humain, devenu acteur parce qu’il est en scène, dès qu’il sait
qu’il est en scène, qu’il est regardé par l’autre, libère inconsciemment
un certain nombre de conduites
Le véritable travail du metteur en scène, c’est d’oser dire ce qu’il
ressent, tout de suite. Oser dire ce que je vois, demander aux gens de
refaire ce qu’ils font déjà. Il ne s’agit pas de leur dire : vous allez faire
ceci ou cela, mais de voir ce qu’ils font et de leur demander de le
refaire.
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