Résumé de la pièce.
On ne dort plus, on ne travaille plus, on mange à des heures impossibles. Rien
ne va plus sur le domaine depuis que le «Herr Professeur», intellectuel à
la retraite, et sa belle et paresseuse épouse Éléna s’y sont installés.
Vania n’a plus goût à rien et tourne désespérément autour d’Éléna à la pour-
suite de sa jeunesse perdue. Sonia, autrefois si travailleuse, perd le sens de
la réalité de se trouver si peu désirable. Le docteur Astrov lui-même, pourtant
si lucide, semble ensorcelé. On en crève de ne pas avoir vécu, de ne plus vivre,
d’avoir trop travaillé, alors on passe la journée à boire, on en rit, on en pleure,
on en danse, on en chante. Tout cela est malsain… Il fait une chaleur infernale.
On étouffe. L’étau se resserre. L’orage va éclater.
Directions de travail.
Se saisir de l’œuvre de Tchekhov comme d’un matériau vivant, tout en respec-
tant infiniment le texte de l’auteur. Voir en quoi il nous parle aujourd’hui, ici et
maintenant. Plonger au cœur de l’extrême tension qui relie les protagonistes
principaux de cette douloureuse histoire de famille. En tirer la quintessence
dans toute sa violence, sa puissance, mais aussi dans son absurde drôlerie :
voilà comment nous avons travaillé jusqu’à faire surgir notre Vania, une tragi-
comédie éternellement moderne.
Mise en scène.
Entretien avec Philippe Nicaud, metteur en scène et porteur du projet
Pourquoi avoir recentré Oncle Vania sur les 5 personnages principaux ?
À l’origine, Oncle Vania comporte 9 personnages. Les 4 personnages secon-
daires que j’ai supprimés sont souvent là pour tempérer la violence des
émotions et accentuer cet effet de temps qui passe. J’ai voulu aller au cœur de
cette tension familiale insoutenable, tirer de ce texte toute sa nervosité, toute
son intensité. Des répliques ont été supprimées, d’autres prises en charge par
les personnages principaux, mais j’ai fait très attention de respecter le texte
de Tchekhov. Je trouve souvent les traductions des pièces de Tchekhov un
peu littéraires. J’ai donc beaucoup travaillé à partir du texte original en russe
avec l’une des comédiennes qui parle la langue. Et au cours des répétitions,
lorsqu’une réplique posait question, nous sommes toujours revenus au texte
en russe pour tenter d’en tirer le sens d’origine et nous l’approprier.
Pourquoi avoir monté Oncle Vania ?
Ce qui m’a intéressé, c’est la fulgurance des sentiments, la rage d’avoir gâché
sa vie, la déception, les injustices, le refus d’une autorité qu’on estime usurpée,
la peur de la vieillesse, de la mort et de l’amour. L’amour déraisonnable,
incontrôlable, amer. J’ai ressenti dans ce chaos le besoin irrépressible de liberté
qui est en chacun de nous.
Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ?
J’ai commencé les répétitions en leur disant : « pas de samovar dans ma mise
en scène ». Je leur ai demandé une tension permanente, une attention à leur
propre gouffre, à chaque mot, à chaque inflexion et sur cette «border line»,
laisser les mots s’échapper, les blesser, les élever et les porter vers un sens
caché. De ce vertige, devenir le personnage sans chercher à le jouer. Et si Vania
apparaît parfois avec un nez rouge, c’est parce que son désir impulsif ne peut
s’exprimer que derrière un masque. C’est un clown tellement pathétique qu’il
en devient drôle.
Les comédiens sont sur scène pendant tout le spectacle. Pourquoi ?
La scénographie est organisée selon 4 espaces : le salon au centre où se passe
la majorité de l’action, le bureau de Vania à jardin, la chambre/bureau de
Sérébriakov en fond de scène et l’atelier du docteur à cour. Il m’est apparu
que la façon la plus efficace de recréer cette atmosphère familiale étouffante,
c’était que tous les personnages, et donc les acteurs, soient présents à chaque
instant, et cela dès l’entrée des spectateurs. J’aime cette ambiguïté : est-ce que
les acteurs sont déjà les personnages, ou est-ce qu’ils sont encore des acteurs
qui vont bientôt vivre une histoire avec le public ? Et au cours du spectacle,
les personnages, même s’ils ne participent pas à la scène en cours, continuent
de vivre. Le spectateur a ainsi le choix de porter son regard où il le souhaite
et a l’impression d’être dans la maison avec eux.
Le son et la lumière participent aussi à cette « vérité du moment »…
Oui, j’ai évité le plus possible les effets de mise en scène artificiels : la musique
est produite uniquement par les comédiens (Astrov joue de la guitare et chante
en direct) ou par un lecteur de CD qui se trouve dans la maison et que les
personnages décident de mettre en marche ou pas. Les lumières sont elles
aussi essentiellement diégétiques : les personnages allument des lampes,
un plafonnier… Les projecteurs ne servent qu’à renforcer ces lumières
«naturelles». J’ai aussi utilisé le son et l’odeur d’une cafetière qui fonctionne
réellement sur le plateau. Ce spectacle est un véritable moment de vie que l’on
partage tous, acteurs et spectateurs, dans un même lieu.
« Donnez-vous la splendeur ,
au moins une fois dans votre vie,
d’être amoureux d’un ondin quelconque,
et piquez une tête dans le torrent de la liberté ! »