5 - L’autodestruction et la vitalité
Dans le monde d"Oncle Vania", on s’autodétruit. Par l’alcool, par l’amour, par l’ennui, par la
maladie, les personnages entament et compromettent leur capital de vie.
Mais, et c’est cela qui captive et émeut, ils ne se résignent pas pour autant et leurs rêves
amoureux, écologiques ou littéraires les animent, les bouleversent et offrent une scène pas-
sionnelle, un théâtre, à leurs vies.
Faire, jouer, malgré tout, en boitant, en bégayant !
Ils veulent encore vivre et avancer. Et, s’ils sont plus vieux que leurs personnages, c’est qu’ils
font un théâtre de fortune en aménageant les restes : un corps usé et des rêves intacts et
incandescents.
C’est également au nom de cette vitalité rafistolée que nous n’oublierons pas l’humour.
Tchekhov voulait que l’on rie aussi de leurs ridicules, parfois dérisoires et grotesques.
Coincé entre sa volonté de vie saine et son alcoolisme, prisonnier de son voeu de culture et
de son isolement, ballotté entre son désir d’aimer, d’être aimé et son rejet des autres, le per-
sonnage tchékhovien, comme l’homme d’aujourd’hui, s’épuise, au centre de ses contradic-
tions.
6 - Les deux origines et les deux langues
La pièce met également en jeu une relation entre la ville et la campagne, illustrée par deux
groupes de personnages : d’un côté les citadins (le professeur et sa femme, Elena) et de l’au-
tre, les gens de la terre (Vania, Sonia, Marina, Téléguine et la vieille Maria). Ces deux origines
se sont côtoyées à l’occasion du premier mariage du professeur et doivent aujourd’hui coha-
biter.
Le Pays Basque, notre lieu d’implantation, connaît bien ce dialogue-là à travers la coexisten-
ce, sur un même terrain, de deux cultures et de deux langues, le basque (langue d’origine
essentiellement rurale) et le français. C’est là un aspect que nous souhaitons souligner nette-
ment, en utilisant les deux langues dans le spectacle. Les natifs parleront basque lorsqu’ils sont
entre eux et français lorsqu’ils s’adressent aux citadins. Elena, elle, ne parle ni n’entend un mot
de la langue du pays, alors que le professeur ne connaît que les quelques mots qu’il a appris
du temps de son premier mariage. Reste le docteur Astrov, sorte d’entre-deux. Ayant un passé
citadin et exerçant, depuis plusieurs années, la médecine dans cette campagne, il alterne les
deux langues, selon les circonstances.
Des sur titrages projetés durant la représentation traduiront les passages basques en français
et les passages français en basque.
8 - La Croix-Rouge et l’Armée du Salut
Les costumes, s’ils témoignent d’un ancien souci de soin (ici, une montre, là, un bijou, des lunet-
tes de soleil...) évoquent Emmaüs, la Croix-Rouge, le Secours Catholique et le raccommoda-
ge.
Certains, ceux du professeur Sérébriakov ou de la vieille Maria Vassilievna, paraissent le fait d’o-
riginaux théâtraux.
Dans leur ensemble, ils sont actuels et sans mode.
Une musique, composée pour l’occasion, rappelle les petites fanfares du coin des rues de
l’Armée du Salut et accompagne les cantiques basques qu’entonne, par moments, le choeur
des personnages, recomposant ainsi une choralité d’espèce et une commune aspiration
naïve à un monde meilleur. Religiosité primitive, à l’image de la dernière tirade de Sonia,
comme une enluminure sur un papier froissé.
Jean-Marie Broucaret.
Juin 2010.