La communication auprès de personnes atteintes de Maladie d

La communication auprès de
personnes atteintes de Maladie
d’Alzheimer
Déborah Lowinski-Létinois
FRANCE ALZHEIMER
Introduction
Comment entrer en relation avec une personne dont la
communication semble si bouleversée que nous ne puissions
parfois plus y retrouver le rapport à l’altérité qui conditionne
certains de nos gestes ou de nos postures ?
Si la maladie trouble notre rapport à l’Autre c’est aussi
probablement qu’elle nous touche d’une façon particulière.
Comment réagir face à la désorientation, l'amnésie, les troubles
corporels face à un adulte dont nous avons accepté la
responsabilité d'un accompagnement qui vise à maintenir son
autonomie, sa dignité ? Comment continuer de regarder l’Autre
comme sujet à part entière et non seulement comme objet de
soin ?
Quelle implication personnelle du professionnel aidant? Quels
outils relationnels dans cette rencontre si singulière?
Les différents aspects de la
communication
Fondamentaux de la communication
Sch
é
ma de la communication
(d’après G Bateson, 1950)
Les notions de dialogue tonico-
émotionnel et d'"accordage tonique": Rôle
du muscle dans l’affectivité, définition du
tonus. WALLON « Il n’y a pas d’émotions
sans action »
J. DE AJURIAGUERRA : mise en évidence
d’une construction du lien relationnel dans
une relation éminemment musculaire
Notion de spirale transactionnelle chez M.
KLEIN
Particularités de la relation avec une
personne atteinte de maladie
d’Alzheimer
Le contexte : La relation aidant / aidé
Apparente asymétrie de la relation d'aide où l'aidant a
souvent l'ascendant sur l'aidé
Enjeu éthique du "prendre soin" : jamais la personne ne doit
être réduite à une objectivité matérielle, c’est un être
« somato-psychique ». Le professionnel accompagnant ne
peut pas comprendre seulement le symptôme, il doit
l’inclure dans le contexte d’une histoire personnelle, comme
une expression, une parole somatique (« Le pari du sens »)
L’exigence éthique impose que le professionnel se soit mis au
clair sur son propre rapport à la souffrance et à la mort.
Nécessite une réflexion sur son propre engagement et sur son
implication psychomotrice (intérêt des pratiques physiques
et psychosensorielles)
La communication non verbale avec une personne
atteinte de MA : un canal privilégié
Face à l'aphasie, la personne atteinte de MA s'appuie sur ses outils de
compréhension et d'expression non verbales.
Particularités de la personne « hyper syntone » : un rapport à soi et à l’autre
modifié. La personne va percevoir ou ressentir de façon plus prononcée nos
propres états de tension. La mise à distance est plus difficile à cause des
troubles cognitifs (asomatognosie, troubles du raisonnement logique, altération
du sens commun,…)
Le professionnel engagé tout entier dans la relation : savoir repérer
l’interaction non verbale et les spirales interactionnelles.
Le positionnement enveloppant du professionnel aidant:
le regard : bien en face et à la hauteur de la personne, appuyé pour renforcer
le message d'empathie
la voix : débit verbal lent, la voix grave, sans hausser le ton
Une posture d'ouverture à l'échange, des gestes assez lents
le toucher : reste un canal privilégié de communication (toucher une main,
une épaule, faire une bise se réalisent parfois de façon spontanée dans la
relation à cause de la désinhibition mais aussi du contexte de la relation)
Spécificités du rapport du malade à son corps
Répercussion des troubles cognitifs sur le schéma corporel :
difficultés de repérage et d’orientation spatio-temporelles
chez la personne malade, la désinhibition et distance
interpersonnelle (E.T. HALL)
Régression psychomotrice et modifications de l’image du
corps : la difficulté du sujet à conserver son « Moi », la
dépersonnalisation comme conséquence des « 4 A »
Envahissements anxieux et troubles du comportement : les
troubles du comportement productifs et négatifs comme
réponse aux angoisses. La réversibilité des troubles
psychiatriques
Faire face aux troubles cognitifs
dans la relation
« Répondre aux 4 A » dans la relation :
Face à l'amnésie antérograde: patience et
respiration en premier lieu! intérêt de
verbaliser la répétition de la personne ("oui, en
effet, vous me l'avez déjà dit")
« Répondre aux 4 A »
dans la relation :
Face à l’apraxie: éviter de faire à la place, proposer un
soutien d'abord grâce à un conseil (verbal), puis par
imitation, ensuite en guidant ou amorçant le geste.
«
R
é
pondre aux 4 A
»
dans la relation
:
Face à l’aphasie: éviter de reprendre les
stéréotypies de la personnes malades,
utiliser éventuellement l'amorçage
phonique, tenter de réinterpréter si le
message n'est pas transmis. Nécessi
d'adapter ses mots, la construction de ses
phrases sans tomber dans l'écueil de
l'infantilisation.
«
R
pondre aux 4 A
»
dans la relation :
Face à l’agnosie: nécessité de se présenter à chaque fois,
utilisation d'outils substitutifs pour la reconnaissance des
visages et des noms
"Répondre" à la désorientation:
Importance et intérêt relationnels de la validation (N. FEIL) de
l'émotion et du ressenti de la personne et dans un second temps,
d'une ré-orientation dans l'espace et le temps pour ne pas
s'inscrire dans le processus de désorientation
"Répondre" à la déambulation: valider le besoin de décharge
motrice et de renforcement des ressentis corporels. Possibilités
d'alternatives psychosensorielles face à l'épuisement ou la
douleur.
Nécessité d’un retour sur soi : intérêt des pratiques corporelles
d’expressivité et de relaxation
En pratique : entrer en
relation,
communiquer et accompagner
La communication verbale
L’éthique dialogique : nécessité de s’adresser au malade
encore et toujours, même lorsqu’il ne semble plus pouvoir
répondre. Maintenir une relation de sujet à sujet dans le
dialogue, savoir lire les réponses non verbales (posturales,
mimiques, toniques...)
Adapter ses mots en fonction de la personne : maintenir la
relativité de la vulnérabilité du malade, questions du
vouvoiement et du tutoiement face à l’écueil de la
dépersonnalisation
Anticiper l’action par les mots : enveloppement sensoriel,
prévention du trouble du comportement, garde-fou
déontologique dans le geste (prévention de la maltraitance)
La nécessité d’un retour sur soi pour trouver la juste
distance relationnelle
Temps de ressource pour les soignants (physique,
psychique), nécessité des coupures en journée.
Question du temps de travail (temps plein ? temps
« limite » de travail dans ces services ?)
Intérêt des pratiques expressives ou relaxantes: savoir
utiliser sa respiration, des étirements, des
automassages au quotidien
La communication non verbale et la question de l’enveloppement sensoriel
Rôle du psychomotricien
=> expert de la communication non verbale : analyse des postures, du rapport tonique
d'être au monde, utilisation et diffusion des outils de communication adaptés aux
personnes souffrant de troubles de la relation
=> évaluation des aptitudes globales de la personne (cognitives, neuromotrices,
relationnelles) et de son environnement sensoriel et relationnel
=> lieux d'exercice: libéral ou institutionnel (EHPAD, centres d'accueil de jour, hôpital de
jour, SSR, Equipes mobiles Alzheimer…)
=> partenaire du maintien à domicile dans les EMA: objectivation des capacités globales
de la personne à domicile, évaluation de l'adaptabilité matérielle et humaine de
l'environnement, soins de réhabilitation ou de rééducation courte (syndrome post-chute,
notamment), actions de prévention (prévention des chutes, de l'épuisement de l'aidant
notamment dans la transmission d'outils relationnels et de conscience corporelle), gestion
des troubles du comportement
Conclusion
Entrer en relation et communiquer avec une personne atteinte de démence n'a
rien d'évident ni "d'instinctif", c'est un art relationnel qui s'apprend et s'appuie sur
les capacités d'adaptation et d'empathie du professionnel aidant (son intelligence
relationnelle)
Communiquer avec une personne dont les canaux usuels de communication sont
altérés nécessite une grande disponibilité physique et psychique qui s'entretient et
demande au professionnel un nécessaire retour sur lui-même (remises en question
éthique, personnelle et physiologique)
Car toute relation reposant sur l'extrême singularité de ses deux interlocuteurs, il
n'existe pas de dogme ou de mécanisme qui s'imposeraient comme tels mais bien
des contours éthiques à questionner à chaque instant.
HAAG Geneviève, «Identifications intracorporelles et capacités de séparation »,
Neuropsychiatrie de l’enfance, n°38, 1990
RIGAUX Nathalie, Le Pari du sens : une nouvelle éthique de la relation avec
les patients âgés, Synthelabo, Les Empêcheurs de penser en rond, 1998
FEIL Naomie, Validation, pour une vieillesse pleine de sagesse, ed Pradel, 1999
WALLON Henri (1949), Psychisme et tonus. Les origines du caractère chez
l’enfant, PUF, 1954
KLEIN Mélanie (1946), « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes »,
Développements de la psychanalyse, PUF, 1995
Gilbert SIMONDON, L’individuation à la lumière des notions de formes et
d’informations , Ed. Jérôme Millon, 2005
George CANGUILHEM, Le Normal et le Pathologique, PUF, 1964
J. DE AJURIAGUERRA - Manuel de psychiatrie de l'enfant - chapitre 2 et
chapitre 9 - Masson, Paris 1970
Edward T. HALL, La dimension cachée, ed., Seuil, 1978
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