Lire : Daniel Pennac

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Culture
Lire : Daniel Pennac
Reportage : Françoise Le Roux
mars 2008
Durée : 10.51
N
crivain romancier, essayiste, Daniel
Pennac connaît d'abord le succès
avec la série des Malaussène : Au
bonheur des ogres (1985) La Fée
carabine (1987)La Petite Marchande
de prose (1989), trois livres dont Benjamin
Malaussène est le héros populaire,
travaillant tantôt dans une maison d'édition
pour annoncer aux auteurs que leurs
manuscrits sont refusés, tantôt dans un
grand magasin pour recevoir les
réclamations des clients mécontents. Des
situations très risquées qui entraînent bien
des péripéties, parfois horribles, toujours
drôles tant le style est truculent, plein
d'humour et d'amour finalement. Les
histoires se déroulent toujours à Belleville
dans le XXe arrondissement de Paris,
quartier populaire de Ménilmontant, très
agité, haut en couleur, où Pennac habite et
qu'il rend plus vrai que nature dans ses
romans.
ovelist and essay writer, Daniel
Pennac first enjoyed success with
the Malaussène saga - The
Scapegoat (1985), The Fairy
Gunmother (1987), Write to Kill (1989), three
books featuring people's champion
Benjamin Malaussène, whose jobs include
working in a publishing house as the person
who tells authors their manuscripts have
been rejected, or in department stores to
listen to the complaints of unhappy
customers. Very risky situations which lead
to lots of incidents, sometimes horrible
ones, always amusing, thanks to the earthy
style, full of humour and in the end love. The
stories always take place in Belleville in the
22nd district of Paris, in the working class
area of Ménilmontant, a highly charged place
and full of colour, where Pennac still lives
and which he renders larger than life
through his novels.
Depuis 1985 sa bibliographie n'a cessé
d'augmenter. Un lecteur passionné nous en
parle:
Since 1985 his bibliography has expanded
steadily. An admiring reader spoke to us about
it:
- Je l'ai découvert par 'Le Bonheur des ogres' et
c'est un livre qui m'a marqué. C'était à part.
C'était en Série Noire -donc une série policière,
à l'époque, enfin un roman noir plus
exactement, et ce que j'aime chez Pennac, c'est
ses personnages qui sont empreints
d'humanité, tous ses romans sont empreints
d'humanité. Et c'est un bonheur aussi de la
langue et du verbe parce que ses personnages
sont truculents. On rit, on pleure et c'est
vraiment une littérature, bon, assez jouissive,
moi je trouve. Et c'est abordable très tôt, quoi.
Moi je conseille de commencer par 'La Fée
Carabine'et autrement il y a la littérature pour
enfants, Cabot-Caboche, L'oeil du loup, et
tout... Les Kamo. Enfin, il y a énormément de
choses. Moi, ce qui m'intéresse, effectivement
chez Pennac, c'est la richesse de la langue
mais qui reste à un niveau très très
compréhensible, voilà.
-I discovered him through "The Scapegoat" and
it was a book that made an impact on me. It
was something different. At that time it was in
the Série Noire -so in a detective series, well a
thriller to be more exact- and what I like about
Pennac is his characters charged with
humanity, all his books are charged with
humanity. And it's the pleasure of the language
and the choice of words because his characters
are delightful. You laugh, you cry and it's really
a style of writing that's full of joy, I think. And it's
quickly accessible too. I advise beginning with
The Fairy Gunmother and otherwise there's the
literature for children, Dog, Eye of the Wolf and
so on... the Kamo books. Well there's an
enormous number of things. What interests me
about Pennac is the wealth of the language that
remains at a level that's very very
understandable, that's what it is.
É
Pennac reçoit en 2007 le prix Renaudot pour un
essai : Chagrin d'école
Au terme d'une carrière de Professeur de
français dans l'enseignement secondaire,
Pennac connaît parfaitement les ressorts de
l'enseignement, l'état de la scolarité dans les
quartiers difficiles, les difficultés des élèves.
Chagrin d'école exprime la compassion du
professeur pour les élèves en difficulté et
particulièrement pour les cancres, c'est-à-dire
les mauvais élèves. En tant que prof, il fait
In 2007 he received the Renaudot prize for an
essay: Schoolsick.
At the end of a career as teacher of French in
secondary schools, Pennac knows the world of
teaching perfectly, the level of education in
difficult areas, the difficulties that children have.
Schoolsick describes the compassion of a
teacher for pupils in difficulty and particularly for
the dunces, that's to say the poor pupils. From a
teacher's perspective, he brings to the fore the
point of view of the dunce, and manages to do
so all the better because he himself was one.
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valoir le point de vue du cancre, et il y parvient
d'autant mieux qu'il est lui-même un ancien
cancre. Eh oui, sa scolarité jusqu'au bac a été
un calvaire, et cela sans raison apparente.
-Bien entendu se pose la question de la cause
originelle. D'où venait ma cancrerie? Enfant de
bourgeoisie d'État, issu d'une famille aimante,
sans conflit, entouré d'adultes responsables qui
m'aidaient à faire mes devoirs... Père
polytechnicien, mère au foyer, pas de divorce,
pas d'alcooliques, pas de caractériels, pas de
tares héréditaires, trois frères bacheliers (des
matheux, bientôt deux ingénieurs et un officier)
rythme familial régulier, nourriture saine,
bibliothèque à la maison, culture ambiante
conforme au milieu et à l'époque (père et mère
nés avant 1914) : peinture jusqu'aux
impressionnistes, poésie jusqu'à Mallarmé,
musique jusqu'à Debussy, romans russes,
l'inévitable période Teilhard de Chardin, Joyce
et Cioran pour toute audace... Propos de table
calmes, rieurs, cultivés. Et pourtant, un cancre.
Il fut "sauvé" par trois professeurs, trois
enseignants d'exception qui refusèrent la fatalité
de sa cancrerie et obtinrent de lui des résultats.
Il fut sauvé par ses lectures. Il fut sauvé
finalement par son premier amour.
-Une femme m'aimait! Pour la première fois de
ma vie mon nom résonnait à mes propres
oreilles! Une femme m'appelait par mon nom!
J'existais aux yeux d'une femme, dans son
coeur, entre ses mains et déjà dans ses
souvenirs, son premier regard du lendemain me
le disait! Choisi parmi tous les autres! Moi!
Préféré! Moi! Par elle! (Une élève
d'hypokhâgne, qui plus est, quand j'allais
redoubler ma terminale!) Mes derniers barrages
sautèrent: tous les livres lus nuitamment, ces
milliers de pages pour la plupart effacées de ma
mémoire, ces connaissances stockées à l'insu
de tous et de moi-même, enfouies sous tant de
couches d'oubli, de renoncement et
d'autodénigrement, ce magma de mots
bouillonnant d'idées, de sentiments, de savoirs
en tout genre, fit soudain exploser la croûte
d'infamie et jaillit dans ma cervelle qui prit des
allures de firmament étoilé!
Interrogé sur la souffrance affective du cancre,
Daniel Pennac répond :
- L'échec se paye en déficit d'amour.
C'est-à-dire que l'enfant en échec scolaire peut
à la rigueur susciter comme ça de la
bienveillance, etc., mais très très souvent, chez
les gens un peu faibles, il y perd en amour, il est
moins facile à aimer pour les parents, pour les
professeurs.
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Yes indeed, education up to the Baccalaureate
was living death, and for no obvious reason.
-Of course the question arises, what was the
original cause? Where did my duncehood come
from? Child of the bourgeois civil service,
coming from a loving family, without conflict,
surrounded by responsible adults who helped
me with my homework... Father from the Ecole
Polytechnique, mother at home, no divorce, no
alcoholics, no difficult characters, no hereditary
defects, three brothers with their Baccalaureate
(mathematicians, soon to become two
engineers and an officer), regular family rhythm,
healthy food, library in the house, cultural
surroundings appropriate to the background and
the era (father and mother born before 1914):
painting as far as the impressionists, poetry as
far as Mallarmé, music as far as Debussy,
Russian novels, the inevitable Teilhard de
Chardin phase, Joyce and Cioran for a bit of
daring... Table talk calm, laughter-filled,
cultivated. And yet, a dunce.
He was saved by three teachers, three
exceptional teachers who refused to believe in
the inevitability of his duncehood and got the
first results out of him. He was saved by
reading. And finally he was saved by his first
love.
-A woman loved me! For the fist time in my life
my name rung in my ears. A woman called me
by my name! I existed in the eyes of a woman,
in her heart, between her hand and in her
memories already, her first glance the next day
told me so! Chosen from among all the others!
Me! Preferred! Me! By her! (A prep school girl,
all the more remarkable since I was retaking my
final year exams). My last barriers were
tumbling: all the books read at night, the
thousands of pages for the most part erased
from my memory, this knowledge stocked
unbeknown to everyone and even myself,
nestled beneath so many layers of
forgetfulness, of renunciation and
self-denigration, this magma of words bubbling
with ideas, of feelings, of knowledge of all
different types, suddenly exploded the outer
crust of infamy and gushed out into my brain
which took on the form of a starry firmament.
Asked about the emotional suffering of the
dunce, Daniel Pennac replies:
-The cost of failure is a lack of love. That's to
say a child who fails at school can at a push
attract goodwill, and so on, but very very often,
with people who are a little weak, they lose out
on love, they're less easy to love for the parent,
for teachers.
Fort de ses expériences d'élève en souffrance
et de professeur, Daniel Pennac a réfléchi,
consigné ses souvenirs et ses techniques
d'enseignement adapté à tous, même aux cas
les plus désespérés. Il fait appel, par exemple, à
la logique grammaticale.
Strengthened by his experience as a suffering
pupil and as a teacher, Daniel Pennac has
reflected and passed on his memories and
teaching methods, adapted to everyone, even
the most desperate cases. He calls on
grammatical logic, for example.
"Quelle que soit la matière qu'il enseigne, un
professeur découvre très vite qu'à chaque
question posée, l'élève interrogé dispose de
-Whatever subject he teaches, the teacher
discovers very quickly that for every question
asked, the pupil being interrogated has three
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trois réponses possibles : la juste, la fausse et
l'absurde. En quatrième, par exemple, l'ami
Sami.
- Sami, quel est le premier verbe conjugué de la
phrase?
- Vraiment, m'sieur, c'est vraiment.
- Qu'est-ce qui te fait dire que 'vraiment' est un
verbe?
- Ça se termine par -ent!
- Et à l'infinitif, ça donne quoi?
- ...?
- Allez, vas-y! Qu'est-ce que ça donne? Un
verbe du premier groupe? Le verbe 'vraimer'?
Je vraime, tu vraimes, il vraime?
- ...
La réponse absurde se distingue de la fausse
en ce qu'elle ne procède d'aucune tentative de
raisonnement."
Patiemment et intelligemment, Pennac démonte
le mécanisme de la cancrerie et tente de
persuader les cancres de ne pas renoncer.
Habitué à entendre "je suis trop bête", "je suis
nul", "je n'y arriverai jamais", il discute, négocie,
s'intéresse aux crises de découragement.
Nathalie est en larme parce qu'elle ne
comprend pas la subordonnée conjonctive de
concession et d'opposition.
"-La...subordonnée-conjonctive de concession
et d'opposition?
Silence.
Ne pas rigoler.
Surtout ne pas rire."
Nathalie pleure à chaude larmes.
"Ça y est, le professeur est enclenché :
comment consoler une gamine avec une leçon
de grammaire? Voyons voir... Tu as bien cinq
minutes, Nathalie, viens ici que je t'explique.
Classe vide, assieds-toi, écoute-moi bien, c'est
tout simple... Elle s'assied, elle m'écoute, c'est
tout simple. Ça y est? Tu as compris?
Donne-moi un exemple, pour voir. Exemple
juste. Elle a compris. Bon. Ça va mieux? Eh
bien! pas du tout, ça ne va pas mieux du tout,
nouvelle crise de larmes, des sanglots gros
comme ça, et tout à coup cette phrase, que je
n'ai jamais oubliée:
- Vous ne vous rendez pas compte, Monsieur,
j'ai douze ans et demi et je n'ai rien fait."
Obstiné, Pennac fait apprendre par coeur à ses
élèves des pages de belle littérature, comme
des défis lancés et relevés. Maintenant il lui
arrive de croiser des anciens élèves qui lui
récitent un texte dans la rue, comme un bon
souvenir.
Souvenirs de confiance et de compassion.
Invention d'un autre temps, d'un autre temps...
"Il faudrait inventer un autre temps pour
l'apprentissage. Le présent d'incarnation, par
exemple. Je suis ici, dans cette classe, et je
comprends, enfin! Ça y est! mon cerveau
diffuse dans mon corps : ça s'incarne. Quand ce
n'est pas le cas, quand je n'y comprends rien, je
me délite sur place, je me désintègre dans ce
temps qui ne passe pas, je tombe en poussière
et le moindre souffle m'éparpille. Seulement,
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possible replies: the correct one, the false one
and the absurd one. In the fourth year, for
example, our friend Sami.
-Sami, what's the first verb being conjugated in
the sentence?
-Vraiment, sir, it's vraiment. -What makes you
think that "vraiment" is a verb?
-It ends in -ent!
-And the infinitive, what does that become?
-...?
-Go on, go on! What does that become? A verb
in the first group? The verb "vraimer"? Je
vraiment, tu vraimes, il vraime?
-...?
The absurd reply is different from the wrong
reply in that there's no prior attempt to reason.
Patiently and intelligently, Pennac shows the
mechanisms behind duncehood and tries to
persuade dunces not to give up. Used to
hearing "I am too stupid" "I'm useless" "I'll never
manage" he discusses, negotiates, takes an
interest in the crises of demotivation. Nathalie is
in tears because she doesn't understand
subordinate conjunctions marking concession
and opposition
-The
subordinate-conjunction-of-concession-and-oppo
Silence.
Don't burst out laughing.
Whatever you do don't laugh.
Nathalie is in a flood of warm tears.
-There we are, the teacher is engaged: how do
you console a little girl with a grammar lesson?
Let's see... You've got five minutes, Nathalie,
come here I will explain it to you. The classroom
is empty, sit down, lesson to me very carefully,
it's all very simple... She sits down, she listens
to me, it's very simple. Is that OK? Have you
understood? Give me an example, to check.
The example is right. She's understood. Good.
Is that better? Well not at all, it's not better at all,
there's a new crisis of tears, big tears like that,
and then this sentence that I've never forgotten.
-You don't understand sir, I'm twelve and a half
years old and I've not done anything.
Obstinate, Pennac has his pupils learn by heart
pages of fine literature like a challenge to be
launched and overcome. Now it sometimes
happens that he bumps into former pupils who
recite him the text in the street, like a fond
memory.
Memories of trust and compassion. An invention
from another era, another verb tense...
-A new tense should be invented for learning.
The Present Incarnation, for example. I am
here, in this class, and I understand at last!
There we are! My brain spreads around my
body: it becomes incarnated. When it's not the
case, when I don't understand anything, I
crumble on the spot, I disintegrate in this tense
which won't go away, I collapse into dust and
the slightest blow scatters me. It's just that in
order for knowledge to have a chance to
become incarnated in the present during a
lesson, you have to stop branding the past as a
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pour que la connaissance ait une chance de
s'incarner dans le présent d'un cours, il faut
cesser d'y brandir le passé comme une honte et
l'avenir comme un châtiment."
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source of shame and the future as a form of
punishment.
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