CADRE THEORIQUE 453
établi en théorie, et pourrait paraître à première vue une absurdité trop énorme pour qu'il
soit besoin d'insister »6.
Nous pouvons appliquer le même raisonnement au problème de la validité
d'une loi de révision constitutionnelle contraire aux dispositions de la constitution
qui règlent sa création et en particulier aux dispositions intangibles de la
constitution. Pour cela, remplaçons
- le mot « constitution » par l'expression « dispositions intangibles de la
constitution » ;
- « acte législatif » par « loi de révision constitutionnelle » ;
- « législature » par « organe de révision constitutionnelle » et
- « peuple » par « pouvoir constituant originaire ».
...C'est une proposition trop évidente pour être contestée que de dire que les
dispositions intangibles de la constitution priment sur toute loi de révision
constitutionnelle qui lui est contraire ; s'il en était autrement l'organe de révision
constitutionnelle pourrait altérer les dispositions intangibles de la constitution par une
simple loi de révision constitutionnelle.
Entre ces deux alternatives, il n'y a pas de moyen terme. Ou bien les dispositions
intangibles de la constitution sont supérieures à tout, non révisables par des moyens
ordinaires; ou bien elles sont au même niveau que les dispositions constitutionnelles
ordinaires, et comme d'autres dispositions constitutionnelles, elles peuvent être
amendables lorsqu'il plaît à l'organe de révision constitutionnelle de les modifier.
Si la première partie de cette alternative est vraie, alors une loi de révision
constitutionnelle contraire aux dispositions intangibles de la constitution n'est pas une
loi de révision constitutionnelle; si la seconde partie est vraie, alors les dispositions
intangibles de la constitution sont d'absurdes tentatives, de la part du pouvoir
constituant originaire, pour limiter un pouvoir qui par sa nature est non limitable.
Certainement tous ceux qui ont élaboré les dispositions intangibles de la
constitution les ont conçues comme formant la loi fondamentale et supérieure du pays, et
par conséquent, le principe de tout gouvernement semblable doit être qu'un acte de
l'organe de révision constitutionnelle, contraire aux dispositions intangibles de la
constitution, est nul...
Si un acte de l'organe de révision constitutionnelle, contraire aux dispositions
intangibles de la constitution, est nul, doit-il, indépendamment de sa non-validité, lier
les tribunaux et les obliger à lui donner des effets? Ou, en d'autres termes, bien qu'il ne
soit pas une loi de révision constitutionnelle, constitue-t-il une règle aussi opérante
qu'une loi de révision constitutionnelle ? Admettre cela reviendrait à renverser dans les
faits ce qui a été établi en théorie, et pourrait paraître à première vue une absurdité trop
énorme pour qu'il soit besoin d'insister...
Alors selon cette argumentation, une loi de révision constitutionnelle contraire
aux dispositions intangibles de la constitution ne peut pas être valable. Elle serait
nulle, autrement dit, elle n'est pas du tout une loi de révision constitutionnelle.
6. Marbury v. Madison, 1 Cranch 137, 2 L.Ed. 60 (1803). Le texte et l'analyse de cet arrêt se
trouvent à peu près dans tous les manuels habituels de droit constitutionnel américain. Voir par
exemple, Alpheus Thomas Mason et William M. Beaney, American Constitutional Law :
Introductory Essays and Selected Cases, New Jersey, Prentice-Hall, 3e édition, 1964, p.24-27. Pour
les traductions françaises des extraits de cet arrêt voir par exemple, Duverger, Constitutions et
documents politiques, op. cit., 1987, p.600-601; Claude Leclercq et Pierre-Henri Chalvidan,
Travaux dirigés de droit constitutionnel, Paris, Litec, 1990, p.75-77.