Douleur et souffrance dans les situations de handicap - De l’évaluation à l’accompagnement de la personne… p.1
Journées d’étude APF Formation – Unesco -–21, 22 et 23 janvier 2004
FONDEMENTS PHYSIOLOGIQUES DE LA DOULEUR ET DE LA NOCICEPTION
BERNARD CALVINO
Professeur de Neurophysiologie - CNRS UMR 7637 / ESPCI
Dans une analyse de textes de médecins et de chirurgiens datant du 18ème siècle parlant du
corps et de la douleur, R. REY, historienne des sciences, caractérisait un aspect fondamental mis en
avant par les auteurs de cette époque qu’elle a dénommé «laïcisation de la douleur», dans la mesure
où se dessinait l’idée que collectivement, une société, une culture, un certain contexte politique
contribuent à la définition de la douleur. Ce tournant était à ses yeux la condition nécessaire pour que la
douleur devienne aux yeux des médecins « non seulement le cortège fatal de la maladie que le serment
hippocratique obligeait à soulager, mais un objet à connaître et peut-être même un moyen de mieux
connaître le fonctionnement de l’organisme dans l’état de santé ». La douleur perdait ainsi son statut de
valeur rédemptrice, héritée de la tradition religieuse chrétienne, pour accéder à celui non seulement de
valeur thérapeutique mais aussi de valeur cognitive. Et comme concluait R. REY, « il faudra attendre
longtemps avant que cette approche s’impose définitivement au point de déboucher de manière durable
et institutionnelle sur des recherches portant spécifiquement sur la douleur ».
Et y a-t-il affirmation plus importante aujourd’hui dans ce domaine que celle de la laïcisation de la
douleur, qui permette enfin de la libérer du poids de son empreinte religieuse et de proclamer avec
force comme le font aujourd’hui les spécialistes de la douleur que celle-ci est inutile et que le premier
devoir du médecin est de soulager le patient ? Cette affirmation est particulièrement justifiée dans le
domaine de la douleur chronique : c’est en effet cette douleur qui se prolonge dans le temps parfois
sans cause organique, qui laisse le plus souvent le thérapeute désarmé et pour laquelle l’apport de la
recherche n’en est encore qu’à ses balbutiements.
Dans l’introduction de son « Histoire de la douleur » (Editions La Découverte, 1993), R. REY nous livre
le pourquoi de son intérêt pour la douleur; une phrase, nous dit-elle, hante son esprit, qui souligne
l’urgence « pour l’historien de chercher à comprendre et à reconstruire le long combat des hommes
contre la douleur : tout être vivant, dès sa naissance, recherche le plaisir et s’en réjouit comme
du souverain bien, il déteste la douleur comme le souverain mal et, dans la mesure du possible,
il s’en écarte ». S’attachant à distinguer souffrance et douleur, elle précise que son étude historique
concerne bien la douleur et non la souffrance et met en valeur le caractère particulier de la douleur qui,
dit-elle, « repose sur un socle de données anatomiques et physiologiques et s’il est une expérience où
l’universalité de la condition humaine et l’unité biologique de l’espèce s’affirment, c’est bien dans la
douleur ». Car, poursuit-elle, « la douleur n’a pas un statut clairement défini: entre émotion et sensation,