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pourcentage de hausse de leurs salaires. C’était peut-être le cas, à une certaine époque, mais ce
n’est certes plus le cas aujourd’hui.
Finalement, certains postkeynésiens prétendent que la courbe de Phillips à long terme,
loin d’être verticale, est en fait horizontale, du moins sur un segment de la courbe (Freedman,
Harcourt et Kriesler, 2004; Kriesler et Lavoie, 2005). Cette affirmation s’appuie tant sur des
considérations théoriques qu’empiriques. Comme le relève Hoang-Ngoc avec la figure 23 du
présent livre, les postkeynésiens croient que la courbe d’offre des entreprises est essentiellement
horizontale, car la très grande majorité des industries fonctionnent sur la base de rendements
constants (Lavoie 2004, ch. 2). Autrement dit, les coûts variables sont constants (et donc les
coûts unitaires décroissants) pour une très large gamme de taux d’utilisation des taux des
capacités. Ce n’est que lorsque la production de l’entreprise excède la production de pleine
capacité, telle que définie par les ingénieurs, que l’entreprise fait face aux coûts croissants décrits
par les économistes néoclassiques. Or, selon les auteurs postkeynésiens, les entreprises opèrent
presque en tout temps à des taux d’utilisation de la capacité qui sont bien en deça de la pleine
utilisation. Comme les prix sont fixés selon la procédure du cost-plus, c’est-à-dire en ajoutant
une marge de profit conventionnelle au coût unitaire normal, les prix ne sont pas sujets à des
pressions à la hausse tant et aussi longtemps que l’entreprise opère en deça de la pleine capacité,
même si les taux d’utilisation sont à la hausse (à moins que les entrepreneurs décident d’accroître
leurs marges de profit).
Ainsi, selon certains auteurs postkeynésiens dont je fais partie, les hausses des taux
d’utilisation de la capacité n’auraient des conséquences inflationnistes que lorsque les taux
d’utilisation s’approchent de la pleine utilisation. D’autre part, ce n’est que lorsque les taux
d’utilisation sont très bas, et donc que les taux de chômage sont très élevés, que la baisse de
l’activité économique mènerait à une baisse des taux d’inflation, comme le décrirait la courbe de
Phillips classique à court terme. Autrement dit, l’arbitrage à court terme entre inflation et activité
économique ne s’observerait vraiment que pour des taux d’utilisation de la capacité très élevés et
pour des taux d’utilisation très faibles. Pour une large plage de taux d’utilisation, le taux
d’inflation aurait tendance à rester à son niveau historique antérieur. Ainsi, la courbe de Phillips
à court terme serait plate pour une vaste gamme de taux d’utilisation intermédiaires. Tout ceci est
illustré à l’aide des deux graphiques ci-contre. La figure P1 montre la relation à court terme entre
l’activité économique (les taux d’utilisation) et les taux d’inflation; la figure P2 illustre la même
relation, mais dans le plan habituel décrit par la courbe de Phillips, à partir des taux de chômage.
Ainsi, pour une vaste gamme de taux de chômage, la courbe de Phillips à court terme serait
horizontale.
Mais si les taux d’inflation réalisés à court terme sont constants, pour des taux
d’utilisation ou des taux de chômage intermédiaires, il suit que les taux d’inflation anticipés ne
sauraient différer des taux d’inflation historiquement constatés, en conséquence de quoi on peut
conclure que la relation à long terme entre taux d’utilisation et inflation est aussi une horizontale
pour une certaine gamme de taux d’utilisation, ni trop bas ni trop haux. De façon symétrique,
même si l’on croit au mécanisme néoclassique habituel de transmission de l’inflation par les
anticipations, on peut aussi conclure que la courbe de Phillips à long terme sera horizontale pour
des taux de chômage intermédiaires, encadrés par deux segments de courbe verticale.