dans la mesure où il conduit à se poser la question d’un regis-
tre de fonctionnement psychique spécifiquement affectif, plus
riche et plus déterminant qu’on serait tenté de le supposer.
En effet, au fil du développement de cette maladie, on observe
la succession de phénomènes suivants. Il y a tout d’abord et
principalement un affaiblissement du fonctionnement cognitif,
c’est-à-dire des aptitudes intellectuelles et psychomotrices.
Celui-ci va de pair avec (ou est suivi par) des défaillances du
fonctionnement subjectif, c’est-à-dire des capacités de travail
associatif de l’esprit. Le travail intellectuel de recherche volon-
taire, consciente, des souvenirs, est altéré, avec des variations
cliniques spontanées, mais également des variations reliables
au climat affectif. Curieusement, la mémoire dite implicite,
c’est-à-dire ne faisant pas l’objet d’un travail de mise en mots
(y compris dans la tête) ne fait pas l’objet de contre-
performances manifestes. Et il en est pratiquement de même
pour l’ensemble du fonctionnement psychique « global »,
« non pensé », mais non dépourvu de pertinence, qui apparaît
longtemps préservé.
C’est ainsi que, lorsqu’il n’est pas en proie à des hallucinations
(on peut faire l’hypothèse que celles-ci pourraient survenir
pour pallier le vide psychique), le malade peut longtemps
conserver une forme d’approche globale (approximative,
mais non sans fondement) des situations et des relations avec
autrui.
En revanche, il fait les frais d’un effacement progressif des
contenus psychiques mis en forme. Lorsqu’on l’interroge à ce
propos, il reconnaît avoir un sentiment de vide de la pensée :
vide cognitif et vide subjectif. Cela correspond à un état
marqué par l’absence de discours intérieur, de représentations
et de constructions psychiques. Néanmoins, curieusement, à
la différence de sujets souffrant d’autres sortes de désordres
cognitifs, il reste tout à fait sensible à l’empathie, tout comme
il conserve manifestement des éprouvés d’ordre affectif. On
rappellera à ce propos son vécu d’abandon qui se traduit par
la difficulté à rester seul et surdétermine des conduites déran-
geantes en raison du besoin évident d’attirer l’attention sur lui.
Il apparaît qu’il y a, chez lui, une forme de primauté du regis-
tre affectif, registre dans lequel il semble encore fonctionner
du point de vue relationnel. Tout se passe en effet comme
s’il gardait une forme de perception affective, assortie de capa-
cités d’expression pertinentes de ce même point de vue. Il lui
est ainsi possible d’intégrer des informations et d’avoir des
réactions logiques, même si la pertinence de celles-ci est
sujette à caution en raison de la non-régulation des affects
par ses compétences cognitives amoindries. Cela évoque un
fonctionnement s’appuyant sur des noyaux affectifs de pensée
(non formulées et non formulables), restant à l’état de cristaux,
de germes, correspondant virtuellement à la dimension affec-
tive d’une pensée, désormais réduite à cette seule dimension.
À la réflexion, le fait que des capacités d’adaptation affectives
puissent être observées au-delà de la perte des capacités cogni-
tives (intellectuelles) et des compétences psycho-dynamiques
subjectives (travail associatif) invite à individualiser un registre
de fonctionnement psychique « affectif » préexistant à la mala-
die et ayant sa propre dynamique. Celui-ci se caractériserait par
sa robustesse, lui permettant de perdurer pour son propre
compte, même aux stades les plus avancés de la maladie.
On peut le concevoir comme intégré dans le fonctionnement
psychique général, mais capable de peser sur lui. Il peut s’agir
d’introduire une note (un indiçage) affective à même de peser
sur les choix du sujet. Il peut également s’agir de modifier le
fonctionnement cognitif, positivement ou négativement.
Cette notion de trame affective de la pensée peut être compa-
rée à ce qu’est le rythme concernant le chant, tandis que la
subjectivité correspondrait à la mélodie et la cognition aux
paroles.
Cela conduit, dans l’approche des malades d’Alzheimer, à
s’appuyer sur des outils conceptuels permettant de prendre
en compte la question des liens affectifs, je pense par exemple
aux théories de l’attachement. Mais cela conduit aussi, et
surtout, dans l’approche psychologique générale, à tout âge
et en toutes circonstances, à s’appuyer sur l’hypothèse qu’il
existe, chez tout à chacun, une forme inconsciente de
mémoire et d’intelligence affective (dans une logique adapta-
tive, défensive…).
Enseignements de la MA
dans le fonctionnement psychique
À partir de ce qui vient d’être dit concernant les formes de
défaillances cliniques et leur évolution, on peut, du point de
vue fonctionnel, distinguer des plans ou registres descriptifs du
fonctionnement psychique, tant normal que pathologique.
Ces entités descriptives constituent autant « d’appareillages »
ou « appareils » fonctionnels. Chacun d’eux peut être envisagé
selon deux aspects qui sont indissociables, à savoir :
–son support (sa face) biologique ;
–sa dimension fonctionnelle (procédurale) psychique.
Car on ne saurait envisager que des procédures psychiques, en
d’autres termes des opérations de traitement de l’information
(information au sens le plus large du terme : paroles, images,
faits, souvenirs, fantasmes, émotions, etc.), puissent exister
sans support. Et, rappelons-le, on ne saurait également raison-
ner en termes de causes ou de conséquences entre ces deux
aspects, mais seulement en termes de correspondances ou de
traductions simultanées, l’un étant le représentant, la traduc-
tion, de l’autre.
Ce faisant, il n’y a pas de relations de cause à effet entre les
phénomènes biologiques cérébraux et les phénomènes psy-
chologiques, mais une situation de correspondance (de tra-
duction simultanée). En revanche, au niveau biologique, il
est possible de concevoir des enchaînements de causes et de
conséquences, avec des boucles d’interactions (relevant du
152 •Annales de Gérontolologie •vol 2, n° 3, septembre 2009 •
LOUIS PLOTON
Ann Gerontol 2009 ; 2(3) : 151-5
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