Revue Hématologie 2006 ; 12 (2) : 129-39 Parasites et transfusion sanguine : causes et conséquences ion us nsf Tra Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Parasites and blood transfusion: causes and consequences Marie-Hélène El Ghouzzi Olivier Garraud2,3 1 1 EFS île-de-France, 83-87 rue des Alpes, 94623 Rungis Cedex 2 EFS Auvergne-Loire, 25 boulevard Pasteur, 42000 Saint-Étienne 3 EA 3064, Faculté de médecine, université Jean-Monnet, 45 rue Ambroise-Paré, 42000 Saint-Étienne Résumé. Bien qu’une étape importante ait été franchie dans la prévention des maladies virales post-transfusionnelles, les agents infectieux peuvent franchir les frontières du fait de la multiplication des échanges et de l’immigration. Les maladies parasitaires à protozoaires sévissent à l’état endémique dans les pays en voie de développement et leur introduction résulte des mouvements des populations de ces régions vers les pays industrialisés. S’il n’y a pas de cas rapportés et convaincants de transmission de leishmaniose post-transfusionnelle, la mise en place de la déleucocytation systématique en a diminué encore l’impact, et a réduit la transmission de Toxoplasma gondii. Le paludisme, la maladie de Chagas et les babésioses peuvent être transmis par les produits sanguins labiles cellulaires. En effet, il n’existe pas encore de méthode efficace pour éliminer des érythrocytes les plasmodies et les babésies, et Trypanosoma cruzi, agent de la maladie de Chagas des produits sanguins labiles. Cette revue se focalisera sur la description des principales maladies parasitaires transmissibles par le sang, avec leur distribution géographique, leur cycle, les principaux aspects cliniques et les moyens diagnostiques disponibles, ainsi que les mesures mises en place pour prévenir la transmission du paludisme et de la maladie de Chagas en Europe. Mots clés : paludisme, maladie de Chagas, leishmaniose, babésiose, infection protozoale transmise par transfusion, transfusion Abstract. An important step in the safety system of blood donations is now reached for possible viral infectious diseases. However, infectious agents can across international borders through immigration and travel. Among of these agents, protozoal agents are rife in endemic way in mainly low income countries, and their introduction has resulted of population movements in industrialised countries. Malaria, American trypanosomiasis (Chagas disease) and protozoal tick-borne diseases as babesiosis can be transmitted by cellular blood components. There are few convincing reports of post transfusional leishmaniosis. The leucoreduction have dropped in the impact of transmission of Toxoplasma gondii and Leishmania ; but, at this moment, there do not appear to be any effective methods to eliminate Plasmodia and Babesia in erythrocytes and Trypanosoma cruzi. So, this review deals with the main parasite diseases that are carried by blood products and focused on their geographical distribution, their human cycles, their main clinical aspects, the implemented measures to prevent transfusion transmitted (TT) malaria and TT Chagas disease in European countries, and the available tools for diagnosis. Keywords: malaria, chagas disease, leishmaniosis, babesiosis, transfusion transmitted protozoal infection, transfusion Correspondance et tirés à part : M.-H. El Ghouzzi Hématologie, vol. 12, n° 2, mars-avril 2006 129 D Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. ans un passé proche, les efforts se sont principalement focalisés sur la réduction des risques infectieux en transfusion sanguine. La transfusion est à présent sûre et sécurisée bien que prescripteurs et patients redoutent toujours le risque viral alors qu’il est devenu actuellement rarissime [1] étant entendu que le « risque zéro » n’existe pas [2]. C’est bien en fait actuellement le risque bactérien qui reste le plus fréquent et le plus redoutable. À côté de ces risques-là, viraux et bactériens, relativement bien connus, deux autres risques infectieux commencent à être redoutés : le premier est lié au nouveau variant de la maladie de Creuzfeld-Jakob, à l’issue fatale, mais il est épidémiologiquement et statistiquement très faible [3] ; le second – paradoxalement beaucoup plus fréquent et lui aussi potentiellement mortel – est le risque parasitaire, qui semble encore largement sous-évalué. En effet, en dehors des zones d’endémie, il existe une fréquente méconnaissance des parasitoses transmissibles par le sang ; le diagnostic d’infection posttransfusionnelle est difficile, ignoré, sous-estimé alors que le pouvoir infestant des parasites transmis est très élevé chez des hôtes receveurs fréquemment en état d’immunodéficience. De plus, la forme clinique post-transfusionnelle peut être atypique, l’ensemble entraînant un retard au traitement avec des conséquences cliniques graves. En ce qui concerne le risque de transmission de parasites par transfusion sanguine, le donneur peut être parasitémique asymptomatique : soit qu’il se trouve en phase d’incubation (paludisme, babésiose), soit qu’il se trouve en phase de portage chronique oublié ou inconnu comme dans la maladie de Chagas ou l’une des formes d’expression clinique des leishmanioses. Hors des zones d’endémie, le risque parasitaire partage avec le risque bactérien ce mode de portage asymptomatique, mais il partage sa rareté avec le risque « viral ». Des données récentes, cependant [4, 5], tendent à faire redouter une augmentation de la fréquence des transmissions parasitaires transfusionnelles, rendant nécessaire une meilleure identification des maillons faibles des dispositifs de prévention en place et l’application de procédés de réduction de pathogènes, dès que ceux-ci seront disponibles. En revanche, en zones d’endémie palustre dans les pays en voie de développement, le paludisme transfusionnel, par exemple, n’est souvent même pas relevé tant sa probabilité est grande. Principaux parasites transmissibles par transfusion sanguine 130 Pour qu’un parasite soit transmissible par transfusion sanguine dans l’un au moins de ses stades parasitaires, il doit se présenter soit sous forme libre dans le sang circulant, soit sous forme liée à une cellule sanguine circulante (en situation intracellulaire ou liée à un ligand de surface de la cellule transporteuse). De plus pour que ce parasite déclenche une infection parasitaire chez l’hôte receveur, il est nécessaire, d’une part, que la forme parasitaire transmise soit viable chez le receveur et n’aboutisse pas à une impasse parasitaire et d’autre part, que le receveur n’ait pas développé un degré d’immunité suffisant pour contrôler la multiplication du parasite. Cette dernière condition est fréquemment rencontrée pour le toxoplasme dans de nombreuses situations géographiques et pour les plasmodies chez l’adulte dans les régions de forte endémie palustre. En termes de transmissibilité transfusionnelle, les parasitoses sont très inégales. Une seule parasitose est jusqu’à présent reconnue comme causant un réel problème en Europe : celle à l’origine du paludisme. Cela est dû, d’une part, à la fréquence des infections plasmodiales dans le monde, le paludisme étant la première endémie infectieuse avant le sida et l’infection par le VIH ou les maladies virales entériques, et d’autre part au fait que cette parasitose est essentiellement véhiculée par les globules rouges du sang circulant. Les autres parasites transmissibles par transfusion sanguine sont, par ordre d’importance : l’agent de la maladie de Chagas (Trypanosoma cruzi), les babésies, les leishmanies, le toxoplasme Toxoplasma gondii, les microfilaires et les trypanosomes africains. Cette revue se focalisera principalement : a) sur les deux maladies parasitaires qui posent un problème en Europe par rapport aux risques d’importation : le paludisme et la maladie de Chagas, et sur les raisons de la transmissibilité des agents infectieux causals ; b) sur les dispositifs existants et à venir pour prévenir ce risque de transmissibilité. Bien qu’il s’agisse d’un sujet important, le risque transfusionnel lié aux parasites dans les pays en voie de développement ne sera pas abordé ici (pour une revue, voir [6]). Parasitoses transmissibles par voie sanguine en dehors des infections plasmodiales et chagasiques Babésiose La babésiose, appelée également piroplasmose par les vétérinaires, est une zoonose parasitaire due à plusieurs espèces de babésies selon l’animal en cause (Babesia microti, B. divergens, B. bovi, B. canis, B. equi...). Ces hématozoaires sont transmises aux animaux et à l’homme par piqûre de tiques, le plus souvent entre mai et septembre ; la parasitémie peut persister tout en étant asymptomatique pendant plusieurs mois après l’épisode aigu fébrile non diagnostiqué. La transmission par transfusion sanguine ou lors de greffe d’organe a souvent été rapportée en Amérique du Nord avec des conséquences graves pour les receveurs présentant des tableaux d’hémolyse aiguë et des complications rénales, hépatiques et cardiaques [7]. L’ensemble des études européennes, cependant, s’accorde à penser que cette transmission ne pose pas de problème à l’échelle du « vieux continent », bien que le risque soit, comme pour le paludisme, Hématologie, vol. 12, n° 2, mars-avril 2006 difficile à prévenir mécaniquement puisque la cible des babésies est l’érythrocyte et que la leucoréduction des produits sanguins (mesure de réduction des risques largement appliquée actuellement) est, à cet égard, sans efficacité. Il est cependant nécessaire de rester vigilant. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Toxoplasmose En ce qui concerne la toxoplasmose, la transmission du parasite avait posé de nombreux problèmes jusqu’il y a une vingtaine d’années, comme en témoignait l’abondance des publications d’alors ; la situation est devenue très différente actuellement, probablement pour deux raisons principales : a) la prévalence européenne actuelle reste faible, même s’il existe un gradient différentiel Nord-Sud [8] ; b) la leucoréduction systématique des produits sanguins labiles, qui est très efficace vis-à-vis d’un parasite essentiellement intracellulaire (sa phase extra-cellulaire pour pénétrer une cellule leucocytaire cible étant extrêmement courte) [9]. Cependant, les greffes de moelle osseuse et les profondes immunodéficiences exposent les patients à des formes graves de toxoplasmose, notamment pulmonaires [10]. Leishmaniose Malgré la répartition extrêmement large des leishmanioses dans le monde où 350 millions de personnes sont exposées aux piqûres des phlébotomes et 12 millions de sujets sont atteints (dont 500 000 avec des leishmanioses viscérales) [11], et malgré les cas de leishmanioses d’importation déclarés en France [12], seuls quelques cas sporadiques de leishmanioses post-transfusionnelles ont été décrits dans la littérature, car la parasitémie est extrêmement faible dans ce type d’infection [13, 14] ; lorsqu’elle existe, cette parasitémie se rencontre essentiellement dans les formes initiales cliniques viscérales chez le donneur, comme le montre une étude américaine réalisée sur du sang prélevé chez des militaires américains atteint de leishmaniose après l’opération « Tempête du Désert » en Irak, étude qui démontre également la résistance des leishmanies aux températures de stockage des produits sanguins et notamment à 4 °C [15]. Les leishmanies sont principalement intracellulaires, avec un temps de passage libre pour pénétrer une cellule-cible très court, comme pour les toxoplasmes ; la leucoréduction drastique à présent appliquée en Europe est également un bon moyen de réduction de pathogènes pour ce risque infectieux. Une étude menée dans le Sud de la France sur une population de donneurs de sang n’a pas apporté d’argument direct en faveur de la transmission par le sang chez les sujets transfusés [16] à partir de cette population de donneurs théoriquement exposés au risque de leishmaniose cutanée. Microfilariose Également « anecdotique » est la possibilité de transmettre par voie sanguine transfusionnelle des microfilaires – en principe en impasse parasitaire chez l’homme et donc résoluHématologie, vol. 12, n° 2, mars-avril 2006 tives – ; des cas isolés ont été rapportés, mais le mode de transmission et les procédés de préparation des produits sanguins labiles rendent ce type de complication assez peu probable [17]. Trypanosomose africaine En théorie, enfin, la transmission de trypanosomes africains – responsables de la maladie du sommeil – serait possible, mais la rapidité d’apparition des signes cliniques préviendrait la candidature et/ou la présentation au don de sang ; la transmission de trypanosomes africains par transfusion n’est pas rapportée en Afrique, soit que ce parasite ne pose pas de réel problème transfusionnel, soit que l’incident transfusionnel infectieux ne lui soit pas rapporté [6]. En Europe, une politique de « quarantaine » clinique de durée d’ailleurs variable selon les systèmes transfusionnels, a écarté du don du sang des voyageurs de retour de pays endémiques pour les principaux risques transfusionnels ; la géographie du paludisme étant très large, elle couvre en fait la géographie de tous les autres parasites transfusionnels, exceptés les toxoplasmes, les babésies et les leishmanies présentes sur tout le pourtour méditerranéen ; le candidat au don de sang est alors invité à se représenter au don à l’issue de cette quarantaine. En pratique également, toute notion de voyage est identifiée ainsi que la notion d’une fièvre de quelque nature que ce soit : la candidature au don de sang d’un sujet à risque immédiat de transmission d’une maladie parasitaire aiguë est donc reportée. Le risque parasitaire rémanent est celui de la parasitose chronique, que présente la longue durée de vie d’un portage palustre ou chagasique. Des données concernant l’ensemble de ces parasites transmissibles par voie sanguine ont par ailleurs été présentées dans une revue récente des mêmes auteurs [18]. Problèmes posés par la transmission par voie sanguine interhumaine des plasmodies, agents du paludisme Endémie palustre Le paludisme reste actuellement l’endémie majeure et probablement aussi la moins bien contrôlée de la zone intertropicale. Selon l’OMS, entre 200 et 500 millions d’accès palustres et 1 à 3 millions de morts sont constatés chaque année, principalement chez les enfants d’Afrique. Aujourd’hui, plus de 2 milliards d’humains sont exposés au risque palustre. L’Afrique est de loin le continent le plus touché, avec 90 % des cas recensés [19]. Le paludisme est par ailleurs au premier rang des maladies d’importation transmissibles par le sang que l’on rencontre en France [20]. Espèces parasitaires responsables du paludisme Quatre espèces de parasites du genre Plasmodium sont à l’origine de la maladie palustre chez l’homme. 131 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. 132 Plasmodium falciparum est l’espèce la plus pathogène et celle responsable des cas mortels. Elle est présente dans les zones tropicales d’Afrique, d’Amérique Latine et d’Asie, et elle est dominante en Afrique ; les résistances aux traitements aggravent son impact. Plasmodium vivax co-existe avec P. falciparum dans la plupart des zones infestées, exception faite de l’Afrique de l’Ouest, et est présent dans certaines régions tempérées. Réputée moins morbidifère que P. falciparum, cette espèce parasitaire est cependant responsable d’un grand nombre de cas, dont des rechutes ou des portages chroniques très longs. Certains auteurs considèrent que la morbidité de ce parasite est largement sous-estimée [21]. P. vivax reste le parasite dont la répartition est la plus étendue, responsable en très large part de la morbidité du paludisme en Asie centrale, du Sud et du Sud-Est, et au Moyen-Orient. Sa quasi-inexistence en Afrique de l’Ouest et centrale est liée à l’absence de l’expression de l’antigène Duffy à la surface des globules rouges de la population de ces régions. Cet antigène est en effet le récepteur érythrocytaire naturel des protéines de surface du mérozoïte de P. vivax [22]. Plasmodium ovale est principalement trouvé en Afrique de l’Ouest mais aussi en Afrique centrale ; de pathogénicité comparable à P. vivax, cette espèce peut entraîner des rechutes 4 à 5 ans après la primo-infection. Plasmodium malariae a une distribution mondiale large mais très inégale. L’infection à P. malariae est fréquemment chronique et associée à une autre espèce plasmodiale, et peut entraîner des rechutes jusqu’à 20 ans après la primoinfection (et donc être méconnue du porteur). Le développement chez l’homme d’une infection plasmodiale s’opère généralement par l’injection dans un capillaire sanguin de la peau de formes parasitaires infestantes (sporozoïtes) qui ont subi un cycle de développement sexué chez le vecteur ; en l’occurrence la femelle d’un moustique anophèle (hématophagie gynotrophique). Ces formes parasitaires infestantes vont encore subir un cycle de multiplication parasitaire, cette fois-ci chez l’homme : après une phase hépatique, les formes mérozoïtes vont aller infecter des érythrocytes et s’y multiplier ; les différentes espèces plasmodiales pénètrent les érythrocytes en fonction de leur âge ou de leur maturité. Après la phase d’incubation qui correspond à la phase intra-hépatique et au premier passage des mérozoïtes dans le sang, l’expression clinique débute par une fièvre survenant 8 à 30 jours après l’inoculation infectieuse. Classiquement, des cycles typiques peuvent survenir, faisant alterner les frissons avec une hyperthermie, une chaleur sèche avec peau brûlante pendant 3 à 4 heures, suivie de sueurs et d’urines foncées pendant 2 à 4 heures. L’accès palustre va se répéter plusieurs fois. La périodicité de ces cycles dépend de l’espèce du parasite en cause, et coïncide avec l’éclatement des globules rouges et ipso facto la multiplication des parasites ; cette destruction érythrocytaire induit également l’anémie. La durée entre deux accès palustres est relativement caractéristique de chaque espèce plasmodiale : 48 heures pour P. falciparum, vivax, ovale et 72 heures pour P. malariae ; elle correspond au temps de maturation nécessaire du mérozoïte en corps « en rosace » et à sa multiplication en n nouveaux mérozoïtes, nombre compris entre 6 et 32 selon l’espèce plasmodiale, P. falciparum étant le plus prolifique. Quelques formes parasitaires vont évoluer en stades sexués qui, lorsqu’ils seront aspirés par un autre moustique femelle lors d’un repas sanguin, pourront aller infecter un autre hôte humain et ainsi de suite. Principales causes de l’anémie palustre et autres complications Le développement des parasites chez l’homme fait éclater les hématies parasitées, entraînant une hémolyse et une anémie ainsi qu’une libération de produits toxiques induisant la production de cytokines dont l’interleukine-10 (IL-10), le TNF-a, le LT-a, etc., par les cellules mononucléées et phagocytaires, ces cytokines majorent l’anémie en agissant directement et négativement sur l’hématopoïèse. La survenue fréquente de clones lymphocytaires autoréactifs et d’une autoimmunité représente une troisième cause d’anémie. Chacune de ces causes est variable tant en fréquence qu’en intensité et est également fonction de l’espèce plasmodiale. Le parasite le plus morbidifère et le plus mortifère est P. falciparum ; seul P. falciparum est responsable de la séquestration vasculaire des hématies parasitées dans la rate, le placenta, le rein, le poumon et surtout le cerveau, entraînant de nombreuses complications sévères dont le neuro-paludisme ou paludisme cérébral. Examen microscopique et diagnostic direct d’infection palustre En hématologie et parasitologie, la réalisation d’une goutte épaisse (GE) permet le diagnostic positif d’infection. Cette technique dite de référence permet, en concentrant les cellules, globules rouges et leucocytes, de repérer les hématies parasitées, après lyse des éléments figurés du sang, et d’en rapporter le nombre à celui des leucocytes. Le seuil de détection est d’environ 10 à 20 parasites/lL. Le diagnostic d’espèce peut difficilement être fait sur cette GE et nécessite la réalisation d’un frottis mince coloré au May Grunwald Giemsa, permettant d’observer la morphologie ; en contrepartie, le seuil de détection est beaucoup plus élevé, de l’ordre de 150 à 200 parasites/lL. Il existe des méthodes plus ou moins automatisées permettant la réalisation de GE et de frottis. Il est utile de prêter attention à l’apparence des polynucléaires et des monocytes sanguins : une infection plasmodiale sollicite fréquemment la présence de formes jeunes mais activées par la phagocytose des hématies parasitées ; de plus, il n’est pas inhabituel de visualiser des résidus ferriques sous forme d’hémozoïne... autant de signes d’appel quand on considère que seule une identification positive n’a de valeur pour diagnostiquer une infection palustre et qu’il faut répéter les examens, en particulier en fonction Hématologie, vol. 12, n° 2, mars-avril 2006 de l’évolution clinique, par cycles tierces ou quartes de la maladie, même si ces cycles sont moins classiques que ne le veulent les traités de médecine tropicale, en particulier s’il y a eu usage de médicaments contenant de la quinine ou d’autres agents anti-malariques d’efficacité insuffisante. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Autres tests de dépistage d’une infection palustre Le diagnostic par biologie moléculaire fait l’objet de nombreuses approches mais n’est pas encore réalisé en routine car il est difficile en raison de l’extrême variabilité des génomes parasitaires et des très nombreux allèles des principaux marqueurs génétiques ; cette technique réalisée dans les laboratoires spécialisés permet la détection des parasitémies très faibles, autour de 1 parasite/lL [23]. Différents tests utilisant des antigènes caractéristiques des plasmodies sont disponibles et utilisés mais ils ne font pas cependant l’unanimité parmi les spécialistes : deux types de détection selon l’antigène dépisté, l’HPR2 (Histidin-Rich Protein-2) pour le dépistage direct de P. falciparum et p-LDH (Plasmodium-Lactate Dehydrogenase) permettant la détection des différentes espèces avec une détectabilité de 100 parasites/lL et une spécificité de 90 %. Deux formats sont disponibles : soit des tests rapides basés sur la fixation d’anticorps monoclonaux sur des bandelettes de nitrocellulose (tests inadaptés au diagnostic à grande échelle), soit des tests de type ELISA d’utilisation adaptée dans les zones non endémiques [24]. Le diagnostic sérologique – à la différence des méthodes déjà citées – est un diagnostic indirect d’un contact ancien ou plus ou moins récent avec le parasite et non de sa présence actuelle, avec cependant quelques limites, qu’il faut garder à l’esprit, et qui sont : le temps de latence entre l’infection et l’apparition d’anticorps détectables, et la capacité à tromper le système immunitaire que peuvent avoir les parasites en masquant leurs antigènes et en imitant des antigènes voisins, en sollicitant la production vigoureuse d’immunoglobulines poly-réactives qui peuvent masquer la détection d’une réponse spécifique [25]. Ces tests sérologiques ne permettent pas de diagnostic d’espèces. Qualification biologique des dons de sang pour le risque palustre Néanmoins, il est largement admis que l’usage des tests indirects essentiellement par immunofluorescence indirecte (IFI), ou par ELISA permet de cribler assez efficacement les dons de sang à risque pour la transmission de plasmodies, en particulier en application du principe de précaution. Une revue récente détaille les interprétations possibles concernant la sérologie palustre [26]. Une attitude possible concernant l’acceptation d’un donneur et d’un don, pour le risque palustre, est rapportée dans le tableau 1 [18]. Risques de transmission d’agent du paludisme par transfusion sanguine En termes de risque de transmission possible de parasites d’un donneur de sang à un receveur, il existe plusieurs cas de figure : – Soit le donneur est en phase d’incubation clinique et en phase biologique muette ; il ne présente alors aucun signe apparent favorisant son auto-exclusion ou son ajournement Tableau 1 Proposition d’une attitude concernant la prévention de transmission par la transfusion sanguine de plasmodies pouvant être responsable d’un paludisme post-transfusionnel Les 4 situations envisagées Les contre-indications • Contre-indication définitive pour la préparation de PSL • Possibilité théorique pour le don de plasma de fractionnement 4 mois après la fin du traitement et en l’absence de symptômes 2e cas : Voyage en zone d’endémie d’une • Contre-indication de 4 mois pour la durée < 3 mois préparation de PSL • Possibilité théorique pour le don de plasma de fractionnement en l’absence de symptômes dans l’intervalle 3e cas : Voyage en zone d’endémie d’une • Contre-indication de 4 mois pour la durée > 3 mois et immigrant ; sujet préparation de PSL originaire d’un pays d’endémie sans • Possibilité théorique pour le don de plasma antécédents de paludisme ; asymptomatique de fractionnement en l’absence de symptômes dans l’intervalle 4e cas : Symptômes évocateurs pendant un • Contre-indication de 4 mois (après la fin séjour exposé ou dans les 4 mois qui suivent des symptômes) pour la préparation de PSL le retour 1er cas : Antécédent de paludisme (crises) Les tests sérologiques • Pas de test sérologique • Pas de test sérologique • Test sérologique du 1er don dans la période 4 mois-3 ans • Test sérologique sur chaque don dans la période 4 mois–3 ans ; ou libération si sérologie négative après 3 ans (1er don après 3 ans) • Test sérologique sur chaque don dans la période 4 mois–3 ans ; ou libération si sérologie négative après 3 ans (1er don après 3 ans) 133 Hématologie, vol. 12, n° 2, mars-avril 2006 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. au don après l’entretien médical. En Europe, la question concernant la notion d’un séjour récent en zone d’endémie palustre est posée systématiquement aux candidats au don de sang, et la réponse doit être rapprochée des données les plus récentes de l’OMS sur ces zones ; – Soit le donneur vit en zone d’endémie et, en l’occurrence en zone d’hyperendémie ; il a pu alors développer, au fur et à mesure des infections répétées et régulières par P. falciparum (cela ne vaut que pour cette espèce-là), un état d’immunité relative. Il ne présente alors plus de symptômes de paludisme clinique mais il peut néanmoins avoir une parasitémie très basse car contrôlée et limitée par la présence d’anticorps rémanents ; cette personne peut être considérée comme un porteur asymptomatique, capable cependant de transmettre l’infection d’homme à homme selon l’un des trois modes :suivants : a) transmission via une piqûre vectorielle intermédiaire : le donneur est alors source de parasites pour les anophèles ; b) transmission par transfusion sanguine ou par accident d’exposition au sang ; c) transmission par greffe d’organe ; – Soit encore le donneur, en particulier natif d’un pays endémique pour le risque palustre mais vivant actuellement en dehors d’une zone à risque, peut avoir un certain degré de « prémunition anti-palustre » tout en étant exposé à un risque « occulte », par piqûre d’un moustique importé dans des bagages et/ou des vivres empaquetés « au pays », ou à l’occasion de l’hébergement de compatriotes, ou enfin à cause d’une activité professionnelle portuaire ou aéroportuaire. Les deux récents cas européens de transmission de paludisme transfusionnel, un cas français et un cas britannique, relèvent peut-être de ce profil de donneur [4, 5]. En France, les deux derniers types de risques évoqués ci-dessus sont prévenus par le dépistage systématique des anticorps chez les sujets originaires de zones d’endémie ou y ayant séjourné plus de 4 mois, quel que soit le délai écoulé depuis le retour. La transmissibilité de l’infection palustre est liée à la durée de portage du parasite chez l’homme : celle-là est classiquement courte pour P. falciparum, avec une fièvre débutant dans les 8 à 30 jours après la phase d’incubation hépatique, mais qui reste inférieure à 3-4 mois dans 99 % des cas. Certaines observations ont rapporté des durées d’incubation de plusieurs années, même si aucune forme dite « hypnozoïte » n’a été décrite pour cette espèce, au contraire de P. vivax et de P. ovale, qui ont des formes dormantes dans le foie, à l’origine de reviviscence parasitaire et d’accès palustres retardés, à distance du retour ; c’est ce risque qui est à l’origine de l’ajournement définitif des donneurs de sang de produits cellulaires ayant des antécédents de crises de paludisme, que celles-ci soient avérées ou non. Les dons de plasma par aphérèse restent théoriquement possibles. Paludisme transfusionnel 134 Le paludisme transfusionnel est grave, même si sa survenue est rare dans les pays industrialisés. Sa gravité tient à trois paramètres, l’un lié au receveur, le second lié à l’état parasitaire du donneur, l’autre enfin à l’espèce plasmodiale en cause : – En situation non endémique, le receveur d’un produit sanguin est habituellement en situation clinique de fragilité et parfois d’immunodépression voire d’immunosuppression. Le sang, contenant des hématies parasitées ou des parasites libres, va être injecté directement au contact de nouvelles cibles cellulaires sanguines pour le parasite et ce, en quasiabsence d’immunité naturelle [27] ; la phase d’incubation hépatique étant ainsi évitée, l’infection post-transfusionnelle est d’emblée érythrocytaire et se manifestera dès que le nombre d’érythrocytes parasités sera suffisamment important ; des manifestations retardées ou trompeuses pourront s’observer selon l’état clinique du patient et seront fonction du degré de la parasitémie initiale du produit transfusé. Sur ces terrains fragilisés, le retard au diagnostic et au traitement peut être fatal ; – Très différente est la situation dans un pays où les plasmodies sont transmises de façon endémique : les donneurs de sang (pour prendre l’exemple de nombreux pays africains subsahariens) sont des adultes jeunes, mâles, militaires en particulier, ayant développé un certain degré d’immunité clinique et pouvant être porteurs de parasites circulants ; ces donneurs peuvent être indemnes de symptômes. Le sang destiné à la transfusion n’est en général pas testé, car seule la recherche de parasites aurait de la valeur, mais elle est difficilement réalisable en systématique et la sérologie est pratiquement toujours positive, en présence ou en absence de parasites. Des parasites peuvent ainsi être transmis avec un fort degré de probabilité à des receveurs, jeunes enfants en particulier, transfusés souvent pour déglobulisation aiguë après une crise palustre mais plus fréquemment pour anémie chronique palustre, forme clinique des paludismes graves. Cette situation a entraîné la mise en place d’un dépistage ciblé des donneurs dans certains pays africains pour les seules transfusions de femmes enceintes et de jeunes enfants ; – L’espèce plasmodiale en cause intervient dans la gravité du paludisme transmis : les différentes études rapportant des cas de paludisme post-transfusionnel dans les pays de faible prévalence ainsi que les études référençant les cas des paludismes d’importation démontrent la gravité des cas dus à P. falciparum. En France, par exemple, plus de 80 % des cas d’importation recensés sont dus à cette espèce [20] et les décès sont exclusivement liés à P. falciparum. Dans une étude américaine répertoriant 93 cas de paludisme transfusionnel survenus entre 1963 et 1999 [28], 6 décès sur 10 étaient dus à cette espèce. En France, en 2002, l’espèce plasmodiale à l’origine du décès du patient était aussi P. falciparum ; en Grande-Bretagne, les 5 cas de paludisme transfusionnel répertoriés depuis 1986 étaient également dus à P. falciparum (avec 2 décès sur 5), alors que le paludisme d’importation dans ce pays se partage plus largement qu’en France entre P. falciparum et P. vivax, très présent dans le sous-continent indien. Hématologie, vol. 12, n° 2, mars-avril 2006 Problèmes posés par la transmission par voie sanguine de Trypanosoma cruzi, agent de la maladie de Chagas (trypanosomose sud-américaine) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Épidémiologie de la trypanosomose sud-américaine La maladie de Chagas est une parasitose due à un flagellé sanguicole genre Trypanosoma : Trypanosoma cruzi (Tc). La parasitose sévit sur le continent américain où 90 millions de sujets y sont exposés. L’OMS estime à 16 à 18 millions de personnes infectées dans les zones endémiques d’Amérique du Sud avec une mortalité de 500 000 cas par an. La parasitose est endémique du 19° de latitude nord (Texas) au 39° de latitude sud (Argentine), avec des zones d’hyperendémie dans différents pays : Brésil, Argentine, Bolivie, Paraguay, Uruguay, Colombie [29]. La France est concernée car plusieurs cas de myocardites aiguës par maladie de Chagas ont été rapportés en Guyane Française depuis 2001 [30]. La trypanosomose sud-américaine peut cependant se rencontrer sous forme de maladie d’importation partout dans le monde, au moins ponctuellement pour plusieurs raisons : les migrations des populations latino-américaines vers d’autres continents ; le caractère évolutif chronique et silencieux de l’infection et de la maladie ; ses modes de transmission secondaires transplacentaires, par allaitement, transfusionnels, par transplantation, par manipulation de cadavres d’animaux, et par ingestion (forme digestive). Plusieurs études ont permis de suivre la prévalence des marqueurs sérologiques de T. cruzi dans deux populations de donneurs de sang d’origine sud-américaine à Los Angeles et à Miami, qui ont mis en évidence une augmentation de la prévalence des marqueurs sérologiques parallèlement à l’augmentation de l’immigration latino-américaine [31]. Modes de transmission de la trypanosomose sud-américaine La trypanosomose sud-américaine est transmise au cours du repas sanguin de grandes punaises hématophages, appelées réduves, de la famille des triatominidae (triatomes) à partir de leurs déjections déposées sur la peau au moment de la piqûre. La maladie de Chagas est une maladie classique du monde rural liée aux habitats insalubres en torchis où logent les punaises, mais elle devient aussi périurbaine dans des zones de moins en moins précaires comme le démontrent les plus récentes études en Guyane française [32]. Les animaux réservoirs du parasite sont les mammifères sauvages de très nombreuses espèces et des animaux domestiques (chiens et chats). Les vecteurs vivent à l’abri de la lumière, dans les anfractuosités du sol et des murs des habitations. Ils piquent la nuit. La piqûre indolore permet un repas sanguin de 15 à 20 minutes, après lequel la punaise vide son contenu rectal à proximité de la piqûre. Les parasites présents dans Hématologie, vol. 12, n° 2, mars-avril 2006 les déjections pénètrent par l’orifice de piqûre ou par lésions de grattage. Le parasite peut aussi traverser les muqueuses (muqueuse digestive par absorption d’aliments souillés par les déjections d’insectes, ou muqueuse conjonctivale). Symptomatologie clinique de la maladie de Chagas Cette symptomatologie évolue en trois phases [33] : – Une phase aiguë, de 3 à 8 semaines, survenant 7 à 10 jours après la piqûre, avec une parasitémie importante. Cliniquement, apparaît un chagome (lésion au point de piqûre) ou le « signe de Romaña » (œdème bi-palpébral unilatéral au point d’entrée oculaire des parasites). Ces signes sont accompagnés d’adénopathies et de signes généraux : fièvre, myalgies, céphalées, sensation de malaise ou altération de l’état général. Des complications mortelles, en particulier cardiaques, peuvent survenir, surtout chez l’enfant, du fait de l’envahissement cellulaire par les parasites des myocytes et en particulier des cardiomyocytes. À ce stade, les parasites, d’abord sous formes libres circulantes, envahissent les cellules conjonctives et les histiocytes (macrophages résidents du tissu conjonctif), puis les fibres musculaires striées, donnant des myocardiopathies aiguës sévères ; – Le diagnostic de maladie de Chagas n’étant pas toujours porté à la phase aiguë, le sujet infecté – qui devient infecté chronique – n’est pas toujours au fait de son portage parasitaire. Après environ deux mois, en effet, une phase indéterminée asymptomatique succède à la phase aiguë : la maladie évolue alors à bas bruit, rendant possible des contaminations interhumaines par transmissions congénitales, allaitement, don de sang... La transfusion de concentrés de globules rouges et de plaquettes du donneur malade chronique méconnu peut provoquer des déficiences cardiaques fulminantes chez les receveurs fragiles. Cette phase peut être très longue et durer plusieurs années ou décennies ; – Dans 30 à 50 % des cas, la phase chronique définie, qui suit la phase indéterminée, génère de redoutables complications cardiaques et/ou digestives avec apparition d’un méga-œsophage, d’un mégacolon, etc. ; chez le sujet immunodéprimé, il peut y avoir une réactivation du parasite avec apparition d’une méningo-encéphalite. Cibles nucléées de T. cruzi et les formes infestantes du parasite Presque toutes les cellules nucléées peuvent être envahies par T. cruzi, parasite qui a développé – comme un de ses proches parents (la leishmanie) – des outils enzymatiques qui lui permettent un échappement aux mécanismes de destruction intracellulaire [34]. Chez l’homme, on reconnaît deux formes du cycle parasitaire : d’abord une forme trypomastigote, extracellulaire, mobile dans le sang, pourvue d’un flagelle. Cette forme ne se multiplie pas, mais pénètre les cellules-cibles (cellules immunitaires, musculaires et nerveuses) où elle évoluera en forme 135 amastigote, intracellulaire. Plus active sera la multiplication des formes intracellulaires, plus importante seront la parasitémie et l’infectiosité du repas sanguin pris par le vecteur. En effet, l’éclatement des cellules infectées par les amastigotes multipliés libère des parasites ; ces parasites retournent dans le sang et se transforment en trypomastigotes, ce qui accroît la parasitémie. Une fraction de ces parasites infecte des cellules mononucléées, mais la phagocytose est fréquemment mise en échec par la capacité du parasite à se multiplier dans la cellule phagocytaire [35]. Cas de transmissions de trypasonomoses post-transfusionnelles Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. On estime à 20 % la probabilité de contamination par transfusion d’une unité de produit sanguin labile infectée par T. cruzi dans les zones de forte endémie [36]. En zone de basse et moyenne endémie, 4 cas de contamination posttransfusionnelle ont été récemment décrits aux États-Unis et un au Canada : 4 sur les 5 malades receveurs de produits sanguins étaient immunodéprimés et ont présenté des manifestations cliniques fulminantes post-transfusionnelles ; le cinquième cas était asymptomatique, de découverte fortuite chez une femme atteinte d’un myélome multiple ayant reçu des plaquettes d’une donneuse, elle-même également porteuse asymptomatique. La patiente présentait une parasitémie détectable 40 jours avant sa séroconversion ; la donneuse était née au Chili et vivait aux États-Unis depuis 33 ans. Dans cette même étude, deux autres donneurs, séropositifs pour T. cruzi, vivaient aux États-Unis depuis plusieurs générations, mais l’histoire médicale de leur famille révélait des antécédents fréquents d’affections cardiaques compliquées [37, 38]. Le risque de transmission transfusionnelle dans les zones de faible endémie dépend de l’existence de donneurs de sang asymptomatiques dans la population, du niveau de la parasitémie circulante chez ces donneurs, de la virulence de T. cruzi, de la durée et la température de stockage des produits sanguins, du type de produits, et du statut immunitaire du receveur. Il a été estimé que T. cruzi survit 21 jours à 4 °C dans les concentrés de globules rouges et 5 jours dans les concentrés plaquettaires à température ambiante [38]. Le parasite supporte aussi la congélation et la décongélation [39]. Ces caractéristiques font que la survie du parasite est parfaitement compatible avec la durée et les modes de délivrance des produits sanguins labiles. Dépistage biologique de l’infection chagasique L’ensemble des données sud-américaines montre bien qu’il est difficile d’apprécier biologiquement l’étendue de l’endémie chagasique, car les signatures sérologiques indirectes sont assez aléatoires et la signature parasitologique directe repose sur un test fiable mais difficile à mettre en œuvre surtout pour un dépistage de masse. En effet, la « signature parasitologique », retrouvée en phase aiguë seulement, repose sur un diagnostic « à l’état frais » en suspension ou sur ses alternatives : « goutte épaisse », « frottis » ou « enrichissement par buffy coat », ou encore par identification du parasite libre dans le sérum après coagulation (méthode de Stout). La méthode de référence reste cependant le xénodiagnostic : ce test consiste à faire prendre un repas sanguin – sur l’individu « suspect » – par des réduves d’élevage et à examiner au microscope leurs déjections après 60 jours. Ce test est sensible à 100 % dans les formes aiguës et à 50 % dans les formes chroniques. Ce test démontre qu’il existe un portage parasitaire sanguin, même s’il n’est pas détectable dans les formes chroniques par l’examen du sang à l’état frais ou après coloration. L’enrichissement sur culture donne accès à du matériel antigénique pour les tests diagnostiques « maison » (toutes les formes parasitaires étant cultivables in vitro). Le diagnostic par biologie moléculaire est en cours d’évaluation en routine [40]. Tous les individus exposés à T. cruzi élaborent des anticorps anti-T. cruzi : la sérologie anti-T. cruzi est fiable, la question étant de savoir s’ils restent porteurs ou non de formes parasitaires. T. cruzi induit une production soutenue d’anticorps dont une partie seulement est utilisée pour aider à la clairance des parasites mais la plupart est produite en large excès. La durée de vie de ces anticorps serait longue (tableau 2) [41]. Comme la plupart des protozoaires, en revanche, T. cruzi induit la formation par l’organisme infecté d’anticorps dits polyréactifs, en relation d’une part avec des mitogènes, d’autre part avec des super-antigènes parasitaires – vis-à-vis des lymphocytes B dans les deux cas [42]. Ces anticorps sont utilisés par le parasite pour échapper au système immunitaire ; en contrepartie, ils peuvent masquer la composante spécifique anti-T. cruzi. Cette hyperstimulation du système immunitaire, via sa composante humorale, est aussi responsable de la formation d’auto-anticorps qui peuvent gêner le diagnostic sérologique de T. cruzi par excès comme par défaut. La théorie auto-immune des complications Tableau 2 Efficacité des moyens diagnostiques au cours de l’évolution de l’infection chagasique Diagnostic parasitologique Diagnostic immunologique (sérologie) Diagnostic génomique Phase aiguë Phase indéterminée Phase chronique 100 % Initial : 0 % puis apparition des IgM voire des IgG En cours d’évaluation Variable ≈ 100 % Variable ≈ 100 % En cours d’évaluation En cours d’évaluation 136 Hématologie, vol. 12, n° 2, mars-avril 2006 chagasiques est largement avancée bien qu’elle ne soit pas consensuelle [43]. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Qualification biologique des dons de sang pour le risque d’infection chagasique En pratique le dépistage est fait chez les donneurs soit en technique d’IFI (sur des parasites entiers natifs, ou sur des suspensions de parasites de culture, ou sur coupes tissulaires), soit en technique d’agglutination, soit encore en technique ELISA mise au point sur des antigènes solubles, purifiés ou recombinants. La sensibilité de ces tests est d’environ 98 % et la spécificité est réputée être fréquemment prise en défaut par des réactions croisées avec d’autres parasitoses dont la leishmaniose. Dans la plupart des pays où la recherche sérologique est pratiquée en routine (Amérique du Sud, sud des USA) ou dans les pays qui ont mis en place ce dépistage ciblé en cas de risque d’exposition du donneur originaire de zones d’endémie (Espagne, Grande-Bretagne), il est d’usage de considérer qu’une sensibilité avoisinant les 100 % requiert l’usage de deux et plus souvent trois tests différents. Sans qu’il y ait encore de consensus, les experts admettent la nécessité de deux à trois tests combinés utilisant des techniques ou des antigènes différents (ELISA, agglutination), suivie d’un test de confirmation (généralement par IFI ou WB). Prévention du risque chagasique chez les donneurs de sang La persistance du parasite chez un individu infecté chronique peut être longue et asymptomatique ; le risque de transmettre ce parasite par voie sanguine transfusionnelle ou fœtomaternelle est donc non négligeable en zone d’endémie. La transmission par transfusion sanguine est classiquement décrite et admise comme étant le deuxième mode de transmission, après le mode de transmission vectoriel et avant le mode de transmission congénital, digestif et par greffe d’organes [33]. Cela étant, les données précises chiffrées manquent pour ce que qui concerne les pays à risque élevé persistant comme au nord-est de l’Amérique du Sud ou à risque plus réduit comme en Argentine, au Chili, en Bolivie, au Paraguay, en Uruguay ou au Brésil. Il existe par ailleurs des initiatives d’éradication dans les pays andins [29]. Les États-Unis rapportent environ un cas annuel dans un pays où le risque est sporadique dans les états du sud mais où vivent plus de 12 millions de Latino-Américains d’origine non caribéenne, considérés comme originaires de pays à risque endémique. L’infection chagasique est présente en Europe comme maladie d’importation : en Allemagne, la séroprévalence dans un échantillon de 100 Latino-Américains vivant à Berlin a été estimée à 2 % ; de même en Espagne, 1 à 2 % de la population originaire d’Amérique andine présenterait une sérologie positive. Plusieurs cas de maladie de Chagas aiguë ont été rapportés récemment chez des Européens de retour Hématologie, vol. 12, n° 2, mars-avril 2006 d’un voyage en Amérique du Sud, même pour des séjours courts ; le danger serait de méconnaître cette infection, et certaines observations laissent à penser que le nombre effectif de cas serait supérieur au nombre de cas rapportés. Aucun cas européen de trypanosomose sud-américaine posttransfusionnelle n’a été notifié, mais leur survenue éventuelle a pu être ignorée. Aucun cas de trypanosomose posttransfusionnelle n’a été déclaré en Guyane française, département de faible endémicité et à risque surveillé. La directive européenne 2004/33CE prévoit l’exclusion définitive pour les candidats au don homologue – y compris pour le plasma de fractionnement – des donneurs ayant présenté une maladie de Chagas. Le risque est rare en Europe, mais il ne doit pas être ignoré du fait des flux migratoires. Certains pays européens comme l’Espagne réalisent ainsi des dépistages ciblés chez les donneurs de sang originaires d’Amérique du Sud. La prévention repose essentiellement sur la formation et l’information des médecins pour identifier les donneurs venant de zones d’endémie et rechercher des antécédents familiaux de pathologie cardiaque afin d’identifier chez eux d’éventuels porteurs asymptomatiques. Moyens de sécurisation des produits sanguins vis-à-vis des risques parasitaires Les moyens de sécurisation des produits sanguins vis-à-vis des risques parasitaires sont a priori en tous points similaires à ceux applicables à la sécurisation de l’ensemble des risques infectieux, allant – entre autres – de la promotion du don, à la sensibilisation vers l’auto-exclusion, à l’entretien médical ou infirmier, à la préparation des produits sanguins, à la qualification biologique, jusqu’à l’hémovigilance. Chacune de ces étapes – de façon quelque peu variable selon les systèmes transfusionnels – est réalisée de façon satisfaisante dans les pays industrialisés et en particulier en Europe pour la plupart des risques infectieux, mais plusieurs auteurs s’accordent à identifier des failles dans ces systèmes pour les parasites, bien que l’appréciation de l’ampleur de ces failles soit variable [44-46]. En effet, la sous-estimation de risques parasitaires spécifiques, comme ceux liés à T. cruzi par exemple, peut entraîner un défaut de prévention ciblée sur certains parasites, ignorés ou mal évalués par rapport à leur immunogénicité. La déleucocytation systématique a permis un degré de sécurisation supplémentaire pour quelques parasites transfusionnels (le toxoplasme en est le meilleur exemple) mais cette déleucocytation n’a pas d’efficacité sur la transmission des hématozoaires intra-érythrocytaires (notamment plasmodies, babésies...). Du point de vue de la réduction du risque parasitaire transfusionnel – qui n’est pas suffisamment sécurisé par les étapes de promotion, de clinique, de préparation des produits et de qualification biologique de ces produits –, il y a une véritable urgence à développer les procédés de réduction de pathogènes pour l’ensemble des produits sanguins et en particulier 137 pour les concentrés globulaires, pour lesquels les difficultés techniques sont nombreuses ; en effet, le risque palustre demeure le plus prégnant (transmis par les globules rouges eux-mêmes), et il est difficile d’espérer le voir se réduire dans une époque de multiplication des échanges internationaux et intercontinentaux, de multiplication de résistances des parasites et des vecteurs aux drogues et insecticides, et à l’extension géographique des vecteurs avec le réchauffement de la planète. Conclusion Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017. Si la transmission transfusionnelle de certains parasites reste un risque théorique, d’autres parasites nécessitent des mesures de prévention et éventuellement de diagnostic comme pour le paludisme et, dans une moindre mesure, pour la maladie de Chagas en Europe étant donné la gravité de la transmission transfusionnelle. Ainsi les mesures de diagnostic spécifiques qui complètent les questionnaires médicaux sur les voyages et les pays de séjours prolongés ou de naissances ciblées sur le risque de paludisme transfusionnel ne doivent pas occulter les risques liés aux autres parasitoses, notamment la maladie de Chagas largement répandue mais aussi les leishmanioses et dans une moindre mesure les babésioses. Il importe de ne pas les méconnaître devant des tableaux de manifestations post-transfusionnelles bâtards : au premier chef, il faudrait penser au diagnostic différentiel de paludisme devant une fièvre prolongée survenant quelques jours après un épisode transfusionnel. Les babésioses, plus rarement, peuvent aussi présenter un tableau clinique trompeur comparable puisqu’il y a hémolyse. Ces manifestations seront d’autant plus graves que les patients transfusés sont plus immunodéprimés, plus âgés, que la parasitémie est élevée, et le diagnostic retardé. Il faut garder à l’esprit que ces parasitoses, loin d’être maîtrisées, s’étendent du fait des voyages, des déplacements forcés et massifs de populations non immunisées vers des zones où sévissent les vecteurs, des migrations des populations pauvres vers les pays développés, et des modifications des comportements touristiques. Ceci impose la vigilance vis-à-vis du donneur avec discernement, mais aussi vis-à-vis des épisodes post-transfusionnels retardés que pourrait présenter un patient transfusé. Il demeure que la mise en place de la déleucocytation (leucoréduction) systématique des produits sanguins a contribué à réduire ces risques pour les parasitoses intraleucocytaires dont la phase libre est fugace. Seules les techniques d’inactivation des micro-organismes permettront de sécuriser les produits sanguins vis-à-vis des risques liés aux parasitoses intra-érythrocytaires [47, 48]. ■ RÉFÉRENCES 138 1. Pillonel J, Laperche S, Groupe « Agents Transmissibles par Transfusion » de la Société française de transfusion sanguine, Etablissement français du sang, Centre de transfusion sanguine des armées. Trends in residual risk of transfusion-transmitted viral infections (HIV, HCV, HBV) in France between 1992 and 2002 and impact of viral genome screening (Nucleic Acid Testing). Transfus Clin Biol 2004 ; 11 : 81-6. 2. Hergon E, Moutel G, Duchange N, Bellier L, Rouger P, Herve C. 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