vengeance et Agamemnon à la nécessité de punir un sacrilège contre les lois de
l’hospitalité offerte à Polydore par Polymestor. Les ennemis d’hier doivent
s’entendre...
Vers 6 : les trois traductions gardent le terme Δεινόν en relief, mais le traduisent
différemment. Artaud et Leconte de Lisle privilégient l’idée d’un étonnement de la
part du choeur, face à l’« étrange » rencontre à laquelle nous assistons et face au
retournement d’alliance qui s’ensuit, là où N. Loraux et F. Rey privilégient le sens
premier du terme, « qui est à craindre, qui est effrayant » et insistent sur l’effroi
produit par la destinée de chacun, en traduisant par l’exclamation elliptique
« Terrible ». Cette idée de l’effroi face aux destinées étranges se retrouve dans
leur traduction de ἅπαντα συμπίτνει où le verbe συμπίτνει, signifiant « se
rencontrer, échoir », traduit par « s’abat sur », renforce l’idée d’un destin qui
soumet les humains – et, plus que tout autre, Hécube et Agamemnon, obligés de
revoir leur position d’ennemis irréductibles - à ses décisions, sans possibilité d’y
échapper ; la traduction de Leconte de Lisle semble alors plus banale : « tout
arrive aux mortels ». La traduction d’ Artaud, quant à elle, du fait même de sa
forme nominale, gomme la force du deuxième hémistiche, même si l’idée du
verbe peut se retrouver, mais comme affadie, dans le mot « destinée »…
Vers 7 : les différences de traduction tournent autour des mots – fort courants, il
faut le remarquer - ἀνάγκας et νόμοι. Littéralement, le vers signifie : « les lois
définissent les nécessités », traduction utilisée par L. Méridier, ce que N. Loraux
et F. Rey traduisent, au plus près, par « les lois départagent les nécessités » :
Hécube et Agamemnon sont dans une situation telle (le meurtre d’un protégé par
son hôte) que ce sacrilège contre les lois divines de l’hospitalité les oblige à revoir
leur position (les nécessités…) : Polymestor, roi thrace, le meurtrier doit être puni
(c’est la loi) et l’hostilité existant entre Hécube et Agamemnon doit s’adapter à ce
sacrilège (c’est une nécessité). Leconte de Lisle a recours à un glissement :
« cette loi de nécessité » réunit sujet et complément d’objet en une seule
expression ; il élimine carrément le verbe διώρισαν, pour faire de cette
expression l’antécédent d’une relative traduisant les participes des vers suivants :
il glisse sur la difficulté de sens imposée par le vers 7… Artaud donne de ce vers
une traduction qui semble extrapoler les termes : νόμοι devient « la puissance
de la justice », que l’on peut considérer comme légèrement hyperbolique et
décalée, car le terme οἱ νόμοι désigne plus les « usages ayant force de loi »
que la « justice » en tant que telle ; ἀνάγκας devient « nos liaisons les plus
intimes », expression qui gomme le caractère inéluctable, contenu dans le mot
ἀνάγκας au sens de « destinées inévitables », de ce retournement d’alliance
face à un sacrilège, mais qui a l’intérêt, malgré tout, d’être explicite, concernant
les rapports d’Hécube et d’Agamemnon à ce moment…
Vers 8 et 9 : superlatifs respectés ou non (par exemple, Leconte de Lisle pour
τούς γε πολεμιωτάτους). Disparition de πρὶν au profit des verbes à
l’imparfait chez Artaud et Leconte de Lisle ; mais bonheur d’expression des
« bienveillants de jadis » dans la troisième traduction qui respecte l’expression
grecque au plus près, là où M. Artaud traduit τοὺς πρὶν εὐμενεῖς de façon
quelque peu décalée par « ceux qui s’aimaient le plus », expression qui peut
sembler inappropriée au contexte guerrier. Balancement et opposition respectés.