Les bases affectives de la vie psychique, ce que nous apprend la

Louis Ploton
Professeur de Gérontologie,
Laboratoire de psychologie de la santé
et du développement. EA 3729,
Université Lyon-2, Lyon
Tirés à part : L. Ploton
Les bases affectives de la vie psychique,
ce que nous apprend la maladie
dAlzheimer
Affective bases of psychic life, lessons from Alzheimers
disease
Résumé Alors que les fonctions cognitives, mais également le travail dassociation
didées (fonctionnement subjectif), sont déficients au cours de la maladie dAlzheimer, les
réactions affectives restent présentes. Ceci suggère de manière générale quil y aurait une
primauté de laffect dans le fonctionnement psychique global. Laffect serait un canevas,
une matrice sur laquelle viennent se structurer, se consolider, les dimensions subjective et
cognitive. Ceci ouvre la voie à une description du fonctionnement psychique humain selon
4 registres : psycho-biologique, cognitif, subjectif et affectif. Larticulation entre ces registres
répond à une dynamique de complémentarité et dinterférence, permettant une action thé-
rapeutique par lintermédiaire dune intervention sur un registre resté pertinent. Enfin, le
registre affectif de fonctionnement psychique global autorise une relation empathique
avec lentourage : laccordage affectif. Celui-ci permet au thérapeute de travailler sur les
pensées induites de manière infraverbale et il participe à la constitution dun inconscient
collectif qui vient expliciter le fonctionnement de lindividu au sein dun groupe familial, soi-
gnant ou institutionnel.
Mots clés affect, maladie dAlzheimer, psychologie, sujet âgé
Abstract Whereas, in Alzheimers disease, cognitive functions and idea association pro-
cess (subjective functioning) are deficient, affective reactions remain present. This suggests that
affect could have primacy within the global psychic functioning. The affect could be as canvas
or matrix on which subjective and cognitive dimensions come to be structured and consolida-
ted. This opens the way for a description of human psychic functioning according to 4 registers:
psychobiological, cognitive, subjective and affective. The dynamics of complementarity and
interference that characterize the interaction of these registers enable a therapeutic interven-
tion on a register that continues to remain relevant. Finally, the affective register of the global
psychic functioning allows an empathic relationship with the environment; the affective attune-
ment that allows the therapist to act on induced thoughts by an infra-verbal manner. As well,
attunement participates in the constitution of a collective unconscious that makes explicit the
functioning of the individual within his family circle or nursing team.
Key words affect, Alzheimers disease, elderly subject, psychology
Cliniquement, la maladie dAlzheimer (MA) pose notam-
ment la question de la robustesse et de la pertinence du
fonctionnement affectif, du fait de la permanence de
lexpression corporelle et comportementale, ainsi que du
maintien des capacités dadaptation.
Notion dintelligence affective
On ne saurait résumer la vie psychique à ses aspects intellec-
tuels. Le cheminement des décompensations cognitives dans
la maladie dAlzheimer (MA) est à ce propos exemplaire,
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doi: 10.1684/age.2009.0065
Synthèse
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dans la mesure où il conduit à se poser la question dun regis-
tre de fonctionnement psychique spécifiquement affectif, plus
riche et plus déterminant quon serait tenté de le supposer.
En effet, au fil du développement de cette maladie, on observe
la succession de phénomènes suivants. Il y a tout dabord et
principalement un affaiblissement du fonctionnement cognitif,
cest-à-dire des aptitudes intellectuelles et psychomotrices.
Celui-ci va de pair avec (ou est suivi par) des défaillances du
fonctionnement subjectif, cest-à-dire des capacités de travail
associatif de lesprit. Le travail intellectuel de recherche volon-
taire, consciente, des souvenirs, est altéré, avec des variations
cliniques spontanées, mais également des variations reliables
au climat affectif. Curieusement, la mémoire dite implicite,
cest-à-dire ne faisant pas lobjet dun travail de mise en mots
(y compris dans la tête) ne fait pas lobjet de contre-
performances manifestes. Et il en est pratiquement de même
pour lensemble du fonctionnement psychique « global »,
« non pensé », mais non dépourvu de pertinence, qui apparaît
longtemps préservé.
Cest ainsi que, lorsquil nest pas en proie à des hallucinations
(on peut faire lhypothèse que celles-ci pourraient survenir
pour pallier le vide psychique), le malade peut longtemps
conserver une forme dapproche globale (approximative,
mais non sans fondement) des situations et des relations avec
autrui.
En revanche, il fait les frais dun effacement progressif des
contenus psychiques mis en forme. Lorsquon linterroge à ce
propos, il reconnaît avoir un sentiment de vide de la pensée :
vide cognitif et vide subjectif. Cela correspond à un état
marqué par labsence de discours intérieur, de représentations
et de constructions psychiques. Néanmoins, curieusement, à
la différence de sujets souffrant dautres sortes de désordres
cognitifs, il reste tout à fait sensible à lempathie, tout comme
il conserve manifestement des éprouvés dordre affectif. On
rappellera à ce propos son vécu dabandon qui se traduit par
la difficulté à rester seul et surdétermine des conduites déran-
geantes en raison du besoin évident dattirer lattention sur lui.
Il apparaît quil y a, chez lui, une forme de primauté du regis-
tre affectif, registre dans lequel il semble encore fonctionner
du point de vue relationnel. Tout se passe en effet comme
sil gardait une forme de perception affective, assortie de capa-
cités dexpression pertinentes de ce même point de vue. Il lui
est ainsi possible dintégrer des informations et davoir des
réactions logiques, même si la pertinence de celles-ci est
sujette à caution en raison de la non-régulation des affects
par ses compétences cognitives amoindries. Cela évoque un
fonctionnement sappuyant sur des noyaux affectifs de pensée
(non formulées et non formulables), restant à létat de cristaux,
de germes, correspondant virtuellement à la dimension affec-
tive dune pensée, désormais réduite à cette seule dimension.
À la réflexion, le fait que des capacités dadaptation affectives
puissent être observées au-delà de la perte des capacités cogni-
tives (intellectuelles) et des compétences psycho-dynamiques
subjectives (travail associatif) invite à individualiser un registre
de fonctionnement psychique « affectif » préexistant à la mala-
die et ayant sa propre dynamique. Celui-ci se caractériserait par
sa robustesse, lui permettant de perdurer pour son propre
compte, même aux stades les plus avancés de la maladie.
On peut le concevoir comme intégré dans le fonctionnement
psychique général, mais capable de peser sur lui. Il peut sagir
dintroduire une note (un indiçage) affective à même de peser
sur les choix du sujet. Il peut également sagir de modifier le
fonctionnement cognitif, positivement ou négativement.
Cette notion de trame affective de la pensée peut être compa-
rée à ce quest le rythme concernant le chant, tandis que la
subjectivité correspondrait à la mélodie et la cognition aux
paroles.
Cela conduit, dans lapproche des malades dAlzheimer, à
sappuyer sur des outils conceptuels permettant de prendre
en compte la question des liens affectifs, je pense par exemple
aux théories de lattachement. Mais cela conduit aussi, et
surtout, dans lapproche psychologique générale, à tout âge
et en toutes circonstances, à sappuyer sur lhypothèse quil
existe, chez tout à chacun, une forme inconsciente de
mémoire et dintelligence affective (dans une logique adapta-
tive, défensive).
Enseignements de la MA
dans le fonctionnement psychique
À partir de ce qui vient dêtre dit concernant les formes de
défaillances cliniques et leur évolution, on peut, du point de
vue fonctionnel, distinguer des plans ou registres descriptifs du
fonctionnement psychique, tant normal que pathologique.
Ces entités descriptives constituent autant « dappareillages »
ou « appareils » fonctionnels. Chacun deux peut être envisagé
selon deux aspects qui sont indissociables, à savoir :
son support (sa face) biologique ;
sa dimension fonctionnelle (procédurale) psychique.
Car on ne saurait envisager que des procédures psychiques, en
dautres termes des opérations de traitement de linformation
(information au sens le plus large du terme : paroles, images,
faits, souvenirs, fantasmes, émotions, etc.), puissent exister
sans support. Et, rappelons-le, on ne saurait également raison-
ner en termes de causes ou de conséquences entre ces deux
aspects, mais seulement en termes de correspondances ou de
traductions simultanées, lun étant le représentant, la traduc-
tion, de lautre.
Ce faisant, il ny a pas de relations de cause à effet entre les
phénomènes biologiques cérébraux et les phénomènes psy-
chologiques, mais une situation de correspondance (de tra-
duction simultanée). En revanche, au niveau biologique, il
est possible de concevoir des enchaînements de causes et de
conséquences, avec des boucles dinteractions (relevant du
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raisonnement systémique). Et au plan psychique, en miroir des
modifications biologiques, il y aura réciproquement ce quil
est convenu dappeler des opérations psychologiques.
Registre psycho-biologique
Le plus robuste est assurément lappareil psycho-biologique.
Il concerne lensemble des régulations dorigine centrale rela-
tives aux équilibres biologiques. Cela va des régulations hor-
monales aux mécanismes de défense immunitaire, en passant
par les phénomènes de régulation génétiques. Il est dans sa
diversité très probablement le lieu dune forme de mémoire
biologique.
Registre cognitif
Un autre appareil quil est concevable de distinguer est lappa-
reil cognitif. Il est le lieu des compétences psychomotrices et
des opérations mentales au sens intellectuel du terme. Les
fonctions cognitives ont pour caractéristique dêtre acquises
et développées depuis lenfance par apprentissage. Cela
concerne notamment le langage, les différentes praxies et gno-
sies, mais également les opérations mentales danticipation, de
catégorisation, de conceptualisation, dorientation
Il existe une mémoire cognitive dont la particularité est dêtre
mobilisable de manière consciente et volontaire. Elle est dite
« déclarative » en ce sens quelle se traduit par des mots ou un
récit. Et, surtout, elle inclut dans son fonctionnement lexis-
tence du temps (événements datables) et de la dimension
chronologique.
Registre subjectif
Le propre du registre subjectif est de fonctionner sur le mode
associatif (cest-à-dire analogique). Il sagit, il y a lieu de le
souligner, du registre dit « psycho-dynamique », qui a été
décrit par Freud lorsquil parlait dappareil psychique.
Dune manière générale, cet appareil assure la régulation entre
vie psychique consciente et inconsciente, au moyen des opéra-
tions dites de défense du moi. Lune de ses fonctions essentiel-
les est dassurer un confort psychique optimum par le travail dit
« de mentalisation » (on devrait dire de subjectivation). Cela
consiste à associer des constructions mentales aux émotions
brutes pour les rendre psychiquement fréquentables. Lun des
effets utiles de ce travail associatif est, grâce à une forme
«daire de jeu » psychique où, consciemment et inconsciem-
ment, des productions fantasmatiques, du sens figuré, des sou-
venirs de tous ordres viennent sassocier aux émotions (dori-
gine interne ou externe). Cela, dune certaine façon, détoxique
les émotions et les rend supportables. Ce travail permet notam-
ment de gérer les distances relationnelles de façon souple, en
raison de lamortissement des sentiments inconfortables dintru-
sion que la proximité non régulée risquerait par exemple
dinduire. Cest pourquoi les sujets chez lesquels ce travail est
défaillant doivent recourir à des moyens de maîtrise de la rela-
tion tels que les tentatives de contrôle obsessionnel, etc.
Ce qui se joue au sein de cet appareil autorise à introduire les
notions dintelligence et de mémoire subjectives. Les contenus
concernés relèvent dopérations de type « analogique ».
Ce qui possède des points communs ou des ressemblances
sassemble et se mobilise réciproquement pour marquer la
vie psychique dune empreinte subjective. Cela contribue à
la prise de sens intime, laquelle obéit à une logique qui na
rien à voir avec la rationalité cartésienne. On soulignera
à ce propos que la vie subjective (on dit encore psycho-
dynamique) est le lieu dune forme de mémoire qui fonctionne
sur le mode de « laprès-coup » où le temps nexiste pas, parce
que les événements sy relient par association.
À ce stade de réflexion sur une recomposition dans la façon de
décrire le travail psychique, une première remarque épistémo-
logique simpose (cest-à-dire relative aux modalités de raison-
nement).
Suivant les modes ou les instruments dobservation, on
nobserve pas les mêmes aspects dun phénomène. Il existe
des instruments ou des raisonnements plus adaptés à tel ou
tel aspect des choses. Par exemple, certains types de colora-
tion employés pour examiner une cellule au microscope per-
mettent den voir la membrane, tandis que dautres sont plus
spécifiques des organites du cytoplasme. Cela étant, on risque
de passer à côté de pans entiers de ce qui se joue et détermine
les conduites selon que lon tente dappliquer à létude du
fonctionnement psychique un seul type dapproche. Cest
ainsi que lapproche rationnelle, reposant sur des modèles
logiques, permet de rendre compte du fonctionnement cogni-
tif, mais passe à côté de lexistence des déterminants subjec-
tifs, notamment fantasmatiques (cest-à-dire irrationnels). En
revanche, seule une approche en termes analogiques permet,
elle, de prendre en compte la fécondité du travail associatif de
lesprit. Et, jusquà ce jour, les meilleurs modèles permettant
de rendre compte de cette activité sont les modèles métapho-
riques proposés par Freud et ses successeurs.
Ce sera lun des mérites de la maladie dAlzheimer, à partir de
lobservation du déclin, de justifier, sil le fallait, une démar-
che relativiste concernant les approches possibles du fonction-
nement psychique normal. En dautres termes, elle permet de
distinguer, dans le fonctionnement de lesprit, plusieurs regis-
tres dactivité qui ne relèvent pas de la même approche.
Outre les appareils fonctionnels qui viennent dêtre schémati-
quement décrits, il y a lieu de réserver une place de choix au
registre affectif.
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LES BASES AFFECTIVES DE LA VIE PSYCHIQUE,CE QUE NOUS APPREND LA MALADIE DALZHEIMER
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Registre affectif
Le métabolisme affectif concerne, entre autres, la question des
émotions positives ou négatives. On peut, à son propos, parler
dappareillage ou dappareil affectif. Il concerne les questions
essentielles du plaisir et du déplaisir, de la joie et de la tris-
tesse. On peut lui rattacher le registre de la motivation et
donc de la démotivation. Je pense personnellement que cest
également dans la sphère affective que senracine le type
dattachement, tout comme la composante affective du deuil
et la base affective de lestime de soi (le sentiment de
compter).
On peut, concernant la vie affective, évoquer la notion de
mémoire affective : globale, non déclarative, subconsciente.
Personnellement, jaurais tendance à lidentifier purement et
simplement à la mémoire implicite (?).
Le fonctionnement affectif ne saurait se réduire au domaine
des pulsions, cest-à-dire à la question du « çà » freudien. On
est en effet autorisé, à la lumière des décompensations alzhei-
mériennes, à introduire la notion de trame affective de la pen-
sée (de la pensée structurée). Il sagit donc de proposer lexis-
tence dopérations purement affectives qui servent de canevas
(et/ou de catalyseur ?) à lensemble du fonctionnement psy-
chique. Cela va de pair avec la notion de phénomènes
dadaptation affective, soit, en dautres termes, de moteur
affectif inconscient des choix et des conduites.
De ce point de vue, le registre affectif constitue une forme de
« pensée matricielle », globale, préverbale. On peut, ce fai-
sant, parler de matrices affectives inconscientes de pensées
ou encore de registre matriciel inconscient de la pensée,
dordre affectif.
Chez le sujet normal, ce plan fonctionnel est le lieu de matri-
ces affectives des pensées ayant un contenu formulable. Chez
le malade dAlzheimer, on en reste à la matrice seule (dépour-
vue de contenu). Mais, même si des contenus de pensées ne
peuvent y prendre corps, celles-ci ne parviennent pas à pren-
dre corps, leur matrice affective pourrait fort bien marquer les
conduites de son empreinte de la même manière que si le
contenu correspondant existait.
Articulation des différents registres
psychiques
On est en droit de considérer que ce qui se passe sur chacun
des plans qui viennent dêtre évoqués est complémentaire de
ce qui se passe sur les autres. On retiendra à ce propos la
métaphore des couleurs primaires. Cest, on le sait, en asso-
ciant ces couleurs que lon obtient une image polychrome.
Mais, manifestement, sil existe des correspondances, il y a
également des inter-régulations entre ces plans. Le contenu
des uns peut modeler (moduler, modifier en partie) ce qui se
passe sur les autres. Les phénomènes phobiques en fournissent
une excellente illustration. Un fantasme peut initialement
avoir été à lorigine dun désordre émotionnel au regard
dune situation anodine, telle que, par exemple, voir un
insecte ou une souris. La réédition de cette situation sera, de
manière récurrente (possiblement au terme dun auto-
conditionnement), à lorigine de désordres cognitifs condui-
sant le sujet à se conduire comme sil était en grand danger.
Cette interaction permet de comprendre pourquoi, en théra-
pie, il est possible daborder le problème sous plusieurs angles
(cognitif, psycho-dynamique).
Cela conduit à une seconde remarque épistémologique.
Il sagit de souligner que cest sans doute la faculté dun plan
de réguler le fonctionnement des autres qui a pu conduire à
tenter dexpliquer lensemble du fonctionnement psychique
uniquement en sappuyant sur lun deux (par exemple subjec-
tif ou cognitif). Mais lon ne saurait explorer ou expliquer tout
le fonctionnement psychique avec un seul de ces points de
vue. Tous ont un domaine de validité privilégié, tous ont
leurs limites :
le cognitif butte sur la question du fantasme et sur celle du
contenu des rêves ;
le subjectif butte sur la question du temps ;
laffectif est privé de contenus, comportant des représenta-
tions.
Action conjointe
de ces différents « appareils »
La résultante du travail psychique sous les différents aspects
venant dêtre évoqués constitue un méta-appareil comporte-
mental.
On notera que, même lorsquune part de celui-ci, quelle
quen soit la raison, cesse dêtre performante, il demeure des
capacités adaptatives au niveau des plans restés opérants. Cela
pose la question dun principe adaptatif robuste, inhérent à la
vie. Doù lhypothèse complémentaire dun principe organisa-
teur adaptatif, robuste, véritable gardien de la vie. On est
même en droit, à ce propos, denvisager lexistence dune
fonction (ou appareil) inconsciente à lorigine de stratégies
adaptatives. Celles-ci peuvent être envisagées comme relevant
de données innées, ou acquises (héritées) par lexemple. Elles
peuvent également avoir été acquises empiriquement à partir
dexpériences plus ou moins précoces. On est même en droit
de concevoir que des stratégies dadaptation puissent être éla-
borées en testant inconsciemment des scénarios qui incluent
la prise en compte des propres possibilités du sujet en relation
avec ce quil perçoit implicitement du contexte dans lequel il
évolue.
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Rôle de laccordage affectif
Lexistence dun registre matriciel de la pensée, dordre affec-
tif, conduit à sinterroger sur le rôle et limportance des phéno-
mènes daccordage affectif qui sont observés en pratique cli-
nique. On est en droit de voir en eux la base indispensable des
phénomènes empathiques, du point de vue le plus général du
terme. Ils sont assurément aussi à la base de la communication
implicite : communication inconsciente qui peut être observée
entre des interlocuteurs ou entre les membres dun même sys-
tème relationnel (couple, famille, groupe, institution).
Afin de lexpliquer on peut envisager que laccordage affectif
permette de percevoir intuitivement et de mobiliser (de
sappuyer sur ?) les noyaux affectifs de pensées similaires
chez autrui.
En clinique psychologique, cest laccordage affectif qui,
manifestement, permet au thérapeute de travailler sur les pen-
sées induites en lui, considérées comme du matériel clinique
pertinent. On parle volontiers à leur sujet de phénomènes de
communication implicite. Le travail de mentalisation du théra-
peute lui permet de métaboliser les émotions qui lui sont com-
muniquées à létat brut, tout comme celles découlant de la
situation ou des pensées émergentes qui viennent dêtre évo-
quées. Et, à lévidence, la modification de son propre climat
affectif découlant de ses possibilités de mentalisation sera à
même dopérer un effet de pare-excitation, en lui mais égale-
ment au sein du contexte relationnel. À ce titre, son activité de
mentalisation, par le canal de laccordage affectif, aura un
effet de prothèse subjective. Cest comme si ce qui a été modi-
fié au niveau des pensées du thérapeute modifiait, par voie de
conséquence, les matrices affectives de celles-ci, lesquelles,
en interagissant avec celles du patient, modifient son écono-
mie affective.
Cest pour cette raison quune réunion clinique pendant
laquelle on parle dun patient, on fantasme, on fait un travail
dassociation didées, on émet des hypothèses constituant
autant de redéfinitions du problème, a au moins trois types
deffets. Elle contribue à faire évoluer la situation clinique en
raison du changement induit par les modifications de regard
des soignants. Mais elle permet également, à ces mêmes soi-
gnants, par la métabolisation de leurs émotions, de gérer de
façon plus souple la distance relationnelle avec le patient.
Cela étant, on a moins besoin de se situer dans la maîtrise
obsessionnelle de la relation (laquelle est précisément une
proposition de non-relation). De plus, comme cela vient
dêtre envisagé, tout se passe comme si le travail délaboration
psychique effectué par les soignants, à propos dun patient,
exerçait une fonction psychothérapique indirecte chez ce
dernier.
Laccordage affectif, dans lhypothèse où il facilite la mobilisa-
tion des noyaux affectifs de pensées similaires :
est donc de nature à intervenir dans la part de communica-
tion infraverbale qui peut être observée dans les couples,
familles, groupes, institutions
il peut être de nature à constituer le support de linconscient
collectif par la mise en résonance des registres matriciels de la
pensée des individus concernés.
Laccordage affectif pourrait même permettre dexpliquer les
phénomènes de mobilisation psychique dautrui. Personnelle-
ment, je ferais reposer sur lui lexplication des phénomènes
trans-générationnels, voire de linscription dans un possible
projet métaphysique qui nous dépasse (cf: Jung ou Teilhard
de Chardin)
Conclusion
Létude des décompensations psychiques observées au
décours de la MA permet de proposer un modèle du fonction-
nement psychique prenant en compte les différentes fonction-
nalités de lesprit. Non seulement, dun point de vue épistémo-
logique, distinguer ces différentes fonctionnalités permet de
mieux cerner les diverses approches de la maladie dAlzhei-
mer, mais cela conduit également à aborder différemment
lensemble des décompensations psychopathologiques surve-
nant à tout âge. Dun point de vue clinique, mais aussi
éthique, cette distinction permet daborder le malade avec
une approche :
lui garantissant une permanence de son identité profonde la
plus déterminante, à savoir son identité affective ;
nous permettant davoir avec lui des échanges cohérents sur
ce plan.
Lintroduction de la notion dintelligence affective permet, de
plus, en relation avec les possibilités daccordage affectif,
doffrir une explication à de nombreux phénomènes intersub-
jectifs inconscients, dans des systèmes relationnels de taille
variable (couple, famille, groupe, institution, société). Cela
concerne, à tout âge, le fonctionnement psychique autant
normal que pathologique, mais également les mécanismes
psychothérapeutiques reposant sur le travail psychique des
soignants.
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