PHI-403K
Séminaire d’auteur!:
Bertrand Russell!: désir de savoir et passion pour les autres
Professeur Mathieu Marion
Horaire!: Mercredi 9h30-12h30
Local!:!W-5305
Courrier électronique!: [email protected]
Téléphone!: 987-3000, poste!4999
Bureau!:!W-5260
Heures de disponibilité!: sans rendez-vous!: mercredi 13h30-15h30!; avec rendez-vous!: lundi au
vendredi.
CONTENU DU COURS
Ever since puberty I have believed in the value of two things!: kindness and clear thinking. At first these two
remained more or less distinct […] Gradually, the two have come more and more together in my feelings. I find that
much unclear thought exists as an excuse for cruelty, and that much cruelty is prompted by superstitious beliefs.
B. Russell
Bertrand Russell est, par l’importance de son œuvre philosophique et de son engagement
politique, un des plus grands intellectuels du vingtième siècle. Son œuvre philosophique, dont
l’influence s’étend jusqu’à nos jours, est d’une grande importance dans l’histoire de la
philosophie, pour les raisons suivantes!:
(1) Éduqué à Cambridge à la fin du XIXe siècle, Russell, en compagnie de son ami G. E. Moore,
rejeta la philosophie de ses maîtres idéalistes (Bradley, McTaggart) un tournant fondamental
dans l’histoire de la philosophie anglaise au profit de ce qu'il appelait alors, dans une
conférence à la Société française de philosophie en 1911, le «!réalisme analytique!», programme
d’où allait sortir la philosophie analytique.
(2) Russell découvre très tôt les travaux de l’étudiant de Brentano, Meinong, dont la critique le
mènera à un des textes fondateurs de la philosophie du langage, «!De la dénotation!» (1904). La
théorie des descriptions définies qu’il met de l’avant dans ce texte fait encore partie aujourd’hui
de l’outillage du linguiste et du logicien. Philosophie du langage n’est pas synonyme de rejet de
la métaphysique chez Russell qui fut, à l’instar de Meinong, un grand métaphysicien, inspiré
entre autres par son étude de Leibniz, A Critical Exposition of the Philosophy of Leibniz (1900),
dont il produisit un des grands commentaires de l'époque (avec ceux de Couturat et de Cassirer).
(3) Philosophe des mathématiques, il découvre l’oeuvre de Frege, ignorée à l’époque, mais il
découvre dans le système de Frege un paradoxe qui porte son nom. Par ses travaux et
l’élaboration de la théorie des types, Russell devient un des pionniers de la logique formelle telle
que nous la connaissons de nos jours.
(4) Intéressé par la question des fondements des mathématiques dès ses premiers travaux (An
Essay on the foundations of Geometry (1897)), il rédige les Principles of Mathematics (1903) et,
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en collaboration avec A. N. Whitehead, les trois volumes des Principia Mathematica (1911-13).
À la suite de Frege, il aura été un des défenseurs du «!logicisme!», une des grandes philosophie
des mathématiques du vingtième siècle. En France, Russell débattra avec Poincaré dans les pages
de la Revue de métaphysique et de morale. Sur ces questions, il aura une profonde influence sur
Couturat, Ramsey et Carnap.
(5) Poursuivant ses travaux, en particulier au contact de son étudiant Wittgenstein, il renouvelle
l'empirisme anglais, entre autres dans Les problèmes de la philosophie (1912) et Théorie de la
connaissance (1913), par un programme basé sur l’analyse logique, l’atomisme logique, d’où
découlernt de nombreuses problèmatiques, tels que ceux de la nature des objets de la perception
ou encore de l’existence d'autrui (other minds), qui façonnèrent la philosophie analytique, chez
Carnap, Goodman, Ayer, Austin, etc.
Malgré l’ampleur de ces travaux d’épistémologie, Russell s’est aussi intéressé à l’éthique. Au
départ, il fut influencé par la critique du «!paralogisme naturaliste!» par son ami Moore dans
Principia Ethica. Mais il délaissa rapidement la réflexion philosophique, trop abstraite, pour faire
oeuvre de «!moraliste!», dans le but d’avoir une véritable influence sur l’opinion publique, hors
des salles de cours. Dans ses ouvrages, il critique la morale victorienne et chrétienne sur des
questions comme l'amour ou le mariage, ainsi que les croyances religieuses. Ses écrits sont
souvent dénigrés par les universitaires mais ils eurent une grande portée!; ses ouvrages tels que
Marriage and Morals (1929) lui valurent le Prix Nobel de littérature en 1950 et une audience
internationale, qui lui sera précieuse dans ses dernières luttes, pour le désarmement nucléaire et
contre la guerre du Vietnam.
Il proposa en outre une nouvelle philosophie de l'éducation et fonda une école expérimentale,
Beacon Hill School. Le professeur Normand Baillargeon, du département d’éducation et de
pédagogie de l’UQAM et auteur entre autres d’Éducation et liberté (Montréal, Lux, 2005) et d’un
Petit cours d’autodéfense intellectuelle (édition revue et corrigée, Montréal, Lux, 2005), viendra
présenter cette dimension de la pensée de Russell.
Russell prit part dans de nombreuses luttes politiques tout au long de sa vie, du vote pour les
femmes au pacifisme, qui lui valut la prison pendant la guerre de 14-18 et l’expulsion du Trinity
College à Cambridge, où il n’eut que peu d’étudiants!: Norbert Wiener, Ludwig Wittgenstein et le
Français Jean Nicod. Il sera plusieurs fois candidat défait aux élections nationales!; à la suite du
décès de son frère Frank, il héritera de son titre (et de ses dettes, qu’il remboursera à même sa
seule source de revenus!: les droits d’auteurs et les honoraires pour des conférences) et siègera à
la House of Lords. Il apporta son soutien à l'anarcho-syndicalisme et au socialisme de guilde dans
Roads to Freedom!: Socialism, Anarchism and Syndicalism (1918), tout en produisant une des
premières critiques du régime soviétique The Practice and Theory of Bolshevism (1920)!; Russell
fut un penseur «!libéral!», au sens on entend le terme au siècle des Lumières, chez Locke ou
Constant. Il fut en outre un des fondateurs du premier mouvement pour le désarmement nucléaire
en 1958, le Committee for Nuclear Disarmament – il fera un dernier tour en prison à l’âge 91 ans
en 1961 pour une manifestation anti-nucléaire et l'instigateur d'un tribunal contre les crimes de
guerre américains au Vietnam (1966), dont il finança les activités par la vente de sa propre
bibliothèque et de ses archives (désormais à l’université McMaster, en Ontario!; voir!:
http://russell.mcmaster.ca). Russell a aussi réfléchi sur son engagement politique dans de
3
nombreux écrits, dont une des rares études (avec Weber et Ferrero) sur le pouvoir, Power. A New
Social Analysis (1938).
Autant en raison son immense héritage philosophique et logique, presque sans équivalent au
vingtième siècle qu’en raison de son engagement politique, Russell mérite que l’on examine son
oeuvre, malheureusement largement ignorée dans un monde francophone où a régné au vingtième
siècle un ressentiment politique contre les «!anglo-saxons!», au-dessus duquel les philosophes
sont loin d’avoir su s’élever. Contrairement à un préjugé tenace, son engagement politique n’était
pas dissocié de sa philosophie mais il en découlait autrement que par une forme de «!lutte de
classes dans la théorie!», en vertu de laquelle, à l'inverse, les opinions philosophiques sont jugées
par leur supposée couleur politique. Ce cours sera une introduction à l’épistémologie et à la
pensée sociale et politique de Russell et cette question en constituera la charnière.
En effet, ce cours est conçu à partir d’une nouvelle hypothèse de lecture selon laquelle il existe
une unité entre ces deux parties de l’œuvre de Russell. Lors d’une promenade au Tiergarten de
Berlin vers 1898, Russell élabora une grande synthèse sur le mode hégélien dont il réalisa par la
suite l’impossibilité et il a de fait toujours cru qu’il n’y a aucune connexion entre ses idées
épistémologiques et ses engagements politiques. Et cela même après la deuxième guerre
mondiale, lorsqu’il publie ses deux dernières grandes œuvres philosophiques Human Knowledge.
Its Scope and Limits (1949) et Human Society in Ethics and Politics (1954). L’impossibilité
d’une telle synthèse est en soi un fait important, mais elle n’interdit pas de trouver une unité à un
autre niveau et nous proposons de la trouver dans le respect fondamental de ce que l’on peut
appeler les «!valeurs cognitives!». Celle-ci sont, pour ne prendre que quelques exemples, la
reconnaissance d’un concept substantiel de vérité (vérité correspondance, bivalence), sur lequel la
critique peut s’appuyer, à l’opposé du rejet de la distinction vérité/fausseté (par exemple, chez
Nietzsche), un idéal de cohérence, de clarté et de précision, une obligation de justifier ses
croyances et de questionner les «!évidences!», une attitude d’ouverture, de discussion et de remise
en question l’opposé du terrorisme intellectuel ou simplement du conformisme des idées
convenues), ou encore le rejet des arguments captieux, sophismes et paralogismes. L’attitude
d’ouverture et de remise en question a donné une des particularités de l’œuvre de Russell!: il a
changé d’avis plus que tout autre philosophe au vingtième siècle. L’idéal de cohérence, de clarté
et de précision a été intégré dans la pratique même de la philosophie analytique!; Russell parlait
d’une «!méthode scientifique!» en philosophie mais décriviat aussi la philosophie comme «!l’art
de la conjecture rationnelle!» dans The Art of Philosophizing (1968). Il s’accompagne d’un rejet
de la recherche d’une soi-disant «!intuition métaphysique!» (pour reprendre l’expression de
Ferdinand Alquié) et des grands programmes philosophiques (comme celui du Tiergarten) au
profit d’une approche partielle, piecemeal!; Russell y voyait le pendant du libéralisme qu’il
admirait chez Locke. L’importance politique du concept substantiel de vérité est mise en lumière
dans la critique du pragmatisme de James, car il permet une forme d’arbitrage et de partialité,
alors que son rejet ouvre la porte à l’arbitraire du plus fort!:ce sont en effet les philosophies anti-
libérales, comme celles de la «!révolution conservatrice!» allemande (Nietzsche, Heidegger,
Jünger et les nazis) qui ont, au vingtième siècle remis en question la validité du concept de vérité,
avec tous les effets délétères que l’on connaît. L’obligation de justifier ses croyances est intégrée
à la philosophie empiriste de Russell!: il voulait reconstruire notre connaissance du monde
extérieur sur la seule base de notre «!accointance!» avec les données sensorielles et avec des
universaux. Reconnaissant qu’on devait malgré tout faire appel à des entités «!inférées!», Russell
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avait pour principe de «!substituer dans la mesure du possible des constructions logiques aux
entités!inférées!».
Ces «!valeurs cognitives!» sont aussi omniprésentes dans les engagements éthiques et politiques
de Russell, par exemple dans son rejet de la morale sexuelle victorienne, qui était à ses yeux
uniquement basée sur des croyances que l’on acceptait sans chercher à les justifier. L’attitude
d’ouverture d’esprit et de tolérance était aussi à la source du rejet chez Russell de la thèse de la
transition violente au communisme. Pour les mêmes raisons, il ne prisait guère le caractère anti-
démocratique du système soviétique. Russell, avant Rougier et Voegelin, dénonçait déjà le
marxisme comme une «!nouvelle religion!», au nom même de ces «!valeurs cognitives!».
Ce respect des «!valeurs cognitives!» n’est pas seulement une constante dans la pensée de
Russell, il permet une fécondation de l’épistémologie par le politique et vice-versa, comme on
peut le voir avec l’exemple déjà mentionné du concept de vérité!: les effets politiques positifs
d’un concept substantiel de vérité correspondance, qui justifient que l’on défende celui-ci en
épistémologie (après tout, quel recours aurions-nous contre le négationniste si on ne peut pas
affirmer que ses croyances sont tout simplement fausses, c’est-à-dire démenties par la réalité!?).
Ces quelques remarques auront montré la richesse de notre hypothèse, que l’on cherchera à
confirmer lors du séminaire.
Russell, qui est mort à 98 ans en 1970 a beaucoup écrit, plus de 60 livres (dont deux recueils de
nouvelles, Satan in the Suburbs et Nightmares of Eminent Persons) et les Collected Papers of
Bertrand Russell, auxquels il faut ajouter une volumineuse correspondance, feront 33 volumes (et
un volume pour l’index)!; on dit de lui qu’il a écrit en moyenne une page pour chaque trois heures
de son existence. Son dernier texte date de 1967, à 95 ans (disponible à!:
http://russell.mcmaster.ca/bressay.htm.)Il a écrit sur sa vie et ses idées My Philosophical
Development (1959) et les trois volumes de son Autobiography (1967-69), ressortent son
grand sens de l’humour et sa franchise. Un autre aspect de sa vie est digne d’attention!: lors de
ses études à Cambridge, Russell était membre d’une société secrète, les Apostles, en compagnie,
entre autres, de l’économiste J. M. Keynes, du critique littéraire Lytton Strachey et du politologue
Leonard Woolf. À travers eux, il eut de nombreux contacts avec le Bloomsbury Group, un
regroupement informel d’écrivains, de peintres, de critiques d’art et d’universitaires. L’influence
de Russell sur ce groupe ne fut pas aussi importante que celle de Moore, mais son épistémologie
est importante pour comprendre la technique littéraire de Virginia Woolf.
PLAN
(Le plan de cours sera finalisé lors de la première séance.)
1. Introduction!: Les «!valeurs cognitives!» et l’unité de la pensée de Russell
2. Œuvres de jeunesse et la révolte contre l'idéalisme néo-hégélien
3. La philosophie du langage: «!De la dénotation!»
4. La philosophie de la logique et des mathématiques!: le logicisme
5. La théorie de la connaissance!: l’atomisme logique
6. La philosophie morale
7. La philosophie de l’éducation (présentation par Normand Baillargeon)
8. L’engagement politique
9. Exposés étudiants
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BIBLIOGRAPHIE
Principales publications de Russell
Cette liste n’est pas exhaustive et ne comprend que monographies et recueils d’articles!;
voir les volumes de [Blackwell & Ruja 1994] pour une bibliographie complète.
[1896] German Social Democracy, Londres, Longmans, Green.
[1897] An Essay on the Foundations of Geometry, Cambridge, Cambridge University
Press!; traduction française!: Essai sur le fondements de la géométrie, Paris,
Gauthier-Villars, 1901.
[1900] A Critical Exposition of the Philosophy of Leibniz, Cambridge, Cambridge
University Press ; traduction française!: La philosophie de Leibniz, Paris, Alcan,
1908.
[1903] Principles of Mathematics, Cambridge, Cambridge University Press ; traduction
française!partielle!dans [1989]!; traduction intégrale!en cours à paraître chez
Hermann.
[1910] Philosophical Essays, Londres, Longmans, Green!; traduction française!: Essais
philosophiques, Paris, Presses Universitaire de France, 1997.
[1910-1913] & A. N. Whitehead, Principia Mathematica, 3 vols., Cambridge, Cambridge
University Press!; 2ième édition!: 1925-27!; traduction française!partielle!dans
[1989]
[1912] Problems of Philosophy, Oxford, Oxford University Press!; traduction française!:
Les problèmes de la philosophie, Paris, Payot, [1975] 1989.
[1914] Our Knowledge of the External World as a Field for the Scientific Method in
Philosophy, Londres, Allen & Unwin!; traduction française!: La méthode
scientifique en philosophie et notre connaissance du monde extérieur, Paris, Payot,
[1971] 2002.
[1917] Mysticism and Logic and Other Essays, Londres, Longmans, Green!; traduction
française!partielle!: Le mysticisme et la logique, Paris, Payot, 1922.
[1918] Roads to Freedom!: Socialism, anarchism and Syndicalism, Londres, Allen &
Unwin!; traduction française!: Le Monde qui pourraît être, Paris, Denoël, 1973.
[1919] Introduction to Mathematical Philosophy, Londres, Allen & Unwin!; traduction
française!: Introduction à la philosophie mathématique, Paris, Payot, [1970] 1991.
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