Cee pensée philosophique si riche et si nuan-
cée a été trop souvent mal perçue au travers
dexposés et de résumés approximatifs ou lar-
gement décients. En cause, la prépondérance
progressive des théories des juristes aux
et siècles, le retour aux préoccupations sur
les souverainetés respectives du pape et des
rois, et puis, la montée des absolutismes réga-
liens à la recherche de justications morales, et
plus tard encore, lambiance intellectuelle des
philosophies libérales.
Même à lépoque plus récente où, sur lini-
tiative de lÉglise depuis Léon XIII, lintérêt
fut renouvelé pour létude approfondie des
œuvres de lAquinate, la partie politique de
sa philosophie a été comme ousquée par
trop de reconstructions a posteriori, passable-
ment éloignées de la pensée originale. Divers
personnalismes à revendication thomiste se
développèrent, tous plus ou moins focalisés sur
les dicultés de conciliation de la personne et
de lÉtat, dans un climat de crainte des totali-
tarismes, et tous plus ou moins empêtrés dans
des conceptions absolutistes de la dignité de
la personne. Certains crurent trouver la base
dune solution dans une distinction individu-
personne quils estimaient exhumer de la
philosophie de saint omas : en tant quin-
dividu, la personne humaine serait référée à la
société, mais la société serait à linverse référée
à la personne en tant que personne.
En quête de la pensée véritable de saint omas,
le père Louis Lachance a voulu se dégager de
ces néo-thomismes. Il est dès lors retourné aux
textes eux-mêmes et a entrepris de nous en faire
connaître leur teneur authentique. Son dessein
nest nullement dexposer une synthèse préé-
tablie, structurée en chapitres découlant les
uns des autres, comme le ferait un manuel à
intention scolaire. Il se propose plutôt de re-
trouver selon leur genèse les composantes de
la réexion de saintomas, de nous faire par-
ticiper intellectuellement à la redécouverte de
leur réalisme, de nous faire saisir sur le vif leurs
principes, leurs rapports et leurs articulations.
Sa préoccupation spécique de faire la lu-
mière sur les relations réciproques entre la
personne et lÉtat selon saint omas, lamène
à développer amplement les chapitres sur la
personne, sa structure métaphysique, sa signi-
cation psychologique et physique et son
or ganisation morale. Dans la même perspec-
tive, il explore tout à loisir les grands concepts
détat, de sociabilité, de bien commun…
Au long de ce cheminement de réinvention
en compagnie de saint omas, le lecteur ren-
contrera plus dun joyau ; tel le chapitre sur
« létat, lieu de la sagesse », ou « bien propre
et bien commun », ou « léconomie de la pru-
dence », ou encore « lépanouissement de
lamitié »…
Le père Lachance prend aussi grand soin de
mere en évidence la distinction si neement
exposée par saint omas entre lordre de la
nature et celui de la grâce, ainsi que la subor-
dination de la nature à lordre surnaturel qui,
soulevant et emportant la nature dans son
dynamisme propre, a pour n de conduire
lhomme à la vie éternelle.
Avec saint omas, lauteur réarme tout
autant la gratuité de lélévation surnaturelle ;
cee gratuité implique que la nature, en amont
de la réception de la grâce, est déjà une réalité
complète ayant sa consistance propre (sans
quoi la grâce serait nécessaire à la nature, et
non point gratuite…). En conséquence de
quoi, létude proprement philosophique de
cet ordre naturel est légitime et nécessaire aux
yeux de saint omas, tout particulièrement
dans le domaine politique. Et tel est le propos
principal de louvrage du père Lachance.