Éléments pour une « topographie » du concept de santé Article original André-Pierre Contandriopoulos Université de Montréal Résumé : Alors qu'il existe un large accord sur le fait que les représentations de la santé et de ses déterminants sont à la base de la conception de ce que devrait être le système de soins, des attentes de la population à son égard et du rôle que devrait jouer l'État dans le domaine de la santé, nous constatons que très peu de travaux s'intéressent à ce qu'est la santé. Partant de l'idée que la santé et la maladie sont des concepts indissociables sans pour autant êtres les inverses l'un de l'autre, nous proposons une « topographie » du concept de santé en explorant ses dimensions ontologique, épistémologique, méthodologique et téléologique. La santé, vérité de la vie, apparaît comme une qualité fondamentale de l'être humain qui s'exprime dans chacune des quatre dimensions (biologique, sociale, psychique, rationalité) définissant tout être humain. Les connaissances à mobiliser pour rendre compte dans sa complexité du concept santé – maladie doivent provenir d'un dialogue à organiser entre les sciences de la vie, les sciences sociales et les sciences du comportement. L'avancement des connaissances dans ce domaine repose sur la mobilisation des méthodes scientifiques les plus pertinentes dans chacun des grands champs disciplinaires (spécialisation méthodologique disciplinaire) et en même temps sur l'intégration des résultats spécialisés dans un schéma interprétatif interdisciplinaire qui reste très largement à construire. Plus les connaissances sur la santé et ce qui l'affecte s'affineront, plus il deviendra possible de proposer des politiques de santé efficaces et légitimes. Mots clés:Santé, maladie, déterminants de la santé, politiques de santé. L es représentations de la vie, de la mort, de la douleur, autrement dit de la santé, et la compréhension des déterminants de la santé et de la maladie sont à la base de la conception de ce que devrait être le système de soins, des attentes de la population à son égard, du rôle que devrait jouer l'État dans le domaine de la santé et des responsabilités des individus (Beck, 1986). Elles ont évolué au cours du temps en fonction, entre autres, du développement des connaissances (Canguilhem, 1966 ; Foucault, 1963 ; Evans et al., 1996 ; Evans, 2002 ; Glouberman, 2001 ; Goldberg et al., 2003), des techniques et aussi d'une certaine manière des besoins liés aux changements démographiques. Pour trouver les pistes qui permettront aux sociétés développées de surmonter la crise qui frappe leur système de soins 1 (Contandriopoulos, 2000, 2003; Blais 2003; Beck 1986) et de faire de la santé la véritable priorité du gouvernement, il devient nécessaire de réfléchir sur les concepts de santé et de maladie ainsi que sur leurs relations. Les travaux scientifiques récents sur les facteurs qui affectent la santé des populations montrent que les facteurs, les situations, les contextes Ruptures, revue transdisciplinaire en santé, vol. 11, n° 1, 2006, pp. 86-99. Éléments pour une « topographie » du concept de santé 87 qui sont porteurs de santé, c'est-à-dire qui accroissent « la possibilité pour le vivant de s'accomplir » (Foucault, 1997), mobilisent des mécanismes qui ne sont pas de même nature que ceux qui sont à l'œuvre quand il s'agit de diagnostiquer, de traiter, voire de prévenir des maladies spécifiques (Evans et al.,1996 ; Forum national sur la santé, 1997 ; Drulhe, 1997). D'un côté, quand on veut agir sur la santé en tant que capacité à vivre bien et longtemps, les interventions ciblent l'environnement dans lequel interagissent les individus, aussi bien l'environnement physique (milieu de travail, conditions de logement, salubrité, pollution, etc.) que l'environnement économique et social (pauvreté, chômage, isolement, exclusion, etc.), ou encore l'environnement culturel (droit de la personne, éducation, accès à l'information et aux connaissances, etc.). D'un autre côté, quand on veut agir sur la santé en réduisant l'incidence, la durée, l'intensité ou les conséquences des maladies spécifiques dont souffrent les individus, les interventions visent le fonctionnement biologique et psychique des êtres humains et leurs comportements. Il s'agit, dans ce cas, de modifier le cours des différents processus biologiques et psychiques affectés par la maladie. l'autre. Les concepts de santé et maladie sont indissociables, mais la maladie n'est pas pour autant l'inverse de la santé (Canguilhem, 1966). Si certaines populations vivent plus longtemps que d'autres, cela ne signifie pas nécessairement que les membres de ces populations sont moins malades. Les Japonaises ne sont pas moins malades que les Françaises ou les Québécoises, les femmes des pays riches qui vivent en moyenne plus longtemps que les hommes ne sont pas, elles non plus, moins malades ! (Contandriopoulos, 1999). « Être en bonne santé, c'est pouvoir tomber malade et s'en relever, c'est un luxe biologique. » (Canguilhem, 1966 :132). La santé ne peut être appréhendée par l'image d'un continuum allant, sans interruption et sans rupture, d'un état complet de bien-être jusqu'à la mort, en passant par toutes les formes possibles de maladie et d'incapacités. Et pourtant, cette représentation paraît implicite dans la plupart des discours sur la prévention (figure 1). La maladie et la santé sont conçues comme des concepts à ce point complémentaires que toute politique qui réduit l'espace de la maladie semble augmenter automatiquement celui de la santé. Cette idée, séduisante par sa simplicité, est pourtant fausse 2. On conçoit bien que si les phénomènes de maladie et de santé ne sont pas indépendants, ils ne sont pas pour autant réductibles l'un à Toutes les observations disponibles montrent qu'à l'échelle d'une population et sur un horizon temporel assez long, plus la prévention au sens Figure 1 : Maladies et santé sont complémentaires 88 André-Pierre Contandriopoulos large réussit, c'est-à-dire plus l'espérance de vie augmente, plus les chances d'être malade croissent aussi. L'expérience des pays développés au cours du XXe siècle apparaît à cet égard, éloquente. On observe simultanément que l'espérance de vie a augmenté comme jamais auparavant, trente ans de gain depuis la fin du XIXe siècle, (en moyenne, deux ans tous les dix ans depuis la deuxième guerre mondiale) et que la morbidité a, elle aussi, connu un essor extraordinaire en même temps qu'un changement de nature. Les maladies infectieuses sont progressivement remplacées par les maladies systémiques de la vieillesse (transition épidémiologique) (Freis 1989 ; Légaré 2003 ; Meslé et Valin, 1992). La question de ce « qu'est » la santé reste donc entière. Pour Canguilhem (1990), on peut se sentir bien, mais on ne peut jamais savoir que l'on est bien portant. La santé n'est pas un concept scientifique alors que la maladie l'est. Les connaissances scientifiques sur la maladie révèlent peu de choses sur l'essence de la santé. «La santé, vérité du corps, ne relève pas d'une explication par théorèmes» (Canguilhem 1990, p. 20). La santé pose des questions d'ordre philosophique, « des questions où celui qui questionne est lui-même mis en cause par la question» (Canguilhem 1990, p. 36). La santé est silencieuse, alors que la maladie est bruyante, bavarde, mesurable, comptabilisable. « La santé c'est la vie dans le silence des organes, c'est aussi la vie dans la discrétion des rapports sociaux» (Canguilhem 1990, p. 28), ou encore, comme le dit un proverbe oriental : « La santé est une couronne sur la tête des biens portants que seuls voient les malades ». Pour couper court à une discussion, il suffit de répondre à la traditionnelle question : « comment ça va ? », par « très bien, je me sens en grande forme »... il n'y a rien à ajouter ! Au niveau collectif, la santé constitue simultanément une ressource et un résultat. Le «Haut Comité de la Santé Publique» de la France écrit 3 : « La santé de la population est par nature une ressource nécessaire – sinon suffisante – au fonctionnement et au développement de toute société» (p. 9) « Fondamentalement [la santé] est à la fois un processus individuel qui s'enracine dans le secret de nos gènes et de nos comportements les plus intimes, une représentation sociale et un «obscur objet de désir » dont l'appréhension [...] dépend en réalité de l'angle sous lequel on l'examine, à tel point que la santé d'une population ne semble faite que de paradoxes» (p. 10) Dans les domaines de la santé publique, de la promotion de la santé, des déterminants de la santé, de l'épidémiologie et de la médecine en général, il existe peu de travaux et de réflexions sur la santé. Dans le livre Être ou ne pas être en santé, R. Evans et ses collègues (1996) ne disent presque rien sur le concept de santé, la question étant réglée dès la première note de l'introduction: « Les travaux présentés dans cet ouvrage se fondent sur une idée particulière de la « santé » qu'il faut préciser dès le départ. La plupart du temps, nous prenons pour acquis que la santé c'est l'absence d'incapacité ou de maladie. En d'autres termes, quelqu'un qui ne se sent pas malade [...], qui n'est atteint d'aucune pathologie médicalement définie [...], et qui n'est pas blessé [...], est en «bonne santé». Les individus réagissent tous très différemment en termes de capacité fonctionnelle tant aux «maladies ressenties » qu'aux maladies « diagnostiquées » ; quand on parle de santé, c'est de cette capacité de fonctionner combinée à l'absence de maladie cliniquement définie dont il est implicitement question. Il existe bien sûr, d'autres conceptions de la santé. Aujourd'hui, il est à peu près admis que la définition très large de l'OMS « un état de bien-être complet » est d'une faible utilité opérationnelle. Selon cette définition, la «santé» c'est tout, donc rien de particulier. Mais on voit apparaître aujourd'hui dans divers milieux des réflexions nouvelles intéressantes qui peuvent conduire à des acceptations différentes de la santé » (Evans, et al. 1996 : 14). Ces réflexions nouvelles sur ce qu'est la santé, l'objet même des travaux et des interventions des personnes qui travaillent dans le grand domaine de la santé publique, nous semblent essentielles pour participer activement et de façon pertinente, aux débats actuels sur le rôle de l'État dans le domaine de la santé, sur l'élaboration des politiques de santé, sur l'évaluation des interventions. Nous pensons que, pour faciliter cette réflexion, il est utile d'explorer les différentes dimensions du concept de santé en décrivant brièvement ses dimensions ontologique, épistémologique, méthodologique et téléologique. En d'autres mots, il importe de tenter d'en dresser « la topographie ». Éléments pour une « topographie » du concept de santé 89 Dimension ontologique Il est intéressant avec Canguilhem (1990, 1992) de remarquer que le mot santé est très peu présent dans les dictionnaires médicaux ; quand il y figure, il renvoie soit à la définition très générale de l'OMS 4, soit à santé publique. Mais, dans ce dernier cas, autrement dit « à partir du moment où santé a été dit de l'homme en tant que participant à une communauté sociale ou professionnelle, son sens existentiel a été occulté par les exigences d'une comptabilité... Ce qui est public, publié, c'est très souvent la maladie » (Canguilhem 1992 : 12-14). Pour progresser dans la compréhension de ce qu'est la santé, deux avenues sont souvent prises. La première consiste à retracer dans l'histoire comment le concept de santé a été utilisé et quelles en sont les sources étymologiques (Bernadis, 1992, Houtaud, 1999), et la deuxième est d'analyser comment il est traité dans les différentes disciplines universitaires 5 et par les philosophes (Canguilhem, 1966, 1990, 1992) Figure 2 : La santé : qualité fondamentale de l’être humain. La santé, vérité de la vie (Canguilhem, 1992), est une qualité fondamentale de l'être humain. Si l'on admet que tout être humain est simultanément et de façon indissociable 6 (figure 2) : • un être biologique, vivant, dynamique, unique ; • un être social en interaction permanente avec d'autres êtres humains, situé dans le temps et l'espace, dépendant de son environnement et agissant sur lui ; • un être d'émotions, de sensations, de désirs, d'intentions, un être spirituel ; • un être de connaissance, de rationalité, de réflexions ; alors, la santé s'exprimera dans chacune de ces quatre dimensions. Elle peut, de plus, s'appréhender à partir de l'unicité de chaque personne ou encore de la masse des individus d'une population. Le passage de la santé des individus à la santé de la population pose un problème fondamental. 90 André-Pierre Contandriopoulos Le problème ne comporte pas seulement un aspect technique – comment agréger des indicateurs reflétant les différentes dimensions du concept de santé ? – mais aussi une réflexion éthique, – comment incorporer dans le concept de santé de la population la question des disparités de santé et celle de l'équité par rapport aux soins et à la santé ? Cette question est discutée plus loin lors de l'analyse de la dimension téléologique du concept de santé. être appelé le concept « santé-maladie » (Kleinman, 1986, Almeida 2006). Ce concept ne se limite pas à la dimension biologique de l'être humain, il exprime aussi sa présence dans ses autres dimensions. La santé biologique est celle qui, selon Leriche, se manifeste par « la vie dans le silence des organes... La maladie, c'est ce qui gêne les hommes dans l'exercice normal de leur vie... et surtout ce qui les fait souffrir» 7. Pour Canguilhem (1966), la santé correspond à la normativité positive de la vie, « la physiologie est la « science des allures stabilisées de la vie » ». Les maladies, conçues comme des dérèglements des fonctions biologiques, constituent les manifestations négatives de la santé, elles déstabilisent la vie. La vie et ses dérèglements peuvent s'exprimer à travers différentes sphères de fonctionnement de l'être vivant:les organes, les tissus, les cellules, les molécules, les gènes, qu'explorent de façon de plus en plus poussée et précise les sciences de la vie. Mais l'être humain vivant forme un tout qui ne peut se réduire au bon fonctionnement de chacun de ses éléments. Tous ces niveaux d'analyse restent interdépendants. « La santé, vérité du corps, ne relève pas d'une explication par théorèmes. Il n'y a pas de santé d'un mécanisme... Pour une machine, l'état de marche n'est pas la santé, le dérèglement n'est pas une maladie... il n'y a pas de mort de la machine » Canguilhem (1992 : 11) Elle s'exprime par la capacité pour le vivant de s'épanouir, d'éviter de tomber malade. Tout ce qui entraîne une «usure prématurée de la vie» constitue une atteinte à la santé. La santé est une ressource partiellement dépendante de l'environnement et partiellement transmise génétiquement (tout en admettant que le bagage génétique demeure lui-même dépendant de l'environnement). Cette ressource que constitue la santé est mobilisée pour répondre aux exigences du milieu. « La santé est un ensemble de sécurités et d'assurances. [...] Sécurité dans le présent et assurance dans l'avenir 9» «La mauvaise santé, c'est la restriction des marges de sécurité organique, la limitation du pouvoir de tolérance et de compensation des agressions de l'environnement » (Canguilhem 1990, p. 20). Le « silence des organes » ne suffit probablement plus aujourd'hui pour parler de santé, il faudrait aussi parler du silence des tissus, des cellules, des molécules, des gènes,... Autrement dit, il faudrait pouvoir discerner le silence que constitue la santé, derrière le bruissement de la vie amplifié par les technologies de la médecine moderne. Mais la connaissance du bruit peut-elle aider à connaître le silence ? La connaissance des maladies ne peut, au mieux, que fournir un éclairage partiel sur ce qu'est la santé. Mais la santé ne peut se concevoir sans référence à la maladie 8, les concepts de maladie et de santé ne sont pas indépendants, ils constituent dans leurs relations ce qui peut La santé sociale est essentiellement associée à l'adaptation de l'homme aux environnements physiques, sociaux, symboliques dans lesquels il est situé. La santé en tant qu'adaptation de la vie à son environnement s'exprime alors par la durée et la qualité de la vie. Elle devient au niveau collectif objet de calculs et d'interventions. Elle est l'enjeu du biopouvoir, source de légitimité pour l'État (Foucault, 1997). La santé psychique se manifeste par les sentiments de plénitude, de bonheur, de bienêtre. Elle se révèle constamment dynamique dans le sens où ces sentiments se montrent fuyants ou la quête de ces derniers n'est jamais achevée. Ils représentent la raison d'être de la vie. « Le désir est la condition même de l'être. Toutes les informations qui entrent dans le cerveau par les organes des sens (tact, vision, etc.) sont prises en charge par ces systèmes désirants ou affectifs. S'il n'y a pas de désir, l'animal n'est plus qu'une statue de sel. C'est par ces systèmes désirants que se créent l'attachement, l'amitié, voire la société » (Vincent, 2002). La santé repose sur la capacité réflexive de l'être humain. L'objectivation, ou de façon plus Éléments pour une « topographie » du concept de santé 91 générale, la connaissance des trois domaines d'existence de la santé que nous venons d'explorer, est elle même dépendante de la capacité réflexive de l'être humain, autrement dit de sa capacité à acquérir de la connaissance sur lui-même et sur les formes d'organisation sociale qui lui permettent d'exister en tant qu'individu et en tant qu'espèce (Morin, 2004). «Pour l'homme, vivre c'est aussi connaître. Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l'existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi, mais qui ne seraient pas ce qu'ils sont sans elles. » Canguilhem, (1992:15). Le sens que les différents acteurs concernés (les patients, les professionnels, la société) donnent à la vie, à la mort, à la douleur, à la maladie... et le niveau d'analyse considéré (l'individu, le groupe, la population...) constituent le système symbolique qui permet de penser la santé dans ses différentes dimensions et donc d'agir sur elle. « Il n'y a pas de connaissance neutre ni d'action neutre. Quand nos systèmes de représentation se construisent dans le cerveau, sous forme de réseaux neuronaux, ils se bâtissent sur un fond d'affects » (Vincent, 2002). Figure 3 : Le concept de santé Les représentations de la santé et de la maladie dépendent de la position occupée dans la société et en particulier de la relation qu'une personne a avec le champ médical. On distingue de façon classique, dans la dimension biologique du concept santé–maladie, la maladie diagnostiquée ou « diagnosticable 10 » (disease) qui correspond à la représentation professionnelle, la maladie ressentie (illness) qui est la représentation profane, et la maladie en tant que phénomène social (sickness) qui est celle de ceux qui sont préoccupés par la prise en charge socioculturelle de la maladie (Kleinman, 1980 ; Benoist, 1995). Les quatre dimensions de la santé représentées sur la figure 3 sont interdépendantes, mais il n'existe pas de commun dénominateur entre elles. Elles interagissent en permanence et restent constamment en tension. Le concept santé-maladie apparaît ainsi comme un concept multidimensionnel. Il aide à comprendre que la maladie professionnelle qui soustrait un travailleur à un environnement de travail stressant contribue positivement à sa santé ou encore que le bonheur constitue simultanément le but 92 André-Pierre Contandriopoulos recherché et un facteur de résistance à l'apparition de la maladie. Elle met en relief que la perception de ce qui constitue une maladie est dépendante des représentations et de la culture 11 (E. Corin,1996) et que les représentations intimes que chacun se fait de la santé et de la maladie sont à l'origine des conduites sociales adoptées pour prévenir la maladie à un moment donné dans un contexte donné. La santé apparaît, dès lors, comme un concept paradoxal, complexe, contextuel. La santé est toujours fuyante, indissociable de la vie de l'être humain et de l'espèce humaine. La santé est un « résultat » tout aussi bien qu'une « ressource ». La santé ne peut être circonscrite par une seule de ses dimensions, elle désigne une exigence incontournable de tout être humain et de tout groupe humain. Elle est simultanément une quête sans fin, et le baromètre de nos succès et de nos échecs individuels et collectifs. Le concept de santé est à la fois normatif (Canguilhem, 1966 ; Arweiler, 2002), en ce sens qu'il établit le but à atteindre, et en même temps descriptif, dans Figure 4 : Perspectives disciplinaires et santé la mesure où il permet d'apprécier et de comparer différentes situations 12. Dimension épistémologique Pour comprendre ce que sont les déterminants de la santé-maladie des individus et des populations, il faut explorer les dimensions biologiques, sociales et psychiques de l'être humain. Chacune de ces dimensions constitue un point de vue sur la santé-maladie et sur les facteurs qui l'affectent. Aucune de ces dimensions n'est indépendante des deux autres et, en même temps, aucune n'est suffisante pour résumer ce qu'est la santé et quels en sont les déterminants. La figure 4 illustre cette idée. Chaque dimension de l'être humain est placée sur un axe et les champs de connaissance pertinents à l'analyse de chaque dimension sont indiqués. Éléments pour une « topographie » du concept de santé 93 Les sciences de la vie aident à comprendre la dimension biologique de l'être humain. Elles constituent les fondements sur lesquels s'appuie la médecine pour diagnostiquer, prévenir, traiter, pallier les conséquences néfastes des maladies. La clinique, c'est-à-dire la médecine en action « sans être elle-même une science ... utilise le résultat de toutes les sciences au service des normes de la vie. Cependant, si elle ne peut exister que parce que les hommes se sentent malades, c'est aussi grâce à son existence que ces mêmes hommes peuvent savoir en quoi et de quoi ils sont malades » (Roudinesco, 1998 : 35). Les sciences sociales ont comme objet l'étude de l'homme en société. Elles visent à comprendre comment les individus interagissent dans un espace social structuré. Quatre grandes perspectives peuvent être adoptées pour analyser et comprendre les phénomènes sociaux qui découlent des interactions des acteurs dans un contexte donné : La perspective économique englobe la production, la distribution et la consommation des biens et services. La régulation par les marchés et les prix est au cœur de la perspective économique. La perspective sociologique porte sur les interactions entre les hommes dans leurs milieux sociaux et étudie comment les cadres sociaux de la vie humaine s'organisent et se structurent (G. Rocher, 1992), les interactions entre les agents sociaux étant simultanément structurées par les cadres sociaux et structurantes. La perspective politique concerne l'organisation et l'exercice du pouvoir dans la société. La perspective culturelle reconnaît que la culture (les représentations, les valeurs, le langage) constitue la base de l'organisation sociale et des relations entre les individus. Les sciences du domaine psychique s'intéressent aux phénomènes de la pensée, de l'esprit, de la vie mentale consciente et inconsciente. Trois grandes perspectives s'y distinguent : la psychologie, la linguistique et la psychanalyse. S'il est aujourd'hui très largement reconnu que les dimensions biologiques, sociales et psychiques de l'être humain interagissent au sein de la même personne, on ne comprend pas encore complètement comment le contexte social dans son sens le plus large et dans toute sa complexité agit sur les individus pour améliorer leur santé, c'est-à-dire pour leur permettre de vivre mieux et plus longtemps. On ne sait pas de façon spécifique et précise quelles modifications il faudrait apporter dans l'environnement social pour limiter « l'usure provoquée par les divers aspects des conditions de vie » (Drulhe 1997 : 356). Il revient aux sciences humaines d'apporter des réponses à ces questions en identifiant ce qui, dans l'environnement social, atteint l'individu dans son corps et dans son esprit. Mais, d'une part, ce travail ne peut être confié à une seule des disciplines des sciences humaines ou des sciences cognitives et, d'autre part, il doit être mené en interaction étroite avec des chercheurs des disciplines des sciences de la vie. La capacité à réaliser ce travail interdisciplinaire constitue l'enjeu central de la santé publique en tant que domaine de connaissance. Dimension méthodologique Reconnaître que l'être humain est simultanément et de façon indissociable – biologique, social et psychique – oblige à faire interagir des champs disciplinaires dont les traditions scientifiques et les objets d'études se situent traditionnellement très loin les uns des autres. Leur rapprochement représente un défi fondamental pour l'étude de la santé des populations. L'avancement des connaissances dans ce domaine repose en effet sur la mobilisation des méthodes scientifiques les plus pertinentes dans chacun des grands champs disciplinaires (spécialisation méthodologique disciplinaire) et en même temps sur l'intégration des résultats spécialisés dans un schéma interprétatif interdisciplinaire qui reste très largement à explorer et à construire. La première étape consiste évidemment à reconnaître que l'activité scientifique se montre diversifiée et que des connaissances nouvelles peuvent être obtenues par un vaste éventail de méthodes dont la validité repose sur des fondements épistémologiques différents. 94 André-Pierre Contandriopoulos Dimension téléologique La santé, comme l'a montré Canguilhem, est fondamentalement normative. Il s'agit d'un concept qui donne un sens à l'action. La finalité dictée par la santé diffère cependant fondamentalement selon qu'elle est considérée sous le prisme de l'individu ou de la population. Pour l'individu, la finalité de l'intervention en santé vise à corriger les dérèglements physiologiques pour retrouver un état normal. Les débats portent sur les meilleurs moyens pour y arriver et non sur la finalité. (Les gens veulent être vite et bien soignés quand ils souffrent). Pour la collectivité, c'est l'inverse. Un fort consensus existe sur la nature des problèmes, mais des débats perdurent sur l'état social optimal que les politiques devraient promouvoir. La question de l'équité demeure au cœur de ces débats. La protection ou la promotion de la santé de la population dans son sens le plus large ne peut constituer une responsabilité que la société délègue à une institution particulière : ministère de la Santé ; ou à un groupe particulier : médecins, travailleurs sociaux, groupes communautaires, etc. La santé comporte une responsabilité qui doit être assumée par toute la société. Elle dépend de la capacité de l'État de garantir à tous, de façon équitable, l'accès à l'éducation, aux soins de santé, à la sécurité et à un environnement sain. En ce sens, la santé concerne chacun des citoyens, elle est la raison d'être de l'État moderne. Elle inclut la création et le maintien d'un système de soins efficient qui garantisse un accès équitable à des soins de qualité à toutes les personnes qui souffrent. Bien soigner les gens malades revient à l'État qui doit assumer cette tâche. Sa légitimité, dans ce domaine, repose sur l'importance accordée dans nos sociétés aux droits de la personne humaine et, en particulier, à la protection de l'intégrité de la personne 13, intégrité qui est mise en cause par la maladie et que les services de santé, fondés sur les connaissances biomédicales et le professionnalisme, peuvent restaurer. Mais la responsabilité de l'État à l'égard de la santé ne peut se limiter à la création et au maintien d'un système de soins, aussi performant soit-il. La nature complexe de la santé permet de comprendre que l'État doit simultanément assumer sa responsabilité à l'endroit de la santé de la population en favorisant tout ce qui permet à la vie de se déployer le plus pleinement possible et en même temps veiller à ce que toutes les personnes malades soient bien traitées. Ces deux grandes responsabilités se complètent en ce sens qu'elles agissent sur des dimensions différentes du concept de santé, mais elles ne peuvent se substituer l'une à l'autre. L'articulation de ces deux grandes responsabilités repose sur le bon fonctionnement des institutions démocratiques. La santé publique pourrait jouer un rôle central à cet égard en assumant de façon explicite une responsabilité de surveillance et d'évaluation des conséquences sur la santé des populations, de l'ensemble des politiques économiques, sociales et environnementales de la société. En assumant cette nouvelle fonction, elle obligerait la société à tenir explicitement compte des conséquences sanitaires de ses décisions. La compréhension dans toute sa complexité de la santé des individus et des populations ainsi que des facteurs qui l'affectent devient essentiel à une meilleure orientation des pratiques des acteurs et ce, dans quatre directions : 1. définir et mettre en œuvre une véritable politique de santé et de bien-être, qui soit cohérente avec le fait que le droit à la santé (dans toutes ses dimensions) constitue l'un des droits fondamentaux de la personne ; 2. concevoir des programmes interdisciplinaires de formation qui soient à la hauteur des défis que soulève le concept de santé des populations ; 3. proposer des stratégies d'évaluation des conséquences sanitaires découlant des décisions économiques, sociales, environnementales prises en vue d'améliorer les choix collectifs par des débats reposant sur des informations suffisantes; 4. comprendre que la santé représente aussi une ressource permettant aux politiques économiques, sociales, environnementales de mieux atteindre leurs buts. Éléments pour une « topographie » du concept de santé 95 Plus les connaissances sur la santé et ce qui l'affecte s'affineront, plus il deviendra possible de proposer des politiques efficaces et légitimes. Les politiques fondées sur des connaissances tronquées ne peuvent, au mieux, qu'être imparfaites mais, plus vraisemblablement, elles seront dangereuses parce qu'incapables de discerner leurs limites. ❏ 96 André-Pierre Contandriopoulos Notes 1 – Le vieil adage : « il vaut mieux prévenir que guérir », malgré sa sagesse apparente, n'est pas d'une grande utilité pour les décideurs. 2 –L'affirmation H.L. Mencken « À chaque problème complexe correspond une réponse simple, claire, plausible et fausse » citée par Barer, Evans, Hertzman et Jorhi (1998), s'applique parfaitement à l'idée qu'il suffit de prévenir la maladie pour améliorer la santé. 3 –Haut Comité de la Santé Publique (1994). La santé en France, rapport général. Paris, La Documentation française. 4 –La définition classique de la santé adoptée par les 191 pays membres de l'OMS à la suite de la conférence d'Alma Ata en 1978, est : La santé qui est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité est un droit humain fondamental. 5 –Cette approche a fait l'objet d'une recherche sur la conception de la santé dans les différentes sciences sociales qui a permis de sélectionner les textes fondateurs des réflexions sur cette question. Ils seront publiés dans le livre : Arweiler, D, Contandriopoulos, AP, Bibeau, G, Gomez, M., Le concept de santé : la contribution des sciences sociales. Québec : Presses de l'Université Laval (en préparation). 6 – Pour E Morin (2004), les trois instances qui caractérisent l'être humain « « individu-société-espèce » sont inséparablement liés en trinité. L'individu humain, dans son autonomie même, est en même temps à 100 % biologique et à 100 % culturel. Il est le point d'hologramme qui contient le tout (de l'espèce, de la société) tout en étant irréductiblement singulier. Il porte en lui un héritage génétique et en même temps l'imprinting et la norme d'une culture. Nous ne pouvons isoler les unes des autres, la source biologique, la source individuelle et la source sociale, mais nous pouvons les distinguer » (pp. 13-14). La même idée est présente chez Parson (1978) « Man–though very obviously an organism in the biological sense – is more than an organism. He is a behaving system, a personality, a member of structured social systems, and a participant in cultural systems and patterns of meaning of what is sometimes called «the human condition» (p. 67). 7 –Cité par Roudinesco (1998). 8 –« Bien entendu, la santé est le seul idéal admissible, le seul auquel ce que j'appelle un homme ait le droit d'aspirer; mais quand elle est donnée d'emblée dans un être, elle lui cache la moitié du monde » écrivait Jacques Rivière très peu de temps avant son suicide, à Antonin Artaud (Artaud 1984 : 46). 9 –Canguilhem, G. (1966). Le normal et le pathologique. P.U.F., Paris. (p. 131) 10 –Néologisme utilisé pour indiquer tout ce que la science médicale pourrait diagnostiquer comme maladie en tant que disfonctionnements biologiques et psychiques, si l'ensemble des membres d'une population était soumis à tous les tests diagnostiques disponibles à un moment donné, compte tenu du développement de la science médicale. La maladie diagnostiquée étant forcement un sous-ensemble de la maladie « diagnosticable ». 11 –À titre d'exemple on peut noter qu'il n'y a pas de mots au Japon pour désigner la ménopause (M. Lock, 2002). 12 –C'est à cette dernière définition que fait référence le mandat du Commissaire à la santé et au bien-être du Québec. 13–Idée qui est formellement reprise dans les Chartes des droits et libertés de la personne du Québec. Éléments pour une « topographie » du concept de santé 97 Références Almeida, F.N. (2006). Modèles de la santé et de la maladie : remarques préliminaires pour une théorie générale de la santé. Ruptures, 11 (1). Artaud, A. (1984). Œuvres complètes I. Paris : Gallimard. Arweiler, D, Contandriopoulos, A.P., Bibeau, G, & Gomez, M. Le concept de santé : la contribution des sciences sociales. Québec : Presses de l'Université Laval (en préparation). Arweiller, D. (2002). L'économique face à la santé. Thèse de PhD, Université de Montréal. 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To draw an accurate picture of the complexity of the health-disease concept, interconnected knowledge from biomedical science, social science and behavioral sciences are required. To build up knowledge in this area, we need to combine the scientific methods best suited to each of the related disciplinary fields (specialization of disciplinary methodology) and integrate specialized results in an interdisciplinary and interpretative framework. As knowledge on health and its modifying factors increases, it will become easier to formulate efficient and legitimate healthcare policies. Biographie André-Pierre Contandriopoulos est professeur titulaire au département d'administration de la santé de la faculté de médecine de l'Université de Montréal et chercheur du Groupe de Recherche Interdisciplinaire en Santé (GRIS). Il a un Ph.D. en économie de l'Université de Montréal et il travaille dans le domaine de la santé depuis plus de 30 ans. Au cours de sa carrière, il a assumé à l'université de Montréal de nombreuses tâches administratives (Directeur du département d'administration de la santé, directeur du GRIS, directeur du programme de PhD en Santé Publique...), il a été membre de plusieurs groupes de travail gouvernementaux (le groupe de travail sur la rémunération des professionnels de la santé, le groupe de travail sur le financement du système de soins pour la Commission Rochon, le Forum National sur la Santé, le groupe de travail sur la santé des populations de l'Institut Canadien de Recherche Avancé (ICRA)...), il est membre de la Société Royale du Canada depuis 1996. Ses domaines d'enseignement, de recherche et ses publications portent sur l'organisation et le financement des systèmes de santé, la planification de la main-d'œuvre médicale, l'évaluation des interventions, les déterminants de la santé des populations et les politiques de santé. Il a une longue expérience d'enseignement et de consultant non seulement au Québec et au Canada mais aussi en Europe, en Afrique et en Amérique Latine. Il est l'auteur de plusieurs livres et de nombreux articles scientifiques.