Les agrocarburants : une alternative aux énergies fossiles ?

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Catégorie Sociale
Section Ecologie Sociale
Prévention – 3e Bac en Ecologie Sociale
Les agrocarburants :
une alternative aux énergies fossiles ?
Par
Sophie Deboucq
Présenté a
Pénélope Fiszman, professeur
Année scolaire 2010 - 2011
1
Table des matières
1/ Redéfinir le concept
2/ Avantages
A/ Réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES)
B/ Réduction de la dépendance au pétrole
C/ Amélioration de la situation des agriculteurs
3/ Inconvénients
A/ Déforestation
B/ Agriculture industrielle
C/ Sécurité alimentaire
D/ Augmentation du trafic routier
4/ Conclusion
Bibliographie
2
Sachant que « les quelques 800 millions d'automobiles recensées dans le monde au début du
millénaire consomment plus de 50% de l'énergie produite »1, et qu'« en Europe, on estime
que 22% des émissions de CO2 sont dus à la voiture »2, est-ce que l'agroénergie est la solution
au défi énergétique? Y a-t-il une vraie solution à la crise énergétique derrière ce qu'on appelle
les agrocarburants ? Cette énergie « verte » sera-t-elle capable de nous sortir de la crise
climatique actuelle ? Est-ce que l'énergie provenant de culture d'huile de palme ou de canne à
sucre est si verte qu'on nous le dit ? Pourrons-nous toujours faire rouler nos voitures, et si oui
avec quoi ?
Je vais tenter de répondre à ces questions.
1/ Redéfinir le concept :
Les agrocarburants ont dans un premier temps été appelés biocarburants. Cette appellation a
été critiquée par les écologistes car « bio » fait référence à la vie, à un certain respect de
l'environnement ou encore à une certaine éthique. Pour éviter toutes connotations, tel que ; les
agrocarburants proviennent de l'agriculture biologique, ils ont préféré le préfixe « agro » dans
un soucis de neutralité. On parle aussi d'énergie « verte » ou d'agroénergie.
Ce concept, au départ pratiqué par les écologistes, a été récupéré par l'agrobusiness en vue des
profits réalisables, c'est alors que la fabrication d'agrocarburants a pris un essor phénoménal.
En effet, vu la raréfaction des ressources en énergie fossile3, les industries concernées par ce
secteur se sont intéressées aux prochaines pistes et prennent des parts sur le marché pour avoir
de nouvelles ressources et exercer un certain contrôle sur les solutions émergentes face à la
crise énergétique et climatique.
Voici deux définitions qui permettent de bien cerner de quoi nous traitons ;
« Les agrocarburants sont des carburants produits à partir de matériaux organiques
renouvelables et non fossiles »4.
« L'agrocarburant est un combustible utilisable dans les moteurs à explosion, issu de la
transformation de produits végétaux et obtenu au départ de trois filières : les cultures
oléagineuses permettant d'obtenir de l'huile pure (par broyage des graines de colza ou de
tournesol par exemple) et directement utilisable dans le diesel, la transformation de l'huile
végétale et la fermentation du sucre de végétaux produisant de l'alcool (éthanol) »5.
Il existe deux types d'agrocarburants ;
•
l'éthanol, substitut de l'essence, est fabriqué sur base de la fermentation du sucre des
végétaux, c'est-à-dire d'alcool. La culture de plantes alcooligènes comme par exemple
la canne à sucre, la betterave, le maïs, le blé, l'orge, la pomme de terre, le
topinambour, le sorgho sucrier est nécessaire à la production d'éthanol.
1 HOUTART, François, L'agroénergie : solution pour le climat ou sortie de crise pour le capital ?, page n°37,
édition couleur livres, 217 pages, 2009.
2 HOUTART, François, L'agroénergie : solution pour le climat ou sortie de crise pour le capital ?, page n°37,
édition couleur livres, 217 pages, 2009.
3
Roches issues de la fossilisation d'êtres vivants, à partir desquels est produite de l'énergie (pétrole, gaz
naturel, charbon,...). Energie qui est non-renouvelable et limitée en quantitativement.
4
PARMENTIER, Stéphane, « Les agrocarburants, au service d'un développement durable ? », analyse
de 4 pages, http://www.pfsa.be/, octobre 2007.
5
HOUTART, François, L'agroénergie : solution pour le climat ou sortie de crise pour le capital ?, 217
pages, édition couleur livres, page n°200, 2009.
3
•
l'EMHV (ester méthylique d'huile végétale) ou agrodiesel provenant de la
transformation d'huiles végétales en carburant, substitue le diesel. Les matières
premières utilisées sont des plantes oléifères telles que ; l'algue verte, le noyau des
amandes, l'arachide, le colza, le lin, l'olive, la palme, les pépins de raisin, le ricin, le
sésame, le tournesol, la moutarde, le soja, le palmiste, le manioc, le canola, le buriti, le
coprah, les pois protéagineux,etc. Il est possible aussi d'avoir recours à des cultures
non alimentaires comme le jatropha curcas, le coprah, le pongamia pinnata (ou
karanj), le lin, l'eucalyptus, l'arbre à beurre,etc.
A ce jour, l'utilisation d'EMHV est beaucoup moins présente que l'éthanol, étant donné qu'il
représente 10% de la production totale en éthanol6. « Alors que l'éthanol est essentiellement
produit et consommé au Etats-Unis et au Brésil, les agrodiesel demeurent à ce jour une
spécificité européenne. Les Etats-Unis, le Brésil, l'Europe et l'Asie assurent ainsi l'essentiel de
la production et de la consommation d'agrocarburants dans le monde »7. « Au niveau mondial,
le Brésil, produit près de 50% des agrocarburants (15 millions de m3 en 2004) »8. C'est un
phénomène en plein essor qui se développe à une vitesse fulgurante dans le monde entier.
Les scientifiques nous parlent aussi d'agrocarburants de deuxième génération, issus de bois
(ou lignocellulose). Il serait question de développer la culture d'arbres à croissance rapide,
mais des techniques nouvelles doivent encore être inventées. Malgré tout la production de
bois génétiquement modifié est en préparation.
En réponse au défi énergétique et climatique actuel, les industries ont trouvé comme solution
les agrocarburants. Mais quels sont leurs avantages et inconvénients ? Est-ce un projet viable
pour répondre à nos besoins dans l'avenir ?
2/ Avantages
Les défenseurs des agrocarburants en tant que solution d'avenir aux enjeux climatiques et
énergétiques distinguent différents avantages à cette pratique :
A/ Réduction des émissions de gaz à effet de serre9 (GES)
Aujourd'hui, la crise climatique s'impose comme un réel défi. L'activité humaine est mise sur
le banc des accusés. Le GIEC (Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat) a
confirmé à 90% que notre activité sur terre est responsable de la crise climatique actuelle.
Le réchauffement climatique existe depuis de longues années, mais lorsque les GES ont
augmentés de manière croissante à la révolution industrielle, le phénomène d'effet de serre
s'est accentué et a intensifié le réchauffement climatique au péril de la survie de nombreuses
espèces dont la notre. « L'augmentation des concentrations de dioxyde de carbone de 278 ppm
6
HOUTART, François, L'agroénergie : solution pour le climat ou sortie de crise pour le capital ?, page
n°94, édition couleur livres, 217 pages, 2009.
7
HOUTART, François, L'agroénergie : solution pour le climat ou sortie de crise pour le capital ?, page
n°92, édition couleur livres, 217 pages, 2009.
8
ADRIAENS, Alain, « La planète, menacée par la famine ? », page n° 10, dossier pour Etopia, 14
pages, décembre 2006.
9
« L'effet de serre est un processus naturel de réchauffement du climat qui intervient dans le bilan
radiatif et thermique de la Terre. Il est dû aux gaz à effet de serre (GES) contenus dans l'atmosphère, à savoir
principalement la vapeur d'eau, le dioxyde de carbone CO2 et le méthane CH4. » http://www.econologie.com/
4
à 385 ppm a fait en sorte que la température mondiale moyenne a augmenté de 0,8°C par
rapport aux niveaux préindustriels »10.
Le CO2 est l'un des principaux GES, la combustion de carburants fossiles en rejète ainsi que la
combustion d'agrocarburants. A la différences des carburants fossiles, la plante nécessaire à la
production d'agrocarburants absorbe du CO2 lors de la photosynthèse. La différence entre le
CO2 absorbé par les plantes durant leur croissance et celui rejeté à sa combustion est nul
d'après les partisans de cette nouvelle technologie. Les agrocarburants répondraient à la
diminution de la production de GES dans le secteur de l'automobile. Mais un grand nombre
d'étape ne sont pas prises en comptes, nous y reviendront plus tard.
B/ Réduction de la dépendance au pétrole
Si une plus grande partie de notre consommation en carburant provient d'énergies « vertes » et
non d'énergies fossiles, alors nous diminuons notre consommation en énergie fossile. C'est
bénéfique pour l'environnement puisque nous les remplaçons par des énergies renouvelables,
contrairement aux énergies fossiles qui ont une production limitée.
Actuellement, nous sommes tous plus ou moins dépendant du pétrole. C'est pourquoi, le pic
pétrolier11 aura de multiples conséquences à différents niveaux de nos vies. Il est donc
primordial aujourd'hui de réduire cette dépendance au pétrole. La solution proposée pour
continuer à remplir les réservoirs de nos voitures, c'est la production d'agrocarburants. Cette
solution douce est présentée comme le développement de cultures respectueuses de
l'environnement car ce sont des ressources renouvelables.
C/ Amélioration de la situation des agriculteurs
« D'après une étude de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et
l'agriculture), trois quarts des pauvres vivant avec moins de un dollar par jour (près de 1,2
milliard d'individus au total) sont des ruraux, et la majorité des victimes de la faim dans le
monde (environ 850 millions) sont des paysans des pays en voie de développement » 12. Si
l'on en croit la loi de l'offre et la demande, le prix des produits de base agricoles augmente si
la demande est plus importante que l'offre. Aujourd'hui, la croissance de la demande est une
des raisons de l'augmentation des prix et par conséquent de l'augmentation des revenus des
paysans. En dopant la demande de certaines matières premières les paysans ressortent
gagnants.
Dans cette utopie verte, différentes incohérences et inconvénients d'ordre écologiques,
sociaux ou économiques ont été identifiés.
3/ Inconvénients
A/ Déforestation
10
HOPKINS, Rob, Manuel de transition : de la dépendance au pétrole à la résilience locale, page n° 33,
212 pages, Editions Ecosociété, 2010.
11
« le point où l'expansion de la production de pétrole devient impossible parce que les nouveaux débits
de production sont entièrement compensés par les déclins de production » HOPKINS, Rob, Manuel de transition
: de la dépendance au pétrole à la résilience locale, page n°20, chapitre 1, 212 pages, Editions Ecosociété, 2010.
12
PARMENTIER, Stéphane, « Les agrocarburants, au service d'un développement durable ? », analyse
de 4 pages, http://www.pfsa.be/, octobre 2007.
5
L'agro-industrie a recourt à la déforestation pour avoir des terres accessibles à la culture des
matières premières essentielles à la fabrication d'agrocarburants. Cette activité est émettrice
de CO2 et rend alors moins plausible l'hypothèse selon laquelle le bilan d'émission carbone
des agrocarburants est nul.
En effet, l'énergie utilisée pour la production, la transformation et la distribution des
agrocarburants n'est pas prise en compte dans le bilan. Le processus nécessaire à l'accessibilité
de ce produit n'est pas envisagé dans les calculs du bilan énergétique, c'est pour cette raison
qu'il ne peut être considéré nul. En réalité, les agrocarburants ne sont pas une solution pour le
climat et rejètent tout autant de CO2 que les énergies fossiles, voir plus. « Pour produire un
litre d'éthanol à partir de céréales, on utilise... 0,84 litre d'hydrocarbures fossiles ! (...) Les
biocarburants ont toujours un prix de revient près de deux fois supérieur à celui des dérivés du
pétrole »13.
D'autres facteurs émetteurs de gaz carboniques liés à l'entièreté du parcours des
agrocarburants seront mentionnés plus loin.
Il existe trois grandes zones de forêts tropicales ; l'Amazonie, l'Afrique centrale et l'Asie du
Sud-Est (Indonésie et Malaisie principalement). Ces forêts dites primaires ou naturelles sont
des « puits carbone » car lors de leur croissance les arbres absorbent le CO2 présent dans
l'atmosphère. Les forêts sont en quelque sorte les poumons de la terre, elles recyclent l'air et
par conséquent ralentissent le réchauffement climatique.
La déforestation massive telle qu'elle est effectuée actuellement est dangereusement néfaste
pour l'environnement. Les puits carbone disparaissent, le sol perd alors sont capital carbone.
Une fois les terrains dénudés et le recouvrement de ceux-ci par des monocultures, l'équilibre
entre le sol et l'eau est rompu et laisse place à l'érosion des sols. « L'Indonésie et la Malaisie
ont perdu plus de 80% de leurs forêts originaires essentiellement au profit de la palme
africaine. Une des méthodes utilisées pour libérer les sols des forêts fut les incendies »14.
L'agriculture sur brûlis est une technique entraînant la dégradation du sol, attaque sa fertilité
et peut provoquer la désertification.
La déforestation porte aussi atteinte à la biodiversité existant auparavant.
Il est donc primordial de sauvegarder les pâturages vierges, les forêts primaires et autre
« patrimoine » pour atténuer les émissions de GES.
B/ Agriculture industrielle
La production d'agrocarburants est sujette à des investissements en provenance du capital
financier (banques, assurances, fonds de pensions,...). En effet, puisque à court-terme le fruit
des investissements est visible dans le secteur de l'agriculture, c'est donc considéré comme
rentable.
Les grandes compagnies de l'agrobusiness, les industries chimiques et le capital financier
plongent sur les secteurs rentables à court et moyen terme. Il se sont donc intéressés à
l'agriculture et aux matières premières. A la suite de spéculations, les prix ont augmentés et
des répercussions on vu le jour. La crise alimentaire de 2007/2008 en fait partie et a
principalement été causé par la hausse des prix des denrées alimentaires, nous y reviendront
plus tard.
ADRIAENS, Alain, « La planète, menacée par la famine ? », page n°10, dossier pour Etopia, 14 pages,
13
décembre 2006.
14
HOUTART, François, L'agroénergie : solution pour le climat ou sortie de crise pour le capital ?, page
n°47, édition couleur livres, 217 pages, 2009.
6
Auparavant, les agrocarburants ne concernaient que des marchés régionaux. Aujourd'hui, avec
l'intérêt qu'ont développé les industries pour ce secteur, l'agro-business est entré en jeu, ce qui
a créé des économies gigantesques et de grandes exploitations. Les industries se sont
accaparées des terres appartenant aux paysans, qui se sont vus expulsés tantôt par des voies
légales (réforme agraire octroyant des titres de propriété aux industries), tantôt de manière
violente par les paramilitaires entre autre. « Il faudra, selon des estimations prudentes,
expulser au moins 60 millions de paysans »15.
La déforestation ou l'occupation de terres jusque là en jachères sont d'autres moyens utilisés
pour obtenir des terrains à cultiver. Pour permettre la culture d'agrocarburants le
gouvernement brésilien a requalifié 200 millions d'hectares de forêts tropicales sèches,
prairies et marais de « terres dégradées » et peuvent donc être cultivées. Mais c'est sans
compté, la perte d'écosystèmes d'une richesse inestimable et des paysans ou indigènes pauvres
vivant de ces terres. Les agriculteurs se retrouvent alors sans terres et avec moins de travail
disponible. De fait, « sous les tropiques, 100 hectares dédiés à l'agriculture familiale créent
trente-cinq emplois ; les palmiers à huile et la canne à sucre dix, les eucalyptus deux et le soja
à peine un demi »16.
Peu d'emplois sont dégagés par l'agriculture industrielle comparé à l'agriculture paysanne, le
modèle d'exploitation industrielle n'est pas une bonne voie pour l'amélioration de la situation
des agriculteurs comme avancé dans les avantages précédemment. Au contraire, la sécurité
alimentaire et sociale est mise en danger.
L'agriculture industrielle privilégie la mise en place de monoculture, qu'elle considère comme
étant la technique agricole qui permet de faire les plus hauts rendements. Ce système
d'exploitation agricole est basé sur l'intensification grâce à la mécanisation et à l'utilisation
d'intrants chimiques.
L'emploi massif d'engrais et de pesticides chimiques est à la base de la pollution des sols et de
l'eau. Ceux-ci sont produits à partir du pétrole, n'aidant pas à l'indépendance vis à vis des
énergies fossiles. L'utilisation de ces derniers acidifie les sols ce qui signifie une diminution
de la fertilité des terres et porte atteinte à la biodiversité présente dans les cultures puisque
leur rôle est de tout tuer excepté la plante cultivée.
Le manque de rotation des cultures provoque des maladies ce qui demande une augmentation
de l'usage de pesticides et d'engrais.
Tous ces produits agrochimiques sont répandus grâce à des machines agricoles qui rejètent
aussi du gaz carbonique. La hausse de ces rejets participe au changement climatique qui
influence négativement le rendement des productions agricoles sur le long-terme.
Les monocultures destinées à la production d'agrocarburants demandent d'être irriguées.
« Pour obtenir un litre d'éthanol à partir du maïs, on utilise entre 1200 et 3400 litres d'eau et la
canne à sucre en exige énormément aussi »17. Le sur-pompage permet
peut-être
l'augmentation des rendements d'une culture actuellement, mais endommage les réserves en
eau douce sur le long-terme.
Pour finir, les agrocarburants de deuxième génération sont d'origines transgéniques, ce qui
entraînent une propagation et une contamination massive.
15
HOUTART, François, « Le vaste scandale des agrocarburants », journal la Libre Belgique,
http://www.lalibre.be/, mis en ligne le 28 septembre 2009.
16
HOLTZ-GIMENEZ, Eric, « Les cinq mythes de la transition vers les agrocarburants », Le Monde
Diplomatique, mensuel n°639, pages 26 et 27, juin 2007.
17
HOUTART, François, L'agroénergie : solution pour le climat ou sortie de crise pour le capital ?, page
n° 136, 217 pages, édition couleur livres, 2009.
7
L'aspect renouvelable de l'agroénergie est relativement discutable. « « Renouvelable » ne
veut pas dire « sans limites ». Même si les cultures peuvent être replantées, la terre, l'eau et les
nutriments demeurent limités. »18.
« Dans un projet capitaliste, on ignore ce que les économistes appellent les externalités, c'està-dire ce qui n'entre pas dans le calcul du marché, en l'occurrence, les dommages écologiques
et sociaux »19.
C/ Sécurité alimentaire
Il y a une concurrence entre les terres dédiées aux agrocarburants et celles consacrées aux
cultures alimentaires. L'exemple du maïs au Mexique est très explicite à ce sujet. Le maïs est
une céréale utilisée pour la production d'éthanol et une denrée alimentaire centrale dans le
régime des mexicains (tortilla). « En 2007, 25 % de la production a été consacrée à la
production de carburant, (...) En 2006, le prix de la tortilla a grimpé de 14 % »20. Il y a eut
une hausse des prix du maïs, vu l'introduction des agrocarburants sur le marché international.
Une crise sociale et alimentaire en a découlé, le gouvernement s'est vu obligé d'intervenir et
d'établir un prix plafond pour la tortilla. Cet exemple nous montre à quel point les
agrocarburants sont susceptibles d'être des concurrents à la sécurité alimentaire d'un pays. Les
cultures énergétiques font pression sur les prix des aliments, les prix augmentent et l'insécurité
alimentaire s'installe. Les « réservoirs sont pleins et les ventres vides ! ».
« Un rapport de la banque mondiale affirme que 85% de l'augmentation des prix alimentaires
– qui précipita en deux ans plus de 100 millions de personnes en dessous de la ligne de
pauvreté (ce qui signifie la faim) – fut influencée par le développement de l'agroénergie ».
Le développement des cultures dédiées à la production de combustibles ne fait que renforcer
la dépendance alimentaire des paysans. Etant donné que la demande de terres exploitables
augmente, la production d'agrocarburants exerce une pression foncière. Celle-ci est
responsable de la hausse des prix des denrées alimentaires.
Si l'on se réfère à la crise alimentaire de 2007/2008, même si le départ de cette crise a été
causé par le manque d'accessibilité aux produits alimentaires et non pas à leur production.
Force est de constater que, la hausse des prix est une des raisons de l'impossibilité pour les
plus défavorisés d'y avoir atteinte. Les céréales et les plantes utiliséés pour faire des
combustibles font parties de l'alimentation des paysans. La souveraineté alimentaire est
touchée par ces nouveaux acteurs qui s'intéressent au secteur de l'agriculture et font pression
sur l'accessibilité des produits de base pour vivre.
« Certains ont estimé que si l'on voulait, à terme, remplacer les carburants fossiles par des
biocarburants tout en maintenant la même consommation, il faudrait consacrer aux cultures
énergétiques au minimum un sixième de toutes les surfaces agricoles mondiales actuellement
destinées à l'alimentation »21.
Vu l'émancipation du système agricole industriel et l'emprise de l'agro-industrie, la situation
des paysans se fragilise, une menace de famine est présente. C'est pourquoi, il est impératif de
se diriger vers une agriculture paysanne où les exploitations sont familiales. Ces dernières
18
HOLTZ-GIMENEZ, Eric, « Les cinq mythes de la transition vers les agrocarburants », Le Monde
Diplomatique, mensuel n°639, pages 26 et 27, juin 2007.
19
HOUTART, François, « Le vaste scandale des agrocarburants », journal la Libre Belgique,
http://www.lalibre.be/, mis en ligne le 28 septembre 2009.
20
HERMELIN, Bénédicte et LAGANDRE, Damien, « Les agrocarburants : menaces ou opportunités
pour les agricultures familiales ? », page n° 6, Écologie & Politique, n° 38, 10 pages, juin 2009.
21
ADRIAENS, Alain, « La planète, menacée par la famine ? », page n° 12, dossier pour Etopia, 14
pages, décembre 2006.
8
pourraient permettre aux agriculteurs d'avoir accès à des terres et de récupérer une certaine
indépendance alimentaire.
D/ Augmentation du trafic routier
Selon les partisans des agrocarburants pour qu'il y ait un impact positif sur la crise climatique
il faut une augmentation de la production d'agroénergie. Donc, il est dès lors nécessaire
d'acquérir et/ou dédier plus de terres à la production de carburants. Mais nous sommes dans
l'impasse car il n'y a pas assez de terre disponible pour que tous le trafic routier soit alimenté
par des agrocarburants.
« Il faudrait cultiver 11% de la surface agricole wallonne, soit 20% des terres de culture pour
atteindre l'objectif de 5,75% d'incorporation de biocarburants dans les carburants consommés
dans cette région de Belgique (objectif fixé pour 2010 par l'union européenne). Pour
l'ensemble de la Belgique ce sont entre 37 et 40% des cultures qui devraient être consacrées
aux biocarburants ! »22.
Les multinationales s'intéressent aux agrocarburants parce qu'ils pourraient prolonger
l'économie fondée sur le pétrole. Mais c'est une erreur puisque l'agriculture intensive,
organisée aujourd'hui par l'agro-industrie de laquelle sont produit les agrocarburants présents
sur le marché, a tout autant besoin de pétrole. Ce n'est pas une solution viable.
La solution étant d'agir sur la réduction de la consommation et la relocalisation de la
production des énergies où l'agrocarburant est alors un concept exploitable s'il est appliqué
avec des techniques respectueuse de l'environnement.
4/ Conclusion
Les moyens déployés pour la fabrication des agrocarburants ne proposent pas de solution à la
crise énergétique et climatique comme prétendu. Les externalités, que sont les ruptures
écologiques et sociales, ne sont pas prises en compte par les acteurs économiques qui
investissent dans l'agroénergie. Ils réalisent du profit en écrasant des réalités plus qu'urgentes.
Nous pouvons même aller jusqu'à dire qu'ils sont acteurs d'une destruction.
Il n'est pas réaliste de penser remplacer l'énergie fossile entièrement par l'agroénergie. Il
faudrait exploiter beaucoup trop de cultures, l'acquisition de celles-ci est réalisée soit par
déforestation, accaparement violent, et récupération de terrains en jachère ou de cultures
vivrières.
Les paysans sont en fait privés de leur terres, ils n'ont plus accès aux ressources naturelles
vitales, les conditions de travail sont dégradantes dans les monocultures gérées par les grandes
industries. La déforestation et les techniques empruntées par l'agriculture industrielle
participent à l'augmentation de l'émission de gaz carbonique.
Nous pouvons dire que les techniques employées par l'agrobusiness sont dévastatrices pour
l'environnement et renforcent la crise alimentaire, climatique et sociale.
Par contre, il ne faut pas remettre en question l'entièreté du principe des agrocarburants. La
mise en place d'un système de production agricole industrielle découlant de notre modèle de
développement est quant à lui bien critiquable dans son entièreté. C'est l'agriculture
22
ADRIAENS, Alain, « La planète, menacée par la famine ? », page n° 12, dossier pour Etopia, 14
pages, décembre 2006.
9
industrielle avec les monocultures qui pose tant de problèmes, que ce soit concernant les
agrocarburants ou l'agriculture alimentaire d'ailleurs.
Il est tout à fait possible de produire des agrocarburants à petite échelle, en respectant
l'environnement. Dans ce cas, il n'est pas question de produire des quantités pour la planète
entière. Si l'on souhaite respecter l'environnement, la biodiversité, l'agriculture paysanne et la
souveraineté alimentaire, il s'avère crucial de repenser notre consommation. La réduction de
notre consommation énergétique associée à la mise en place de solutions locales, où les
agrocarburants peuvent avoir leur place, est peut être une piste plus pertinente pour demain !
10
Bibliographie
Livres
HOUTART, François, L'agroénergie : solution pour le climat ou sortie de crise pour le
capital ?, 217 pages, édition couleur livres, 2009.
NICOLINO, Fabrice, Biocarburants la fausse solution, 166 pages, Hachette littératures, 2010.
Pressions sur les terres. Devenir des agricultures paysannes ; points de vue du Sud, 212
pages, Volume 17-2010/3 d'alternatives sud , page 93 – 109, Centre tricontinental (Cetri) et
Editions Syllepse, 2010.
Revues
ADRIAENS, Alain, « La planète, menacée par la famine ? », dossier pour Etopia, 14 pages,
décembre 2006.
HERMELIN, Bénédicte et LAGANDRE, Damien, « Les agrocarburants : menaces ou
opportunités pour les agricultures familiales ? », Écologie & Politique, n° 38, 10 pages, juin
2009.
HOLTZ-GIMENEZ, Eric, « Les cinq mythes de la transition vers les agrocarburants », Le
Monde Diplomatique, mensuel n°639, pages 26 et 27, juin 2007.
HOPKINS, Rob, Manuel de transition : de la dépendance au pétrole à la résilience locale,
212 pages, Editions Ecosociété, 2010.
HOUTART, François, « Le coût social des agrocarburants : le cas de la palme africaine en
Colombie », 7 pages, Cetri, Août 2007.
HOUTART, François, « Le vaste scandale des agrocarburants », journal la Libre Belgique,
http://www.lalibre.be/, mis en ligne le 28 septembre 2009.
MERLINO, Melina, « Les agrocarburants : réservoirs pleins et ventres vides ? », trimestriel
Frères des Hommes Info, pages 3 et 4, édition spéciale, n°94, mai 2008.
PARMENTIER, Stéphane, « Les agrocarburants, au service d'un développement durable ? »,
analyse de 4 pages, http://www.pfsa.be/, octobre 2007.
« Agrocarburants : une nouvelle flèche contre la politique européenne », communiqué de
presse, Cetri.
Entretien de Jean-Marc Jossart par Jean Cech, « Ne demandons pas l'impossible aux
producteurs de biocarburants », Renouvelle : l'actualité du développement durable, page 5,
mensuel n°29, décembre 2009.
Entretien de François Houtart par David Gabriel, « A travers la question des agrocarburants,
c'est celle de notre mode de développement qui est posée », Terre : entreprendre autrement au
Nord et au Sud, pages 18 à 25, trimestriel n°123, hiver 2008.
11
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