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L'Hécube d'Euripide et la définition de l'étranger
SCHUBERT, Paul
Abstract
L'Hécube d'Euripide propose, implicitement, une illustration des rapports entre Athènes et -
respectivement - Sparte et la Perse.
SCHUBERT, Paul. L’Hécube d’Euripide et la définition de l’étranger. Quaderni Urbinati di
Cultura Classica, 2000, vol. 64, p. 87-100
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:80724
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1 / 1
L'H
éc
ube d
'E
uripide et la définition de l'é
tr
anger
Paul Sc
hub
ert
In
troduction
L'l-l
éc
ube
d'E
uripide est
un
e
tra
g~
rli
~
at
yp
iqu
e en cc qu'elle com-
porte deux p
ar
ti
es
que l
es
lecte
ur
s mode
rn
es
co
nsirent le plus sou-
ve
nt
comme
di
stinct
es
:
dan
s
un
premier te
mp
s, H
éc
ube, a
pr
ès
la prise
de Troie, se
vo
it
ar
rac
her
sa
fille Polyxène, qui est sacrifiée à la d
e-
mande du fantôme d'Achill
e;
mais
un
second coup du sort s'abat sur
elle, puisque
so
n de
rni
er fils s
ur
viv
ant
, Polydore,
es
t
tu
é
pa
r Polymes-
tor
, roi t
hra
ce
a
upr
ès
duqu
el
Priam
avait envoyé le je
un
e p
rin
ce
1.
D'emblée, le poète chois
it
de brouiller quelque peu les do
nn
ées g
éo
-
gra
ph
iques et ch
ron
olog
iqu
es
. En eff
et
, la
pi
èce se roule en Cherso-
se de
Thra
ce, c'est-à-dire s
ur
la rive nord de
l'H
ellespont, alors que
Troie ainsi que le tombeau d'Achille se situent s
ur
l'
a
utr
e
ri
ve. En ou-
tr
e, la
tr
agédie
s'
ouvre s
ur
un prologue
pr
ononp
ar
le fa
nt
ôme de Po-
lydore: ce de
rni
er est
déj
à
mort
,
mai
s Hécube ne déc
ou
v
rira
so
n se-
cond
malh
eur que dans la seconde p
ar
tie de la pièce. Elle décide alors,
avec l'acquiesceme
nt
d'Agamemnon, de se
ve
nger de Polymesto
r:
elle
l'
atlire dans
sa
te
nt
e et, aidée p
ar
ses compagnes, elle aveugle Poly-
m
es
tor et tue ses e
nf
ant
s.
La
pi
èce
s'
achève s
ur
un
e semi-victoire de la
reine: si
so
n
fo
rf
ait se justifie en partie p
ar
la double pe
rt
e qu'elle vie
nt
de subir, en revanche, elle a rejoint Polymes
tor
dan
s la barbarie de son
geste.
Fin
alement, Polym
es
tor
lan
ce
s
ur
elle d
es
impr
éc
at
ions qui ne
sont
pa
s s
an
s fa
ir
e
éc
ho à la victoire
pr
ov
isoire de Clyte
mn
estre à la fin
de l'Agame
mn
on d'Eschyle 2.
D
ès
]ors,
l'H
écube a do
nn
é lieu à des ten
tat
ives d'
int
er
préta
ti
on
1
Cf.
~
ur
.
Hec. 80:
yî.ve•oL
ÔLJtÀoiJv
1:0
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1:Qoyq>ôtoç,
n:ii
JlÈV
Il
oÀu~Évl']v
O
Ô'UQO
fl
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Vl']
Ç ,;i'jç
'ExéL~
'Y]ç,
n:
i'j
ôè
fl
oÀvô
wg
ov.
2
Stu·
le lien entre l'J fécube d'Euripide ct l'Agamemnon d'Eschyle,
cf.
C.
Segal,
'Violence and the Othe
r:
Greek, Female, and Barbarian
in
Euripides'
Il
ecuba', Trans.
A
m..
Philo!. A
ss.
120, 1990, pp. 109-131, en particul
ie
r
p.
129.
88
P.
Schubert
multiples et pa
rf
ois
co
ntradictoir
es
3.
La
st
ructure bipartite de
la
pièce
ai
nsi que le caractère des divers perso
nna
ges
co
mportent en effet
d
es
ambiguït
és
qu
'
il
est difficile d'é
lu
c
id
er
. Les réüexions qui suive
nt
ne résoudront certes
pa
s de manière définiti
ve
la question de la
co
h
é-
rence de la piè
ce
.
fl
s'ag
ir
a plulôt de montTer que l
es
appar
entes con-
tradic
ti
ons d
es
personnages et de l'i
ntTi
gue reflètent une intenogation
s
ur
certaines
Yaleu
rs fondamentales de l'identité des Athéniens au mo-
ment la
pi
èce fut rnise en scène. Les sché
ma
s d'oppositions binair
es
so
nt
remplacés
par
des réseaux triangulaires, dans lesquels la p
os
ition
relati
ve
de cha
qu
e
part
ie en cause varie au gré de la pièce. Ces fluctua-
tions ressortent notamment de la néalogie d'
Il
én
ilie; ce sera la pre-
mière étape de la
pr
ésen
te
fl
ex
ion. Les liens de réciprocité ct l
es
con-
flits de loyauté qui en r
és
ultent feront l'objet de
la
s
uit
e
du
raisonne-
ment. Enfin, la comparaison entre l
es
relations triangulair
es
, tell
es
qu'e
ll
es
ap
paraisse
nt
dan
s la pièce, et le
co
ntexte
at
hénien, lui au
ss
i
m
arq
par
de tels rapports tTiang
ul
aires, permettra de mieux
ce
rner
l
es
perceptions du
pub
lic athénien face à
la
représe
nt
at
ion de
l'! !écu be.
Généa
Logie
d'H
écube
Dans le prologue (H
ec
. 3-4), le fanme de Polydore commence
p
ar
décli
ner
son identité, et indirectement ce
ll
e de sa mère Hécube:
l'auditeu
.r
apprend a
in
si que cette d
er
nière
es
t l'épouse de Priam et la
fille de Cissée.
Ce
ll
e n
éa
logie permet d'ancrer l
es
orig
in
es
d'H
éc
ube
en Thrace, par le biais de Cisséc; mais elle comporte d
es
divergences
importantes avec le per
so
nn
age d'Héc
ub
e telle qu'il se présente dans
l'l
liade 4.
3
Pour
tm
smvo
l
de
diverses interprétations,
cf.
G.
l. Kirkwood, 'Hccuba a
nd
Nomos
',
Trans. Am. Philo!. Ass. 78, 1947, pp. 61-69;
G.
R.
S
tanto
n, 'Aristocratie Obli-
gation
in
Euripides' Hekabe',
Mnemo~
yne
48, 1995,
pp.
11
-33,
en
particulier pp.
11
-
12;
C.
Segal, art. cit. {p. 109 n. 1
);
et s
urt
out
M.
H
eath
,'
'Jure
principem
locum
tenet
':
Em
ipidcs' Hecuba', Bull. lnst. Class.
SLud.
London 34, 1987, pp. 40-68, qui retrace
rhi
stoire
de
la critique littéraire
de
l'Hécllbe de
pui
s la Renaiss
ance
jusqu
'à nos jom·s;
ré-
s
um
é
de
J.
Mossman, lfli/d Justice. A Stuc/)·
of
Euripides' Hecuba, Oxford 1995, p. 164
n.
2.
"
Cf.
J.
\V. Gregory, 'Gcnealogy
and
lnte
rt
ex
tualit
y
in
Hecuba',
Am
.
]ollm.
Phil
o/.
11
6, 1995,
pp.
389-397.
L'Hécube d'Euripide
et
la définition de l'étranger
89
Généalogie d'Hécube
et
de
sa
famille d'après Euripide
(l-Iee.
3-4).
Cissée
Hécube
~
Priam
Polydore
Généalogie d'H
éc
ube
et
de
sa
famille d'apr
ès
l'Iliade
a)
Il.
11, 221-224. Cissée, un Thrace, est le père de Théano, et le
oTand-père d'Iphidamas. Cissée a donc une existence tangible dans
Piliade, mais
il
n'
es
t pas directemente lié à Hécube.
Cissée
Théano T Anténor
Iphiclamas
b)
Il.
16, 718. Dymas a pour
fil
s Asios, frère d'Hécube. Autrement dit:
H
éc
ube est la fille de Dymas. Hécube est évidemment l'épouse de
Priam et la mère d'Hector.
Dy
mas
~
Priam
T Hécube
H
ector
Asios
c)
Il. 21, 84-91. Polydore est le frère de Lycaon; l
es
deux sont
fi
ls de
Priam et de La.othoé (originaire de Pedasos, en Troade). Le poète pré-
cise que Polydore est le plus jeune f
il
s
de
Pr
iam:, il est tué par
Ac
hille
(20, 407-418). Synthèse: 22, 46-48.
Laol~t·iam
Lycaon
Po
lydore
90
P. Schube
rt
Trois arbres néalogiqu
es
indépe
nd
ants sont nécessair
es
pour
re
pr
ése
nl
er dans 1'
1/i
ade d
es
ra
pports familiaux de personnages qui,
ch
ez
Euripide, sont rétmis dans
un
se
ul
s
c
h
P.
m::~.
Gregory (art.
âl
. n.
4) a montré comme
ul
Euripide a e
ff
ec
tué
un
e supe
rp
osition de l'iden-
tit
é d'Hécube
et
de Théano, à
part
ir d'
un
passage de l'Tliade
(6
, 269-
3
10
). H
cc
lor a demandé à sa mère de faire des supplic
at
ions à Athéna;
or
, lorsque
Yie
nt le moment de l'exéculion de ces
pr
ièr
es
, on
co
ns
tat
e
que c'
es
t la
pr
ê
tre
sse
Th
éano
qu
i a
pli
s le rôle d'Hécube, sans
qu
e le
poète n'
ex
plicite
ce
glissement. Pour Gregory (p. 395 ), le lien entre
Hécube
ct
Théano permet certes d'expliquer
co
mm
e
nt
Euripide a co-
nstruit une néalogi
e.
1 mais
il
ne s'agirait que d'un emp
runt
enfoui
au
plus profond du texte:
'-
'
Th
e bo
rr
owings 1
ha
ve
been discussing ( ... )
are buri
ed
deep within the d rama tic text,
do
not announ
ce
themse
J.
ves
as allusions,
and
we
re probably never
in
tended to be noticed
by
th
e
audience. They do, however, offer
an
interesting glimpse into
th
e
playwrighl's working methods".
On peut toutefois se dema
nd
er si Gregory n'a
pa
s péc
par
excès
de modesli
e.
En
effel, le lien uni
ss
ant
H
éc
ube à Théano ne se limite
pas au seul prologue de la pièce. Hécube e
ntr
e en scène (vv. 59-97),
suivie du chœ
ur
des prisonnières tro
ye
nn
es
(Yv
. 98-153), puis elle
c
hant
e à
sa
fille l'
ann
once du malheur qui va
la
frapper (vv. 154-
215). Enfin, elle affronte Ulysse, qui lui signifie
la
d
éc
ision de l'armée
troyenne de sacrifier Polyxèn
e;
Hécube,
quant
à elle, rappelle à Ulysse
la
de
tt
e
qu
e
ce
dernier a
co
ntract
ée
envers elle
dan
s le passé (
vv.
218-
295). Ulysse
ét
ait venu en
es
pion dans l
es
murs de Troie, d
ég
uien
mendiant. Or Hélène l'avait reco
nnu
, et s'éta
it
confiée à la
se
ul
e Hé-
cub
e.
L'espion démasqué avail saisi l
es
genoux d'H
éc
ube el l'avait
suppli
ée
de
lu
i laisser la vie
sa
uve; la reine l'avait
pa
r con
qu
e
nt
laissé reto
urn
er dans le camp d
es
Grecs 5.
Les poèmes homériqu
es
font é
tat
de deux épi
so
d
es
de vis
it
es
d
'U
-
lysse à
Tr
oie. Le plus connu
es
t l
''
EMv11ç
à:rtaL'tTlO'LÇ
(Il. 3, 199-2
04
).
Ulysse, accompagné de Ménélas, se rend à Troie p
om·
réclamer Hé-
lène. Ils sont hébergés par Anténor, qui ass
ur
e le
ur
protection 6. ous
a
ppr
enons d'un auu:e
pa
ssage de l'Ili
ad
e (11, 138-142) qu'
un
héros
lroyen, Antimacho
s,
avait propode mettre à mort Ulysse et Mélas.
5 Le motif d'Ulysse suppliant tme femme pour obtenir le retour parmi les siens est
probablement inspil'é de l'é
pi
sode d'Ulysse ch
ez
les
Ph
éaciens: une fois ent
clans
le pa-
lais d'Alcinoos, il saisit immédiatement l
es
genoux d'Arété et la supplie de le laisser re-
tourner dans sa pan·ie
(Od.
7, 142-152). Cf.
M.
I. Da\'ies, '
Th
e Heclamation of Helen
',
Anlike
Kw
1St
20, 1977. pp. 73-85. en particulier
p.
81 n. 51.
6
Cf.
aussi Ba
cc
hy
l.
15 (= dith. 1
).
Re
pr
ésentation sm vase: LIMC s.v. '
ll
ermati-
da
s'
1 {cratère corinthien, env.
560
av.
J.
-C
.). Sur le s
auY
etage in extremis
cl
' lysse et
Mélas.,
cf.
Davies, a
rl.
cit. en parlicnlier p.
75
n. 10.
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