Article du Prof. Milad Zarin dans Le Temps du 19.12.2012: La crise de la zone euro et le r le des statistique s

Date: 19.12.2012
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L'invité
La crise de la zone euro et le rôle des statistiques
Milad Zarin*
Depuis l'éclatement de la crise des dettes
souveraines, les responsables de l'Union euro-
péenne (UE) savent que, pour assurer la péren-
nité de la monnaie unique, ils doivent impérati-
vement améliorer les mécanismes de contrôle,
de prévention et de correction des déséquili-
bres des finances publiques. Ce suivi ne peut
être efficace que si l'autorité de contrôle dispose
de données fiables, établies de manière impar-
tiale sur la base des définitions et des méthodes
prescrites par l'Union. Or, l'expérience de la
zone euro, notamment dans le cas de la Grèce, a
révélé au grand jour les failles des statistiques
européennes, en particulier celles servant au
Ici aussi, la responsabilité
du dysfonctionnement
doit être attribuée à la fois
aux pays incriminés
et aux structures de l'UE
monitoring des budgets nationaux. Désormais,
il serait téméraire de continuer avec le même
système décentralisé pratiqué jusqu'ici, consis-
tant à confier aux pays membres le soin d'éla-
borer eux-mêmes, avec une grande autonomie,
des statistiques nationales pour le compte de
l'organisme européen de statistiques (Eurostat).
Rappelons qu'au moment de création de la
monnaie unique en 1999, l'adhésion de la Grèce
à la zone euro avait été retardée pour cause de
non-conformité aux critères de Maastricht, en
particulier celui exigeant un déficit public en
deçà de 3% du PIB. Finalement, le pays a pu se
joindre au club en 2001, ayant formellement
rempli les conditions sur la base de données
fournies à l'Eurostat et agréées par cet orga-
nisme. Ce revirement aussi vertueux que specta-
culaire, qui plus est dans un temps record, de la
part d'un pays peu habitué jusque-là au statut
de bon élève en matière de discipline budgé-
taire, aurait dû déjà attirer des soupçons. Il a
fallu attendre jusqu'en 2004 pour découvrir
que les statistiques relatives au déficit de l'Etat
et à la dette publique avaient été sciemment
faussées, en particulier le ratio du déficit au PIB,
qui se situait en réalité bien au-delà du seuil
limite de 3%. Par la suite, l'absence de sanctions
infligées au pays ayant ainsi triché et le carac-
tère insignifiant des mesures prises par l'Euros-
tat pour renforcer les mécanismes de contrôle
de qualité ont nui irrémédiablement à la crédi-
bilité des statistiques helléniques. Il va sans dire
que la crise de la dette grecque qui secoue
depuis 2009 toute la zone euro et au-delà a été
aggravée par la perte de confiance - hélas tar-
dive - des marchés financiers dans les indica-
teurs économiques de ce pays. A noter que les
agences de notation, censées s'interroger avant
les autres sur la qualité des données, ont leur
part de responsabilité dans cette affaire.
Comme pour l'ensemble de la crise de la
zone euro, ici aussi, la responsabilité du dys-
fonctionnement doit être attribuée à la fois aux
pays incriminés et aux structures de l'UE. Sur le
plan grec, les défaillances ont été nombreuses,
en particulier l'usage des méthodes comptables
et techniques statistiques inappropriées ainsi
que le manque de ressources et de compétences
au sein de l'organisme officiel chargé de l'élabo-
ration des statistiques. A cela s'ajoute toutefois
un élément plus grave, à savoir la manipulation
délibérée des chiffres suite à des pressions
politiques. Citons comme exemple la pratique
comptable liée aux transferts (subventions)
issus de VUE consistant à enregistrer ces som-
mes importantes comme des recettes publiques
au moment de leur réception mais comme des
opérations financières lors de leur utilisation.
Etant donné que, techniquement, ces dernières
n'entrent pas dans la définition de dépenses
publiques, il en résulte une sous-estimation du
déficit budgétaire. D'autres procédés compta-
bles douteux ont également été identifiés tels
que le recours aux comptes extrabudgétaires
pour les entités publiques déficitaires ou le
non-enregistrement de certaines dépenses
militaires pour des raisons de secret de défense.
Sur le plan européen, le problème réside
essentiellement dans le fait que le système
statistique sur lequel reposent les contrôles
relatifs à la gestion des budgets publics des
membres est basé sur le principe dit de subsi-
diarité. Selon ce principe, appliqué par l'UE
dans d'autres domaines également , une fonc-
tion n'est exercée par le niveau supranational
* Professeur
d'économie
politique
à l'Université
de Neuchâtel
Date: 19.12.2012
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que si elle ne peut pas l'être de manière satis-
faisante au niveau national. Ainsi, les statisti-
ques sont élaborées à la base de manière auto-
nome par les pays membres, selon les normes
fixées au niveau européen. Or ce principe
s'appuie sur celui de la bonne foi, une condi-
tion qui est loin d'être réalisée lorsque le pays
est directement intéressé par les chiffres élabo-
rés. D'autant plus que, dans certains pays, les
institutions productrices de statistiques offi-
cielles ne sont pas totalement autonomes par
rapport au gouvernement et peuvent faire
l'objet de pressions politiques. Imaginons un
instant que, dans notre système fédéraliste en
Suisse, on laisse aux cantons la responsabilité
d'élaboration des indicateurs tels que le revenu
cantonal, qui seraient ensuite utilisés par la
Confédération pour déterminer les montants à
recevoir ou à verser dans le cadre de la péré-
quation financière.
Ce qui est arrivé à la Grèce peut théorique-
ment arriver dans d'autres pays membres. Il est
donc primordial de remédier à la situation en
agissant à deux niveaux. Au niveau des pays
membres, la mesure la plus urgente serait de
conférer une autonomie de jure - via la Consti-
tution- et de facto à l'institution chargée d'éla-
borer les statistiques officielles. A plus long
terme, on pourrait créer une autorité compé-
tente, indépendante du gouvernement, capable
d'analyser en toute impartialité les indicateurs
économiques du pays. Au niveau de l'UE, il faut
sérieusement revoir le champ d'application du
principe de subsidiarité, en plaçant par exem-
ple des observateurs d'Eurostat au sein des
organismes statistiques des pays membres. A
plus long terme, il va falloir aller au-delà des
critères de Maastricht, en basant les mécanis-
mes de contrôle sur un véritable tableau de
bord d'indicateurs plus économiques que
comptables. Enfin, last but not least, il faut
prévoir et appliquer des sanctions sévères en
cas de manipulation frauduleuse des statisti-
ques officielles.
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