12GRLIME1 C BACCALAURÉAT GÉNÉRAL SESSION 2012 GREC ANCIEN ÉLÉMENTS DE CORRIGÉ Commission d’entente, académie d’aix-Marseille PREMIERE PARTIE QUESTIONS (60 points) Ces éléments sont donnés à titre indicatif. On n’attendra pas du candidat une réponse exhaustive. QUESTION 1 Dans les vers 1 à 3 et 21 à 31, cinq expressions de l’ordre et de la défense apparaissent. - Au vers 2, les verbes πιθοῦ et παράσχες sont des impératifs aoristes exprimant un ordre momentané et particulier : Hécube enjoint alors Agamemnon de l’écouter, de « se laisser convaincre », ici et maintenant, et de l’aider dans son entreprise de vengeance. - Au vers 21, l’expression Πρὸς ταῦτα φρόντιζʹ· exprime l’ordre : impératif présent pour exprimer un ordre général, qui se répète ou qui dure ; Agamemnon demande à Hécube de réfléchir, par rapport à l’armée grecque, à l’aspect privé de sa relation avec Cassandre et, partant, de la compassion qu’il peut éprouver pour Polydore, frère de Cassandre, compassion problématique. - Au vers 30, Σύνισθι μὲν, impératif présent, exprime un ordre général, qui se répète ou qui dure ; Hécube demande à Agamemnon d’être son confident à jamais pour ce qui est de son projet de vengeance. Elle le lui confie. - Au vers 31, l’expression συνδράσῃς δὲ μή exprime la défense : subjonctif aoriste accompagné de μή, ici postposé, pour exprimer une défense particulière et momentanée ; en l’occurrence, Hécube précise sa demande, face aux tergiversations d’Agamemnon : il est désormais au courant, mais elle renonce à sa complicité active dans la vengeance contre le meurtrier. Barème proposé : - 1 point par forme verbale relevée (= 5 points) - 1 point pour l’analyse (mode et temps = 5 points) - 1 point par explication (= 5 points) Total = 15 points. On valorisera les copies qui auront su identifier le temps aoriste des deux impératifs du vers 2. QUESTION 2 Éléments de réponse : Le choeur prend ici la parole par l’intermédiaire du coryphée pour commenter ce à quoi il assiste : le meurtre de Polydore confronte Hécube à la nécessité de la vengeance et Agamemnon à la nécessité de punir un sacrilège contre les lois de l’hospitalité offerte à Polydore par Polymestor. Les ennemis d’hier doivent s’entendre... Vers 6 : les trois traductions gardent le terme Δεινόν en relief, mais le traduisent différemment. Artaud et Leconte de Lisle privilégient l’idée d’un étonnement de la part du choeur, face à l’« étrange » rencontre à laquelle nous assistons et face au retournement d’alliance qui s’ensuit, là où N. Loraux et F. Rey privilégient le sens premier du terme, « qui est à craindre, qui est effrayant » et insistent sur l’effroi produit par la destinée de chacun, en traduisant par l’exclamation elliptique « Terrible ». Cette idée de l’effroi face aux destinées étranges se retrouve dans leur traduction de ἅπαντα συμπίτνει où le verbe συμπίτνει, signifiant « se rencontrer, échoir », traduit par « s’abat sur », renforce l’idée d’un destin qui soumet les humains – et, plus que tout autre, Hécube et Agamemnon, obligés de revoir leur position d’ennemis irréductibles - à ses décisions, sans possibilité d’y échapper ; la traduction de Leconte de Lisle semble alors plus banale : « tout arrive aux mortels ». La traduction d’ Artaud, quant à elle, du fait même de sa forme nominale, gomme la force du deuxième hémistiche, même si l’idée du verbe peut se retrouver, mais comme affadie, dans le mot « destinée »… Vers 7 : les différences de traduction tournent autour des mots – fort courants, il faut le remarquer - ἀνάγκας et νόμοι. Littéralement, le vers signifie : « les lois définissent les nécessités », traduction utilisée par L. Méridier, ce que N. Loraux et F. Rey traduisent, au plus près, par « les lois départagent les nécessités » : Hécube et Agamemnon sont dans une situation telle (le meurtre d’un protégé par son hôte) que ce sacrilège contre les lois divines de l’hospitalité les oblige à revoir leur position (les nécessités…) : Polymestor, roi thrace, le meurtrier doit être puni (c’est la loi) et l’hostilité existant entre Hécube et Agamemnon doit s’adapter à ce sacrilège (c’est une nécessité). Leconte de Lisle a recours à un glissement : « cette loi de nécessité » réunit sujet et complément d’objet en une seule expression ; il élimine carrément le verbe διώρισαν, pour faire de cette expression l’antécédent d’une relative traduisant les participes des vers suivants : il glisse sur la difficulté de sens imposée par le vers 7… Artaud donne de ce vers une traduction qui semble extrapoler les termes : νόμοι devient « la puissance de la justice », que l’on peut considérer comme légèrement hyperbolique et décalée, car le terme οἱ νόμοι désigne plus les « usages ayant force de loi » que la « justice » en tant que telle ; ἀνάγκας devient « nos liaisons les plus intimes », expression qui gomme le caractère inéluctable, contenu dans le mot ἀνάγκας au sens de « destinées inévitables », de ce retournement d’alliance face à un sacrilège, mais qui a l’intérêt, malgré tout, d’être explicite, concernant les rapports d’Hécube et d’Agamemnon à ce moment… Vers 8 et 9 : superlatifs respectés ou non (par exemple, Leconte de Lisle pour τούς γε πολεμιωτάτους). Disparition de πρὶν au profit des verbes à l’imparfait chez Artaud et Leconte de Lisle ; mais bonheur d’expression des « bienveillants de jadis » dans la troisième traduction qui respecte l’expression grecque au plus près, là où M. Artaud traduit τοὺς πρὶν εὐμενεῖς de façon quelque peu décalée par « ceux qui s’aimaient le plus », expression qui peut sembler inappropriée au contexte guerrier. Balancement et opposition respectés. Attentes : On n’attendra pas une réponse exhaustive. On n’hésitera pas à valoriser une réponse pertinente. On peut attendre des élèves qu’ils remarquent la précision plus littérale et la force de la traduction de Loraux et Rey (traduction du vers 6 notamment qui rend évident un des ressorts du tragique, l’effroi ou encore du v. 7 et des superlatifs) Barème proposé : - 6 points pour le vers 7 - 3 points pour chacun des trois autres vers. Total = 15 points. QUESTION 3 Éléments de réponse : Une reine déchue, devenue esclave de son pire ennemi, Agamemnon, destructeur de Troie et de sa famille, doit solliciter de cet ennemi, roi en fonction, de l’aide pour l’accomplissement de sa vengeance envers un roi sacrilège qui a assassiné son fils… Telles sont les données du problème. Le passage offre une image nuancée de la royauté et, pour tout dire, paradoxale : loin d’apparaître comme un pouvoir absolu, la royauté se trouve confrontée aux problèmes de la réalité et des lois divines de la justice : réalité de la trahison du roi Polymestor, réalité d’une armée grecque visiblement susceptible, prompte à la révolte, exigence de justice divine face à un sacrilège, changement d’alliance… Dès lors, Agamemnon semble incarner un pouvoir qui doit se faire prudent, quitte à apparaître lâche, face à une ennemie vaincue dont la royauté ancienne resurgit et s’affirme tout au long de l’extrait. I. Hécube : une reine devenue esclave… Une reine devenue esclave, soumise à un maître qui est son ennemi : importance du vers 1, Ὦ δέσποτʹ, ὦ μέγιστον Ἕλλησιν φάος, titre donné à Agamemnon, titre hyperbolique, dont on peut se demander s’il n’est pas ironique, étant donné la suite du texte… Humilité de celle qui se présente comme « vieille femme » τῇ πρεσϐύτιδι, « qui n’est rien » εἰ καὶ μηδέν ἐστιν : humilité réelle d’esclave face au maître ou stratagème de reine déchue ? Mais une ancienne reine qui, accablée de malheurs, doit solliciter l’aide d’un ennemi pour venger son fils assassiné : vers 2. Il s’agit pour elle d’obtenir justice τῇ δίκῃ (vers 3-4). Aspect gnomique des vers 3-4 : Hécube en appelle à la noblesse d’âme d’un homme de bien, Ἐσθλοῦ γὰρ ἀνδρὸς, en s’érigeant en instance morale soucieuse de la loi divine face à un sacrilège contre les lois de l’hospitalité. II. Un problème : rendre justice quand on est roi, comme Agamemnon… Compassion d’Agamemnon face aux malheurs d’Hécube : vers 10 à 13. Cette compassion aboutit à l’idée qu’un crime aussi impie doit voir le criminel puni (v. 12-13 θεῶν θʹ οὕνεκʹ ἀνόσιον ξένον / καὶ τοῦ δικαίου τήνδε σοι δοῦναι δίκην,) au nom des dieux (v.13) et de la justice, très exactement de « ce qui est juste » (v.13). Agamemnon se dit prêt à aider Hécube (v.21-22) Mais Agamemnon tergiverse ; la situation le trouble (v.17 ταραγμὸς) : il s’agit de tuer un roi (vers 16 Θρῄκης ἄνακτι τόνδε βουλεῦσαι φόνον), sans donner l’impression de le faire pour l’amour de Cassandre (v. 15 Κασάνδρας χάριν). Qui plus est, ce roi thrace est perçu par l’armée grecque comme un ami (v. 18 φίλιον), alors que sa victime, Polydore, est perçue comme un ennemi (v.19 ἐχθρόν). Opposition des deux mots. L’image que donne alors Agamemnon est celle d’un pouvoir royal particulièrement sensible à l’opinion de son armée, soucieux de ne provoquer ni trouble ni mouvement séditieux pour sauver le criminel, hypothèse que confirmera Hécube au vers 32, en employant explicitement les termes θόρυϐος ἢ ʹπικουρία. Ce souci pragmatique ou prudent des réactions de l’armée se voit dans la répétition du mot στρατός aux vers 13 / 18 / 20, relayé par le terme Ἀχαιοῖς au vers 23, qui peut apparaître comme une allusion au fait qu’Hécube n’est jamais qu’une barbare aux yeux des Achéens. Dès lors, Agamemnon semble quelque peu lâche, ou tout du moins conscient de quelque fragilité quant à son pouvoir, pouvoir qui, visiblement, peut du jour au lendemain être critiqué par la troupe (vers 23 ; verbe διαϐληθήσομαι). On est ici fort loin du souverain homérique qui ne craignait jamais de choquer ni d’affronter ses hommes par d’impératives prises de position… L’image est celle d’un pouvoir soumis à la critique et aux opinions, comme en l’Athènes démocratique contemporaine d’Euripide, dirait-on… Agamemnon en vient même à faire une distinction subtile, mais surtout spécieuse, entre domaine public et domaine privé : domaine public des alliances politiques entre alliés et des hostilités affichées à l’encontre des Troyens comme Polydore ; domaine privé que l’amour d’Agamemnon pour Cassandre et que son affection pour Polydore (v.19-20). Prudence ou lâcheté d’un roi qui ose avouer qu’il sera lent dans l’aide à Hécube s’il doit encourir les critiques de son armée… Les proclamations de justice et d’amour des dieux du début sont comme balayées par ces considérations d’un réalisme politique sans vergogne ; l’opposition entre ταχὺν et βραδὺν δʹ est à ce sujet explicite. Aider Hécube, oui, mais à condition de n’être ni découvert ni critiqué… Aider, mais ne pas se compromettre… C’est là l’image peu glorieuse d’un pouvoir royal qui semble avoir du mal à s’assumer totalement et librement. III. Agamemnon, le roi sans liberté face à la reine Hécube… Plus Agamemnon tergiverse, plus Hécube redevient reine (ou peut-être n’a-telle jamais cessé de l’être, juste accablée de malheurs…) Visiblement sa vision du pouvoir est autre. Elle juge et dénonce : Agamemnon, à ses yeux – et aux nôtres – a peur ; le verbe est employé et lancé comme une accusation, Ἐπεὶ δὲ ταρϐεῖς τῷ τʹ ὄχλῳ πλέον νέμεις. Hécube dénonce ici une trop grande attention aux opinions du peuple guerrier, ce qui enchaîne Agamemnon. On sent là une visée contre les démagogues de la cité athénienne de la part d’Euripide… Elle prend alors la main : c’est elle qui le libère de sa peur ἐγώ σε θήσω τοῦδʹ ἐλεύθερον φόϐου. L’esclave Hécube donne alors une leçon de royauté au maître du vers 1. Aux vers 32-34, elle envisage même l’hypothèse d’un mouvement contre Agamemnon comme il prétendait le craindre, pour mieux lui donner l’ordre, à l’impératif, εἶργε μὴ δοκῶν ἐμὴν χάριν, de « réprimer » toute tentative séditieuse. Hécube, partisane d’un pouvoir royal qui s’assume…Le conseil est clair : réprimer et ne pas donner l’impression de le faire en sa faveur : devant la pusillanimité d’Agamemnon, elle sait aussi faire preuve de réalisme et d’un sens aigu du compromis. Ce compromis se dit clairement aux vers 30-31 Σύνισθι μὲν γάρ, ἤν τι βουλεύσω κακόν / τῷ τόνδʹ ἀποκτείναντι, συνδράσῃς δὲ μή dont se répondent les hémistiches de début et de fin, en jouant de la composition des deux verbes et de l’opposition entre ordre et défense. Confident, mais pas complice, voilà le rôle qu’elle accorde à Agamemnon, trop englué, à ses yeux dans le souci du « qu’en dira-t-on ». La reine réapparaît ici, impérieuse et quelque peu amère face à un ennemi dont elle doit obtenir au moins l’approbation pour son projet de vengeance, mais qui doit lui sembler bien indigne ou bien lâche. Clairement, c’est elle qui prend le dessus, allant même jusqu’à lui dire en face qu’elle se charge de l’exécution de la tâche, ce qui ne laisse pas de plonger Agamemnon dans les interrogations pressantes et incrédules des vers 36 à 39. Le jeu sur les deux verbes ταρϐεῖς et θάρσει ne fait que renforcer l’impression d’une reine en pleine possession de ses – pauvres – moyens de femme, mais déterminée à mener à bien son entreprise, face à un homme, à un roi qui a le pouvoir, mais qui tremble et qu’elle doit rassurer… L’amertume d’Hécube face à un roi si peu libre de ses faits et gestes s’était d’abord exprimée sous une forme générale, avant d’en passer au tutoiement plus accusateur ; aux vers 24-27, Hécube, amère devant tant de tergiversations et de fausses précautions, dit clairement ce que les paroles d’Agamemnon lui inspirent : même un roi ne peut être libre, même le roi est esclave. Pessimiste pour l’humanité entière, elle constate l’inexistence de la liberté humaine : Φεῦ·/ οὐκ ἔστι θνητῶν ὅστις ἔστʹ ἐλεύθερος. L’être humain est enchaîné par de multiples liens : richesses, sort, foule des citoyens, décrets des lois : εἴργουσι χρῆσθαι μὴ κατὰ γνώμην τρόποις ; c’est ici la liberté humaine qui se trouve niée, avant celle d’Agamemnon, pourtant si nécessaire à Hécube. Mais l’on sait, depuis Pascal, que les rois sont les plus misérables des hommes… Dès lors, les paroles du choeur constituent un parfait écho de la scène à laquelle nous assistons : « tout arrive aux mortels » ; une esclave redevient une reine face à un roi ennemi dont elle sollicite l’aide. Et c’est cette reine, lucide sur les faiblesses humaines, qui s’avère le personnage le plus royal…Un roi allié a trahi, le roi ennemi est désormais le confident d’une vengeance, mais son humaine faiblesse le fait échapper à la complicité. Hécube peut et doit alors passer à l’acte. Attentes et barème proposé : On n’attend pas une réponse aussi détaillée, on valorisera toute réponse qui aura mis en évidence une bonne connaissance de l’œuvre On peut attendre des élèves qu’ils commentent la faiblesse d’Agamemnon (dont la liberté est limitée malgré son pouvoir) et l’opposent à la grandeur d’Hécube (dont la liberté s’affirme en dépit de sa situation d’esclave). On valorisera les copies qui proposent une analyse précise et nuancée. Barème : 15 points pour l’analyse de chacun des deux personnages et de la vision qu’il incarne du pouvoir royal. Total = 30 points. DEUXIEME PARTIE On veillera à ne pas trop pénaliser les candidats qui n’auraient pas compris le sens des trois premiers vers. VERSION (40 points) Hécube — Mais si, parmi les Achéens, une émeute ou une tentative de secours viennent à éclater, quand le Thrace subira ce qu’il va subir, réprime-les, sans avoir l’air de le faire pour moi. Le reste — ne crains rien — je saurai y mettre ordre. Agamemnon — Hé bien, que feras-tu ? Prendras-tu le glaive en ta vieille main pour tuer le Barbare ? Est-ce par le poison, ou par quelque assistance ? Quel bras t’aidera ? Où trouver des amis ? Barème proposé : - vers 32-34 = 15 points - vers 35 = 5 points - vers 36-38 = 15 points - vers 39 = 5 points