4 Sociétal n°72
ÉDITORIAL
Linflation a fait sa réapparition en
Europe. 2010 s’est terminée sur
un taux de 2,2 %, taux supérieur à
celui que se donne comme objectif la BCE.
Et janvier 2011 a souligné l’accélération avec
un taux de 2,4 %. Dans de telles conditions,
il serait naturel que la politique monétaire
européenne se durcisse. Mais déjà, avant
même que la BCE n’ait bougé ou annoncé
quoi que ce soit, les cris contre toute réac-
tion de sa part se multiplient. Ces cris se fon-
dent sur un raisonnement simple et clair qui
se veut imparable : cette inflation ne provient
pas des conditions de productions internes
à la zone euro.
Derrière ce genre de raisonnement, il faut
bien dire qu’il y a une bien étrange percée
conceptuelle. Il y aurait ainsi deux infla-
tions, une insupportable due aux évolutions
internes de l’économie et une parfaitement
acceptable, n’appelant que la résignation,
celle due à l’environnement extérieur. Bref,
il faudrait que le bon peuple européen com-
prenne qu’il va perdre du pouvoir d’achat
mais que cela n’est pas grave car c’est à
l’évolution du prix du pétrole que la BCE ne
contrôle pas.
Mondialisation et
arbitrage de Phillips
Si nous approfondissons ce type d’analyse,
nous retrouvons comme souvent une tenta-
tive de banalisation de l’inflation qui repose
sur une erreur courante ; celle, selon le mot
de Keynes, qui consiste à mener la poli-
tique économique d’auteurs morts et donc
dépassés. Jugement ô combien pertinent qui
s’applique à Keynes lui-même. En effet, le
monde est en train de connaître les consé-
quences de politiques économiques conçues
après la crise de 1929 par des spécialistes
comme Ben Bernanke de la dite crise de
1929. Un des fondements essentiels de ces
politiques est l’arbitrage de Phillips, c’est-à-
dire l’arbitrage inflation/chômage, qui vint
parachever dans les années 60 la construc-
tion théorique keynésienne. Aujourd’hui,
Arbitrage de
Phillips mondialisé
Jean-Marc Daniel
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ème trimestre 2011
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Arbitrage de Phillips mondialisé
une vision très années 60 de cet arbitrage
règne à Washington avec trois conséquences
particulièrement négatives pour l’économie
mondiale. D’abord, parce qu’avec la mon-
dialisation, cet arbitrage touche un champ
géographique nouveau. Concrètement la
politique monétaire expansionniste de Ben
Bernanke en voulant lutter contre le chô-
mage américain a le travers de diffuser l’infla-
tion au-delà du territoire américain. L’excès
de monnaie mise en circulation aux Etats-
Unis conduit à un excédent de demande
américaine par rapport à l’offre nationale.
Normalement, les autorités de Washington
en attendent une augmentation de la pro-
duction et donc le retour au plein emploi.
Or elles en retirent la pérennisation d’un
déficit commercial abyssal, déficit qui inonde
le monde de dollars. Ces dollars surabon-
dants provoquent une inflation générale à la
surface de la planète qui se traduit essentiel-
lement par des bulles sur les matières pre-
mières, notamment alimentaires.
Ensuite parce que derrière la courbe de
Phillips, il y a l’idée d’un arbitrage politique
implicite qui veut que le chômage soit sociale-
ment plus dangereux que l’inflation. Si cela est
probablement vrai dans les pays développés,
en particulier la structure de consomma-
tion rend la population moins sensible à la
hausse des prix alimentaires, il n’en va pas de
même dans les pays émergents. Soyons direct :
pour nous, l’inflation mondialisée née de la
politique monétaire expansionniste de la Fed
est à l’origine des révoltes frumentaires, dont
en particulier le monde arabe nous a donné
des exemples spectaculaires.
Enfin, parce que dans l’interprétation théo-
rique que l’on doit faire de la courbe de
Phillips, on doit se souvenir que si le chômage
permet de réduire l’inflation, en revanche les
politiques de relance monétaire débouchent
assez souvent sur la stagflation.
Stagflation déstructurée
et émeutes
Le monde d’aujourd’hui vit de fait dans la
stagflation. Le problème est que nos diri-
geants ne veulent pas le voir parce que le
chômage et l’inflation ne sont pas au même
endroit. Il y a du chômage au Nord et de
l’inflation au Sud. Au Nord, du fait de ce chô-
mage, on perd les élections comme Obama
en novembre dernier. Mais au Sud, du fait
de l’inflation on perd le contrôle de la rue.
Il faudrait que les responsables du G20 se
souviennent d’un vieil adage du XVIIIe siècle
selon lequel « plus haut le prix du pain,
plus faible la crainte de la prison»…A Tunis
comme au Caire, cet adage s’est appliqué.
Certes, nul ne regrettera ceux qui ont perdu
le contrôle de la rue. Mais il n’en demeure
pas moins qu’il est inconséquent de conti-
nuer des politiques monétaires dont le bilan
ultime est l’émeute.
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