RÉSISTANCE
JURASSIENNE
Bulletin de lA.N.A.C.R. du Jura
Journal des Résistants du Jura
adhérents à l’ Association Nationale
des Anciens Combattants
et Ami(e)s de la Résistance
(A.N.A.C.R.)
Janvier 2011 N° 78
ÉDITORIAL & POINT DE VUE
SSEE SSOOUUVVEENNIIRR,, ÊÊTTRREE VVIIGGIILLAANNTT,, PPOOUURR NNEE PPAASS RREEVVIIVVRREE LLEE PPAASSSSÉÉ..
L’Anacr Jura est indéniablement une association en mouvement mais
il est tout aussi évident que les idées contre lesquelles elle lutte
(racisme, xénophobie, antisémitisme, révisionnisme, fascisme) sont
elles aussi en mouvement, comme vous le montreront les articles sur
Poligny et les stages citoyens. C’est pourquoi il nous faut encore et
encore mettre du cœur à l’ouvrage. La tâche est immense mais le
manque de main d’œuvre et de finance nous oblige parfois à freiner
notre action.
Dans un avenir – souhaitons le plus éloigné – les Anciens Résistants,
nos guides, nos références, vont nous quitter ; c’est une chance pour
les Amis(es), de les côtoyer, encore le plus longtemps possible ; leur
présence, leur témoignage devraient encourager bon nombre
d’Amis(es) à nous rejoindre ; ainsi au contact des Anciens Résistants,
ils pourraient se former au travail de « passeurs » de mémoire et de
« transmetteurs » des valeurs de la Résistance. Même les plus jeunes,
aguerris aux techniques modernes de communication, ont leur place à
l’ANACR.
Les enseignants nous ouvrent largement les portes de leurs classes
pour des interventions avec nos témoins. Il serait souhaitable qu’ils
franchissent le pas de l’adhésion à l’Anacr afin de construire avec nous
l’avenir de l’association. La lutte pour la transmission des valeurs de la
Résistance et contre toutes les formes de racismes, ne peut les laisser
indifférents. C’est dans les classes, par l’intermédiaire de leur
enseignement qu’ils peuvent transmettre le savoir sans lequel ne
disparaîtront les idéologies à caractère fasciste.
Quant aux membres de l’Anacr, les amis-es en particulier, il est de
leur devoir de se former à transmettre ce qu’ils ont appris en côtoyant
les Résistants. L’acquisition des connaissances, sans les placer du cô
de l’historien, leur donnera une place singulière de passeurs de
mémoires. Tout en rédigeant cet éditorial, j’apprends par la radio le
saccage du cimetière de Bar-leDuc ; ce qui me remet en mémoire que
des événements graves se déroulent depuis plusieurs mois à
Strasbourg. Ces actes racistes et xénophobes ont donné lieu à une page
entière dans « Le Monde » du 11 octobre 2010. Je retiendrai la position
de Jean-François Collange, Président de l’Union des Eglises
Protestantes d’Alsace « Dans un double contexte de crise économique
et de montée des extrémismes en Europe, il n’est pas exclu que de
petits groupes aillent et viennent dans cet espace aux frontières en voie
d’abolition pour semer la haine. Le climat général créé par le Président
de la République ne favorise pas l’endiguement de tels débordements
même s’il s’agit de personnes « fragiles ». Ce sont les clignotants d’une
situation socio-économique tendue. Ce sont les premiers plombs qui
« pètent »
Cette recrudescence des idéaux fascistes touche actuellement de
nombreux pays européens dont la France mais aussi la Bulgarie,
la Hongrie, la Roumanie, les Pays-Bas, l’Italie, la République
Tchèque….. En Hongrie aux élections les 11 et 25 avril 2010 le parti
d’extrême-droite après une campagne électorale il dénonça sans
relâche les criminels tziganes et le complot juif, obtint 16,67% des
suffrages et 47 sièges devenant ainsi le 3ième parti du pays.
En République Tchèque, le Parti National s’est signalé lors des
élections européennes de 2009 en proposant lors d’un spot télévisé
« la solution finale du problème tzigane ».
En Bulgarie le dirigeant d’extrême-droite Siderov a proposé lors d’un
meeting, et en parlant des tziganes, « d’en faire du savon ».
La liste pourrait être longue, c’est pourquoi, et plus que jamais, nous
voulons être des passeurs de mémoire et des éveilleurs de conscience,
dans la fidélité au combat des Résistantes et des Résistants.
Venez nous rejoindre autour de cet idéal de liberté, d’égalité, de
fraternité, de laïcité et de paix entre les peuples.
A bientôt à l’Anacr.
Jean-Claude Herbillon
Le journal « Le Progrès » du 8 novembre 2010 fait paraître un
article de M. François Tonnerre qui relate l’hommage de M. le
Président de la République Vincent Auriol, rendu aux Résistants des
71 communes honorées et distinguées pour des faits de résistance
remarquables, nous étions le 5 novembre 1950.
L’ANACR, qui n’a de cesse d’agir pour transmettre aux scolaires
et aux jeunes générations, n’ayant pas vécu les évènements
historiques de la seconde guerre mondiale, la connaissance des
faits et des valeurs pour lesquels tant de combats ont été menés et
tant de sacrifices consentis, tient à souligner son rôle de « passeur
de mémoire ».
C’est pourquoi nous sommes sensibles au rappel paru dans le
Progrès et nous n’hésitons pas à publier dans ce bulletin des extraits
d’un rapport prononcé par notre camarade Roger PERNOT, alors
Président du l’ANACR du Jura le 17 mai 2003, suivi d’une lettre à la
« Commission de la Mémoire » le 23 octobre 2003.
Roger Pernot explique et suggère ce qui pourrait être fait pour
marquer d’une façon éclatante le 60ème anniversaire de la libération.
Le temps n’a pas pris une ride, le 65ème a été une occasion, comme
le sera le 70ème, l’ANACR en a les moyens avec ses adhérents
Résistants et Amis de la Résistance, tous s’y emploient.
Notre Camarade Roger Pernot a su tracer les chemins de la
mémoire, reprenons ci-dessous quelques extraits des deux
documents précités :
« Le département du Jura a payé un lourd tribu, 450 déportés
morts, 392 fusillés ou massacrés et 355 maquisards tués dans des
actions de combat. 71 communes ont connu des faits de résistance
particuliers, 26 furent décorées de la Croix de Guerre, 45 autres
reçurent un diplôme à la Gloire de la Résistance ou un diplôme
d’Honneur.
Nous aimerions, afin d’en assurer la pérennité, que ces souvenirs
à la fois tragiques et glorieux, soient pieusement exaltés à l’occasion
du 60ème anniversaire de libération en 2004 par :
- La pose dans chaque mairie concernée d’un marbre gravé
portant le texte de la citation ou de l’hommage avec la réplique de
la décoration, le cas échéant.
- La production d’un document audio-visuel et/ou la tenue d’une
exposition qui, même modeste, illustreraient le texte de la citation
et feraient ainsi connaître, surtout à la jeunesse et aux enfants, ces
pages tragiques et glorieuses de l’histoire locale. Et si les
enseignants et leurs élèves prenaient part à la réalisation de cette
exposition ! Ne serait-ce pas un excellent exercice d’action
civique, avec la participation active de la population?
A défaut d’exposition, ou en complément, des relations orales de
témoins seraient également les bienvenues. »
Ces propositions ont été généralement concrétisées dans
l’ensemble des communes distinguées et nous nous en réjouissons.
Fernand Ibanez
HOMMAGE AUX 71 COMMUNES JURASSIENNES DÉCORÉES POUR FAITS DE RÉSISTANCE
2
LE MOT DE LA RÉDACTION
ÉDITORIAL & POINT DE VUE
Le Journal « RÉSISTANCE JURASSIENNE » est un des maillons
de l’ANACR, pour son rôle de « passeur de mémoire ». Voici le
cinquième numéro présenté sous cette forme.
Nous disposons maintenant d’un nombre important de
témoignages enregistrés par les moyens audiovisuels de notre
association, ces documents nous permettent de puiser une partie
des articles qui alimentent la rubrique « Récits historiques
Souvenirs » pour laquelle nous bénéficions également de l’apport
non négligeable de nos amis historiens. Toutefois, nous savons qu’il
reste de nombreux vieux camarades Résistants qui pourraient
encore « se raconter », nous leur lançons un appel.
Il est deux « Vieux Résistants » très présents dans ce bulletin,
auxquels nous souhaitons rendre un hommage particulier :
- Raymond AUBRAC, qui nous honore plusieurs fois par an de sa
présence dans le Jura et contribue, par la pertinence de ses
témoignages à enrichir nos manifestations.
- Roger PERNOT, qui apporte dans ces pages plusieurs articles
d’un intérêt incontestable, sur des sujets divers et dont on peut dire
que sans lui, notre revue ne serait pas tout à fait ce qu’elle est.
C’est parce que ce journal est un élément du rôle de passeur de
mémoire de l’ANACR, qu’il est diffusé au-delà de ses seuls
adhérents. En effet, nous en adressons un exemplaire à tous les
Collèges et Lycées du département, aux bibliothèques et
médiathèques ainsi qu’aux élus, Sénateurs, Députés, Conseillers
Généraux et une centaine de Maires. Nous avons un regret, c’est
que les possibilités financières de l’ANACR Jura, ne permettent pas
de faire au moins deux numéros par an.
Nous vous donnons rendez-vous avec le numéro 79 début
janvier 2012.
Christian Dauphin, Simone Puget
2010 se termine, voici longtemps que j’exerce la responsabilité
de trésorier départemental, mais au cours de toutes ces années, je
n’avais jamais connu une activité de l’ANACR Jura aussi intense. Le
précédent bulletin énumérait les objectifs et les faibles moyens
financiers pour les réaliser, malgré tout, le matériel audiovisuel a
été employé au cours de l’année pour pérenniser la mémoire des
anciens Résistants, nous envisageons de compléter encore ce
matériel dès que possible malgré son coût plutôt élevé.
Avec les années qui passent, les anciens Résistants sont moins
nombreux et l’adhésion des Amis(es) n’est pas suffisante pour
compenser ces disparitions. Par ailleurs chaque année un certain
nombre de cotisations ne sont pas réglées, souvent par négligence,
malgré plusieurs rappels. Ce serait faciliter le travail des comités en
général et le mien en particulier que de régler votre cotisation au
reçu de la carte, je remercie par avance tous ceux qui entendront cet
appel.
L’ANACR ne fonctionne que grâce au dévouement de ses
bénévoles et dans le seul but de poursuivre l’idéal du C.N.R. (Conseil
National de la Résistance) créé le 27 mai 1943 par Jean Moulin en
réalisant l’unification des différents mouvements de Résistance.
(Idéal social terriblement malmené depuis !)
Cette année, quelques Communes nous ont attribué de modestes
subventions. Le Comité directeur réuni dernièrement a décidé
d’étendre plus largement ces demandes.
Une activité des années précédentes, mérite d’être soulignée. A
l’initiative d’un camarade, nous avons proposé aux Communes du
Jura ayant été honorées pour faits de Résistance, de souligner par
une manifestation cette distinction. C’est ainsi que plus de 30
plaques rappelant les faits, ont été apposées dans différentes villes
ou villages, à notre initiative, mais sans participation financière de
notre Association.
Une nouvelle organisation des Comités est devenue nécessaire,
un certain nombre ayant un effectif trop faible pour rester
autonomes et avoir des activités.
La nouvelle organisation est la suivante :
Comité JURA-NORD : Adhérents Jura-Nord - Arbois - et Hors
Département soit : 59 adhérents
• Comité de SAINT-CLAUDE : Adhérents de Saint Claude - Morez
soit : 78 adhérents
Comité de LONS LE SAUNIER : Adhérents de Lons - Clairvaux
– Champagnole - Voiteur soit : 100 adhérents
Soit un total départemental de 237 adhérents. (Mise à jour du 13-
12-2010)
Chaque comité gère les cartes d’adhésion des adhérents qui lui
sont rattachés, et j’espère une bonne efficacité de cette nouvelle
organisation.
Encore une fois, donnons-nous les moyens de notre activité.
Jean Machuron
LE MOT DU TRÉSORIER
La Rédaction vous souhaite
une bonne et heureuse année 2011
3
RÉCITS HISTORIQUES - SOUVENIRS
Le Ministre de l’Intérieur et quelques autres, m’invitent à participer
à « l’horrible débat sur l’identité nationale », dont le but véritable
est de justifier dans l’opinion, la recrudescence des mesures de
racisme et de xénophobie du pouvoir sarkozyste. Ma contribution
s’inspire essentiellement de cet épisode tragique de la Résistance à
Paris, en 1944, illustré par le combat et le sacrifice de héros
étrangers, torturés et fusillés au Mont Valérien le 21 janvier 1944,
que la mémoire a retenu sous le vocable de « TRAQUE DE
L’AFFICHE ROUGE ».
Arménien d’origine, Missak MANOUCHIAN, en Turquie, vient
en France à l’âge de 9 ans. Il fréquente plusieurs orphelinats et
devient à 34 ans un combattant aguerri, excellent organisateur. Dans
ses veines, depuis des générations, coule le sang des partisans. Il
est aussi un poète qui diffuse aux travailleurs immigrés des
recommandations comme celle-ci :
RESTONS ÉVEILLÉS
Attention Camarades ! L’ennemi est toujours le monstre
Qui, comme la sangsue ou le vers rongeur
Boit le sang de nos bras qui peinent sans arrêt
Telle une hyène prête à tout dévorer.
-0-
Sous le masque de la foi, il verse à ses victimes
Le poison de la corruption et de l’ignorance
Et semeur de mensonges et de haines raciales
Il attire des foules les passions criminelles.
-0-
Que les flambeaux de la conscience éclairent nos esprits !
Que le sommeil et la lassitude ne voilent point nos âmes
A tout moment l’ennemi change de couleur et de forme
Et nous jette sans arrêt dans sa gueule inassouvie.
A la mi-février 1944, s’ouvre le procès du groupe MANOUCHIAN
devant la cour martiale. 23 combattants immigrés, des Francs-
Tireurs et Partisans de la M.O.I. (Main d’œuvre Immigrée) de la
région parisienne. La chute du groupe a nécessité une traque de 11
mois de la police française, Brigades Spéciales (BS) et
Renseignements Généraux (RG) de la région parisienne, mobilisant
plus de 60 policiers. « Il faut dire que la police française a fait preuve
d’un grand dévouement » déclara le Président de la Cour Martiale.
Missak MANOUCHIAN écrit à sa femme, quelques heures avant
son exécution, une lettre bouleversante dont voici quelques extraits :
« Je m’étais engagé dans l’armée de la libération, en soldat
volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but… Au
moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le
peuple allemand. Chacun aura ce qu’il mérite comme châtiment et
comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres vivront
en paix et en fraternité, après la guerre qui ne durera plus longtemps
… Ma chère Méline, j’ai un regret profond de ne pas t’avoir rendu
heureuse. J’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le
voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans
faute, d’avoir un enfant pour accomplir ma dernière volonté …Tu
apporteras mes souvenirs, si possible, à mes parents en Arménie…
Je vous serre tous sur mon cœur, adieu.
Ton ami, ton camarade, ton mari »
Les Allemands ont fait à ce procès, pour la première fois en
audience publique, le maximum de publicité, et ont lancé une vaste
opération de propagande dans le but de décrédibiliser la Résistance.
Ils ont édité en plusieurs milliers d’exemplaires une affiche géante
de couleur rouge avec le portrait, le nom et la nationalité, (tous juifs :
Polonais, Hongrois, Espagnol, Italien) sous une question qui se veut
accusatrice : « Des Libérateurs ? .. » avec cette réponse :
« La Libération par l’Armée du Crime » !!
La réaction du peuple parisien est à l’opposé de ce qu’espérait la
provocation nazie. En dépit des interdictions et des rondes, dès le
lendemain et les jours suivants, il y aura des fleurs sous les affiches
rouges. La foule se presse silencieuse, comme le note Claude
Morgan dans la feuille résistante : Les « LETTRES FRANÇAISES ».
Au dessus de chaque portrait (pour nous faire horreur, sans
doute ?), on a noté leurs exploits : l’un d’eux a eu à son actif 56
déraillements, 150 morts et 600 blessés « Beau tableau de chasse »
dit quelqu’un. Une femme confie à son compagnon « Ils ne sont
pas parvenus à leur faire des sales gueules ». Et c’était vrai, malgré
les passages à tabac, malgré la réclusion et la faim, les passants
contemplent ces visages énergiques aux larges fronts, longuement
et gravement comme on salue des amis morts. Dans les yeux
aucune curiosité malsaine mais de l’admiration, de la sympathie,
comme s’ils étaient des nôtres. Et en fait, ils étaient des nôtres,
puisqu’ils luttaient parmi nous, pour notre Patrie parce qu’elle est
aussi la Patrie de la Liberté.
Sur l’une des affiches, la nuit, quelqu’un a écrit au charbon, en
lettres capitales ce seul mot : MARTYRS. C’est l’hommage de Paris
à ceux qui se sont battus pour la liberté.
Toutefois, après la libération, les aléas de la « guerre froide »
conduisent à l’oblitération de cette Résistance entreprise par des
étrangers. Cet excès de chauvinisme et de xénophobie a été mal
ressenti par les Résistants Jurassiens, nombreux à avoir connu
dans les maquis, des Italiens, des Espagnols, des Anglais et même
des Allemands antifascistes. Un groupe FTP dit « international » a
participé le 4 septembre 1944 à la libération de Mouthe. Un voltigeur
de 20 ans, d’origine étrangère, à l’enthousiasme légendaire, connu
sous le nom de guerre « Pointeau » y est mort au combat.
En 1955, l’inauguration d’une rue « Groupe Manouchian » dans
le 20ème arrondissement fournit l’occasion d’un hommage national.
C’est alors qu’ARAGON écrit son déchirant poème « Strophe pour
se souvenir » publié en première page de « l’Humanité » le 6 mars
1955 sous le titre « L’AFFICHE ROUGE ». En 2004, les cérémonies
du 60ème anniversaire ont confirmé la réappropriation nationale et
pluri-identitaire de cette Résistance, toujours symbolisée par une
affiche allemande.
(Léo Ferré et Jean Ferrat chantent le poème d’Aragon)
Roger Pernot
« VINGT-TROIS ÉTRANGERS ET NOS FRÈRES POURTANT »
4
RÉCITS HISTORIQUES - SOUVENIRS
5
En novembre 1940, à la suite d’une bonne grippe agrémentée d’une
forte fièvre, j’ai été admis à l’infirmerie du Lycée Rouget de Lisle.
L’infirmière écoutait la « radio de Londres » et c’est comme ça que j’ai
pu entendre un appel à commémorer l’armistice de 1918 comme en
temps de paix et malgré les interdictions de l’occupant, pour qui cette
date est synonyme de défaite, puis ensuite nous eûmes la relation des
événements parisiens : la manifestation des Étudiants à l’Arc de
Triomphe.
C’est dans les établissements scolaires, notamment à Paris, que
bouillonne le patriotisme d’une jeunesse élevée dans le souvenir de la
GRANDE GUERRE et dans le respect de ceux qui y ont perdu leur propre
jeunesse. Lycéens et Étudiants n’hésitent pas à exprimer leurs
sentiments : des V de la victoire sont tracés sur les murs, des « VIVE
DE GAULLE » sont criés dans les couloirs du métro, des tracts sont
lancés dans les amphithéâtres, des Professeurs expriment leur
sympathie pour leurs collègues juifs exclus de l’enseignement en vertu
du statut des juifs décrété par Pétain, début octobre.
Scientifique de renommée internationale, grand humaniste, fondateur
en 1934 du Comité de Vigilance Antifasciste, le Professeur Paul
Langevin, qui prend position contre les nazis pendant ses cours, est
arrêté le 30 octobre par la Gestapo. Les nazis et Vichy redoutent des
manifestations dans les lycées et les facs, ils veulent impressionner,
stopper la grogne dans les établissements supérieurs. Au lieu de cela,
ils déclenchent la tempête.
L’opposition à l’occupant et à Vichy ne se traduit encore que par des
actes isolés. Une manifestation de soutien à Paul Langevin est prévue
le 8 novembre au Collège de France à 15 heures, heure à laquelle se
termine le cours de cet éminent intellectuel. Ce sera un quasi échec, les
occupants ayant réussi à barrer la rue d’accès. Frédéric Joliot-Curie
réussira, cependant, à prendre la parole devant une trentaine d’étudiants
rue Soufflot, où le lieu de rendez-vous a été transféré in-extrémis, par
le canal du « bouche à oreille ». Échec donc ? Non, car ce fut une bonne
répétition générale, quatre jours avant le 11 novembre.
Il est 16 heures, ce 11 novembre 1940, c’est la sortie des cours, ils
se rassemblent entre 2000 et 5000, l’Arc de Triomphe en ligne de mire,
dignes, déterminés, prêts à défier l’ennemi. Laissons Aragon
commenter (in « le Crime contre l’Esprit ») Je cite :
« Dans Paris bâillonné, 5 mois après qu’un Maréchal de France eut
proclaque la Patrie avait « touché la terre des épaules », les étudiants
descendirent dans la rue et leur jeune voix retentit si haut que la France
tout entière l’entendit et cessa de croire à la défaite. L’ennemi ne s’y
trompa pas ! ») fin de citation
La manifestation est violemment réprimée. La presse clandestine
parle de 6 à 11 morts, ce qu’aucun historien n’est en mesure
aujourd’hui de confirmer. En revanche, on connaît le nombre
d’interpellations : 90 lycéens et 14 étudiants, elles vont se poursuivre
sur tout le mois de novembre. Le Parisien Libéré annonce l’arrestation
de 26 militants et responsables des étudiants communistes. Les
allemands décident la fermeture de six établissements d’enseignement
secondaire et cinq facultés dont la Sorbonne.
Pour la première fois depuis juin 1940, les Français ont publiquement
manifesté contre l’occupant et ses collaborateurs français. Pourtant peu
de monde connaissait De Gaulle? Ses appels? La Résistance? La date
du 11 novembre 1940 devient un symbole concret de « l’entrée de notre
pays en résistance », grâce à la détermination courageuse de ces jeunes
qui ont osé défier les oppresseurs nazis et la police française dans une
manifestation de masse.
Rédigé le jour du soixante-dixième anniversaire par :
Roger Pernot
11 NOVEMBRE 1940 : UNE DATE CAPITALE
L’AFFICHE ROUGE (poème d’Aragon)
Vous n’avez réclamé ni la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne pensait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORT POUR LA France
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie Adieu la misère et le vent
Marie toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant
Ils étaient vingt trois quand les fusils fleurirent
Vingt trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt trois qui criaient la France en s’abattant
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