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La connaissance et la vérité
L’auteur commente implicitement les premières pages de
la Métaphysique d’Aristote pour montrer que la
connaissance commence nécessairement avec la
perception sensible externe, remonte pour une synthèse
dans l’imagination et donne enfin lieu à l’abstraction
intellectuelle. Il insiste à propos sur les sources de
certitude, tant sensibles – les sens ne nous trompent pas
sur leur données propres – que spirituelles, qui permettent
une science authentique.
Car Humbrecht sait que l’intelligence est faite pour la
vérité, et pas n’importe laquelle, mais une vérité certaine,
dans un jugement intellectuel étayé. Pour parvenir à cet
arbitrage, l’esprit doit procéder rationnellement, c'est-à-dire
logiquement et scientifiquement, dans le respect des
méthodes appropriées à chaque domaine d’investigation.
L’éthique
L’éthique de Thomas d’Aquin est d’entrée de jeu placée
sous l’autorité d’Aristote. Elle est une quête du bonheur
malgré certaines limites que la Révélation fait éclater ; la
vision antique demeure en effet d’un élitisme très
égocentré. Tout repose sur la pratique des quatre vertus
cardinales que sont la force, la tempérance, la justice et la
prudence. La félicité humaine culmine cependant dans la
contemplation de la vérité métaphysique. Mais « le salut
n’enlève rien à la vertu », précise l’auteur, « même si la
vertu trouve un nouveau statut à dépendre de lui ». Thomas
intègre en effet, le bonheur d’Aristote dans la béatitude
chrétienne en lui ajoutant l’ordre des vertus théologales
infuses par grâce : la foi, l’espérance et la charité.
La politique, quant à elle, est l’art de « faire converger le
caractère vertueux des comportements personnels ». Elle
s’appuie sur l’éthique et ne se sépare pas d’elle. La Cité
surpasse la somme de ses membres, en construisant
l’unité par la loi qui est la règle commune. Saint Thomas fut
certainement le premier à clairement distinguer le pouvoir
temporel du pouvoir spirituel. Il est aussi beaucoup plus
prolixe qu’Aristote sur le jeu des sentiments dans l’agir
moral. Son traité organique des passions humaines, dans la
Somme, demeure, aujourd’hui encore, d’une totale
actualité. Mais, conclut Humbrecht, « ce n’est pas un
docteur chrétien, mais le païen Aristote qui fait culminer son
éthique par la contemplation ».
La métaphysique
À l’orée de ce chapitre, nous sommes avertis : le
commentaire de Thomas d’Aquin sur la métaphysique
d’Aristote est une de ses œuvres de maturité les plus
achevées du saint docteur. En regard, « il n’est pas
interdit de penser que le De Ente … est un rien
surestimé aujourd’hui », de même que le traité des
transcendantaux dans la Question disputée sur la
Vérité. Ces mises au point sont vraiment bienvenues
dans le microcosme thomiste contemporain, où l’on
aurait tendance à penser le contraire, comme nous
l’avons vu dans le précédent ouvrage.
L’être est l’objet de la métaphysique. Cette unité de point
de vue, formulée selon la célèbre sentence : « l’être en
tant qu’être » est le pivot de l’unité de toute la discipline.
Unité cependant d’analogie, et non absolument stricte, en
raison des différents degrés d’êtres observables dans
l’univers. Au terme de sa métaphysique, Aristote parvient à
Dieu, conçu comme "acte pur" et souverain bien, sans
aucun manque. « Ce Dieu se connaît dans un acte unique
de connaissance, étant soi-même l’intellect, la réalité
connue et l’acte de connaître ».
Humbrecht veut cependant voir dans le commentaire du
Liber des Causis un dépassement thomasien de la
métaphysique aristotélicienne. Et ce en raison de deux
principes : « la cause première exerce sur l’effet un influx
et une puissance plus grands que la cause seconde », et
« la première des choses créées est l’être (esse) ».
Ceci pose deux difficultés. Le second principe pourrait tout
aussi bien se traduire « la première des choses créées est
d’être », car il ne faudrait surtout pas conclure que Dieu a
d’abord créé quelque chose qui serait « l’être », puis
ensuite d’autres choses. En changeant, de façon
parfaitement légitime à l’égard du latin, un simple article,
c’est tout le sens qui s’en trouve modifié. Toute l’emphase
sur l’ "Être" auquel beaucoup ajoutent une majuscule,
retombe comme un soufflet refroidi. Nous reviendrons sur
les spéculations modernes essence / existence, réattisées
par Gilson face à l’existentialisme, lors de la prochaine
recension sur Au service de la sagesse, le précieux
volume que Michel Nodé-Langlois vient de publier aux
éditions Tempora.
On veut absolument que le premier principe soit "néo-
platonicien". C’est oublier que la causalité universelle est
l’épine dorsale du traité de la Physique d’Aristote, clairement
formulée dès le deuxième livre. Sans elle, point de
conclusion au moteur premier. C’est oublier encore que ce
livre De Causis était si aristotélicien de ton qu’il fut jusqu’à
Thomas, attribué au stagirite. C’est oublier enfin que si les
"néo-platoniciens" ont droit au préfixe "néo-", c’est qu’ils
avaient la lourde tâche d’assumer tout le patrimoine
d’Aristote, devenu désormais incontournable, comme le fit
remarquer Porphyre de son maître Plotin. Sans quoi, ils ne
seraient que de banals et simples "platoniciens". Redisons-
le, en philosophie, Thomas d’Aquin est aristotélicien, même
au travers de Proclus, Boèce ou Augustin, qui, tous, furent
influencés par Aristote. L’auteur le plus éloigné du
philosophe grec, hormis les rédacteurs de l’Ecriture Sainte
évidemment, fut très certainement Denys. Thomas ne
l’ouvre, cependant, qu’en théologie.
Mais l’importance quantitative de notre remarque en
comparaison de notre recension ne doit pas fausser la
perspective. Il ne s’agit là que de questions subsidiaires,
pourrait-on dire, au regard du poids massif du
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