Date: 13.10.2015
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Indo-Européens, le peuple introuvable
qui hante les fantasmes racistes
ARCHÉOLOGIE Inventée par Les linguistes et accaparée par Les nazis, cette ethnie originelle continue à se dérober.
Auteur d'une somme sur la question et invité à Genève pour une conférence, Jean-Paul Demoule déconstruit le mythe
Etablis en Anatolie, les Hittites étaient l'une des branches présumées de l'arbre généalogique indo-européen. (GETTY IMAGES)
NIC ULMI
C'est l'histoire d'une ethnie introu-
vable, malgré une quête acharnée.
L'existence de nos ancêtres les
Indo-Européens, source commune
des langues et des civilisations du
Vieux Continent, a été formulée par
hypothèse au XIXe siècle. Les lin-
guistes ont brandi des
pièces à conviction, les
archéologues ont cherché
des traces en vain, les idéo-
logues se sont emparés de
l'idée. Le mythe de ce peuple conqué-
rant alimente dès lors quelques
délires majeurs, dont le nazisme et
le suprématisme des «nouvelles
droites». Auteur d'un vaste ouvrage
détaillant la façon dont le concept
s'est bâti (Mais où sont passés les
Indo-Européens? Le mythe dôrigine
de l'Occident, Seuil, 2014), l'archéo-
logue français Jean-Paul Demoule
sera à Genève pour une conférence
publique, jeudi 15 octobre*.
C'est la première fois que vous consa-
crez un ouvrage au sujet, mais vous y
travaillez depuis 35 ans... C'était un
problème fascinant, dont la résolu-
tion devait forcément passer par
l'archéologie - c'est-à-dire par la
découverte des traces matérielles
d'un ou de plusieurs peuples se
déplaçant dans l'espace et aboutis-
sant aux populations historique-
ment connues qui parlent des lan-
gues indo-européennes telles que le
grec, le sanskrit ou le hittite. Jeune
archéologue, en commençant à
accumuler de l'information là-des-
sus, je me suis aperçu que la solution
se dérobait. Je me suis dit que le
problème était mal posé.
La notion a-t-elle toujours cours dans
le monde actuel? Dans le monde
savant, elle est très à la mode: ça fait
partie des grands enjeux, ceux qui
font parler de vous si vous travaillez
là-dessus... Ce n'était pas le cas il y a
quelques années. Après le nazisme,
pendant 25 ans, il y a eu très peu de
travaux. Le sujet est revenu à la fin
des années 7o et, aujourd'hui, il est
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entré dans le système académique
anglo-saxon. J'étais dernièrement à
Iéna, en Allemagne, où des généti-
ciens d'un institut Max Planck ont
montré qu'il y avait des ressem-
blances génétiques, il y a 5000 ans,
entre la région des steppes et le nord
de l'Europe. Si vous voulez vous faire
financer, plutôt que de dire «j'ai
retrouvé des ressem-
blances entre 15 squelettes
de telle région et 15 de telle
autre», vous dites «j'ai
retrouvé les Indo-Euro-
péens»... En dehors du monde aca-
démique, l'idée habite certains
nationalismes, y compris en Russie
et en Inde.
Vous évoquez deux choses à l'origine
du mythe: la quête européenne d'un
mythe fondateur et la découverte des
ressemblances entre les langues. Un
de ces deux aspects engendre-t-il
l'autre? Ça commence sur le plan
linguistique. Les linguistes sérieux
disent d'ailleurs que la question
indo-européenne est purement lin-
guistique. Dès la Renaissance, on
avait remarqué ces ressemblances.
On avait alors un principe explicatif
dans la Bible: Dieu parle en hébreu
à Adam. Il y avait donc des érudits
qui essayaient de faire dériver le latin
et le grec de l'hébreu. A partir du
moment où laBible perd de son auto-
rité, au XVIIe-XVIIIe siècle, et qu'on
découvre le sanskrit (la langue
ancienne de l'Inde), le champ des
hypothèses devient plus vaste. On a
un exemple à disposition: les langues
romanes - français, espagnol, ita-
lien... - descendent du latin à travers
la conquête romaine. On essaie dès
lors d'appliquer cet exemple familier
pour expliquer les ressemblances.
A partir delà, l'hypothèse indo-eu-
ropéenne sert de solution pour un
autre problème, propre à l'Europe.
Tout groupe humain a un mythe
d'origine. Dans le cas des Européens,
ce mythe est donné par la Bible. Mais
on doit la Bible aux Juifs, c'est-à-dire
à une population que, dans l'Europe
d'alors, on assassine, on expulse ou
on spolie dès qu'il y a un problème.
Cela crée une situation schizophré-
nique, très présente au XVIIIe siècle.
Des gens comme Voltaire se
demandent: est-ce qu'on doit vrai-
ment notre culture à ce peuple de
gardiens de chèvres qui vivaient
dans le désert?
La quête d'une langue source et d'un
peuple originel aboutit, selon votre
expression, à désigner un «berceau à
roulettes»... Dans la première moitié
du XIXe siècle, la linguistique est
une science allemande. En l'ab-
sence d'unité politique, la langue
est la seule chose qui définit l'iden-
tité allemande: la notion d'un
peuple originel est alors une
manière de penser l'unité de la
nation. A partir de la linguistique,
on voit apparaître ainsi l'idée d'un
peuple indo-européen, que les Alle-
mands appellent «indo-germa-
nique » et qui coïncide avec les
Germains tout court. Des bords de
la Baltique, ce groupe humain
«La notion
d'un peuple
originel
est une manière
de penser l'unité
de la nation»
JEAN-PAUL DEMOULE,
ARCHÉOLOGUE
serait parti à la conquête du
monde, s'abâtardissant à mesure
qu'il allait vers le Sud: il faudrait
donc restaurer, dit-on, sa pureté
originelle... A partir de la fin du
XIXe siècle, les Indo-Européens
deviennent un objet scientifique
pour les autres pays d'Europe.
Concernant le «berceau à rou-
lettes», on observe une logique de
rapatriement d'Est en Ouest. Au
début, puisque la notion tient à la
découverte du sanskrit, on situe ce
peuple en Inde. Un érudit suisse, le
Genevois Adolphe Pictet, invente
ensuite la paléontologie linguistique:
on recherche les mots communs aux
différentes langues, on considère
qu'ils appartiennent à la langue
d'origine et on suppose qu'ils
décrivent le paysage et la société où
cette langue était parlée. Si on trouve
les mêmes mots pour désigner le
chêne, le hêtre et le mouton, on en
déduit que ces éléments étaient pré-
sents dans la patrie originelle. Pour
Pictet, le berceau idéal est donc l'Asie
centrale montagneuse, l'Afghanis-
tan, avec des paysages qui res-
semblent un peu à la Suisse... Plus
tard, le berceau bouge vers les ste-
ppes au nord de la mer Noire, dans
l'Ukraine actuelle. Puis, à partir de
la fin du XIXe siècle, les savants alle-
mands nationalistes proposent la
Baltique, la Scandinavie et le nord
de l'Allemagne. Les Anglais conti-
nuent à préférer un berceau asia-
tique, plutôt proche-oriental, et les
Français sont partagés.
Comment l'hypothèse indo-euro-
péenne alimente-t-elle celle d'une
«race aryenne»?Le mot «aryen», uti-
lisé par le nazisme et repris dans la
politique raciale du gouvernement
de Vichy, est un synonyme d'«in-
do-européen». Les textes indiens les
plus anciens, datés de 15oo à 1000
av. J.-C., décrivent les luttes des
forces du bien contre celles du mal:
les premières sont appelées arya et
les secondes, dâsas. Certains
indo-européanistes ont voulu pen-
ser que ces légendes décrivaient des
faits réels, et notamment l'arrivée
des Indo-Européens en Inde.
Y a-t-il des traces archéologiques qui
étayent le mythe? On raisonne sou-
vent de manière circulaire: si on
suppose que les Indo-Européens
viennent des steppes d'Ukraine, dès
qu'on fait des trouvailles dans cette
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région, on va dire: «Voilà, ce sont les
Indo-Européens»...
Si l'on écarte l'hypothèse indo-euro-
péenne, comment expliquer les res-
semblances des langues? Ces ressem-
blances sont plus complexes - et
beaucoup moins nombreuses -
qu'on ne veut bien le dire. On peut
les expliquer avec un modèle en
réseau, par des contacts entre popu-
lations, plutôt que sur la base d'un
arbre généalogique qui partirait
d'un point unique. Malheureuse-
ment, les modèles complexes se
vendent plus difficilement que les
explications simples.
* Uni Dufour, salle U600, à 18h30
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