OLGA PENKE
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« troubles des mécontents »8. Les ouvrages historiques du milieu du siècle et
l’Encyclopédie mettent déjà l’accent sur les changements intervenus dans la
politique des Habsbourg à partir de l’avènement au trône de Marie Thérèse9.
Prévost montre un intérêt particulier à l’égard de la guerre d’indépenance
au moment de la parution de l’Histoire des Révolutions de Hongrie, rédigée par
Brenner et Rákóczi. Le livre a été publié en 1739, après la mort des deux
auteurs. Prévost fait un commentaire dans sa revue où il met en valeur
l’importance du livre : « Nous n’avions rien de si étendu sur un Païs si célèbre
»10. L’Histoire des Révolutions et le commentaire de Prévost ont été publiés à la
veille de la guerre de succession de l’Autriche quand ces événements pouvaient
avoir une actualité auprès du public français. Tout au contraire, à l’époque de la
genèse du roman, en 1760, ce chapitre de l’histoire hongroise appartient déjà
définitivement au passé. Ce qui l’intéresse donc beaucoup plus que les actualités
politiques, c’est l’époque des crises historiques et les types de héros auxquels
celles-ci donnent naissance. Les fugitifs errants à tavers les pays deviennent un
véritable leitmotif de cette partie du roman.
Trois aspects différents de la guerre d’indépendance hongroise sont
ravivés par le roman: les affaires diplomatiques, une bataille importante, celle
d’Odenbourg (Sopron) et la fuite des « mécontents » ainsi que leur vie après la
défaite.
Les réfugiés apparaissent aussi bien dans le récit premier que dans les
mémoires fictifs de l’abbé Brenner. Les personnages ayant un nom historique et
ceux qui sont entièrement fictifs sont alternés. Conformément à sa philosophie
de l’histoire Prévost cherche d’une part à faire prévaloir sa fatalité insurmontable
et, d’autre part, à filtrer les événements à travers une vision personnelle11. Il
8 Les communications de François Cadilhon et de Claude Michaud du présent colloque ont été
particulièrement révélatrices à cet égard, découvrant les enjeux idéologiques dans les différents
organes de la presse française, servant de « canal officiel » ou, au contraire, de la critique de la
politique religieuse de Louis XIV (ces derniers ont été publiés en Hollande).
9 Nous ne nous référons qu’aux ouvrages français les plus connus : Voltaire, Essai sur les mœurs
et l’esprit des nations, éd. par R. Pomeau, Paris, Garnier, 1963, t. II., voir surtout p. 150-156,
765-766. L’article « Hongrie » de l’Encyclopédie reprend en majorité les textes de l’histoire
universelle de Voltaire. Voir sur le sujet : Béla Köpeczi, La France et la Hongrie du XVIIIe
siècle. Étude d’histoire des relations diplomatiques et d’histoire des idées, Budapest, 1971 ;
Émile Pillias, Études sur François II Rákóczi, Paris, E. Leroux, 1939.
10 Le Pour et contre, XIX, n. 276, p. 193-195. Jean Sgard analyse la réaction de Prévost: «
L’Histoire des Révolutions de Hongrie (1739) devant l’opinion française », Revue des études
sud-est européennes, 1983, n. 2, p. 147-155.
11 Dans notre analyse, nous avons eu recours aux commentaires de Jean Sgard dans l’édition
critique du Monde moral (O. P., t. VIII., p. 475-480, 497-511) ; aux études de János Hankiss,
« Prévost abbé és Magyarország » (L’abbé Prévost et la Hongrie), Egyetemes Philológiai
Közlöny, 1931, p. 85-108, 1932, p. 37-49, 1933, p. 120-127 et « Les secrets de l’atelier de
l’abbé Prévost », Séances et travaux de l’Académie des Sciences morales et politiques, 1933, p.
113-135. Sur Brenner voir les deux livres, riches en documents de Béla Köpeczi : Brenner