Les bases affectives de la vie psychique, ce que nous apprend la

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Ann Gerontol 2009 ; 2(3) : 151-5
Louis Ploton
Professeur de Gérontologie,
Laboratoire de psychologie de la santé
et du développement. EA 3729,
Université Lyon-2, Lyon
<[email protected]>
Synthèse
Les bases affectives de la vie psychique,
ce que nous apprend la maladie
d’Alzheimer
Affective bases of psychic life, lessons from Alzheimer’s
disease
■
doi: 10.1684/age.2009.0065
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 03/06/2017.
Résumé Alors que les fonctions cognitives, mais également le travail d’association
d’idées (fonctionnement subjectif), sont déficients au cours de la maladie d’Alzheimer, les
réactions affectives restent présentes. Ceci suggère de manière générale qu’il y aurait une
primauté de l’affect dans le fonctionnement psychique global. L’affect serait un canevas,
une matrice sur laquelle viennent se structurer, se consolider, les dimensions subjective et
cognitive. Ceci ouvre la voie à une description du fonctionnement psychique humain selon
4 registres : psycho-biologique, cognitif, subjectif et affectif. L’articulation entre ces registres
répond à une dynamique de complémentarité et d’interférence, permettant une action thérapeutique par l’intermédiaire d’une intervention sur un registre resté pertinent. Enfin, le
registre affectif de fonctionnement psychique global autorise une relation empathique
avec l’entourage : l’accordage affectif. Celui-ci permet au thérapeute de travailler sur les
pensées induites de manière infraverbale et il participe à la constitution d’un inconscient
collectif qui vient expliciter le fonctionnement de l’individu au sein d’un groupe familial, soignant ou institutionnel.
Mots clés
Abstract
Tirés à part : L. Ploton
■
Whereas, in Alzheimer’s disease, cognitive functions and idea association process (subjective functioning) are deficient, affective reactions remain present. This suggests that
affect could have primacy within the global psychic functioning. The affect could be as canvas
or matrix on which subjective and cognitive dimensions come to be structured and consolidated. This opens the way for a description of human psychic functioning according to 4 registers:
psychobiological, cognitive, subjective and affective. The dynamics of complementarity and
interference that characterize the interaction of these registers enable a therapeutic intervention on a register that continues to remain relevant. Finally, the affective register of the global
psychic functioning allows an empathic relationship with the environment; the affective attunement that allows the therapist to act on induced thoughts by an infra-verbal manner. As well,
attunement participates in the constitution of a collective unconscious that makes explicit the
functioning of the individual within his family circle or nursing team.
Key words
C
affect, maladie d’Alzheimer, psychologie, sujet âgé
affect, Alzheimer’s disease, elderly subject, psychology
liniquement, la maladie d’Alzheimer (MA) pose notamment la question de la robustesse et de la pertinence du
fonctionnement affectif, du fait de la permanence de
l’expression corporelle et comportementale, ainsi que du
maintien des capacités d’adaptation.
Notion d’intelligence affective
On ne saurait résumer la vie psychique à ses aspects intellectuels. Le cheminement des décompensations cognitives dans
la maladie d’Alzheimer (MA) est à ce propos exemplaire,
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dans la mesure où il conduit à se poser la question d’un registre de fonctionnement psychique spécifiquement affectif, plus
riche et plus déterminant qu’on serait tenté de le supposer.
En effet, au fil du développement de cette maladie, on observe
la succession de phénomènes suivants. Il y a tout d’abord et
principalement un affaiblissement du fonctionnement cognitif,
c’est-à-dire des aptitudes intellectuelles et psychomotrices.
Celui-ci va de pair avec (ou est suivi par) des défaillances du
fonctionnement subjectif, c’est-à-dire des capacités de travail
associatif de l’esprit. Le travail intellectuel de recherche volontaire, consciente, des souvenirs, est altéré, avec des variations
cliniques spontanées, mais également des variations reliables
au climat affectif. Curieusement, la mémoire dite implicite,
c’est-à-dire ne faisant pas l’objet d’un travail de mise en mots
(y compris dans la tête) ne fait pas l’objet de contreperformances manifestes. Et il en est pratiquement de même
pour l’ensemble du fonctionnement psychique « global »,
« non pensé », mais non dépourvu de pertinence, qui apparaît
longtemps préservé.
C’est ainsi que, lorsqu’il n’est pas en proie à des hallucinations
(on peut faire l’hypothèse que celles-ci pourraient survenir
pour pallier le vide psychique), le malade peut longtemps
conserver une forme d’approche globale (approximative,
mais non sans fondement) des situations et des relations avec
autrui.
En revanche, il fait les frais d’un effacement progressif des
contenus psychiques mis en forme. Lorsqu’on l’interroge à ce
propos, il reconnaît avoir un sentiment de vide de la pensée :
vide cognitif et vide subjectif. Cela correspond à un état
marqué par l’absence de discours intérieur, de représentations
et de constructions psychiques. Néanmoins, curieusement, à
la différence de sujets souffrant d’autres sortes de désordres
cognitifs, il reste tout à fait sensible à l’empathie, tout comme
il conserve manifestement des éprouvés d’ordre affectif. On
rappellera à ce propos son vécu d’abandon qui se traduit par
la difficulté à rester seul et surdétermine des conduites dérangeantes en raison du besoin évident d’attirer l’attention sur lui.
Il apparaît qu’il y a, chez lui, une forme de primauté du registre affectif, registre dans lequel il semble encore fonctionner
du point de vue relationnel. Tout se passe en effet comme
s’il gardait une forme de perception affective, assortie de capacités d’expression pertinentes de ce même point de vue. Il lui
est ainsi possible d’intégrer des informations et d’avoir des
réactions logiques, même si la pertinence de celles-ci est
sujette à caution en raison de la non-régulation des affects
par ses compétences cognitives amoindries. Cela évoque un
fonctionnement s’appuyant sur des noyaux affectifs de pensée
(non formulées et non formulables), restant à l’état de cristaux,
de germes, correspondant virtuellement à la dimension affective d’une pensée, désormais réduite à cette seule dimension.
À la réflexion, le fait que des capacités d’adaptation affectives
puissent être observées au-delà de la perte des capacités cognitives (intellectuelles) et des compétences psycho-dynamiques
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subjectives (travail associatif) invite à individualiser un registre
de fonctionnement psychique « affectif » préexistant à la maladie et ayant sa propre dynamique. Celui-ci se caractériserait par
sa robustesse, lui permettant de perdurer pour son propre
compte, même aux stades les plus avancés de la maladie.
On peut le concevoir comme intégré dans le fonctionnement
psychique général, mais capable de peser sur lui. Il peut s’agir
d’introduire une note (un indiçage) affective à même de peser
sur les choix du sujet. Il peut également s’agir de modifier le
fonctionnement cognitif, positivement ou négativement.
Cette notion de trame affective de la pensée peut être comparée à ce qu’est le rythme concernant le chant, tandis que la
subjectivité correspondrait à la mélodie et la cognition aux
paroles.
Cela conduit, dans l’approche des malades d’Alzheimer, à
s’appuyer sur des outils conceptuels permettant de prendre
en compte la question des liens affectifs, je pense par exemple
aux théories de l’attachement. Mais cela conduit aussi, et
surtout, dans l’approche psychologique générale, à tout âge
et en toutes circonstances, à s’appuyer sur l’hypothèse qu’il
existe, chez tout à chacun, une forme inconsciente de
mémoire et d’intelligence affective (dans une logique adaptative, défensive…).
Enseignements de la MA
dans le fonctionnement psychique
À partir de ce qui vient d’être dit concernant les formes de
défaillances cliniques et leur évolution, on peut, du point de
vue fonctionnel, distinguer des plans ou registres descriptifs du
fonctionnement psychique, tant normal que pathologique.
Ces entités descriptives constituent autant « d’appareillages »
ou « appareils » fonctionnels. Chacun d’eux peut être envisagé
selon deux aspects qui sont indissociables, à savoir :
– son support (sa face) biologique ;
– sa dimension fonctionnelle (procédurale) psychique.
Car on ne saurait envisager que des procédures psychiques, en
d’autres termes des opérations de traitement de l’information
(information au sens le plus large du terme : paroles, images,
faits, souvenirs, fantasmes, émotions, etc.), puissent exister
sans support. Et, rappelons-le, on ne saurait également raisonner en termes de causes ou de conséquences entre ces deux
aspects, mais seulement en termes de correspondances ou de
traductions simultanées, l’un étant le représentant, la traduction, de l’autre.
Ce faisant, il n’y a pas de relations de cause à effet entre les
phénomènes biologiques cérébraux et les phénomènes psychologiques, mais une situation de correspondance (de traduction simultanée). En revanche, au niveau biologique, il
est possible de concevoir des enchaînements de causes et de
conséquences, avec des boucles d’interactions (relevant du
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LES
BASES AFFECTIVES DE LA VIE PSYCHIQUE, CE QUE NOUS APPREND LA MALADIE D’ALZHEIMER
raisonnement systémique). Et au plan psychique, en miroir des
modifications biologiques, il y aura réciproquement ce qu’il
est convenu d’appeler des opérations psychologiques.
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Registre psycho-biologique
Le plus robuste est assurément l’appareil psycho-biologique.
Il concerne l’ensemble des régulations d’origine centrale relatives aux équilibres biologiques. Cela va des régulations hormonales aux mécanismes de défense immunitaire, en passant
par les phénomènes de régulation génétiques. Il est dans sa
diversité très probablement le lieu d’une forme de mémoire
biologique.
Registre cognitif
Un autre appareil qu’il est concevable de distinguer est l’appareil cognitif. Il est le lieu des compétences psychomotrices et
des opérations mentales au sens intellectuel du terme. Les
fonctions cognitives ont pour caractéristique d’être acquises
et développées depuis l’enfance par apprentissage. Cela
concerne notamment le langage, les différentes praxies et gnosies, mais également les opérations mentales d’anticipation, de
catégorisation, de conceptualisation, d’orientation…
Il existe une mémoire cognitive dont la particularité est d’être
mobilisable de manière consciente et volontaire. Elle est dite
« déclarative » en ce sens qu’elle se traduit par des mots ou un
récit. Et, surtout, elle inclut dans son fonctionnement l’existence du temps (événements datables) et de la dimension
chronologique.
Registre subjectif
Le propre du registre subjectif est de fonctionner sur le mode
associatif (c’est-à-dire analogique). Il s’agit, il y a lieu de le
souligner, du registre dit « psycho-dynamique », qui a été
décrit par Freud lorsqu’il parlait d’appareil psychique.
D’une manière générale, cet appareil assure la régulation entre
vie psychique consciente et inconsciente, au moyen des opérations dites de défense du moi. L’une de ses fonctions essentielles est d’assurer un confort psychique optimum par le travail dit
« de mentalisation » (on devrait dire de subjectivation). Cela
consiste à associer des constructions mentales aux émotions
brutes pour les rendre psychiquement fréquentables. L’un des
effets utiles de ce travail associatif est, grâce à une forme
« d’aire de jeu » psychique où, consciemment et inconsciemment, des productions fantasmatiques, du sens figuré, des souvenirs de tous ordres viennent s’associer aux émotions (d’origine interne ou externe). Cela, d’une certaine façon, détoxique
les émotions et les rend supportables. Ce travail permet notamment de gérer les distances relationnelles de façon souple, en
raison de l’amortissement des sentiments inconfortables d’intrusion que la proximité non régulée risquerait par exemple
d’induire. C’est pourquoi les sujets chez lesquels ce travail est
défaillant doivent recourir à des moyens de maîtrise de la relation tels que les tentatives de contrôle obsessionnel, etc.
Ce qui se joue au sein de cet appareil autorise à introduire les
notions d’intelligence et de mémoire subjectives. Les contenus
concernés relèvent d’opérations de type « analogique ».
Ce qui possède des points communs ou des ressemblances
s’assemble et se mobilise réciproquement pour marquer la
vie psychique d’une empreinte subjective. Cela contribue à
la prise de sens intime, laquelle obéit à une logique qui n’a
rien à voir avec la rationalité cartésienne. On soulignera
à ce propos que la vie subjective (on dit encore psychodynamique) est le lieu d’une forme de mémoire qui fonctionne
sur le mode de « l’après-coup » où le temps n’existe pas, parce
que les événements s’y relient par association.
À ce stade de réflexion sur une recomposition dans la façon de
décrire le travail psychique, une première remarque épistémologique s’impose (c’est-à-dire relative aux modalités de raisonnement).
Suivant les modes ou les instruments d’observation, on
n’observe pas les mêmes aspects d’un phénomène. Il existe
des instruments ou des raisonnements plus adaptés à tel ou
tel aspect des choses. Par exemple, certains types de coloration employés pour examiner une cellule au microscope permettent d’en voir la membrane, tandis que d’autres sont plus
spécifiques des organites du cytoplasme. Cela étant, on risque
de passer à côté de pans entiers de ce qui se joue et détermine
les conduites selon que l’on tente d’appliquer à l’étude du
fonctionnement psychique un seul type d’approche. C’est
ainsi que l’approche rationnelle, reposant sur des modèles
logiques, permet de rendre compte du fonctionnement cognitif, mais passe à côté de l’existence des déterminants subjectifs, notamment fantasmatiques (c’est-à-dire irrationnels). En
revanche, seule une approche en termes analogiques permet,
elle, de prendre en compte la fécondité du travail associatif de
l’esprit. Et, jusqu’à ce jour, les meilleurs modèles permettant
de rendre compte de cette activité sont les modèles métaphoriques proposés par Freud et ses successeurs.
Ce sera l’un des mérites de la maladie d’Alzheimer, à partir de
l’observation du déclin, de justifier, s’il le fallait, une démarche relativiste concernant les approches possibles du fonctionnement psychique normal. En d’autres termes, elle permet de
distinguer, dans le fonctionnement de l’esprit, plusieurs registres d’activité qui ne relèvent pas de la même approche.
Outre les appareils fonctionnels qui viennent d’être schématiquement décrits, il y a lieu de réserver une place de choix au
registre affectif.
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Registre affectif
Le métabolisme affectif concerne, entre autres, la question des
émotions positives ou négatives. On peut, à son propos, parler
d’appareillage ou d’appareil affectif. Il concerne les questions
essentielles du plaisir et du déplaisir, de la joie et de la tristesse. On peut lui rattacher le registre de la motivation et
donc de la démotivation. Je pense personnellement que c’est
également dans la sphère affective que s’enracine le type
d’attachement, tout comme la composante affective du deuil
et la base affective de l’estime de soi (le sentiment de
compter).
On peut, concernant la vie affective, évoquer la notion de
mémoire affective : globale, non déclarative, subconsciente.
Personnellement, j’aurais tendance à l’identifier purement et
simplement à la mémoire implicite (?).
Le fonctionnement affectif ne saurait se réduire au domaine
des pulsions, c’est-à-dire à la question du « çà » freudien. On
est en effet autorisé, à la lumière des décompensations alzheimériennes, à introduire la notion de trame affective de la pensée (de la pensée structurée). Il s’agit donc de proposer l’existence d’opérations purement affectives qui servent de canevas
(et/ou de catalyseur ?) à l’ensemble du fonctionnement psychique. Cela va de pair avec la notion de phénomènes
d’adaptation affective, soit, en d’autres termes, de moteur
affectif inconscient des choix et des conduites.
De ce point de vue, le registre affectif constitue une forme de
« pensée matricielle », globale, préverbale. On peut, ce faisant, parler de matrices affectives inconscientes de pensées
ou encore de registre matriciel inconscient de la pensée,
d’ordre affectif.
Chez le sujet normal, ce plan fonctionnel est le lieu de matrices affectives des pensées ayant un contenu formulable. Chez
le malade d’Alzheimer, on en reste à la matrice seule (dépourvue de contenu). Mais, même si des contenus de pensées ne
peuvent y prendre corps, celles-ci ne parviennent pas à prendre corps, leur matrice affective pourrait fort bien marquer les
conduites de son empreinte de la même manière que si le
contenu correspondant existait.
Articulation des différents registres
psychiques
On est en droit de considérer que ce qui se passe sur chacun
des plans qui viennent d’être évoqués est complémentaire de
ce qui se passe sur les autres. On retiendra à ce propos la
métaphore des couleurs primaires. C’est, on le sait, en associant ces couleurs que l’on obtient une image polychrome.
Mais, manifestement, s’il existe des correspondances, il y a
également des inter-régulations entre ces plans. Le contenu
des uns peut modeler (moduler, modifier en partie) ce qui se
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passe sur les autres. Les phénomènes phobiques en fournissent
une excellente illustration. Un fantasme peut initialement
avoir été à l’origine d’un désordre émotionnel au regard
d’une situation anodine, telle que, par exemple, voir un
insecte ou une souris. La réédition de cette situation sera, de
manière récurrente (possiblement au terme d’un autoconditionnement), à l’origine de désordres cognitifs conduisant le sujet à se conduire comme s’il était en grand danger.
Cette interaction permet de comprendre pourquoi, en thérapie, il est possible d’aborder le problème sous plusieurs angles
(cognitif, psycho-dynamique…).
Cela conduit à une seconde remarque épistémologique.
Il s’agit de souligner que c’est sans doute la faculté d’un plan
de réguler le fonctionnement des autres qui a pu conduire à
tenter d’expliquer l’ensemble du fonctionnement psychique
uniquement en s’appuyant sur l’un d’eux (par exemple subjectif ou cognitif). Mais l’on ne saurait explorer ou expliquer tout
le fonctionnement psychique avec un seul de ces points de
vue. Tous ont un domaine de validité privilégié, tous ont
leurs limites :
– le cognitif butte sur la question du fantasme et sur celle du
contenu des rêves ;
– le subjectif butte sur la question du temps ;
– l’affectif est privé de contenus, comportant des représentations.
Action conjointe
de ces différents « appareils »
La résultante du travail psychique sous les différents aspects
venant d’être évoqués constitue un méta-appareil comportemental.
On notera que, même lorsqu’une part de celui-ci, qu’elle
qu’en soit la raison, cesse d’être performante, il demeure des
capacités adaptatives au niveau des plans restés opérants. Cela
pose la question d’un principe adaptatif robuste, inhérent à la
vie. D’où l’hypothèse complémentaire d’un principe organisateur adaptatif, robuste, véritable gardien de la vie. On est
même en droit, à ce propos, d’envisager l’existence d’une
fonction (ou appareil) inconsciente à l’origine de stratégies
adaptatives. Celles-ci peuvent être envisagées comme relevant
de données innées, ou acquises (héritées) par l’exemple. Elles
peuvent également avoir été acquises empiriquement à partir
d’expériences plus ou moins précoces. On est même en droit
de concevoir que des stratégies d’adaptation puissent être élaborées en testant inconsciemment des scénarios qui incluent
la prise en compte des propres possibilités du sujet en relation
avec ce qu’il perçoit implicitement du contexte dans lequel il
évolue.
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BASES AFFECTIVES DE LA VIE PSYCHIQUE, CE QUE NOUS APPREND LA MALADIE D’ALZHEIMER
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Rôle de l’accordage affectif
L’existence d’un registre matriciel de la pensée, d’ordre affectif, conduit à s’interroger sur le rôle et l’importance des phénomènes d’accordage affectif qui sont observés en pratique clinique. On est en droit de voir en eux la base indispensable des
phénomènes empathiques, du point de vue le plus général du
terme. Ils sont assurément aussi à la base de la communication
implicite : communication inconsciente qui peut être observée
entre des interlocuteurs ou entre les membres d’un même système relationnel (couple, famille, groupe, institution…).
Afin de l’expliquer on peut envisager que l’accordage affectif
permette de percevoir intuitivement et de mobiliser (de
s’appuyer sur ?) les noyaux affectifs de pensées similaires
chez autrui.
En clinique psychologique, c’est l’accordage affectif qui,
manifestement, permet au thérapeute de travailler sur les pensées induites en lui, considérées comme du matériel clinique
pertinent. On parle volontiers à leur sujet de phénomènes de
communication implicite. Le travail de mentalisation du thérapeute lui permet de métaboliser les émotions qui lui sont communiquées à l’état brut, tout comme celles découlant de la
situation ou des pensées émergentes qui viennent d’être évoquées. Et, à l’évidence, la modification de son propre climat
affectif découlant de ses possibilités de mentalisation sera à
même d’opérer un effet de pare-excitation, en lui mais également au sein du contexte relationnel. À ce titre, son activité de
mentalisation, par le canal de l’accordage affectif, aura un
effet de prothèse subjective. C’est comme si ce qui a été modifié au niveau des pensées du thérapeute modifiait, par voie de
conséquence, les matrices affectives de celles-ci, lesquelles,
en interagissant avec celles du patient, modifient son économie affective.
C’est pour cette raison qu’une réunion clinique pendant
laquelle on parle d’un patient, on fantasme, on fait un travail
d’association d’idées, on émet des hypothèses constituant
autant de redéfinitions du problème, a au moins trois types
d’effets. Elle contribue à faire évoluer la situation clinique en
raison du changement induit par les modifications de regard
des soignants. Mais elle permet également, à ces mêmes soignants, par la métabolisation de leurs émotions, de gérer de
façon plus souple la distance relationnelle avec le patient.
Cela étant, on a moins besoin de se situer dans la maîtrise
obsessionnelle de la relation (laquelle est précisément une
proposition de non-relation). De plus, comme cela vient
d’être envisagé, tout se passe comme si le travail d’élaboration
psychique effectué par les soignants, à propos d’un patient,
exerçait une fonction psychothérapique indirecte chez ce
dernier.
L’accordage affectif, dans l’hypothèse où il facilite la mobilisation des noyaux affectifs de pensées similaires :
– est donc de nature à intervenir dans la part de communication infraverbale qui peut être observée dans les couples,
familles, groupes, institutions…
– il peut être de nature à constituer le support de l’inconscient
collectif par la mise en résonance des registres matriciels de la
pensée des individus concernés.
L’accordage affectif pourrait même permettre d’expliquer les
phénomènes de mobilisation psychique d’autrui. Personnellement, je ferais reposer sur lui l’explication des phénomènes
trans-générationnels, voire de l’inscription dans un possible
projet métaphysique qui nous dépasse (cf: Jung ou Teilhard
de Chardin)…
Conclusion
L’étude des décompensations psychiques observées au
décours de la MA permet de proposer un modèle du fonctionnement psychique prenant en compte les différentes fonctionnalités de l’esprit. Non seulement, d’un point de vue épistémologique, distinguer ces différentes fonctionnalités permet de
mieux cerner les diverses approches de la maladie d’Alzheimer, mais cela conduit également à aborder différemment
l’ensemble des décompensations psychopathologiques survenant à tout âge. D’un point de vue clinique, mais aussi
éthique, cette distinction permet d’aborder le malade avec
une approche :
– lui garantissant une permanence de son identité profonde la
plus déterminante, à savoir son identité affective ;
– nous permettant d’avoir avec lui des échanges cohérents sur
ce plan.
L’introduction de la notion d’intelligence affective permet, de
plus, en relation avec les possibilités d’accordage affectif,
d’offrir une explication à de nombreux phénomènes intersubjectifs inconscients, dans des systèmes relationnels de taille
variable (couple, famille, groupe, institution, société…). Cela
concerne, à tout âge, le fonctionnement psychique autant
normal que pathologique, mais également les mécanismes
psychothérapeutiques reposant sur le travail psychique des
soignants.
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